LOIS CONSTITUTIONNELLES, LEGISLATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, REGLEMENT ET ADMINISTRATION GENERALE

Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Outre-mer - Consultation de la population de Mayotte - Audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur le projet de loi n° 237 (1999-2000) organisant une consultation de la population de Mayotte.

Après que M. Jacques Larché, président, eut rappelé qu'une délégation de la commission avait effectué une mission d'information à Mayotte au début du mois de janvier dernier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a présenté les principaux aspects du projet de loi.

Il a tout d'abord rappelé que Mayotte comptait, au dernier recensement de 1997, 131.000 habitants sur 373 km2, soit une densité cinq fois supérieure à celle de la métropole, auxquels s'ajoutaient les 15.000 Mahorais vivant à la Réunion ou en métropole.

Il a également rappelé que Mayotte était devenue française dès 1841, avant les autres îles de l'archipel des Comores, auxquelles elle fut rattachée administrativement par la suite. Il a précisé que les Mahorais avaient manifesté leur particularisme en choisissant le maintien au sein de la République française au moment où les autres îles s'engageaient sur la voie de l'indépendance, la loi du 3 juillet 1975 ayant disposé que le référendum d'autodétermination des Comores serait mis en oeuvre île par île.

Le secrétaire d'Etat a expliqué que la question du statut de Mayotte était demeurée en suspens depuis près de 25 ans, à la suite du rejet, par les Mahorais, en 1976, de l'indépendance, puis du maintien du statut de territoire d'outre-mer, suivi de l'adoption de la loi du 24 décembre 1976 érigeant Mayotte en collectivité territoriale à statut particulier sur le fondement de l'article 72 de la Constitution.

Il a en effet souligné que la consultation des Mahorais sur l'évolution du statut de la collectivité territoriale, prévue successivement par les lois du 24 décembre 1976 et du 22 décembre 1979, n'avait jamais été organisée et que le statut conçu comme provisoire en 1976 avait donc perduré.

Il a ajouté qu'afin de remédier à l'incertitude sur le droit applicable à Mayotte dans de nombreux domaines, un certain nombre d'ordonnances avaient été prises afin d'étendre à Mayotte, moyennant adaptations, certains volets de la législation métropolitaine.

Puis M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a indiqué qu'après un premier déplacement effectué à Mayotte en novembre 1997, il avait engagé des discussions avec l'ensemble des forces politiques mahoraises en vue d'une évolution du statut, en suivant une démarche inspirée de celle retenue en Nouvelle-Calédonie pour parvenir à la signature de l'accord de Nouméa, et en s'appuyant sur les travaux de deux commissions présidées par MM. Bonnelle et Boisadam, anciens préfets de Mayotte.

Il a précisé que ces négociations avaient abouti à un accord conclu au début du mois d'août 1999 avec le président du conseil général et les représentants des principales formations politiques de Mayotte -les parlementaires représentant la collectivité territoriale ayant cependant refusé de s'y associer- puis approuvé par une majorité des conseillers généraux et par 16 conseils municipaux sur 17, et ensuite publié au Journal officiel, accord que le projet de loi proposait de soumettre à la consultation de la population mahoraise. Il a en outre rappelé que le Président de la République avait approuvé cette démarche lors du sommet de la Commission de l'Océan indien à la Réunion au mois de décembre dernier, dans un contexte international apaisé.

Le secrétaire d'Etat a ensuite présenté les grandes lignes du nouveau statut de Mayotte qui pourrait être mis en place à l'issue de la consultation, grâce à l'adoption d'un projet de loi élaboré sur la base des grandes orientations de l'accord approuvé par les Mahorais. Il a expliqué que Mayotte resterait une collectivité territoriale sui generis dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, qui se verrait qualifiée de " collectivité départementale ", et resterait régie par le principe de la spécialité législative, car l'écart des niveaux de développement économique et social et le statut personnel de la quasi-totalité des Mahorais -régime de droit civil obéissant au droit coranique- excluaient une transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer.

Il a cependant précisé qu'au cours d'une phase de transition, le statut de Mayotte serait progressivement rapproché du droit commun départemental issu de la décentralisation, notamment grâce au transfert de l'exécutif de la collectivité du préfet au président du conseil général, à une réforme des compétences du département et des communes, et à une rénovation de l'état civil et une clarification du statut de droit personnel, ajoutant que les crédits inscrits dans le cadre du contrat de plan permettraient de financer les efforts de rattrapage économique et social nécessaires.

Il a enfin précisé que l'accord soumis à la consultation fixait une " clause de rendez-vous " en 2010, date à laquelle toutes les options d'évolution statutaire resteraient ouvertes, y compris une éventuelle transformation en département d'outre-mer (DOM), sous réserve toutefois d'une éventuelle évolution du statut de DOM.

Après avoir estimé que le projet de loi répondait au souci exprimé par le législateur en 1976 et en 1979 en permettant de consulter la population de Mayotte sur son avenir institutionnel, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a précisé que la consultation prévue par ce projet de loi ne constituait pas un référendum au sens de l'article 11 de la Constitution -l'ensemble de la population française n'étant pas appelée à y participer-, ni une consultation s'inscrivant dans le cadre du troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution -la question posée ne portant pas sur une éventuelle accession à l'indépendance.

Il a d'ailleurs rappelé que l'article L. 2142-1 du code général des collectivités territoriales prévoyait la possibilité de consulter la population communale sur tout sujet d'intérêt municipal et qu'il existait un précédent de consultation de la population mahoraise sur le choix d'un statut, dont le principe avait été admis par une décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1975, précisant en outre que le Gouvernement réfléchissait actuellement à l'institution, dans les départements d'outre-mer, d'une procédure de consultation préalable des populations locales sur les changements statutaires.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a considéré que la consultation prévue par le projet de loi répondait aux obligations de clarté et de loyauté de la question posée, imposées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel aux termes de sa décision du 2 juin 1987 concernant une consultation de la population de Nouvelle-Calédonie. Il a en effet considéré qu'il n'y avait pas d'ambiguïté entre le statut de collectivité départementale et celui de département d'outre-mer, compte tenu du maintien du principe de spécialité législative, soulignant à nouveau qu'une transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer aurait été incompatible avec le maintien d'un statut de droit civil particulier.

Enfin, le secrétaire d'Etat a présenté les différents articles du projet de loi qui précisent la formulation de la question posée aux électeurs de Mayotte, ainsi que les modalités de mise en oeuvre de la consultation, notamment en instituant une commission de contrôle des opérations électorales et en organisant la campagne radiotélévisée officielle. Il a conclu en déclarant que ce projet de loi marquait une nouvelle étape dans l'histoire de Mayotte.

A l'issue de cet exposé, M. José Balarello, rapporteur, après avoir évoqué la mission qu'il avait conduite au nom de la commission à Mayotte, a souligné qu'à la différence de la situation de la Nouvelle-Calédonie, les Mahorais souhaitaient quasi unanimement rester Français et obtenir le statut de département d'outre-mer. Il a demandé au secrétaire d'Etat pourquoi il n'avait pas souhaité mettre en oeuvre la consultation prévue par la loi de 1976 modifiée en 1979, toujours en vigueur.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a constaté que le législateur de l'époque s'était engagé à organiser une consultation faisant référence à une option en faveur du département d'outre-mer car cette dernière était alors souhaitée pour garantir l'ancrage de Mayotte au sein de la République française, mais qu'aucun Gouvernement n'avait mis en oeuvre cette consultation depuis lors, la transformation en département s'étant révélée juridiquement impraticable. Il a considéré qu'en dépit d'une profonde évolution de Mayotte depuis 25 ans, les spécificités de la société mahoraise rendaient inapplicable le texte de 1979, mais qu'il importait cependant d'organiser une consultation de la population locale conformément aux engagements pris par le Premier ministre et par le Président de la République. Il a en outre jugé préférable de soumettre à cette consultation les grandes orientations d'une réforme, plutôt qu'un projet de loi statutaire qui relevait du travail du législateur.

Après avoir rappelé que le statut de " collectivité départementale " s'inscrivait dans le prolongement des travaux de la commission présidée par le Préfet Bonnelle, le secrétaire d'Etat a souligné que le contexte international avait évolué favorablement, relevant que les propos tenus par le Président de la République au mois de décembre dernier en présence de représentants d'Etats étrangers n'avaient pas suscité de réaction sur place et qu'une équipe de football malgache s'était récemment rendue à Mayotte alors que, précédemment, les Mahorais n'avaient pas été admis à participer aux Jeux de l'Océan indien.

M. José Balarello, rapporteur, ayant demandé au secrétaire d'Etat des précisions sur le futur statut de " collectivité départementale " de Mayotte, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a précisé qu'il s'agissait bien d'une collectivité territoriale sui generis s'inscrivant dans le cadre de l'article 72 de la Constitution, mais que l'adjectif " départementale " traduisait la volonté d'une évolution progressive vers le statut des conseils généraux nationaux, qui se traduirait notamment par la coïncidence des élections au conseil général de Mayotte et des élections cantonales en métropole, ainsi que par le transfert de l'exécutif du conseil général de Mayotte à son président.

Puis en réponse aux interrogations de M. José Balarello, rapporteur, sur les perspectives d'évolution du droit civil, et notamment du droit de la famille, des compétences des cadis et du régime foncier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a indiqué qu'il présenterait le lendemain en Conseil des ministres deux ordonnances tendant à réformer l'état civil de Mayotte afin de l'inscrire dans le cadre de notre législation républicaine, que la justice cadiale serait recentrée sur des fonctions de médiation et que les crédits inscrits dans le contrat de plan permettraient de financer le début de l'élaboration du cadastre. S'agissant du statut personnel, il a déclaré que la jeune génération mahoraise souhaitait un rapprochement avec le droit civil applicable en métropole, mais qu'il était difficile de préciser dans quels délais cette évolution pourrait intervenir.

Soulignant que contrairement aux élus des Antilles et de la Guyane, les élus mahorais ne semblaient pas favorables au développement de la coopération régionale, M. José Balarello, rapporteur, a interrogé le secrétaire d'Etat sur l'étendue des compétences susceptibles d'être conférées à la nouvelle collectivité départementale dans ce domaine.

En réponse, M. Jean-Jack Queyranne a relevé qu'il s'agissait là d'une question très sensible en raison des problèmes liés à l'immigration clandestine à Mayotte, notant que sur 6.200 accouchements effectués à l'hôpital de Mayotte en 1999, 3.000 seulement concernaient des femmes mahoraises. Il a cependant estimé que Mayotte ne pourrait pas rester refermée sur elle-même et devrait jouer un rôle dans la zone géographique en matière économique, culturelle et sanitaire, tout en soulignant les difficultés liées à la situation politique actuelle des Comores et à ses conséquences, notamment dans le domaine sanitaire. Il a en outre constaté que les jeunes Mahorais se montraient favorables à une meilleure insertion de la collectivité dans son environnement régional.

M. José Balarello, rapporteur, a souhaité que des négociations communautaires soient engagées afin de permettre à Mayotte de bénéficier des fonds structurels européens.

A ce sujet, M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur le point de savoir si les départements d'outre-mer pourraient conserver le bénéfice des fonds structurels européens dans l'hypothèse d'une transformation de leur statut.

Après avoir rappelé que sept régions ultrapériphériques -dont les quatre départements d'outre-mer français- avaient actuellement accès aux fonds structurels européens, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer,a souligné que l'éligibilité aux fonds structurels européens nécessitait une mise en conformité avec le droit communautaire, notamment en matière de droits de douane, relevant par ailleurs que la Convention européenne des droits de l'homme n'était pas applicable à Mayotte. Il a ajouté qu'il avait appelé l'attention de la Commission européenne sur la nécessité de tenir compte du retard de développement économique de Mayotte pour l'attribution des aides qui lui sont attribuées dans le cadre de son statut de PTOM (pays et territoires d'outre-mer) associé à l'Union européenne.

M. José Balarello, rapporteur, a émis le voeu que la recherche d'un accord puisse être poursuivie sur la formulation de la question à poser aux Mahorais, afin de trouver une solution acceptable par tous les représentants des différentes formations politiques mahoraises, soulignant qu'une division des Mahorais lors de la consultation sur l'évolution du statut risquerait d'être mal comprise au sein des instances internationales et parmi les partenaires européens de la France. En conséquence, il a demandé à M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, si l'on ne pourrait pas envisager de compléter la question posée aux Mahorais en faisant référence à la perspective du vote en 2010 d'un projet de loi fixant, dans le cadre de la République, le statut définitif de Mayotte.

M. Daniel Hoeffel s'est demandé si les traditions ancestrales ne constituaient pas un facteur de stabilité à Mayotte et si une évolution du droit de la famille, du droit successoral et du rôle des cadis vers un alignement sur le droit commun ne comporterait pas un risque de déstabilisation de la société mahoraise.

M. Jacques Larché, président, a fait part de son scepticisme quant à la possibilité d'appliquer l'ensemble du droit métropolitain à Mayotte.

Après avoir rappelé le combat mené par les élus mahorais pour rester Français, M. Jean-Jacques Hyest a constaté l'impossibilité d'une transformation immédiate de Mayotte en département compte tenu de ses spécificités et a estimé que le statut de collectivité départementale constituerait un progrès. Il a interrogé M. Jean-Jack Queyranne sur le problème de la maîtrise des flux migratoires, considérant qu'une réflexion devrait être menée en vue de développer la coopération régionale afin de réduire la pression migratoire sur Mayotte.

M. Lucien Lanier a estimé que la mise en place d'un département à Mayotte constituait une vue de l'esprit, soulignant par ailleurs qu'elle aurait un coût très élevé. Il a fait part de son intérêt pour un statut transitoire permettant des évolutions ultérieures.

M. Michel Duffour s'est félicité des initiatives prises par M. Jean-Jack Queyranne en faveur de Mayotte dès le mois de novembre 1997. Après avoir précisé qu'il avait rencontré des interlocuteurs mahorais ouverts à la perspective d'une meilleure insertion dans l'environnement régional, il s'est interrogé sur les raisons qui avaient amené certains élus mahorais à s'opposer au principe de l'organisation d'une nouvelle consultation de la population en 2010.

Répondant à l'ensemble des intervenants, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a tout d'abord rappelé que le statut personnel était garanti par l'article 75 de la Constitution, et qu'il faudrait envisager une évolution progressive vers le statut de droit commun.

Au sujet de la maîtrise des flux migratoires, il a précisé qu'une ordonnance serait prochainement prise afin de moderniser le droit applicable à Mayotte en la matière, qui résultait de textes très anciens datant du XIXè siècle. Il a approuvé l'idée d'un développement des actions de coopération régionale dans ce domaine, tout en soulignant de nouveau les difficultés liées à la situation actuelle des Comores, notamment dans le domaine sanitaire.

Il a estimé que la question de l'enracinement de Mayotte dans la République ne se posait plus aujourd'hui et qu'il convenait de faire évoluer progressivement son statut en tenant compte des spécificités locales.

Après avoir constaté que certains signataires de l'accord sur l'avenir de Mayotte n'avaient pas souhaité qu'une nouvelle consultation de la population mahoraise soit organisée dans dix ans, il a souligné que celle-ci n'était pas exclue, mais qu'il serait légitime que le conseil général prenne l'initiative d'une évolution statutaire.

Considérant qu'un consensus serait bien entendu souhaitable, le secrétaire d'Etat s'est déclaré prêt à réaffirmer que le choix du département resterait possible, tout en estimant qu'il ne serait pas opportun de l'inscrire dans la loi. Il a en outre fait part de ses réserves sur la constitutionnalité d'une disposition qui prévoirait l'obligation de légiférer à nouveau sur ce sujet en 2010.

Mercredi 8 mars 2000

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Justice - Lutte contre la corruption - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à la désignation de candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi modifiant le code pénal et le code de procédure pénale relatif à la lutte contre la corruption.

Ont été désignés comme membres titulaires : MM. Jacques Larché, José Balarello, Patrice Gélard, Jean-Jacques Hyest, Guy Cabanel, Robert Badinter, M. Robert Bret, comme membres titulaires : MM. Jean-Paul Amoudry, Luc Dejoie, Mme Dinah Derycke, MM. Paul Girod, François Marc, Henri de Richemont, Jean-Pierre Schosteck.

Nomination de rapporteurs

La commission a ensuite procédé à la nomination de rapporteurs pour les propositions de loi suivantes :

- M. Jean-Jacques Hyest pour la proposition de loi n° 241 (1999-2000) modifiée par l'Assemblée nationale, relative à l'attribution de la prestation compensatoire en cas de divorce (en remplacement de M. Daniel Hoeffel) ;

- M. Jean-Pierre Schosteck pour la proposition de loi n° 244 (1999-2000) adoptée par l'Assemblée nationale, instaurant une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France ;

- M. Georges Othily pour la proposition de loi n° 245 (1999-2000) adoptée par l'Assemblée nationale relative à la validation législative d'un examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant des services extérieurs de l'administration pénitentiaire.

Droits de l'Homme - Reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et célébration de l'abolition de l'esclavage - Suite de l'examen du rapport

La commission a poursuivi l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Schosteck sur la proposition de loi n° 234 (1998-1999) adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la reconnaissance de la traite de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et sur la proposition de loi n° 406 (1997-1998) de M. Michel Duffour et plusieurs de ses collègues, relative à la célébration de l'abolition de l'esclavage en France métropolitaine.

La commission a examiné les amendements présentés par M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. A l'article premier (reconnaissance de la traite négrière et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité), elle a adopté un amendement modifiant la rédaction de cet article pour prévoir que l'esclavage, conformément à l'article 212-1, constitue un crime contre l'humanité, quels que soient le lieu et l'époque où il est commis. M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur, estimant qu'il n'était pas possible pour le législateur de qualifier une partie de l'Histoire, a indiqué que cette rédaction était plus large que celle proposée par l'Assemblée nationale.

A l'article 2 (développement de l'enseignement et de la recherche sur la traite négrière et l'esclavage), M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur, a proposé un amendement de suppression de cet article. Il a observé que le contenu des manuels scolaires ne relevait pas du domaine de la loi et que l'esclavage et son abolition étaient d'ores et déjà évoqués dans les manuels d'histoire. M. Guy Allouche a fait valoir que cet article était essentiel, la perpétuation de la mémoire passant notamment par les manuels scolaires. A l'initiative de M. Jacques Larché, président, M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur, a alors proposé que le comité de personnalités chargé de proposer des lieux et des actions pour la perpétuation du souvenir du crime de l'esclavage puisse notamment formuler des propositions relatives aux programmes scolaires. La commission a alors adopté l'amendement de suppression sous réserve de la traduction de cette préoccupation à l'article 3 bis.

La commission a adopté un amendement de suppression de l'article 3 (requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'Océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité). M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur, a indiqué qu'une commission de l'Organisation des Nations unies avait déjà adopté une résolution reconnaissant la traite négrière et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et que cet article pourrait constituer une injonction au Gouvernement.

A l'article 3 bis (fixation d'une date pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage en métropole), la commission a adopté un amendement complétant cet article pour prévoir, dans la loi de 1983 relative à la commémoration de l'abolition de l'esclavage, la création du comité de personnalités prévue à l'article 4 de la proposition de loi, lequel pourrait notamment formuler des propositions relatives au contenu des programmes scolaires. Par coordination, la commission a supprimé l'article 4 (comité de personnalités chargé de proposer des lieux et des actions de mémoire) de la proposition de loi dont les dispositions étaient ainsi reprises.

La commission a adopté un amendement de suppression de l'article 5 (possibilité pour les associations défendant la mémoire des esclaves d'exercer les droits reconnus à la partie civile), le rapporteur ayant fait valoir que la préoccupation de ses auteurs était satisfaite par le droit en vigueur, puisque de nombreuses associations pouvaient exercer, d'ores et déjà, les droits reconnus à la partie civile en matière d'injures et de diffamation.

Enfin, la commission a adopté un amendement modifiant l'intitulé de la proposition de loi pour tenir compte des modifications apportées à son contenu, en reprenant l'intitulé proposé par la proposition de loi n° 1050 de M. Bernard Birsinger et plusieurs de ses collègues, tendant à perpétuer le souvenir du drame de l'esclavage.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

Elections des sénateurs - Examen du rapport en deuxième lecture

La commission a ensuite procédé à l'examen, en deuxième lecture, du rapport de M. Paul Girod sur le projet de loi n° 195 (1999-2000) modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'élection des sénateurs.

M. Paul Girod, rapporteur, a relevé que le Sénat avait considéré nécessaire de procéder à une réforme de son régime électoral pour tenir compte des évolutions démographiques, notant cependant que celles-ci n'étaient pas définitives.

Il a pris acte de ce que le rapporteur de la Commission des lois de l'Assemblée nationale avait admis l'intérêt, pour nos institutions, de comporter deux assemblées parlementaires élues de manière distincte.

M. Paul Girod, rapporteur, a souligné la différence essentielle entre les positions des deux assemblées, d'une part, celle de l'Assemblée nationale tendant à prévoir une représentation des collectivités sur la seule base du nombre de leurs habitants et, d'autre part, celle du Sénat selon laquelle les collectivités elles-mêmes devaient être représentées sur la base de l'effectif de leurs assemblées puisqu'elles sont chargées de leur gestion au quotidien.

Evoquant ensuite la nécessité d'un équilibre entre les différents modes de scrutin pour l'élection des grands électeurs et des sénateurs, il a souligné que le scrutin majoritaire facilitait l'élection de davantage de législateurs en dehors de l'influence des partis politiques, relevant que l'Assemblée nationale, en adoptant la représentation proportionnelle à partir de trois sièges, accordait une prééminence excessive aux formations politiques.

Enfin, M. Paul Girod, rapporteur, s'est étonné de ce que le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale ait pu considérer la représentation des Français résidant à l'étranger comme une survivance de l'empire colonial, ne semblant pas tenir compte de l'intérêt, pour la France, de ménager, au Parlement, la représentation des nombreux nationaux dont la présence à l'étranger lui est bénéfique.

En conclusion, M. Paul Girod, rapporteur, a proposé à la commission de reprendre, pour l'essentiel, le texte voté par le Sénat en première lecture.

M. Jean-Jacques Hyest a observé que la progression importante de la proportion de grands électeurs dépourvus de mandats locaux, qui résulterait du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, atténuerait sensiblement la portée de la représentation des assemblées locales au Sénat.

Il a ajouté que la prime majoritaire attribuée à une liste ayant obtenu une majorité relative au tour décisif des élections municipales permettrait à cette majorité municipale, dans les villes bénéficiant d'un renforcement de leur représentation, d'être représentée de manière disproportionnée par des grands électeurs dépourvus de mandat.

M. Jean-Jacques Hyest en a déduit que le projet de loi, dans la rédaction de l'Assemblée nationale, permettrait, dans certains départements, aux majorités municipales des chefs-lieux d'avoir une influence décisive sur l'élection des sénateurs.

M. Guy Allouche a considéré que le mode de scrutin proportionnel pour l'élection des sénateurs se justifiait non seulement en raison de son équité, mais parce qu'il permettait au Sénat une élection selon des principes différents de ceux de l'Assemblée nationale, pour laquelle un mode de scrutin majoritaire s'imposait compte tenu de l'impératif d'une majorité de Gouvernement.

Il a estimé souhaitable de ne pas critiquer de manière excessive les formations politiques et, en réponse aux observations de M. Jean-Jacques Hyest, il a considéré que la représentation proportionnelle pour l'élection des délégués corrigerait partiellement les effets de l'attribution de la prime majoritaire.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la conformité à la Constitution des dispositions augmentant sensiblement le nombre des délégués extérieurs aux conseils municipaux et organisant une représentation excessive des grandes villes par rapport à celle des petites communes.

M. Jacques Larché, président, se référant à l'article 3 de la Constitution, a rappelé que l'égalité du suffrage impliquait aussi en l'espèce l'égalité entre les collectivités territoriales.

M. Paul Girod, rapporteur, a précisé que la proportion des délégués n'exerçant pas un mandat local s'établirait selon la rédaction du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale à 30 %, au lieu de 19 % dans le texte adopté par le Sénat.

M. Henri de Richemont a souligné l'importance de ne pas transformer le Sénat en réplique de l'Assemblée nationale et celle de préserver une influence significative des petites communes dans les collèges électoraux.

M. Simon Sutour a souligné que le rôle des partis était prévu par l'article 4 de la Constitution et a considéré que le projet de loi initial pourrait aussi favoriser l'élection de sénateurs en dehors des partis politiques.

Il a estimé que les effets du renforcement de la représentation des grandes villes sur la composition politique du collège électoral seraient tempérés par l'existence d'une minorité au sein de ces conseils. Il a souligné que les communes entre 300 et 500 habitants passeraient de un à deux grands électeurs, soit un doublement de leurs représentants au sein du collège électoral sénatorial qui pourrait avoir un effet dans les départements à l'habitat très disséminé.

M. Simon Sutour a rappelé que le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale prévoyait une élection des délégués au sein des conseils municipaux, lorsque leur nombre était inférieur à l'effectif du conseil, M. Paul Girod, rapporteur, précisant qu'il proposait le maintien de cette disposition.

M. Alex Türk, évoquant les dispositions du projet de loi prévoyant un barème de représentation des communes basé exclusivement sur leur population, a observé que si une ville de 5.000 habitants avait une vie et une histoire propre, il n'en était pas de même pour les tranches de 5.000 habitants au sein d'une ville plus peuplée.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la nécessité de maintenir des grands électeurs sans mandat local à Paris, leur composition étant assurée d'être homothétique du Conseil de Paris et le département d'élection recouvrant très exactement la ville de Paris.

M. Charles Jolibois a souligné que l'augmentation en valeur absolue du nombre de délégués dans certaines petites communes n'empêcherait pas une baisse de leur poids relatif, compte tenu de la progression importante de la représentation des grandes villes.

M. Michel Duffour a considéré que le texte soumis au Sénat permettrait un renouvellement notable de la composition du Sénat.

M. Paul Girod, rapporteur, approuvé par M. Pierre Fauchon,a relevé que l'augmentation de la représentation des communes entraînerait une baisse relative de celle des départements et des régions, alors que toutes les collectivités territoriales devaient être représentées de manière significative au Sénat.

M. Patrice Gélard, estimant que les grands électeurs reflétaient la composition politique des conseils municipaux, s'est interrogé sur l'alternative qui consisterait à prévoir un vote plural des conseillers, M. Paul Girod, rapporteur, émettant des réserves sur la constitutionnalité d'une telle formule.

M. Michel Duffour a considéré que l'élection de grands électeurs pouvait contribuer à réduire la distance entre les partis politiques et les citoyens, M. Alex Türk estimant, pour sa part, que pour cette élection, les partis se limitaient, en fait, à donner un mandat impératif aux délégués.

M. Paul Girod, rapporteur, a ensuite exposé que l'Assemblée nationale avait adopté une disposition tendant à étendre aux élections sénatoriales les dispositions sur le plafonnement des dépenses électorales.

Il a indiqué que, si la question méritait d'être étudiée, elle n'avait pas sa place dans le cadre du présent projet.

M. Paul Girod, rapporteur, a ajouté que le dispositif n'était pas complet puisqu'il ne prévoyait, contrairement aux autres scrutins pour lesquels le plafonnement est prévu, ni un remboursement des dépenses électorales par l'Etat, ni une sanction d'inéligibilité, qui relèverait d'une loi organique.

Il a considéré que le plafond uniforme prévu par les députés n'était pas adapté à la composition du collège électoral de chaque département, précisant que, pour les autres scrutins, le plafond était déterminé selon un barème intégrant la population des circonscriptions électorales.

Après que M. Paul Girod, rapporteur, eut souligné que la jurisprudence sur la transparence des comptes de campagne pourrait s'avérer d'application délicate, compte tenu de la nature particulière des campagnes sénatoriales, la commission a adopté un amendement de suppression de l'article 1er A.

Sur proposition de M. Paul Girod, rapporteur, la commission a ensuite adopté des amendements tendant à rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture.

Elle a en conséquence supprimé l'article 1er (représentation des communes à raison d'un délégué pour 300 habitants) et rétabli l'article premier bis pour prévoir l'élection de délégués supplémentaires dans les communes d'au moins 9.000 habitants, à raison d'un délégué par tranche entière de 700 habitants au-dessus de 9.000 habitants.

La commission a maintenu à 9.000 habitants le seuil de partage entre les modes de scrutin applicables à l'élection des délégués des communes (articles 2 et 3) et prévu l'élection des sénateurs selon le mode de scrutin proportionnel dans les départements comptant au moins quatre sièges à pourvoir (articles 5 et 6).

La commission a confirmé l'élection des délégués et suppléants des communes au sein des conseils municipaux dans les communes de moins de 9.000 habitants (article 2).

Elle a supprimé les dispositions concernant la diminution du nombre des suppléants des délégués (article 1er bis A) et remettant en cause le remplacement du délégué de droit au titre de deux mandats (article 1er bis B).

Enfin, la commission a adapté à ses positions aux articles précédents les articles 14, 15, 15 bis et 16 concernant l'application de la loi dans les collectivités d'outre-mer, ainsi que l'article 18 (abrogations).

La commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.

Parlement - Nombre de sénateurs et répartition des sièges de sénateurs - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Paul Girod sur le projet de loi organique n° 235 (1999-2000) modifiant le nombre de sénateurs et le projet de loi n° 236 (1999-2000) modifiant la répartition des sièges de sénateurs.

M. Paul Girod, rapporteur, a indiqué que les projets de loi tendaient à tirer les conséquences des résultats du dernier recensement général de la population sur la composition du Sénat.

Il a rappelé que la détermination du nombre global des sénateurs relevait de la loi organique en application de l'article 25 de la Constitution, mais que la répartition des sièges relevait de la loi ordinaire.

Il a observé que le projet de loi organique portait de 304 à 322 le nombre de sénateurs élus dans les départements et créait un siège supplémentaire pour la Nouvelle-Calédonie.

Il a considéré que la qualité du travail et l'autorité d'une assemblée parlementaire ne se mesuraient pas au nombre de ses membres et a souligné que l'augmentation à 577 du nombre de députés en 1985 n'avait pas constitué une réelle avancée démocratique.

Considérant qu'il ne convenait pas d'augmenter le nombre des sénateurs, il a proposé l'adoption d'une question préalable sur le projet de loi organique, comme sur le projet de loi ordinaire qui en était la conséquence.

M. Guy Allouche a observé que la majorité sénatoriale était libre de refuser l'augmentation du nombre de sénateurs, mais qu'il lui faudrait assumer les conséquences d'une répartition des sièges à effectif constant pour tenir compte des évolutions démographiques.

M. Jacques Larché, président, s'est déclaré persuadé que l'augmentation du nombre des sénateurs porterait atteinte à l'image du Sénat et ne pourrait qu'alimenter le climat actuel d'anti-parlementarisme latent. Il s'est déclaré prêt à assumer les conséquences d'une éventuelle répartition des sièges à effectif constant et il a rappelé que le puissant Sénat américain ne comportait que 100 membres.

M. Michel Duffour s'est demandé pourquoi la majorité sénatoriale ne proposait pas une nouvelle répartition des sièges.

M. Christian Bonnet a considéré qu'une augmentation du nombre des sénateurs porterait gravement atteinte à l'image du Sénat.

MM. Pierre Fauchon et Lucien Lanier ont souligné que la vocation du Sénat étant de représenter les collectivités territoriales, il n'était pas obligatoire de prévoir une proportionnalité entre la population d'une circonscription et son nombre de sénateurs.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi organique.

M. Paul Girod, rapporteur, ayant fait ressortir que la loi ordinaire était présentée, dans son exposé des motifs, comme la conséquence de la loi organique, la commission a également adopté une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi ordinaire.

Dans une seconde séance, qui s'est tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à des auditions sur le projet de loi n° 222 (1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Audition de Me Patrick Maisonneuve, avocat, responsable de la commission pénale de l'Ordre des avocats à la Cour d'appel de Paris.

Elle a tout d'abord entendu Me Patrick Maisonneuve, avocat, responsable de la commission pénale de l'Ordre des avocats à la Cour d'appel de Paris.

M. Jacques Larché, président, a noté que l'Assemblée nationale avait tiré parti des améliorations apportées par le Sénat en première lecture, en particulier l'appel devant les cours d'assises, que le Gouvernement n'avait pas voulu proposer initialement.

Me Patrick Maisonneuve a estimé que les travaux parlementaires allaient dans la bonne direction en renforçant le principe du contradictoire, l'égalité des armes entre les parties et la séparation entre les fonctions de jugement et de poursuite.

S'agissant de la garde à vue, il a remarqué que les arguments avancés lors de l'institution de la présence de l'avocat à la vingtième heure, selon lesquels l'efficacité de l'enquête serait battue en brèche, n'avaient pas été vérifiés dans la pratique. Il a fait part de plusieurs propositions tendant à affirmer le principe de la nécessaire compatibilité des conditions de la garde à vue avec le respect du droit à la dignité de toute personne, tout en reconnaissant qu'il était très difficile d'énumérer de façon exhaustive ces conditions. Il a estimé que les temps de repos ne s'effectuaient pas conformément aux règles d'hygiène et de sécurité, la garde à vue plaçant la personne en position de faiblesse physique et psychologique. Il a ajouté que l'intégrité et l'intimité des personnes n'étaient pas respectées et qu'il était faux d'affirmer que les fouilles à corps étaient toujours effectuées par des médecins.

Me Patrick Maisonneuve a jugé important d'informer la personne gardée à vue des raisons de son arrestation et des accusations portées contre elle, conformément à l'article 5-2 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il a estimé que l'enregistrement des interrogatoires de garde à vue, facteur de transparence, était aussi une garantie pour les fonctionnaires de police. Il s'est déclaré favorable à l'enregistrement vidéo, mais a craint que cette solution ne soit trop difficile à mettre en oeuvre, et ne soit finalement pas appliquée. En conséquence, il a proposé que l'avocat puisse assister aux auditions lors de la garde à vue. Il a ensuite insisté sur la nécessité de retranscrire, dans les procès-verbaux, les questions posées à la personne gardée à vue. Enfin, il a attiré l'attention sur les pratiques de conditionnement et de déstabilisation dans la première phase de la garde à vue.

Interrogé par M. Jacques Larché, président, Me Patrick Maisonneuve a considéré que la présence de l'avocat pouvait être envisagée comme une alternative à l'enregistrement de la garde à vue. Il a regretté certaines dérives par lesquelles des policiers orientaient le choix d'un avocat par la personne gardée à vue. Il a souhaité qu'en cas de contestation, la transcription de l'enregistrement ou son écoute par le magistrat soit de droit et non une simple faculté laissée à l'appréciation du juge.

Constatant que la garde à vue était utilisée comme moyen de pression, M. Henri de Richemont a marqué l'intérêt d'informer la personne gardée à vue de son droit de garder le silence.

Me Patrick Maisonneuve a approuvé l'information sur le droit au silence, mais a ajouté qu'elle ne devait pas mettre en cause le principe du contradictoire. En particulier, il a estimé que certains comportements des officiers de police judiciaire pouvaient, en pratique, faire échec au droit au silence.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a précisé que l'information sur le droit de garder le silence avait d'ores et déjà été adoptée par les deux assemblées.

M. Jacques Larché, président, a insisté sur l'intérêt de formuler les questions posées dans les procès-verbaux de garde à vue.

M. Henri de Richemont s'est demandé s'il ne convenait pas de prévenir la personne gardée à vue que toutes ses déclarations pourraient être utilisées contre elle.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a fait part des critiques sur l'enregistrement audiovisuel des déclarations des mineurs victimes, avancées lors de l'adoption de la loi relative aux infractions sexuelles, l'utilisation de l'enregistrement à tout moment de l'instruction ou à l'audience pouvant nuire à la personne mise en examen. Il a ajouté que la question de l'admissibilité en preuve de l'enregistrement et de son utilisation éventuelle devant la Cour était d'autant plus sensible que la phase de garde à vue se déroulait sans la présence de l'avocat ni du juge.

Me Patrick Maisonneuve a réfuté l'argument selon lequel les policiers manipuleraient les bandes sonores. Il a estimé que l'objectif principal des enregistrements était de rendre plus transparentes les gardes à vue et d'éviter les pressions sur la personne.

M. Jacques Larché, président, a remarqué que certains magnétophones permettaient un enregistrement sécurisé, toute manipulation de la bande sonore étant immédiatement décelable. M. Nicolas About a précisé que tel n'était pas le cas avec les enregistrements numériques.

Constatant les incertitudes sur la fiabilité de l'enregistrement, Me Patrick Maisonneuve a indiqué sa préférence pour la présence de l'avocat lors des auditions en garde à vue. A défaut, il lui a semblé que l'enregistrement constituait un progrès.

Interrogé sur la capacité des barreaux d'assurer la présence effective de l'avocat à la vingtième heure, il a fait part de la régionalisation en cours des barreaux.

Me Patrick Maisonneuve a jugé très important que l'attribution du statut de témoin assisté aux personnes visées par une plainte ou mises en cause par la victime, en application de l'article 113-2 du code de procédure pénale, s'exerce à peine de nullité.

Il a ajouté que le statut de témoin assisté devait être appliqué dans le cadre d'une enquête préliminaire, cette procédure intéressant 80 à 90 % des affaires pénales.

S'agissant de l'appel devant les cours d'assises, Me Patrick Maisonneuve a indiqué que la commission pénale du barreau de Paris était favorable depuis longtemps à la " deuxième chance ". Il a souligné l'intérêt de maintenir le jury populaire afin d'associer les citoyens au jugement des affaires pénales les plus graves.

Me Patrick Maisonneuve s'est déclaré très hostile à la motivation des arrêts de cour d'assises. En pratique, il a précisé que les plaidoiries devant les cours d'assises visaient très rarement l'acquittement et portaient majoritairement sur le quantum de la peine. Il a donc estimé qu'il y aurait très peu de contestation des arrêts d'assises, remettant ainsi en cause l'argument de l'encombrement des juridictions.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur une alternative à l'appel tournant qui aurait consisté à introduire la notion d'" erreur manifeste d'appréciation " utilisée par la justice administrative, afin de permettre à la Cour de cassation, dans les circonstances de l'espèce, de casser une affaire si elle l'estime nécessaire.

Interrogé par M. Charles Jolibois, rapporteur, Me Patrick Maisonneuve a approuvé la disposition permettant au seul accusé de faire appel d'un jugement d'assises. M. Pierre Fauchon a estimé que l'appel ne devait bénéficier qu'à l'accusé, l'objectif de la deuxième chance étant d'éviter la condamnation d'un innocent.

S'agissant du juge de la détention, Me Patrick Maisonneuve a considéré que la séparation des fonctions de jugement et d'instruction constituait un progrès, dans la mesure où les magistrats instructeurs utilisaient très fréquemment la mise en détention provisoire comme moyen de pression. Il a estimé que la garde à vue constituait un moyen de pression très efficace contre les personnes qui n'avaient encore jamais eu affaire au système judiciaire.

Enfin, il a insisté sur la nécessité de préserver la possibilité pour le juge d'instruction de prononcer un contrôle judiciaire afin de limiter le nombre de mises en détention provisoire. M. Charles Jolibois, rapporteur, a indiqué que les deux assemblées avaient adopté cette disposition à l'article 10 du projet de loi.

M. Pierre Fauchon s'est demandé si l'introduction du " plaider coupable " n'était pas de nature à simplifier le traitement des affaires pénales. M. Jacques Larché, président, a noté que la composition pénale, introduite par la loi améliorant l'efficacité de la procédure pénale, constituait une amorce du " plaider coupable ". Me Patrick Maisonneuve a remarqué que le " plaider coupable ", bien qu'existant en fait sur le terrain, ne faisait pas partie de notre culture juridique.

Auditions de MM. Etienne Apaire, Jean-Baptiste Parlos, Philippe Coirre et Jean-François Ricard, de l'Association française des magistrats instructeurs.

Puis la commission a entendu MM. Etienne Apaire, Jean-Baptiste Parlos, Philippe Coirre et Jean-François Ricard, de l'Association française des magistrats instructeurs.

Après avoir noté que depuis 1980, plus de dix réformes de la procédure pénale avaient été adoptées, M. Jean-Baptiste Parlos, considérant que la définition de la jurisprudence demandait environ sept ans après l'entrée en vigueur de la loi, a craint un certain désordre juridique. Il a insisté sur la nécessité d'accompagner la nouvelle réforme des moyens suffisants.

Il a estimé que la réforme proposée n'était ni cohérente, ni complète, dans la mesure où la distinction n'avait pas clairement été effectuée entre les missions juridictionnelles du juge et ses missions d'enquête et d'instruction. Il a relevé que la réforme ne concernait que 5 à 7 % des affaires pénales, puisque les procédures de comparution immédiate, de citation directe et de convocation par officier de police judiciaire dans le domaine correctionnel demeuraient hors du champ d'application du projet de loi.

S'agissant de la détention provisoire, M. Jean-Baptiste Parlos a noté que les magistrats instructeurs approuveraient de ne plus se voir confier le contentieux de la détention. Cependant, il n'a pas jugé bon que le juge de la détention provisoire soit saisi par le juge d'instruction, et non par le procureur de la République.

Il a souligné les difficultés d'application de la disposition, adoptée par l'Assemblée nationale, interdisant la mise en détention provisoire des parents qui exercent l'autorité parentale sur des enfants de moins de dix ans, indiquant qu'à la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, 50 des 78 détenues exerçaient seules l'autorité parentale.

S'agissant de la garde à vue, M. Etienne Apaire a attiré l'attention sur les trois innovations du projet de loi, à savoir la présence de l'avocat dès la première heure, l'enregistrement des auditions et l'interdiction de la garde à vue des témoins.

Tout en soulignant l'approbation par les magistrats instructeurs du principe de la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, M. Etienne Apaire a rappelé qu'il revenait en premier lieu au parquet de s'assurer de la bonne conduite des gardes à vue par les officiers de police judiciaire.

Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences de la présence de l'avocat dès la première heure lorsque des actes urgents seraient nécessaires. Il a souhaité que la loi précise les mesures d'investigation que pourront accomplir les policiers pendant la période de garde à vue et indiqué que l'absence de l'avocat, avisé dès la première heure, ne devait pas empêcher les investigations.

M. Etienne Apaire a noté que plusieurs mesures adoptées au cours des dernières années, à savoir le raccourcissement de la durée de la garde à vue, portée à 24 heures renouvelables une fois dans les conditions de droit commun, la possibilité de trois entretiens avec l'avocat en cas de prolongation de la garde à vue et la visite médicale, étaient de nature à amputer considérablement la période effective de garde à vue. Considérant que la durée de 48 heures avait été instituée à une époque où les obligations prévues en faveur des personnes gardées à vue n'offraient pas les mêmes garanties, il a souhaité que la durée de garde à vue soit augmentée de douze heures.

S'agissant de l'enregistrement sonore des auditions de garde à vue, il a rappelé que le rôle des magistrats instructeurs était de contrôler les policiers et de les renvoyer éventuellement devant les tribunaux en cas de violences illégitimes. Il a estimé que l'enregistrement vidéo pourrait être un bon outil, à condition de s'appliquer dans l'ensemble des locaux, cette mesure étant seule de nature à limiter le soupçon pesant sur les policiers.

M. Etienne Apaire a estimé que joindre l'enregistrement sonore à la procédure excédait très largement l'objectif d'éviter les violences illégitimes. Il a jugé que la possibilité pour le juge d'écouter l'enregistrement pouvait engendrer de multiples contentieux.

M. Etienne Apaire a regretté qu'aucune mesure ne soit prévue pour obliger le témoin récalcitrant à rester à la disposition de la police le temps nécessaire à son audition. Il a proposé de créer un délit d'opposition à la justice permettant de sanctionner le refus de coopérer.

Considérant que la garde à vue permettait souvent la résolution des affaires, notamment en cas d'aveux, il a regretté que le projet de loi multiplie les sources de contentieux, alors que la délinquance ne cessait d'augmenter.

Interrogé par M. Henri de Richemont, M. Etienne Apaire a distingué le droit pour la personne gardée à vue de garder le silence afin de ne pas s'incriminer elle-même, du devoir pour le témoin de collaborer avec la justice.

M. Philippe Coirre a souhaité que les policiers intervenant sur les lieux d'un crime aient les moyens d'enquêter sur place. Il a regretté que l'effet mécanique du projet de loi soit l'ouverture systématique d'informations, en particulier du fait des articles 113-2 et 77-2 du code de procédure pénale.

Il a estimé que le statut de témoin assisté allait favoriser les ouvertures immédiates d'informations, seul le juge d'instruction étant habilité à entendre une personne mise en cause en qualité de témoin assisté. Il lui a semblé que même si cette disposition ne concernait que les informations déjà ouvertes, les juges d'instruction, contraints d'effectuer le travail de " défrichage " actuellement réalisé en garde à vue, allaient rapidement être débordés.

M. Philippe Coirre a ensuite critiqué la disposition permettant à la personne gardée à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire de flagrance, de demander au bout de six mois au procureur de la République, qui envisage de prolonger l'enquête, de se justifier dans le cadre d'un débat public. Il a jugé que les enquêtes deviendraient inefficaces, faute de confidentialité, et a regretté l'institution d'un débat public. Il lui a semblé que le procureur de la République aurait intérêt à ouvrir une information dès le début de l'enquête afin de bénéficier d'une année d'investigations confidentielles, cette pratique conduisant à augmenter le nombre des affaires " en friche ".

M. Philippe Coirre a marqué son opposition à l'appel de la décision de mise en examen et à la contestation d'une mise en examen au moyen d'une requête en nullité, cette procédure instaurant un contentieux dilatoire supplémentaire.

S'agissant des délais butoirs, M. Philippe Coirre a indiqué que les juges d'instruction ne seraient absolument pas en mesure de les tenir. Il a insisté sur le caractère peu précis de ces délais, le projet de loi n'indiquant pas s'ils incluaient les délais d'audiencement, ni dans quelles conditions ils pourraient être suspendus. Il lui a semblé nécessaire de suspendre les délais butoirs en cas de contentieux lié à une nullité de procédure.

M. Philippe Coirre a estimé qu'à moins de recruter 450 magistrats supplémentaires, le projet de loi allait provoquer un blocage de la justice pénale en quelques semaines.

M. Jean-François Ricard a noté que le métier de juge d'instruction avait considérablement changé depuis 18 ans afin d'améliorer l'équilibre entre les droits de la défense, la présomption d'innocence et l'efficacité de la répression. Il a attiré l'attention sur les périls de ce projet de loi.

Devant le risque de blocage des investigations et de neutralisation du rôle de la garde à vue, il a souhaité le maintien de la présence de l'avocat à la seule vingtième heure en matière criminelle.

M. Jean-François Ricard a souligné l'importance de limiter aux informations déjà ouvertes l'octroi du statut de témoin assisté à la personne qui en fait la demande.

Il a craint le blocage des procédures pour les infractions les plus graves, en particulier en matière de terrorisme, la clôture de l'investigation ne pouvant pas intervenir, dans de nombreux cas, avant un délai de trois ans.

M. Jean-François Ricard a mis en garde contre un ralentissement massif du traitement des affaires pénales, les contrats de procédure ne pouvant être tenus que si des moyens réels de fonctionnement étaient prévus. Il a estimé que la disposition selon laquelle le juge de la détention provisoire devait avoir rang de président ou de vice-président allait conduire à solliciter l'intervention des juges civils en tant que juges de la détention, alors que leur intérêt pour cette matière n'était pas avéré.

Constatant le déplacement de la procédure pénale de l'inquisitoire vers le contradictoire, M. Henri de Richemont s'est demandé si un policier pouvait enquêter à charge et à décharge, si les questions posées par la défense étaient de nature à intimider le témoin, enfin si l'expertise pouvait être contradictoire.

M. Jean-François Ricard a indiqué que le juge d'instruction déléguait aux policiers une partie de ses attributions au moyen d'une commission rogatoire très précisément définie et qu'il lui appartenait d'exiger un compte rendu au jour le jour et la communication des actes.

Interrogé par M. Jacques Larché, président, M. Jean-François Ricard a estimé que les pratiques consistant pour un policier à orienter le choix d'un avocat par la personne interrogée n'avaient plus cours. Il a ajouté que le juge devait entretenir un contact régulier avec les officiers de police judiciaire et sanctionner les comportements répréhensibles par le retrait de la délégation.

M. Philippe Coirre a considéré que dans un système où le parquet n'était pas indépendant et où prévalait le principe d'opportunité des poursuites, il était nécessaire que le juge d'instruction conserve la maîtrise de l'enquête pénale.

M. Jean-François Ricard a regretté la disposition pouvant conduire un témoin à s'exprimer face au juge en présence de l'avocat de la personne mise en examen, cette disposition pouvant être à l'origine de la peur de témoigner, en particulier dans les affaires de violences urbaines.

M. Jean-François Ricard a rappelé que les avocats avaient la possibilité de demander des expertises en énonçant très précisément leurs attentes. Il n'a pas jugé nécessaire que l'avocat soit présent pour poser directement des questions à l'expert. M. Jean Baptiste Parlos a noté que l'expertise contradictoire dans la procédure civile allongeait considérablement les délais.

M. Jean-Baptiste Parlos a ajouté que les juges d'instruction auraient préféré, à l'institution d'un juge de la détention provisoire, la création d'un tribunal de la détention. M. Etienne Apaire a précisé que, dans l'idéal, le procureur devrait saisir une chambre collégiale décidant le placement en détention. En tout état de cause, il a refusé que le juge d'instruction saisisse un autre magistrat. M. Philippe Coirre a indiqué que les juges d'instruction étaient favorables à la " collégialité à la carte ", moins coûteuse en termes d'effectifs que le juge de la détention provisoire.

M. Etienne Apaire a estimé que l'appel des jugements d'assises institué par le projet de loi ne respecterait pas le droit européen s'il ne s'exerçait pas devant une cour supérieure. Il a fait part de l'encombrement actuel des juridictions et a considéré que l'absence de moyens budgétaires supplémentaires allait aboutir à un déni de justice, la Chancellerie ne semblant pas avoir prévu les recrutements nécessaires pour les assesseurs.

M. Jacques Larché, président, a indiqué que la Cour de cassation devrait renvoyer les affaires aux cours d'assises les moins chargées.

Audition de Mme Mireille Delmas-Marty, professeur à l'Université de Paris I.

La commission a ensuite entendu Mme Mireille Delmas-Marty, professeur à l'Université de Paris I, responsable de la commission " Justice pénale et droits de l'homme " en 1988-1990.

Mme Mireille Delmas-Marty a tout d'abord précisé que le projet de loi, dans sa dernière version, améliorait de manière importante la procédure pénale. Elle a toutefois noté que, paradoxalement, s'agissant d'un texte sur la présomption d'innocence, les principaux progrès ne concernaient pas la phase préparatoire au procès. Parmi les avancées les plus importantes contenues dans le projet de loi, elle a cité l'appel en matière criminelle initié par le Sénat, la juridictionnalisation de l'application des peines, la possibilité de révision d'un procès pénal après une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, enfin la possibilité pour les parlementaires de visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur département.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite rappelé que la phase préparatoire au jugement pouvait prendre la forme soit d'une instruction, soit d'une enquête préliminaire aboutissant à une citation directe devant le tribunal. Elle a estimé que le projet de loi apportait des progrès incontestables dans le déroulement de l'instruction et s'est déclarée favorable aux dispositions précisant les motifs permettant la détention provisoire, ainsi qu'à la limitation de la durée de la détention provisoire, à la séparation de l'enquête et de la décision de placement en détention provisoire, enfin à la création d'une commission de suivi de la détention provisoire. Elle a en revanche regretté qu'aucune amélioration substantielle des procédures autres que l'instruction, qui représentent plus de 90 % des affaires pénales, ne soit prévue. Elle a noté que, outre les quelques avancées en matière de garde à vue, la seule disposition concernant les affaires ne faisant pas l'objet d'une instruction préparatoire était la mise en place d'un contrôle de la durée des enquêtes.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite souligné que le dispositif proposé était trop complexe et a regretté que le législateur modifie périodiquement la procédure pénale en ajoutant constamment de nouvelles formalités, situation déjà dénoncée par la commission " Justice pénale et droits de l'homme " dès 1990. Elle a exprimé la crainte que les difficultés d'application de la nouvelle loi n'imposent au législateur de remettre en chantier un nouveau projet à bref délai.

Mme Mireille Delmas-Marty, prenant acte de la marginalisation probable du juge d'instruction, a estimé toutefois que le projet de loi renforçait la confusion dans les rôles respectifs des acteurs de la procédure pénale. Rappelant que le juge d'instruction jouait un rôle de policier par ses pouvoirs d'enquête, un rôle d'accusateur par son pouvoir de mise en examen et un rôle de juge par ses pouvoirs en matière de privation de liberté, elle a estimé que le projet de loi ne clarifiait pas la situation et ajoutait au contraire de nouvelles confusions entre le juge et le ministère public.

Elle a ainsi noté qu'en matière de contrôle de la durée de l'enquête préliminaire, le président du tribunal pourrait imposer au procureur de classer une affaire après un débat contradictoire en présence d'un avocat. Elle a en outre souligné que le juge d'instruction devrait lui-même, tel un accusateur, saisir le juge de la détention provisoire d'une demande de mise en détention et s'est demandée si une telle procédure était conforme au principe d'impartialité du juge posé par la Convention européenne des droits de l'homme.

De la même manière, elle a fait valoir que, pour éviter tout " préjugement ", la mise en examen devrait relever de l'accusation et non d'un juge. Elle a estimé que la mise en examen pourrait d'ailleurs utilement être supprimée, les personnes mises en cause pouvant bénéficier du statut de témoin assisté. Elle a fait valoir que le principal intérêt de la mise en examen était de permettre le placement en détention provisoire.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que le passage de la notion d'inculpation à la notion de mise en examen n'avait eu aucun effet sur la perception de cette mesure par l'opinion publique.

Mme Mireille Delmas-Marty a alors observé que le fait que des indices graves et concordants soient constatés par un juge impartial était lourd de conséquences et que l'attribution du statut de témoin assisté à une personne faisant l'objet d'un réquisitoire ou d'une plainte ou contre laquelle il existe de simples indices n'avait pas la même portée.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite souligné qu'une procédure d'instruction comportait différentes phases -témoin assisté (simples indices), mise en examen (indices graves et concordants), mise en détention (conditions spécifiques liées à la protection des preuves), renvoi en jugement (charges suffisantes), jugement (véritables preuves)- caractérisées par des droits clairement définis, mais qu'en l'absence d'instruction, la procédure était beaucoup plus sommaire et reposait entièrement sur le procureur, seul compétent pour apprécier si les charges étaient suffisantes pour que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a estimé que la suppression de la mise en examen risquait, quelles que soient les précautions prises, de rendre le statut de témoin assisté aussi infamant que celui de mis en examen. Il a rappelé que le projet de loi, notamment à la suite des travaux du Sénat, prévoyait une gradation subtile entre les statuts de témoin, de témoin assisté et de mis en examen. Il s'est demandé s'il était possible d'attribuer au témoin assisté, dont le champ d'application a été fortement étendu pendant la navette parlementaire, tous les droits de la personne mise en examen.

Il a en outre considéré qu'il serait trop lourd de prévoir que la demande de mise en détention provisoire devrait être faite par le procureur, observant que le dossier passerait successivement entre les mains du juge d'instruction, du procureur et du juge de la détention provisoire.

Mme Mireille Delmas-Marty a rappelé que le juge d'instruction était supposé indépendant et impartial et que sa demande de placement en détention provisoire risquait de mettre davantage en lumière l'ambiguïté de son rôle que la situation actuelle. Elle a indiqué que la suppression de la mise en examen serait assurément plus cohérente dans un système où disparaîtrait le juge d'instruction responsable de l'enquête.

Elle a ensuite estimé qu'il serait utile d'étendre les prérogatives du juge de la détention provisoire pour en faire un juge de la phase préliminaire ou un juge des libertés, l'extension facultative de ses compétences prévue par l'article 10 bis AA du projet pouvant devenir obligatoire, par exemple à échéance de trois ans.

M. Jacques Larché, président, a demandé s'il ne serait pas préférable que le juge d'instruction conserve ses pouvoirs de placement en détention, tout en prévoyant la possibilité pour la personne de demander que la décision soit prise par une collégialité.

Mme Mireille Delmas-Marty s'est déclarée fermement convaincue que la personne chargée de l'enquête ne pouvait pas prendre une décision de mise en détention sans que ses hypothèses d'enquête aient une influence déterminante sur cette décision. Elle a en outre estimé que, pour les décisions de ce type, la collégialité ne présentait qu'un intérêt limité.

Concluant son propos, Mme Mireille Delmas-Marty a observé que la procédure pénale française tendait à devenir une exception en Europe, peu de pays (principalement l'Espagne) conservant un système comparable. Elle a rappelé que le statut du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie et celui de la Cour pénale internationale prévoyaient tous deux un système dans lequel l'enquête est confiée au procureur sous le contrôle d'un juge de la mise en état ou d'une chambre préliminaire. Elle a noté que ce système était également proposé au niveau de l'Union européenne en matière de fraudes au budget communautaire. Elle en a conclu que le projet de loi sur la présomption d'innocence ne constituait vraisemblablement qu'une nouvelle étape dans la réforme de la procédure pénale.

Auditions de MM. André-Michel Ventre, secrétaire général du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, Jean-Michel Toullec, secrétaire général adjoint du syndicat national des officiers de police, Bruno Beschizza, secrétaire général, et Patrice Brisset, secrétaire général adjoint du syndicat " Synergie Officiers ".

Enfin, la commission a entendu M. André-Michel Ventre, secrétaire général du syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, M. Jean-Michel Toullec, secrétaire général adjoint du syndicat national des officiers de police, M. Bruno Beschizza, secrétaire général et M. Patrice Brisset, secrétaire général adjoint du syndicat " Synergie Officiers ".

M. Jean-Michel Toullec,
a fait part de l'inquiétude de l'ensemble des représentants des officiers de police judiciaire provoquée par les dispositions du projet de loi sur la présomption d'innocence, notamment par celles sur la garde à vue qui auraient des répercussions importantes sur les conditions de travail des policiers, le taux d'élucidation des affaires et les relations avec les victimes.

Il a rappelé que la présence de l'avocat à la vingtième heure de la garde à vue, désormais entrée dans les moeurs, avait à la fois pour objet d'assurer au témoin un soutien psychologique et moral et de lui permettre de bénéficier de conseils avant sa présentation devant le procureur de la République. Il a cependant estimé qu'un bilan de l'intervention des avocats à la vingtième heure pourrait faire ressortir le désintérêt de certains avocats pour cette procédure.

Il a indiqué que le projet de présence de l'avocat à la première heure était ressenti par les policiers comme une marque de suspicion à leur égard et qu'il introduisait de manière illogique des éléments accusatoires dans une procédure restant inquisitoire.

Il a craint que des imprécisions du texte ne conduisent à la multiplication des nullités de procédure, s'interrogeant notamment sur l'étendue des pouvoirs de l'enquêteur avant l'arrivée d'un avocat n'ayant pu être joint rapidement ou ayant des délais de route.

M. Bruno Beschizza a considéré que plusieurs dispositions du projet de loi étaient de nature à paralyser l'exercice de la police judiciaire, opinion également partagée par les magistrats instructeurs. Il a regretté que l'équilibre soit rompu entre le système inquisitoire et le système accusatoire, estimant que la réforme s'était arrêtée au milieu du gué.

Il a observé que plusieurs dispositions du projet de loi tendaient à faire porter aux policiers les conséquences du mauvais état des locaux de garde à vue et l'insuffisance des moyens d'accueil du public, à un moment où les policiers avaient eux-mêmes accompli un important effort d'adaptation.

Il a considéré que ce texte ne pouvait que conduire à décourager les policiers et à organiser une impunité généralisée sans toutefois atteindre son objectif premier de protection de la présomption d'innocence. Il a craint en effet que l'intervention de l'avocat à la première heure ne puisse réellement bénéficier qu'aux délinquants organisés, déjà en relation avec un avocat. Evoquant l'usage que des délinquants, notamment des terroristes, pourraient faire du droit de demander l'état du dossier d'enquête et le classement de l'affaire au bout de six mois, et craignant de rencontrer de l'incompréhension de la part des victimes, il a indiqué que les policiers ne voulaient pas être des boucs émissaires.

M. André-Michel Ventre a indiqué que les policiers vivaient très mal la suspicion que faisaient peser sur eux les dispositions du texte en dépit de l'important effort de modernisation accompli par la police.

Il a considéré que le texte entraverait l'action des policiers de base.

S'agissant de l'intervention de l'avocat à la première heure de la garde à vue, il s'est inquiété des nullités de procédure éventuelles résultant de l'impossibilité de contacter un avocat et la famille d'une personne gardée à vue, par exemple en cas d'ébriété de cette dernière la mettant dans l'incapacité de communiquer les informations nécessaires.

Il a également critiqué la procédure de témoin assisté soulignant les difficultés qu'elle pourrait entraîner en cas d'inceste ou de violence sexuelle en relation avec l'application de l'article 105 du code de procédure pénale.

S'agissant de l'enregistrement des auditions lors des gardes à vue, il a observé qu'il redonnerait à l'aveu une importance actuellement sur le déclin. Il s'est inquiété de la force probante qu'aurait un procès-verbal d'audition par rapport à l'enregistrement sonore, sauf à être la transcription exacte de ce dernier. Constatant qu'un simple enregistrement sonore ne permettrait pas au policier de se prémunir contre des simulateurs, il a estimé que, seul, un enregistrement vidéo serait de nature à éviter toute contestation.

Il a insisté sur le coût budgétaire des mesures proposées, soulignant que risquaient d'être réduits à néant, faute de moyens, les espoirs mis dans la politique de proximité. Il a indiqué à cet égard que la ville de New York employait 40.000 policiers pour 7 millions d'habitants, alors que Paris n'en n'employait que 28.000, dont 80 % assuraient des tâches d'ordre public.

Il s'est enfin déclaré partisan d'un réel système accusatoire permettant à la police d'assurer la sécurité des citoyens.

M. Charles Jolibois, rapporteur, s'est inquiété des discordances risquant de se produire entre les procès-verbaux d'auditions et les enregistrements sonores et a indiqué que certains de ses interlocuteurs constataient que ces derniers pourraient se retourner contre les personnes ayant effectué des aveux.

M. Nicolas About, tout en indiquant qu'il n'était pas favorable à l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue, a considéré que celle-ci ne protégerait pas plus les grands délinquants que les délinquants occasionnels, les premiers étant familiers des procédures et pouvant attendre la vingtième heure pour bénéficier des conseils de l'avocat. Il a considéré que le risque d'utilisation de la bande sonore au détriment de la personne gardée à vue était réel et qu'il fallait prendre en compte les questions de manipulation de bandes. Il s'est demandé s'il ne serait pas plus judicieux de prévoir la signature des procès-verbaux, à la vingtième heure, en présence de l'avocat.

M. Jean-Michel Toullec a souligné que la garde à vue était une véritable confrontation psychologique pouvant conduire à des aveux ultérieurement étayés par des preuves. Il a considéré que les dispositions du texte en modifieraient la nature et que des aveux enregistrés porteraient gravement atteinte à la présomption d'innocence. Il a estimé que, seul, un enregistrement vidéo pourrait apporter les garanties nécessaires, ce qui rendrait obligatoire la mise en place d'une véritable logistique et l'intervention de personnels à l'abri de tout soupçon de collusion avec la police.

Il a regretté que les débats parlementaires révèlent une véritable suspicion à l'égard de la police, en donnant pour exemple la sévère mise en cause opérée à l'Assemblée nationale des fouilles à corps effectuées dans les commissariats, alors même que ces fouilles, ayant pour objet de rechercher des preuves et d'assurer la sécurité tant des policiers que de la personne gardée à vue ou de ses co-détenus, étaient réalisées par des personnels médicaux.

M. André-Michel Ventre a considéré que les dispositions du texte créeraient un véritable parcours du combattant pour les enquêteurs de terrain. Il a craint que son application n'entraîne une baisse du taux d'élucidation des infractions, actuellement de 28 % en moyenne.

M. Bruno Beschizza a donné un exemple, validé par l'association des magistrats instructeurs, dans lequel un agresseur connu pourrait échapper à toute condamnation en exploitant les nouvelles procédures envisagées.