LOIS CONSTITUTIONNELLES, LEGISLATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, REGLEMENT ET ADMINISTRATION GENERALE

Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Corse - Audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur

La commission a entendu M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, sur les propositions du Gouvernement pour la Corse.

M. Jacques Larché, président, a remercié le ministre d'avoir accepté dans de brefs délais son invitation.

Après avoir jugé qu'un premier échange, dès la rentrée parlementaire, avec les commissions des lois des deux assemblées était indispensable, M. Daniel Vaillant a annoncé que le Parlement serait saisi, au cours du premier semestre 2001, d'un projet de loi visant à traduire en termes juridiques le relevé de conclusions du 20 juillet 2000, approuvé à une très large majorité par l'Assemblée territoriale de Corse. Ce vote ne constituant qu'un avis, il a souligné qu'il revenait, au Parlement et à lui seul, d'adopter la loi.

Rappelant les récents progrès intervenus en Corse, notamment en matière de rigueur de gestion, de respect de la légalité républicaine et de sécurité des personnes et des biens, et ce malgré la persistance de handicaps structurels, M. Daniel Vaillant a précisé que les rapports de missions d'inspection générale ou de commissions d'enquête parlementaires et générale, notamment la commission d'enquête du Sénat sur la question de la sécurité en Corse, avaient été très utiles à l'élaboration du plan d'action du Gouvernement.

Il a insisté sur la nécessité d'une vision de la Corse plus nuancée, les caricatures étant moins que jamais justifiées et néfastes au dialogue engagé. Il a ensuite reconnu que beaucoup restait à faire pour dégager les voies d'un développement maîtrisé, respectueux d'une identité qui, selon lui, peut seule inscrire une Corse apaisée et responsable au sein de la République.

Le ministre a ensuite procédé à l'examen des points majeurs des propositions arrêtées.

Evoquant en premier lieu l'enjeu du développement, il a précisé que le transfert de nouvelles compétences à la Corse prévu par les textes pourrait concerner l'aménagement de l'espace, le développement économique, l'éducation, la formation professionnelle, les sports, le tourisme, la protection de l'environnement, la gestion des infrastructures et des services de proximité ainsi que les transports. Il a ensuite noté la nécessité d'une loi de programme exceptionnelle d'investissement public s'ajoutant aux contrats de plan et aux programmes européens et visant à remédier au retard des infrastructures, notamment en matière de transport.

Le ministre a ensuite indiqué que le volet fiscal visait à réorienter les dispositifs antérieurs vers l'investissement et la création d'emplois en accord avec les souhaits exprimés par les élus. S'agissant de la fiscalité des successions (régie par les arrêtés Miot), il a souligné la nécessité d'une obligation de déclaration des successions et la restitution des titres de propriété, ceci devant cependant intervenir progressivement (une exonération des droits pendant dix ans et une réfaction de 50 % pendant cinq ans devant permettre la nécessaire reconstitution des titres de propriété).

Il a mentionnée, par ailleurs, un certain nombre de mesures visant au développement économique, ne nécessitant pas de dispositions législatives particulières (développement du capital-risque, du crédit-bail et de l'offre bancaire).

Par ailleurs, s'agissant de la question de l'organisation administrative de la Corse, M. Daniel Vaillant a indiqué que le Gouvernement prenait acte de la volonté des élus locaux de supprimer les deux départements au bénéfice d'une collectivité unique, observant cependant qu'une telle évolution impliquait une révision constitutionnelle, qui n'interviendrait pas avant l'année 2004.

Puis le ministre a présenté les dispositions envisagées pour permettre à la Corse d'adapter les normes nationales, après avoir rappelé que l'article 26 du statut de 1991 autorisait déjà l'Assemblée de Corse à présenter des propositions tendant à adapter des dispositions législatives et réglementaires. Il a cependant précisé que ce mécanisme avait mal fonctionné et qu'il devait donc être amélioré.

Il a souligné qu'il s'agissait d'abord de permettre à la collectivité territoriale de Corse d'adapter les textes réglementaires nationaux par délibération de son assemblée dans le seul champ de ses compétences, selon les conditions fixées par la loi, et sous le contrôle du juge administratif.

Concernant l'adaptation des dispositions législatives, M. Daniel Vaillant a souligné qu'il s'agissait, dans l'immédiat et d'ici 2004, de mettre en oeuvre une phase d'expérimentation dont le Parlement garderait la maîtrise totale. Le Parlement et lui seul fixerait, dans la loi, les cas et les conditions de ces adaptations, comme les conditions de son information et de l'évaluation.

Evoquant enfin le dispositif qui pourrait être introduit après 2004 par révision constitutionnelle pour permettre, cette fois de manière permanente, à la collectivité territoriale de Corse d'adapter, par ses délibérations, des dispositions législatives dans certains domaines, précisément déterminés et dans les conditions fixées par le Parlement, il a insisté sur le fait que les délibérations ainsi adoptées auraient valeur réglementaire, seraient donc soumises au contrôle de la juridiction administrative et susceptibles en tout état de cause d'être modifiées par le Parlement.

S'agissant de la langue corse, le ministre a précisé qu'il s'agissait d'une langue régionale et non d'un patois, reconnue comme telle dans le rapport de Mme Nicole Péry et de M. Poignant, et celui rédigé par le directeur de l'Institut national de la langue française réalisé à la demande de Claude Allègre et de Catherine Trautman, et intitulé " Les langues de la France ". Il a indiqué que près de 80 % des jeunes se voyaient d'ores et déjà proposer, en primaire, une initiation d'une à trois heures par semaine, les parents n'étant que 1 % à la refuser. Il a souligné que si une généralisation de l'enseignement de la langue corse était prévue, il ne s'agissait pas d'en faire un enseignement contraint, mais que cet enseignement prendrait place dans l'horaire scolaire normal des écoles maternelles et primaires, sauf volonté contraire des parents, cette proposition ayant été unanimement soutenue par les élus de l'Assemblée de Corse.

Le ministre a enfin souligné la transparence totale dans laquelle avaient été élaborées ces propositions pour la Corse, les discussions ayant été menées avec des élus légitimés par le suffrage universel, qu'il s'agisse des élus de l'Assemblée de Corse, des présidents des deux conseils généraux ou des maires des deux villes les plus importantes, et le texte approuvé à une très large majorité. Il a également précisé que les principes fondamentaux de la République seraient en toutes circonstances sauvegardés, le Parlement faisant la loi et l'Etat conservant ses missions fondamentales, notamment le contrôle et le respect de la légalité.

En conclusion, il a enfin rappelé que l'unité de la République ne signifiait par l'uniformité et que la France s'enrichissait de sa diversité, ainsi que l'avait montré le colloque organisé au Sénat sur l'avenir de l'île le 27 septembre dernier.

Il a enfin estimé qu'après vingt-cinq années de difficultés, il existait enfin une chance d'enraciner durablement la Corse dans la République, dans l'intérêt tant de la Corse que de la République.

M. Jacques Larché, président, a relevé que si caricature il y avait eu, elle n'avait jamais été le fait du Sénat. Il a marqué sa volonté d'examiner le projet tel que présenté.

M. Paul Girod a estimé que le dispositif prévu par l'article 26 du statut de 1991 avait mal fonctionné parce que l'Assemblée territoriale n'avait pas joué son rôle.

Il s'est interrogé en conséquence sur la légitimité des discussions menées par le Gouvernement et sur le choix de ses interlocuteurs, constatant en outre que les résultats des élections municipales à Ajaccio ne semblaient pas avaliser le processus en cours.

M. Paul Girod a souhaité avoir des précisions sur le bloc de compétences " Education " qui serait transféré à la collectivité territoriale de Corse, ainsi que sur les modalités du contrôle exercé par le Parlement, et notamment sur la question de savoir si le Parlement pourrait s'autosaisir ou s'il devrait l'être par le Gouvernement.

Par ailleurs, s'agissant de la possibilité pour le juge administratif de censurer des délibérations de la nouvelle assemblée tendant à adapter des mesures législatives, il s'est interrogé sur l'articulation entre ce contrôle et celui exercé par le Conseil constitutionnel, jusqu'à présent seul censeur du pouvoir législatif.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que, selon le statut de 1991, les propositions de l'assemblée territoriale tendant à modifier ou adapter des dispositions législatives ou réglementaires n'étaient transmises qu'au Premier ministre.

Observant précisément que le statut de 1991 prévoyait déjà cette faculté, M. Christian Bonnet s'est interrogé sur l'utilité du nouveau dispositif proposé.

En réponse, M. Daniel Vaillant a précisé que les élus de l'Assemblée de Corse tiraient leur légitimité de leur élection au suffrage universel, ainsi que les parlementaires, les deux maires et deux présidents des conseils généraux. Il a jugé préférable de dialoguer dans une totale transparence avec des élus plutôt que dans la clandestinité.

Par ailleurs, il a noté que les résultats des élections municipales partielles d'Ajaccio ne constituaient pas un désaveu de la démarche du Gouvernement, puisqu'au premier tour, 60 % des votes étaient allés à des candidats favorables au processus. Il a estimé, en outre, que l'enjeu du scrutin pouvait apparaître comme essentiellement local, compte tenu des circonstances ayant provoqué la démission de l'équipe municipale sortante.

En matière d'éducation (la compétence de l'Assemblée étant à l'heure actuelle circonscrite à la construction et l'entretien des bâtiments), et notamment s'agissant de la généralisation de l'enseignement de la langue corse, le ministre aprécisé qu'il s'agissait tout d'abord de donner de nouvelles compétences en matière de construction et d'entretien des bâtiments universitaires. Il a rappelé que l'enseignement des matières continuerait à se faire en français et que la pédagogie n'était pas concernée par le projet.

S'agissant du contrôle du Parlement sur les mesures législatives adoptées par l'assemblée territoriale, il a rappelé que ces dispositions auraient une valeur réglementaire, que ce soit pendant la phase d'expérimentation ou dans le cadre du statut définitif qui devrait intervenir après une révision constitutionnelle en 2004. Il a précisé que cette révision constitutionnelle dépendrait de la volonté du président de la République et du Gouvernement en place à ce moment.

Répondant à M. Christian Bonnet, le ministre a précisé que c'était précisément parce que le mécanisme introduit par le statut de 1991 n'avait pas fonctionné correctement qu'il en fallait un nouveau.

S'agissant de l'interrogation de M. Paul Girod sur la légitimité des interlocuteurs du Gouvernement, il a noté que la suppression, en 2004, des deux départements, et leur remplacement par une assemblée territoriale unique, permettrait de rationaliser la gestion et d'avoir des interlocuteurs plus légitimes.

M. Jacques Larché, président, s'est interrogé sur la pertinence de la référence, figurant dans le relevé de conclusions, à la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1993, pour justifier la phase expérimentale. Il a rappelé que cette décision concernait des établissements publics d'enseignement, et non une collectivité territoriale.

Evoquant notamment des dispositions visant à supprimer les deux départements et à créer une assemblée unique, qui permettrait une clarification des responsabilités et une efficacité accrue de la gestion, M. Daniel Hoeffel s'est interrogé sur la possibilité de transposer à d'autres régions le dispositif envisagé pour la Corse. Il a en outre précisé que l'enseignement de la langue corse ne le choquait pas, mais qu'il s'interrogeait sur la marge de liberté de choix laissée aux parents face aux deux mesures affichées par le Gouvernement, affirmant tout à la fois l'absence de contrainte et la généralisation de l'enseignement de cette langue.

Après avoir rappelé la spécificité de la situation de la Corse, tenant à l'insularité et à l'histoire, et indiqué que chaque problème posé appelait une réponse adaptée, M. Daniel Vaillant a souligné que si la décentralisation devait connaître une nouvelle phase, ce serait en totale indépendance du processus engagé en Corse.

S'agissant de l'enseignement du corse, il a rappelé qu'il n'était question que d'une généralisation de l'enseignement à l'intérieur des plages horaires scolaires, sauf en cas de désaccord des parents.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que la façon dont les problèmes de la Corse avaient été appréhendés avait eu un " effet d'enchaînement " dans les autres collectivités, même si telle n'était pas l'intention du Gouvernement, et qu'il appartiendrait à celui-ci d'y apporter une réponse.

Le ministre a rappelé que le statut des îles dans les autres Etats européens allait bien au-delà des propositions du Gouvernement sur la Corse.

De plus, si, après la première vague de décentralisation issue des lois de 1982, la commission Mauroy jugeait que la décentralisation devait connaître une nouvelle étape, ce à quoi il ne serait pas opposé, il a souligné qu'il n'était pas question de faire de la Corse le laboratoire d'une future décentralisation pour le continent.

M. Lucien Lanier a regretté que le dossier corse ait été envisagé au coup par coup, et non dans sa globalité.

Tout en rappelant son attachement aux langues régionales, M. Lucien Lanier a dénoncé l'hypocrisie du Gouvernement affirmant le droit pour les parents de refuser l'enseignement de la langue corse, soulignant les difficultés auxquelles pourraient concrètement se trouver confrontées ces familles.

S'agissant des interlocuteurs du Gouvernement, M. Lucien Lanier a pris acte de la consultation des élus, sans écarter l'hypothèse d'un référendum visant à poser, aux électeurs de Corse, la question du maintien dans la République.

Il s'est également interrogé sur les conséquences de la démarche entreprise en Corse pour les autres régions.

M. Daniel Vaillant a répondu que les présentes propositions avaient un caractère global pour la Corse et a souligné qu'aucune solution alternative n'était proposée.

Le ministre a ensuite considéré que l'enseignement de la langue corse, tel qu'il était pratiqué actuellement, ne posait pas de problème et que cet enseignement continuerait à ne pas être contraint à l'avenir. Il a rappelé que cette question de l'enseignement de la langue corse avait fait l'unanimité chez les élus, dépassant le clivage gauche / droite. De plus, il a souligné que cet enseignement intervenait déjà dans les écoles primaires, sans refus important de la part des parents (1% des cas), et que de nombreux parents originaires du continent encourageaient leurs enfants à apprendre le corse.

S'agissant du référendum, le ministre s'est interrogé sur la constitutionnalité d'une consultation de la seule population corse.

M. Jacques Larché, président, a estimé que toute évolution statutaire devrait prendre en compte le fait que des continentaux et des personnes de nationalité étrangère résidaient en Corse, alors que par ailleurs plusieurs centaines de milliers de Corses vivaient hors de l'île.

Faisant observer que certains groupements indépendantistes dans d'autres régions demandaient la sortie de la République, mais le maintien dans l'Union européenne, M. José Balarello s'est demandé si cette dernière ne devrait pas clarifier sa position sur cette question.

Il a jugé souhaitable de confronter le projet aux statuts d'autres régions autonomes européennes, comme la Sardaigne, et d'étudier la position de l'Union européenne vis-à-vis de celles-ci.

Enfin, M. José Balarello s'est lui aussi interrogé sur la possibilité d'organiser une consultation des seuls Corses, sans révision constitutionnelle préalable.

M. Jacques Larché, président, a envisagé un référendum non normatif, l'avis exprimé par les Corses n'étant alors juridiquement pas contraignant.

M. Pierre Fauchon a ensuite regretté que les propositions du Gouvernement ne comportent pas son analyse de la situation de la Corse, laquelle permettrait de juger de l'adéquation des mesures envisagées.

M. André Vallet a regretté l'inscription tardive du projet de loi au Parlement (prévu au printemps 2001), les diverses propositions ayant déjà été largement débattues dans l'opinion. Il a ensuite estimé que si les élections municipales n'étaient pas significatives, les interlocuteurs du Gouvernement ne pouvaient être considérés comme ayant reçu mandat, puisque la question d'une éventuelle réforme institutionnelle n'avait pas été abordée lors de leur élection -à l'exception des nationalistes.

Il est également revenu sur la question de l'enseignement de la langue corse en faisant remarquer que, contrairement à la situation actuelle, ces enseignements seraient tenus à l'intérieur des horaires scolaires et se feraient donc forcément au détriment d'autres matières.

M. René-Pierre Signé a suggéré de prévoir non plus l'enseignement pour tous de la langue corse sauf hypothèse de refus des parents, mais le droit pour tout élève qui en fait la demande d'apprendre la langue corse.

En conclusion, M. Daniel Vaillant a rappelé que les objectifs du Gouvernement étaient la solidarité, la responsabilité et l'ancrage de la Corse dans la République.

Il a fait de nouveau référence au statut des îles européennes comme élément de réflexion et s'est montré réservé au sujet d'un possible référendum, le droit en vigueur limitant cette hypothèse aux consultations municipales et aux territoires d'outre-mer.

Il a indiqué que l'exposé des motifs du projet de loi développerait une analyse de la situation en Corse justifiant le dispositif proposé.

Il a enfin rappelé que le Gouvernement était ouvert au dialogue, comme le montrait sa présence, et que ce dialogue devrait être permanent.