Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Nomination de rapporteur

La commission a tout d'abord nommé M. Paul Girod, rapporteur sur le projet de loi n° 260 (1998-1999) relatif à l'élection des sénateurs.

Justice - Protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes - Auditions

La commission a ensuite procédé à des auditions sur le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

M. Jean-Claude Kross, président de l'Association française des magistrats instructeurs accompagné de MM. Jean-François Ricard, vice-président, Philippe Coirre, secrétaire général, et François Cordier, magistrat du parquet

Tout d'abord, elle a entendu M. Jean-Claude Kross, président de l'Association française des magistrats instructeurs, accompagné de MM. Jean-François Ricard, vice-président, Philippe Coirre, secrétaire général, et François Cordier, magistrat du parquet.

Intervenant au sujet de la garde à vue, M. Jean-François Ricard a tout d'abord déclaré qu'il s'agissait d'un élément essentiel du système de procédure pénale français, dans lequel l'enquête est menée essentiellement par le juge et non par la police.

Il a considéré que l'introduction dans ce système d'une intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue allait être à l'origine d'un déséquilibre. Il a en outre souligné les problèmes pratiques soulevés par l'application de cette disposition, estimant nécessaire de reporter l'intervention de l'avocat à l'issue des procédures d'arrestation et de perquisition indispensables.

Enfin, il a souhaité qu'en matière criminelle, la première intervention de l'avocat n'ait lieu qu'à la vingtième heure de garde à vue, afin de respecter le principe de proportionnalité. Il a en effet jugé contraire à ce principe qu'un avocat puisse intervenir dès la première heure de garde à vue dans le cadre d'une affaire de meurtre alors qu'il ne pourrait intervenir qu'à partir de la trente-sixième heure dans une affaire de proxénétisme.

Abordant ensuite les questions relatives à la détention provisoire, M. Jean-Claude Kross a tout d'abord fait observer que la proportion des détenus provisoires parmi la population carcérale était en baisse constante ces dernières années et qu'au 1er juillet 1998, les juges d'instruction n'étaient responsables que de 27 % du nombre total des détentions.

Après avoir souligné qu'à l'heure actuelle la procédure du référé-liberté était peu utilisée, il a fait valoir que le nouveau juge de la détention provisoire n'aurait pas la possibilité de prendre connaissance de l'ensemble du dossier et qu'il devrait nécessairement consulter le juge d'instruction qui connaîtrait seul l'état exact des investigations.

Devant les inconvénients de ce système, il a jugé préférable de prévoir la possibilité pour les parties de demander que la décision relative à la détention soit prise par une chambre collégiale au sein de laquelle siégerait le juge d'instruction. Il a considéré que cette solution serait plus satisfaisante au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et plus facile à mettre en place dans la mesure où elle ne nécessiterait pas la création d'emplois de juges de la détention à temps complet. Compte tenu du faible nombre d'appels constatés sur les mesures de détention provisoire, il a estimé que la chambre collégiale ne serait saisie que dans 20 à 30 % des cas.

M. Jean-François Ricard a en outre formulé deux observations relatives à la durée de la détention provisoire.

D'une part, il a considéré que la réduction à quatre mois de la durée de cette détention provisoire en cas de peine encourue inférieure ou égale à cinq ans aurait pour conséquence que tous les délinquants d'affaires comparaîtraient libres devant le tribunal correctionnel, en raison de la longueur des délais d'instruction nécessaires dans les affaires complexes.

D'autre part, il a souhaité que la durée de la peine encourue reste le seul critère retenu pour la limitation de la durée de la détention provisoire, estimant que la prise en compte de la délivrance éventuelle d'une commission rogatoire internationale ne constituait pas un critère pertinent pour l'allongement de cette durée.

Par ailleurs, M. Jean-Claude Kross a approuvé l'extension aux témoins assistés du bénéfice des mêmes droits que ceux accordés aux personnes mises en examen, mais s'est interrogé sur le risque d'assimilation aux personnes mises en examen qui pourrait résulter de l'absence de prestation de serment par les témoins assistés.

Enfin, il a contesté la disposition tendant à modifier l'article 81 du code de procédure pénale afin de prévoir que l'ordonnance de règlement du juge d'instruction comporterait des mentions spécifiques relatives aux diligences accomplies par celui-ci pour instruire à charge et à décharge, faisant valoir qu'il était impossible de déterminer à priori si une commission rogatoire ou une expertise serait à charge ou à décharge.

En réponse à une question de M. Charles Jolibois, rapporteur, M. Jean-Claude Kross a précisé que l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI) proposait depuis plusieurs années la mise en place d'un système de collégialité en matière de détention provisoire.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a ensuite interrogé les représentants de l'AFMI sur le rôle de l'avocat au cours de la garde à vue, évoquant l'idée de lui permettre de prendre connaissance du dossier.

M. Jean-Jacques Hyest a fait observer qu'il existait déjà une institution collégiale en matière de détention provisoire, à savoir la chambre d'accusation, et s'est interrogé sur le bien-fondé de la création d'un juge de la détention. Il a rappelé que la détention provisoire n'était pas toujours nécessaire à la poursuite de l'enquête et a considéré que la durée de la détention provisoire ne devait pas être systématiquement liée à celle de l'instruction.

M. Daniel Hoeffel a demandé des précisions sur la notion de " droit au mensonge ".

Après avoir constaté que, dans bien des situations, l'opportunité de la mise en détention n'était contestée par personne, M. Guy Allouche a néanmoins regretté que la détention provisoire soit trop souvent utilisée par les juges comme un moyen de pression.

M. Patrice Gélard a estimé que la durée moyenne de la détention provisoire en France constituait une anomalie et que sa prolongation pendant un ou deux ans était inacceptable au regard des droits de l'homme. Il s'est donc déclaré favorable à une stricte limitation de la durée de cette détention.

Par ailleurs, il s'est interrogé sur l'opportunité d'une intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, évoquant des risques de destruction de preuves et soulignant la nécessité de rappeler en conséquence les avocats au strict respect des règles déontologiques.

M. Pierre Fauchon a souhaité savoir s'il arrivait fréquemment que l'instruction se borne à répéter les investigations déjà réalisées dans le cadre des commissions rogatoires. Par ailleurs, il a fait valoir qu'en l'absence de modification de la carte judiciaire, le fonctionnement de la collégialité serait difficile dans la mesure où un même magistrat ne pouvait à la fois participer à l'instruction d'une affaire ou aux décisions de mise en détention, d'une part, et au jugement de celle-ci sur le fond, d'autre part.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que la proposition formulée par l'AFMI reposait sur le pari que la collégialité serait peu demandée.

M. Jean-Claude Kross a alors réaffirmé que la collégialité ne serait demandée que dans 20 ou 30 % des cas. Il a rappelé que la possibilité de demander une décision prise en formation collégiale était déjà prévue en matière civile. Par ailleurs, il a considéré que l'instauration d'un juge de la détention provisoire risquerait de nuire à la qualité du dialogue entre l'avocat et le juge d'instruction.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a fait observer que la proposition de l'AFMI aurait pour conséquence de confier à l'avocat la responsabilité de la demande de saisine de la chambre collégiale en soulignant qu'il s'agissait là d'un mécanisme distinct de celui de l'appel.

M. Jacques Larché, président, a alors rappelé que la mise en oeuvre de la procédure du référé-liberté avait déçu.

M. Jean-François Ricard a souligné que le juge d'instruction était seul pour prendre des décisions importantes, parfois dans des délais très rapides. Il a considéré que la possibilité d'une discussion dans le cadre d'une formation collégiale pourrait permettre d'éviter des décisions choquantes, alors qu'un juge de la détention provisoire se trouverait dans la même situation critiquable de solitude que le juge d'instruction.

Par ailleurs, s'agissant de la durée de la détention provisoire, il n'a pas contesté l'idée selon laquelle les personnes mises en examen doivent en majorité arriver libres à l'audience mais s'est de nouveau interrogé sur l'opportunité d'une généralisation systématique de cette situation en matière de délinquance financière.

M. Jean-Claude Kross a en outre déploré les délais souvent excessifs séparant la fin de la procédure d'instruction et la comparution devant la cour d'assises.

A propos du droit au mensonge ou au silence, il a considéré que ce qui importait le plus était la question posée par le juge.

M. Jean-François Ricard a indiqué à l'intention de M. Pierre Fauchon que les ouvertures d'instruction concernaient aujourd'hui un nombre plus restreint de dossiers qu'autrefois et qu'en conséquence il devenait plus rare que l'instruction se borne à répéter les investigations déjà réalisées dans le cadre des commissions rogatoires.

Il a par ailleurs constaté une modification de la jurisprudence des chambres d'accusation qui décident désormais plus fréquemment des remises en liberté, y compris dans des affaires graves, en raison de la durée excessive des détentions provisoires.

Enfin, il a regretté que les juges d'instruction passent de plus en plus de temps à rendre des décisions juridictionnelles, au détriment de la durée totale des procédures.

Me Jean-Louis Pelletier, président de l'Association des avocats pénalistes

La commission a ensuite entendu Me Jean-Louis Pelletier, président de l'Association des avocats pénalistes.

Me Jean-Louis Pelletier
a tout d'abord déclaré que les dispositions de ce projet de loi représentaient des avancées incontestables, tout en regrettant que l'on ait préféré procéder à des réformes fragmentaires plutôt qu'à une refonte d'ensemble du code de procédure pénale.

Au sujet de la garde à vue, il a considéré que l'intervention de l'avocat à la première heure constituait un progrès considérable.

Il a néanmoins exprimé des réserves quant aux modalités d'application de cette disposition, suggérant que l'on prévoie un délai d'une demi-heure avant le début de la garde à vue pour laisser le temps à l'avocat de se rendre sur les lieux et que l'on permette à celui-ci d'avoir accès au dossier afin d'être informé des griefs reprochés à son client.

Il a par ailleurs redouté que la différence du régime de l'intervention de l'avocat pour la délinquance de base et pour les infractions les plus graves n'aboutisse à instaurer une " justice à deux vitesses ".

Constatant que le secret de l'instruction devenait aujourd'hui dérisoire et que ses violations ne donnaient plus lieu à aucune poursuite, il a regretté que le projet de loi soumette la publicité prévue des débats devant le juge de la détention et la chambre d'accusation à l'agrément des magistrats. Il a en effet rappelé que, depuis 1993, les demandes des avocats tendant à la publicité des débats sur la détention devant la chambre d'accusation avaient donné lieu à des refus systématiques. En conséquence, il s'est déclaré favorable à ce que la publicité des débats puisse être ordonnée à la demande des parties.

Il a salué l'avancée consistant à confier les décisions relatives à la détention à un autre magistrat que le juge d'instruction, tout en précisant qu'il aurait préféré qu'elles soient attribuées à une instance collégiale.

Il a en outre déploré que les chambres d'accusation ne jouent pas pleinement leur rôle de contrôle des juges d'instruction, constatant que les décisions de mise en détention prises par ces derniers n'étaient réformées que dans moins de 10 % des cas, et le plus souvent sous réserve d'une obligation de cautionnement.

Après avoir approuvé l'inscription dans le code de procédure pénale de dispositions prévoyant explicitement la possibilité pour les avocats de poser les questions au cours des débats sans passer par le " filtre " du président, il a regretté que le Gouvernement actuel n'ait pas repris le projet de mise en place d'un second degré de juridiction en matière criminelle, considérant que cette réforme pourrait être réalisée selon des modalités très simples par l'institution d'une procédure d' " appel tournant " d'une cour d'assises à une autre, à l'instar de la solution retenue en cas de cassation des jugements rendus par les cours d'assises.

En conclusion, il a réaffirmé que l'absence de généralisation de la publicité des débats sur la détention constituait à ses yeux le principal grief susceptible d'être formulé à l'encontre du projet de loi.

M. Jacques Larché, président, a déclaré que la commission n'aurait pas vu d'objection à une refonte d'ensemble du code de procédure pénale, rappelant que la réforme du code pénal, réalisée en plusieurs années, avait fait l'objet d'un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat malgré les divergences de majorité.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a interrogé Me Jean-Louis Pelletier sur le rôle souhaitable de l'avocat lors de son intervention au cours de la garde à vue. Il a considéré que si l'on permettait à l'avocat d'accéder au dossier, on aboutirait à un bouleversement du système de procédure pénale français. Rappelant que le projet de loi se limitait à prévoir des visites qu'il a qualifiées " d'humanitaires ", il a soulevé les difficultés d'application pratique de l'intervention de l'avocat dès la première heure et a fait observer qu'il ne pourrait s'agir que d'une obligation pour la police de prévenir l'avocat choisi par le prévenu ou, à défaut, le barreau.

Me Jean-Louis Pelletier a alors indiqué qu'il ne concevait pas le rôle de l'avocat comme celui d'une assistante sociale, mais comme celui d'un défenseur, et que ce rôle de défense impliquait la nécessité de connaître les faits reprochés au client. Il a néanmoins précisé qu'en l'état actuel des choses, il ne demandait pas que l'avocat puisse assister à la garde à vue.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a estimé que l'avocat devrait se contenter de donner des conseils généraux à son client.

M. Patrice Gélard a souligné que l'intervention des avocats dès la première heure rendrait indispensable un renforcement de leur formation déontologique et l'application de sanctions strictes en cas d'infraction aux règles déontologiques, ce qu'a confirmé Me Jean-Louis Pelletier.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que la mise en oeuvre d'un système de collégialité en matière de détention provisoire s'était heurtée à des problèmes matériels. Après avoir souligné la faible utilisation du référé-liberté, il a évoqué l'idée d'un système de collégialité non systématique, sur la demande du parquet ou du prévenu.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a considéré que faire dépendre le recours à la collégialité d'un choix de l'avocat pourrait présenter des inconvénients.

Me Jean-Louis Pelletier a estimé que dans la pratique le référé-liberté avait été perçu comme un préjugement de celui de la chambre d'accusation. Il a en outre évoqué la lourdeur de la procédure du débat devant le juge d'instruction, alors même que le mandat de dépôt est le plus souvent confirmé.

Rappelant les précédents débats sur la réforme tendant à instaurer une procédure d'appel des jugements des cours d'assises, M. Jacques Larché, président, a demandé à Me Jean-Louis Pelletier si cette réforme impliquait nécessairement une remise en cause de l'oralité des débats et une motivation des jugements des cours d'assises.

En réponse, Me Jean-Louis Pelletier a estimé que la motivation des arrêts des cours d'assises n'était pas nécessaire, considérant que celle-ci reposait sur le principe de l'intime conviction. Il a par ailleurs considéré que l'accusation devrait elle aussi avoir le droit de faire appel, même en cas d'acquittement.

M. Maurice Ulrich a regretté que l'on se focalise davantage sur la procédure de mise en oeuvre de la détention provisoire que sur les critères permettant de décider la mise en détention. Considérant que le système français actuel aboutissait parfois à des situations inacceptables au regard des droits de l'homme, il a souhaité obtenir des éléments de droit comparé concernant les critères susceptibles de fonder la mise en détention provisoire.

Me Jean-Louis Pelletier a alors précisé sur ce point que certains pays avaient abandonné le critère du trouble à l'ordre public. Il a estimé que la situation actuelle pourrait être améliorée par l'exigence d'une véritable motivation des décisions de mise en détention et par l'exercice normal de son pouvoir de contrôle par la chambre d'accusation.

M. Laurent Dubois, directeur du Syndicat de la presse parisienne - MM. Bruno Hocquart de Turtot, directeur général, et Jean-Pierre Delivet, directeur adjoint, du Syndicat de la presse quotidienne régionale

Puis la commission a entendu M. Laurent Dubois, directeur du Syndicat de la presse parisienne, ainsi que MM. Bruno Hocquart de Turtot, directeur général, et Jean-Pierre Delivet, directeur adjoint, du Syndicat de la presse quotidienne régionale.

M. Bruno Hocquart de Turtot
a indiqué que la presse régionale, presse de proximité par excellence, consciente de la responsabilité que lui conféraient ses 20 millions de lecteurs quotidiens, avait engagé une réflexion sur les relations entre la presse, la justice et les citoyens, s'articulant autour des deux pôles que constituent le droit à l'information, d'une part, et le respect des droits de la personne, d'autre part.

Evoquant le projet de loi, après avoir regretté qu'il contienne des dispositions relatives à la presse non intégrées dans la loi de 1881 et rappelé la crainte qu'avait suscitée le projet initial concernant les conditions d'exercice du droit de réponse, il a fait ressortir la nécessité de concilier les dispositions sur l'atteinte à la dignité des victimes avec le droit à l'information.

M. Jean-Pierre Delivet, développant ces trois points, a regretté en premier lieu que des dispositions concernant la presse soient soumises au droit commun, hors du cadre de la loi de 1881. Estimant, en second lieu, que le droit de réponse devait rester un droit personnel, il s'est félicité que l'Assemblée nationale ait supprimé les dispositions du projet initial qui en modifiaient les conditions d'exercice.

Concernant enfin la protection de la dignité des victimes, il s'est félicité d'avoir obtenu l'assurance que la nouvelle rédaction, reprise de l'article 38 de la loi de 1881, de l'interdiction de reproduction des circonstances d'un crime concernerait désormais clairement les photographies. Soulignant que le syndicat de la presse quotidienne régionale adhérait à l'objectif recherché par le texte à cet égard, il a considéré, donnant l'exemple du Kosovo, qu'un équilibre restait à définir entre le principe de la protection de la dignité des victimes et celui de la liberté de la presse en considération du rôle de découverte revenant à cette dernière.

M. Laurent Dubois s'est en premier lieu félicité du fait que le texte prévoie des " fenêtres de communication " au cours de l'instruction permettant une plus grande transparence de la procédure et resituant les responsabilités respectives de la presse et des acteurs judiciaires, alors que la presse était jusqu'alors sanctionnée comme complice de la divulgation du secret de l'instruction dont elle n'était que le révélateur.

Il a approuvé en second lieu la disposition permettant de demander au président de la cour d'appel de prononcer la suspension provisoire d'une décision de référé en matière de presse.

Considérant que les dispositions concernant la liberté de la presse devaient être intégrées dans la loi fondant cette liberté, il a regretté que le texte porte atteinte à l'unicité de la loi de 1881 en en extrayant certaines de ses dispositions, telle l'interdiction de reproduction des circonstances d'un crime. Il a souligné que cette question de forme pourrait avoir d'importantes conséquences de fond, dans la mesure où les dispositions non incluses dans la loi de 1881 ne seraient pas soumises aux procédures spécifiques protectrices de la presse prévues par cette loi, mais à la procédure pénale de droit commun.

M. Charles Jolibois, rapporteur, après avoir souligné que certaines procédures spécifiques à la presse, telle la prescription de trois mois, seraient néanmoins applicables, s'est déclaré conscient de la question " du rapatriement " des dispositions concernant la presse au sein de la loi de 1881.

Rappelant que la mission d'information de la commission sur la présomption d'innocence avait proposé dès 1995 d'ouvrir des " fenêtres de communication ", il s'est interrogé sur la possibilité de donner à la partie lésée la capacité de poursuivre en cas de divulgation d'informations en dehors de ces fenêtres.

Evoquant les dispositions du texte permettant la suspension provisoire de l'exécution d'une décision de référé en matière de presse, il s'est demandé si, par souci d'équilibre, il ne conviendrait pas d'ouvrir la procédure de réparation civile en matière d'atteinte à la présomption d'innocence, aujourd'hui réservée aux seules personnes mises en cause judiciairement, à toute personne accusée avant toute procédure.

M. Daniel Hoeffel a mis en lumière la difficulté de concilier le droit à l'information et le droit au respect des personnes. Après avoir souligné la disproportion entre la place importante consacrée par la presse aux informations faisant état des mises en cause de personnes et celle beaucoup plus réduite mentionnant la levée des soupçons pesant sur elles, il s'est interrogé sur la manière de préserver la réputation des personnes concernées.

M. Patrice Gélard a considéré que le poids accru des médias avait rendu obsolète la loi de 1881 sur la presse. Après avoir souligné que les sanctions prononcées à l'étranger en matière de presse, notamment dans les pays anglo-saxons, étaient supérieures à celles intervenant en France en ce qui concerne les affaires judiciaires, il a souhaité que la presse se dote d'une véritable déontologie interne à la profession.

Tout en reconnaissant que d'importants progrès avaient été accomplis en matière de déontologie par rapport au passé, M. Pierre Fauchon, estimant que la presse représentait le premier pouvoir dans un pays démocratique, a considéré qu'il conviendrait de créer un ordre professionnel de la presse, chargé d'élaborer et de faire respecter les règles de déontologie interne, de manière à éviter l'intrusion de pouvoirs extérieurs.

M. Lucien Lanier a insisté sur la subjectivité des organes de presse et a souligné la responsabilité particulière de la presse audiovisuelle en matière de violation du secret de l'instruction.

M. Jacques Larché, président, a rappelé les travaux de la commission sur la présomption d'innocence concernant l'organisation d'un droit de réponse n'autorisant pas l'inclusion de commentaires simultanés par la rédaction de l'organe de presse concerné.

M. Laurent Dubois a souligné que les responsables des médias télévisés étaient moins poursuivis que ceux de la presse écrite malgré l'important impact visuel de leurs émissions. Il a insisté sur les progrès réalisés en matière de déontologie, soulignant qu'à l'heure actuelle les attaques de la presse lui paraissaient focalisées davantage sur les institutions que sur les personnes, à l'opposé de l'entre-deux-guerres où n'existait aucune protection législative de la personne privée. Il a indiqué que chaque rédaction se dotait d'un corpus déontologique et que le syndicat de la presse parisienne développait actuellement une réflexion sur la mise au point de règles déontologiques communes.

Il a approuvé la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en ce qu'elle cherchait à concilier les libertés fondamentales plutôt qu'à les opposer, donnant l'exemple de l'arrêt " Sunday Time ", dans lequel la cour avait jugé que le trouble apporté en l'espèce au déroulement de la justice était justifié par l'intérêt du débat généré par la presse.

M. Jacques Larché, président, citant un arrêt de la cour d'appel de Toulouse, a observé que les juridictions françaises adoptaient le même mode de raisonnement cherchant à concilier des libertés concurrentes. Il a souligné que l'organisation de la presse en ordre impliquerait des règles d'admission, l'élaboration d'une déontologie et une discipline ordinale.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a rappelé que la réflexion de la presse sur l'élaboration d'un code de déontologie avait figuré au nombre des recommandations de la mission de la commission sur la présomption d'innocence, recommandations annexées à ses 23 propositions.

M. Jean-Pierre Delivet a rappelé que le syndicat de la presse quotidienne régionale menait depuis dix ans une véritable réflexion sur le respect de la présomption d'innocence. Il a considéré que ce principe figurant dans le droit pénal français n'était pas véritablement pris en compte dans l'organisation de la justice pénale concernant notamment les mises en examen ou la détention provisoire. Estimant, par exemple, que l'interdiction de photographier des personnes menottées ne supprimerait pas l'usage discuté des menottes, il a regretté que les questions soient souvent reportées sur la presse au lieu d'être traitées en amont.

Après avoir observé que la sanction de l'atteinte à la présomption d'innocence pouvait relever de la diffamation, il a indiqué que la déontologie de la presse avait beaucoup progressé, la presse régionale s'étant dotée d'une charte définissant les règles et usages professionnels dans laquelle il était notamment prévu que le droit de réponse ne devait pas être altéré par des commentaires de la rédaction. Il a enfin souligné le rôle important joué par la jurisprudence dans l'affinement des principes législatifs.

M. Jacques Larché, président, a estimé qu'un ordre professionnel pourrait jouer le même rôle au sein de la presse.

M. Daniel Hoeffel a souhaité que les personnes entendues se fassent l'interprète auprès de la profession du souhait exprimé par les sénateurs de la commission de voir se créer un ordre professionnel de la presse.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a précisé qu'une telle mesure, si elle était souhaitée par la profession, impliquerait une intervention du législateur.

M. Patrice Gélard a indiqué que cette intervention ne pouvait s'imaginer qu'après que les professionnels en auraient exprimé le souhait.