Table des matières


- Présidence de M. Pierre Fauchon, vice-président.

Outre-mer - Loi d'orientation pour l'outre-mer - Examen des amendements

La commission a procédé, sur le rapport de M. José Balarello, à l'examen des amendements au projet de loi n° 28 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation pour l'outre-mer.

A l'article 2 (exonération de cotisations sociales patronales), la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 46 présenté par M. Paul Vergès, tendant à étendre aux bailleurs des logements sociaux le bénéfice des exonérations de charges sociales prévues par cet article.

A l'article 3 (cotisations et contributions des employeurs et travailleurs indépendants), la commission a donné un avis favorable aux amendements présentés par le Gouvernement n° 39 tendant à exonérer les pêcheurs du paiement des cotisations sociales en cas de catastrophe naturelle pendant une période de six mois suivant cette catastrophe, et n° 40 visant à lever un gage.

A l'article 5 (plan d'apurement des dettes sociales), la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 41 présenté par le Gouvernement, visant également à lever un gage.

A l'article 6 (plan d'apurement des dettes fiscales), elle a donné un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 62 présenté par le Gouvernement.

A l'article 9 (projet initiative jeune), elle a donné un avis favorable aux amendements de précision n°s 42 et 50 présentés par le Gouvernement.

A l'article 9 quater (création du contrat emploi solidarité), la commission a donné un avis favorable à l'amendement de forme n° 43 présenté par le Gouvernement, ainsi qu'à l'amendement n° 58 présenté par MM. Claude Lise, Dominique Larifla, Rodolphe Désiré et les membres du groupe socialiste, tendant à permettre l'embauche de jeunes bénéficiaires de contrats emploi-jeunes arrivant au terme de leur contrat dans le cadre de ce dispositif, sous réserve de sa transformation en sous-amendement à son amendement n° 19.

Puis la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 59 présenté par MM. Claude Lise, Dominique Larifla, Rodolphe Désiré et les membres du groupe socialiste, tendant à insérer un article additionnel après l'article 11 afin d'abroger les articles du code du travail relatifs aux modalités de fixation du SMIC dans les départements d'outre-mer.

A l'article 18 bis (adaptation des programmes scolaires), la commission a donné un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 44 présenté par le Gouvernement.

A l'article 21 bis (continuité territoriale du service public de l'audiovisuel), elle a donné un avis défavorable à l'amendement n° 47 présenté par M. Paul Vergès, tendant à permettre une différenciation des modalités de mise en oeuvre de cette continuité territoriale selon les départements d'outre-mer.

A l'article 22 (action internationale des départements d'outre-mer), la commission a constaté que l'amendement n° 60 présenté par M. Claude Lise et les membres du groupe socialiste, tendant à permettre aux départements d'outre-mer de devenir membres associés au sein des organisations internationales de coopération régionale, était identique à son amendement n° 27.

A l'article 36 (ressources fiscales des communes de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin), elle a donné un avis favorable à l'amendement de forme n° 61 présenté par le Gouvernement.

La commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 51 présenté par Mme Lucette Michaux-Chevry et les membres du groupe du rassemblement pour la République, tendant à insérer un article additionnel après l'article 36 afin de créer une taxe ad valorem sur les marchandises pénétrant sur le territoire des communes de Saint-Barthélémy et Saint-Martin.

A l'article 36 bis (contrat de plan pour Saint-Martin et Saint-Barthélémy), elle a donné un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 52 présenté par Mme Lucette Michaux-Chevry et les membres du groupe du rassemblement pour la République.

A l'article 37 ter (commission de suivi de l'utilisation des fonds structurels européens), elle a donné un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 53 présenté par Mme Lucette Michaux-Chevry et les membres du groupe du rassemblement pour la République.

A l'article 38 (création de deux départements à la Réunion), la commission a constaté que l'amendement de suppression n° 54 présenté par M. Edmond Lauret et les membres du groupe du rassemblement pour la République, était identique à son amendement n° 34. Elle a en outre donné un avis défavorable à l'amendement rédactionnel n° 48 présenté par M. Paul Vergès.

A l'article 38 bis (modalités de la bidépartementalisation de la Réunion), la commission a constaté que l'amendement de suppression n° 55 présenté par M. Edmond Lauret et les membres du groupe du rassemblement pour la République, était identique à son amendement n° 35.

Un débat s'est ensuite engagé au sujet de l'amendement n° 56 présenté par M. Edmond Lauret, tendant à insérer un article additionnel après l'article 38 bis afin de prévoir une consultation de la population de la Réunion avant toute modification du périmètre du département.

Tout en approuvant le principe d'une consultation de la population intéressée préalablement à une évolution statutaire, M. Maurice Ulrich s'est interrogé sur la constitutionnalité de la consultation envisagée au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il a donc souhaité que la commission se prononce avec prudence sur cet amendement.

M. Edmond Lauret a estimé que la décision récente du Conseil constitutionnel relative à la consultation de la population de Mayotte permettait l'organisation de la consultation envisagée par son amendement.

M. Patrice Gélard a soulevé la question des modalités de l'organisation d'une telle consultation. Il s'est par ailleurs interrogé sur la recevabilité d'un amendement tendant à introduire une disposition nouvelle à ce stade de la procédure parlementaire, eu égard à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel.

M. Pierre Fauchon, vice-président, a souligné que la procédure de consultation envisagée constituait une innovation.

Après avoir indiqué qu'il soutiendrait l'amendement présenté par M. Edmond Lauret, M. Georges Othily a souhaité que le Gouvernement réponde sur le principe d'une consultation de la population concernée préalablement à une évolution institutionnelle dans le cadre de la République, considérant que cette question importante et urgente concernait d'une manière générale l'ensemble des départements d'outre-mer.

M. Robert Bret a fait observer que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'article 1er en nouvelle lecture à l'initiative du Gouvernement posait justement le principe d'une consultation des populations intéressées sur les évolutions statutaires envisagées.

Soulignant que l'amendement proposé avait pour objet de s'opposer à la création d'un second département à la Réunion, M. Lucien Lanier a rappelé que la commission avait déjà déposé des amendements de suppression des dispositions prévoyant la bidépartementalisation de l'île et a fait part de ses craintes que la consultation envisagée par M. Edmond Lauret ne constitue un précédent lourd de conséquences.

Tout en souscrivant aux interrogations formulées sur la constitutionnalité de l'amendement, M. Daniel Hoeffel a considéré que celui-ci présentait l'avantage de poser avec éclat le problème du principe de la consultation de la population et de permettre au Gouvernement de s'exprimer sur cette question.

M. José Balarello, rapporteur, a également approuvé la préoccupation exprimée par M. Edmond Lauret. Il a en effet estimé nécessaire de trouver une formule permettant aux populations intéressées d'être consultées préalablement à une évolution institutionnelle. Il s'est cependant lui aussi interrogé sur la constitutionnalité de la consultation envisagée par M. Edmond Lauret, au regard de la décision du Conseil constitutionnel relative à la consultation de Mayotte, soulignant la différence de statut existant entre les départements d'outre-mer et Mayotte.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 56 de M. Edmond Lauret.

A l'article 40 (application du projet de loi à Saint-Pierre-et-Miquelon), elle a donné un avis favorable, sous réserve d'une modification rédactionnelle, à l'amendement n° 57 présenté par M. Victor Reux tendant à étendre à Saint-Pierre-et-Miquelon l'application de l'article 12 ter instituant un dispositif analogue à la préretraite en faveur des chômeurs de plus de 50 ans allocataires du revenu minimum d'insertion, ainsi qu'à l'amendement de coordination n° 45 présenté par le Gouvernement.

Enfin, elle a souhaité connaître l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 49 présenté par MM. Victor Reux et Edmond Lauret, tendant à insérer un article additionnel après l'article 41 quater afin de modifier le régime de retraite applicable à certains anciens agents des corps de l'Etat pour l'administration de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Mercredi 8 novembre 2000

- Présidence de M. Fauchon, vice-président.

Sectes - Prévention et répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire - Audition de M. Pierre Truche, président de la commission nationale consultative des droits de l'Homme

La commission a procédé à des auditions en prévision de la deuxième lecture de la proposition de loi n° 431 (1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire.

M. Pierre Fauchon, vice-président, a tout d'abord rappelé que la proposition de loi présentée par M. Nicolas About, et adoptée par le Sénat en décembre 1999, avait reçu une plus large portée lors de son examen en juin 2000 par l'Assemblée nationale, ce qui avait pour effet de compliquer le débat.

M. Nicolas About, rapporteur, a indiqué que l'utilité d'une telle proposition de loi avait initialement été mise en cause, certains estimant l'arsenal juridique existant suffisant. Il a rappelé que le dispositif adopté par le Sénat conférait au Président de la République le pouvoir de dissoudre les groupements dangereux, condamnés pénalement à plusieurs reprises ou dont les dirigeants avaient fait l'objet de condamnations pénales multiples, afin que la dissolution puisse atteindre l'ensemble du groupement. Il a souligné que le délit de manipulation mentale introduit par l'Assemblée nationale avait suscité de vives réactions et que la dissolution par décision judiciaire, préférée par l'Assemblée nationale au système du Sénat, existait déjà sans être véritablement utilisée, car d'une efficacité très relative.

Puis la commission a entendu M. Pierre Truche, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme.

M. Pierre Truche a précisé que la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, qu'il présidait, avait été saisie, par le garde des sceaux, de la seule question relative à l'instauration d'un délit de manipulation mentale, et qu'il n'émettrait qu'un avis personnel sur celle de la dissolution par décision judiciaire. Estimant qu'il n'était pas nécessaire de créer un délit spécifique, il a considéré en revanche comme envisageable de prévoir des circonstances aggravantes lorsque l'état de dépendance physique ou psychique a été causé par une secte. Il a observé que l'Assemblée nationale, dans sa définition de la manipulation mentale, reprenait les termes de l'article 313-4 du code pénal sur l'abus frauduleux d'état d'ignorance ou de situation de faiblesse et avait considérablement accru le nombre de cas où la responsabilité pénale du groupement, personne morale, pourrait être engagée.

Sur la dissolution des groupements, M. Pierre Truche a estimé que la solution préconisée par le Sénat présentait l'inconvénient de permettre qu'une décision du Président de la République soit soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l'Homme au regard des dispositions de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme prévoyant certaines exceptions à l'exercice des libertés fondamentales. Il a à cet égard rappelé que le caractère tardif de la ratification de cette Convention par la France s'expliquait par la volonté de ne pas exposer des décisions prises par le Président de la République sur le fondement de l'article 16 de la Constitution au contrôle de la Cour de Strasbourg. Concernant la dissolution judiciaire, retenue par l'Assemblée nationale, M. Pierre Truche a souligné les obstacles auxquels se heurterait sa mise en oeuvre du fait des formes multiples adoptées par les groupements concernés et des difficultés à recueillir des preuves pour mettre en cause le groupement, non seulement dans son antenne locale, mais également dans ses ramifications nationales. Il a estimé que la voie pénale était néanmoins celle qui offrait les meilleures possibilités d'investigation.

Admettant l'inconvénient lié à l'éventualité d'un contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l'Homme sur un décret du Président de la République tout en s'interrogeant sur les moyens juridiques permettant un tel recours, M. Nicolas About, rapporteur, a estimé que la voie judiciaire était inopérante pour obtenir une dissolution consolidée de l'ensemble d'une nébuleuse sectaire.

En réponse, M. Pierre Truche a indiqué que les avocats des groupements sectaires n'hésiteraient pas à invoquer, à l'appui de leur recours, l'atteinte portée à la liberté de religion sur le fondement de la Déclaration européenne des droits de l'Homme.

Après avoir observé que la connaissance de l'existence d'un groupement intervenait souvent longtemps après le début de son implantation, M. Pierre Truche a estimé que seule l'action pénale, par les moyens d'investigation qu'elle offrait, était de nature à permettre d'appréhender les différentes ramifications du groupement, le parquet restant cependant maître de limiter ou d'élargir le champ de l'instruction.

En réponse, M. Pierre Truche a confirmé la rareté des condamnations prononcées en la matière, la responsabilité de la personne morale ne pouvant être recherchée que lorsque l'infraction a été commise pour son compte. Il a indiqué que l'instauration d'une circonstance aggravante liée à une dépendance psychologique créée par le groupement serait un moyen de faciliter cette recherche de responsabilité en obligeant le juge d'instruction à rechercher comment fonctionne le groupement.

Sectes - Prévention et répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire - Audition de Me Laurence Charvoz et de M. François Pignier, du centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales

La commission a ensuite entendu Me Laurence Charvoz et M. François Pignier, du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales.

M. François Pignier a tout d'abord souligné l'intérêt et l'utilité de la proposition déposée par M. Nicolas About et adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, ainsi que son accord de principe à ses différentes dispositions.

Me Laurence Charvoz a également souligné l'intérêt de ce texte pour protéger des personnes ayant adhéré à un mouvement sectaire volontairement. Elle a souligné que l'arsenal juridique existant permettait d'appréhender la situation des seuls mineurs ou majeurs protégés, excluant la majorité des victimes de mouvements sectaires (pour la plupart des majeurs dotés d'intelligence, dont la faculté de jugement n'était pas altérée au moment de leur entrée dans ces mouvements). Après avoir évoqué un exemple concret, elle a souligné le nombre important de classements sans suite concernant ce type d'affaires.

Me Laurence Charvoz a souhaité que, dans les cas où toutes les conditions étaient réunies, la dissolution de la personne morale soit automatique, contrairement à la rédaction prévue à l'article 1er de la proposition de loi par l'Assemblée nationale en première lecture, qui laisse une marge d'appréciation aux magistrats. Par ailleurs, elle a regretté que cette dissolution ne puisse intervenir qu'à l'issue de plusieurs condamnations de la personne morale, en soulignant que les condamnations étaient très rares en l'état actuel du droit, du fait notamment de l'importance des moyens, tant intellectuels que matériels, des groupements à caractère sectaire. Elle a cependant jugé intéressant que la dissolution ne soit pas soumise à la seule appréciation du parquet, mais qu'elle puisse être demandée par tout intéressé. Elle a par ailleurs souhaité que le délai d'appel de quinze jours puisse être porté à un mois. Me Laurence Charvoz a ensuite rappelé que la loi de 1936 sur les groupes de combat avait été très peu appliquée et qu'elle avait surtout concerné des groupements politiques.

M. François Pignier a ensuite proposé une nouvelle rédaction de la définition du délit de manipulation mentale, afin de remplacer les termes " contre son gré ou non " par " indépendamment de sa volonté ", et de prévoir que le délit puisse être constitué en présence de pressions graves ou réitérées et pas seulement lorsque les pressions sont à la fois graves et réitérées.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors rappelé qu'au moment de la rédaction de sa proposition, il s'était interrogé sur l'utilité d'introduire le délit de manipulation mentale. Il a observé que la manipulation mentale n'était pas en tant que telle délictueuse, seuls ses effets étant susceptibles d'être constitutifs d'un délit. Il s'est demandé si la meilleure solution ne consisterait pas à élargir la définition du délit d'abus de faiblesse, en précisant qu'une telle faiblesse peut soit préexister, soit résulter d'une manipulation.

M. José Balarello a ensuite précisé que la plupart des personnes rentrant dans des sectes étaient à l'origine équilibrées et s'est alors interrogé sur les étapes les ayant conduites à de telles extrémités. Il a indiqué qu'il était en général opposé à une prolifération des textes, le code pénal permettant déjà dans une large mesure d'ouvrir des poursuites. Il a toutefois noté que les condamnations effectives dépendaient souvent de la volonté concrète des magistrats instructeurs et du parquet, et a estimé que le délit créé par l'Assemblée nationale pouvait présenter une utilité.

M. Guy Cabanel a en revanche souligné les risques pour les libertés publiques et les droits fondamentaux de l'adoption d'un tel délit de manipulation mentale, le renforcement des dispositions concernant l'abus de faiblesse lui semblant répondre aux préoccupations exprimées. Il a considéré que, compte tenu de la définition retenue, trop d'activités seraient susceptibles d'être qualifiées, dans une certaine mesure, de manipulation mentale.

M. Jean-Jacques Hyest a souligné la nécessité de bien distinguer les groupements à caractère sectaire des groupements " néo-mystiques " ne troublant pas l'ordre public. Il a également souhaité que le parquet et les juges d'instruction utilisent pleinement l'arsenal juridique existant. Evoquant les tragédies du temple solaire et du massacre de Guyana, il a indiqué qu'il s'agissait de meurtres caractérisés, allant bien au-delà de la manipulation mentale. Il a souligné les risques d'un détournement, à l'avenir, de l'utilisation d'un tel délit de manipulation mentale.

En réponse aux diverses inquiétudes manifestées par les différents orateurs, M. François Pignier a précisé qu'une expertise psychiatrique permettant d'apprécier une éventuelle altération du jugement ou un vice de la volonté de la personne serait en tout état de cause nécessaire et pourrait constituer un garde-fou visant à garantir les libertés publiques.

Me Laurence Charvoz a rappelé le strict encadrement de l'abus de faiblesse à l'heure actuelle et l'intérêt du délit de manipulation mentale qui permettrait de prendre en compte le psychisme de la personne au-delà de son seul état physique et d'obtenir une condamnation des groupements à caractère sectaire. Evoquant son expérience personnelle, elle a souligné que la manipulation pouvait prendre des formes particulièrement insidieuses et que, face au formidable pouvoir économique et intellectuel des groupes sectaires, l'introduction du délit de manipulation mentale constituerait une avancée considérable.

Sectes - Prévention et répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire - Audition M. Antoine Thiard, de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu (UNADEFI)

Puis la commission a entendu M. Antoine Thiard, représentant de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu.

M. Antoine Thiard a indiqué que les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale pour la dissolution des groupements à caractère sectaire lui paraissaient satisfaisantes.

Il a relevé que la procédure judiciaire, choisie par l'Assemblée nationale de préférence à la procédure administrative pour la dissolution des groupements à caractère sectaire, correspondait à la formule des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, prévoyant la dissolution par le tribunal de grande instance de toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement.

M. Antoine Thiard a fait valoir que les difficultés ne provenaient généralement pas de l'objet des associations tel qu'il était défini par leur statut, mais plutôt de leur comportement.

Relevant qu'une formule de dissolution judiciaire était plus conforme à la tradition républicaine, et comportait l'avantage d'être contradictoire, il a considéré, en revanche, que celle-ci serait plus longue qu'une procédure administrative qui serait, de ce fait, plus efficace.

M. Antoine Thiard a marqué son accord avec les dispositions de la proposition de loi concernant l'extension à certaines infractions de la responsabilité pénale des personnes morales, remarquant que l'action des groupements sectaires ne résultait généralement pas de la volonté d'une seule personne.

Il a également approuvé les dispositions insérées par l'Assemblée nationale pour limiter l'installation ou la publicité des groupements sectaires, en particulier à proximité des établissements scolaires.

M. Antoine Thiard a exprimé son accord sur la nécessité de réprimer de manière spécifique la manipulation mentale par des groupements sectaires, considérant toutefois que les termes de manipulation mentale, retenus par l'Assemblée nationale, pourraient prêter à des difficultés d'interprétation puisqu'ils ne se rapportaient pas exclusivement à des comportements sectaires.

Exposant à titre d'exemple que certaines formes de publicité commerciale pouvaient aussi être assimilées à de la manipulation mentale, il a souligné que celle pratiquée par les groupements sectaires, en s'attaquant à la liberté de pensée et d'action des personnes et à la dignité humaine, affectait d'une manière définitive la personnalité de l'individu.

M. Antoine Thiard a évoqué ensuite la proposition de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme d'utiliser, pour réprimer les comportements délictueux des groupements sectaires, les dispositions en vigueur du code pénal relatives à l'abus de faiblesse, plutôt que de créer un délit de manipulation mentale.

M. Antoine Thiard a considéré que la manipulation mentale, telle qu'elle était définie par le texte adopté par l'Assemblée nationale, consistait d'abord en la mise d'une personne en état de faiblesse, puis à l'abus de cette faiblesse, et ne pouvait donc pas être analysée uniquement comme un abus de faiblesse.

M. Antoine Thiard a enfin évoqué deux orientations possibles pour mieux définir les comportements délictueux des groupements sectaires.

En premier lieu, il s'est interrogé sur la possibilité de trouver une qualification correspondant plus précisément au texte prévu par l'Assemblée nationale pour l'article 9 de la proposition de loi, en remplaçant le terme de manipulation mentale par celui de mise sous dépendance, de mise sous influence, d'emprise sectaire, de mise en danger ou d'embrigadement sectaire.

En second lieu, il a exposé que les dispositions en vigueur du code pénal concernant l'abus de faiblesse pourraient être étendues à la mise en état de faiblesse.

Enfin, M. Antoine Thiard s'est interrogé sur les conséquences d'une répression qui serait excessive et pourrait conférer aux sectes la posture de victime ou les pousser à la clandestinité.

En réponse à M. Nicolas About, rapporteur, M. Antoine Thiard s'est demandé s'il était opportun de confier aux tribunaux judiciaires une compétence pour dissoudre les associations. Il a considéré que le mérite d'une procédure judiciaire résidait dans son caractère contradictoire, de ce fait plus acceptable par le citoyen, que la procédure de dissolution administrative qui, en revanche, pourrait paraître plus efficace.

Il a, en définitive, estimé préférable une extension à la mise en état de faiblesse des dispositions actuelles du code pénal sur l'abus de faiblesse, ce qui reviendrait à redéfinir un délit existant, plutôt que de créer un nouveau délit de manipulation mentale qui suscitait, d'ores et déjà, des interrogations, en raison de sa conception trop large.

Sectes - Prévention et répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire - Audition de M. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, M. Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France, M. Jean-Arnold de Clermont, président de la fédération protestante de France, et Mgr Jean Vernette, représentant de la Conférence des Evêques de France

La commission a enfin entendu M. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, M. Joseph Sitruk, Grand Rabbin de France, M. Jean-Arnold de Clermont, président de la fédération protestante de France, et Mgr Jean Vernette, représentant de la Conférence des Evêques de France.

M. Dalil Boubakeur a tout d'abord estimé que, dans le système de liberté de conscience existant en France, la création d'un délit de manipulation mentale ferait courir des risques graves en ce qui concerne l'évolution des relations entre la société et les religions. Il a rappelé que la religion impliquait transcendance et mystère et que l'être humain n'était qu'un " facilitateur " des voies conduisant à Dieu. Il s'est demandé s'il n'était pas dangereux de porter un jugement, par l'intermédiaire du délit de manipulation mentale, sur les voies et pratiques prônées par les religions pour accéder à Dieu. Il a exprimé la crainte que la disposition proposée par l'Assemblée nationale ne conduise à des dérives susceptibles de porter atteinte à la liberté d'expression.

M. Dalil Boubakeur a rappelé que la Constitution française reconnaissait le principe de la liberté de conscience. Il a estimé que l'arsenal législatif destiné à lutter contre les sectes pouvait être amélioré, mais qu'il était suffisant pour faire face aux dérives les plus graves. Il a observé que la création du délit de manipulation mentale était susceptible de porter atteinte au principe de la présomption d'innocence.

M. Joseph Sitruk a tout d'abord souligné que la proposition de loi évoquait un domaine difficile à cerner, celui des croyances et de la définition même de l'homme. Il a estimé que la création d'un délit de manipulation mentale pourrait avoir de graves conséquences. Il a ainsi noté que tout orateur ayant un ascendant naturel sur son auditoire pourrait être accusé de manipulation mentale. Il a observé que tout discours religieux tendait à convaincre ceux auxquels il s'adressait.

M. Joseph Sitruk, réfutant le caractère absolu du discours, a considéré que son impact pouvait dépendre de l'orateur et de l'auditeur. Il a rappelé que l'ancien Premier ministre israélien Izthak Rabin avait été assassiné par un individu prétendant agir au nom de Dieu et ayant probablement mal compris un discours d'ordre religieux.

Le grand rabbin a souligné que toute société devait protéger les plus faibles, en particulier les enfants, et que des progrès étaient sans doute possibles dans ce domaine. Il a estimé nécessaire d'exiger de l'ensemble des associations une très grande transparence. Après avoir estimé légitime la préoccupation des pouvoirs publics et précisé qu'il ne déniait pas au législateur le droit d'intervenir sur ces questions, il a indiqué que la République se devait de protéger de manière égale tous les citoyens dans le respect de la liberté religieuse.

M. Jean-Arnold de Clermont s'est tout d'abord félicité que les représentants des grandes confessions religieuses soient invités à participer activement à la réflexion des pouvoirs publics sur les sectes. Il a indiqué que la Fédération protestante de France avait toujours défendu, depuis la publication du premier rapport de M. Alain Vivien sur les sectes, l'idée que l'arsenal juridique permettant de lutter contre les sectes était suffisant, pour peu qu'il soit utilisé. Il a indiqué que cette thèse avait été défendue par la commission d'enquête créée à l'Assemblée nationale en 1995, cette commission ayant dressé une liste des délits existants susceptibles de concerner les mouvements sectaires.

M. Jean-Arnold de Clermont a observé que, pendant longtemps, le nombre de poursuites à l'encontre de mouvements sectaires avait été très réduit, mais que cette situation était en train d'évoluer. Il a fait valoir que le débat sur la lutte contre les sectes était vicié par l'impossibilité de définir juridiquement une secte. Il a rappelé que les termes de secte, de schisme ou d'hérésie étaient employés par référence à une norme et s'est demandé par qui cette norme pourrait être fixée dans une société marquée par la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il a indiqué que la lutte contre les sectes avait été marquée par des comportements extrêmement critiquables, en particulier par l'assimilation à des sectes de tous les groupements dont l'intitulé comportait le terme " évangélique ".

M. Jean-Arnold de Clermont a alors formulé plusieurs propositions. Il a estimé nécessaire que l'opinion et, en particulier, les associations se portant au secours des victimes de sectes, soit mieux informée sur la législation et sur la nature de mouvements associatifs et religieux susceptibles d'être qualifiés de sectes. Il a souligné qu'un observatoire des sectes serait préférable à une mission de lutte contre les sectes.

Le président de la Fédération protestante de France s'est prononcé contre la création d'un délit de manipulation mentale. Il a observé que la création de cette infraction contribuerait à la judiciarisation croissante de la société et que les critères permettant de caractériser ce délit étaient beaucoup trop flous. Il a estimé préférable de tenter de définir les modalités qui conduisent à la manipulation mentale et d'étudier la manière dont se constitue un lien de dépendance.

A propos de la dissolution des mouvements sectaires, M. Jean-Arnold de Clermont a indiqué qu'une dissolution par le Président de la République, sous le contrôle du Conseil d'Etat, lui paraissait à la réflexion acceptable. Il a observé qu'un juge ne pourrait dissoudre que la partie d'un mouvement sectaire installé dans le ressort de sa juridiction. Il a estimé souhaitable que la dissolution puisse être applicable à toute personne morale, et pas simplement aux mouvements sectaires.

Mgr Jean Vernette a tout d'abord souligné que la Conférence des évêques de France considérait que la préoccupation des pouvoirs publics à l'égard des mouvements sectaires était légitime. Il a salué la volonté du Sénat de ne pas mettre en place une législation d'exception et s'est déclaré d'accord avec les dispositions de la proposition de loi relative à la possibilité de dissoudre certains mouvements dangereux et à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.

Mgr Jean Vernette a ensuite estimé que l'idée de créer un délit de manipulation mentale était à la fois séduisante et redoutable. Il a estimé que les intentions du législateur étaient claires pour le présent, mais qu'il était impossible de présager de l'avenir. Il s'est demandé si un tel délit serait conforme à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Il a noté que le délit de manipulation mentale pourrait s'appliquer à tout groupe. Il a alors noté que les règles respectées par certaines congrégations religieuses, qu'il s'agisse de la clôture, du jeûne, des voeux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté, n'étaient pas aujourd'hui assimilées à des manipulations, mais que le sentiment à ce sujet pouvait changer. Il a fait valoir qu'il n'existait aucune garantie que la nouvelle disposition ne serait pas appliquée à des religions ou à des mouvements de pensée. Il s'est demandé si l'adoption d'un tel délit ne finirait pas par donner à penser que toute conviction religieuse serait la manifestation d'une déficience de l'individu concerné.

Mgr Jean Vernette a estimé contestable de vouloir protéger les victimes contre elles-mêmes, observant qu'une telle évolution pourrait conduire à la mise en place d'une police de la pensée. Il a souligné que les textes en vigueur invitaient les juridictions à consulter les grandes associations de lutte contre les sectes, notamment en ce qui concerne les mouvements susceptibles d'être qualifiés de sectes. Il a alors rappelé qu'un ouvrage publié par l'une des associations de lutte contre les sectes avait assimilé à des sectes certaines communautés telles que les Béatitudes ou le Chemin neuf. Il a exprimé la crainte que le délit de manipulation mentale conduise le juge à définir le " religieusement correct ".

Mgr Jean Vernette a alors formulé quelques propositions. Il a souhaité que les dispositions existantes, en particulier l'article 313-4 du code pénal relatif à l'abus frauduleux de l'état de faiblesse, soient pleinement appliquées. Il a observé qu'il existait parfois des dérives sectaires au sein même de l'Eglise catholique et que celle-ci avait pris des dispositions au sein du code de droit canonique pour contenir de telles évolutions. Il a fait valoir que tout groupe humain connaissait des dérives sectaires et que l'Eglise catholique avait acquis une expérience dans la prévention de ce type d'évolution qui pourrait être utile dans le cadre des débats actuels. Il s'est prononcé en faveur de la création d'un observatoire indépendant, pluridisciplinaire et objectif, qui pourrait formuler des avis sur certains groupements ou associations. Il a indiqué que le Conseil de l'Europe s'était prononcé en faveur de la création d'organes susceptibles de fournir une information fiable sur ces groupements ne provenant ni des sectes ni des mouvements de défense des victimes des sectes.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors rappelé que l'objectif du Sénat n'avait en aucun cas été de s'attaquer à des mouvements religieux quels qu'ils soient, mais à des groupements dangereux pour l'ordre public ou la personne humaine.

M. Daniel Hoeffel a souhaité savoir quelles pourraient être les missions précises d'un éventuel observatoire objectif et pluridisciplinaire.

Mgr Jean Vernette a estimé que cet observatoire pourrait faire appel à toutes les compétences permettant de déterminer la nature exacte de certains groupements. Il a en outre noté qu'il pourrait être saisi par les pouvoirs publics et donner un avis d'expert aux juridictions administratives ou judiciaires.

M. Jean-Arnold de Clermont a observé que cet observatoire pourrait jouer un rôle comparable à celui de la commission nationale d'éthique.

M. Dalil Boubakeur s'est également prononcé en faveur d'un observatoire, soulignant que la religion était une expression de la liberté de pensée protégée par la Constitution. Il a observé que l'Islam comportait de nombreuses sectes en son sein. Il a enfin évoqué la conversion, se demandant si elle ne risquait pas d'être assimilée à des manipulations mentales.

M. Joseph Sitruk a approuvé l'idée de la création d'un observatoire. Il a jugé souhaitable que les représentants des religions puissent intervenir dans les débats comme celui sur les sectes, observant qu'elles pouvaient apporter à la réflexion leur expérience propre. Il a observé que l'époque actuelle était marquée par une très grande quête spirituelle et qu'un prosélytisme excessif pouvait être à surveiller. Il s'est enfin prononcé pour un renforcement du contrôle du fonctionnement de certaines associations, observant que les dispositions actuelles en ce domaine étaient très insuffisantes.

M. Christian Bonnet s'est déclaré perplexe à l'issue de ces auditions. Il s'est dit sensible au risque de voir émerger une police de la pensée, mais a toutefois noté que, par définition, l'adepte d'une secte n'admettait jamais qu'il était manipulé et qu'il convenait donc de trouver les moyens de le protéger malgré cela. Il s'est demandé si la création d'un observatoire pouvait suffire à résoudre les difficultés actuelles, observant qu'il existait déjà un grand nombre d'organes de ce type.