Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Successions - Droits du conjoint survivant - Audition de M. Pierre Catala, professeur émérite de l'Université de Paris II

La commission a procédé à des auditions publiques dans la perspective de l'examen des propositions de loi n° 224 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint survivant, et n° 211 (2000-2001) de M. Nicolas About visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins.

M. Jacques Larché, président, a tout d'abord observé que ces auditions publiques marquaient l'intérêt de la commission pour cette question et permettraient de faire progresser la réflexion sur un problème difficile. Il a souligné que le Gouvernement avait depuis longtemps annoncé une réforme globale du droit de la famille, mais qu'aucun texte correspondant à cette définition n'avait jusqu'à présent été soumis au Parlement. Il a indiqué que la commission des lois du Sénat y avait pour sa part marqué son attachement renouvelé en organisant, en 1998 et en 2000, des auditions publiques, respectivement consacrées à la réforme du droit de la famille et à l'actualité de la loi de 1975 sur le divorce. Il a observé que le Sénat avait en outre pris des initiatives, afin de faire évoluer certains aspects du droit de la famille, rappelant que la réforme de la prestation compensatoire était issue de propositions de loi sénatoriales émanant notamment de M. Nicolas About.

La commission a tout d'abord entendu M. Pierre Catala, professeur émérite de l'Université de Paris II.

M. Pierre Catala, se référant aux travaux du groupe de travail animé par M. Jean Carbonnier dont il a rappelé le regret de n'avoir pu se rendre à l'invitation de la commission des lois, a tout d'abord souligné que le droit patrimonial de la famille n'était pas un accessoire du droit de la famille. Il a estimé qu'il contribuait à en assurer la solidité et la permanence. Il a rappelé que le droit patrimonial de la famille comportait d'une part, les règles relatives aux couples, à savoir les régimes matrimoniaux, d'autre part, les règles relatives à la lignée, à savoir les successions. Il a observé que les libéralités constituaient, quant à elles, une matière plus complexe, étant susceptibles de profiter au couple et à la lignée, mais aussi de compromettre les droits du couple comme ceux de la lignée.

M. Pierre Catala a ensuite fait valoir que les régimes matrimoniaux avaient fait l'objet de deux réformes très importantes, en 1965 et 1985, réformes caractérisées par l'égalité de l'homme et de la femme et par la recherche de la souplesse de la charte matrimoniale, grâce notamment à la mutabilité des régimes matrimoniaux et au développement des contrats ordinaires entre époux. Il a estimé que ces réformes avaient été des succès et que les régimes matrimoniaux ne suscitaient que peu de conflits.

M. Pierre Catala a indiqué que le régime des successions n'avait fait l'objet, pour sa part, que d'ajustements depuis 1938 et que de nombreuses règles datant de 1804 demeuraient encore en vigueur. Il a fait valoir que ce régime comportait de multiples imperfections et lacunes souvent dénoncées, notamment par plusieurs Congrès des notaires. Il a rappelé que le régime des successions comportait trois volets, à savoir la dévolution, la transmission et le partage et s'est déclaré convaincu que chacun de ces volets appelait une rénovation, même si la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale était consacrée à la dévolution.

M. Pierre Catala a estimé que les règles relatives à la dévolution soulevaient deux problèmes essentiels : d'une part, les droits de l'enfant adultérin, d'autre part les droits du conjoint survivant. A propos des enfants adultérins, il a observé que la Cour européenne des droits de l'homme avait interdit toute discrimination à l'encontre de ces enfants et que des juridictions françaises écartaient désormais l'application de l'article 760 du code civil pour tenir compte de cette jurisprudence. Il a estimé que cette situation posait la question de la supériorité générale et absolue des décisions d'une juridiction supranationale sur les choix des législateurs nationaux. Il a toutefois constaté que le législateur français ne pouvait que s'incliner et a indiqué que l'Assemblée nationale proposait d'abroger les dispositions de la loi de 1972 qui prévoyaient des règles discriminatoires à l'égard des enfants adultérins.

Abordant la question des droits du conjoint survivant, M. Pierre Catala a rappelé que, dans cinq cas sur six, le conjoint survivant était une femme. Il a estimé qu'il existait pour l'essentiel trois catégories de veuves :

- les femmes devenant veuves entre 60 et 70 ans, ayant une espérance de vie d'environ dix années après le décès de leur époux et bénéficiant de leur retraite ou d'une pension de réversion ; ces veuves sont des « passants » dans la succession et leur attribuer des biens en pleine propriété a notamment pour effet d'entraîner une double taxation de ces biens à l'occasion du décès de chacun des conjoints ;

- les veuves très jeunes, ne bénéficiant pas de pension au décès de leur époux et ayant de jeunes enfants à charge ; ces femmes, souvent en grande difficulté, doivent se voir reconnaître un maximum de pouvoirs dans la gestion de la succession ;

- enfin, les veuves épousées en deuxième ou troisième noces, confrontées aux enfants d'un premier lit, parfois de même âge qu'elles ; dans un tel cas, l'attribution de biens en propriété paraît le seul moyen de régler définitivement les liens matériels entre ces femmes et les enfants du premier lit et d'éviter que les enfants ne se trouvent nus-propriétaires à perpétuité.

M. Pierre Catala a estimé que la première catégorie de veuves était numériquement la plus importante et que le législateur aurait bien travaillé s'il parvenait à dégager une solution pour cette catégorie. Il a indiqué qu'en tout état de cause aucun régime ab intestat ne serait parfait et que des actes de prévoyance étaient préférables. Il a souligné que les options retenues actuellement par les couples procédant à une donation au dernier vivant apportaient des informations intéressantes au législateur. Il a rappelé que la donation au dernier vivant permettrait l'attribution de la quotité disponible ordinaire ou celle d'une quotité disponible spéciale pouvant consister dans la totalité de l'usufruit ou dans le quart des biens en propriété et les trois quarts des biens en usufruit. Il a souligné que le recensement de ces actes de donation avait été accompli à plusieurs reprises et qu'il laissait apparaître une préférence massive pour la totalité de l'usufruit.

M. Pierre Catala, rappelant que la Grande-Bretagne avait rapproché la loi successorale du testament dominant, a indiqué que les informations tirées des donations au dernier vivant devaient conduire le législateur à maintenir une option entre des droits d'usufruit et des droits de propriété. Il a observé que les droits de propriété avaient le mérite de la simplicité, puisqu'ils rompaient les liens matériels entre les héritiers. Il a toutefois souligné que cette solution maintenait les héritiers en indivision, que chacun d'entre eux pouvait à tout moment sortir de l'indivision et que, si le bien n'était pas partageable, il fallait recourir à une licitation pouvant être très défavorable au conjoint survivant. Il a en outre observé que les biens accordés au conjoint en pleine propriété subissaient une seconde taxation au décès de celui-ci.

M. Pierre Catala a fait valoir que l'usufruit permettait à la famille par le sang de conserver la propriété, qu'il pouvait être plus étendu en assiette que les droits en propriété, qu'il permettait un paiement différé des droits de succession, ce qui pouvait être important pour une veuve encore jeune. Il a estimé qu'en présence d'enfants et de descendants, il était souhaitable de maintenir l'option entre droits de propriété et droits d'usufruit pour le conjoint survivant. Il a toutefois noté que l'Assemblée nationale avait prévu, quant à elle, que le survivant recueillerait le quart des biens en propriété. Il a noté qu'une erreur sérieuse entachait le texte de l'Assemblée nationale et qu'il convenait à tout le moins d'évoquer le quart des biens existants au décès et non le quart de la masse successorale.

M. Pierre Catala a regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas prévu en tout état de cause un droit intangible pour le conjoint survivant à ne pas être expulsé de son logement, choisissant de laisser cette possibilité à la discrétion du conjoint prémourant. Il a estimé insolite et dangereuse la réserve introduite par l'Assemblée nationale dans le cas où un défunt ne laisse pas d'héritier proche, observant que l'Assemblée nationale prévoyait par ailleurs une protection moindre en présence d'héritiers proches.

M. Pierre Catala a alors souligné qu'il existait un écart important entre le nombre de décès et le nombre de déclarations de succession. Il en a déduit que la grande majorité des successions n'étaient ni déclarées au ministère de l'économie ni soumises à un notaire, mais qu'elles posaient parfois des problèmes très douloureux d'accès à la succession.

Il a estimé regrettable que la réforme des trois volets du droit des successions, déjà examinée par deux fois en Conseil des ministres et appelée de ses voeux par le notariat, n'ait pu aboutir. Il a considéré que le Sénat disposait d'une belle occasion d'améliorer un texte important. Il a conclu en faisant valoir qu'une grande loi était possible.

M. Nicolas About, rapporteur, a interrogé M. Pierre Catala sur la situation du conjoint survivant en l'absence de descendants ou d'ascendants du défunt. Il s'est demandé s'il fallait, dans un tel cas, éliminer purement et simplement de la succession la famille par le sang. Il a en outre demandé s'il était opportun de réformer l'ensemble du droit des successions plutôt que de s'en tenir aux seuls droits du conjoint survivant.

M. Pierre Catala a rappelé que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, en cas d'absence de descendants, ne prévoyait un partage qu'entre le conjoint et les parents du défunt. Il a indiqué qu'un problème se posait en l'absence de descendants comme d'ascendants et a rappelé que le professeur Carbonnier et lui-même avaient proposé que le conjoint opte soit pour l'attribution de la totalité des biens en usufruit, soit pour l'attribution de la moitié des biens en pleine propriété. Il a fait valoir que cette solution avait été retenue dans le projet de loi présenté par M. Pierre Méhaignerie lorsqu'il était garde des sceaux, mais qu'elle avait été écartée par les travaux respectifs de Mme Irène Théry, de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez et du Congrès des notaires de 1999, qui avaient préconisé tous trois d'écarter de la succession la famille par le sang.

M. Pierre Catala a ensuite souhaité que le cadre de la réforme soit élargi, afin que certains archaïsmes du droit des successions disparaissent. Il a cité la théorie des co-mourants, qu'il a qualifiée de fossile, ainsi que le privilège de double lien dans les successions collatérales. Il a en outre estimé que le notaire devrait se voir accorder un mandat légal, de manière à pouvoir gérer la succession, notamment en réglant les dettes sans entraîner d'acceptation tacite.

Il s'est prononcé pour la mise en place d'un mécanisme contraignant les héritiers taisants à se prononcer avec une clause de renonciation en cas de refus d'opter. Il a également souligné que le régime des successions non déclarées avait été élaboré sous le régime de Vichy à la suite des déportations et qu'il méritait d'être revu. Tout en observant qu'elle relevait du décret, il s'est prononcé pour une réforme du partage judiciaire renforçant le rôle du juge commissaire. Il a enfin souhaité que les rescisions en cas de lésion ne conduisent plus systématiquement à l'annulation du partage, mais plutôt à une juste indemnisation de la personne lésée.

M. Patrice Gélard a indiqué que, dans la région dont il était l'élu, la Normandie, les habitants étaient très attachés à la transmission du patrimoine dans la famille par le sang. Il a en outre observé que, dans les successions, il existait des biens à caractère sentimental dont on pouvait souhaiter qu'ils demeurent dans la famille de sang du défunt. Il a demandé quelle solution pourrait être trouvée à ce problème dans le cas de couples sans enfant.

M. Pierre Catala a indiqué que le pouvoir législatif disposait de moyens pour régler ces situations. Il a en outre observé qu'une fois la réforme des successions opérée, il conviendrait de réaliser la réforme la plus importante, celle des libéralités, qui pourrait elle aussi permettre de résoudre des situations telles que celle évoquée par M. Patrice Gélard. Il a estimé que la réforme des libéralités pourrait rendre inutile la fiducie en matière civile.

M. Jacques Larché, président, a souligné qu'il conviendrait, dans le cadre de la réforme des successions, de s'interroger sur la fiscalité. Il a observé que certains patrimoines, déjà taxés lors de leur constitution, l'étaient ensuite dans le cadre de l'impôt de solidarité sur la fortune et qu'une nouvelle taxation importante au moment du décès pouvait susciter certaines interrogations.

M. Patrice Gélard a fait remarquer que les seuils d'exonération pour l'application des droits de succession n'avaient pas été réactualisés depuis les années d'après-guerre.

Audition de Mme Nicole Hervé, présidente de la Fédération des Associations de Conjoints Survivants (FAVEC)

Puis la commission a procédé à l'audition de Mme Nicole Hervé, présidente de la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC).

Après avoir rappelé qu'il y avait, selon les statistiques établies par l'INSEE, 613.459 veufs et 3.240.311 veuves en 1999, Mme Nicole Hervé a indiqué que la FAVEC, fédération dont la création remontait à une cinquantaine d'années, travaillait de longue date sur la question des droits du conjoint survivant, étant quotidiennement à l'écoute des difficultés rencontrées par ces personnes dans quatre-vingt-treize départements français. Elle a précisé que les conjoints survivants reçus, le plus souvent des veuves, étaient très généralement sur le plan matériel de condition modeste, issues de couples persuadés que l'héritage était acquis au conjoint survivant. Elle a estimé que cette idée erronée provenait du fait que les conjoints contribuaient ensemble à la constitution de leur patrimoine et a regretté que les efforts déployés pour les détromper sur ce point soient tenus en échec.

Mme Nicole Hervé s'est déclarée satisfaite des améliorations adoptées par l'Assemblée nationale, tout en admettant que le texte était perfectible. Elle a estimé que le dispositif proposé permettait de résoudre le cas du conjoint survivant sans enfant qui se voit actuellement contraint, pour éviter de rester en situation d'indivision, de dédommager sa belle famille à hauteur de la moitié de la valeur du bien acquis en commun par les conjoints. Concernant le cas des couples avec enfant, elle a estimé que la solution privilégiant l'attribution de droits en pleine propriété au conjoint survivant était préférable à celle octroyant un usufruit. Rappelant que la FAVEC avait préconisé que le conjoint survivant puisse bénéficier d'une part réservataire, elle a indiqué que cette proposition avait suscité une levée de bouclier et avait en conséquence été retirée.

Mme Nicole Hervé a estimé nécessaire d'éviter que la fiscalité vienne interférer dans l'évolution du droit des successions.

Après avoir rappelé que dans le régime général applicable aux salariés, une veuve de moins de cinquante-cinq ans n'avait droit à aucune pension de réversion et qu'après cinquante-cinq ans cette pension n'était versée qu'à concurrence d'un plafond de l'ordre de cinq mille francs pour l'ensemble des ressources, Mme Nicole Hervé a estimé que l'octroi d'un droit d'usufruit sur le logement était insuffisant pour garantir des conditions de vie décentes au conjoint survivant et qu'il était nécessaire de lui conférer des droits en pleine propriété les plus importants possibles afin d'éviter les situations d'indivision, sources de dissensions au sein des familles.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui l'interrogeait sur l'importance relative des trois catégories de conjoints survivants distinguées par le professeur Catala, Mme Nicole Hervé a indiqué que le nombre de veuves de moins de cinquante-cinq ans tendait à diminuer, mais qu'en 1999, on avait néanmoins dénombré 1490 veuves et 207 veufs de moins de vingt ans.

Évoquant le cas du conjoint survivant d'un couple sans enfant, M. Nicolas About, rapporteur, a rappelé que la plupart des gens n'imaginait pas qu'au décès du conjoint survivant, la famille de ce dernier hériterait les biens du premier décédé. Il s'est interrogé sur le point de savoir s'il fallait admettre cette dépossession de la famille du premier décédé et a estimé qu'il était possible, par le biais du droit au logement et de l'usufruit, de préserver le cadre de vie du conjoint survivant, en évitant les abus de transfert de propriété. En réponse à Mme Nicole Hervé qui considérait que l'évolution de la société faisait primer l'intérêt du conjoint survivant sur celui de la lignée familiale, M. Nicolas About a suggéré de prévoir une possibilité de retour conventionnel des biens à la famille du premier décédé au décès du conjoint survivant.

M. Maurice Ulrich a observé qu'en cas de remariage du conjoint survivant, les biens du premier conjoint décédé revenaient au nouveau conjoint en cas de décès du conjoint survivant. M. Patrice Gélard a rappelé qu'en l'absence de famille, les biens du conjoint premier décédé revenaient à l'État au décès du survivant.

Rappelant que l'objectif était d'éviter que le conjoint survivant, psychologiquement fragilisé par la perte de son conjoint ne soit confronté à des difficultés matérielles trop importantes, Mme Nicole Hervé a estimé nécessaire de favoriser la lisibilité de la loi en la matière et d'éviter les difficultés liées au statut d'indivisaire ou d'usufruitier.

En réponse à M. Jacques Larché, président, elle a confirmé que le choix du régime de la communauté universelle comme régime matrimonial était protecteur du conjoint survivant.

Audition de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur agrégé à l'Université de Lille II, présidente du groupe de travail « Rénover le droit de la famille »

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez, professeur agrégé à l'Université de Lille II, présidente du groupe de travail « Rénover le droit de la famille ».

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez
s'est réjouie qu'une réforme visant à donner des droits au conjoint survivant, ainsi qu'à établir l'égalité des droits des enfants dits « adultérins »,  soit actuellement examinée par le Parlement.

M. Jacques Larché, président, a néanmoins regretté que l'absence de projet de loi du Gouvernement conduise à la multiplication des propositions de loi dans des domaines aussi complexes, privant le Parlement de l'avis du Conseil d'Etat.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a fait observer que cette proposition de loi présentait l'avantage de donner un coup d'accélérateur indispensable afin de remédier à une situation intolérable de blocage des successions et de tirer les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme.

En premier lieu, elle s'est déclarée favorable à la suppression des restrictions aux droits des enfants adultérins, la considération de l'enfant devant primer sur celle du conjoint. Elle a néanmoins mis en lumière les drames humains qui pouvaient résulter de l'existence d'enfants adultérins, dans la mesure où la veuve n'en serait informée qu'au moment du décès de son mari par le notaire chargé de la succession. A titre personnel, elle a marqué sa préférence pour une plus grande transparence, sur le modèle de la Belgique, où la règle n'est pas le secret, l'épouse étant informée de l'existence de l'enfant adultérin au moment de sa naissance, et non après la mort du mari.

Elle a souligné toute la difficulté de faire figurer une telle proposition dans le rapport du groupe de travail qu'elle présidait, remis au Gouvernement en septembre 1999, dans la mesure où il avait été jugé difficile de la concilier avec la protection de la vie privée.

Elle a également mis en lumière que le partage de la succession entre l'enfant adultérin et le conjoint survivant pourrait être mal ressenti par ce dernier compte tenu des modalités retenues par le texte, pouvant conduire à accorder à l'enfant adultérin les trois quarts de la succession et au conjoint survivant un quart de la succession.

En second lieu, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a relevé les nombreuses imperfections caractérisant la proposition de loi, tout en admettant que le droit des successions, caractérisé par une rigidité et une complexité extrêmes, était désormais inadapté à la société.

Elle a jugé trop importante la réserve héréditaire en pleine propriété attribuée aux enfants, rappelant à cet égard que Mme Irène Théry avait proposé, dans son rapport, d'en diminuer la quotité. Elle a regretté que le quart de la succession en pleine propriété réservé au conjoint survivant ne laisse aucune marge de manoeuvre testamentaire au défunt, expliquant que les éventuelles libéralités viendraient s'imputer sur cette masse.

Elle a également insisté sur l'absence de garanties destinées à protéger la part du conjoint survivant, dans le cas d'une donation à un tiers (concubine ou descendant lointain). Elle a souligné qu'en présence de trois enfants, compte tenu de leur réserve s'élevant aux trois quarts, le quart restant au conjoint survivant comblerait la quotité disponible. Elle a toutefois fait remarquer que cette part ne constituerait qu'une obole, dans la mesure où elle ne représentait que le quart de la moitié de la communauté soit un huitième, relevant qu'au total le conjoint hériterait cinq huitièmes des biens communs.

Afin de remédier aux insuffisances de cette solution, elle a souhaité rappeler la proposition avancée dans le rapport remis au Gouvernement par le groupe de travail qu'elle présidait, consistant à accorder à la veuve l'usufruit total de la propriété jusqu'à son décès, tout en mettant l'accent sur les inconvénients économiques auxquelles se heurteraient certaines grandes fortunes et grandes entreprises familiales. Elle a néanmoins souligné que, dans ces derniers cas, des mesures de prévoyance étaient généralement prises.

Elle a indiqué qu'il était également proposé de reconnaître à chaque enfant la faculté d'exiger sa part réservataire en pleine propriété, sous réserve, en contrepartie, d'un renoncement à ses droits sur la quotité disponible.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a relevé l'absence de solution idéale, compte tenu de la diversité des configurations familiales et patrimoniales, constatant qu'une même loi ne pouvait convenir à toutes les familles. Elle a indiqué que cette réforme ne permettrait pas de s'affranchir de la nécessité de se préoccuper de la succession avant que le décès ne survienne.

Elle a jugé indispensable de développer l'information sur les règles de succession, en incitant par exemple les couples à inscrire leurs dernières volontés dans un testament. Elle a salué à cet égard l'initiative des notaires visant à sensibiliser les époux à l'occasion d'un achat immobilier sur la transmission de leur patrimoine en cas de décès.

Elle a reconnu que cette réforme aurait au moins la vertu de montrer aux Français que l'avenir de la succession ne pouvait être assuré par la loi, tandis que l'usufruit pouvait donner l'apparence d'une fausse tranquillité.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a fait état de son incompréhension à l'égard de l'économie générale du texte, soulignant que l'attribution au conjoint survivant du quart en propriété ne pouvait se superposer à un droit d'usage sur le logement s'imputant sur la valeur des droits successoraux. Elle a signalé que ces dispositions ne pouvaient être complémentaires, le droit d'usage ne pouvant qu'absorber le droit de propriété.

Elle a souligné toute la difficulté de permettre au conjoint survivant de disposer d'un droit d'usage, dans la mesure où sa mise en oeuvre supposait un réel consensus au sein de la famille, parfois difficile à obtenir.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez n'a pas souscrit à la logique selon laquelle le maintien du conjoint survivant dans son logement était nécessairement la meilleure solution, soulignant que ce lieu pouvait se révéler inadapté du fait de son coût et de sa superficie. Elle a relevé que la proposition de loi ne prévoyait le déménagement du conjoint survivant que dans le cas d'un départ vers un établissement spécialisé, reconnaissant qu'au demeurant aucune solution n'apparaissait évidente.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez s'est interrogée sur l'opportunité de distinguer, d'une part, les biens propres faisant l'objet d'une dévolution particulière aux enfants et, d'autre part, les biens communs dont le conjoint survivant pourrait jouir. Elle a indiqué que l'attribution des seuls biens communs au conjoint survivant aurait pu constituer une solution envisageable, mais qu'une telle distinction ouvrirait à nouveau le débat sur la question du champ des droits de la lignée sur la succession.

En réponse à MM. Henri de Richemont etPatrice Gélard qui s'interrogeaient sur l'opportunité de supprimer l'usufruit total sur l'ensemble des biens en cas de remariage du conjoint survivant, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a répliqué qu'une telle disposition n'aboutirait qu'à accroître le concubinage des conjoints survivants. Elle a estimé que le mariage devait rester un droit pour ces derniers, et que l'usufruit ne constituait qu'un droit viager, le patrimoine revenant de toute façon aux enfants. Elle a néanmoins convenu que l'usufruit total donné au conjoint survivant serait encore plus mal accepté par les enfants du défunt s'ils n'avaient aucun lien de sang avec lui.

Répondant à l'observation de M. Nicolas About, rapporteur, selon laquelle il pourrait être envisagé de distinguer les enfants de différents lits, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a prôné une solution de stricte égalité entre les enfants du défunt, qu'ils aient ou non un lien de sang avec le conjoint survivant, estimant qu'il n'était pas évident que les enfants d'un premier lit soient plus en désaccord avec ce dernier que ses propres enfants, et qu'il n'y avait pas lieu de légiférer à partir de présupposés.

En réponse à l'interrogation de M. Nicolas About, rapporteur, selon laquelle il pourrait exister une discrimination entre les enfants d'un conjoint survivant qui pourraient recevoir le quart de propriété du conjoint survivant au moment de son décès et les enfants d'un premier lit qui n'auraient que la part provenant du défunt, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a rétorqué que les enfants d'un second lit n'avaient aucune garantie de retrouver l'intégralité de la part dévolue à leur parent survivant lequel pourrait en avoir disposé entre-temps.

M. Henri de Richemont a souhaité entendre le point de vue de Mme Françoise Dekeuwer-Défossez sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative au nom patronymique dont il était le rapporteur. Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a considéré que le dispositif technique de ce texte n'était pas satisfaisant techniquement, non pertinent socialement et psychologiquement dangereux.

Elle a indiqué que ce texte ne tenait aucun compte de la dualité de situation de filiation entre l'enfant légitime et l'enfant naturel. Elle a fait état d'une différence de traitement entre les parents mariés pour lesquels le choix serait la règle et les parents non mariés pour lesquels s'appliqueraient des dispositions contradictoires avec, d'une part, le choix d'un nom commun à tous leurs enfants et, d'autre part, le maintien de la préférence chronologique en faveur du nom du parent qui a reconnu en premier lieu un enfant donné.

Elle a en outre signalé que l'inscription du nom dans l'acte de naissance était difficilement envisageable pour un enfant naturel, lorsque son nom pouvait ne pas être connu immédiatement, et découler d'une reconnaissance ultérieure par les parents.

Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a également fait valoir que cette réforme ne répondait pas à une réelle attente, dans la mesure où, selon une coutume profondément ancrée, ayant peu évolué, la plupart des femmes mariées portaient le nom de leur époux. Elle a mis en lumière le paradoxe selon lequel les épouses, tout en renonçant à leur propre nom, aspireraient à le transmettre à leurs enfants et donc à donner un nom qu'en fait elles ne portent pas. Elle s'est inquiétée que le choix offert aux parents ne soit déterminé que par des pesanteurs sociales et familiales et n'a pas caché le risque que la discorde s'installe dans les familles, le nom devenant un enjeu à l'intérieur du couple.

Elle a mis en avant que l'application du principe d'égalité entre les sexes dans les relations entre les parents n'avait aucun sens dans la mesure où les liens de paternité et de maternité obéissaient à une logique différente. Elle a rappelé à l'appui de cette observation, le point de vue des psychanalystes selon lequel l'enfant ne devait pas être l'objet de la mère et qu'il fallait lui donner le nom du père, tiers au lien mère-enfant. Elle a estimé que cette réforme ne conduirait qu'à satisfaire une minorité de femmes ayant conservé leur nom de jeune fille et désirant le transmettre tout en évacuant l'intérêt de l'enfant.

En réponse à M. Henri de Richemont qui s'interrogeait sur la compatibilité des règles de dévolution du nom avec la jurisprudence européenne consacrée par l'arrêt Burghartz contre Suisse du 22 février 1994, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a souligné que d'autres solutions que la triple option proposée aux parents pourraient être recherchées permettant aux femmes mariées de transmettre leur nom à leur enfant. Elle a estimé que cette jurisprudence n'avait pas nécessairement les conséquences qu'on avait voulu lui prêter en raison des spécificités de l'espèce.

Répondant à l'observation de M. Henri de Richemont selon laquelle il serait possible de permettre à l'enfant à sa majorité de changer de nom, Mme Françoise Dekeuwer-Défossez a fait remarquer qu'une telle solution obligerait l'enfant à éliminer une de ses lignées, le conduisant à substituer un nom à un autre.

Audition de Mme Chantal Lebatard, administrateur de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), en charge du département « sociologie, psychologie et droit de la famille ».

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Chantal Lebatard, administrateur de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), en charge du département « sociologie, psychologie et droit de la famille ».

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Lebatard, administrateur de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), en charge du département « sociologie, psychologie et droit de la famille ».

Mme Chantal Lebatard
a tout d'abord précisé qu'elle ne s'exprimerait pas en tant que juriste, mais en tant que représentante de l'ensemble des familles, et qu'elle s'attacherait à développer une vision prospective, au-delà des seuls problèmes conjoncturels.

Elle a souligné la nécessité de conserver une cohérence dans l'ensemble du droit de la famille en déplorant la procédure des propositions de loi qui conduit à une fragmentation regrettable.

Mme Chantal Lebatard a rappelé que l'UNAF avait participé à de nombreux travaux en collaboration avec le conseil supérieur du notariat et avait été associée au groupe de travail « rénover le droit de la famille » présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez.

Elle a souhaité rappeler que la question du conjoint survivant était à replacer dans l'ensemble du droit des successions et des libéralités.

S'agissant de la question de l'enfant adultérin, Mme Chantal Lebatard a précisé que l'UNAF était favorable à l'égalité successorale entre les enfants.

S'agissant du conjoint survivant, elle a tenu à rappeler que le droit existant ouvrait un large éventail de solutions et que peu de conjoints survivants se trouvaient réellement en difficulté, puisque plus de 80 % d'entre eux avaient préparé leur succession auparavant, et qu'une partie des 20 % restant avait sciemment choisi de relever des dispositifs légaux.

Elle s'est prononcée en faveur de la possibilité de modifier le régime matrimonial choisi sans homologation par le juge.

S'agissant de la remontée du conjoint survivant dans l'ordre successoral et de l'abandon de l'idée de faire de lui un héritier réservataire, elle a estimé qu'il s'agissait de mesures positives.

Enfin, elle a souligné que cette proposition de loi traitait principalement du dernier conjoint survivant et qu'il ne fallait pas négliger la situation des conjoints précédents, le dispositif en matière de pension de reversion pouvant servir d'exemple.

Regrettant la rigidité des mécanismes successoraux engendrés par la réserve, Mme Chantal Lebatard a souligné la montée d'une aspiration au droit individuel de disposer librement de ses biens acquis personnellement, contrebalançant le droit traditionnel basé sur la transmission d'un patrimoine familial. Elle a souligné l'importance de laisser le conjoint pré-décédé choisir librement sa transmission patrimoniale.

Elle a souhaité le développement d'une réelle information des personnes, devant intervenir à des moments clés, comme par exemple le mariage ou l'acquisition d'un bien immobilier. Plutôt que de rigidifier le droit, Mme Chantal Lebatard a estimé que cette solution permettrait de mieux responsabiliser les choix.

Elle a marqué que l'UNAF était sensible à la détresse des conjoints survivants devant une succession non préparée. Elle a souligné l'importance des dispositions relatives au maintien du conjoint survivant dans le logement.

Interrogée par M. Nicolas About, rapporteur, sur la disposition prévoyant le maintien dans le logement durant un an, elle l'a jugée positive, ceci devant permettre au conjoint survivant d'organiser sa nouvelle vie en fonction des ressources dont il dispose et de ses besoins. Elle s'est également déclarée favorable à l'idée de favoriser la transmission du bail, mais a souligné les risques d'imposer au conjoint survivant le maintien dans un logement qui ne correspondrait plus à ses besoins. Elle a donc souhaité une adaptation de cette disposition dans le sens de plus de souplesse.

En outre, Mme Chantal Lebatard a rappelé que l'augmentation de la quotité disponible, l'accession à un meilleur rang dans l'ordre de la succession et le bénéfice de l'usufruit total ne pouvaient constituer des solutions miracles et qu'il importait, avant tout, de bien informer les personnes, afin qu'elles préparent leur succession, le législateur devant se garder de trop d'interventionnisme.

Elle a enfin souhaité préciser qu'il convenait de ne pas mélanger les débats relatifs à la grande dépendance et à l'obligation alimentaire avec le problème du conjoint survivant.

Sur ce point, M. Jacques Larché, président, a rappelé qu'il était opposé à la suppression de la reprise partielle sur les successions.

Audition de Me Jacques Combret, membre du Conseil supérieur du notariat, rapporteur de la commission « Demain la famille » du 95e congrès des Notaires de France

La commission a enfin procédé à l'audition de Me Jacques Combret, membre du Conseil supérieur du notariat, rapporteur de la commission « Demain la famille » du 95e congrès des Notaires de France.

Me Jacques Combret
a indiqué qu'il s'apprêtait à livrer, au nom des 7.800 notaires de France et de leurs 43.000 collaborateurs, le sentiment de juristes de proximité, dont la préoccupation était d'apporter aux familles la meilleure sécurité juridique dans la préparation ou le règlement de leur succession.

Évoquant les interventions précédentes, il s'est déclaré en accord avec le professeur Catala sur la nécessité d'une réforme globale des successions, avec Mme Hervé, présidente de la FAVEC, sur le fait qu'il fallait légiférer pour les « Français moyens », pour lesquels le patrimoine commun aux époux était de plus en plus important, avec Mme le professeur Dekeuwer-Défossez sur la complexité croissante des compositions familiales et des patrimoines et avec Mme Lebatard, au nom de l'UNAF, sur l'importance prioritaire devant être accordée au logement commun et sur l'impérieuse nécessité de développer l'information des Français dans le domaine du droit de la famille.

S'interrogeant en premier lieu sur la population pour laquelle il fallait légiférer, Me Jacques Combret a souligné qu'il importait de tenir compte des bouleversements intervenus dans le domaine de la famille :

- diminution du nombre des mariages (leur nombre étant revenu de 476.000 en 1972 à environ 280.000 au cours de la période 1996-1999 et étant passé à 300.000 en 2000, alors que la population avait augmenté de 9 millions d'habitants pendant la même période) ;

- augmentation du nombre de divorces (55.000 par an dans les années 70 pour 120.000 aujourd'hui, avec un taux de divorcialité passant de 12 divorces pour 100 mariages à environ 40 divorces pour 100 mariages) ;

- taux de divorcialité élevé dans les générations mariées après les années 70, accompagné d'une fréquence élevée des remariages (d'après l'INSEE, en 1996, sur 280.000 mariages, 70.083 concernaient un époux divorcé et 23.343, deux époux divorcés).

Me Jacques Combret a considéré qu'une réforme des droits du conjoint survivant devait être élaborée en pensant à la génération qui avait atteint la cinquantaine, plutôt qu'à la génération précédente, qui avait connu peu de divorces et peu de recompositions familiales, et avait attendu pendant 20 ans une réforme qui n'était jamais venue.

Il a souligné que la génération dont les successions étaient aujourd'hui réglées avait bénéficié du développement de l'information et avait majoritairement pris des dispositions testamentaires ou des donations entre époux (une étude réalisée par le notariat en 1999 avait fait apparaître que 79 déclarations de successions sur 100 contenaient une disposition en faveur du conjoint).

Indiquant que l'évolution rapide des compositions familiales avait pris le notariat de vitesse, ce dernier étant amené à conseiller des dispositions testamentaires de plus en plus complexes pour répondre aux situations les plus diverses, il a insisté sur le fait que toute réflexion sur une réforme des droits des conjoints survivants devait impérativement se projeter dans l'avenir.

Me Jacques Combret, évoquant ensuite les évolutions intervenues dans le patrimoine des familles, a souligné que ce patrimoine était de plus en plus commun et issu de ressources provenant des deux époux, la part des biens dits de famille devenant marginale et les femmes bénéficiant de leurs propres ressources financières.

S'agissant de la gestion du patrimoine, il a souligné que les Français avaient de plus en plus recours aux transmissions anticipées au travers des donations, des donations-partages et des placements en assurance-vie.

Il a enfin rappelé que le patrimoine moyen des Français avait une valeur inférieure à 1 million de francs et se composait dans la majorité des cas, pour l'essentiel, du logement et du mobilier.

Il a indiqué que la réforme devait être conçue en fonction de la situation familiale et patrimoniale de la majorité des Français.

Passant à l'analyse des propositions de loi en examen, Me Jacques Combret a tout d'abord récapitulé les points d'accord entre les deux propositions qui recueillaient également l'assentiment du notariat :

- la place du conjoint survivant face aux ascendants ordinaires et aux collatéraux privilégiés, le conjoint survivant héritant la totalité de la succession en l'absence de descendants ou de père et mère du défunt ;

- la place du conjoint survivant face aux ascendants privilégiés, le conjoint survivant héritant la moitié ou les trois quarts de la succession en toute propriété, suivant qu'il se trouverait face à deux ou un seul parent ;

- la jouissance du logement et du mobilier dans l'année suivant le décès en tant qu'effet direct du mariage ;

- le principe du droit au maintien dans le logement commun après cette période d'une année ;

- la suppression de l'inégalité de traitement des enfants adultérins.

Me Jacques Combret a ensuite listé les questions abordées spécifiquement dans chaque proposition de loi.

S'agissant de la proposition de loi de l'Assemblée nationale, il a jugé intéressants :

- la protection des ascendants ordinaires dans le besoin qui pourraient réclamer des aliments à la succession lorsque le conjoint hériterait de droits en toute propriété. Il a cependant jugé que la rédaction adoptée en la matière était contestable ;

- l'octroi au conjoint survivant d'un droit d'usage et d'habitation sur le logement et le mobilier évalué à 60 % de la valeur de l'usufruit, pouvant être convertie en rente viagère ou en capital par accord entre les parties ;

- la refonte de l'article 207-1 du code civil relatif aux aliments dus par la succession à l'époux survivant dans le besoin, sa rédaction étant cependant problématique.

Il s'est en revanche déclaré défavorable à la création par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale d'une réserve héréditaire au profit du conjoint survivant.

S'agissant de la proposition de loi de M. Nicolas About, Me Jacques Combret a considéré que l'attribution préférentielle en usufruit du logement à côté de l'attribution préférentielle en propriété pourrait être une alternative envisageable. Il s'est déclaré favorable à la modification de l'article 1527 du code civil permettant d'étendre le bénéfice de l'action en retranchement à tous les enfants qui ne sont pas issus du mariage. Il s'est en revanche déclaré opposé à l'idée d'exiger qu'un époux informe l'autre en cas de révocation d'une donation. Il a souligné que la disposition prévoyant l'annulation des avantages matrimoniaux en cas de divorce et de séparation de corps devrait être harmonisée avec les textes relatifs au divorce figurant aux articles 267 et suivants du code civil.

Il a constaté que, sans surprise, les propositions de loi divergeaient totalement s'agissant des droits du conjoint survivant face aux descendants, soulignant que cette question était en tout état de cause très controversée et qu'il reviendrait en définitive au législateur de trancher.

Rappelant que, dans ce cas, la proposition de loi de M. Nicolas About optait pour l'attribution au conjoint survivant de l'usufruit universel en laissant la possibilité à chaque enfant d'exiger sa part réservataire en pleine propriété en échange de l'abandon de ses droits dans la quotité disponible, il a donné sa préférence à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale faisant le choix, d'une manière simple et claire, de l'attribution au conjoint du quart des biens en propriété et d'un droit au logement et au mobilier le garnissant.

Il a en effet considéré que, dans cette dernière hypothèse, le conjoint survivant aurait le plus souvent de facto la jouissance totale de la succession, dans la mesure où le patrimoine ne se compose, dans la majorité des cas, que du logement et du mobilier. Il a en outre estimé que l'option laissée à chaque héritier réservataire par la proposition de M. Nicolas About semblait très compliquée à mettre en oeuvre, voire impossible en présence d'enfants mineurs.

Il a ensuite émis, sur chaque proposition de loi, quelques critiques sur le plan technique.

S'agissant de la proposition de loi de l'Assemblée nationale, il a rejoint le professeur Catala en regrettant :

- l'emploi du terme « la succession » au lieu de l'expression « les biens existants », considérant qu'il ne convenait pas que les conjoints puissent exercer les droits sur des biens déjà donnés aux enfants par le conjoint prédécédé ;

- la possibilité pour un époux de retirer à son conjoint le droit à son logement par testament authentique. Il a considéré que ce droit ne devrait être retiré à un époux que dans le cas où il aurait gravement manqué à ses devoirs envers son conjoint, et par décision judiciaire ;

- l'instauration d'une réserve héréditaire quand le conjoint ne concourt avec aucun ascendant ou descendant. Il a considéré que si le législateur devait malgré tout maintenir une telle position, il faudrait à tout le moins prévoir qu'un tel droit disparaisse dès lors qu'une action en séparation de corps ou en divorce serait intentée ;

- le délai trop bref pour réclamer les aliments à la succession, une prolongation de ce délai jusqu'à l'achèvement du partage étant préférable.

S'agissant de la proposition de loi de M. Nicolas About, il a considéré que la complexité de la solution proposée permettant à chaque enfant d'exiger sa part réservataire en pleine propriété avait pour avantage de démontrer que l'usufruit universel n'était pas satisfaisant. Il a souligné que la proposition de loi ne réglait pas le risque de conflit entre un enfant qui réclamerait sa part en toute propriété et un conjoint qui voudrait une attribution du logement en usufruit.

En conclusion, citant le rapport rédigé pour le Congrès national des notaires en 1999, Me Jacques Combret a plaidé pour que la réforme ne soit pas limitée aux seuls droits du conjoint survivant, mais qu'elle s'applique à l'ensemble du droit successoral. Il a rappelé qu'une réforme globale avait fait l'objet de deux projets de loi élaborés sous des majorités politiques différentes et qu'elle recueillait l'aval de toutes les parties concernées. Il a considéré que la modernisation du droit des successions était nécessaire pour limiter les contentieux et apaiser les conflits, même s'ils étaient moins nombreux qu'on ne le disait parfois, avant que puisse être abordée la réforme du droit des libéralités rendue indispensable par l'évolution des situations familiales.

En réponse à M. Nicolas About, rapporteur, il a confirmé que les propositions de réforme des successions effectuées par les notaires et par les universitaires étaient en tous points comparables, sauf sur la question des droits du conjoint survivant. Il a considéré que le droit au logement articulé avec un quart des biens en propriété devrait suffire pour régler la situation des Français moyens et il s'est prononcé en faveur de l'intangibilité de ce droit au logement. Il a enfin considéré qu'il ne convenait pas, dans les règles de la dévolution légale, d'établir des distinctions entre les différentes situations familiales, non plus qu'en raison de l'origine du patrimoine, selon que les biens sont propres ou communs aux époux. Il a plaidé pour l'adoption d'une règle générale simple laissant à la liberté testamentaire le soin de régler les situations particulières.