Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Sécurité juridique - Actes authentiques sur support électronique - Audition de M. Jean-Paul Jean, président, et de Mme Isabelle de Lamberterie, rapporteur

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Paul Jean, président, et de Mme Isabelle de Lamberterie, rapporteur, accompagnés d'une délégation de membres du groupe de travail sur les actes authentiques sur support électronique.

M. Jean-Paul Jean, directeur de la mission de recherche droit et justice,
a rappelé l'engagement pris par Mme Élisabeth Guigou, alors ministre de la justice, lors de la discussion de la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve et relative à la signature électronique, d'associer les parlementaires à l'élaboration des décrets d'application. Il a noté que le groupement d'intérêt public « Mission de recherche droit et justice », constitué de membres du ministère de la justice et du CNRS, avait remis, dès 1997, un rapport sur l'écrit et les moyens technologiques à l'épreuve du droit. Il a indiqué que les membres du groupe de travail chargé d'une réflexion sur les actes authentiques sur support électronique tendaient à raisonner en juristes et avaient cherché à appliquer les principes juridiques à la technologie, et non l'inverse. Puis il a souligné le pragmatisme du projet de rapport du groupe de travail et les comparaisons internationales effectuées.

M. Jacques Larché, président, a approuvé le fait que les principes juridiques ne cèdent pas à la technologie.

Mme Isabelle de Lamberterie, directeur de recherches au CNRS-CECOJI, a rappelé que l'introduction dans la loi de la possibilité d'établir les actes authentiques sur support électronique résultait d'une initiative de la commission des lois du Sénat, le projet de loi initial ne visant que les actes sous seing privé. Elle a souligné que les membres du groupe de travail constitué au sein du GIP étaient non seulement des juristes, mais pratiquaient les actes authentiques et étaient confrontés au passage au support électronique dans les mairies, les greffes des tribunaux ou les études notariales. Elle a ajouté que les acteurs du monde de la technique étaient présents pour expliquer les contraintes inhérentes aux supports papier et électronique.

Malgré la spécificité de chaque catégorie d'actes authentiques, elle a fait savoir que le groupe de travail avait souhaité affirmer leurs points communs en proposant un décret général, ayant une fonction pédagogique. Elle a indiqué que celui-ci devrait poser les critères permettant l'harmonisation des systèmes techniques et régler les questions générales communes à l'ensemble des actes authentiques, en particulier le respect des solennités requises, en premier lieu la nécessaire présence physique de l'officier public. Elle a estimé que la signature électronique de l'acte devait s'inscrire dans le cadre de la procédure de création, de vérification et de certification des signatures électroniques sécurisées décrite dans le décret du 31 mars 2001, pris pour l'application de l'article 4 de la loi, relatif à la présomption de fiabilité. Elle a toutefois souligné la complexité d'une telle démarche, dans la mesure où la directive communautaire du 13 juin 1999 sur les signatures électroniques, comme le décret du 31 mars 2001 la transposant, utilisaient deux notions distinctes, la signature électronique et la signature électronique sécurisée (ou « avancée »), la seconde seule garantissant l'intégrité de l'acte.

Mme Isabelle de Lamberterie, directeur de recherches au CNRS-CECOJI, a mis en évidence les difficultés techniques de la conservation des signatures électroniques sécurisées, dans la mesure où les migrations successives ne permettaient pas la vérification de l'intégrité des données. Elle a écarté la solution tendant à signer les actes lors de la migration, en faisant valoir que la seule signature importante pour la définition de l'acte authentique était celle de l'officier public ayant établi l'acte. En conséquence, le groupe de travail a conclu à la nécessité de prévoir une signature électronique liée indissociablement aux données de l'acte mais ne pouvant être altérée lors des migrations successives.

Enfin, elle a noté que le statut des originaux et des copies ne dépendait pas du support utilisé (papier ou électronique), mais des conditions dans lesquelles étaient établis les actes.

M. Jean-Dominique Mathias, administrateur au Conseil supérieur du notariat, a estimé que l'introduction par le Sénat de la possibilité de dresser les actes authentiques sur support électronique avait rétabli la cohérence de la réforme du droit de la preuve, dans la mesure où l'acte authentique était placé au sommet de la hiérarchie des modes de preuve littérale. Il a fait part de sa préférence pour l'adoption de plusieurs décrets d'application, un pour chaque type d'acte authentique.

Appelant à la prudence, il a mis en garde contre le risque de confusion entre authentification et certification, entretenu par la terminologie employée par les professionnels de l'informatique. Il a insisté sur le rôle de conseil et de contrôle dévolu au notaire, chargé de vérifier l'identité des parties, de contrôler le contenu de la convention, de s'assurer de la sincérité du consentement et de l'équilibre du contrat ou encore de l'opportunité du montage juridique retenu ; pour toutes ces raisons, il a jugé que la présence physique du notaire constituait l'essence même de l'authenticité.

M. Jean-Dominique Mathias, administrateur au Conseil supérieur du notariat, a fait savoir que l'établissement des actes notariés sur support électronique était d'ores et déjà possible, grâce au réseau intranet sécurisé Réal, dont étaient équipés deux tiers des offices, et à la carte Réal à microprocesseur détenue par 3.000 notaires, soit la moitié de la profession. Rappelant que la loi du 13 mars 2000 ne remettait en cause ni le droit de la preuve, ni la hiérarchie des actes, ni les solennités requises pour les actes authentiques, il a annoncé que le notariat était favorable à une modification du décret du 26 novembre 1971 relatif à la compétence d'instrumentation des notaires afin de consacrer la forme électronique de l'authenticité. Enfin, il a précisé que la signature des parties n'était pas nécessairement une signature électronique sécurisée, puisque la présence du notaire garantissait l'identité des parties.

M. Jean-Luc Iffrig, directeur du service population de la ville de Strasbourg, a illustré les enjeux de la loi du 13 mars 2000 pour les services d'état civil, en soulignant que ceux-ci étaient partagés entre le nécessaire respect du formalisme garantissant l'intégrité des actes d'état civil et le souci de simplifier les démarches administratives. Il a tout d'abord indiqué les règles avec lesquelles les services ne transigeaient pas, contenues dans l'instruction générale relative à l'état civil et conférant aux pièces d'état civil leur caractère authentique, à savoir la signature manuscrite de l'officier d'état civil et le support papier utilisé tant pour le registre de création des actes que pour les mentions marginales et la délivrance de copies et d'extraits.

Il a ensuite fait part des pratiques de simplification, en marge de l'instruction générale, concernant en particulier les déclarations de naissance et de décès effectuées majoritairement par les hôpitaux d'une part, les entreprises de pompes funèbres d'autre part, les demandes de communication des copies et extraits par minitel ou internet (le service d'état civil envoyant des documents sur support papier), et l'archivage sur support électronique.

M. Jean-Luc Iffrig, directeur du service population de la ville de Strasbourg, a estimé que la loi du 13 mars 2000, conférant la même force probante aux documents sur support électronique qu'aux documents sur support papier, et permettant la signature d'une partie « par elle-même » et non « de sa main », ouvrait des perspectives intéressantes pour les services d'état civil. Il s'est toutefois interrogé sur la fiabilité de l'archivage électronique et des échanges de documents par internet, ainsi que sur les difficultés liées à l'absence de compatibilité et d'interopérabilité des systèmes informatiques utilisés par les différentes mairies, préfectures et greffes des tribunaux. Après avoir évoqué l'idée de doter chaque citoyen d'une carte électronique d'état civil, il a estimé que des villes pilotes pourraient être choisies afin d'expérimenter l'électronisation des registres d'état civil.

Mme Françoise Banat-Berger, chef du service des archives du ministère de la justice, a indiqué qu'à la différence des actes sous seing privé, dont la conservation n'excédait pas trente ans, les actes authentiques, en fonction de leur valeur probante et de leur intérêt historique, pouvaient nécessiter un archivage pour une durée non limitée, représentant un défi tant technique que financier et d'organisation.

S'agissant des défis techniques, outre l'obsolescence rapide des formats de lecture et l'absence de toute expérience en matière d'archivage des signatures électroniques, elle a regretté que, sous la pression de l'INSEE, les états civils des grandes villes aient été informatisés sans principe directeur ni contrôle, au moyen d'applications très hétérogènes et non compatibles entre elles. Elle en a conclu que la question de la conservation des actes devait être posée dès la mise en place des systèmes informatiques et a souhaité que la normalisation s'effectue sous l'impulsion de la direction des archives de France.

Elle a ensuite mis en évidence certains problèmes financiers et d'organisation institutionnelle, liés au fait que les collectivités locales assuraient l'archivage des actes de l'état civil pour le compte de l'Etat. En l'absence de toute évaluation du coût de l'archivage électronique pour les services des archives départementales, elle s'est demandé dans quelle mesure les collectivités locales accepteraient de financer cette nouvelle charge, et si la centralisation de l'archivage électronique n'était pas préférable.

M. José Balarello s'est interrogé sur les fraudes possibles en matière d'état civil sur support électronique. Il a demandé si la Conservation des hypothèques était menacée par l'informatisation des actes authentiques. Enfin, il a souhaité avoir des précisions sur les transactions immobilières avec les pays situés hors de l'Union européenne.

M. Jean-Paul Jean a répondu que les principes en vigueur n'étaient pas modifiés par le support électronique.

M. Jean-Dominique Mathias a indiqué que l'établissement des actes authentiques à distance n'était pas envisagé à l'heure actuelle, chaque partie à un contrat international étant reçue chez son notaire et signant une procuration.

Mme Isabelle de Lamberterie a ajouté que la capacité technique d'établir des actes à distance ne devait pas induire nécessairement la reconnaissance juridique de cette possibilité ; en l'occurrence, elle a souligné qu'il n'était pas question de remettre en cause la nature de l'acte authentique, en particulier la présence de l'officier public et l'encadrement très strict des possibilités de procuration. Elle a ajouté que la Conservation des hypothèques n'était pas menacée de disparition.

M. Jean-Jacques Hyest s'est inquiété du risque de perdre une partie du patrimoine écrit et de la mémoire collective lors des migrations d'archives électroniques.

Estimant que cette inquiétude était légitime, Mme Françoise Banat-Berger a indiqué que la réflexion sur les migrations de support et les migrations de format intégrait la conservation des métadonnées, renseignant sur l'historique des migrations successives.

M. Jacques Larché, président, s'étant demandé si tous les problèmes pouvaient être résolus par décret, et si le groupe de travail avait établi une liste exhaustive des différentes catégories d'actes authentiques, M. Laurent Jacques, adjoint au chef de bureau du droit civil général au ministère de la justice, a répondu qu'aucun texte législatif ne s'opposait à l'élaboration des actes authentiques sur support électronique. Il a ajouté qu'outre les trois catégories d'actes authentiques les plus importantes en volume, à savoir les jugements, les actes d'état civil et les actes notariés, existaient d'autres types d'actes authentiques, que le groupe de travail n'avait pas recensés de façon exhaustive ; il a cité certains actes des huissiers de justice, comme les significations, et des commissaires priseurs, comme les procès verbaux d'adjudication.

M. Jean-Paul Jean a indiqué que le groupe de travail remettrait son rapport définitif à la fin du mois de juin au ministre de la justice. 

Nomination des rapporteurs

Puis la commission a procédé à la nomination de rapporteurs sur les textes suivants :

- M.  Paul Girod pour le projet de loi n° 340 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la Corse ;

- M. Patrice Gélard pour la proposition de loi n° 324 (2000-2001) de MM. Jacques Oudin et plusieurs de ses collègues, relative à la clarification des modalités de la mise à disposition des fonctionnaires ;

- M. Jean-Jacques Hyest pour la proposition de résolution n° 332 (2000-2001) présentée par MM. Henri de Raincourt, Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel et Josselin de Rohan, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs ;

M. Jean-Pierre Schosteck pour la proposition de résolution n° 331 (2000-2001) tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la présence sur le territoire national de dépôts de munitions datant des deux guerres mondiales, aux conditions de stockage de ces munitions et à leur destruction.

Outre-mer - Mayotte - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. José Balarello, à l'examen du projet de loi n° 262 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à Mayotte.

M. José Balarello, rapporteur,
a tout d'abord rendu compte de la mission qu'il avait effectuée en avril dernier à Mayotte, avec M. Simon Sutour, afin de préparer l'examen du projet de loi.

Il a rappelé que le présent projet de loi était attendu depuis plus de 25 ans et que Mayotte était la seule île de l'archipel des Comores à avoir choisi de demeurer française en 1975. Dotée d'un statut provisoire par la loi du 24 décembre 1976, sa population n'avait finalement été consultée sur un statut définitif qu'en juillet dernier.

Il a ensuite indiqué que le présent projet de loi reprenait les grandes orientations dégagées par l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, entre les principales forces politiques de l'île et le Gouvernement, les deux parlementaires de l'île, MM. Henry Jean-Baptiste et Marcel Henry, ayant quant à eux refusé de le signer et souhaitant faire de Mayotte un département d'outre-mer.

M. José Balarello, rapporteur, a rappelé que Mayotte constituait actuellement une collectivité territoriale sui generis qui empruntait à la fois au département d'outre-mer par son organisation administrative (existence d'un conseil général, division en communes et cantons) et au territoire d'outre-mer (maintien du principe de spécialité législative et permanence d'un statut personnel).

Il a souligné que le présent projet de loi proposait de transformer Mayotte en collectivité départementale, l'adjectif « départementale » devant rassurer les Mahorais sur leur appartenance à la République française, tout en permettant les adaptations nécessitées par les fortes particularités de Mayotte.

En effet, il a précisé que Mayotte, qui était située entre le Mozambique et Madagascar, à plus de 7.000 km de la métropole et 1.700 km de la Réunion, comptait 170.000 habitants, dont près de 75 % ne parlaient pas français, et dont 40 % étaient illettrés.

Par ailleurs, M. José Balarello, rapporteur, a souligné que près de 95 % de la population était musulmane et qu'une bonne partie d'entre elle était soumise à un statut civil de droit local inspiré du droit musulman et de coutumes africaines et malgaches, ce statut personnel s'appliquant aux seuls Mahorais musulmans qui, aux termes de l'article 75 de la Constitution, « le conservent tant qu'ils n'y ont pas renoncé ». Il a ainsi évoqué la pratique de la polygamie, de la répudiation et de l'inégalité successorale entre hommes et femmes, ainsi que la non-reconnaissance des enfants naturels.

Il s'est interrogé sur la comptabilité de cette situation avec les principes d'égalité et de non-discrimination, ainsi qu'avec les engagements internationaux de la France.

M. José Balarello, rapporteur, a toutefois reconnu que l'application stricte du droit commun paraissait à plusieurs égards impossible en l'état, l'absence de nom patronymique transmissible rendant difficile l'établissement d'un état civil fiable.

Il a ensuite évoqué les réformes lancées par les ordonnances 2000-218 et 2000-219 du 8 mars 2000 visant à mettre en place un véritable état civil, les Mahorais étant invités à se choisir un nom et un prénom, tandis qu'une commission de révision de l'état civil dont les travaux viennent de commencer en avril 2001 doit vérifier et rectifier les deux états civils (de droit commun et de droit local).

Il a, de même, souligné l'insécurité juridique entraînée par l'absence de cadastre et d'obligation de déclaration de transfert de propriété des immeubles.

M. José Balarello, rapporteur, a ensuite évoqué les difficultés auxquelles Mayotte est confrontée. Il a rappelé que le taux de chômage atteignait 40 %, Mayotte connaissant une explosion démographique due, pour les deux tiers, à l'augmentation de la natalité et, pour un tiers, à l'immigration (principalement en provenance des Comores, les étrangers représentant 50.000 personnes).

Il a souligné que cette évolution démographique était génératrice de tensions et freinait largement les possibilités de développement.

S'agissant du présent projet de loi, il a indiqué qu'il traitait principalement d'organisation administrative et qu'il s'agissait, en premier lieu, de rendre applicables à Mayotte le premier et le troisième livres du code général des collectivités territoriales concernant respectivement les dispositions générales applicables aux collectivités territoriales et les dispositions relatives au département.

M. José Balarello, rapporteur, a en effet rappelé que les lois de décentralisation n'étaient pas actuellement applicables à Mayotte et que le projet de loi prévoyait de rendre applicable à Mayotte la loi du 2 mars 1982 supprimant la tutelle a priori des actes de la collectivité départementale par le préfet, cette application se faisant de manière progressive.

Il a ainsi indiqué que le représentant du Gouvernement cesserait d'être l'exécutif de la collectivité en 2004, le président du conseil général assurant alors cette fonction, tandis qu'une tutelle des actes de la collectivité départementale demeurerait (sous une forme allégée), jusqu'en 2007, date à laquelle le contrôle de légalité et le contrôle de la chambre régionale des comptes s'exerceraient dans les conditions de droit commun.

M. José Balarello, rapporteur, a précisé qu'une clause de rendez-vous prévoyait qu'en 2010, le conseil général pourrait demander au Gouvernement une évolution du statut de Mayotte, celui-ci restant cependant libre d'y répondre ou non.

Il a indiqué que Mayotte demeurerait soumise au principe de spécialité législative, certains domaines relevant néanmoins désormais de l'assimilation législative.

M. José Balarello, rapporteur, a par ailleurs précisé que des outils de développement économique en direction des entreprises privées seraient mis en place (fonds mahorais de développement, agence de développement, création de trois chambres consulaires), ainsi que des dispositions relatives à l'aménagement foncier et à l'urbanisme.

Il a regretté que le projet de loi reste très prudent s'agissant du statut personnel, dans la mesure où il fixait uniquement les procédures de renonciation au droit personnel, tout en précisant que les femmes pouvaient librement exercer une profession et disposer de leurs biens. Il a indiqué que l'Assemblée nationale avait précisé, sur ce point, que la collectivité départementale et l'Etat mèneraient des actions afin de favoriser l'égalité des hommes et des femmes et créé un comité de réflexion sur l'évolution du statut personnel.

De plus, il a rappelé que le projet de loi aménageait la juridiction compétente en matière de droit personnel en prévoyant que les cadis (juges musulmans) siègeraient dorénavant en tant qu'assesseurs au sein du tribunal de droit commun, cette disposition devant permettre une plus grande cohérence dans l'application du droit local.

Enfin, il a précisé que le projet de loi prévoyait ensuite de réformer le statut fiscal et dérogatoire de l'île et habilitait le Gouvernement à prendre des ordonnances en matière de justice et d'organisation des communes notamment.

Un large débat s'est alors engagé au cours duquel MM. Jacques Larché, président, Lucien Lanier et Simon Sutour, se sont interrogés sur les possibilités d'accès de Mayotte aux fonds structurels. M. Jacques Larché, président, a regretté que la rédaction de l'article 299, alinéa 2, du traité instituant les communautés européennes, liée à la notion de département d'outre-mer, bloque les possibilités d'évolution de l'Outre-mer.

M. Simon Sutour a alors fait part de ses impressions s'agissant de la situation de Mayotte, en soulignant que l'immigration lui paraissait constituer le problème majeur de l'île, qui compte près de 60.000 étrangers sur 160.000 habitants. Il a exprimé ses doutes quant à la réelle volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la maîtrise de cette situation. Il a appelé à un développement de la coopération régionale avec Anjouan.

Par ailleurs, il a rappelé que 95 % de la population était musulmane et soumise à un statut personnel très particulier. Il a d'ailleurs indiqué qu'il était nécessaire d'assurer une formation aux cadis qui remplissent un rôle social très important.

Il a ensuite été procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur.

A l'article 5 (dispositions communes à la collectivité départementale et aux communes de Mayotte), la commission a adopté cinq amendements.

La commission a tout d'abord adopté un amendement repoussant l'application de l'article L. 1722-1 du code général des collectivités territoriales à 2007, cet article concernant la coopération décentralisée faisant référence à des dispositions applicables en 2007.

La commission a ensuite adopté un amendement rédactionnel à l'article 1761-1 du code général des collectivités territoriales, puis un amendement repoussant à 2007 l'application de l'article L. 1612-12 du code général des collectivités territoriales, cet article concernant la présentation du compte administratif faisant référence à des dispositions applicables en 2007.

La commission a enfin adopté deux amendements de coordination à l'article 1781-2 du code général des collectivités territoriales.

Avant les articles 6 et 13 et après l'article 16, la commission a adopté trois amendements de coordination tendant à insérer des articles additionnels de coordination.

A l'article 19 (modalités d'application du code général des collectivités territoriales à la collectivité départementale de Mayotte), la commission a adopté un amendement permettant au président du conseil général de Mayotte de participer, à sa demande, aux négociations avec l'Union européenne relative aux mesures spécifiques à l'association des pays et territoires d'outre-mer.

A l'article 23 (publication des actes administratifs à Mayotte jusqu'en 2004), la commission a adopté un amendement rédactionnel.

M. Simon Sutour ayant évoqué sa réflexion sur la possibilité de prévoir qu'à partir du 1er janvier 2010 les enfants naissant à Mayotte soient de statut de droit commun, un large débat s'est alors engagé entre, d'une part, MM. Patrice Gélard et Lucien Lanier, partisans du dépôt d'un amendement rédigé par M. José Balarello, rapporteur, au motif que Mayotte, en prétendant à un statut proche de celui des départements d'outre-mer, ne pouvait vouloir en même temps pérenniser un système fortement dérogatoire au droit commun, et MM. Jacques Larché, président, et Simon Sutour, d'autre part, qui estimaient que la société mahoraise n'était pas prête dans l'immédiat pour un tel bouleversement, la création d'un comité de réflexion sur l'évolution du statut personnel devant permettre une évolution plus progressive.

M. Daniel Hoeffel ayant indiqué qu'il lui apparaissait préférable que la commission ne prenne pas une telle initiative, il en a été ainsi décidé.

A l'article 55 (habilitation du Gouvernement en application de l'article 38 de la Constitution), la commission a donné un avis favorable à un amendement élargissant le champ de l'habilitation au développement de la formation des agents de la fonction publique territoriale.

La commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

Parlement - Directives communautaires - Transposition des directives communautaires, par l'inscription de ces textes à l'ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale et contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires - Examen des rapports

La commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Lucien Lanier, à l'examen de la proposition de loi constitutionnelle n° 74 (2000-2001), de MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du groupe du rassemblement démocratique et social européen, tendant à permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires, par l'inscription de ces textesà l'ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale, et de la proposition de loi n° 183 (2000-2001), de MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou, complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires.

M. Lucien Lanier, rapporteur,
a tout d'abord rappelé qu'à la fin de l'année 2000 le Gouvernement avait demandé au Parlement de l'habiliter à transposer par ordonnances plus de cinquante directives communautaires, portant notamment sur des sujets aussi importants que la mutualité ou le réseau « Natura 2000 ». Il a souligné qu'au moment du dépôt de ce projet de loi, la France devait transposer 176 directives communautaires, dont 136 étaient en retard de transposition. Il a indiqué qu'un tel retard n'était pas acceptable dès lors qu'il était source d'insécurité juridique, avait pour conséquence l'engagement de procédures contentieuses contre la France et donnait une image déplorable de notre pays.

Le rapporteur a indiqué que le Parlement avait accepté le recours à la procédure des ordonnances pour apurer le retard en matière de transposition des directives, mais que les parlementaires avaient demandé au Gouvernement de prendre des initiatives afin qu'une telle situation ne puisse plus se reproduire.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a précisé que, dès le 14 novembre 2000, MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du groupe du rassemblement démocratique et social européen avaient déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à permettre l'inscription à l'ordre du jour du Parlement des projets de loi de transposition en cas de carence gouvernementale. Il a souligné que le 16 janvier 2001, MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou avaient déposé une proposition de loi tendant à permettre un contrôle du Parlement sur la procédure de transposition des directives.

Le rapporteur a alors noté que, malgré ces initiatives émanant du Sénat, le Gouvernement n'avait entrepris aucune démarche pour résoudre la question du retard de transposition des directives, contrairement aux engagements pris lors de la discussion du projet de loi tendant à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance des directives communautaires. Il a fait valoir qu'il avait fallu attendre l'inscription à l'ordre du jour réservé du Sénat des deux propositions de loi pour que le Gouvernement envisage la création d'un groupe de travail chargé de proposer des solutions à l'automne prochain.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a alors souligné que cette initiative tardive du Gouvernement ne devait pas conduire le Sénat à renoncer à la discussion des propositions de loi. Il a indiqué que la démarche du Sénat ne pouvait qu'être utile au Gouvernement dans la recherche de formules satisfaisantes pour la transposition de directives. Il a indiqué que l'adaptation à la construction européenne était un processus de plus en plus exigeant, en particulier pour les administrations, et qu'il convenait de rechercher le plus rapidement possible des solutions satisfaisantes, le Parlement et le Gouvernement devant travailler de manière conjointe sur cette question.

Le rapporteur a alors rappelé que malgré l'adoption du projet de loi d'habilitation à transposer par ordonnance des directives communautaires, la France demeurait à l'avant-dernier rang des États membres de l'Union en matière de transposition des directives selon le dernier « tableau d'affichage du marché intérieur » publié par la Commission européenne. Il a fait valoir que cette situation ne s'expliquait pas pour l'essentiel par l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées, mais bien davantage par des dysfonctionnements administratifs et par les hésitations des gouvernements à inscrire à l'ordre du jour du Parlement des projets de loi de transposition suscitant des débats politiques que le pouvoir exécutif préférerait éviter. Il a rappelé que deux tiers des directives en retard de transposition étaient de nature réglementaire.

Évoquant les dysfonctionnements administratifs, le rapporteur a observé qu'une circulaire du 9 novembre 1998 avait tenté de résoudre les difficultés, notamment en imposant aux administrations concernées l'élaboration d'une étude d'impact sur toutes les propositions de directives, précisant notamment la liste des textes de droit interne qui devraient être modifiés en cas d'adoption de la proposition de directive. Cette circulaire prévoyait également l'établissement d'un échéancier de transposition des directives définitivement adoptées. Il a constaté que les prescriptions de la circulaire du Premier ministre n'étaient cependant pas mises en oeuvre.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a alors indiqué que la proposition de loi présentée par MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou avait pour objet de modifier l'article 6 bis de l'ordonnance de 1958 définissant le rôle des délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat pour prévoir la transmission, à ces délégations, d'une étude d'impact juridique sur les propositions d'actes des Communautés européennes ou de l'Union européenne, ainsi que d'un échéancier de transposition des directives définitivement adoptées. Il a estimé qu'une telle transmission permettrait de vérifier que les études d'impact et les échéanciers de transposition étaient bien établis et offrirait au Parlement un moyen de vérifier que les directives pourraient être transposées dans les délais prévus.

Le rapporteur a ensuite souligné que la proposition de loi constitutionnelle de MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du groupe du rassemblement démocratique et social européen tendait pour sa part à imposer l'inscription à l'ordre du jour prioritaire du projet de loi de transposition d'une directive six mois avant l'expiration du délai fixé par la directive pour sa transposition. Si le Gouvernement ne procédait pas à l'inscription à l'ordre du jour, toute proposition de loi ayant le même objet serait inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. Le rapporteur a observé qu'un tel système serait contraignant pour le Gouvernement, mais qu'il tendait simplement à l'obliger à respecter les engagements qu'il avait pris lors des négociations au sein du Conseil de l'Union européenne.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a cependant noté que la proposition de loi constitutionnelle ne garantirait que l'inscription du texte à l'ordre du jour de la première assemblée saisie, et non la conduite de l'ensemble du processus de transposition. Il s'est en outre demandé si le recours à des propositions de loi de transposition serait un instrument adapté pour la transposition de directives parfois extrêmement techniques. Il a en conséquence proposé de modifier le dispositif afin de compléter l'article 48 de la Constitution pour prévoir qu'une séance par mois serait réservée à la transposition des directives communautaires et à l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions internationales. Il a précisé que l'ordre du jour de cette séance serait fixé par le Gouvernement ou, à défaut, par chaque assemblée.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a alors indiqué que les deux propositions de loi étaient complémentaires et cohérentes. Il a estimé qu'elles inciteraient le Gouvernement à mettre de l'ordre dans le processus de transposition des directives et que leur adoption n'empêcherait nullement la poursuite d'une concertation entre le Gouvernement et les assemblées sur ces questions.

M. Simon Sutour a tout d'abord observé que les difficultés de transposition des directives communautaires étaient anciennes et qu'elles avaient concerné l'ensemble des gouvernements. Il a rappelé que, lors du débat sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, s'était déclaré prêt à réfléchir avec les assemblées à des solutions permettant d'éviter un nouveau recours aux ordonnances. Il a indiqué que, sur cette question, le Sénat ne pouvait dialoguer seul avec le Gouvernement, l'Assemblée nationale ayant également un rôle important à jouer. Il a rappelé que M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, avait formulé des propositions tendant notamment à modifier le règlement de l'Assemblée nationale.

M. Simon Sutour s'est déclaré favorable à l'adoption de la proposition de loi présentée par MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou. Il s'est en revanche déclaré réservé à l'égard du dispositif proposé par M. Aymeri de Montesquiou dans sa proposition de loi constitutionnelle. Il s'est interrogé sur la méthode suivie par le rapporteur, consistant à proposer à la commission un dispositif entièrement différent de celui qui figurait dans la proposition de loi constitutionnelle initiale, et a en conséquence réservé la position de son groupe sur la solution proposée par le rapporteur.

M. Lucien Lanier, rapporteur, a indiqué que le Sénat était dans son rôle en incitant le Gouvernement à rechercher des solutions au retard actuel de la France en matière de transposition de directives.

M. Jacques Larché, président, a observé que le problème de la transposition des directives était important, mais que celui de l'intervention du Parlement avant l'adoption de ces directives l'était plus encore. Il a estimé que le Parlement n'était pas suffisamment associé lors de l'élaboration des textes communautaires et que les résolutions adoptées par les assemblées n'étaient pas prises en compte. Il a souligné que l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées ne facilitait pas la transposition, dans de bonnes conditions, des directives communautaires et a rappelé qu'il était personnellement favorable à ce que les commissions permanentes puissent examiner certains projets ou propositions de loi, sans qu'il soit nécessaire qu'ils soient ensuite examinés en séance publique. Il a enfin noté que l'un des deux textes soumis à la commission était une proposition de loi constitutionnelle, qui ne pourrait être définitivement adoptée qu'après référendum.

La commission a alors adopté la proposition de loi et la proposition de loi constitutionnelle dans les rédactions proposées par le rapporteur.