Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Droit civil - Succession - Droits du conjoint survivant - Examen des amendements

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a examiné, sur le rapport de M. Nicolas About, les amendements à la proposition de loi n° 224 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint survivant.

A l'article 2 (droits successoraux du conjoint survivant), la commission a examiné l'amendement n° 56 de MM. Serge Lagauche et Robert Badinter et les membres du groupe socialiste, tendant à accorder au conjoint, lorsque tous les enfants sont issus du mariage, une option entre l'usufruit de la totalité des biens existants et le quart en propriété sur ces mêmes biens, et à lui attribuer automatiquement un quart des biens existants en présence d'enfants issus d'un autre lit.

M. Robert Badinter a indiqué que l'amendement reprenait la solution proposée par le projet de loi déposé par M. Pierre Méhaignerie en 1995, après celui de M. Michel Sapin, sous réserve d'une différenciation des situations familiales, rendue indispensable par la multiplication des familles recomposées, permettant d'éviter aux enfants d'un autre lit de supporter l'usufruit du conjoint. Il a estimé que, dans une matière ayant fait l'objet de travaux approfondis de longue date, il était préférable de reprendre une solution déjà étudiée plutôt que d'en présenter une nouvelle. Il a considéré que la position adoptée par l'Assemblée nationale accordant dans tous les cas un quart des biens au conjoint survivant était, de manière inexplicable, très en retrait pour le conjoint survivant par rapport aux propositions antérieures.

M. Nicolas About, rapporteur, a observé que la proposition de M. Robert Badinter, comme celle de la commission, accordait au conjoint des droits sur les biens existants et non sur l'ensemble de la succession et différenciait les solutions en fonction des situations familiales mais qu'elle donnait au conjoint des droits moins importants en présence d'enfants communs puisque la commission avait prévu dans ce cas de lui accorder un quart des biens en propriété en plus de l'usufruit sur la totalité des biens.

M. Robert Badinter a jugé que, sur ce dernier point, le texte proposé par la commission favorisait trop le conjoint par rapport aux enfants communs auxquels il n'accordait que des droits réduits en nu-propriété.

M. Nicolas About, rapporteur, estimant que, dans leur principe, les deux propositions n'étaient pas éloignées, s'en est remis à la sagesse de la commission. Il a cependant précisé que si celle-ci souscrivait à la proposition de M. Robert Badinter, cette dernière devrait être prise en compte dans la rédaction de l'article 757 du code civil donnée par l'amendement n° 3 de la commission. Il a en outre souligné qu'il faudrait, dans ce cas, encadrer l'exercice de l'option du conjoint, comme le faisait le projet de M. Pierre Méhaignerie, de manière à éviter d'éventuels blocages dus à l'absence d'exercice de l'option.

M. Jacques Larché, président, a fait ressortir la complexité procédurale engendrée par l'exercice de l'option par le conjoint. Il a marqué sa préférence, dans le cadre de la dévolution légale, pour une solution automatique évitant au conjoint d'être tenu d'exercer, à un moment où il se trouve dans une situation éprouvante, une option dont les enjeux peuvent lui être difficiles à mesurer.

M. Jean-Jacques Hyest a considéré que la proposition de la commission accordant au conjoint un quart des biens et l'usufruit sur la part des enfants communs établissait une trop grande disparité entre ces enfants et ceux d'un autre lit.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de rectifier son amendement n° 3 de manière à :

- accorder au conjoint, en présence d'enfants qui seraient tous issus du mariage, une option entre le quart de la propriété des biens existants et l'usufruit sur la totalité de ces biens et lui attribuer automatiquement un quart des biens existants en présence d'enfants non issus du mariage ;

- compléter le texte par quatre articles (art. 758-1 à 758-4) prévoyant les modalités de mise en oeuvre de l'option, en offrant aux héritiers la possibilité d'inviter le conjoint à se prononcer dans un délai de trois mois au-delà duquel il serait réputé avoir opté pour l'usufruit.

A ce même article 2, la commission a considéré que l'amendement de coordination n° 57 des mêmes auteurs était sans objet.

Après l'article 2, la commission a constaté que l'amendement n° 58 des mêmes auteurs tendant à organiser la conversion de l'usufruit du conjoint en rente viagère ou en capital était satisfait par l'amendement n° 4 de la commission.

A l'article 3 (droit au logement), la commission a constaté que l'amendement n° 53 présenté par Mme Nicole Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à rendre intangible le droit d'habitation et d'usage, était satisfait par son propre amendement n° 5.

Elle a ensuite donné un avis défavorable à l'amendement n° 59 présenté par MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Robert Badinter et les membres du groupe socialiste, ainsi qu'au sous-amendement n° 60 des mêmes auteurs, tendant à prévoir la récompense des enfants d'un autre lit si les droits successoraux du conjoint excédaient le montant du droit d'habitation et d'usage.

M. Nicolas About, rapporteur, a fait ressortir que le droit d'habitation excéderait rarement les droits successoraux du conjoint et que la commission avait prévu une récompense dans le cas où l'importance du logement dépasserait manifestement les besoins effectifs du conjoint. Appuyé par M. Jean-Jacques Hyest, il n'a pas jugé utile de complexifier le système en différenciant sur ce point la situation des enfants issus ou non issus du mariage.

A l'article 3 bis (couverture du risque décès en cas de suicide), la commission a donné un avis favorable au sous-amendement n° 63 à son amendement n° 6, présenté par M. Jacques Machet, tendant à prévoir que l'augmentation de garantie en cas d'assurance décès ne serait effective en cas de suicide qu'à compter de la deuxième année suivant sa souscription.

Elle a constaté que l'amendement n° 62 présenté après l'article 3 bis par MM. Serge Lagauche et Robert Badinter tendant à supprimer la théorie des co-mourants était satisfait par son propre amendement n° 18 après l'article 9.

Elle a ensuite donné un avis favorable sur le principe de l'amendement n° 61 présenté par MM. Michel Charasse, Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste tendant à prévoir un cas d'indignité supplémentaire touchant une personne qui se serait donné la mort après avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt. Elle a cependant subordonné son avis favorable à la transformation de cet amendement en sous-amendement à son amendement n° 18 procédant à la réécriture, après l'article 9, de l'article 727 du code civil relatif à l'indignité.

Elle a enfin donné un avis favorable à l'amendement n° 64 de M. Jacques Machet tendant à permettre la souscription d'un contrat en cas de décès, dans le cadre d'un contrat d'assurance de groupe à adhésion obligatoire, sans que soit exigé le consentement de la personne sur la tête de laquelle est souscrite une garantie. Elle a constaté en conséquence qu'était satisfait l'amendement n° 55, ayant le même objet, présenté après l'article 9 bis par MM. Joseph Ostermann et Henri de Richemont.

Après l'article 9 bis, la commission a donné un avis favorable à l'amendement n° 51 de M. Jean-Jacques Hyest tendant à préciser que le régime de révision de la prestation compensatoire institué par la loi du 30 juin 2000 s'appliquerait aux prestations fixées par les parties dans leur convention homologuée dans le cadre d'un divorce sur requête conjointe, contrairement à l'interprétation de la loi donnée par plusieurs juridictions de première instance. Elle a en outre donné un avis favorable à l'amendement de coordination n° 52 du même auteur.

La commission a enfin donné un avis favorable à l'amendement n° 54 de Mme Lucette Michaux-Chevry et de M. Henri de Richemont tendant à supprimer le plafonnement des pensions de réversion perçues par les veufs de femmes fonctionnaires, de manière à aligner, sur ce point, la situation des veufs sur celle des veuves.

Droit civil - Nom patronymique - Audition de Mme Marie-France Valetas, chargée de recherches à l'Institut national d'études démographiques (INED) et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à des auditions publiques sur la proposition de loi n° 225 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale relative au nom patronymique.

La commission a tout d'abord entendu Mme Marie-France Valetas, chargée de recherches à l'Institut national d'études démographiques (INED) et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Mme Marie-France Valetas a présenté les résultats d'une étude portant sur la pratique patronymique des femmes mariées dans les pays de l'Union européenne, publiée dans la revue « Population et sociétés » de l'INED.

Elle a en premier lieu souligné que peu de personnes savaient qu'en France, aucune loi n'oblige la femme à prendre le nom de son mari et, qu'au contraire, la loi du 6 fructidor an II, toujours en vigueur, prévoit que nul ne peut porter d'autre nom que son nom de naissance.

Elle a indiqué que les femmes françaises portaient le nom de leur époux dans leur immense majorité, 91 % en 1995, et que la loi de décembre 1985 permettant aux enfants de porter le nom de leurs deux parents en tant que nom d'usage n'était que marginalement appliquée.

Mme Marie-France Valetas a ensuite présenté les diverses pratiques existant dans l'Union européenne. Observant que les femmes mariées conservaient rarement leur nom de naissance, elle a précisé que, dans certains pays de l'Union européenne, presque toutes adoptaient le nom de leur mari, tandis que dans d'autres, elles conservaient leur nom de naissance ou joignaient à leur nom celui de leur époux.

Elle a distingué plusieurs groupes de pays pouvant être classés en fonction de la pratique dominante.

Mme Marie-France Valetas a tout d'abord observé que dans sept pays (Allemagne, Royaume-Uni, Autriche, France, Irlande, Suède et Finlande), les femmes portaient massivement le seul nom de leur mari, alors même que les législations de ces pays variaient beaucoup.

Elle a en effet souligné que le mariage n'avait légalement aucune conséquence sur le nom des époux au Royaume-Uni où aucune loi ne règle la transmission du nom à l'enfant légitime, tandis qu'en Suède et en Finlande, les époux pouvaient choisir un nom commun transmissible à leurs enfants ou conserver chacun leur nom et décider que l'enfant porterait le nom de son père ou celui de sa mère, la France étant le seul pays de ce groupe à ne pas prévoir la transmission du nom de la mère à l'enfant né de parents mariés.

S'agissant du Danemark, de la Grèce, des Pays-Bas et du Portugal, elle a indiqué que plusieurs pratiques coexistaient, mais que la majorité des femmes portaient le seul nom de leur mari, tandis que dans trois pays (Luxembourg, Belgique et Italie), la pratique des deux noms était majoritaire. Mme Marie-France Valetas a cependant précisé qu'en Italie et en Belgique, la prépondérance du double nom n'empêchait pas une femme sur cinq de conserver son seul nom, tandis qu'au Luxembourg le port du seul nom du mari était très fréquent (41 %).

Elle a en outre précisé que le seul pays dans lequel les femmes gardaient majoritairement leur nom (77 %) était l'Espagne, ce pays étant également le seul où la règle de la non-modification du nom des époux était explicite.

Mme Marie-France Valetas s'est ensuite interrogée sur la cohérence entre opinions et pratiques. Elle a observé que les pays où les souhaits s'écartaient le plus des pratiques étaient ceux où le port du nom du mari était massif.

Elle a toutefois constaté un fort attachement à la tradition au Royaume-Uni où la proportion de personnes favorables au port du nom du mari s'élève à 71 %, tandis qu'en France apparaissait une nette volonté de changement, cette proportion n'étant que de 49 %.

Mme Marie-France Valetas a indiqué que l'émergence d'une opinion favorable au port du double nom par la femme pouvait s'interpréter comme une contestation dans les pays où les épouses portaient massivement le nom de leur mari.

Elle a relevé que la France en constituait un parfait exemple, la préférence pour le port des deux noms (40 %) étant deux fois plus forte que dans les autres pays du même groupe, tandis qu'en Italie, en Belgique et au Luxembourg, l'adéquation entre opinions et pratiques était presque complète.

Mme Marie-France Valetas a précisé que dans les pays où l'usage exclusif du nom du mari était largement remis en cause, les opinions des hommes et des femmes divergeaient fort peu, mais que lorsque d'autres possibilités existaient pour les femmes, on observait une différenciation des opinions, les hommes se montrant plus attachés à une solution favorisant leur nom. Ainsi, elle a observé qu'en Grèce et, dans une moindre mesure, au Portugal, les hommes étaient plus favorables au port du nom du mari, de même qu'en Espagne, ils étaient moins favorables à ce que les épouses conservent leur nom de naissance.

S'agissant de la relation entre le nom de la femme mariée et le nom transmis à l'enfant, elle a fait état d'enquêtes plus anciennes existantes, relatives notamment aux femmes divorcées. Mme Marie-France Valetas a souligné que ces enquêtes révélaient les contraintes auxquelles sont soumises les femmes, alors même que le code civil fixe comme règle générale l'abandon du nom marital au moment du divorce. Elle a rappelé que le souci de conserver le nom de leur ex-mari se confondait souvent avec le désir de garder le même nom que leurs enfants et que 60 % des femmes divorcées contestaient l'absence du nom de la mère dans le système de transmission.

Mme Marie-France Valetas a ensuite indiqué que la part d'opinions favorables à l'introduction du nom de la mère dans le système de transmission avait sensiblement progressé au cours des années 1980, passant de 20 % en 1979 à 43 % en 1987, et que les femmes se montraient plus critiques envers le système existant et regrettaient plus souvent l'impossibilité de transmettre leur nom à leur enfant.

Elle a rappelé que les différentes législations relatives à la dévolution du nom dans l'Union européenne résultaient de contextes historiques différents, mais que des modifications importantes avaient parfois été apportées au cours des dernières décennies, et pour certaines très récemment.

Mme Marie-France Valetas a souligné qu'en France, la contrainte vécue par les femmes pouvait être levée par un changement des règles de transmission rendant possible la transmission du nom de la mère, l'enfant ayant alors le nom de son père ou celui de sa mère, ou, mieux encore, celui de ses deux parents et, dans ce dernier cas, sans préjuger de l'ordre des noms pour que le principe d'égalité soit respecté.

Elle s'est ainsi déclarée globalement favorable à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, tout en émettant des réserves quant aux modalités de résolution des conflits prévues, la règle de l'ordre alphabétique ne lui semblant pas pertinente.

M. Jacques Larché, président, a relevé la divergence entre l'évolution de l'opinion publique et l'état du droit. Il s'est interrogé sur les effets d'une telle réforme à partir de la deuxième génération.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a alors observé que beaucoup de femmes utilisaient alternativement leur nom de jeune fille pour travailler et le nom de leur mari dans la vie sociale, et s'est en conséquence interrogé sur l'existence d'une véritable demande en ce sens.

Il a souligné que la loi de décembre 1985 relative au nom d'usage n'avait eu que peu de succès et a jugé paradoxale la pratique britannique de transmission du nom du père en l'absence de toute règle juridique contraignante en ce sens.

Mme Marie-France Valetas a reconnu que l'exemple britannique pouvait paraître troublant, mais qu'il était lié à une situation particulière et à des traditions spécifiques à ce pays.

Elle a indiqué qu'une demande sociale en faveur d'une réforme des règles relatives au nom patronymique existait, même si ses manifestations restaient peu spectaculaires.

S'agissant de la loi de 1985 relative au nom d'usage, elle a souligné que d'une part, sa mise en oeuvre avait souffert d'un déficit de publicité et que, d'autre part, elle paraissait peu attractive du fait de sa limitation au nom d'usage et du maintien de l'interdiction de la transmission du double nom.

En outre, Mme Marie-France Valetas a reconnu qu'un problème pouvait se poser à la deuxième génération et qu'il appartenait au législateur de prévoir tous les conflits potentiels et de les régler par avance, ainsi que l'avaient fait d'autres pays de l'Union européenne. Elle a en outre observé que le nombre de conflits était statistiquement faible.

En réponse à M. Nicolas About, Mme Marie-France Valetas a confirmé qu'un aménagement de l'établissement de la filiation des enfants naturels était nécessaire et a indiqué que dans certains pays, un délai de trois à six mois était laissé aux parents pour décider du nom transmis à l'enfant, l'administration le fixant en cas de désaccord persistant entre les parents.

Audition de Mme Thérèse Gregogna, premier substitut, et Mme Roselyne Crépin-Mauriès, vice-président au Tribunal de grande instance de Paris

La commission a ensuite entendu Mme Thérèse Gregogna, premier substitut, et Mme Roselyne Crépin-Mauriès, vice-président au Tribunal de grande instance de Paris.

Mme Roselyne Crépin-Mauriès a tout d'abord indiqué qu'elle avait à connaître des questions relatives au nom patronymique dans le cadre des contentieux liés d'une part aux changements de prénoms, d'autre part aux changements de nom des enfants naturels.

Observant que la proposition de loi tendait à mettre fin à la discrimination actuelle consistant à attribuer systématiquement à l'enfant d'un couple marié le nom de son père, Mme Roselyne Crépin-Mauriès a fait valoir qu'il convenait de faire prévaloir prioritairement l'intérêt de l'enfant sur celui des parents. Elle s'est demandé si la liberté laissée aux parents pour le choix du nom de leur enfant ne risquait pas d'avoir pour conséquence une incertitude des lignées familiales et une difficulté pour l'enfant de retracer ses origines.

Rappelant que, dans le cas d'enfants légitimes, la déclaration de naissance était le plus souvent faite par le père, elle a noté que la situation inverse prévalait en général pour la déclaration des enfants naturels. Elle s'est interrogée sur les moyens permettant à l'officier d'état civil de s'assurer du consentement des deux parents sur le choix du nom déclaré par le parent présent.

Mme Roselyne Crépin-Mauriès a ensuite souligné que, dans les couples en rupture, certaines femmes, en particulier celles qui subissaient une rupture non souhaitée, avaient un comportement très possessif à l'égard de leurs enfants. Elle a estimé que la loi ne devait pas encourager un tel comportement au moment même où d'autres initiatives ou textes législatifs tendaient à renforcer le rôle et la présence des pères.

Mme Roselyne Crépin-Mauriès a souligné que la proposition de loi créait une situation d'inégalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes. Elle a en effet observé que ce texte n'abrogeait pas la disposition du code civil permettant de demander le changement de nom d'un enfant naturel, sans pour autant faire bénéficier d'une disposition similaire l'enfant légitime.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a exprimé la crainte que le système inscrit dans la proposition de loi ne provoque des conflits entre parents. Il a souligné que le recours à l'ordre alphabétique en cas de désaccord ne pouvait qu'être source de frustrations. Évoquant l'intérêt de l'enfant, il s'est demandé si le système de choix par les parents ne risquait pas de conduire l'enfant à remettre davantage en cause le nom qui lui avait été donné. Il a interrogé Mme Roselyne Crépin-Mauriès sur l'hypothèse d'un maintien de la dévolution automatique du nom du père assorti d'une possibilité pour l'enfant de changer de nom à sa majorité.

Mme Roselyne Crépin-Mauriès a alors souligné que la résolution du conflit par l'ordre alphabétique pouvait effectivement paraître contestable. Elle s'est déclarée favorable à la possibilité pour l'enfant de porter les deux noms et a estimé que l'idée d'un choix pour l'enfant à compter d'un certain âge était séduisante. Elle a toutefois noté qu'un tel système pourrait poser des difficultés pratiques d'enregistrement.

Mme Thérèse Gregogna a tout d'abord indiqué qu'elle exerçait les fonctions de substitut du procureur à la section civile du parquet de Paris et qu'à ce titre elle intervenait dans les contentieux liés au nom. Elle a rappelé que le parquet était garant des actes d'état civil.

Estimant qu'il n'était pas anormal que le législateur recherche les moyens d'appliquer le principe d'égalité entre hommes et femmes à la question du nom, Mme Thérèse Gregogna a toutefois noté que la fiabilité des actes d'état civil supposait une certaine stabilité. Elle a observé que le choix laissé aux parents pour l'attribution du nom à l'enfant impliquait un consentement des parents que l'officier d'état civil devrait vérifier, ce qui pourrait susciter des difficultés importantes. Elle a ainsi évoqué successivement le cas d'un accouchement difficile causant une incapacité temporaire de la mère, celui d'un accident empêchant de recueillir le consentement du père ou encore de la situation où l'un des parents serait sous tutelle. Elle a ajouté que, dans de nombreux cas, la déclaration était faite à l'hôpital, où il faudrait sans doute, si la proposition de loi était adoptée, recueillir des pouvoirs de la part des déclarants.

Mme Thérèse Gregogna a ensuite fait valoir que la loi française n'avait vocation à s'appliquer qu'aux enfants français et non aux enfants étrangers nés en France. Elle en a déduit que les officiers d'état civil devraient opérer une distinction entre enfants français et enfants étrangers lors des déclarations.

Mme Thérèse Gregogna a relevé que, si la proposition de loi était adoptée, il conviendrait de respecter l'égalité entre enfant légitime et enfant naturel, soit en supprimant l'article 334-3 du code civil qui autorise les demandes de changement de nom de l'enfant naturel, soit en étendant cette procédure aux enfants légitimes. Elle a exprimé la crainte d'une multiplication des déclarations avant la naissance pour les enfants naturels, évoquant également des déclarations de complaisance simplement destinées à bénéficier d'avantages liés à la qualité de père d'un enfant né en France.

Mme Thérèse Gregogna a rappelé qu'actuellement les femmes qui demandaient le changement du nom de leur enfant avaient pour objectif de couper tout lien entre le père et l'enfant. Elle s'est interrogée sur l'opportunité de permettre l'élimination immédiate du nom du père au moment de la naissance.

Mme Roselyne Crépin-Mauriès a alors observé que, dans la quasi-totalité des demandes de changement de nom soumises au juge des affaires familiales, l'objectif était de faire disparaître le nom du père. Elle a noté au cours de la période récente, une seule procédure de changement de nom engagée au profit du nom du père, afin de permettre à l'enfant de bénéficier de la loi suisse.

Audition de M. Michel Tort, psychanalyste, professeur au laboratoire de psychologie fondamentale de l'Université Denis Diderot (Paris VII), et M. Serge Tisseron, psychiatre

Puis la commission a entendu M. Michel Tort, psychanalyste, professeur au laboratoire de psychologie fondamentale de l'Université Denis Diderot (Paris VII), et M. Serge Tisseron, psychiatre.

Constatant que certains opposaient l'égalité politique entre les sexes et la liberté de choix des sujets à la transmission du nom du père, posée comme une donnée supérieure de la subjectivation de l'individu, M. Michel Tort, psychanalyste, a souhaité aborder la question du changement de système de transmission du nom de famille sans opposer les exigences politiques aux exigences psychiques des sujets.

Il a indiqué que les systèmes d'attribution du nom étaient des systèmes historiques, liés à l'histoire de l'institution matrimoniale et aux autres liens institutionnalisés existant entre les hommes et les femmes. A titre d'exemple, il a noté que la légitimité de l'enfant était une forme historique de hiérarchisation de la filiation dont nous commencions difficilement à sortir.

M. Michel Tort, psychanalyste, a expliqué que le système historique privilégiant la transmission du seul nom du père, solidaire à l'origine de la féodalité et de l'aristocratie, datait d'une dizaine de siècles et avait été généralisé à l'ensemble de la population. Il a souligné qu'aucune fonction de structuration psychique n'avait été assignée à ce système de dévolution du nom avant les vingt dernières années. Il a ainsi établi que l'argumentaire psychologique et anthropologique faisant de la transmission du nom du père un élément fondamental de la structuration de l'enfant était récent, avait été développé précisément pour résister à la transmission du nom de la mère, et faisait un usage problématique de la psychanalyse. Il a cité en exemple les arguments développés par Mme Dekeuwer-Défossez, selon lesquels la transmission du nom de la mère serait funeste à la figure paternelle. Il a jugé étrange d'invoquer la menace d'un déséquilibre au détriment du père, alors que le système existant depuis dix siècles constituait une inégalité manifeste en sa faveur. Il a ajouté que cette argumentation s'appuyait sur l'idée d'une inégalité de départ fondée sur la domination féminine sur la procréation, « heureusement » compensée par la transmission du nom du père. Cette conception lui a paru élaborée au mépris de l'histoire. Il lui a semblé qu'elle permettait de rejeter dans le champ du symbolique les aspects de l'égalité hommes-femmes que l'on souhaitait exclure du champ politique et de la délibération.

M. Michel Tort, psychanalyste, a noté la difficulté, pour la psychanalyse, de définir la fonction du nom du père, celle-ci résultant des interactions entre la fonction symbolique du père, supposée universelle, et le pouvoir social du père, historique. Il a établi que si la fonction du père dérivait du pouvoir du père, et si tout ce qui restait du pouvoir traditionnel du père était le nom, alors il ne pouvait s'agir d'une fonction universelle.

En conclusion, il lui a semblé injustifié de prétendre tirer de la psychanalyse un argumentaire favorable à la seule transmission du nom du père.

M. Serge Tisseron, psychiatre, a estimé que, sans contester le droit des hommes et des femmes à transmettre leur nom à leurs enfants, le législateur ne devait pas accorder une trop grande liberté de choix en ce domaine.

M. Serge Tisseron, psychiatre, a fait part des dangers du système espagnol évoqués par le rapporteur de l'Assemblée nationale. Il a estimé que la question de la deuxième génération se posait dans des termes très différents de celle de la première génération. En effet, il a remarqué que l'opposition éventuelle dans le couple était alors aggravée par le jeu des loyautés envers les familles respectives.

Il a mis en garde contre l'argument selon lequel le choix laissé éviterait les rapports de force et a au contraire indiqué que le choix des patronymes provoquerait des conflits importants, encore plus graves que ceux existant actuellement pour le choix des prénoms, puisqu'ils ne déchireraient plus le seul couple, mais aussi les familles respectives.

M. Serge Tisseron, psychiatre, a souligné que le double nom avait le mérite de renvoyer l'enfant aux deux branches de sa famille, de concilier l'axe horizontal de la famille, constitué des membres de la famille ayant un contact concret entre eux, et l'axe vertical, à savoir l'alliance de deux familles à un moment donné.

De façon plus générale, il lui a semblé nécessaire de tenir compte des nouveaux modes de filiation dans la mesure où, au schéma traditionnel selon lequel le père géniteur donnait son nom et avait une relation éducative privilégiée avec ses enfants, se substituaient aujourd'hui des cas dans lesquels l'enfant était conçu par un père, reconnu par un autre homme et élevé par un troisième. Il a regretté que la filiation éducative ne donne actuellement aucun droit.

Interrogé par M. Jacques Larché, président, qui estimait que le système espagnol pouvait donner lieu à de nombreux contentieux, M. Serge Tisseron, psychiatre, a répondu que laisser le choix aux parents entre le nom de la mère, le nom du père ou le double nom allait décupler les conflits, la dénomination pouvant se révéler un noeud de rancoeur et d'amertume considérable, à cause de l'allégeance de chacun des membres du couple à sa propre famille. En conséquence, il s'est prononcé en faveur de la transmission du double nom.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a mis en évidence le poids des traditions, citant l'exemple britannique dans lequel, malgré le choix laissé par le législateur, la quasi-totalité des enfants portaient le nom de leur père. Il s'est demandé s'il était possible d'imposer le système espagnol dans un pays où 95 % des femmes choisissaient de porter le nom de leur mari.

M. Michel Tort, psychanalyste, a répondu que les femmes n'avaient pas l'obligation de porter le nom de leur mari et que, si le système devait changer à un moment donné, des ajustements seraient nécessaires.

M. Jacques Larché, président, s'étant demandé si changer le système actuel, qui satisfaisait l'immense majorité des Français, aboutirait à une situation plus satisfaisante, M. Michel Tort, psychanalyste, a estimé que le législateur ne serait pas saisi de cette proposition de loi si certaines personnes, notamment des femmes, ne pensaient pas que le système actuel était injuste.

M. Henri de Richemont, rapporteur, ayant souligné que la loi Badinter de décembre 1985 n'était pas utilisée, bien qu'elle autorise une ouverture importante, M. Michel Tort, psychanalyste, a estimé que cette loi constituait une première étape vers le changement aujourd'hui proposé.

Audition de Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice

La commission a ensuite entendu Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Après avoir rappelé que le Gouvernement s'était engagé depuis trois ans dans un vaste chantier de réforme du droit de la famille afin de prendre mieux en compte la diversité des réalités familiales et d'offrir des cadres juridiques adaptés tout en cherchant à valoriser le lien familial, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que les dossiers relatifs à la suppression des discriminations en matière de filiation, au partage effectif de l'exercice de l'autorité parentale, à la simplification du divorce ou encore à l'amélioration de la situation du conjoint survivant étaient apparus plus prioritaires que celui du régime de la dévolution du nom.

Approuvant l'initiative prise par M. Gérard Gouzes à l'Assemblée nationale, elle a observé que, comme de nombreuses réformes de société émergeant naturellement, celle des règles de dévolution du nom avait suscité peu de revendications démonstratives mais recueillait un véritable consensus social. Se référant à un sondage effectué par la SOFRES, elle a indiqué que 69 % des Français étaient favorables à la possibilité de transmettre à l'enfant le nom de famille de la mère, seul ou accolé à celui du père, 62 % estimant qu'une telle réforme n'affaiblirait pas la place du père.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que l'ensemble de ces sujets, et en particulier celui du nom patronymique, avaient fait l'objet d'une large concertation avec les spécialistes et les associations concernées, mais également avec les citoyens eux-mêmes, dans le cadre de rencontres régionales. Elle a précisé que la question du nom avait suscité un réel intérêt et que, si des avis divers s'étaient exprimés, un consensus pour reconnaître la nécessité de faire évoluer le régime juridique en vigueur s'était dégagé.

Après avoir indiqué que le calendrier parlementaire avait contraint le Gouvernement à morceler la réforme du droit de la famille en plusieurs projets de loi, elle a précisé qu'ils obéissaient néanmoins à une cohérence d'ensemble. Puis elle a rappelé les principes servant de fil conducteur à la réforme : le principe de liberté de choix de vie des familles, le principe d'égalité entre pères et mères et entre les enfants quel que soit leur mode de filiation ou la situation matrimoniale de leurs parents et, enfin, le souci du respect de l'autonomie des volontés.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait valoir que la législation française relative à la dévolution du nom était restée relativement figée, alors que l'évolution sociale avait fait émerger des aspirations que le droit ne pouvait plus ignorer. Elle a précisé que l'indépendance acquise par les femmes les conduisait de plus en plus souvent à ne plus porter le nom de leur mari, port du nom du mari qui ne constituait d'ailleurs qu'un simple usage. Elle a estimé que le partage effectif des responsabilités parentales devait trouver sa représentation symbolique dans le nom attribué aux enfants et a souligné la nécessité de respecter une liberté de choix en la matière au nom de la liberté individuelle. Après avoir mentionné le caractère discriminatoire de notre législation laissant planer une menace de condamnation de la France par la Cour européenne des Droits de l'Homme, elle a ajouté que la législation actuelle, privilégiant la lignée masculine, entraînait un appauvrissement du stock des noms, certains noms ne pouvant être transmis faute de descendance masculine.

Après avoir admis que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale recelait quelques imperfections techniques, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a affirmé son accord avec l'ouverture d'une option aux parents à la naissance de leur premier enfant. Elle a indiqué que le texte proposait d'inscrire la double filiation dans le nom de l'enfant par l'accolement des noms des deux parents, ceux-ci pouvant toutefois décider de transmettre le nom de l'un ou de l'autre seulement. Elle a approuvé cette liberté de choix offerte aux parents, la triple option consacrant un principe de parité entre pères et mères. Elle a cependant estimé nécessaire de faire de la dévolution du nom double accolé, symbole de la co-parentalité, la norme par défaut, en cas de désaccord entre les parents ou en cas d'abstention de ceux-ci. Considérant que la loi ne devait pas bouleverser contre leur gré les habitudes des français, elle a précisé que les parents souhaitant continuer à inscrire leurs enfants dans la tradition culturelle française de dévolution du nom du père devaient pouvoir le faire.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a indiqué que la triple option serait ouverte dans le cas où la filiation de l'enfant serait établie à l'égard de ses deux parents, que les parents soient mariés ou non, et que le choix interviendrait au moment de la naissance du premier enfant, lors de la déclaration de naissance, par une déclaration écrite conjointe devant l'officier d'état civil. Elle a précisé que le nom choisi serait inscrit dans l'acte de naissance et que les enfants d'une même fratrie devraient porter le même nom, sans dérogation possible. Pour résoudre les cas de désaccord ou d'abstention des parents, elle a estimé indispensable que la loi prévoie une règle de dévolution par défaut, cette règle devant être celle de la dévolution des noms des deux parents, accolés dans l'ordre alphabétique. Elle a rejeté l'idée qui lui avait été soumise d'une dévolution du nom de la mère aux filles et du nom du père aux fils, conception sexiste qui, loin d'assurer la parité, consacrait la discrimination et la division.

Concernant le mode de transmission du nom à un enfant dont l'un ou les deux parents porteraient un nom double, Mme Marylise Lebranchu a indiqué qu'un seul des noms composant le nom double pourrait être transmis, le choix étant effectué d'un commun accord par les parents. Elle a rappelé qu'en cas de désaccord ou de refus de choix des parents, les règles automatiques de dévolution du nom fondées sur le critère de l'ordre alphabétique s'appliqueraient.

Considérant que les règles de dévolution du nom reposeraient désormais sur un mécanisme optionnel privilégiant la volonté des parents, elle a déclaré nécessaire, par cohérence, d'assouplir le régime juridique du changement de nom. Elle s'est en particulier interrogée sur la portée de la condition relative à la justification d'un intérêt légitime prévue par l'article 61 du code civil et sur la possibilité d'accorder à l'enfant une faculté de choix à sa majorité. Elle a précisé que les différentes administrations concernées avaient été saisies d'une demande d'expertise.

Concernant l'entrée en vigueur de la loi et la question de son application aux enfants déjà nés et, parfois, appelés à avoir des frères et soeurs, elle a souligné la nécessité de moduler l'effet rétroactif en fonction de l'âge des enfants et a estimé que la solution la moins génératrice de conflits serait celle tendant à accoler le nom qui n'aurait pas été transmis.

Après avoir rappelé l'adhésion de principe suscité dans tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale par la proposition de loi, la prise de position du Président de la République, ainsi que l'existence d'une proposition de loi sénatoriale de 1999 portant diverses dispositions relatives au droit de la famille, préconisant une réforme de même inspiration que le dispositif récemment adopté, Mme Marylise Lebranchu a souhaité en conclusion que le débat au Sénat soit fructueux pour aboutir à une loi consensuelle.

Après avoir observé que la proposition de loi remettait en cause des pratiques solidement ancrées, M. Jacques Larché, président, a souligné la difficulté technique d'un tel dispositif. Il a relevé l'incohérence qu'il y avait à organiser la transmission des noms des deux parents par la dévolution du double nom à la première génération de descendants, dès lors qu'à la deuxième génération l'élimination de deux noms sur quatre dans le processus de dévolution serait inéluctable. Il a en outre jugé discutable le critère de l'ordre alphabétique pour procéder à l'élimination des noms superflus.

Après avoir fait valoir que la liberté de choix accordée aux parents risquait de susciter des conflits au sein des familles et dans les couples, M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est interrogé sur les raisons de l'échec de la loi de 1985 relative au nom d'usage. Soulignant les inégalités actuelles dans les possibilités de changement de nom entre enfants légitimes et enfants naturels, il a estimé opportun d'ouvrir une faculté de choix à l'enfant lui-même à partir d'un âge à déterminer.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que la préoccupation centrale de la proposition de loi était d'afficher la double filiation de l'enfant, tout en préservant la fratrie. Elle a exprimé la crainte que la faculté de choix qui serait octroyée à l'enfant ne transforme le nom en un instrument de conflit familial à l'adolescence.

Après avoir exprimé son hostilité de principe à toute liberté de choix concernant les règles de dévolution du nom, M. Yves Fréville a estimé inopportun de livrer au regard de la société la nature des relations entre parents et enfants reflétée dans le nom porté par ces derniers.

Évoquant le rapport fusionnel existant entre la mère et l'enfant et le gage d'équilibre constitué par l'octroi du nom paternel, M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé qu'il était contradictoire d'affaiblir le lien d'identification au père par une modification des règles de dévolution du nom, au moment même où le Gouvernement proposait d'accorder à celui-ci un congé post-natal.

Après avoir rappelé que de plus en plus d'enfants issus de couples non mariés portaient le nom de leur mère, Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, a observé que la proposition de loi, préconisant l'accolement des noms du père et de la mère, tendait à consacrer la double filiation, ce qui n'avait pas pour conséquence d'affaiblir la place du père. Du point de vue technique, elle a indiqué que les études effectuées avaient conclu à la faisabilité de l'institutionnalisation du double nom ; elle a cependant admis que les adaptations nécessaires auraient un coût évalué à quelque 6 millions de francs par l'INSEE. Elle est convenu que le choix de l'ordre alphabétique comme critère discriminant n'était pas idéal, tout en soulignant l'absence d'alternative.

En réponse à M. Henri de Richemont, rapporteur, elle a observé que dans 97 % des cas, proportion correspondant aux enfants naturels reconnus à la fois par leur père et leur mère, les enfants naturels porteraient un nom double et a estimé que le dispositif n'aboutirait pas à instaurer de discrimination entre enfants naturels et enfants légitimes dès lors que l'option permettrait à des couples de choisir un nom unique évitant ainsi la stigmatisation de l'enfant issu d'un foyer monoparental. Elle a en outre rappelé que la faculté de choix du nom offerte à l'enfant devrait se limiter à l'adjonction du nom de ses parents qu'il ne porterait pas déjà.

Audition de Mme Michelle Gobert, agrégée des facultés de droit, professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

Puis la commission a entendu Mme Michelle Gobert, agrégée des facultés de droit, professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II).

A titre liminaire, Mme Michelle Gobert a indiqué avoir conservé son nom de jeune fille et ne pas approuver, à titre personnel, la proposition de loi relative au nom patronymique adoptée par l'Assemblée nationale.

Expliquant que les parents pourraient désormais choisir la dénomination de leur enfant entre le nom du père, celui de la mère ou les deux noms accolés, elle a relevé que ce choix ne s'exercerait que pour le premier enfant, compte tenu de l'obligation de l'unité des fratries. Tout en s'interrogeant sur l'opportunité de procéder à une réforme en ce domaine, elle a exposé que le contexte actuel de revendication d'une plus grande égalité entre les hommes et les femmes expliquait la remise en cause de la règle en vigueur de la transmission automatique du nom paternel à l'enfant.

Se déclarant favorable à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans les régimes matrimoniaux comme dans l'éducation des enfants mineurs, Mme Michelle Gobert a fait part de sa plus grande réserve quant à l'application d'un tel principe aux règles de dévolution du nom patronymique ou d'exercice de l'autorité parentale.

Évoquant l'utilisation restée très confidentielle du nom d'usage introduit par l'article 43 de la loi de décembre 1985, permettant d'accoler le nom du parent n'ayant pas été transmis à l'enfant, elle a estimé que la proposition de loi ne répondait pas à une véritable aspiration.

Elle a salué le travail législatif accompli à l'époque, précisant qu'il avait été considéré comme le moyen pour l'avenir d'effectuer un sondage en grandeur nature des attentes des Français et de départager les partisans et les opposants de la réforme du régime du nom patronymique.

Mme Michelle Gobert a mis en lumière le paradoxe selon lequel la majorité des femmes souhaiteraient transmettre leur propre nom, alors qu'elles portent celui de leur mari, relevant qu'une pratique contraire aurait accordé un plus grand crédit à une telle revendication.

Analysant les conséquences de la réforme proposée, elle s'est inquiétée des risques de désordre dans les familles résultant du choix par les parents du nom de l'enfant, alors qu'actuellement l'automaticité de la règle ne générait aucune discussion.

Mme Michelle Gobert a estimé que la transmission du double nom ne poserait pas de difficultés à la première génération, tout en estimant paradoxal que les mères ne transmettent alors que le nom de leur père. Elle a exposé les difficultés auxquelles seraient confrontées les générations suivantes, les parents portant un nom double devant alors abandonner un de leurs deux noms, démarche qui provoquerait de nouvelles tensions familiales. Elle s'est inquiétée de la multiplication des occasions de conflits liés au nom et des risques d'une surcharge de l'activité déjà élevée du contentieux en matière familiale.

Mme Michelle Gobert a en outre mentionné le coût non négligeable induit par cette réforme pour le traitement informatisé des doubles noms devenus plus nombreux, ainsi que le problème technique de l'allongement des saisies en matière informatique, compte tenu de la banalisation du double nom.

Tout en insistant sur le défaut de pertinence de cette réforme et la nécessité de maintenir le droit actuel de dévolution du nom patronymique, elle s'est néanmoins déclarée favorable à la possibilité d'autoriser chaque individu à substituer à son nom de naissance celui qui ne lui a pas été transmis, le principe de la liberté individuelle devant prévaloir sur une conception quelque peu primaire selon elle de l'égalité des sexes. Elle a également fait valoir l'opportunité d'une simplification de l'actuelle procédure administrative de changement de nom.

M. Jacques Larché, président, ayant relevé l'intérêt de cette solution alternative, Mme Michelle Gobert a précisé qu'à partir d'un certain âge laissé à la détermination du législateur, chaque personne pourrait substituer à son patronyme le nom de sa mère ou d'un aieul dont le degré serait à définir.

En réponse à l'observation de M. Jacques Larché, président, selon laquelle la réforme proposée risquait de fragiliser les lignées paternelles, Mme Michelle Gobert a confirmé qu'elle pourrait aboutir à l'impossibilité pour les petits-enfants de porter le nom de leur grand-père. Elle a mis l'accent sur l'intérêt du maintien d'un régime de dévolution du nom patronymique correspondant à une tradition et une pratique bien ancrées.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a à son tour marqué sa préférence pour un système dans lequel la possibilité de choix serait offerte à l'enfant et non aux parents, estimant que cette solution permettait d'assurer une plus grande égalité, chaque individu pouvant user librement de cette faculté.

Mme Michelle Gobert et M. Henri de Richemont, rapporteur, sont convenus que cette proposition de loi maintenait une inégalité de traitement entre les enfants naturels et les enfants légitimes, les enfants de parents non mariés pouvant se voir attribuer un nom en vertu soit des nouvelles règles de triple option soit de la règle automatique de préférence chronologique, selon laquelle l'enfant porte le nom du parent qui l'a reconnu en premier lieu, tandis que pour les enfants de parents mariés, ces derniers ne pourraient se soustraire au système du choix. Elle s'est inquiétée des conséquences de ce nouveau régime de dévolution qui risquerait de dissuader les couples de se marier pour se soustraire à la nécessité de choisir le nom de leur enfant.

Audition de M. Benoît Perotin, président, et M. Jean-Marie Andriveau, vice-président de la Chambre des généalogistes de France

La commission a enfin entendu M. Benoît Perotin, président, et M. Jean-Marie Andriveau, vice-président de la Chambre des généalogistes de France.

M. Benoît Perotin, président,
s'exprimant en tant que praticien a indiqué que son activité de généalogiste successoral consistait à rechercher des héritiers.

S'agissant de la proposition de loi, il a souligné le paradoxe consistant dans la référence au nom patronymique dans son intitulé, alors même qu'elle avait pour objet de mettre fin à la prééminence du nom paternel.

Il a ensuite évoqué les problèmes pratiques posés lors de la recherche de la filiation, ainsi que les risques encore accrus d'une aggravation de la complexité de ces démarches du fait de cette proposition de loi.

M. Benoît Perotin, président, a précisé que le seul nom de famille permettait actuellement d'établir le lien de filiation, le nom du père indiquant la qualité d'enfant légitime, celui de la mère celle d'enfant naturel et la présence de deux noms celle d'enfant adopté. Il a en outre indiqué qu'en Espagne et au Portugal, les actes d'état civil permettaient également d'établir des liens vis-à-vis des grands parents.

Il a relevé les difficultés rencontrées dans son activité, au nombre desquelles la nécessité d'une autorisation du juge d'instance pour la consultation des déclarations de successions ou encore le refus de l'accès aux résultats des recensements de populations récents pour des raisons de confidentialité des données personnelles. Il a en outre précisé que les registres n'établissaient pas de lien entre les actes des parents et des enfants, l'état civil privilégiant une approche individuelle.

M. Benoît Perotin, président, a fait part de l'inquiétude de la profession, les recherches relatives à l'identification et à la localisation des héritiers risquant de se heurter à des difficultés considérablement accrues.

Rappelant l'existence de la loi de décembre 1985 relative au nom d'usage, il s'est par ailleurs interrogé sur la nécessité d'une nouvelle loi en la matière.

M. Jean-Marie Andriveau, vice-président, a également estimé cette proposition de loi inutile, relevant qu'il n'existait actuellement pas de contestation majeure au sein de la société des règles de dévolution du nom patronymique, alors même qu'une telle réforme engendrerait de nombreux conflits.

Il a en outre insisté sur les difficultés pratiques pour faire respecter l'obligation d'un même nom pour les fratries, l'officier d'état civil ne disposant d'aucun moyen de contrôle s'agissant d'un deuxième enfant, en l'absence de présentation du livret de famille.

Il a conclu en rappelant qu'une telle réforme rompait avec la tradition française.

M. Jacques Larché, président, a souligné l'intérêt de ce point de vue technique, une loi devant avant tout être applicable et ne pas susciter de conflits nouveaux.

En réponse à une interrogation de M. Henri de Richemont, rapporteur, quant à l'argument avancé par les auteurs de la proposition de loi relatif à l'épuisement du stock de noms, M. Benoît Perotin a indiqué que s'il était avéré que certains noms se perdaient, on constatait parallèlement une arrivée plus importante de noms, notamment étrangers si bien qu'il n'y avait pas lieu de craindre un quelconque appauvrissement du stock de noms.

M. Henri de Richemont, rapporteur, s'est alors interrogé sur la pertinence du critère de l'ordre alphabétique pour résoudre les conflits relatifs au choix du nom de l'enfant, soulignant que les noms commençant par des lettres de la fin de l'alphabet risquaient à terme de disparaître, tandis que s'opérerait une concentration des noms relevant du début de l'ordre alphabétique.