Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Audition de M. Antonio Vitorino, membre de la Commission européenne en charge de la justice et des affaires intérieures

La commission a procédé à l'audition de M. Antonio Vitorino, membre de la Commission européenne en charge de la justice et des affaires intérieures.

A titre liminaire, M. Jacques Larché, président, s'est réjoui de recevoir M. Antonio Vitorino, dont il a loué les qualités de juriste éminent et de parlementaire averti, et dont il a rappelé les attributions.

M. Antonio Vitorino s'est félicité du climat de confiance et de la volonté de dialogue entre la Commission européenne, le Conseil de l'Union européenne et les États membres, depuis la fin des négociations du traité de Nice, dans un domaine aussi sensible que la justice et les affaires intérieures, compétences régaliennes, par essence, des États membres.

S'inquiétant de la lenteur des mécanismes de travail au sein du Conseil, du manque d'ambition des décisions politiques et du retard pris par rapport au calendrier fixé au Conseil européen de Tampere, il a souhaité une intensification des efforts des États membres et du Conseil de l'Union européenne en vue de dresser un bilan des progrès accomplis d'ici le Conseil européen de Laeken en décembre prochain.

M. Antonio Vitorino a noté que la fin de la présidence suédoise se caractérisait par des progrès incontestables en matière d'asile et d'immigration, s'illustrant dans la création d'un réseau d'officiers de liaison nationaux chargés de contrôler les flux d'immigration illégale dans la région des Balkans occidentaux, l'adoption d'une résolution sur l'échange des résultats d'une analyse de l'ADN, ainsi que dans la mise en place d'un fonds européen des réfugiés destiné à améliorer le fonctionnement des structures administratives des États membres.

En matière de coopération judiciaire civile, il a expliqué que le Conseil de l'Union européenne avait adopté des instruments opérationnels afin, d'une part, de faciliter la naissance d'une culture commune des pratiques juridictionnelles et, d'autre part, de renforcer la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière civile, commerciale et familiale mise en oeuvre par les règlements dits « Bruxelles I et II ». M. Antonio Vitorino a cité, à titre d'illustration, la décision établissant le réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale, poursuivant le double objectif de faciliter la coopération judiciaire entre les États membres et l'accès à la justice dans les litiges frontaliers. Il a noté que le règlement de l'épineuse question de l'harmonisation des lois applicables aux obligations contractuelles, extracontractuelles et aux droits des successions serait la prochaine étape de la coopération judiciaire, une fois les instruments de la reconnaissance des décisions judiciaires complétés.

Il s'est félicité du mandat donné à la Commission par le Conseil de l'Union européenne en vue de négocier la Convention de La Haye sur l'exequatur universel. Évoquant les points susceptibles d'être tranchés d'ici le Conseil européen de Laeken, il a relevé successivement la lutte contre le blanchiment de l'argent sale et contre la contrefaçon de l'euro, ainsi que la proposition de décision-cadre de lutte contre la traite des êtres humains, la Commission européenne ayant marqué sa préférence, sur cette question, pour un système à deux niveaux de sanctions selon la gravité de l'infraction.

Il a exposé le souci de la Commission de remplir le mandat conféré par le Conseil européen de Tampere, en vue de définir des incriminations et des sanctions communes adaptées aux nouvelles formes de criminalité organisée comme le cyberterrorisme, la lutte contre le trafic de drogue, mais également en matière environnementale.

M. Antonio Vitorino a rappelé que le traité d'Amsterdam avait donné à la Commission européenne une compétence pour élaborer un programme mutuel commun en matière de coopération judiciaire pénale. Il a fait état de l'intention de la Commission de déposer prochainement, à l'occasion de la future présidence belge, un « paquet » proposant l'harmonisation substantielle des outils pénaux destinés à lutter contre la criminalité organisée, l'abolition de la procédure d'extradition, à laquelle se substituerait la remise automatique du criminel sous un ordre de recherche européen en vue d'une exécution immédiate et automatique des décisions de justice.

En matière de coopération policière, M. Antonio Vitorino a indiqué que la Commission préparait la mise en place de la deuxième génération du système d'information Schengen (SIS2) financé par le budget des Communautés européennes à partir de 2002, à la suite d'une décision du Conseil européen. Il a jugé cet instrument essentiel pour garantir l'application des acquis de Schengen dans les pays candidats à l'élargissement.

M. Antonio Vitorino a également mentionné la décision du Conseil de l'Union européenne de créer une école européenne de police et d'élargir les compétences d'Europol pour lutter contre la contrefaçon de l'euro, le blanchiment de l'argent sale et la cybercriminalité. Il a fait état du soutien de la Commission à la mise en place d'un réseau judiciaire de prévention criminelle, proposée sous l'impulsion de la France et la Suède. Il a indiqué le souhait de la Commission de développer un forum sur la criminalité internationale, notamment dans le domaine des oeuvres d'art nécessitant l'adoption des dispositions spécifiques. Il a marqué sa volonté d'accomplir ce programme de travail de coopération policière et judiciaire dans le respect des textes fondamentaux, plus particulièrement les traités, la convention européenne des droits de l'homme, ainsi que la charte européenne des droits fondamentaux.

M. Antonio Vitorino n'a pas caché les difficultés posées par l'élargissement dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, tout en soulignant l'importance de ce dossier pour la Commission dans les mois à venir. Il a insisté sur la nécessité de mener un travail d'évaluation dans les pays candidats tant en ce qui concerne l'incorporation de l'acquis communautaire que leur capacité d'application des normes juridiques dans le domaine de la formation des magistrats, des policiers et des garde-frontières ainsi que de la coopération entre les forces policières et judiciaires des États membres et celles des pays candidats. Il a jugé indispensable de recueillir l'avis du Parlement européen, dépourvu de pouvoir de codécision dans ce domaine, et d'associer les Parlements nationaux au débat.

M. Pierre Fauchon s'est félicité de la volonté du commissaire de voir les Parlements nationaux étroitement associés à l'élaboration des normes européennes dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, observant que ces matières étaient au coeur des compétences des parlements. Il a rappelé que le Sénat avait récemment adopté une résolution sur la création d'Eurojust et s'était prononcé en faveur de la mise en place d'un organe de poursuites au niveau communautaire pour certaines matières bien définies. Il a indiqué que le Sénat avait également souhaité la réunion d'une convention, semblable à celle qui avait été chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux, pour effectuer un travail exploratoire sur les progrès à accomplir dans le domaine de la justice.

M. Antonio Vitorino s'est déclaré particulièrement attaché au dialogue avec les Parlements nationaux, rappelant qu'il avait déjà été entendu par la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Il a indiqué qu'un protocole annexé au traité d'Amsterdam tendait à donner un rôle actif à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) en matière de justice et d'affaires intérieures. Il a regretté de n'avoir eu qu'une occasion de débattre de ces questions avec les parlementaires nationaux dans le cadre de la COSAC. Il a salué le travail de qualité effectué par la convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux, relevant que cette formule présentait l'intérêt d'associer dans une même enceinte toutes les sources de légitimité (parlementaires nationaux, parlementaires européens, gouvernements nationaux, Commission européenne).

M. Antonio Vitorino a souligné que de nombreuses propositions visaient à rééditer l'expérience de la convention afin de préparer la conférence intergouvernementale de 2004. Il a indiqué que cette convention pourrait aborder les questions institutionnelles, mais également les compétences respectives de l'Union et des Etats membres.

Rappelant sa participation récente à une conférence intraparlementaire sur le droit d'asile à Stockholm, M. Patrice Gélard a souhaité connaître l'état d'avancement de la mise en place d'un système européen d'asile. Après avoir insisté sur l'accès, particulièrement difficile pour les citoyens, au droit européen, complexe et multiforme, il s'est prononcé en faveur d'une codification, soulignant que celle-ci constituerait un facteur de démocratisation de l'Union européenne.

M. Jacques Larché, président, a rappelé la coexistence de deux traditions juridiques parmi les pays de l'Union européenne - le droit écrit et la common law. Il s'est déclaré frappé par l'évolution des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes depuis la création de cette institution, rappelant que la technique de rédaction était à l'origine très proche de celle qui prévalait dans les hautes juridictions françaises.

Répondant à M. Patrice Gélard, M. Antonio Vitorino a souligné qu'en matière d'asile, la Commission avait pris des initiatives en vue de la définition de normes minimales communes des conditions d'accueil, de procédures d'attribution de l'asile, des droits et devoirs des réfugiés. Il a souligné qu'un règlement devrait remplacer la convention de Dublin pour fixer les règles de compétence applicables en matière d'attribution de l'asile. Il a indiqué que ces différents thèmes donnaient lieu à des négociations difficiles au sein du Conseil de l'Union européenne.

M. Antonio Vitorino a ensuite précisé que la Commission européenne envisageait, dans un avenir plus lointain, la mise en place d'un système européen commun d'asile et qu'elle avait publié, en novembre 2000, une communication sur les questions essentielles posées par la mise en place d'un tel système. Il a souligné qu'il conviendrait de traiter des problèmes importants, tels que le nombre et la nature des procédures de recours ou la mise en place éventuelle d'un système de guichet unique qui appliquerait la convention de Genève, mais aussi les règles de protection subsidiaires.

Evoquant le droit communautaire, le commissaire est convenu de la complexité croissante des traités. Il a rappelé que l'Institut de Florence avait élaboré un projet de simplification des traités, consistant à faire coexister d'une part un traité-cadre consacré aux droits fondamentaux, aux principes généraux et au fonctionnement des institutions, d'autre part des traités complémentaires contenant les règles relatives aux politiques communes. Il a noté que la déclaration annexée au traité de Nice relative à l'avenir de l'Union mentionnait la simplification des traités parmi les questions que devrait traiter la Conférence intergouvernementale de 2004. Il a estimé que l'influence de la common law sur le droit communautaire demeurait limitée et que l'oeuvre créatrice de la Cour de justice des Communautés européennes avait été facilitée par l'absence de législation dans de nombreux domaines.

M. Antonio Vitorino a indiqué que des traditions juridiques différentes coexistaient en Europe dans d'autres domaines, en particulier en matière de procédure pénale, tout en relevant une évolution dans le sens d'un rapprochement des différents systèmes nationaux. Il a souligné que la négociation de la convention sur l'assistance judiciaire mutuelle avait été l'occasion de confronter les différentes procédures pénales, notamment en ce qui concerne les rôles respectifs des juges et de la police.

M. Jean-Patrick Courtois, observant que de nombreuses initiatives étaient prises pour élargir les attributions d'Europol, a constaté que le démarrage de cet organe avait néanmoins été difficile et que les échanges d'informations entre pays semblaient encore insuffisants. Il s'est interrogé sur la capacité des pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne à contrôler l'immigration et a demandé si la création d'une police européenne des frontières ne serait pas souhaitable. Il a enfin souhaité savoir si les difficultés de fonctionnement du système d'information Schengen étaient pleinement résolues.

M. Antonio Vitorino a estimé que les difficultés d'Europol s'expliquaient par un problème de culture et un problème institutionnel. Il a indiqué que la coopération policière s'était faite, par le passé, de manière bilatérale et que la multilatéralisation du partage des informations, nécessaire pour lutter contre la criminalité organisée, peinait à s'imposer. Il a souligné l'inégale qualité des contributions adressées par chaque Etat membre à Europol, ce qui ne pouvait qu'entretenir des soupçons entre les Etats. Evoquant les difficultés institutionnelles, il a rappelé qu'Europol ne disposait pas de compétences opérationnelles. Il a indiqué que le Conseil de l'Union avait proposé la mise en place d'équipes d'enquêtes conjointes dans lesquelles Europol pourrait avoir un rôle de soutien. Il en a déduit que, dans cette perspective, la question du contrôle démocratique et du contrôle judiciaire d'Europol devrait être posée.

M. Antonio Vitorino a ensuite jugé nécessaire la création d'une police des frontières européennes, indiquant qu'une étude de faisabilité devait être prochainement menée en Italie, à la suite de laquelle une stratégie pourrait être élaborée. Il a observé que, d'ores et déjà, des crédits importants étaient consacrés à la préparation des pays candidats en matière de lutte contre l'immigration illégale.

A propos du système d'information Schengen, M. Antonio Vitorino a rappelé que sa gestion était intergouvernementale et que les Etats avaient privilégié une approche très prudente.

M. José Balarello a demandé si la création d'un parquet européen, souhaitée notamment par les magistrats ayant lancé l'appel de Genève, était à l'étude. Il a souhaité connaître les moyens mis en oeuvre au niveau de l'Union européenne pour lutter contre le blanchiment et sanctionner les pays accueillant des centres « off-shore ».

M. Antonio Vitorino a rappelé que la Commission européenne avait proposé, avant la signature du traité de Nice, la création d'un procureur européen, compétent exclusivement en matière de fraude au budget communautaire et de protection des intérêts financiers des Communautés, mais que cette proposition avait été écartée par le Conseil européen. Il a indiqué que, dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, la Commission européenne soutenait la création de l'unité Eurojust, qui permettrait une coordination des poursuites pour des affaires transnationales. Il a indiqué qu'une unité provisoire fonctionnait depuis mars 2001 et a souhaité qu'une conception ambitieuse d'Eurojust prévale lors de la négociation finale, soulignant qu'il serait intéressant qu'Eurojust puisse avoir un droit d'initiative pour des poursuites pénales, ce qui impliquerait de clarifier le contrôle démocratique d'Eurojust.

A propos de la lutte contre le blanchiment, le commissaire a rappelé l'adoption d'une convention sur la coopération judiciaire en matière de lutte contre le blanchiment, ainsi qu'une décision-cadre relative aux incriminations et aux sanctions. Il a indiqué que l'Union européenne jouait un rôle actif dans les travaux du GAFI (Groupe d'action financière internationale), mais que l'adoption de sanctions à l'égard de pays complaisants en matière de blanchiment, impliquait une action conjointe avec l'ensemble des membres du GAFI, en particulier les Etats-Unis.

M. Robert Bret s'est interrogé sur l'évolution de la politique européenne en matière d'asile. Soulignant qu'une politique d'asile devait tenter de concilier les intérêts des Etats d'accueil et ceux des demandeurs d'asile, il a regretté que l'Europe ait un comportement de plus en plus protectionniste et semble adopter un système de quotas d'immigration.

M. Antonio Vitorino a indiqué que la Commission européenne tentait de proposer une politique équilibrée sur ces questions et qu'elle avait publié deux communications consacrées à l'immigration et à un système européen d'asile. Il a observé que le principe de dignité voulait que les demandeurs d'asile puissent participer au développement économique du pays d'accueil en se voyant proposer une activité. Il a noté que le débat sur la politique d'immigration était marqué par une contradiction entre une rhétorique sécuritaire et un besoin réel de main-d'oeuvre. Il a constaté que le vieillissement de la population, comme la pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs, impliquaient le recours à une main-d'oeuvre immigrée.

M. Antonio Vitorino a estimé que la politique d'immigration devrait être définie en fonction des besoins du marché du travail, observant qu'une telle attitude était le meilleur moyen de faciliter l'intégration au sein de l'Union des immigrés. Il a indiqué qu'une politique européenne devait avoir pour objectif la maîtrise des flux, la gestion du partenariat avec les pays d'origine, enfin la lutte contre l'exploitation criminelle de la main-d'oeuvre immigrée.

Evoquant les quotas d'immigration, le commissaire a observé que certains pays les utilisaient, mais qu'il ne pouvait être question de mettre en place des quotas au niveau européen. Il a estimé que les décisions en cette matière devaient continuer à relever des Etats, l'Union devant s'attacher à rendre compatibles les actions conduites par les Etats.

M. Jacques Larché, président, observant que certains des pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne étaient des sources de main-d'oeuvre, s'est demandé si cette question se poserait dans les mêmes termes après l'élargissement.

M. Antonio Vitorino a alors estimé que les études réalisées sur cette question -qui n'avaient pas jusqu'à présent concerné la Turquie- ne concluaient pas à des mouvements de population considérables à partir des futurs Etats membres de l'Union. Il a rappelé qu'une dérogation à la liberté de circulation pourrait être mise en place pendant une période maximale de sept années.

M. Jean-Jacques Hyest a souhaité avoir des précisions sur les progrès accomplis en matière de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, notamment en matière de droit de la famille.

M. Antonio Vitorino a indiqué que la Commission européenne proposait un agenda très ambitieux en matière de reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Le commissaire a précisé que des progrès importants avaient été accomplis en matière civile, notamment en ce qui concerne les gardes d'enfants. Il a souligné que le règlement ayant remplacé la convention dite « Bruxelles 2 » ne réglait pas le cas des enfants nés hors mariage et qu'il conviendrait de mieux protéger ces enfants nés de couples de fait. Il a néanmoins constaté la diversité des cultures juridiques et jurisprudentielles dans ces matières, notant les difficultés actuelles de la coopération bilatérale elle-même -notamment entre la France et l'Allemagne.

Répondant à M. Robert Bret, qui l'interrogeait sur la lutte contre la traite des êtres humains et la pédopornographie, M. Antonio Vitorino a souligné que des avancées avaient été accomplies pour l'établissement de définitions et d'incriminations communes. Il a toutefois constaté que la question du niveau minimal de sanctions n'était pas encore résolue. Il a précisé que la Commission européenne estimait nécessaire que le niveau minimum de sanction en matière de traite des êtres humains pour l'infraction simple ne soit pas inférieur à huit ou dix ans d'emprisonnement, mais que certains États souhaitaient retenir un seuil plus bas. Il a estimé que si le niveau minimum retenu était trop faible, l'action de l'Union européenne n'aurait aucune utilité.

Mercredi 27 juin 2001

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Problèmes relatifs à la présence sur le territoire national de dépôts de munitions datant des deux guerres mondiales et aux conditions de stockage de ces munitions et à leur destruction

La commission a tout d'abord procédé à des auditions sur les problèmes ayant motivé la proposition de résolution n° 331 (2000-2001), présentée par MM. Jacques Machet, Philippe Arnaud, Jacques Baudot et Rémi Herment, tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la présence sur le territoire national de dépôts de munitions datant des deux guerres mondiales, et aux conditions de stockage de ces munitions et à leur destruction.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles au ministère de l'intérieur

Elle a entendu M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, et M. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire, au ministère de l'intérieur.

M. Jacques Larché, président, a tout d'abord précisé que M. Jacques Machet, sénateur de la Marne, était à l'origine de la tenue de ces auditions, à la suite des événements survenus récemment à Vimy, ainsi qu'à Châtelet-sur-Retourne.

Il a en effet rappelé que si ces derniers n'avaient pas eu de conséquences dramatiques, la question des munitions datant de la première guerre mondiale restait d'actualité, principalement dans l'est et le nord de la France.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a précisé que ce problème risquait de perdurer pendant encore un siècle, puisqu'un quart du milliard d'obus tiré pendant la première guerre mondiale et un dixième des obus tirés pendant la seconde guerre mondiale n'avaient pas explosé.

Il a donc souligné l'ampleur du problème et rappelé que des opérations coordonnées de déminage n'avaient commencé qu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Il a d'ailleurs salué le travail effectué par le premier chef du service de déminage du ministère de l'intérieur, M. Raymond Aubrac, 617 démineurs ayant perdu la vie depuis 1945 dans de telles opérations.

M. Michel Sappin a précisé que depuis 1945 plus de 660.000 bombes, 13 millions de mines et 24 millions d'obus avaient été dégagés.

Revenant sur les incidents de ces dernières semaines, il a indiqué que, dans le cas de Vimy, il s'agissait de munitions chimiques, contrairement à celui de Châtelet-sur-Retourne.

Soulignant le sous-dimensionnement du service de déminage du ministère de l'intérieur, en dépit d'efforts budgétaires récents (dus notamment aux contributions des réserves parlementaires), il a rappelé les efforts menés depuis des années pour sensibiliser les pouvoirs publics à ce problème, tout en reconnaissant une récente prise de conscience.

M. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire, a présenté le service de déminage du ministère de l'intérieur. Il a indiqué que le recrutement provenait essentiellement de militaires de l'armée de terre ainsi que de marins-plongeurs-démineurs, en application de la loi 70-2 du 2 janvier 1970 tendant à faciliter l'accès des officiers à des emplois civils. Il a précisé que les personnels avaient donc au minimum quinze ans d'ancienneté et bénéficiaient en outre de sept années de formation complémentaire après leur intégration, ce qui leur assurait une remarquable compétence.

Il a ensuite présenté les seize centres de déminage existant sur le territoire, principalement concentrés dans le nord du pays, deux centres existant outre-mer, l'un en Guadeloupe et l'autre en Guyane (compétent notamment pour la dépollution de la fusée Ariane), ainsi que les trois antennes de Bayonne, Ajaccio et Bastia.

M. Alain Perret, sous-directeur de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire, a souligné l'extension du champ de compétence du service depuis 1974, celui-ci étant désormais également compétent en matière de lutte anti-terroriste -2.300 objets suspects, ayant révélé 80 bombes, ont ainsi fait l'objet d'une intervention en 2000- et de protection des voyages officiels. Il a insisté sur la complexité des techniques utilisées (robots, systèmes de radiographie des obus).

S'agissant de la répartition des compétences entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense, M. Alain Perret a indiqué que le ministère de l'intérieur était compétent pour le ramassage, le stockage et le marquage des obus chimiques, tandis que le ministère de la défense était seul compétent s'agissant de la destruction de ces obus, objet du programme SECOIA (site d'élimination des chargements d'objets identifiés anciens).

S'agissant des effectifs du service, il a regretté le nombre insuffisant de démineurs (150), la centaine d'aide-artificiers de la police nationale leur étant adjoints n'ayant pas bénéficié de la même formation. Il a ajouté que ces personnels n'étaient pas gérés par la même direction -la direction générale de la police générale dans le cas des aide-artificiers et la direction de la sécurité civile s'agissant des démineurs-.

M. Michel Sappin est alors revenu sur l'incident de Vimy, en soulignant qu'il concernait spécifiquement les obus chimiques, qui provoquent le plus de difficultés et représentent 20 des 600 tonnes d'obus ramassées chaque année.

Il s'est inquiété du grand état de dégradation des munitions, qui rend les manipulations dangereuses et provoque des dégagements toxiques spontanés.

S'agissant du mode de traitement de ces obus chimiques, M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a indiqué que jusqu'en 1993, la solution retenue consistait à « pétarder » les obus en baie de Somme, ceux-ci étant placés dans des trous creusés à marée basse, puis mis à feu à marée haute. Il a indiqué que de telles méthodes avaient cessé en 1993 sous la pression des mouvements écologistes, d'une part, et de la ratification par la France d'un traité relatif à l'élimination des armes chimiques prévoyant le contrôle d'une commission internationale d'experts, d'autre part, ainsi que des conséquences d'un accident survenu en 1993.

Il a indiqué que depuis 1994, une intense concertation entre les services des ministères de la défense, de l'intérieur, des affaires étrangères, de l'environnement ainsi que du secrétariat général de la défense nationale, visait à trouver une solution alternative au traitement des obus chimiques.

M. Michel Sappin a rappelé que la principale difficulté provenait du partage des compétences opéré par les textes entre, d'une part, la collecte et le stockage des munitions chimiques relevant du ministère de l'intérieur et, d'autre part, la destruction des armes chimiques relevant du ministère de la défense.

S'agissant des expériences étrangères, il a estimé difficile d'établir des comparaisons entre la situation française et celle des belges, des britanniques et des allemands, en raison des différences de réglementation nationale, ainsi que d'une moindre quantité d'obus à traiter dans ces pays.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a ensuite présenté le programme SECOIA d'élimination industrielle des munitions chimiques, dont le coût estimé est passé de 150 millions de francs en 1991 à 700 millions de francs actuellement.

Il a indiqué que la décision avait été prise de rassembler les munitions chimiques sur les sites de Vimy, Wapy et Laon-Couvron. Il a rappelé qu'il s'agissait d'un simple stockage, le traitement dépendant du ministère de la défense, et que ce stockage, conçu à l'origine comme provisoire, se pérennisait du fait du retard dans la mise en oeuvre du programme SECOIA. Il a reconnu que, malgré les précautions prises, des problèmes de saturation et de détérioration accélérée s'étaient posés, les munitions ayant été jusqu'en 1999 stockées en plein air.

S'agissant des incidents intervenus à Vimy fin mars-début avril, M. Michel Sappin a indiqué qu'ils s'expliquaient par une déformation préoccupante des caisses en plastique spécial du fait d'un problème de surcharge. Il a précisé que les risques très élevés de réactions en chaîne, dont les conséquences en termes de santé publique auraient pu être très graves en cas de formation d'un nuage toxique, avaient rendu nécessaire une intervention rapide.

Il a rappelé la décision du Premier ministre, M. Lionel Jospin, d'évacuer la population et de procéder au déplacement, vers le camp militaire de Suippes, des munitions en cause, afin de procéder à une remise en sécurité du camp de Vimy. Il a précisé que restaient à Vimy les munitions dites douteuses -c'est-à-dire celles dont la composition, chimique ou non, devait encore être identifiée par la « machine à lever le doute ».

En outre, M. Michel Sappin s'est félicité de la prise de conscience par les pouvoirs publics de l'ampleur du problème, et a indiqué que la réflexion concernant le programme SECOIA avançait rapidement. Il a ainsi précisé que chaque préfet de zone de défense devait dresser un inventaire des lieux de dépôts et du stock de munitions, jamais encore réalisé auparavant, un plan d'action devant suivre.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que l'avis budgétaire « sécurité civile » présenté par M. Jean-Pierre Schosteck évoquait chaque année ce grave problème, ainsi que le nombre de décès survenus chaque année à la suite des opérations de déminage. Il s'est interrogé sur les progrès réalisés en termes de sécurité constatant qu'en moyenne le nombre de démineurs tués avoisinait 15 à 18 par an.

M. Michel Sappin a indiqué une baisse du nombre des démineurs tués, la plupart l'ayant été dans les premières années et le dernier recensé étant mort à Vimy il y a trois ans. Il a cependant rappelé l'absence de risque zéro, en raison des nombreuses manipulations manuelles nécessitées par le traitement des obus. Il a en outre précisé que de nombreux accidents touchaient les agriculteurs et les enfants, et que le début des travaux du TGV Est, dont le tracé traverse d'anciens champs de bataille de la première guerre mondiale, augmenterait le risque d'accident.

En réponse à M. Jacques Larché, président, M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a indiqué qu'en cas de décès des démineurs, leurs veuves et orphelins bénéficiaient du même régime que celui des policiers décédés en service commandé.

M. Jacques Machet a indiqué l'attention qu'il avait portée aux intervenants, en tant que conseiller général et habitant du canton de Suippes, et en tant qu'agriculteur confronté à la découverte d'obus dans les champs sans avoir eu connaissance d'accident mortel dans sa région concernant des agriculteurs.

Il s'est ému des conditions du transfert des munitions chimiques de Vimy à Suippes, s'élevant en particulier contre l'absence de toute information préalable des élus locaux et de la population.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a reconnu l'étrangeté des conditions de transfert, mais l'a justifiée par l'urgence de la situation. Il a rappelé que l'usine SECOIA devant être construite sur le site de Suippes, il n'était pas incohérent d'y transférer dès à présent les munitions chimiques. Il a précisé qu'une opération « portes ouvertes » en direction des élus et de la population locale avait été organisée peu après par le préfet de la Marne.

En réponse à M. Jacques Machet, M. Michel Sappin l'a assuré qu'un seul arrivage avait eu lieu, les convois suivants n'ayant concerné que des containers vides. Il a toutefois reconnu que des arrivées ultérieures de munitions chimiques étaient prévues, le site de Suippes devant être le terrain de la destruction des munitions.

M. Jacques Machet l'a assuré de sa confiance dans les précautions prises actuellement, mais s'est interrogé sur la sécurité future du stockage des munitions dans l'attente de la construction de l'usine.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a indiqué que les munitions étaient stockées dans des containers réfrigérés eux-mêmes placés dans des silos Hadès, et a assuré que ce stockage présentait donc toutes les garanties de sécurité.

M. Jacques Machet a douté que les containers puissent entrer dans ces silos.

M. Jean-Pierre Schosteck s'est interrogé sur la date de mise en service effective de cette usine, en rappelant que des munitions aussi dangereuses ne pouvaient être stockées indéfiniment.

M. Jacques Larché, président, a lui aussi souhaité savoir si le transfert de munitions à Suippes consistait uniquement à déplacer les risques ou pouvait permettre de meilleures conditions de stockage.

M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a assuré que les obus à paroi mince bénéficiaient à Suippes de conditions de conservation optimales. Il a également souligné que la construction de l'usine SECOIA relevait de la compétence du ministère de la défense et indiqué que les dernières réunions interministérielles prévoyaient sa mise en service en 2006.

En réponse à M. Jacques Machet, qui déplorait le manque de volonté des pouvoirs publics, M. Michel Sappin a indiqué qu'au contraire, les problèmes posés étaient essentiellement de nature technique. Il a précisé qu'un processus totalement automatisé -restant encore à déterminer- était en effet nécessaire, le Règlement militaire interdisant aux militaires de manipuler les munitions.

En réponse à M. Jacques Machet, M. Michel Sappin a exposé les expériences étrangères en matière de traitement des munitions chimiques. Il a précisé qu'en Allemagne le problème était pratiquement résolu, les opérations de déminage ayant été menées principalement entre 1945 et 1960 et les champs de bataille étant plutôt situés du côté français.

Il a, en outre, évoqué la technique de « perçage-pompage » utilisée par les Belges sur les obus à paroi mince, certes plus rapide, mais présentant des garanties de sécurité moindres.

M. Maurice Ulrich a fait part de son inquiétude quant à d'éventuels dysfonctionnements de la coopération interministérielle, s'étonnant notamment du fait que les militaires ne puissent manipuler des munitions, et rappelant qu'une modification du Règlement militaire était toujours possible.

M. Michel Sappin a récusé cette perception des rapports entre administrations, en rappelant que la gestion de ce dossier se faisait sous l'autorité du Premier ministre, et que la lenteur de la réalisation du programme SECOIA tenait principalement à la réduction du budget de la défense et aux études en cours des experts.

M. Jacques Machet a regretté le paradoxe de la constatation de cette urgence, s'agissant d'une situation vieille de 80 ans.

M. Michel Sappin a tenu à rappeler qu'un nettoyage à peu près complet avait été réalisé après la Libération, mais que la remontée des munitions et leur découverte à l'occasion de chantiers de constructions (autoroutes, voies TGV) expliquaient la persistance des difficultés.

En réponse à M. Jacques Larché, président, M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, a indiqué que des prisonniers de guerre allemands avaient participé, jusqu'en 1951, à des opérations de déminage.

Audition du Colonel Michel Lagrange, chargé du territoire national au centre opérationnel interarmées

Puis la commission a entendu le Colonel Michel Lagrange, chargé du territoire national au Centre opérationnel interarmées.

Après avoir expliqué qu'il relevait de l'autorité hiérarchique de l'amiral chargé de la conduite des opérations dans le monde et du chef d'état-major des armées, le Colonel Michel Lagrange a indiqué qu'il était l'intermédiaire depuis six ans, entre les décisions gouvernementales et les armées pour les opérations sur le territoire national.

Il a jugé que l'affaire de Vimy et Suippes avait traduit l'engagement très important des armées aux côtés de la direction de la défense et de la sécurité civiles, responsable du secours aux populations. Il a mis en évidence les quatre actions menées par les armées : l'aide à la sécurisation de la zone de Vimy et à la population évacuée, l'expertise dans le domaine chimique, la planification du transport en direction de Suippes, en coopération avec le préfet de zone, ainsi que la mise à disposition et la sécurisation du site de Suippes.

S'agissant des aspects réglementaires, le Colonel Michel Lagrange a rappelé que le décret de 1976 confiait au ministère de l'intérieur la responsabilité de la récupération, du stockage et de la destruction des munitions, la défense étant chargée de la seule destruction des munitions chimiques. Il a remarqué que le renforcement de la défense civile par des forces armées reposait sur la faculté, pour le préfet, de réquisitionner la force armée pour faire respecter l'ordre public et la sécurité, selon une circulaire interministérielle de 1984.

Il a insisté sur l'ampleur des moyens mis en oeuvre par les armées : plus de 1.500 hommes, six hélicoptères, cinq avions de transport, des moyens de décontamination et de reconnaissance chimique et sur la réussite de la coopération civilo-militaire, grâce au général Gaubert, au préfet et à l'engagement personnel de tous les militaires, soumis à des conditions de travail très difficiles.

M. Jacques Machet a regretté que la population et les élus n'aient été ni prévenus des opérations de stockage à Suippes, ni informés des risques encourus. En particulier, il a souhaité savoir s'il existait un risque d'évacuation des habitants de Suippes.

Le Colonel Michel Lagrange a répondu que la communication sur cette opération avait été centralisée. Il a rappelé que la sécurité à l'intérieur du site de Suippes relevait du ministère de l'intérieur, tandis que les militaires assuraient la sécurité extérieure, notamment la lutte contre les intrusions et l'alimentation en électricité. Les munitions étant réfrigérées dans des containers, il a estimé qu'il n'y avait pas de risque d'accident à Suippes dans les cinq prochaines années, délai nécessaire à la réalisation du programme SECOIA. Il a souligné que le site de Suippes était particulièrement bien sécurisé, en tant qu'ancien dépôt de munitions, et que le risque présenté par Vimy, à savoir la juxtaposition de munitions explosives et de munitions chimiques, n'y existait pas. Interrogé par M. Jacques Machet, il a douté que les containers puissent entrer tels quels dans le silo Adès.

M. Jean-Pierre Schosteck a alors remarqué que M. Michel Sappin, directeur de la défense et de la sécurité civiles, avait soutenu exactement le contraire, c'est-à-dire que les containers entraient bien dans le silo Adès. Il a demandé si le partage de compétences entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense était satisfaisant. Se demandant si les munitions perdues n'étaient pas en quelque sorte le « service après-vente » des armées, il s'est prononcé pour une compétence pleine et entière du ministère de la défense.

M. Jacques Larché, président, s'est étonné que les armées, après avoir eu le droit d'utiliser les munitions, ne puissent plus y accéder quand il s'agissait de les récupérer en vue de leur stockage et de leur destruction.

Le Colonel Michel Lagrange a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de porter un jugement sur la répartition des compétences entre les ministères.

MM. Jacques Machet, Jean-Pierre Schosteck et Maurice Ulrich ont déploré la complexité induite par le partage des compétences entre l'intérieur et la défense et le risque d'immobilisme qui en résultait.

Le Colonel Michel Lagrange a souligné la qualité des relations, très fréquentes, entre les armées et la direction de la sécurité civile. Il a ajouté que le partage des compétences s'effectuait sans délai et de façon satisfaisante.

Général de division Gaubert, général commandant la zone défense Nord à Lille, Gouverneur militaire de Lille

La commission a ensuite entendu le Général de division Gaubert, général commandant la zone défense Nord à Lille, Gouverneur militaire de Lille.

Avant de présenter l'opération de transfert des munitions chimiques de Vimy à Suippes, le général Gaubert a souligné qu'elle avait présenté des dangers considérables, qu'elle avait été réalisée sous une forte contrainte de temps et qu'elle avait mis en jeu de très importants moyens de l'Etat, tant civils que militaires.

Il a caractérisé cette opération comme une opération « militaro-civile » ayant requis une coordination entre des services ayant une culture et des habitudes de travail très différentes.

Il a noté que la préparation de l'opération s'était déroulée dans le plus grand secret et que, compte tenu des risques encourus, ses conséquences auraient pu être très graves sur le plan national et international en termes d'image et de crédibilité de la France.

Indiquant avoir travaillé en étroite collaboration avec le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, le préfet du Pas-de-Calais et les services de la sécurité civile, le général Gaubert a souligné que l'opération avait entraîné une mobilisation totale des services de l'Etat, aussi bien au niveau du Premier ministre que des ministères de l'intérieur et de la défense et du secrétariat général de la défense nationale.

Il a constaté que, s'agissant de l'armée, cette opération présentait des aspects classiques et des aspects plus originaux.

Il a qualifié de classique la sécurisation des zones évacuées, sur le modèle des actions fréquemment entreprises sur le théâtre d'opérations extérieures, tels la Bosnie ou le Kosovo. Il a indiqué que 400 militaires avaient ainsi pris en charge la sécurité des biens sur un territoire situé pour moitié en zone de police et pour moitié en zone de gendarmerie.

Il a également considéré comme classique la fourniture, par l'armée, de moyens à tous les acteurs de l'opération, tels des moyens de transport pour les unités de la protection civile, des moyens aériens d'évacuation sanitaire, des équipements comme des masques à gaz à l'usage des démineurs ou des unités de CRS.

Le général Gaubert a qualifié en revanche d'original le travail mené en liaison avec les services de la sécurité civile, insistant sur la grande réactivité de l'armée.

Il a en particulier rappelé que, grâce à des moyens transportés par voie aérienne de Draguignan, l'armée avait été en mesure d'identifier les émissions toxiques en cause moins de quatre heures après leur détection, mettant à profit l'expérience acquise lors de la guerre du golfe, ce que la brigade des sapeurs pompiers de Paris et les unités spécialisées de la sécurité civile n'avaient pas pu faire étant confrontées à des gaz trop anciens pour être répertoriés par eux. Il a en outre indiqué que l'armée avait mis à la disposition des unités de sécurité civile certains matériels de décontamination qui leur faisaient défaut.

Il a souligné qu'à la suite de la déclaration du Premier ministre lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 18 avril, le délai initialement imparti pour l'opération avait été ramené de dix à sept jours. Il a indiqué que l'usage de matériels britanniques employés dans les Balkans avait permis une sécurisation très rapide du dépôt de munitions de Vimy, dans des conditions très difficiles, y compris sur le plan météorologique.

Le général Gaubert a précisé que, de manière originale, la planification de l'opération avait été menée par des militaires au profit des autorités civiles et que l'aspect communication avait été pris en charge par l'armée, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais ayant réservé à cette fin la salle des fêtes de la préfecture.

M. Jacques Larché, président, a souhaité connaître l'importance des dangers encourus avant l'opération et la mesure de la réduction effective des risques qu'elle avait permise.

Le général Gaubert a indiqué que les risques étaient extrêmement importants avant l'opération. Il a rappelé que les caisses de munitions étaient empilées à Vimy sur une hauteur de 2,5 à 3 mètres, que certaines de ces caisses étaient fendues, si bien que leur contenu, pesant de 150 à 200 kg était susceptible de basculer et de provoquer, à 90 % de probabilité, une réaction en chaîne. Il a considéré que l'explosion des 100 tonnes d'explosifs stockés aurait entraîné des dommages dans un rayon de 2 kilomètres et que le nuage produit par les 50 tonnes de produits chimiques aurait pu gagner, en fonction du vent, Arras, Lens ou même Lille, touchant entre 40.000 et 80.000 personnes.

Il a estimé que les risques avaient été considérablement réduits par l'opération, les obus chimiques étant conservés à Suippes dans des containeurs réfrigérés. Il a fait ressortir à cet égard que les armes chimiques perdaient leur efficacité à partir de moins 6 degrés et qu'elles devenaient totalement inopérantes à moins 20 degrés. S'agissant des munitions non encore répertoriées comme chimiques ou explosives restées à Vimy, il a indiqué qu'elles étaient désormais conservées dans des caisses placées à même le sol alternées avec des caisses de sable de manière à éviter toute réaction en chaîne et toute contamination importante.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui l'avait interrogé sur le délai s'étant écoulé entre la première alerte et le début de l'opération, le général Gaubert a souligné sa brièveté, faisant ressortir qu'il avait été mis en alerte le mardi 10 avril au soir, sans en connaître la raison, qu'il avait été informé le lendemain à 12 heures par le préfet du Pas-de-Calais de l'existence d'un problème à Vimy, qu'il avait appris le jeudi 12 avril à 8 heures que l'opération débuterait à 14 heures le même jour, soit six heures plus tard, et que le ministre de l'intérieur avait effectué une déclaration publique le vendredi à 10 heures. Il a confirmé que le délai imparti pour mener à bien l'ensemble de l'opération, fixé initialement à dix jours, avait été ramené à sept jours le mercredi suivant à la suite des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale.

En réponse à M. Jacques Machet qui avait regretté d'avoir été, comme les autres élus de la région, informé par la télévision de l'arrivée des obus à Suippes, le général Gaubert a précisé que le site de Suippes ne s'était pas imposé d'emblée, plusieurs sites militaires sécurisés ayant pu être envisagés dans la région.

M. Jacques Machet
s'est déclaré confiant quant aux conditions actuelles de sécurité du stockage des munitions à Suippes. Il s'est cependant demandé si ces conditions pourraient être maintenues pendant six ans, jusqu'à la mise en service de l'usine SECOIA.

Le général Gaubert a indiqué en réponse qu'une zone de stockage tampon avait été ouverte à Vimy de laquelle partiraient régulièrement des camions frigorifiques pour Suippes. Il a fait ressortir que le processus de collecte, de transport et de stockage mis au point impliquait des personnels dédiés à cette mission, ce qui limitait les risques de banalisation, source de danger.

M. Robert Bret a souligné que des mesures auraient dû être prises trois ans auparavant.

M. Jacques Larché, président, a considéré que, confrontés à cette situation, les services de l'État avaient fonctionné au cours de l'opération de manière coordonnée, avec efficacité et célérité.

Audition de M. Christophe Pezeron, responsable du programme SECOIA (Site d'Élimination des Chargements d'Objets Identifiés Anciens) à la délégation générale pour l'armement

La commission a enfin entendu M. Christophe Pezeron, responsable du programme SECOIA (Site d'Élimination des Chargements d'Objets Identifiés Anciens) à la délégation générale pour l'armement.

Après avoir rappelé l'ampleur des problèmes posés par l'élimination des déchets d'armement datant de la première guerre mondiale, M. Jacques Larché, président, a interrogé M. Christophe Pezeron sur les solutions envisagées par la délégation générale pour l'armement dans le programme SECOIA.

M. Christophe Pezeron a tout d'abord confirmé qu'une faible proportion des munitions utilisées sur le territoire français pendant la première guerre mondiale avaient explosé, cette importante déperdition s'expliquant par la quasi-absence de contrôle dans les chaînes de production de ces munitions et par le caractère spongieux des terrains sur lesquels les obus avaient atterri.

Après avoir indiqué qu'en vertu du décret n° 96-1081 du 5 décembre 1996 le ministère de la défense était responsable de la destruction des munitions chimiques, les opérations étant confiées à la délégation générale pour l'armement, M. Christophe Pezeron a indiqué que celle-ci avait, en juin 1997, défini un programme en trois phases avec en premier lieu une étude de faisabilité, puis la conception, la réalisation et la mise en service d'une installation, et enfin l'exploitation régulière de cette installation. Il a précisé que dès l'origine avait été fait le choix d'une installation unique, sa capacité de traitement ayant initialement été fixée à 100 tonnes de munitions par an et sa durée de vie estimée à une trentaine d'années. Il a souligné la complexité du processus d'acheminement et de traitement de ces déchets qui nécessitait d'aménager un dispositif de réception et de déchargement des munitions, de construire des bâtiments résistant aux effets pyrotechniques ou encore d'identifier précisément la nature chimique ou non de chaque munition en cause.

M. Christophe Pezeron a indiqué que la phase de faisabilité s'était ouverte en juin 1998 avec la conclusion de trois marchés en vue de la construction d'un premier bâtiment fin 1999, le coût de réalisation étant alors évalué à 880 millions de francs. Il a précisé qu'une étude d'optimisation avait été conduite avec le ministère de l'intérieur afin de réduire ce coût, étude qui avait abouti à la fin de l'année 2000 à décider d'une capacité de traitement réduite à 25 tonnes par an, suffisante pour traiter le flux, l'élimination du stock existant pouvant être réalisée par une cadence supérieure de fonctionnement de l'installation en équipes (deux fois huit heures ou trois fois huit heures).

M. Christophe Pezeron a déclaré que la préparation de la phase de réalisation avait conduit à définir un protocole d'accord avec le ministère de l'intérieur et à lancer une procédure de consultation au mois de juin 2001 pour la conclusion de marchés devant permettre de procéder à une première opération de destruction en 2005 et à une mise en service effective de l'installation en 2007.

M. Christophe Pezeron a observé qu'il existait actuellement trois types de solutions permettant la destruction des déchets d'armement : la crémation dans un four blindé suivie de la neutralisation des effluents produits ; l'immersion des munitions dans un bain d'acide nitrique chauffé suivie de la récupération et du traitement des effluents gazeux, liquides et solides ; le démantèlement des munitions pour séparer la partie chimique de la partie pyrotechnique en vue d'une élimination par des procédés distincts. Après avoir précisé que ces trois techniques étaient en compétition, l'une d'entre elles devant être choisie à l'issue de la consultation, il a rappelé que la Belgique et l'Allemagne avaient opté pour le démantèlement, mais avaient sous-estimé la durée de la période de mise au point du processus d'élimination, si bien que le dispositif belge n'était devenu opérationnel qu'en octobre 1999, avec deux ans de retard, et que l'installation allemande de traitement des terres polluées, construite en 1995, devait être remise en cause. Il a expliqué que ces exemples étrangers justifiaient qu'une période d'une durée de deux ans soit réservée à la mise en service de la future installation française.

En réponse à M. Jacques Larché, président, M. Christophe Pezeron a indiqué qu'une équipe de dix à vingt personnes suffirait à assurer le fonctionnement de l'installation, celui-ci étant entièrement automatisé contrairement aux systèmes belge et allemand, et que la gestion en serait confiée par le biais d'un marché public à un industriel privé sous contrat avec la direction générale de l'armement. Il a précisé que le coût de fonctionnement, initialement estimé à 50 millions de francs, pourrait sans doute être ramené à une trentaine de millions de francs du fait de la réduction de la capacité de l'installation par rapport à ce qui était prévu à l'origine et que ces sommes devraient être inscrites sur une ligne budgétaire spécifique.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui s'interrogeait sur les performances respectives des trois dispositifs de destruction envisageables, M. Christophe Pezeron a indiqué que le démantèlement mécanique constituait un mode de destruction plus risqué, dans la mesure où il supposait une dislocation de la munition, que la crémation dans un four blindé, tout en présentant l'intérêt de permettre un traitement plus intensif, impliquait une vérification de la résistance des installations sur la durée, et que le traitement chimique nécessitait de trouver le moyen d'éliminer les effluents résiduels. Il a observé que chacun de ces trois types de traitement était éligible, les industriels consultés devant définir la solution capable de répondre aux exigences définies dans le cahier des charges.

En réponse à M. Jacques Machet, M. Christophe Pezeron a confirmé que les procédés de crémation et de traitement chimique nécessitaient tous deux un traitement des effluents, les normes de protection de l'environnement applicables étant les mêmes que pour les rejets résultant des autres secteurs industriels.

En réponse à M. Jacques Larché, président, et à M. Jean-Jacques Hyest qui s'interrogeaient sur la possibilité d'exporter le traitement des munitions découvertes en France vers la Belgique ou l'Allemagne, M. Christophe Pezeron a indiqué que cela était difficilement envisageable dans la mesure où les installations de ces deux pays ne pouvaient accueillir certains types de munitions retrouvées en nombre sur le sol français et avaient une capacité tout juste suffisante pour traiter les flux alors que les stocks belges à éliminer s'élevaient à 100 tonnes et les stocks allemands à 250 tonnes. Il a précisé qu'en francs de 1990 l'installation belge avait coûté une centaine de millions et que le coût de l'installation de traitement des terres polluées sur le site allemand s'était élevé à quelque 600 millions de francs, sans qu'elle puisse réellement fonctionner.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, qui observait que l'augmentation des cadences de fonctionnement de l'installation pour la destruction des stocks induirait un coût de fonctionnement supplémentaire et s'interrogeait sur la nécessité d'une manutention des munitions, M. Christophe Pezeron a indiqué que l'objectif assigné aux industriels était de définir un procédé complètement automatisé excluant toute intervention physique humaine. Il a confirmé à M. Jacques Machet que les procédés mis en oeuvre en Belgique et en Allemagne impliquaient des opérations manuelles, ce qui avait pour effet de limiter la productivité.

M. Robert Bret s'est interrogé sur l'existence d'une réflexion menée au niveau européen sur ces questions d'élimination des déchets d'armement et a fait valoir qu'une coopération entre les pays concernés permettrait de réduire les coûts. M. Christophe Pezeron a indiqué qu'à l'initiative du ministère de la défense belge une agence européenne de destruction des munitions allait être mise en place, la première réunion de cette instance ayant eu lieu le 4 mai dernier. Il a rappelé que la question de la mutualisation des expériences et des projets n'avait émergé que récemment, les Belges opérant une destruction par immersion et les Français procédant à des destructions en baie de Somme jusqu'aux années 1980.

Après avoir rappelé que le transport des munitions s'effectuait sous la responsabilité du ministère de l'intérieur alors que le ministère de la défense assurait l'acquisition des moyens de transport, M. Christophe Pezeron, se référant à l'exemple allemand où certains Länder s'étaient opposés au passage des convois sur leur territoire, a souligné les difficultés liées aux opérations de transport et au choix du site de traitement.

Ayant regretté le caractère tardif de la réflexion menée en France par comparaison avec les expériences belge et allemande et observé que le financement des opérations de destruction par le budget du ministère de la défense se ferait au détriment de l'équipement des armées, alors même qu'elles relevaient de la défense civile, M. Patrice Gélard a souligné la complexité des processus industriels en cause et s'est interrogé sur le caractère déjà éprouvé ou innovant des technologies requises.

M. Christophe Pezeron a affirmé que la délégation pour l'armement traitait directement avec des industriels auxquels étaient assignés des objectifs et des obligations de résultat, à charge pour eux d'effectuer les recherches technologiques nécessaires, étant entendu que la solution choisie ne serait pas figée pour les trente prochaines années, mais devrait être évolutive pour répondre aux nouvelles normes de sécurité et de protection de l'environnement et pour permettre une réduction des coûts de traitement.

En réponse à M. Jean-Paul Amoudry qui s'interrogeait sur l'existence d'installations de destruction de munitions dans d'autres pays du monde, M. Christophe Pezeron a indiqué que les Japonais recherchaient actuellement les solutions techniques permettant d'éliminer les stocks d'armes chimiques stockées sur le territoire chinois, estimés à 4 millions d'obus par les Chinois eux-mêmes et à seulement 700.000 obus par les Japonais. Il a précisé qu'un système de redevance serait prévu pour le cas où des pays étrangers viendraient à bénéficier de la solution commandée et mise en oeuvre pour les autorités françaises.

Pour conclure son propos, M. Christophe Pezeron a souligné la nécessité de respecter un délai substantiel pour la phase de mise au point de l'installation projetée, la durée de ce délai devant être fixée à l'issue de la consultation en cours. Concernant le financement, il a précisé que sur une somme de 300 millions de francs budgétée dès 1997, 280 millions de francs restaient aujourd'hui disponibles.

Nomination de rapporteurs

Puis la commission a procédé à la nomination de rapporteurs sur les textes suivants :

- M. Nicolas About pour le projet de loi n° 352 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat ;

- M. Daniel Hoeffel pour le projet de loi n° 415 (2000-2001) adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la démocratie de proximité ;

- M. Laurent Béteille pour la proposition de loi n° 387 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'autorité parentale ;

- M. Roger Karoutchi pour la proposition de résolution n° 118 (2000-2001), présentée par M. Xavier Darcos au nom de la délégation pour l'Union Européenne en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire (n° E 1539) ;

- M. Jacques Larché pour la proposition de loi constitutionnelle n° 388 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à modifier l'article 68 de la Constitution.

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes - Saisine

En application de l'article 6 septiès III de l'ordonnance relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission a décidé de saisir la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de la proposition de loi n° 387 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'autorité parentale, et du projet de loi n° 352 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat.