Table des matières




- Présidence de M. René Garrec, président.

Résolutions européennes - Justice - Livre vert sur la protection légale des intérêts financiers communautaires et création d'un procureur européen - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Pierre Fauchon sur la proposition de résolution n° 288 (2001-2002) présentée, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Pierre Fauchon au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur le livre vert sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen (E 1912).

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le Sénat s'intéressait depuis plusieurs années à la création de l'espace judiciaire européen et qu'il avait notamment adopté deux résolutions, respectivement relatives à la création d'Eurojust et à la mise en place d'un mandat d'arrêt européen. Il a souligné que ces instruments étaient tout à fait utiles, mais ne pouvaient avoir qu'une influence modeste sur la criminalité transfrontalière, compte tenu du morcellement de l'espace pénal européen.

Le rapporteur a indiqué que la Commission européenne avait soumis à la consultation un livre vert proposant la création d'un procureur européen compétent dans le seul domaine de la fraude aux intérêts communautaires. Il a rappelé que cette fraude représentait des sommes considérables et qu'elle risquait de s'aggraver fortement à la suite du prochain élargissement de l'Union européenne. Il a observé que des moyens de détection administrative avaient été mis en place avec la création de l'OLAF (Office de lutte anti-fraude), mais que les poursuites judiciaires demeuraient très limitées.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que la Commission européenne proposait que le procureur européen soit compétent pour rassembler les preuves afin d'engager des poursuites contre les auteurs des fraudes, pour renvoyer en jugement les auteurs des faits poursuivis, enfin pour exercer l'action publique au cours du procès afin de défendre les intérêts financiers des Communautés. Il a précisé que le Livre vert envisageait une nomination du procureur européen par le Conseil de l'Union européenne, sur proposition de la Commission européenne, après avis conforme du Parlement européen. Il s'est interrogé sur cette intervention du Parlement européen, observant qu'elle risquait de politiser le processus de désignation du procureur.

Le rapporteur a fait valoir que le procureur serait assisté de procureurs européens délégués désignés par chaque Etat membre et que son action serait soumise au principe de légalité des poursuites. Il a noté que la Commission proposait que les actes du procureur européen soient contrôlés par les juges nationaux.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que la délégation pour l'Union européenne du Sénat avait adopté, à l'unanimité, une proposition de résolution approuvant les orientations du Livre vert, tout en souhaitant que la création du procureur européen s'accompagne, d'une part, d'un contrôle des actes du procureur et de la décision de renvoi en jugement au niveau européen, d'autre part, d'une unification des règles et procédures pénales dans le domaine concerné. Il a précisé que la proposition de résolution demandait la réunion d'une convention, composée notamment de parlementaires européens et de parlementaires nationaux, chargée de préparer l'unification des règles et procédures.

Le rapporteur a alors proposé à la commission d'approuver la proposition de résolution. Il a observé que la création du procureur européen ne pouvait avoir une utilité que si elle s'accompagnait de la mise en place des instruments susceptibles de lui donner une efficacité. Il a jugé nécessaire que le procureur européen soit totalement indépendant de la Commission européenne. Il a indiqué que le procureur européen n'entrerait pas en concurrence avec Eurojust, rappelant qu'Eurojust avait un champ de compétences très large, mais des prérogatives limitées. Il a proposé quelques modifications, notamment pour préciser très clairement que la création du procureur devrait s'accompagner de la création d'une chambre préliminaire, au niveau communautaire, compétente pour contrôler les actes du procureur et la décision de renvoi en jugement.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a ensuite proposé de compléter la proposition de résolution pour indiquer qu'à terme, la création d'une juridiction européenne de jugement devrait être envisagée, notamment pour assurer l'homogénéité des décisions de justice. Il a indiqué que M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, et M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, s'étaient prononcés en faveur de la création d'une telle juridiction au cours d'une audition, en soulignant notamment que le renvoi aux juridictions nationales risquait de conduire à d'amples divergences de jurisprudence.

M. Christian Cointat a déclaré partager l'essentiel des conclusions du rapporteur. Il s'est interrogé sur la nécessité d'une unification des règles et procédures, observant qu'une harmonisation poussée était bien souvent préférable.

M. Robert Badinter a constaté une prise de conscience de l'importance de la criminalité européenne transnationale. Il a noté qu'il serait impossible de lutter contre cette criminalité sans progresser vers la création d'une Europe judiciaire. Soulignant que la simple coopération ne pouvait plus suffire, il a estimé indispensable un progrès de l'unification européenne. Il a approuvé les orientations de la proposition de résolution et a proposé des modifications rédactionnelles, soulignant en particulier qu'il n'était pas nécessaire de mentionner des exemples de circonstances aggravantes dans la proposition de résolution. Il a souhaité que la résolution précise que le procureur européen devrait être indépendant.

M. Maurice Ulrich a souligné qu'il existait une certaine contradiction entre les considérants, très généraux, de la proposition de résolution, et son objet réel, beaucoup plus limité. Il a estimé que la création d'un procureur européen allait au-delà de ce qui paraissait souhaitable aujourd'hui. Il a jugé préférable de s'en remettre davantage au principe de subsidiarité dans une telle matière.

M. Patrice Gélard a estimé que la création d'un procureur européen était prématurée. Il s'est déclaré hostile à la mise en place d'une autorité totalement indépendante, observant qu'une telle évolution ne correspondait pas à ce que devrait être un ministère public. Il a considéré peu cohérent d'envisager la création d'un tel instrument avant d'avoir préalablement posé un diagnostic sur l'importance de la fraude aux intérêts communautaires.

M. Jean-Jacques Hyest a estimé nécessaire de prendre en compte les spécificités de la criminalité transnationale. Il a observé que les juridictions nationales n'étaient pas en situation d'appréhender convenablement ces formes de criminalité. Il a indiqué que la fraude aux intérêts communautaires, notamment à la TVA, était très importante et appelait des réponses fortes et spécifiques. Il a souligné qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter de l'indépendance du procureur européen, dès lors qu'il serait soumis au principe de légalité des poursuites, contrairement aux procureurs français.

M. Robert Badinter a souligné qu'il existait bel et bien une criminalité organisée financière, dont l'objet portait sur le détournement de fonds communautaires. Il a fait valoir que tous les Etats n'avaient pas la même politique en la matière et que certains étaient plus actifs que d'autres dans la lutte contre cette criminalité. Il a noté que ce procureur ne pourrait qu'être indépendant à l'égard de la Commission européenne et que, nommé probablement par le Conseil européen, il lui rendrait naturellement des comptes. Il a observé que la multitude des procédures utilisées au sein de l'Union européenne était actuellement utilisée par les pires criminels internationaux.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le Sénat avait à deux reprises demandé la constitution, au niveau européen, d'une autorité responsable des poursuites pour l'ensemble de la criminalité transnationale. Il a souligné que la proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne avait un champ plus limité et qu'il serait singulier que le Sénat se déjuge. Il a estimé que, dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne, il était indispensable de mettre en place des outils efficaces de lutte contre la criminalité transnationale. Il a observé qu'il n'était pas concevable que le procureur européen dépende de la Commission européenne et qu'il n'existait pas au niveau européen d'équivalent du ministère de la justice en France. Il a fait valoir qu'il ne s'agissait en aucun cas de fédéralisme, mais simplement de lutter contre la criminalité internationale. Il a jugé indispensable que des instruments efficaces soient mis en place avant l'élargissement de l'Union européenne.

Répondant à M. Christian Cointat, le rapporteur a indiqué que la proposition de résolution envisageait une unification « la plus complète possible », ce qui signifiait que certaines matières ne feraient l'objet que d'une harmonisation, l'objectif d'unification totale étant peu réaliste.

M. Patrice Gélard a observé que la proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne du Sénat divergeait des positions prises, tant par la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale que par le Gouvernement.

M. Christian Cointat a estimé qu'il était plus que temps de prendre pleinement la mesure de la gravité du problème de la criminalité internationale. Il a souligné que le procureur européen devait être totalement indépendant de la Commission européenne. Il a fait valoir que, s'il fallait s'appuyer sur les structures des Etats, la mise en place d'un « chef d'orchestre » était tout à fait indispensable.

M. Laurent Béteille a observé que chacun souhaitait naturellement que la criminalité soit mieux combattue, mais qu'il n'était pas du tout certain que la création d'une nouvelle autorité apporte une amélioration décisive. Il a estimé souhaitable que les parquets soient soumis à une autorité hiérarchique.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors proposé de retenir certaines modifications rédactionnelles proposées par M. Robert Badinter. Il a en revanche estimé inutile de mentionner explicitement l'indépendance du procureur européen, observant qu'en tout état de cause, cette autorité devrait être soumise à un contrôle juridictionnel.

La commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par le rapporteur ainsi modifié.

Union européenne - Etat d'avancement des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Union européenne - Communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Robert Badinter sur l'état d'avancement des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Union européenne.

M. Robert Badinter a d'abord rappelé que la Convention européenne, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, avait commencé ses travaux après avoir été convoquée par le Conseil européen de Laeken en décembre 2001, en vue d'examiner les questions essentielles soulevées par le développement futur de l'Union européenne.

M. Robert Badinter a ensuite précisé que la Convention européenne était composée de représentants des institutions communautaires, ainsi que de représentants des Gouvernements et des Parlements des Etats membres et des Etats candidats à l'adhésion.

Après avoir indiqué que la Convention avait adopté une méthode de travail fondée sur la recherche de consensus, M. Robert Badinter a expliqué que les participants étaient actuellement dans une phase d'écoute, avec l'audition de membres de la société civile ou encore l'organisation d'une session des jeunes.

M. Robert Badinter a également noté qu'après avoir siégé plusieurs mois en plénière, plusieurs groupes de travail avaient été mis en place pour approfondir la réflexion sur certains points mis en lumière par le débat général.

En conclusion, après avoir souligné l'émergence, au cours des débats, d'une confrontation entre souverainistes et fédéralistes se jouant des clivages politiques traditionnels, M. Robert Badinter a insisté sur le sérieux et la qualité des intervenants.