Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Union européenne - Adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. François Zocchetto sur le projet de loi n° 330 (2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice.

M. François Zocchetto, rapporteur, a présenté les quatre volets du projet de loi portant dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice consacrés à l'aide juridictionnelle, à la prise en compte des condamnations prononcées par la juridiction d'un autre Etat membre en matière de faux monnayage au regard de l'application des règles de la récidive, à l'harmonisation des incriminations et des sanctions dans le domaine de la lutte contre la corruption et à la mise en place d'une procédure rapide et simplifiée de gel des avoirs et des éléments de preuve dans le cadre de l'entraide judiciaire.

Il a relevé que ces diverses dispositions marquaient, chacune dans leur domaine, un renforcement de la coopération judiciaire européenne.

Le rapporteur a tout d'abord évoqué brièvement les étapes de la construction de l'espace pénal européen, qui constitue le cadre où s'inscrit le présent projet de loi. Il a rappelé que ses fondements avaient été posés dans le traité de Maastricht signé le 7 février 1992 et renforcés par le traité d'Amsterdam (conclu le 2 octobre 1997). Il a par ailleurs indiqué que le Conseil européen extraordinaire de Tampere réuni en octobre 1999, exclusivement consacré aux questions de justice et d'affaires intérieures, avait structuré la construction de l'espace judiciaire européen autour de quatre grands axes relatifs à la mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle, au rapprochement du droit pénal des Etats membres, à la coopération institutionnelle et au développement de la coopération internationale en matière pénale.

M. François Zocchetto, rapporteur, a ensuite indiqué que le présent projet de loi avait été présenté en Conseil des ministres le 6 avril dernier et voté par l'Assemblée nationale le 9 mai. Il a précisé qu'à l'exception de la suppression, opportune, de l'article 6 du projet de loi (qui tendait à ouvrir la faculté aux juridictions pénales de prononcer l'exécution provisoire de mesures conservatoires sur les biens meubles et immeubles) les 22 amendements, de portée rédactionnelle, adoptés par les députés, avaient utilement clarifié l'économie du texte.

Après avoir exposé en quoi l'article 6 du projet de loi initial prévoyait des innovations de nature à bouleverser le droit en vigueur, il a estimé préférable d'attendre qu'une réforme d'ensemble sur les mesures d'exécution provisoire en matière pénale en cours de préparation soit proposée.

Le rapporteur a présenté l'article premier du projet de loi tendant à mettre le régime de l'aide juridique en conformité avec la directive du conseil de l'Union européenne du 27 janvier 2003 visant à améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l'établissement de règles minimales communes relatives à l'aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires.

M. François Zocchetto, rapporteur, a regretté que cette disposition intervienne tardivement, le délai de transposition fixé par la directive au 30 novembre 2004 ayant été dépassé. Il a d'ailleurs relevé que cette situation était loin d'être exceptionnelle, la France ayant, depuis l'année 2000, été condamnée une centaine de fois par la Cour de justice des Communautés européennes au titre de la procédure en manquement pour cause de non-application d'une norme communautaire.

Il a noté que la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique répondait en grande partie aux objectifs communautaires, de nombreux justiciables, -sans considération de leur nationalité, ni du lieu de leur résidence- pouvant déjà être éligibles à l'aide juridictionnelle française pour engager une procédure sur le territoire national. Il a à cet égard ajouté que 123 demandes d'aide juridictionnelle transfrontalières avaient été enregistrées au cours de l'année 2004. Il a précisé que les affaires transfrontalières portaient principalement sur le droit de la famille.

Le rapporteur a toutefois souligné la nécessité de procéder à quelques aménagements pour satisfaire aux obligations inscrites dans la directive.

Il a expliqué que le présent projet de loi proposait de définir un régime d'aide juridictionnelle plus favorable que le droit commun, dont l'application serait limitée aux litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale et qui serait accessible à tous les ressortissants -sans considération de leur nationalité- résidant habituellement dans un Etat membre de l'Union européenne.

Il a mentionné les principaux apports du nouveau dispositif au regard du droit en vigueur.

Le rapporteur a en premier lieu évoqué l'extension du champ des frais couverts par l'aide juridictionnelle française au double bénéfice :

- des ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre de l'Union européenne, qui pourraient obtenir la prise en charge des frais d'interprétation, des frais de déplacement et des frais de traduction supportés à l'occasion d'une procédure engagée sur le territoire français ;

- des ressortissants résidant sur le territoire national, qui pourraient obtenir la couverture des frais de traduction supportés à l'occasion d'une demande d'assistance judiciaire adressée à un autre Etat membre.

Il a noté en second lieu l'assouplissement des conditions de ressources imposées aux ressortissants résidant régulièrement dans un autre Etat membre, à condition de prouver leur impossibilité de supporter les dépenses liées au procès, compte tenu des différences de coût de la vie entre la France et l'Etat où ils résident.

Enfin, il a souligné le caractère subsidiaire conféré à ce régime particulier d'aide juridictionnelle qui n'aurait donc vocation à s'appliquer qu'à la condition que les frais exposés ne soient pas déjà pris en charge par d'autres systèmes de protection juridique ou dans le cadre d'un contrat d'assurance.

Soulignant qu'une augmentation des dépenses de l'Etat affectées à l'aide juridictionnelle paraissait prévisible (les demandes d'aide juridictionnelle portant sur des litiges transfrontaliers devant concerner près d'une centaine de dossiers), le rapporteur a signalé que le gouvernement avait d'ores et déjà anticipé l'impact financier de ce dispositif en inscrivant dans la loi de finances pour 2005 une mesure de 70.000 euros.

Abordant l'article 2 du projet de loi tendant à transposer la décision-cadre du conseil de l'Union européenne du 6 décembre 2001 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l'euro, le rapporteur a déploré qu'une fois encore, le délai de transposition prévu par la décision-cadre -fixé au 31 décembre 2002- n'ait pas été respecté.

Il a indiqué que cet article aurait pour conséquence une aggravation au titre de la récidive des peines dont serait passible une personne qui commettrait une nouvelle infraction en France après avoir fait l'objet d'une première condamnation pour faux monnayage, rendue par la juridiction d'un autre Etat membre de l'Union européenne. Il a considéré que cette disposition introduisait une première brèche à la règle selon laquelle, aux termes de la jurisprudence constante de la Cour de cassation fondée sur le principe de territorialité de la loi pénale, seule, une condamnation prononcée par une juridiction française peut être prise en compte au titre de la récidive.

Il a présenté ensuite lesarticles 3 et 4 du projet de loi, qui procèdent à la transposition de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé. Il a rappelé qu'actuellement, le droit français incriminait la corruption active et la corruption passive, d'une part, des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission du service public, d'autre part, des salariés.

M. François Zocchetto, rapporteur, a constaté avec satisfaction que le délai de transposition fixé par la décision-cadre au 25 juillet 2005 était respecté. 

Il a exposé les principaux apports de ce dispositif par rapport au droit en vigueur, en particulier :

- la possibilité d'incriminer l'ensemble des faits de corruption concernant le secteur privé, y compris ceux commis par des personnes exerçant des fonctions de direction (chefs d'entreprise, personnes exerçant une profession libérale) ;

- la faculté de mettre en cause la responsabilité des personnes morales pour des faits de corruption active ou passive, qui ne peut actuellement être mise en oeuvre que pour les actes de corruption active de personnes exerçant une fonction publique ;

- le relèvement des peines encourues à un niveau comparable à celles prévues pour certaines infractions comme l'abus de biens sociaux ou l'escroquerie, notions parfois utilisées, aujourd'hui, pour réprimer le délit de corruption.

Enfin, il a relevé que l'article 5 tendait à transposer la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve en insérant trente nouveaux articles dans le code de procédure pénale.

Il a remarqué que le droit en vigueur ne permettait pas d'agir rapidement en ce domaine, les demandes de saisie venant de l'étranger ou adressées à l'étranger empruntant la voie d'une commission rogatoire internationale, procédure marquée par une lourdeur excessive.

M. François Zocchetto, rapporteur, a mis en avant les trois avancées significatives introduites par la décision-cadre pour améliorer cette situation :

- la transmission directe de l'autorité judiciaire de l'Etat à l'origine de la demande à l'autorité judiciaire de l'Etat chargé de la mise en oeuvre de la décision de gel ;

- l'exécution immédiate de la décision de gel, sous réserve du respect de certaines conditions fixées par la décision-cadre ;

- la présentation homogène des décisions de gel, qui devront être accompagnées d'un certificat comportant l'ensemble des mentions pertinentes pour permettre au magistrat du pays d'exécution de procéder à la mise en oeuvre de la décision dans des délais rapides.

Il a ajouté que ces innovations s'inscrivaient dans le cadre des règles de compétence et de procédures applicables en droit français aux saisies.

M. Robert Badinter s'est déclaré favorable à la philosophie du projet de loi tendant à renforcer les moyens de lutte contre la criminalité transfrontalière. Il s'est interrogé sur l'opportunité de retranscrire dans la loi nationale l'expression de « décision de gel » inspirée du droit anglo-saxon.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que cette notion -qui recouvrait à la fois la saisie proprement dite, ainsi que toutes les mesures conservatoires prises sur le bien concerné- n'avait pas d'équivalent en droit français et qu'il semblait donc difficile de lui substituer un terme plus approprié.

Mme Alima Boumediene-Thiery, soutenue en ce sens par Mme Nicole Borvo, a estimé que la limitation du champ d'application du nouveau régime d'aide juridictionnelle aux seules personnes résidant habituellementsur le territoire de l'Union européenne ne respectait pas les exigences stipulées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen (CEDH) au regard de l'exercice effectif des droits de la défense.

Mme Nicole Borvo a regretté que le dispositif exclue les demandeurs d'asile qui se trouvent, par définition, en situation irrégulière.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que si la CEDH imposait l'assistance gratuite en matière pénale lorsque l'intérêt de la justice l'exige et que l'accusé est impécunieux (article 6, paragraphe 3), la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme n'avait pas expressément étendu cette obligation au domaine civil.

M. Michel Dreyfus-Schmidt ajugé que dans certaines affaires, notamment de divorce, il paraissait opportun d'accorder l'aide juridictionnelle à des étrangers en situation irrégulière.

M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 répondait à ce souci en permettant l'octroi de l'aide juridictionnelle à des personnes en situation irrégulière sous de strictes conditions et à titre exceptionnel.

En réponse à M. Jean-René Lecerf qui l'interrogeait sur l'état de transposition de la directive relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué que ce texte n'avait pas encore été adopté définitivement par le Parlement européen et ne pouvait donc encore être transposé dans notre droit national.

Justice - Déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - Nomination d'un rapporteur et communication

Puis la commission a abordé la nomination du rapporteur sur la proposition de loi n° 358 (2004-2005) précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a d'abord critiqué les conditions dans lesquelles cette proposition de loi, déposée le 30 mai dernier, avait été inscrite par la conférence des présidents du 14 juin à l'ordre du jour de la séance publique du 23 juin prochain. Il a relevé que le choix de rendre facultative la présence du ministère public à l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) par la voie d'une proposition de loi, plutôt que par celle d'un projet de loi, avait pour effet d'éviter la saisine pour avis du Conseil d'Etat.

Il a déploré que l'examen de cette proposition de loi anticipe sur les conclusions de la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement mise en place par la commission en février dernier et dont les travaux n'étaient pas achevés. Il a regretté que l'initiative en ait été prise par le président de la mission sans aucune concertation avec les membres de cette dernière. Il a estimé que le rapporteur de la proposition de loi ne devait pas être le même que celui de la mission.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a poursuivi en considérant que la procédure était d'autant plus critiquable que, sur le fond, la mesure proposée contredisait la décision prise par le Conseil constitutionnel posant le principe de la publicité de l'audience d'homologation de la CRPC.

M. Simon Sutour a vivement regretté que le président de la mission d'information, alors même que celle-ci poursuivait ses travaux, prenne l'initiative de déposer une proposition de loi qui touchait directement aux sujets dont elle s'était saisie. Il a estimé que la disposition rendant facultative la présence du parquet à l'audience d'homologation allait à l'encontre des positions prises successivement par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. Par ailleurs, il a critiqué les méthodes de travail de la commission des lois en estimant, en particulier, que les membres de l'opposition se trouvaient écartés lors de la désignation de rapporteurs.

M. Jean-Yves Collombat s'est demandé sur quels fondements le parquet pouvait être absent d'une audience publique de jugement.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a suggéré que la discussion, sur le fond, de la proposition de loi, suive la présentation de ce texte par le rapporteur qui serait désigné par la commission.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a pour sa part estimé que l'examen de cette proposition de loi devait être différé jusqu'au moment où la mission d'information de la commission aurait adopté ses conclusions.

M. Jean-Pierre Sueur, tout en rappelant que le droit d'initiative en matière législative appartenait à tout sénateur et que l'inscription à l'ordre du jour prioritaire relevait des prérogatives gouvernementales, s'est étonné qu'une proposition de loi dont la teneur contredisait les décisions prises par les plus hautes juridictions nationales puisse être examinée dans des délais aussi rapides par le Sénat. Il a regretté que le président de la commission ne se soit pas opposé à l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat par la conférence des présidents.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé à cet égard qu'aucune opposition ne s'était exprimée sur ce point au sein de la conférence des présidents.

M. Robert Badinter s'est étonné que dans une même réunion, la commission puisse procéder à la nomination d'un rapporteur et entendre le rapport de celui-ci. Il s'est demandé comment le rapporteur pouvait mener un travail sérieux dans ces conditions. Il a souhaité, en conséquence, que l'examen du rapport soit différé.

M. Laurent Béteille a rappelé qu'il avait déposé cette proposition de loi non en qualité de président de la mission d'information de la commission, mais au titre du droit d'initiative reconnu à chaque sénateur. Il a précisé qu'il avait été guidé par son appréciation personnelle, certes fortifiée par les informations recueillies dans le cadre de la mission d'information. L'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat relevait, a-t-il poursuivi, du seul choix du gouvernement. Il a ajouté qu'il appartenait au législateur de faire évoluer le droit, le cas échéant, en contredisant la jurisprudence.

M. Simon Sutour a estimé que l'initiative prise par M. Laurent Béteille manquait au devoir de courtoisie qui aurait dû prévaloir vis-à-vis des membres de la mission d'information. Il a souligné que celle-ci conduisait un travail collectif associant tous les groupes et qu'il était très regrettable que la proposition de loi anticipe, sans concertation préalable, sur les conclusions de la mission.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a considéré pour sa part que si la procédure suivie n'appelait aucune objection à caractère juridique, elle n'apparaissait en revanche pas conforme à l'esprit qui doit inspirer les travaux parlementaires.

La commission a alors décidé, sur proposition de son président, de reporter au mardi 21 juin l'examen en commission du rapport portant sur la proposition de loi n° 358 (2004-2005) précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Tout en approuvant pleinement la proposition de M. Jean-Jacques Hyest, président, M. Christian Cointat a estimé que la disposition proposée sous forme d'un article unique présentait une grande simplicité et que les membres de la commission pouvaient sans difficulté particulière en apprécier le bien-fondé.

M. Robert Badinter a précisé que la commission ne devait pas être une simple chambre d'enregistrement et que l'analyse de la proposition de loi, compte tenu des décisions successives du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, justifiait pleinement qu'un délai soit donné entre la nomination du rapporteur et l'examen du texte proprement dit par la commission.

La commission a alors désigné M. François Zocchetto rapporteur de la proposition de loi n° 358 (2004-2005) précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.