Mardi 3 mars 2015

- Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Bruno Foucher, ambassadeur de France en Iran

Cette audition ne donnera pas lieu à un compte rendu.

La réunion est levée à 18 h 15.

Mercredi 4 mars 2015

- Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 h 45.

Audition de M. Sébastien Mosneron Dupin, directeur général d'Expertise France

La commission auditionne M. Sébastien Mosneron Dupin, directeur général d'Expertise France.

M. Christian Cambon, président. - Nous avons le plaisir de retrouver ce matin Sébastien Mosneron Dupin comme directeur général de l'Agence française d'expertise technique internationale, également appelée « Expertise France ».

Cette nouvelle agence, créée le 1er janvier dernier, est le « bébé » de notre commission ; je crois que nous pouvons le dire ainsi !

En novembre 2012, notre ancien collègue Jacques Berthou avait en effet présenté un rapport sur l'expertise internationale dans lequel il regrettait le déficit de coordination qui aurait permis à l'offre française d'expertise publique de trouver sa place dans le marché international de l'expertise. Et il préconisait un rapprochement et une mutualisation.

Le Gouvernement avait certes lancé quelques études et évaluations mais leur aboutissement butait clairement sur des inerties administratives, sur - disons-le - des querelles de chapelle !

C'est pourquoi, en plein accord avec Jean-Claude Peyronnet et moi-même en tant que rapporteurs, Jacques Berthou a présenté, au printemps dernier, un amendement au projet de loi d'orientation sur la politique de développement.

Cet amendement, qui a finalement été retenu par la CMP et l'Assemblée nationale, prévoyait une réforme ambitieuse : la fusion en une seule agence de six organismes divers faisant tous de la coopération internationale mais dans un champ thématique différent. Il s'agissait principalement de FEI, qui dépendait du quai d'Orsay, et d'Adetef, qui dépendait de Bercy, auxquels s'ajoutaient quatre organismes plus petits : un dépendant du ministère du travail et de l'emploi, un du ministère de la santé et deux des organismes de sécurité sociale.

La vocation d'Expertise France est donc de « vendre » l'expertise française à l'international dans de nombreux domaines d'action, de créer une « force de frappe » à même de répondre aux grands appels d'offres internationaux et de créer ainsi, comme nous le disions en 2012, une « équipe France ».

Dans quelles conditions la fusion s'organise-t-elle, notamment pour les personnels et en ce qui concerne son budget ? Comment l'agence s'insère-t-elle dans le paysage institutionnel actuel et dans la politique étrangère de la France ?

M. Sébastien Mosneron Dupin, directeur général d'Expertise France. - C'est un honneur pour moi que de venir vous présenter Expertise France, qui est le dernier-né des opérateurs de l'action extérieure de l'Etat et, aujourd'hui, l'opérateur de référence en matière d'expertise publique à l'international. Je viens vous présenter ce que nous avons fait d'une réforme que vous avez proposée et adoptée à l'initiative du sénateur Berthou que je veux saluer ici.

Qu'est-ce qu'Expertise France ?

Nous sommes un établissement public industriel et commercial. Nous faisons pour l'essentiel des missions de conseil à la demande d'Etats du Sud ou parfois européens qui demandent du soutien pour réformer leurs politiques publiques dans différents domaines qui vont du plus régalien au moins régalien : nous traitons ainsi les questions de gouvernance, de réforme de l'Etat, d'organisation territoriale, de droits de l'Homme, de sécurité, de finances publiques, de développement économique, de développement durable, de santé ou encore de protection sociale.

Nous sommes d'abord un opérateur de l'Etat, sous la double tutelle des ministres chargés de l'économie, M. Sapin et M. Macron, et du ministre chargé des affaires étrangères et du développement international, M. Fabius, ainsi que la secrétaire d'Etat en charge du développement et de la francophonie, Mme Girardin. Nous travaillons aussi en lien étroit avec les ministères sociaux chargés de la santé et du travail.

Notre conseil d'administration, qui est en cours de formation, est présidé par M. Jean-Christophe Donnellier, qui est également le délégué interministériel à l'expertise publique internationale.

Quant à moi, je gère, en tant que directeur général exécutif, une équipe de 250 personnes au siège, qui sont des gestionnaires de projet et environ 80 personnes à l'étranger pour les permanents, cela sans compter les centaines d'experts, suivis par le siège à Paris. Notre coeur de métiers c'est de projeter à l'international le meilleur de nos savoir-faire en matière de politique publique, à travers des projets qui sont soit financés par les Etats eux-mêmes, soit par les banques ou agences de développement multilatérales, régionales ou européennes, soit par la coopération française, soit en combinant tous ces financements.

Nous délivrons un peu plus de 50 000 jours d'expertise dans plus de 80 pays pour un chiffre d'affaire annuel d'environ 120 millions d'euros. Nous portons environ 450 projets. Pour mener à bien nos missions, nous nous appuyons sur un vivier de plus de 10 000 experts provenant des administrations françaises mais également de bureaux d'études privés.

Pourquoi ce nouvel opérateur ?

Deux réponses : regrouper les principaux opérateurs de la coopération internationale pour être plus efficace ; se mettre en ordre de bataille pour répondre à une demande croissante du marché de l'expertise dans le monde.

Comme vous l'avez dit auparavant, chaque ministère avait son opérateur, le résultat de cette situation était un paysage éclaté, des opérateurs de faible taille qui ont été amenés, au fil du temps, à se faire concurrence. En effet, au fur et à mesure que l'Etat a réduit ses financements, les pouvoirs publics ont demandé à tous les opérateurs de s'autofinancer, d'une part, en gagnant des marchés sur des appels d'offres internationaux, d'autre part, en élargissant leurs champs de compétence.

Ces opérateurs partaient ainsi en ordre dispersé tout en se diversifiant et élargissant leurs actions, si bien qu'ils se trouvaient fréquemment en concurrence les uns contre les autres, là où les Allemands avaient créé une agence unique ou presque, la GIZ, les Anglais Crown Agency, les Espagnols, la FIIAP.

Le résultat était que, pour vous donner un ordre de grandeur, la seule agence allemande a un chiffre d'affaires sur appels d'offres internationaux de l'ordre de 300 millions d'euros quand la somme des chiffres d'affaires des dix-sept opérateurs français atteignait difficilement les 80 millions d'euros en 2012.

Vous l'avez compris, avec cette réforme, nous poursuivons quatre objectifs :

- s'appuyer sur la complémentarité là où il y avait concurrence : les savoir-faire de chacun permettent de se positionner sur des projets transversaux notamment européens associant différents champs de compétences ;

- assurer une meilleure visibilité, lisibilité et un soutien politique renforcé des autorités politiques, des administrations centrales et de l'ensemble des réseaux du quai d'Orsay et de Bercy. Preuve en est le décret constitutif et ses quinze signataires ;

- créer une taille critique : permettre une meilleure performance en matière de veille et d'élaboration des dossiers de réponses aux appels d'offres ainsi que des économies d'échelle.

- faire en sorte qu'Expertise France agisse en synergie avec les autres institutions publiques françaises engagées à l'international, comme Business France ou l'AFD, et soutienne chaque fois qu'elle le peut l'expertise privée et nos entreprises.

D'ores et déjà, on peut dire que cette fusion a formé un opérateur de taille européenne, mais surtout, dans les années à venir, on peut anticiper un potentiel de développement considérable lié à une demande croissante d'expertise publique, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays émergents.

Dans les pays en développement comme les pays africains où, comme vous le savez, le doublement de la population d'ici quarante ans va imposer aux pouvoirs publics de nourrir, loger et former au moins un milliard d'êtres humains supplémentaires, les besoins en expertise publique sont considérables. Ce sont des enjeux que les sénateurs Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux avaient analysés dans leur rapport « L'Afrique est notre avenir » que le Président Macky Sall a cité lors du récent sommet Afrique-France pour la croissance.

Ce défi démographique impose de mettre en oeuvre rapidement des politiques publiques adaptées, notamment dans les secteurs de la santé, de l'urbanisme ou de l'éducation, mais aussi dans les domaines financiers. Il est en effet plus que jamais nécessaire de favoriser, dans ces zones, la croissance des ressources publiques domestiques, ce grâce à la mise en place de régimes fiscaux, fonciers et statistiques adaptés. Autant de domaines pour lesquels nous possédons une expérience reconnue.

En outre, deux phénomènes renforcent le rôle stratégique de l'expertise :

- d'une part, tout le monde est conscient aujourd'hui du fait que les pays les plus défavorisés ont besoin tout autant, sinon plus, d'expertise que de financements. Sans amélioration de la gouvernance, l'aide au développement a des effets limités, ne serait-ce qu'en capacité d'absorption ;

- d'autre part, l'aide publique au développement joue un rôle de plus en plus réduit dans le développement : elle ne représente que 2 % des dépenses budgétaires pour les pays à revenu intermédiaire et 30 % des dépenses budgétaires des pays les moins avancés. Ces pays ont un accès croissant aux financements privés. Dans le contexte de restriction budgétaire français, ce dont nous disposons pour nourrir notre coopération avec les pays du Sud, c'est l'expertise publique, une ressource rare et essentielle pour faire face aux défis que nous avons évoqués.

Dans les pays émergents, l'enjeu pour les pouvoirs publics locaux est de transformer la croissance économique en développement durable des populations, c'est-à-dire favoriser un modèle de croissance plus durable et plus inclusif. Pour cela, ces pays devront répondre aux aspirations de la classe moyenne montante en termes d'accès à des services publics de qualité et favoriser une croissance plus sobre en carbone. Dans ces deux registres, nous avons une expertise de qualité qui est compétitive et qui fait d'Expertise France un opérateur stratégique en matière de politique d'influence.

Comment se traduit concrètement l'action d'Expertise France sur le terrain ?

Permettez-moi d'illustrer très concrètement ce que nous faisons. Nous sommes organisés autour de sept départements thématiques qui concernent des domaines très variés.

En lien avec les activités régaliennes de l'Etat, nous accompagnons par exemple l'Etat afghan dans la formation de ses élites administratives. Nous assistons le gouvernement marocain dans la gestion des questions de migration professionnelle sur des financements européens. Nous assistons la Guinée pour le renforcement des forces de protection civile. Nous avons aidé à la mise en place de média indépendants en RDC grâce à un financement britannique et suédois.

Le deuxième pôle d'activités concerne la promotion de la stabilité, la gestion de la sortie de crise des pays fragiles et le renforcement des capacités des Etats en matière de sûreté. Dans ce secteur, nous intervenons notamment en Afghanistan, au Mali, en RCA, au Togo ou en Syrie. Au Mali, l'ONU a demandé à la France de l'aider dans la logistique de la MINUSMA : nous avons, pour le compte de l'Etat, associé expertise publique et entreprises privées pour améliorer les camps de Kidal et Tessalit après que nous avons rénové en 2014 les pistes aéroportuaires. Nous contribuons ainsi en quelque sorte à ce que la France tire les dividendes économiques de son engagement politique et militaire. Nous sommes également un des leaders dans l'expertise publique en matière de lutte contre la piraterie maritime, un enjeu majeur comme l'avait souligné le rapport de MM. Trillard et Lorgeoux sur la maritimisation. A ce titre, nous intervenons dans le Golfe d'Aden, le Golfe de Guinée et dans l'Océan indien.

Le troisième pôle s'articule autour des finances publiques, la France dispose, à travers la direction générale des finances publiques et la direction du budget du ministère des finances, d'un savoir-faire très ancien sur les réformes budgétaires et comptables, la fiscalité notamment foncière, le cadastre ou encore les marchés publics et l'évaluation des politiques publiques. Nous sommes notamment intervenus en RCA sur des crédits de la Banque mondiale et de l'Union européenne pour recréer l'Etat au sens financier du terme, en mettant en place une agence comptable centrale du trésor et en développant un système fiscal et douanier. Nous avons également contribué à mettre en place des instituts des finances dans cinq pays, le Liban, la Jordanie, la Palestine, la Côte d'Ivoire et la Serbie.

Nous contribuons également à promouvoir un cadre des affaires propice au développement économique. C'est le quatrième pôle d'Expertise France. Nous portons par exemple l'expertise de l'AFNOR dans le domaine de la certification, projetant ainsi à l'international un univers normatif familier pour les entreprises françaises.

Développement économique, mais aussi développement durable, pour le compte du ministère de l'environnement. Nous venons de signer à ce titre, en partenariat avec l'AFD, une « facilité climat » qui permettra de renforcer les capacités des pays du Sud et de les aider à proposer un plan climat dans la perspective de la COP 21, qui nous tient beaucoup à coeur. Nous appuyons également des politiques d'efficacité énergétique, de transport et d'infrastructure.

Expertise France intervient enfin dans le domaine de la santé, sixième pôle, qui concerne l'accompagnement des politiques de lutte contre les pandémies, mais également plus généralement, le renforcement des systèmes de santé. Nous allons à ce titre participer avec la Commission européenne et la task force française de lutte contre Ebola au renforcement des systèmes de santé des trois principaux pays touchés par l'épidémie.

Nous portons, dans un septième et dernier département, des réformes visant à améliorer la protection sociale et la formation professionnelle, ce qui nous conduit à intervenir notamment en Chine pour la protection sociale ou à renforcer la formation professionnelle supérieure dans quinze pays d'Afrique francophone et anglophone afin de créer des filières intermédiaires (bac +2 ou +3) à même de répondre aux besoins locaux.

Où en est la mise en place de l'agence ?

Ce bilan assez positif laisse penser que nous sommes déjà en plein régime de croisière. La réalité est plus nuancée car nous sommes encore en phase de construction.

En gros, les six opérateurs ont été fusionnés. La nouvelle agence fonctionne selon un nouvel organigramme. Mais comme ailleurs, une fusion, c'est un processus, au terme duquel nous aurons défini un modèle économique, un projet d'établissement et une culture d'entreprise nouvelle. Cela ne se décrète pas. Nous allons démarrer un travail sur le modèle économique ces jours-ci. Nous entamons également des ateliers pour définir le projet d'établissement d'ici septembre. Nous procéderons à l'élection des représentants du personnel en juin. Nous allons déménager dans un immeuble commun en juillet. La maison commune ne fera pas tout, mais c'est tout à fait essentiel.

Un atout d'Expertise France c'est de disposer d'un personnel jeune et extrêmement motivé. Il faut entendre les chefs de projet parler avec des trémolos dans la voix de leur projet. Ils ont souvent participé dès le début à la construction de leur opérateur d'origine. Aujourd'hui cet engagement peut aussi être une source de frottements car chacun doit faire un effort pour construire de nouvelles méthodes de travail communes. Mais demain, cela sera une richesse considérable.

L'objectif de cette année, c'est d'harmoniser les méthodes de travail et de créer une culture commune à travers différents exercices dont le projet d'établissement que j'ai mentionné plus tôt et le contrat d'objectif et de moyens. Nous serons sans doute en mesure de vous proposer un contrat d'objectifs et de moyens vers la fin de l'année. Il sera soumis à l'avis de votre commission, à l'instar de celui de l'AFD.

Comment contribuons-nous à la politique étrangère de la France ?

Notre mandat est triple : politique, de solidarité et économique.

Nous projetons, à travers notre expertise, notre vision du monde, nos valeurs, celles de la République : Etat de droit, démocratie, droits de l'Homme. En exportant le meilleur de nos savoir-faire, nous défendons également les positions de la France dans les différentes enceintes internationales. Cela se traduit notamment dans l'investissement d'Expertise France dans des projets, comme la réussite de la COP 21, la couverture sanitaire universelle ou la lutte contre les discriminations. Nous sommes à ce titre un opérateur d'influence.

La solidarité : nous facilitons le développement des pays les moins avancés pour les aider à sortir de l'ornière grâce à une meilleure gouvernance. Nous accompagnons la reconstruction des Etats fragiles et tentons de prévenir les crises qui les affectent. Nous sommes une agence de coopération au développement. C'est notre coeur de métier.

Enfin, nous participons à la diplomatie économique à travers trois modalités :

- les gains de parts de marché sur les appels d'offres internationaux, qui permettent d'augmenter le taux de retour de la France vis-à-vis de ses contributions multilatérales ;

- la création d'un écosystème favorable aux intérêts français (au niveau normatif, commercial, entrepreneurial pour la création de PME ou par l'exportation du modèle des partenariats public-privé) ;

- l'assemblage d'expertise publique et privée en réponse à des demandes de l'ONU et de gouvernements étrangers. Je pense par exemple au secteur de la santé où la construction d'un hôpital de référence conjugue différents secteurs d'expertise. Nous sommes aussi à ce titre un opérateur du commerce extérieur.

La coopération technique a toujours mêlé ces trois dimensions. Elles ne sont nullement contradictoires. Quand nous mettons en place une coopération technique pour aider les pays du Sud à préparer la COP 21, nous exerçons un mandat de solidarité au titre du renforcement de compétence, un mandat politique parce que nous accompagnons la diplomatie climatique en vue de la présidence de la COP 21 et un mandat économique parce que nous faisons travailler des bureaux d'études privés français.

Nous nous inscrivons ainsi pleinement dans la politique de diplomatie globale du Gouvernement, portée aussi bien par les ministères financiers que le ministère des affaires étrangères ou encore les ministères sociaux. Nous essayons de promouvoir la paix en renforçant la gouvernance des pays du Sud, de contribuer à un développement de la planète plus harmonieux, c'est-à-dire plus durable et mieux réparti, et de participer au redressement économique du pays en défendant les intérêts français.

En conclusion, cette agence a déjà des résultats. Elle a un potentiel considérable. Je considère que nous aurons réussi cette réforme si demain nous arrivons à nous imposer dans le paysage de la coopération internationale comme une des toutes premières agences d'expertise publique, et si nous arrivons à devenir aux yeux de toutes les administrations françaises un acteur incontournable de la projection à l'international de nos savoir-faire en matière de politiques publiques. C'est à ces conditions que nous pourrons effectuer une deuxième vague de regroupement que Jean-Christophe Donnelier, le délégué interministériel à l'expertise publique internationale, a été chargé de préparer sous la forme de nouvelles fusions mais plus vraisemblablement de filialisation ou de prestations de service.

M. Christian Cambon, président. - Lorsque nous avons préparé cette réforme au moment de l'examen de la loi sur le développement, nous savions qu'elle était particulièrement ambitieuse, notamment en termes de délais de mise en oeuvre. Eh bien, nous devons nous en féliciter, les délais ont été tenus !

Quel sera le modèle économique de l'agence ? La précédente FEI ne recevait pas de subvention et s'autofinançait par les contrats qu'elle remportait sur les marchés européens et internationaux. Les autres organismes recevaient des financements de leur tutelle qui couvraient partiellement leurs frais de fonctionnement. Quelles sont vos projections en la matière pour Expertise France ?

M. Henri de Raincourt. - Je me réjouis également que les travaux du Sénat, notamment menés par Jacques Berthou, Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, aient pu aboutir à un résultat aussi remarquable.

Comme vous le disiez, le travail n'est pas achevé, la loi prévoyant que l'agence a vocation à rassembler, au 1er janvier 2016, l'ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique. Là aussi, le calendrier est exigeant alors que la priorité consiste certainement à réussir la première étape, ce qui n'est déjà guère aisé...

Les rapporteurs de notre commission avaient beaucoup insisté sur l'importance de préserver les ressources « métiers ». En effet, la valeur ajoutée de l'expertise repose sur les personnes, qui ne sont pas les agents de l'agence, mais que celle-ci réussit à mobiliser et qui travaillent dans tel ou tel ministère, tel ou tel organisme, public ou privé. Comment réfléchissez-vous à cette question qui suppose de pouvoir mobiliser un réseau, un « vivier » ? Comment conserver l'expertise « métiers » qui existait mais qui était certainement éparpillée ?

Où en êtes-vous de l'organisation des départements thématiques et des conseils d'orientation qui sont prévus par la loi pour associer l'ensemble des spécialistes d'un secteur ?

Enfin, nous pouvons aussi tenter de nous projeter dans une nouvelle étape... Expertise France et l'AFD travaillent toutes deux, de manière complémentaire, pour la coopération et le développement et disposent de personnels d'une très grande qualité. Comment assurer une coopération maximale entre les deux organismes ? Ne pourrait-on envisager un rapprochement pour répondre encore mieux aux appels d'offres internationaux ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je me réjouis vivement de la création de cette agence qui apporte visibilité et cohérence là où il y avait parfois concurrence stérile, voire contre-productive pour la France. Expertise France doit permettre de présenter nos savoir-faire au reste du monde et participe donc pleinement de notre stratégie d'influence. Sa constitution doit offrir un plus pour les entreprises françaises.

Je reprends à mon compte l'ensemble des questions posées par Henri de Raincourt et que nous avions préparées ensemble. Je m'interroge également sur la mise en place des départements thématiques et sur un futur regroupement avec d'autres organismes de coopération technique. Enfin, se pose régulièrement la question des incitations permettant d'entraîner les administrations publiques dans la coopération internationale, car les règles ne sont naturellement pas les mêmes que dans un bureau d'études privé.

M. Sébastien Mosneron Dupin. - S'agissant du modèle économique, notre chiffre d'affaires s'élève à environ 120 millions d'euros et se répartit à 65 % sur des contrats internationaux, 22 % sur des commandes publiques françaises et 13 % sur des subventions de fonctionnement liées à des missions de service public. Une partie de ces subventions sous forme de prestations en nature a vocation à disparaître du fait de notre futur déménagement. A terme, nous financerons nos activités par la soumission à des appels d'offres internationaux et par des projets de la coopération française. Nous devrons donc nous autofinancer plus largement mais j'attire l'attention sur la période de transition qui nous rend nécessairement plus fragiles car elle entraîne certaines dépenses. Nous devons être vigilants sur ce point et j'espère que nos tutelles seront bienveillantes, au moins dans les trois premières années. Car nous allons prendre en charge chaque année, grâce à notre activité, à nos contrats, à nos marges, plusieurs millions d'euros qui étaient auparavant assumés par les pouvoirs publics. Je pense au loyer ou aux cotisations sociales des personnels issus du droit public. Nous allons gagner en autofinancement, en autonomie, mais c'est vrai que c'est une grosse charge à prendre sur nos épaules. Un défi qui demande la mobilisation de tous les salariés, mais aussi un soutien financier des pouvoirs publics pour réussir cette réforme.

Notre plus grand défi est de faire travailler ensemble des personnels qui ont des cultures différentes, y compris en termes de conditions de travail (droits à congés...). Nous relevons de la convention collective Syntec qui regroupe les sociétés spécialisées dans l'ingénierie, les études et le conseil. C'est pourquoi nous allons engager les travaux pour conclure un accord d'entreprise permettant d'harmoniser progressivement les statuts dans l'intérêt commun. Nous n'effacerons pas cette diversité en une seule fois. Je l'ai dit au personnel : cette négociation ne pourra pas aboutir à ce que chacun cumule le meilleur des avantages sociaux des six opérateurs. Tout simplement parce que cela ne serait pas viable. Et la viabilité économique de l'agence, c'est la garantie ultime de l'emploi.

Nous utilisons de nombreuses ressources au sein des administrations françaises et nous sommes en phase de reconduction des conventions de mise à disposition des experts. C'est, vous avez raison, un point essentiel que de garder un lien fort avec les viviers d'experts. Nous souhaitons d'ailleurs élargir ce « vivier » et monter en gamme, notamment en faisant porter notre effort sur la formation des experts à une expérience à l'international.

L'agence est organisée en sept départements thématiques : la gouvernance et les droits de l'Homme (environ 8 millions de chiffre d'affaires) ; la sécurité, la stabilité et la sortie de crise (environ 30 millions) ; les finances publiques (environ 6 millions) ; le développement économique (environ 5 millions) ; le développement durable (environ 10 millions) ; la santé (environ 30 millions) ; la protection sociale et la formation professionnelle (environ 5 millions). Ce dernier secteur présente, vous avez raison, un potentiel très important. Nous le savons tous, la question de la formation professionnelle en Afrique est un enjeu crucial pour la jeunesse. Dans les pays émergents, la santé et la protection sociale constituent également un marché considérable.

Nous ne souhaitons pas enfermer nos activités dans des départements thématiques cloisonnés. La solidarité entre départements est un élément essentiel de la stratégie de l'établissement et permettra par exemple de mieux répartir la charge de travail au fil de l'année selon la réception des appels d'offres.

La loi prévoit la création de conseils d'orientation thématiques pour fédérer l'ensemble des acteurs d'un secteur. Dans le domaine de la santé par exemple, les CHU ou les ARS, qui développent ou souhaitent développer une action internationale sans pour autant en avoir les moyens propres, participeront au conseil dédié à la santé afin que nous puissions travailler ensemble.

Nous devons également travailler en pleine complémentarité avec l'AFD ; nous avons d'ailleurs déjà engagé ce partenariat en créant une « facilité climat » pour aider les pays du Sud à préparer les négociations de la COP 21. Nous souhaitons faire de même en ce qui concerne la gestion dite post-crise, lorsque nous sommes amenés à travailler dans des pays qui ont connu une crise politique ou sécuritaire importante. Le partenariat avec l'AFD constitue une de nos priorités.

Il est vrai que la date du 1er janvier 2016 pour la réalisation de la deuxième phase de regroupement est proche. Le délégué interministériel y travaille. Cette deuxième phase ne doit pas nécessairement connaître les mêmes modalités que la première ; nous pouvons imaginer des procédures de mutualisation sans fusion complète, par exemple par la filialisation ou la constitution de plates-formes de services avec des opérateurs qui resteraient autonomes.

M. Jeanny Lorgeoux. - La politique d'électrification de l'Afrique, promue par la fondation récemment créée par M. Jean-Louis Borloo, me paraît fondamentale pour le développement de ce continent dans le temps long. Comment l'agence Expertise France pourrait-elle s'inscrire dans ce grand projet ?

Mme Christiane Kammermann. - Vous avez évoqué vos actions dans les domaines de la sécurité et de la stabilité. Pouvez-vous préciser quelles sont vos activités en Syrie ?

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - À mon sens, la création d'Expertise France, à l'initiative du Sénat, illustre pleinement l'intérêt du bicamérisme.

Comment procédez-vous lorsque vous intervenez dans des pays dont la gouvernance est fragile ?

La région Ile-de-France est l'un de vos partenaires. Envisagez-vous de travailler aussi avec des collectivités territoriales moins importantes, conduisant des projets de coopération internationale ? Avez-vous mis en place une stratégie de communication auprès de ces collectivités ?

M. Sébastien Mosneron Dupin. - L'accès à l'électricité est un enjeu majeur. En Afrique, en moyenne 20 % de la population dispose de l'électricité courante. À cet égard, nous sommes l'opérateur du ministère du développement durable et disposons d'un vivier d'experts. Nous avons donc vocation à travailler avec la fondation créée par M. Jean-Louis Borloo, en recherchant également des complémentarités avec les actions soutenues par la fondation franco-africaine pour la croissance, créée à l'initiative de M. Lionel Zinsou.

Nous intervenons en Syrie, à partir de la Turquie, dans le cadre de financements croisés français, communautaires et japonais. Nous soutenons des boulangeries industrielles qui contribuent à nourrir 100 000 bénéficiaires chaque mois. Nous équipons et formons du personnel pour huit centres de soins de santé primaires, représentant 30 000 consultations mensuelles, dans les territoires qui ne sont ni sous le contrôle du régime, ni sous le contrôle de Daech. Nous souhaitons créer à l'avenir, dans ces régions, trois maternités. Ce projet, qui exige des conditions de sécurité particulières, a été initié par l'ambassadeur Éric Chevallier, puis soutenu par la Commission européenne et la coopération japonaise. Par ailleurs, nous soutenons sur financement français un réseau d'avocats qui s'efforce de recueillir des preuves dans la perspective de l'ouverture d'une éventuelle procédure devant la Cour pénale internationale (CPI).

Notre département stabilité-sûreté-sécurité réalise des missions de renforcement de la protection civile, d'appui aux forces de maintien de l'ordre, par exemple au Togo ou au Mali. Ce département assiste également des populations touchées par des crises, par exemple en Syrie. Il agit, par ailleurs, dans deux secteurs : celui de la lutte contre les menaces transversales et celui de la lutte contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Des contrats importants ont été signés par la France, qui dispose d'une expertise importante sur ce sujet. Nous avons inauguré hier un laboratoire NRBC financé par l'Union européenne.

Les États que nous aidons doivent être capables d'accompagner nos projets. C'est pourquoi nos modes d'action privilégient la formation des personnes et la construction de politiques publiques adaptées aux enjeux.

Nous travaillons avec les collectivités territoriales, en particulier en Afrique, où la décentralisation/déconcentration constitue un enjeu majeur de développement. Nous collaborons avec les régions Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ce travail avec les collectivités constitue pour nous un axe de développement. Nous devrons entreprendre ce chantier en complémentarité avec les organismes de coopération décentralisée, afin de trouver un modus operandi.

M. Aymeri de Montesquiou. - Expertise France travaille à la simplification, à la rationalisation et à l'augmentation de l'efficacité de l'action publique. Il pourrait être utile de mettre cette expertise à disposition du gouvernement français, quel qu'il soit...

M. André Trillard. - En matière de lutte contre la piraterie, proposez-vous une expertise juridique, par exemple dans le domaine du « droit de suite » dans les eaux territoriales ?

Comment renouvellerez-vous les compétences que vous rassemblez aujourd'hui et qui sont de grande qualité ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Quels sont les pays du Sud avec lesquels vous travaillez plus particulièrement ? En Syrie, les médecins rencontrent de grandes difficultés à trouver des médicaments. Etes-vous en relation avec des entreprises pharmaceutiques, afin de compléter votre projet de création de centres de soin ?

M. Sébastien Mosneron Dupin. - La réforme de l'Etat en France est aujourd'hui un enjeu majeur qui relève du débat politique et qui ne relève pas de l'opérateur que nous sommes. Nous exportons ce qui fait le coeur des politiques publiques et pour lequel nous avons une tradition et un savoir-faire de plusieurs siècles : l'Etat de droit, l'organisation territoriale et un savoir-faire, par exemple dans le domaine du cadastre, de la gestion comptable et budgétaire, de la planification sanitaire, du développement durable, des marchés publics...

En matière de piraterie, nous essayons de favoriser au niveau international la coopération entre la douane, la police et l'armée, à l'image de ce qu'a fait la France avec la création du secrétariat général de la mer.

Concernant les médicaments, nous en acheminons en Syrie, à partir de la Turquie, ainsi que des combinaisons anti-armes chimiques.

M. Christian Cambon. - Je vous remercie pour les précisions que vous nous avez apportées concernant la mise en place d'Expertise France. Cette institution répondait à une attente et, compte tenu de son origine sénatoriale, nous serons particulièrement attentifs aux modalités de sa mise en place au cours des mois qui viennent. Nous vous adressons tous nos voeux de réussite dans la mission qui est maintenant la vôtre.

Audition de M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie

La commission entend M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie.

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, nous avons l'honneur d'accueillir M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie depuis juillet 2014.

Monsieur de Mistura, je rappelle que vous avez été successivement le représentant du secrétaire général des Nations unies en Irak, puis en Afghanistan ; vous avez également été vice-ministre des affaires étrangères d'Italie. Vous avez participé aux travaux de nombreuses agences des Nations unies, vous avez été envoyé sur de nombreuses zones de conflits et vous avez conduit un certain nombre d'opérations d'assistance humanitaire, de distribution alimentaire, des campagnes de vaccination au Soudan, en Éthiopie, en Albanie, en Afghanistan, en Irak, en Bosnie, et en Somalie.

Autant dire que votre expérience est passionnante. Vous avez aussi exercé d'importantes fonctions de représentation politique et humanitaire au Liban et en Irak, ainsi que les fonctions de directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial (PAM).

Bien évidemment, c'est à propos de la Syrie que nous souhaitons vous entendre.

Cette rencontre intervient alors que vous avez présenté, Monsieur de Mistura, un rapport sur votre mission, le 17 février dernier, au Conseil de sécurité des Nations unies. Vous avez proposé un cessez-le-feu localisé à Alep - ville coupée en deux, depuis juillet 2012, entre les quartiers que tient le régime, à l'ouest, et les secteurs rebelles, à l'est -, afin de permettre l'entrée de l'aide humanitaire. Les médias français ont, récemment encore, présenté des images dramatiques de la situation de cette ville, que tous ceux qui ont eu l'occasion de la découvrir ont tant appréciée. C'est une grande tristesse de constater son état actuel.

Le régime de Bachar el-Assad se disait disposé à suspendre ses raids aériens et ses tirs d'artillerie pendant six semaines, même si le lancement d'une nouvelle offensive de sa part, à Alep même, affaiblissait sa crédibilité.

En tout état de cause, l'opposition syrienne a rejeté votre proposition, dimanche dernier, en refusant de vous rencontrer sur une autre base que la proposition d'une solution globale qui passe, selon elle, par le départ de Bachar el-Assad et de son état-major.

Aujourd'hui, les forces du régime avancent au sud et les Kurdes au nord. La perspective d'un règlement politique semble donc encore fort lointaine... Mais vous allez nous en dire davantage.

Quelle est votre analyse de la situation syrienne et des perspectives de reprise d'un dialogue avec les parties prenantes, notamment l'opposition, en vue d'un règlement de la crise ?

Peut-être pourrez-vous expliciter un propos qui vous a été attribué, à l'issue de la conférence de Vienne, où il semble que vous ayez déclaré que Bachar el-Assad « faisait partie de la solution » ? Vous le savez, ce n'est pas la position défendue par le Gouvernement français.

Mes collègues ne manqueront pas de vous poser un certain nombre de questions. L'affluence que vous pouvez constater aujourd'hui démontre l'intérêt que nous portons à votre venue, dont je vous remercie.

M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie. - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de l'occasion que vous me donnez de m'exprimer devant vous. J'y tenais beaucoup, et depuis longtemps.

En France, la question syrienne est particulièrement sensible, à la fois pour des raisons historiques et culturelles. Francophone et francophile, je mène des missions particulières en Afghanistan, en Irak, ou au Liban pour le compte de l'ONU depuis quarante-deux ans, afin de de résoudre les conflits. C'est une chance que je sois encore vivant aujourd'hui, politiquement et physiquement ! La crise syrienne est peut-être la plus complexe que j'ai connue. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que deux personnalités que je respecte énormément, MM. Kofi Annan et Lakhdar Brahimi, aient renoncé à être associés à une situation dans laquelle les massacres persistent.

J'aimerais apporter une précision à propos de la déclaration que vous avez citée. J'ai formé, durant quarante-trois ans, un certain nombre d'envoyés spéciaux de l'ONU, dont peu sont encore en activité. Je leur ai toujours enseigné que la communication est fondamentale et que chaque mot compte. Cependant, je suis moi-même tombé dans le piège ! C'est humain. Chacun ici se rappelle sûrement avoir déjà vécu pareils moments...

Dans mon cas, cela s'est passé à Vienne, lors d'une conférence de presse, après une visite difficile à Damas : partant du constat que c'est le régime qui exerce la violence, j'ai déclaré que, pour réduire la violence, la solution consistait à traiter avec le gouvernement syrien, comme avec l'opposition syrienne. Traiter avec Bachar el-Assad pour réduire la violence fait partie de mon rôle. Pour sauver des vies, ma main a serré celles de Milocevic, Nadjibullah, Saddam Hussein, ou Idi Amin Dada. Il était alors nécessaire que l'ONU puisse discuter avec eux. Il s'agissait uniquement de réduire la violence.

La solution politique demeure aux mains des Syriens. Ce n'est pas à nous de décider qui doit ou non figurer dans le futur gouvernement, mais aux Syriens eux-mêmes.

En tout état de cause, le seul élément à avoir été accepté par tous les pays, y compris par la Russie, c'est le communiqué de Genève de juin 2012, même si Daech n'y a, naturellement, pas participé.

Cela fait quatre ans pleins que dure l'horreur : plus de deux cent mille morts, un million de blessés, 3,2 millions de réfugiés ; 6,7 millions de Syriens, gens très dignes et très fiers, ont été déplacés à l'intérieur de leur propre pays ! 12,8 millions de personnes reçoivent de l'aide pour survivre dans un pays qui était auparavant autosuffisant ! La Syrie a économiquement reculé de quarante ans. Quatre mille à cinq mille écoles ont été détruites, ainsi que six mille lieux historiques, protégés ou non. Ceux qui, comme moi, ont eu la chance de connaître la Syrie avant qu'elle ne soit touchée par la guerre, ne peuvent que déplorer ce qui s'y passe.

Ce livre, aujourd'hui hélas dépassé par les faits, a recensé le nom des cent mille premières personnes - hommes, femmes et enfants - tuées durant le conflit. Je l'ai avec moi. C'est là une des raisons pour lesquelles j'ai accepté cette mission et établi une stratégie différente en vue de parvenir à une sortie de la crise. Il ne s'agit pas de statistiques, mais de vies humaines!

Lorsque j'ai accepté cette mission, réputée presque impossible, j'ai compris qu'une des questions fondamentales était de savoir s'il existait ou non une solution militaire pour arrêter la guerre. Qu'il s'agisse de la Russie, de l'Iran, des Etats-Unis, du Qatar, de la Turquie ou de l'Arabie saoudite, tous sont favorables à une solution politique, mais chacun fait comme si l'action armée était la seule solution.

Dans ce contexte, on peut se référer au communiqué de Genève, afin de n'exclure personne. C'est là le travail de la diplomatie et de la politique. Alors, pourquoi, ne bouge-t-on pas ?

Deux nouveaux éléments pourraient cependant venir tout changer...

En premier lieu, seul Daech profite du chaos et se répand comme un véritable « Ébola politique », que ce soit en Irak ou en Syrie, en profitant de l'exclusion des Sunnites. Les actions de Daech avaient donc dû contribuer à accélérer la mise en oeuvre d'une solution politique. Daech, en Syrie et en Irak, coupe maintenant les frontières en deux, formant un territoire grand comme l'Angleterre.

La coalition militaire aérienne, dont la France fait partie en Irak, mais non en Syrie, constitue l'autre élément de la réponse internationale, guidée en partie par les États-Unis, dans le contexte irako-syrien.

Ces deux éléments récents peuvent-ils contribuer à stimuler un réveil politique ? J'ai été très déçu de constater que ce n'était pas le cas.

Cependant, le fait est là : il faut continuer à réfléchir à la meilleure stratégie politique afin de résoudre le conflit syrien. Si on n'y parvient pas, le pouvoir de Daech continuera à s'étendre, en jouant sur le chaos, mais aussi sur le fait que ce mouvement extrémiste constitue un allié pour la plupart des Sunnites dans leur lutte contre le régime de Bachar al-Assad.

Durant les premiers mois, les choses n'ont pas évolué, à tel point que j'ai fini par me demander s'il resterait encore des Syriens vivants une fois le conflit terminé. Ce livre qui contient les noms de cent mille victimes, que je citais tout à l'heure, devrait en compter bien davantage ! Actuellement, on a déjà atteint le chiffre de deux cent vingt mille morts...

C'est pour moi - comme pour chacun, je pense - un devoir moral de parvenir à réduire la violence et, à partir du communiqué de Genève, de proposer une solution politique, que chacun semble appeler de ses voeux. C'est donc ce que l'on essaye de faire...

Alep, de ce point de vue, est un symbole, où l'on rencontre une mosaïque de cultures et de religions, qui donnent une bonne idée de la réalité syrienne. Beaucoup m'ont dit qu'il ne fallait pas tenter de toucher à Alep, à la situation si complexe. Au contraire ! Il faut mettre Alep en pleine lumière ! C'est une entreprise dans laquelle le gouvernement français m'a beaucoup aidé. Souvenez-vous de Kobané : qui connaissait cette ville ? J'ai essayé de « kobaniser » Alep - mais c'est très complexe.

J'ai demandé à chacun de jouer cartes sur table et de dire si toute cette souffrance était encore acceptable. J'ai considéré que, pour y mettre fin, il fallait intervenir à Alep. Le diable étant dans les détails, les choses se sont bien entendu compliquées. Au début, le régime de Damas était furieux de mon initiative. Le gouvernement syrien m'a reproché d'avoir choisi d'attirer l'attention sur une ville où il était en passe de gagner et voulait m'indiquer où agir. J'ai rappelé que je travaillais pour l'ONU, et que si je considérais la ville en danger, je devais essayer de trouver une solution -même si l'on peut toujours échouer.

J'ai appris une chose importante à l'ONU : certains moments peuvent être difficiles, voire critiques, mais l'ONU ne doit jamais renoncer. Je ne peux oublier ni Srebrenica, ni le Rwanda. J'étais à l'ONU, à l'époque, et toutes ces situations m'ont touché !

L'idée est qu'en attirant l'attention sur Alep, on oblige toutes les parties, le régime comme l'opposition, à répondre à la question très simple que pose l'ONU : peut-on au moins arrêter les bombardements aériens ou les tirs de mortiers, source de 80 % des morts? Ainsi que vous l'avez noté, l'opposition a refusé. Je peux comprendre l'état d'esprit qui règne parmi les combattants : comment accepter de négocier, alors que des familles entières ont été décimées ? Cependant, il faut bien commencer par quelque chose. Intervenir partout revient à ne rien faire - d'autant que la situation est compliquée.

Le régime de Bachar el-Assad a fini par accepter, peut-être avec l'espoir que l'opposition refuserait. C'est le cours normal des choses dans de telles crises. Toutefois, les conditions imposées par le pouvoir étaient impossibles à accepter. L'opposition a donc refusé, mais la communauté internationale doit y demeurer très attentive. Combien de secteurs de la ville ne seront-ils pas bombardés ? S'agira-t-il de ceux qui sont sous le contrôle du gouvernement ou de l'opposition ?

À Kobané, c'est la détermination d'une femme kurde qui a sauvé la ville. C'est ainsi que je me suis pris à espérer qu'Alep devienne un symbole, afin de prouver que Daech ne peut pas toujours gagner. La mission de l'ONU que j'ai envoyée à Alep est donc conduite par deux de mes collègues, deux femmes, qui ont eu le courage de s'y rendre. Je ne me suis pas joint à elles, bien que je l'aurais souhaité. J'ai souvent risqué ma vie, mais j'ai pensé que ma présence risquait d'attirer inutilement l'attention sur cette mission, qui est en ce moment en train d'essayer d'amener les deux parties à accepter l'arrêt des combats les plus importants.

Le rapport de mes deux collègues me permettra de juger si l'on peut ou non poursuivre le dialogue avec chaque partie, prise séparément. Dans le pire des cas, il faut continuer à considérer Alep comme un symbole, et garder ce symbole en pleine lumière médiatique, afin d'empêcher les événements de s'y accélérer.

Cependant, vous avez raison, Monsieur le président : Alep est encerclée et la guerre continue. Les fonctionnaires de l'ONU chargés de l'action humanitaire ont été expulsés, et l'opposition réclame que le cessez-le-feu intervienne dans quatre villes, et non pas seulement à Alep. Tout cela est compréhensible, mais il ne faut toutefois pas abandonner.

Je ne me soucie bien évidemment pas seulement d'Alep... Tout cela reste un test pour arriver à faire que les parties s'asseyent autour d'une table, afin de ne pas en rester à des réunions comme celle de Genève, où les participants quittent tout à coup la conférence en claquant la porte !

La réponse sera connue dans les prochains mois. D'ores et déjà, je crois que quelque chose est en train de changer. Le régime sait qu'il ne peut gagner la guerre - et on doit le lui rappeler. L'opposition ne le peut pas non plus, mais tous les pays engagés dans ce conflit doivent pouvoir s'asseoir à une table de négociation, autour de l'ONU, pour étudier à nouveau la solution politique. Si l'on parvient à sauver ne serait-ce qu'une ville, ou cent mille personnes, je serai déjà très heureux, même si cela peut passer pour une mission impossible.

M. Christian Cambon, président. - Nous ne pouvons qu'être impressionnés et vous féliciter de la mission ô combien compliquée et difficile que vous avez entreprise, afin de tenter de réduire la violence de ce conflit par tous les moyens.

M. Aymeri de Montesquiou. - Monsieur de Mistura, vous avait fait un exposé profond, intelligent et sensible, ce qui constitue un ingrédient rare.

Vous avez affirmé qu'il fallait parler avec tout le monde. Certes ! L'exemple d'Alep me semble, de ce point de vue, parfaitement intéressant. On voit que les Kurdes, qui détestent Bachar el-Assad, travaillent cependant avec le régime, et coordonnent leurs actions avec l'armée.

Toutefois, lorsque vous évoquez l'opposition, il existe à Alep un troisième élément, qui est le Hezbollah. L'armée libre, sur place, est assez réduite. C'est surtout Daech qui est présent. Sans doute sont-ils parmi ceux avec lesquels on ne peut parler.

Quelles sont donc les personnes avec qui échanger ? Imaginons que l'on parvienne à rétablir la paix : le système de canton de Rojava proposé par les Kurdes, sorte de Québec à l'intérieur de la Syrie, n'est-il pas la solution du futur ?

M. Gaëtan Gorce. - Ma question sera très courte : il avait été question, il y a quelques mois, d'une intervention militaire destinée à punir le régime syrien, après des événements dramatiques liés à l'utilisation de l'arme chimique. On nous dit aujourd'hui qu'il est regrettable que cette intervention n'ait pu avoir lieu, car elle aurait permis de changer la donne.

J'ai personnellement des doutes. Je les avais il y a quelques mois. Je les ai toujours. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Robert del Picchia. - Monsieur de Mistura, vous avez serré la main à des personnages peu recommandables. Seriez-vous prêt à rencontrer des personnes appartenant à Daech ? Peut-être faudra-t-il un jour négocier avec eux...

Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié l'expression d'« Ebola politique » que vous avez employée. On a appris hier que le virus décroît désormais, grâce à l'intervention massive de la communauté internationale. Celle-ci, en Syrie, ne peut-elle s'engager davantage politiquement, sous l'égide de l'ONU ? N'est-ce pas nécessaire si l'on veut régler le conflit ? Un espoir est-il encore possible ?

M. Staffan de Mistura. - S'agissant de la formule fédérale, chacun a le droit d'avoir son analyse. Si on avait pu résoudre le conflit entre l'Irak et l'Afghanistan par cette voie, on l'aurait fait. Les Irakiens et les Afghans ont des positions ethniques, politiques et religieuses très différentes, mais l'unité d'un pays demeure cependant vitale.

En Syrie, personne n'est d'accord avec un découpage par canton. Cela étant, les Kurdes ont un énorme besoin de sentir que leur culture, leurs traditions, leurs aspirations, sont reconnues en tant que telles. Je les connais bien : j'ai travaillé à leur côté dans des moments terribles ! C'est un point fondamental pour eux.

Je ne me risquerais pas à proposer une atteinte à l'union nationale. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore ! Il existe de facto une séparation, Daech affirmant contrôler un tiers du pays, le gouvernement en contrôlant une autre partie. D'autres zones ne sont contrôlées par personne. Est-ce la solution ? Certains emploient le terme de « Syrie utile », s'agissant du territoire contrôlé par le gouvernement syrien. Pour l'ONU, la Syrie ne constitue qu'un seul et même pays.

Intervenir militairement à la suite de l'emploi d'armes chimiques aurait-il constitué une bonne idée ? Selon mon expérience personnelle, il ne faut jamais regarder en arrière. Cela étant, plus la pression politique et militaire est réelle, plus elle est efficace. Je souhaite donc que la pression internationale soit suffisamment forte pour que tout le monde puisse s'asseoir autour d'une table.

Pour ce qui est de négocier avec Daech, ma propre mère ne serait pas très fière de savoir que j'ai traité avec certaines personnes, mais les résultats sont là ! L'ONU est heureusement capable de traiter avec tout le monde. Toutefois, Daech figure sur la liste des organisations terroristes établie par l'ONU ; j'aurais donc beaucoup de difficultés à le faire... Mais ils n'ont de toute façon aucune envie de traiter avec qui que ce soit. Ils ne partagent aucune de nos visions. Ils ne souhaitent que la destruction. La question ne se pose donc pas. Cela dit, il existe une possibilité de sauver des vies, il faut faire tout ce qu'il est possible de faire.

Il conviendrait que la communauté internationale puisse s'engager vraiment pour que cessent les horreurs. Si la communauté internationale peut amener les différentes parties à la table des négociations sur la base du communiqué de Genève, autour d'une formule politique, dans une prochaine étape, elle pourra aider les institutions syriennes à lutter contre Daech, comme lors de la guerre d'Irak. On n'en est pas encore là...

M. Christian Cambon, président. - Un certain nombre d'experts conseillent à la France de bombarder les positions de Daech en Syrie. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Staffan de Mistura. - C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. La réponse appartient au gouvernement français.

M. Robert del Picchia. - La France, dans une telle hypothèse, serait-elle condamnée par l'ONU ?

M. Staffan de Mistura. - Je ne peux pas répondre à cela...

M. Jacques Gautier. - Monsieur de Mistura, la situation syrienne est réellement complexe, et nous avons du mal à identifier la réalité des alliances et des regroupements. Au sud, le long de la frontière jordanienne et sur le Golan, on assiste à un rapprochement entre les combattants d'al-Nosra et des rebelles modérés, actuellement soumis à une attaque de l'armée syrienne, associés au Hezbollah libanais, aux miliciens chiites irakiens, conseillés par des Gardiens de la Révolution iraniens. À l'autre bout du pays, dans la région d'Alep et de la base militaire 46, qui vient de tomber, al-Nosra se bat contre les rebelles modérés du groupe Hazem. Certains Occidentaux les ont trouvés tellement modérés qu'ils leur ont livré des missiles antichars ! Pouvez-vous nous aider à comprendre comment tout ceci s'articule ?

Mme Christiane Kammermann. - Monsieur de Mistura, je salue votre action car vous avez beaucoup oeuvré pour la paix !

Selon vous, le régime de Bachar el-Assad, pas plus que l'opposition ne peuvent gagner la guerre. Quant à Daech, il me semble difficile qu'il y parvienne...

Je connais bien cette région, ayant été durant vingt ans déléguée du Conseil supérieur des Français de l'étranger pour le Liban, l'Irak, la Jordanie et la Syrie, au moment de la guerre du Liban. Je ne crois pas à une négociation avec Daech, car ce sont des bêtes sauvages !

Vous n'avez pas parlé des chrétiens de Syrie. À Damas, à Alep ou ailleurs, les chrétiens veulent garder Bachar el-Assad, le seul, selon eux, à pouvoir les protéger. On me téléphone souvent pour me demander de servir d'intermédiaire auprès du gouvernement français et de le lui expliquer. Ce n'est pas mon opinion, mais celle des chrétiens de Syrie, qui sont particulièrement inquiets.

Pourrions-nous connaître votre idée sur cette question ?

Mme Leila Aïchi. - Monsieur de Mistura, existe-t-il une coordination avec l'Europe concernant la gestion des réfugiés ?

Mme Sylvie Goy-Chavent. - La visite officieuse et très récente de quelques parlementaires français à Damas a provoqué la colère du Président de la République française et du Premier ministre. Pour la diplomatie française, il est en effet incorrect de discuter avec Bachar al-Assad.

Le Conseil de sécurité des Nations unies lui-même reste très partagé sur cette question. Vous-même avez déclaré qu'exclure Bachar al-Assad des discussions profiterait sans doute à Daech. Faute d'un consensus sur cette question - et sans vouloir jouer les oiseaux de mauvaise augure -, vos tentatives de concertation ne sont-elles pas vouées d'emblée à l'échec ?

M. Staffan de Mistura. - J'aurais souhaité que vous me posiez une autre question que celle-ci ! J'ai en effet beaucoup hésité avant d'accepter cette mission. Ma famille considérait qu'avoir donné quarante-trois de ma vie était suffisant, et certains de mes prestigieux collègues, que je respecte énormément, ont estimé cette mission impossible. J'ai donc d'abord été tenté de refuser, mais j'ai fini par me dire que je ne pouvais le faire avant d'avoir au moins essayé ! La situation est de plus en plus complexe.

On peut toujours échouer, mais chacun doit profiter des ouvertures pour tenter d'apporter des solutions. Le Liban connaît aujourd'hui des difficultés. Si les Etats-Unis connaissaient la même proportion de réfugiés, il y aurait aujourd'hui l'équivalent de 100 millions de réfugiés en Amérique ! La Turquie en accueille 1,6 million, la Jordanie connaît de grandes difficultés, et la Syrie est sur le point de disparaître en tant que pays.

Il faut donc tenter de trouver des solutions, malgré le risque d'échec. Certaines maladies semblent incurables, et découvrir un médicament prend parfois énormément de temps. Pour autant, ne faut-il pas maintenir les patients vivants et réduire la souffrance ?

Pour en revenir à la Syrie, vous avez très bien expliqué la situation actuelle au sud du pays. Ni la communauté internationale, ni le gouvernement de Bachar al-Assad n'ont compris, il y a trois ans, que le moment était venu d'affronter une révolte encore pacifique. Comme toujours, les choses se sont compliquées du fait des interventions étrangères et du terrorisme.

La situation, ainsi que vous l'avez démontré, est terriblement complexe. Un certain nombre d'intervenants veulent continuer la guerre pour des raisons économiques, mais les choses devraient se clarifier.

La combinaison des différentes alliances est pour le moment inextricable. On n'est pas très loin de ce qui se passait lors de la guerre en Afghanistan...

S'agissant des chrétiens de Syrie, j'ai rencontré la communauté assyrienne lorsque j'étais à Damas. C'est l'une des communautés chrétiennes les plus anciennes. Songez que ses membres parlent encore la langue qu'utilisait Jésus Christ ! Il est touchant de constater qu'ils ont conservé leurs vieilles traditions.

Il est vrai que beaucoup de personnes considèrent, surtout après l'intervention de Daech, que la région était plus tranquille auparavant. Certes, mais la guerre a tout changé et Daech en a profité, en se présentant comme le seul capable de se battre contre le régime. Ce qui favorise Daech, c'est l'exclusion de certaines communautés.

En Irak, les tribus qui se sont senties exclues avaient choisi de se rapprocher d'Al-Qaida et de Zarkaoui, le gouvernement de l'époque ayant commis l'erreur de les exclure davantage encore, malgré les Américains. C'est ainsi que Daech s'est constitué. La seule façon de lutter contre cette situation est de chercher à intégrer ces populations.

S'agissant des réfugiés, je dois dire avec beaucoup de satisfaction que l'Union européenne m'a beaucoup soutenu. Federica Mogherini, Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a démontré que l'Europe pouvait et devait faire quelque chose, sans attendre que les problèmes se résolvent seuls. Si Alep bouge, l'Europe est prête à intervenir en matière humanitaire, pour prouver que réduire la violence n'amène que des avantages.

Il est vrai que le nombre de réfugiés a énormément augmenté, mais les oublier au bout de quatre ans de guerre serait une tragédie ! On doit expliquer à nos gouvernements, qui contribuent au financement de certaines opérations, qu'il faut garder espoir. Cette région ne doit pas devenir la Somalie. On ne doit pas attendre que tout soit fini en se voilant la face ! La Syrie ne faisait plus la une de l'actualité ; c'est Daech qui l'y a ramenée. Ma plus grande crainte aujourd'hui est qu'on oublie à nouveau ce pays.

M. Robert del Picchia. - Peut-on choisir d'attirer l'attention sur une seconde ville comme Alep ?

M. Staffan de Mistura. - Bien sûr, mais il ne faut pas abandonner Alep ! Même si des villes comme Deraa, La Ghouta, Damas, connaissent des situations presque pires, il faut cependant continuer à maintenir Alep en pleine lumière, afin qu'elle ne connaisse pas le même sort que Homs. J'y étais : ce n'était même pas comparable à Beyrouth après la guerre civile !

M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur de Mistura, pour la force de votre communication. Je crois être l'interprète de l'ensemble de mes collègues en saluant votre courage. En entendant ce que vous rapportez, on imagine l'engagement personnel que cela représente.

Je rends également hommage à votre détermination. Vous l'avez dit : il ne faut jamais renoncer ! On peut toujours faire un pas de plus. Tant qu'il existe de l'espoir, le combat pour faire cesser la violence peut déboucher.

Je vous remercie pour votre optimisme face à la complexité que Jacques Gautier a décrite et face à l'horreur. Le secrétaire général des Nations unies a eu raison de vous désigner ! Nous ne pouvons que vous souhaiter bonne chance dans votre mission.

M. Staffan de Mistura. - La France m'a soutenu depuis le début. Je suis heureux de m'être exprimé devant vous.

La réunion est levée à 12 heures.