Jeudi 7 mai 2015

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 heures 35.

Environnement - Perspectives de l'Union européenne pour le climat et l'énergie : communication de Mme Fabienne Keller et M. Jean-Yves Leconte

M. Jean-Paul Emorine. - Notre ordre du jour appelle en premier lieu une communication de nos collègues Fabienne Keller et Jean-Yves Leconte sur les perspectives de l'Union européenne pour le climat et l'énergie.

Cette question est tout à fait essentielle en vue de la conférence sur le changement climatique, la COP 21, qui se réunira en décembre à Paris. Le Conseil européen d'octobre 2014 a fixé des objectifs ambitieux. Ces objectifs ont servi de base à la contribution de l'Union européenne pour la COP 21.

Il est donc important pour nous de décrypter les engagements de l'Union et d'évaluer ce qu'elle peut attendre en retour des autres parties à cette négociation internationale.

Je rappelle par ailleurs que le Sénat est très mobilisé dans la perspective de ce sommet de fin d'année. Un groupe de suivi a été mis en place. Nos deux rapporteurs y sont associés. Nous aurons le moment venu à formaliser notre contribution à la position que le Sénat souhaitera affirmer avant la tenue de la COP 21.

Je donne la parole à nos collègues.

M. Jean-Yves Leconte. - Monsieur le Président, chers collègues, merci de nous donner, à Fabienne Keller et moi-même, l'occasion de vous présenter, pour en débattre avec vous, les principaux enjeux de la négociation sur le changement climatique. Il s'agit d'un thème majeur et de très long terme pour la planète. C'est aussi, à brève échéance un défi pour la France, qui va précisément accueillir les représentants des États du monde en décembre pour tenter de franchir une étape majeure dans ce combat.

La 21ème Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique - usuellement dénommée COP 21 - réunira en effet en décembre, à Paris, les 195 États membres de cette Convention internationale signée à Rio, au Sommet de la Terre, en 1992.

Deux ans plus tôt, en 1990, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, avait publié son premier rapport où il décrivait l'impact des activités humaines sur le réchauffement climatique dû au développement exponentiel des gaz à effet de serre (GES).

Cette convention fondatrice a érigé le système climatique en une ressource partagée, menacée par les émissions de gaz à effet de serre provoquées ou aggravées par les activités humaines. Les engagements qu'elle a assignés à tous les États parties relevaient cependant plus de la promesse et du symbole : publier un inventaire des émissions, lancer des programmes nationaux d'atténuation, coopérer sur la recherche, etc.

La Convention Climat repose sur deux piliers. Le premier est l'atténuation, qui vise à réduire les sources de gaz à effet de serre ou à développer les puits qui absorbent ces gaz, comme les forêts. Le deuxième est l'adaptation, qui concerne les mesures d'ajustement
- écologiques, sociales ou économiques - qu'adoptent les États en réponse aux changements climatiques actuels ou à venir.

Pourtant, lorsqu'on évoque les accords internationaux sur le climat, on évoque bien plus Kyoto que Rio et la Convention-cadre de 1992. Pourquoi ?

Dès 1997, lors de la 3ème Conférence des Parties à la Convention-cadre
- la COP 3 - réunie à Kyoto, a été adopté le protocole du même nom, destiné à combler les manques de la Convention et assigner des ambitions chiffrées de réduction d'émissions et à les rendre, cette fois ci, contraignantes.

Kyoto est donc à ce jour le seul instrument international juridiquement contraignant visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre ; il n'engage que 38 pays
- à comparer aux 195 signataires de la Convention climat. Il n'est cependant entré en vigueur qu'en février 2005. Les États-Unis ne l'ont pas ratifié et le Canada s'en est retiré. Le Protocole de Kyoto avait essentiellement défini un objectif global de réduction de 5 % des émissions par rapport à 1990, pendant la période 2008-2012, pour les pays économiquement les plus riches (pays de l'OCDE et pays « en transition » d'Europe centrale et orientale).

En compensation des objectifs contraignants, l'accord proposait aux États des mécanismes de flexibilité. On en recense trois : un mécanisme de marché ; un mécanisme de développement propre (MDP) ; enfin la « mise en oeuvre conjointe » (MOC). Nous les détaillerons tout à l'heure. La Convention-cadre et Kyoto ont généré un processus continu de négociations sur le climat, rythmées par les rapports successifs du GIEC, dont le dernier - le 5ème - a été publié à l'automne dernier.

À la COP 18 en 2012 à Doha les États ont décidé une deuxième période d'engagement 2013-2020 du protocole de Kyoto et adopté un échéancier pour l'adoption d'un accord universel sur le climat d'ici 2015 - nous y sommes - pour une entrée en vigueur en 2020. Ce sera l'objet du « Protocole » ou de l'Accord de Paris.

Pourquoi une telle urgence et cette relative dramatisation ?

Le GIEC a publié en novembre 2014 dernier son 5ème rapport, destiné à actualiser, évaluer ou réévaluer les données scientifiques recueillies depuis la création de cet organisme en 1988. Les changements climatiques vont présenter, au cours des prochaines décennies, de nombreux risques pour nos sociétés. Ainsi la hausse du niveau des mers projetée au cours du 21ème siècle, mais aussi au-delà de 2100, pourra générer une multiplication des phénomènes de submersion, d'inondations côtières et d'érosion des côtes.

Pour avoir des chances de rester sous la barre des 2° C, les scénarios de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre requièrent des améliorations rapides de l'efficacité énergétique, et une multiplication par 3 ou 4 de la part des énergies sobres en carbone dans la production d'énergie d'ici à 2050.

Il faut donc avoir présent à l'esprit que l'impact de ces évolutions climatiques
- inondations, submersions, etc. - sont aussi autant de menaces nouvelles pour la sécurité. Il en est de même en termes financiers, par exemple par le renchérissement des coûts d'assurances et la dépréciation des valeurs des actifs. Cela oblige donc l'ensemble des États à coordonner leurs actions pour essayer de rester sous la barre des 2° C d'augmentation de la température de la planète.

En quoi peut-on dire que l'Union européenne mène depuis longtemps une politique assez exemplaire en matière de climat ?

Le Protocole de Kyoto prévoyait une réduction de 5 % des gaz à effet de serre en 2012 par rapport au niveau de 1990. Si l'objectif est loin d'être atteint au niveau mondial (34 % d'augmentation), il a en revanche été rempli par l'Union. Dès 2012, ses émissions ont été à leur niveau le plus bas depuis 1990. Les émissions totales de gaz à effet de serre de l'Union européenne ont marqué un recul de 19,2 % par rapport à 1990.

Au cours de la deuxième période d'engagement (2013-2020), les émissions totales devraient, d'après les projections des États membres, être en moyenne inférieures de 23 % aux niveaux de l'année de référence (2005). L'Union est donc en voie d'atteindre son objectif de Kyoto pour la deuxième période d'engagement, voire de le dépasser.

On peut noter, ce qui était loin d'être acquis, un bon découplage entre l'activité économique et les émissions de GES. Entre 1990 et 2012, le PIB global de l'Union européenne a augmenté de 45 %, tandis que les émissions totales de GES ont reculé de 19 %.

Le Conseil européen d'octobre 2014 a approuvé un objectif contraignant consistant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'Union d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Par ailleurs, un objectif contraignant d'au moins 27 % est fixé au niveau de l'Union en ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique à l'horizon 2030. Enfin, un objectif indicatif d'au moins 27 % est fixé au niveau de l'Union Européenne pour améliorer l'efficacité énergétique à l'horizon 2030.

Ce sont ces engagements, ambitieux, qui sont repris dans la contribution de l'UE au Secrétariat de la Convention Climat en préparation de la COP 21 et déposée, parmi les premiers, avant le 31 mars dernier.

Le 25 février dernier, la Commission a par ailleurs publié une communication par laquelle elle décrit sa vision de l'accord de Paris : un accord transparent, dynamique et juridiquement contraignant, assorti d'engagements équitables et ambitieux pris par toutes les Parties. L'objectif doit être de réduire les émissions mondiales d'au moins 60 % par rapport aux niveaux de 2010 d'ici à 2050. Tous les pays devraient être encouragés à participer au financement de la lutte contre le changement climatique, au développement et au transfert de technologies, et au renforcement des capacités.

De quels outils dispose la Communauté internationale - et pour commencer l'Europe - pour inciter les États et les entreprises à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ?

Chaque État, en vue de la COP 21, va déclarer ses « engagements » dont la totalisation deviendra l'objectif contraignant pour les Parties au futur traité pour rester sous la barre des 2 degrés d'augmentation. Les États de l'Union européenne fonctionnent bien, mais qu'en est-il là où les États ne sont pas en situation de contrôler leurs entreprises, dans les zones où les États sont défaillants ? Par conséquent, cette approche « par le haut » n'est pas forcément adaptée pour tout le monde. L'Union européenne est donc un bon modèle de volontarisme, respectueux des souverainetés de chacun, pour réduire ses émissions de carbone.

Mme Fabienne Keller. - Avec mon collègue Jean-Yves Leconte, nous avons participé à Bruxelles, le lundi 30 mars dernier, au siège du Parlement européen, à une réunion interparlementaire rassemblant des élus du Parlement européen, le commissaire européen à l'énergie et au climat M. Cañete, et des élus de parlements nationaux (membres de commissions du développement durable ou de commissions des affaires européennes). L'enjeu de la COP 21 y a été largement traité. Je ne regretterai qu'une chose : l'absence de décision opérationnelle à l'issue de cet événement, même si un large consensus était palpable sur la stratégie volontariste à suivre. Deux points particuliers : d'abord une crainte perceptible du Parlement européen de devoir céder ses prérogatives sur le sujet, et ensuite la question de la répartition des rôles entre le commissaire Cañete d'une part et la Haute représentante pour les affaires étrangères et la sécurité d'autre part, dont certains attendent un engagement plus substantiel sur cette question du climat. En résumé, une réunion témoignant utilement de l'existence des Parlements sur le sujet mais si exister c'est bien, décider c'est encore mieux.

La principale disposition du Protocole de Kyoto a été d'inciter au développement d'un marché du carbone afin de contribuer à la réduction d'émissions de GES.

Un marché du carbone consiste à attribuer un prix au droit à émettre des gaz à effet de serre afin d'inciter des acteurs - États ou entreprises - à réduire leurs propres émissions en échangeant entre eux des « droits à polluer ». Un « quota » correspond à l'autorisation d'émettre une tonne d'équivalent de dioxyde de carbone.

Un certain nombre de marchés de quotas ont été mis en place à ce jour, notamment deux : le marché de quotas issu du protocole de Kyoto et le marché européen d'échange de quotas - le Système Européen de Quotas d'Émissions. Je l'appellerai le « Système européen » pour la suite de l'exposé.

Le protocole de Kyoto a posé les bases d'un marché international, grâce à trois mécanismes de flexibilité destinés à aider les 38 pays les plus industrialisés signataires du protocole à respecter leurs objectifs de réduction, je les rappelle :

- un mécanisme international d'échange. Des droits d'émissions sont distribués aux pays en fonction de leurs objectifs de réduction d'émissions de GES fixé par le protocole. Ces droits sont vendables à d'autres États ;

- le Mécanisme de Développement Propre (MDP) octroie des crédits d'émission de GES, aux pays investissant dans des projets réduisant les émissions de GES dans des pays en voie de développement ;

- la Mise en OEuvre Conjointe (MOC) permet d'obtenir des crédits, grâce à l'investissement dans des projets réalisés dans d'autres pays industrialisés.

Un effet pervers est né de cette possibilité donnée aux entreprises européennes d'utiliser les crédits internationaux - dits crédits Kyoto - pour remplir une partie de leurs obligations de réduction d'émission. Ainsi, dans l'Union, sur les deux milliards de tonnes de CO2 « non émises » par les industriels au cours de cette période, un milliard provient de projets réalisés dans des pays tiers. Pour l'essentiel, il s'agit de projets Mécanisme de Développement Propre, dont les crédits, échangés à moins de 1 € la tonne, ont permis aux industriels de remplir leurs obligations à moindre coût, et qui ont dans leur immense majorité profité aux pays émergents et pas aux pays les plus pauvres qui en auraient eu le plus besoin. L'UE a agi pour résorber ce déséquilibre en limitant le recours aux crédits en provenance des pays les moins avancés.

Le fonctionnement d'un marché carbone est basé sur un plafonnement des émissions pour chaque émetteur de GES. L'existence de ce plafond doit créer la rareté nécessaire pour stimuler les échanges. Le prix des quotas est déterminé par l'offre et la demande. Mais contrairement aux autres marchés, il n'y a pas de flexibilité de l'offre. Les différents acteurs - entreprises ou États - doivent acheter des quotas supplémentaires s'ils polluent plus que leur plafond autorisé.

En cas de non-respect du plafonnement, les sanctions varient : les pays du Protocole de Kyoto ne peuvent plus vendre de permis jusqu'à ce que le Comité du respect des engagements leur restitue leurs droits. Des pénalités financières sont prévues dans le cadre du Système européen.

De nombreux pays se sont ainsi engagés dans la constitution de marchés nationaux ou régionaux du carbone : au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon ou encore au Mexique. Il n'existe actuellement pas d'interconnexions directes entre les différents marchés de droits à émettre des GES mais quelques interconnexions indirectes via les mécanismes de projets.

Instauré en 2005 au niveau européen, le système européen d'échange de quotas d'émissions constitue le plus important système d'échange des crédits d'émission de gaz à effet de serre. Il vise à atteindre les objectifs de l'Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto. Il se trouve actuellement en phase 3 depuis le 1er janvier 2013 et jusque 2020.

Quels sont les principes de fonctionnement du Système européen ?

Un exploitant - producteur d'électricité, raffinerie de pétrole, entreprise de fabrication de carton, industriel, etc. - obtient, pour une période donnée, le droit d'émettre un certain volume de CO2 qui lui est accordé sous la forme de permis d'émission. Sous ce plafond, les entreprises reçoivent, ou achètent, des quotas d'émissions qu'elles peuvent échanger avec une autre entreprise. L'offre limitée de quotas d'émissions disponibles leur confère une valeur marchande. Le Système européen a pour philosophie d'inciter les industriels à investir dans des technologies propres et un prix du carbone suffisamment élevé est de nature à encourager cet investissement.

En 2009, une réforme importante a permis de renforcer le système : ainsi la mise aux enchères devient le mode d'allocation normal des quotas et remplace progressivement les allocations gratuites des deux premières phases ; depuis 2013, plus de 40 % des quotas ont ainsi été mis aux enchères, et cette proportion croîtra progressivement chaque année. Pour votre information, les recettes totales de l'UE tirées des enchères se sont élevées à 3,6 milliards d'euros, dont 200 millions d'euros pour la France, 800 millions pour l'Allemagne. La directive établissant le Système européen prévoit qu'au moins 50 % des recettes de la mise aux enchères doivent être utilisés par les États membres à des fins liées au climat et à l'énergie.

Pour autant, le Système européen est actuellement confronté à un surplus de quotas, lié en large partie à la crise économique qui a contribué à une réduction des émissions de GES plus élevée que prévu. Un important déséquilibre entre l'offre et la demande de droits d'émissions se traduit donc par un excédent d'environ 2 milliards de quotas, qui devrait croître dans les années à venir pour atteindre plus de 2,6 milliards de quotas d'ici à 2020.

De ce fait le prix de la tonne équivalent CO2 est tombé à 6 € eu lieu de 27 € en 2008 par exemple. Le « signal-prix » est réduit à néant. La Commission a donc proposé de créer un mécanisme de réserve de stabilité, à mettre en oeuvre au début de la prochaine période pour réguler les flux de quotas et conserver une valeur incitative aux investissements dans les stratégies industrielles bas-carbone. Ces efforts pour rééquilibrer le marché seront soutenus aussi par une accélération de la baisse du plafond annuel d'allocation de quotas qui passera de 1,74 % à 2,2 % pour la période 2013-2020.

Le Système européen concerne actuellement en Europe près de 14 000 installations fortement émettrices de GES (plus de 1 000 en France) dans les secteurs de l'énergie, la production et la transformation des métaux ferreux, l'industrie minérale, la fabrication de pâte à papier, et la fabrication de papier et de carton. Les vols aériens de la plupart des 31 pays participant au Système européen sont inclus dans ce marché.

Par ailleurs, une autre démarche européenne, dite du « partage de l'effort », concerne les secteurs non couverts par le système d'échange de quotas : agriculture, transports terrestres, logement et bâtiments, petites installations industrielles et déchets, tous secteurs qui d'ailleurs émettent le plus : quelque 55 % des émissions. L'engagement de l'Union vise ainsi à diminuer, d'ici 2030, les émissions de GES de ces secteurs de 30 % par rapport à 2005, et à répartir, entre les États membres, cet objectif global européen. Cette répartition par pays doit se faire selon des principes équitables prenant en compte le produit intérieur brut.

Nous voudrions formuler trois observations en guise de conclusion. Trois points qui restent à ce jour encore préoccupants au regard des attentes fortes placées dans la COP 21 et ses résultats :

Tout d'abord les « contributions » des grands pays pollueurs.

Il avait été décidé à Lima en décembre dernier que les pays « qui le pouvaient » remettent au Secrétariat de la Convention Climat, avant le 31 mars de cette année, leurs « contributions » décrivant leurs politiques de réduction des émissions de GES. Six pays ont tenu cet engagement (plus l'Union européenne représentant ses 28 États membres) : Suisse, Russie, États-Unis, Gabon, Mexique et Norvège. Au total, ces contributions ne couvrent que 25 % des émissions mondiales.

Si les États-Unis sont donc « dans les temps », ce n'est pas encore le cas de la Chine. Les deux plus gros pollueurs mondiaux ont conclu un accord bilatéral le 12 novembre dernier. Les États-Unis s'y sont ainsi engagés à diminuer de 26 à 28 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2025, par rapport à leur niveau de 2005.

La Chine s'est engagée à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre « autour de 2030 » et à porter à 20 % la part des sources non polluantes dans la production énergétique du pays. En d'autres termes, jusque-là la Chine va continuer à émettre, mais après des efforts seront mis en place pour inverser la courbe. Le plus gros émetteur de gaz à effet de serre n'a donc pas promis de diminuer ses émissions, mais seulement de stopper leur augmentation.

Pour leur part, les États-Unis ont fixé leur engagement par rapport au niveau d'émissions atteintes en 2005, soit la deuxième année la plus noire depuis 1990, ce qui relativise l'ambition de la promesse.

On reste aussi dans l'attente de la contribution de l'Inde, troisième pollueur mondial qui a néanmoins - c'est un fait nouveau - accepté de s'engager contre le réchauffement climatique, sinon en s'engageant sur des réductions d'émission de GES, en investissant fortement dans le développement des énergies renouvelables et celui de son parc nucléaire.

M. Jean-Yves Leconte. - Deuxième observation, un éclairage sur le secteur de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie.

Si les émissions de gaz à effet de serre proviennent essentiellement de la production de l'énergie et des transports, le secteur de l'utilisation des terres et de la forêt constitue tout à la fois une source d'émissions et un « puits de carbone ». Le carbone est en effet stocké dans les arbres et les produits du bois ou dans les sols eux-mêmes. On distingue les émissions carbone de ce secteur dit de « l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie » de celles du secteur purement « agricole » qui recense d'autres gaz que le carbone.

En quoi ce secteur est-il stratégique ?

Le capital forestier, les sols et les végétaux sont, par nature, des puits de carbone, on estime annuellement, dans l'Union, cette absorption à quelque 9 % de l'ensemble des émissions. Toutefois, leur utilisation ou leur changement d'affectation peut les transformer en émetteur nets de carbone. Ainsi, le retournement de prairies en terres agricoles ou leur conversion en zones urbaines contribuent au déstockage de carbone. Certaines méthodes de culture ou d'élevage peuvent concourir soit à émettre, soit à stocker le carbone. Il n'est pas besoin enfin d'insister sur le rôle essentiel en la matière de la forêt - et, a contrario, du déboisement - dans le stockage du carbone.

Dans le cadre du protocole de Kyoto, ce secteur de l'utilisation des terres et de la forêt était comptabilisé dans les engagements de réduction mais seulement à titre volontaire. L'Union européenne, dans son « cadre d'énergie-climat 2030 » a décidé l'inclusion du secteur, mais a remis à plus tard, en 2020, la définition de règles de comptabilisation, qui se heurte à des pratiques très diverses d'un pays à l'autre.

Au total, si ce secteur a été imparfaitement pris en compte depuis Kyoto, il est appelé à prendre une importance croissante dans la perspective de la COP 21, tout particulièrement pour les pays en développement. En effet, pour nombre de pays en développement, en particulier ceux possédant de grandes surfaces forestières, l'utilisation des terres et la foresterie peuvent être responsables d'une quantité importante de leurs émissions.

On attend des États des engagements ambitieux mais ces États sont dans des situations très différentes. Les évolutions démographiques par exemple vont contribuer à terme à faire de certains pays de grands émetteurs de carbone alors qu'ils ne le sont pas aujourd'hui. Le Fonds Vert pour le Climat va aider les pays en développement mais, là encore, qu'en est-il de la capacité de contrôle ? De même, qui doit contribuer à ce Fonds : les seuls pays développés ou aussi les émergents comme la Chine ?

Il est aussi nécessaire de ne pas perdre de vue le rôle des grandes villes dans cette démarche mais aussi et surtout principalement des entreprises. Il faut des mécanismes qui permettent de ne pas s'en remettre qu'aux États mais aussi aux entreprises sinon les ambitions affichées ne pourront être atteintes.

Mme Fabienne Keller. - Troisième remarque : l'aspect financier de la lutte contre les changements climatiques, en particulier le financement du Fonds vert pour le climat.

Le Fonds Vert pour le climat est le dernier fonds dans l'architecture du financement climatique. Il sera le principal canal de distribution des financements publics pour le climat et financera en particulier les mesures d'adaptation aux changements climatiques pour les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. Il devrait aussi permettre de déployer des mécanismes de financement innovants qui serviront à mobiliser des investissements du secteur privé.

Un processus a été lancé en juin 2014 pour la mobilisation des ressources initiales du Fonds. Des pays ont à ce jour contribué à hauteur de 7,7 milliards d'euros. À l'exception de la contribution française, toutes les contributions ont été faites sous forme de dons. Les États-Unis, avec 3 milliards de dollars, sont les premiers contributeurs, suivis du Japon (1,5 milliard de dollars), du Royaume-Uni (1,1 milliard de dollars), de la France et de l'Allemagne (1 milliard de dollars chacun).

Ce montant reste en deçà des espérances et est à coup sûr inférieur aux besoins des pays en développement. Je rappelle que l'objectif lancé en 2009 à la COP 15 de Copenhague était de mobiliser, d'ici à 2020, 100 milliards de dollars par an, en fonds publics et privés. Ce sera donc encore un point très attendu et débattu de la COP 21 à Paris.

Pour finir, je rappelle que la COP 21 n'est pas un exercice européen. La démarche ne se fait pas ni aux 28, ni aux 38 de Kyoto, mais aux 195 de Rio. L'Union européenne y tient une partition ambitieuse et exemplaire mais le maître d'ouvrage est bien en dernier ressort l'ONU, avec tout ce qui s'attache, en bien et en moins bien, aux processus de négociation universels qu'elle parraine : l'obligation de compromis, les rivalités croisées et les coalitions d'intérêts particuliers, sans parler de la défiance de certains grands pays (Chine, États-Unis...) à tout exercice multilatéral qui se voudrait contraignant...

Malgré l'enjeu littéralement « vital », le succès de Paris n'est pas acquis.

Nous vous remercions.

M. Jean-Paul Emorine. - Les deux « Grenelle » de l'environnement ont été des étapes importantes. Je présidais alors la commission des affaires économiques et à ce titre j'ai pu me rendre avec le Ministre d'alors, M. Jean Louis Borloo, à la COP de Copenhague où se débattait déjà la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut avoir à l'esprit que notre voisin et partenaire allemand émet, par habitant, trois fois plus de ces gaz que la moyenne. De même, les quotas d'émissions représentent un coût et il est indifférencié quel que soit l'objet de l'entreprise en cause et par exemple la cimenterie est à la même enseigne que la mine d'or...

La France, et c'est très satisfaisant, s'est bien impliquée dans ce combat contre le carbone. On devrait prendre davantage en compte certaines spécificités de la France en matière de puits de carbone : notre pays détient 30 millions d'hectares de prairies et 17 millions d'hectares de forêts et de landes : cela rend la France exemplaire en termes de stockage de carbone et peut-être la position de la France aurait-elle pu être plus valorisée de ce point de vue dans le cadre de la position européenne, car en fait on demande un effort identique à des pays qui ne polluent pas au même niveau.

M. Alain Richard. - Notre collègue Jean-Yves Leconte considère qu'engager les entreprises est plus efficace que de s'en remettre aux États. Mais ce que nous cherchons à faire à la COP 21 c'est un traité, et un traité engage des États qui sont dès lors nos seuls interlocuteurs. C'est aux États et à eux seuls de veiller à ce que font leurs entreprises. Ce mécanisme qui consiste à réunir des États, très divers les uns des autres, est la seule voie utile.

S'agissant des positions de l'Union européenne, elles sont aussi les résultats des traités : elles impliquent le Conseil, le Parlement européen et les parlements nationaux, qui dialoguent avec leurs gouvernements. On ne peut pas changer nos traités.

Pour ce qui est des systèmes d'échange de quotas, il faut avoir à l'esprit que l'Union européenne est un émetteur de plus en plus petit de gaz à effet de serre. À la fois, parce qu'elle a fait de réels efforts de dé-carbonisation et aussi parce que sa croissance est faible. Le vrai marché pertinent à ce jour en ce qui concerne les quotas carbone serait le niveau de l'OCDE, même s'il serait positif que les pays émergents aient leur propre marché.

M. André Gattolin. - Dans son dernier rapport, le GIEC a démontré que le taux de réchauffement de l'Arctique était trois fois supérieur au reste de la planète. Certes on maîtrise imparfaitement les données scientifiques mais aujourd'hui on constate quand même une réduction drastique de la « surface blanche » qui réduit la réflexion de la lumière et cette réduction de l' « effet d'Albedo » participe au réchauffement du Pôle. De même, la diminution des sols gelés, du pergélisol, dégage de très importantes quantités de méthane dans l'atmosphère. Enfin, la fonte des glaces a un impact majeur sur la montée du niveau des mers et océans.

À Bruxelles, j'ai pu assister aux deux jours d'une réunion à laquelle participait notamment Michel Rocard - ambassadeur de la France pour les Pôles -, le service européen pour l'action extérieure, le Parlement européen, ainsi que le commissaire Cañete à l'énergie et au climat. Il s'est agi d'élaborer une feuille de route pour l'Arctique où la France s'implique aux côtés de l'Union européenne. Tous ces acteurs au demeurant travaillent en bonne intelligence avec la France, pays hôte de la COP 21.

Dans sa contribution en vue de la COP 21, la Russie prend 1990 comme année de référence pour sa réduction de gaz à effet de serre. Or cette année est la dernière de l'activité industrielle intense de ce pays avant l'effondrement économique qui a suivi, par conséquent la baisse affichée pour 2030 est en réalité une hausse par rapport à 2012.

Au contraire de leur gouvernement central, des provinces canadiennes se sont assigné des objectifs contraignants.

L'Union européenne peut se permettre d'être plutôt optimiste et la coopération avec la France est bonne.

M. André Reichardt. - Je voudrais remercier les rapporteurs qui ont expliqué simplement un sujet complexe. Mon interrogation concerne la Chine. J'ai retiré de récents entretiens que l'une des raisons de la baisse de la croissance chinoise était liée aux efforts que le pays consent pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Qu'en est-il ?

M. Jean-Yves Leconte. - La question de la pollution en Chine a aussi, de plus en plus, une dimension sociale et elle devient de ce fait un enjeu de préservation de la cohésion sociale. Mais le problème majeur qui asphyxie leurs villes concerne surtout les microparticules. C'est un enjeu différent de celui des émissions de carbone. À tel point que les chinois aisés qui utilisent des purificateurs d'air contribuent par là même à libérer du carbone... Par conséquent leurs préoccupations environnementales ne sont pas exactement les mêmes que celles liées au réchauffement climatique.

Je voudrais indiquer à mon collègue Alain Richard que les entreprises sont dans les États et que, par exemple, des traités de libre-échange, conclus entre États, peuvent prévoir de donner un accès privilégié au marché, ou à leurs marchés publics, à des entreprises qui ont un meilleur comportement écologique que d'autres... Tous les États ne sont pas en situation d'imposer des règles à leurs entreprises et régler ce problème est important si l'on veut, précisément, que les traités entre États soient efficaces.

Mme Fabienne Keller. - Monsieur le président, vous avez raison de rappeler combien les Grenelle 1 et 2 ont structuré positivement la politique française de l'environnement. J'y ajoute le projet de taxe carbone qui n'a pas pu hélas voir le jour après sa mise à l'écart par décision du Conseil constitutionnel.

Oui, la politique énergétique de l'Allemagne et son patrimoine industriel font que ce pays émet trois fois plus de carbone que la moyenne européenne.

Vous insistez également à juste titre sur l'importance des forêts, des prairies et des landes. J'ajoute que dans bien des pays en développement les forêts sont une source d'énergie très utile quand ces pays ne détiennent pas de pétrole. Le recul des forêts engendre, mécaniquement, des émissions de gaz à effet de serre.

Le niveau OCDE est en effet le bon niveau pour un marché des crédits carbone. On doit être sur des territoires « cohérents » si l'on veut que la tenue des « livres de crédits de comptes » des marchés d'échanges de quotas carbone soient tenus dans un cadre de régulation et de contrôle cohérent, qui implique d'ailleurs de plus en plus de sociétés d'audit spécialisées.

André Gattolin évoque à juste titre la fonte du permafrost et les émissions de méthane qu'elle génère. J'ajoute que la fusion des glaces pourrait libérer des micro-organismes aujourd'hui inconnus susceptibles d'engendrer des pathologies...

Je partage avec André Reichardt son interrogation sur le cas de la Chine. Son implication totale dans le sujet passe probablement par une prise de conscience effective des enjeux au niveau national.

Je voudrais insister sur une proposition qui me tient à coeur qui consisterait à insérer un mécanisme d'inclusion d'une forme de taxation du carbone aux frontières de l'Union, en conformité d'ailleurs avec les règles de l'OMC. Le but serait de renchérir comparativement ce qu'on importe, sur le marché européen, de produits raffinés, produits chimiques... bref de produits sous quotas carbone - qui sont produits dans des pays qui n'ont pas les mêmes règles de vigilance carbone que l'Union. Ce mécanisme s'appliquerait, sauf à ce que la preuve soit apportée que des mesures de production bas carbone comparables aux nôtres sont mises en oeuvre.

Transports - Suivi des résolutions européennes du Sénat : méga-camions : communication de Mme Fabienne Keller

M. Jean-Paul Emorine. - Nous allons entendre maintenant une communication de notre collègue Fabienne Keller sur le suivi de la résolution européenne du Sénat qui concernait les méga-camions.

Je rappelle que notre collègue nous avait présenté, en juin 2013, un rapport d'information ainsi qu'une proposition de résolution européenne sur la proposition de directive de la Commission européenne. Cette résolution est devenue définitive le 9 juillet 2013.

Depuis lors, les négociations se sont poursuivies sur ce texte européen. Il est donc important de savoir quel en est le résultat et ce qu'il est advenu des positions que le Sénat avait souhaité affirmer.

Je donne la parole à notre collègue.

Mme Fabienne Keller. - Monsieur le Président, mes chers collègues, notre commission des affaires européennes a examiné, le 5 juin 2013, le rapport que j'avais présenté sur la circulation des mégacamions et le fret routier européen. Elle avait, à cette occasion, adopté une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 9 juillet.

Le rapport comme la résolution portait principalement sur la révision de la directive du 25 juillet 1996 « fixant pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international ». La résolution visait également une proposition de règlement modifiant la législation sur le contrôle du temps de conduite des routiers.

La procédure de révision est arrivée à son terme le 20 avril 2015, à l'issue d'un dernier vote du Conseil. Il est donc légitime aujourd'hui de comparer les suggestions du rapport et de la résolution avec le résultat des négociations conduites au niveau de l'Union européenne.

J'aborderai donc successivement les trois points ayant fait l'objet de la résolution européenne, à savoir le franchissement des frontières par les mégacamions, le tachygraphe, qui contrôle le temps de travail des chauffeurs et enfin le dumping social.

La circulation des mégacamions constituait le thème principal de la résolution européenne.

Les mégacamions sont, je vous le rappelle, des poids lourds dont la taille est comprise entre 18,75 et 25,25 mètres et le poids varie entre 40 et 60 tonnes. Leur circulation n'est, pour l'heure, pas autorisée en France.

La directive de 1996 ne faisait pas obstacle à ce que les États membres autorisent la circulation sur leur territoire de véhicules excédant les dimensions et poids maximaux. À la double condition qu'ils ne participent qu'à des opérations de transport national de marchandises et que leur circulation n'affectent pas, de façon notable, la concurrence internationale.

Répondant à une demande de la commission des transports du Parlement européen, la Commission européenne avait estimé dans une lettre, datée de juin 2012, que la directive de 1996 permettait le franchissement par ces engins de la frontière séparant deux États membres qui chacun autorise leur circulation. La livraison devait néanmoins être effectuée dans le deuxième État membre. En revanche, la traversée successive de deux frontières avec un tel chargement reste interdite. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'au sens de la directive, aucune opération de transport national de marchandises n'aurait eu lieu sur le territoire de l'État de transit.

La Commission a souhaité officialiser en quelque sorte cette solution dans la proposition de révision de directive. Notre résolution européenne a d'ailleurs approuvé cette approche.

Jugée dangereuse, cette disposition a été supprimée par le Parlement européen le 10 mars dernier lors de l'examen en seconde lecture du texte. La nouvelle Commission européenne n'a pas contesté cet amendement dans l'avis qu'elle a transmis au Conseil. En refusant cette option le législateur rend caduque l'interprétation formulée en juin 2012. Une incertitude juridique est au moins levée.

J'en viens maintenant au contrôle du temps de conduite, qui n'est pas sans incidence en matière de sécurité routière.

Notre principale interrogation concernait les « tachygraphes intelligents ». Ces dispositifs permettent de vérifier le temps de conduite et de repos des routiers. Notre résolution européenne approuvait leur généralisation.

Un règlement adopté en février 2014 va dans ce sens en obligeant à doter les nouveaux poids lourds de cet équipement à partir de 2018. Le reste de la flotte aura quinze ans pour s'équiper. Notre résolution européenne tablait sur une mise en service généralisée à l'horizon 2020. Nous n'avons donc été que partiellement entendus.

La résolution européenne abordait enfin la question du dumping social et plus particulièrement celle du cabotage. Je précise que cette question n'était pas réglée par les textes sur lesquels nous nous sommes prononcés.

La précédente Commission européenne s'était simplement montrée favorable à une libéralisation totale de cette activité. Il s'agissait, pour elle, de faire baisser le coût de la logistique, tout en répondant à des préoccupations environnementales.

Notre commission a pris position contre toute extension de cette tolérance, voire pour sa restriction. Elle a, à plusieurs reprises, rappelé plus largement son attachement à l'harmonisation sociale au sein de l'Union.

Aucune avancée notable sur la question du cabotage n'a été pour l'heure enregistrée. Le débat reste, cependant, ouvert, puisque la Commission Juncker prépare actuellement un « paquet routier ».

La commissaire aux transports, Mme Violetta Bulc, de nationalité slovène, a déclaré que tous les sujets sociaux seraient abordés à cette occasion. Le paquet devrait être présenté en trois temps. Fin 2015, des propositions sur les infractions graves et le salaire minimum devraient ainsi être avancées. Elles seraient suivies, début 2016, d'une communication sur l'Eurovignette, la formation des chauffeurs et la sécurité des infrastructures routières. Enfin, l'ouverture accrue du marché et donc la question du cabotage, la création d'une Agence européenne de la route ainsi que l'ensemble des autres mesures sociales, je pense au régime des chauffeurs détachés, seraient abordés fin 2016.

Mme Pascale Gruny. - Ces entreprises de transports sont confrontées à l'hétérogénéité des conditions de travail des chauffeurs européens. D'ailleurs peut-on parler de chauffeur détaché, dès lors qu'un conducteur roumain livrant en France continue à travailler pour l'entreprise de son pays !

En tant que parlementaire européenne, j'ai travaillé sur la question du temps de travail, qui vous le savez, est pour partie harmonisé au sein de l'Union européenne. La question des chauffeurs indépendants, patrons de leur micro-entreprise, avait retenu mon attention. Comment peuvent-ils concilier temps de conduite, temps de travail et temps de repos sans à la fois fragiliser la compétitivité de leurs sociétés et créer des risques en matière de sécurité routière ? Certains ne dorment que deux heures par nuit !

Sur la question de la formation, je relève que nous progressons vers l'harmonisation au niveau européen, en particulier sur la formation continue obligatoire. Reste la difficulté à contrôler l'acquisition et la mise en pratique de ces connaissances...

Je suis par ailleurs favorable au maintien de l'interdiction de franchissement des frontières par les mégacamions.

M. Jean-Paul Emorine. - Nous ne sommes pas allés au-delà de 44 tonnes car nos infrastructures routières ne le permettent pas. Le tonnage réel maximum ne dépasse de toute façon que rarement 44 tonnes au sein de l'Union.

Mme Fabienne Keller. - Je préfèrerais des mégatrains...

Mme Patricia Schillinger. - Il faut progresser vers plus d'harmonisation dans le domaine des transports. Qu'en est-il notamment du permis de conduire ou des infractions au code de la route ? Les chauffeurs routiers français perdent des points sur leur permis alors que leurs homologues étrangers roulant sur les territoires traversés ne sont tenus que de régler une amende... Je constate plus largement des écarts entre pays en ce qui concerne l'octroi du permis de conduire. En France, il diffère selon les tonnages et s'avère coûteux pour les candidats à la conduite de camions.

M. Éric Bocquet. - Quels sont les pays européens qui autorisent la circulation de ces mégacamions au sein de l'Union européenne ?

Mme Fabienne Keller. - Il s'agit essentiellement des pays du Nord, Suède, Finlande, Danemark, et du Royaume-Uni.

M. Éric Bocquet. - J'attends avec une certaine impatience le « paquet transport » de la Commission européenne. L'harmonisation est nécessaire mais elle implique une volonté politique et une certaine unanimité. Or, dans ce domaine comme dans d'autres, on constate une différence d'approches.

En ce qui concerne les excès des temps de conduite, j'ai en mémoire cet accident dans la Meuse en juillet dernier où un chauffeur prenant de la cocaïne, sans doute pour tenir les cadences, a causé la mort de cinq personnes.

M. André Reichardt. - Le dumping social est un sujet récurrent. Le gouvernement s'est engagé formellement l'an dernier à intensifier les contrôles dans le secteur du transport routier pour prévenir ce type de pratiques. Ont-ils réellement augmenté ?

Mme Patricia Schillinger. - J'observe dans ma région une recrudescence des contrôles.

Mme Fabienne Keller. - La question de l'effectivité des contrôles est un sujet en soi. Que contrôler ? J'ai été frappé de constater l'écart entre les règlementations sociales en ce qui concerne le temps de travail. La France y intègre le temps de pause, ce que ne font pas d'autres pays.

La question du permis mérite d'être posée, comme celle de la signalisation d'ailleurs. Les chauffeurs peuvent-ils tous comprendre les panneaux lumineux indiquant tel ou tel événement sur le trajet dans la langue du pays traversé ?

Je relève enfin que nos entreprises ont également recours à des chauffeurs étrangers.

Mme Pascale Gruny. - Les petites entreprises françaises ont disparu au cours de ces vingt dernières années du fait de la concurrence européenne. Les plus grandes disposent d'antennes en Europe de l'Est, en Roumanie notamment.

M. Éric Bocquet. - Y compris celle qui passe sous pavillon américain !

Mme Pascale Gruny. - En ce qui concerne le temps de conduite, la France fait partie des pionnières en matière de contrôle avec le chronotachygraphe électronique auquel succédera bientôt le chronotachygraphe numérique.

Je m'interroge par ailleurs sur le ferroutage ? Je pense que la France est dans ce domaine fragilisée par les grèves à répétition dans le secteur ferroviaire. Le transport routier apparaît plus flexible...

Mme Patricia Schillinger. - Il existe tout de même des interdictions de circuler...

M. Jean-Paul Emorine. - Elles ne visent le dimanche que les transporteurs français, les opérations de transit sont ainsi autorisées...

Mme Pascale Gruny. - Les produits frigorifiés peuvent être transportés le dimanche. Certains transporteurs utilisent d'ailleurs ces jours-là des camions frigorifiques pour transporter d'autres marchandises.

Mme Fabienne Keller. - Je tiens à saluer les travaux d'Éric Bocquet sur cette question du dumping social. J'ai été frappé de constater que des chauffeurs sud-américains étaient recrutés par des transporteurs espagnols à des conditions salariales défiant toute concurrence. La flotte espagnole est ainsi une des moins chères au sein de l'Union européenne.

En ce qui concerne le ferroutage, force est de constater que le camion apparaît plus facile à utiliser qu'un transport par rail, par essence rigide, hyper réglementé et fragilisé par un manque criant d'investissements.

M. Éric Bocquet. - La Suisse utilise-t-elle toujours cette solution ?

Mme Fabienne Keller. - Cette solution n'a pas été abandonnée. Elle est liée à la géographie du pays et fait l'objet d'un consensus national.

Travail - Initiative pour l'emploi des jeunes : communication de Mmes Pascale Gruny et Patricia Schillinger

M. Jean-Paul Emorine. - Notre ordre du jour appelle une communication de nos collègues Pascale Gruny et Patricia Schillinger sur l'Initiative pour l'emploi des jeunes.

Nous savons tous à quel point le chômage reste un sujet majeur de préoccupation en Europe en dépit des signes encore timides de reprise que l'on peut observer.

Le chômage des jeunes demeure en particulier très élevé. Il atteint même des niveaux tout à fait insupportables dans beaucoup d'États membres.

Les réponses sont d'abord à rechercher dans le rétablissement de la compétitivité de nos entreprises, singulièrement des PME, et dans la formation initiale et continue qui permet une adéquation entre l'offre et la demande. Au printemps 2013, l'Union européenne a lancé ce qu'elle a dénommé la Garantie pour la jeunesse suivi d'un fonds dédié, l'Initiative pour l'emploi des jeunes.

Il est donc intéressant de savoir ce qu'il est advenu de cette initiative et plus généralement de faire un point sur ce sujet crucial de l'emploi des jeunes.

Je donne la parole à nos rapporteurs.

Mme Pascale Gruny. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous avons été chargées avec Patricia Schillinger de préparer un rapport sur la convergence sociale en Europe. Nous avons souhaité commencer nos travaux en abordant la question du chômage des jeunes. Cette question nous apparaissait importante car elle a fait l'objet d'une action spécifique de l'Union européenne en juin 2013, sur laquelle nous allons revenir pour tracer un premier bilan. Elle nous rappelle en outre, que la première manifestation de la convergence sociale en Europe tient, paradoxalement, à cette absence d'emploi pour les plus jeunes dans la plupart des États membres de l'Union européenne. Le taux de chômage des moins de 25 ans s'établit à 21,4 % au sein de l'Union européenne, soit plus de 5 millions de personnes. En intégrant les jeunes qui ne sont pas inscrits auprès des régimes d'assurance chômage, le nombre des jeunes sans emploi ou sans formation, on atteint 7,5 millions de personnes.

Mais revenons tout d'abord sur la garantie pour la jeunesse, lancée par l'Union européenne au printemps 2013. Aux termes de celle-ci, les États membres doivent veiller à ce que tous les jeunes sans emploi ou sans formation de moins de 25 ans - les NEETs  - puissent, dans les quatre mois suivant leur sortie du système scolaire ou du marché du travail, bénéficier d'une offre de qualité, qu'il s'agisse d'un emploi, d'un stage, d'une formation ou d'un apprentissage. Afin de concrétiser cette ambition, l'Union européenne a mis en place un fonds dédié, l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ), doté de 3,2 milliards d'euros sur la période 2014-2020. Le Fonds social européen (FSE) a, dans le même temps, dégagé une enveloppe d'un montant équivalent. À la différence du volet FSE, les financements au titre de l'IEJ ne requièrent pas de cofinancement. Au total, ce sont donc 6,4 milliards d'euros qui sont dévolus à l'emploi des jeunes en Europe. Afin de créer un effet levier, le Conseil européen du 28 juin 2013 a décidé de concentrer la majorité des financements sur les années 2014 et 2015.

Ces crédits sont destinés au financement des mécanismes de garantie pour la jeunesse mis en place par les États membres. Les aides européennes sont cependant concentrées sur les régions enregistrant un taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans supérieur à 25 %. Au total, ce sont 20 États sur 28 qui peuvent bénéficier d'un financement au titre de l'IEJ. L'enveloppe accordée à la France s'élève à 620,2 millions d'euros dont 431 gérés directement par l'État.

Les États membres devaient, pour pouvoir bénéficier de ces crédits rapidement, présenter des programmes opérationnels. La France a été le premier État à transmettre le sien. Au 4 février 2015, 85 % des ressources totales de l'IEJ étaient déjà fléchés vers des projets concrets. En France, on citera l'accompagnement des jeunes décrochés via l'Agence pour le service civique ou la garantie jeune lancée par le gouvernement en 2014, la formation dans le cadre des emplois d'avenir ou l'accompagnement des jeunes diplômés. 110 000 jeunes devraient bénéficier indirectement de ces financements européens.

Reste que l'ambition du projet européen se heurte, comme toujours, à la réalité administrative du dispositif. La logique retenue par la Commission européenne pour l'octroi des financements est celle des fonds structurels, plus particulièrement celle du Fonds social européen. La procédure de sélection apparaît relativement lente et répond à un certain nombre d'exigences qui peuvent paraître contradictoires avec l'objectif poursuivi. Le dispositif ne peut financer le renforcement des structures de suivi mais doit viser directement des jeunes, qui sont le plus souvent en situation de décrochage, donc difficiles à repérer si on ne dispose pas de structures renforcées... Comment, par ailleurs, demander un suivi précis quasi quotidien de jeunes en situation de rupture sociale ? On peut aussi parler de la formation dans le cadre des emplois d'avenir que la France espère faire financer. La Commission européenne estime que les jeunes concernés disposent d'un emploi et ne peuvent être donc concernés par l'IEJ...

Le taux de préfinancement des projets initialement retenu était, par ailleurs, de 1 %. Ce qui suppose que les États membres avancent l'essentiel des fonds pour lancer le projet de soutien à l'emploi des jeunes. Les États sont ensuite remboursés, sur factures, une fois le programme national mis en place. Cette participation apparaît clairement insuffisante. La Commission européenne a présenté le 4 février une proposition de règlement visant à faire passer le taux de préfinancement de 1 à 30 %. Ce texte va dans le bon sens. Mais nous ne saurions en attendre trop. Il ne concerne en effet que l'enveloppe IEJ. Or, comme je vous l'ai indiqué, tout projet est financé à parts égales par l'enveloppe IEJ d'un côté et l'enveloppe FSE de l'autre. Le taux de préfinancement reste donc de 1 % pour les crédits FSE. Ce qui fait que le taux de préfinancement global atteint en fait 15 %. Les financements déjà effectués sont déduits. Ce taux devrait pouvoir être mis en oeuvre dès le 26 mai, date à laquelle le texte serait définitivement adopté.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que seuls 34 millions d'euros sur les 6,4 milliards attribués aient été décaissés fin 2014. L'Espagne, qui présente le taux de chômage des jeunes le plus important au sein de l'Union européenne (54 %), ne peut ainsi disposer immédiatement que de 9,4 millions d'euros sur les 943,5 millions qui lui ont été attribués initialement.

L'objectif initial de décaisser 6,4 milliards d'euros entre 2014 et 2015 apparaît ainsi illusoire. Ces retards fragilisent par ailleurs toute demande d'augmentation de la taille du programme. Je rappelle que l'Organisation internationale du Travail (OIT) estimait en 2010 à 21 milliards d'euros le coût d'installation de ce dispositif au sein de la seule zone euro. La Cour des comptes européennes a, de son côté, rendu le 24 mars dernier un avis critique sur le fonctionnement du dispositif insistant notamment sur l'absence de précision entourant les ambitions du programme avec notamment cette question simple : qu'est-ce qu'une offre de qualité ?

Pour conclure, si nous tenons à saluer l'ambition initiale, nous constatons que ce dispositif ne peut constituer aujourd'hui un instrument contra-cyclique, réactif et adapté aux exigences qu'implique le suivi de cette population particulière que sont les jeunes décrochés. Il ne répond pas, par ailleurs, à la question de la mobilité des jeunes que va aborder Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. - Nous avons été frappés de constater avec Pascale Gruny que l'Union européenne ne proposait finalement que de financer des réponses nationales au problème du chômage des jeunes, via l'Initiative pour l'Emploi des jeunes. Il existe clairement un manque d'ambition européenne en faveur d'un renforcement de la mobilité des jeunes sans emploi au sein de l'Union européenne. Alors même que certains pays, je pense à l'Allemagne, sont confrontés à des défis démographiques importants. Un chiffre l'illustre : d'ici à 2030, 3 millions de postes seront vacants Outre-Rhin. Si le programme Erasmus a permis une vraie mobilité des étudiants européens, force est de constater que celle-ci n'a pas débouché sur une véritable mobilité des jeunes demandeurs d'emploi. Et cela en dépit de la mise en place dès 1997 d'un réseau européen de l'emploi, le réseau Eures, qui a été réformé début 2014.

Pour l'heure, nous assistons plus à une forme de saupoudrage de crédits européens qu'à la mise en place d'un dispositif cohérent, à l'image de l'initiative sur les perspectives d'emploi des jeunes, adoptée par la Commission européenne en décembre 2011. Celle-ci multiplie les financements limités en direction de l'apprentissage, de l'aide aux jeunes entrepreneurs ou du service volontaire européen. Toutes ces mesures répondaient à une ambition : voir au moins 6 % des 18-34 ans diplômés de l'enseignement ou issus de la formation professionnelle initiale effectuer une période de formation d'une durée au moins égale à deux semaines au sein d'un autre État membre. Cet objectif ambitieux ne semble pas atteint. En France, moins de 1 % des jeunes apprentis et des jeunes en formation professionnelle initiale connaissent une mobilité transfrontalière.

Une telle mobilité transfrontalière implique notamment une harmonisation des parcours de formation professionnelle. Ce qui semble, à l'heure actuelle, une ambition trop haute pour l'Union européenne. Je prendrai, à ce titre, deux exemples : les stages et l'apprentissage.

La Commission européenne a présenté en décembre 2013 une « Charte de qualité pour les stages ». Celle-ci a débouché sur l'adoption par le Conseil d'une recommandation relative à un cadre de qualité pour les stages le 10 mars 2014. Il convient de rappeler que ni la Charte ni la recommandation n'ont de valeur contraignante pour les États membres.

La recommandation incite les États membres à veiller à ce que les législations ou pratiques nationales respectent plusieurs principes : conclusion d'une convention de stage, reconnaissance du stage et participation des partenaires sociaux. Les stages transnationaux sont encouragés, via l'utilisation des fonds européens. La convention de stage doit préciser tout particulièrement les droits et les obligations des parties et déterminer l'étendue de la couverture sociale. La durée du stage ne peut excéder six mois. La question de la rémunération minimale n'est, par contre, pas abordée.

La question de la rémunération est pourtant cruciale, tant les situations divergent d'un État membre à l'autre. Une enquête Eurobaromètre, publiée en 2013, soulignait que 59 % des stagiaires interrogés ne sont pas rémunérés pour le travail qu'ils produisent. Plus de la moitié de ceux qui sont rémunérés affirment que leur salaire ne suffit pas pour couvrir leurs frais de subsistance. Quelque 40 % des stagiaires travaillent également sans avoir signé de contrat écrit leur garantissant des droits sociaux.

La recommandation ne vise, par ailleurs, que les stages effectués au sortir des études et dans le contexte d'une recherche d'emploi, soit ce que la Commission européenne qualifie de « marché libre ». Ce type de stage n'est pas autorisé en France.

En ce qui concerne l'apprentissage, la Commission européenne a lancé le 2 juillet 2013 à Leipzig une Alliance européenne pour l'apprentissage. L'ambition affichée est d'améliorer l'offre et la qualité des apprentissages disponibles. Elle réunit représentants des pouvoirs publics, des entreprises, des partenaires sociaux et des jeunes. Le Conseil des ministres a appuyé cette démarche le 15 octobre 2013, en soulignant que l'apprentissage de qualité constituait un moyen de favoriser une transition entre l'école et milieu professionnel tout en participant à l'amélioration de l'adéquation entre la formation et les besoins du marché du travail. Reste que cette démarche semble se résumer pour l'instant à un forum d'échanges de bonnes pratiques. Elle n'a pas abouti à l'élaboration de cursus communs de formation en alternance et converger vers un véritable statut européen de l'apprenti.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la coopération dans le domaine de la formation en alternance soit le fait d'initiatives bilatérales. On peut notamment citer les accords entre l'Allemagne et l'Espagne, l'Italie et le Portugal. Suite à cet accord, le nombre des apprentis a doublé en Espagne et celui des entreprises recrutant des apprentis a triplé. Plus largement, et compte-tenu de son succès en Allemagne et en Autriche qui disposent des meilleurs taux d'emploi des jeunes au sein de l'Union européenne, il est possible de s'interroger sur la transposition à l'échelle européenne du modèle dual. La spécificité du tissu économique allemand ou du système de négociations sociales, clés du succès de ce système, rend illusoire une adaptation à l'identique dans l'ensemble des pays membres et notamment en France. Il pourrait être opportun de lancer une vaste réflexion sur la convergence des modèles éducatifs en Europe via l'Alliance européenne pour l'apprentissage, à l'image de ce qui a pu être fait dans le domaine universitaire via le processus de Bologne. D'autant que des crédits sont déjà prêts pour appuyer une telle ambition. 17 % du budget d'Erasmus +, qui s'élève à 14,5 milliards d'euros, est aujourd'hui dédié à la formation en alternance.

Comme l'a indiqué Pascale Gruny en préambule, ces réflexions seront intégrées et étayées dans notre rapport sur la convergence sociale au sein de l'Union européenne. Nous allons désormais travailler sur un des aspects pervers de l'absence de convergence sociale avec la question du tourisme social, au travers notamment de la position de la Cour de justice de l'Union européenne.

M. Jean-Paul Emorine. - Vous venez d'aborder un sujet qui nous préoccupe tous. On parle souvent du modèle allemand, qui obtient des résultats. Il convient de l'analyser et d'en mesurer les qualités mais aussi les limites quant à son éventuelle transposition à d'autres États. Nous devons arriver à un modèle européen en la matière. Je crains qu'il ne faille néanmoins du temps pour y parvenir.

M. Éric Bocquet. - Il s'agit en effet d'un chantier gigantesque. Les politiques européennes dans ce domaine me semblent encore à l'état embryonnaire.

Mme Fabienne Keller. - L'absence de réponse politique au problème de l'emploi des jeunes comme à celui de la grande pauvreté est inadmissible. Le coeur du projet européen n'est-il pas justement d'offrir un avenir aux jeunes ? L'absence de rémunération ou leur faible niveau est, à ce titre, lamentable.

Je suis frappé de constater, là encore, le décalage entre l'intention poursuivie et sa traduction administrative. 1 % des crédits sont aujourd'hui disponibles !

Je retiens cette proposition d'un processus de Bologne pour l'apprentissage, c'est une belle idée politique. Rappelons que ce processus s'est un peu imposé à nous. Nous avons tenté en Alsace d'harmoniser les cursus avec nos voisins. Nous n'avons rencontré que des obstacles...

Mme Patricia Schillinger. - Le code du travail peut en être un !

Mme Fabienne Keller. - C'est plus évident en ce qui concerne l'enseignement supérieur. J'ajouterai un mot sur les langues : l'apprentissage de celles-ci favorise la mobilité qui, elle-même, renforce leur maîtrise...

M. Jean-Paul Emorine. - Ce qui pose la question de la pertinence de la réforme du collège poursuivie par le gouvernement et la suppression des classes franco-allemandes notamment...

Mme Fabienne Keller. - Cette réforme est effectivement dommageable. Une autre idée, déjà mise en pratique dans certains pays, mériterait d'être généralisée avec l'appui financier de l'Union européenne, il s'agit de l'année de césure. Celle-ci doit permettre aux jeunes d'approfondir un choix personnel avant d'entrer dans la vie active. Le service civique européen peut constituer un cadre pour cette année de césure. Je souhaite rappeler que l'on ne peut résumer la mobilité des jeunes européens au seul Erasmus qui ne concerne qu'entre 5 et 10 % d'une classe d'âge.

En ce qui concerne le taux de chômage des jeunes dans les pays européens, il convient à mon sens de pondérer les données par des éléments intégrant la dynamique démographique et l'immigration.

M. Jean-Paul Emorine. - Une réforme en faveur de l'apprentissage peut aussi passer par des incitations financières. Je soutiens à cet égard la démarche du gouvernement pour alléger les charges des entreprises qui recrutent des apprentis.

Mme Patricia Schillinger. - L'entrée dans la vie active peut également passer par des stages non rémunérés.

Plus largement, il s'agit de mieux parler d'Europe dans le cursus scolaire. J'ai constaté que le thème de la mondialisation avait remplacé celui de la construction européenne dans les programmes de classe de quatrième. Comment voulez-vous inciter les jeunes à projeter leur avenir ailleurs en Europe ?

Je reviens un instant sur le droit du travail. La région où je vis est frontalière avec l'Allemagne et la Suisse. Nous avons aussi tenté de rapprocher les cursus d'apprentissage. Cela s'est avéré impossible en l'absence d'harmonisation sociale. Il faut pourtant décliner la formule de ces échanges de jeunes qui ont plutôt réussi dans le cadre d'études supérieures.

J'insiste une dernière fois sur le formidable défi démographique qui attend l'Allemagne et l'appel d'air qu'il va constituer pour l'emploi, notamment des plus jeunes. Il y a bien un avenir pour l'emploi des jeunes.

Mme Pascale Gruny. - L'initiative pour l'emploi des jeunes, c'est assurément une belle idée. Mais la dynamique politique est freinée par la complexité des structures administratives européennes mais aussi françaises. Des jeunes décrochés qui viennent d'accéder à un emploi d'avenir ne sont ainsi plus éligibles aux fonds européens. La Commission européenne demande par ailleurs un reporting précis concernant la présence de jeunes dans le programme de suivi mis en place par l'Agence du service civique, alors que par essence un jeune décroché va mettre un peu de temps avant de retrouver un rythme compatible avec de telles exigences. Hors, faute de présence, les programmes ne seront plus financés. C'est aberrant !

Taux de chômage des jeunes
dans l'Union européenne en mars 2015

Allemagne

6,9 %

Italie

45,8 %

Autriche

11,6 %

Lettonie

17,8 %

Belgique

22 %

Lituanie

18 %

Bulgarie

25,3 %

Luxembourg

21,9 %

Chypre

35,1 %

Malte

8,8 %

Croatie

49,5 %

Pays-Bas

11,6 %

Danemark

10,6 %

Pologne

21,2 %

Espagne

51,8 %

Portugal

34,2 %

Estonie

13,8 %

Roumanie

24,1 %

Finlande

27,7 %

Royaume-Uni

15,3 %

France

24,4 %

Slovaquie

24,3 %

Grèce

50,1 %

Slovénie

20,2 %

Hongrie

19,4 %

Suède

23,9 %

Irlande

21 %

République tchèque

13,9 %

Zone euro

23,3 %

UE 28

21,2 %

Nomination de rapporteur

M. Jean-Paul Emorine. - Nos collègues Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce ont déposé le 4 mai une proposition de résolution européenne « pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse ».

Cette proposition traduit les orientations dégagées par la mission commune d'information qu'ils ont animée et qui a rendu ses conclusions en juillet 2014.

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, notre commission doit se prononcer dans un délai d'un mois.

Je vous propose de désigner notre collègue André Gattolin comme rapporteur de cette proposition.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est levée à 10 heures 35.