Mercredi 1er juillet 2015

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 16 h 32.

Institutions européennes - Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin

M. Jean Bizet, président. - Nous sommes heureux de vous entendre aujourd'hui sur les conclusions du Conseil européen des 25 et 26 juin, particulièrement important au regard des sujets qui ont été abordés, en particulier la Grèce. Vous avez sans doute quelques informations à nous apporter, chaque heure amenant de nouvelles propositions de M. Tsipras.

La situation de la Grèce demeure extrêmement préoccupante. Après des mois de discussions infructueuses, le scénario d'une sortie de la Grèce de la zone euro n'est malheureusement plus à exclure. Simon Sutour nous a présenté la semaine passée son rapport à l'issue d'un déplacement qu'il a effectué sur place. J'en ai personnellement tiré la conclusion que ce n'est pas l'esprit de responsabilité qui prévalait au sein du gouvernement grec. Peut-on encore escompter une issue favorable ? Quelle est votre analyse ?

Nous avons eu un long débat à la suite de la présentation du rapport de Simon Sutour. Lui-même, en tant qu'ancien président du groupe d'amitié France-Grèce, ne reconnaît plus le pays pour lequel il éprouve de l'attrait, qui apparaît aujourd'hui assez désorienté.

Au même moment, les quatre présidents viennent de présenter leur rapport sur l'amélioration de la gouvernance économique de la zone euro. On voit aujourd'hui clairement qu'il n'est pas possible de faire fonctionner une zone monétaire unique sans faire converger les politiques économiques par une coordination très étroite.

C'était autrefois l'orientation de Jacques Delors. On avait alors considéré les uns et les autres, sans doute avec quelque légèreté, que les économies allaient naturellement converger : il n'en a pas été ainsi !

Cela pose aussi la question des choix démocratiques et de la façon dont ils sont opérés. Les parlements nationaux doivent avoir toute leur place dans ce processus, d'autant qu'on connaît aujourd'hui le poids du traité de Lisbonne en la matière.

Le Conseil européen a souhaité une mise en oeuvre rapide du Fonds européen pour les investissements stratégiques, le FEIS. C'est l'occasion pour nous de réaffirmer le rôle que les territoires doivent jouer dans le déploiement du plan d'investissement pour l'Europe. Jean-Paul Emorine et Didier Marie ont beaucoup travaillé sur cette question.

J'ai, au titre de ma famille politique, passé toute la journée de lundi à converser sur le sujet avec quelques commissaires, dont le commissaire Katainen. Il est prêt à venir nous rencontrer, de façon à nous expliquer par le menu la mise en oeuvre du FEIS sur nos territoires respectifs. J'ajoute que nous avons eu un déjeuner de travail instructif à la Caisse des dépôts et consignations, structure qui participe à la mise en oeuvre de ce fonds.

Si, dans un premier temps, on a considéré les choses comme quelque peu nébuleuses, on rentre dans le détail grâce au travail de nos collègues rapporteurs. On aborde là une nouvelle approche du développement de l'investissement, qui ne sera plus assis sur des fonds « publics », dont on connaît l'état, mais sur des fonds privés avec des garanties publiques. Il existe beaucoup d'argent privé, mais celui-ci demeure « caché ». Il ne sort pas des bas de laine de nos concitoyens ou de nos organismes bancaires !

Le plan Juncker doit donc être mis en oeuvre en coordination avec les fonds structurels, sur lesquels s'investit un groupe de travail de notre commission. Je pense que nous serons en mesure, au début de l'automne, de proposer à l'ensemble de nos collègues sénateurs un guide pratique destiné aux élus locaux, afin qu'ils utilisent le FEIS de la meilleure façon possible, en corrélation avec les fonds structurels.

Nous sommes aussi très attentifs à la mise en oeuvre de la stratégie numérique. Colette Mélot et André Gattolin suivent ce dossier pour notre commission. Sur le rapport d'André Gattolin, nous avons adopté une proposition de résolution européenne présentée par Catherine Morin-Desailly et Gaëtan Gorce. La régulation des plateformes est l'un des enjeux. L'Union européenne nous semble bien timorée sur cette question. Quelle est votre appréciation ?

Hier, lors d'une réunion d'information et de réflexion que le Président de la République a consacrée au terrorisme et aux problématiques liées à la Grèce, nous avons bien vu qu'Internet était encore une fois au coeur de la réflexion. Bernard Cazeneuve nous l'a bien spécifié. La réappropriation de la véritable gouvernance européenne de l'Internet recommandée par le rapport de Catherine Morin-Desailly et de Gaëtan Gorce est nécessaire, au-delà de l'aspect purement économique, et touche également la lutte contre le terrorisme.

Il serait bon que nos deux collègues interpellent davantage le ministre sur ce sujet.

Le défi des migrations devient chaque jour plus sérieux. André Reichardt et Jean-Yves Leconte nous ont présenté l'agenda de la Commission européenne pour les migrations. Dans ce domaine, nous devons concilier la responsabilité et la solidarité. Le mécanisme de relocalisation et de réinstallation proposé par la Commission a suscité des controverses. La volonté du Conseil européen de mieux endiguer les flux croissants de migrations irrégulières en renforçant la gestion des frontières et en intensifiant la coopération avec les pays tiers doit être approuvée.

Il faut lutter contre les trafiquants qui mettent gravement en danger des vies humaines et coopérer plus efficacement avec nos partenaires africains pour favoriser les réadmissions, tout en s'attaquant aux causes profondes de l'émigration par le soutien au développement. Quelles sont les conclusions du Conseil européen ?

J'aimerais également que vous nous entreteniez de la séparation des activités bancaires suite à l'accord « letton », sujet que Richard Yung connaît bien, sur lequel cette commission s'est penchée depuis un certain temps déjà. On ne peut accepter la proposition de nos amis anglais, à la suite du rapport Vickers. Cela fragilise en effet l'ensemble de la filière bancaire française, après les efforts que nous avons faits.

Nous avons adopté un avis motivé en avril 2014. Nous sommes prêts à travailler à nouveau avec la commission des finances et à déposer le cas échéant une résolution européenne à ce sujet. La proposition anglaise de transformer les banques de la City en banques d'affaires, au détriment de nos banques nationales n'est pas acceptable. L'évolution du marché libre des capitaux fait que l'Europe s'oriente de plus en plus vers cette solution, à l'image des pays anglo-saxons et des États-Unis, où l'industrie fait de plus en plus appel au marché, et de moins en moins aux banques de détail. Ceci revient à apporter sur un plateau à nos amis de la City tout un pan du financement de l'économie !

Dans une de ses notes, la directrice générale de la Fédération bancaire française, Marie-Anne Barbat-Layani, apparaît en effet très sévère pour le compromis letton, dont nos amis anglais tirent tout le bénéfice. Ce n'est pas tolérable ! Richard Yung vous interrogera très certainement à ce sujet.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez la parole.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. - L'ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin a été extrêmement chargé - politique de sécurité et de défense, rapport sur l'avenir de l'UEM, adoption du règlement sur le FEIS, stratégie numérique - certains points étant dictés par l'actualité, comme l'immigration et la Grèce. Ce sont ces deux sujets qui ont le plus mobilisé la réunion des chefs d'État et de gouvernement.

La situation de la Grèce évolue d'heure en heure. L'Eurogroupe doit se réunir en fin de journée sous forme d'une conférence téléphonique. C'est Michel Sapin qui représentera la France.

Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, s'exprime en ce moment même en Grèce ; nous aurons donc des informations durant le cours de cette réunion de commission.

À l'occasion du rapport sur l'UEM, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a rendu compte des travaux de ce dernier et de la préparation de la réunion convoquée pour le samedi. De nombreuses rencontres ont eu lieu en marge du Conseil européen, en particulier le vendredi matin, entre le Président de la République, la Chancelière allemande et le Premier ministre Alexis Tsipras.

Dans la soirée qui a suivi la fin du Conseil européen, le vendredi, le Premier ministre grec a annoncé qu'il mettait fin aux négociations et qu'il convoquait un référendum. Nous avons regretté cette rupture unilatérale des négociations ; nous avons estimé qu'il fallait que la discussion se poursuive et que les négociations reprennent, d'autant qu'une réunion de l'Eurogroupe devait avoir lieu pour permettre d'aboutir à un accord répondant aux attentes du gouvernement grec en matière d'excédent budgétaire et de fiscalité, dans le respect des engagements des créanciers institutionnels et des partenaires de la zone euro.

De toute évidence, des réformes doivent être menées en Grèce pour moderniser l'administration publique, permettre la perception de l'impôt, en particulier de la TVA, et le redémarrage de l'économie. Le président de la Commission européenne a tenu une conférence de presse lundi pour rendre public le détail des propositions et leur globalité, avec un « paquet » de mesures de soutien aux investissements de 35 milliards d'euros d'ici à 2020. Nous pensons que la réponse à la crise grecque ne tient pas simplement à une meilleure administration, même si elle est indispensable, ni à un meilleur équilibre budgétaire, qui est bien entendu nécessaire, mais réside également dans le soutien à la croissance et l'aide à la reprise de l'activité économique.

Le PIB a décru de 25 %, accroissant la dette en proportion ; beaucoup de secteurs importants, comme le tourisme, n'ont pas redémarré ainsi qu'on pouvait l'espérer.

La discussion aurait pu porter sur le poids et la soutenabilité de la dette, ce qui constitue une demande importante du gouvernement grec mais, mardi, la Grèce n'a pas été en mesure de faire face à ses échéances de remboursement. Le ministre des finances grec a annoncé que le gouvernement ne rembourserait pas le FMI. La Grèce s'est retrouvée en défaut de paiement, ce qui, dans l'immédiat, n'a pas modifié la situation.

Dès le lundi, par anticipation, le gouvernement grec a décidé de fermer les banques et d'exercer un contrôle des capitaux.

Le Président de la République française, le Premier ministre et le ministre des finances ont indiqué que la France était disponible pour recommencer les discussions. Jean-Claude Juncker, dès le lundi soir, a contacté le Premier ministre grec pour lui proposer de reprendre les discussions, sur la base des propositions qu'il avait rendu publiques le jour même, qui étaient initialement destinées à la réunion de l'Eurogroupe du samedi.

Une réunion de l'Eurogroupe a eu lieu hier sous forme téléphonique ; une autre devrait normalement se tenir à nouveau en fin de journée. On m'informe à l'instant que, dans sa déclaration publique, le Premier ministre grec aurait refusé une nouvelle négociation. Il faudra prendre connaissance de la totalité de ces déclarations, mais nous pensons qu'il aurait été préférable de conclure la négociation.

Nous respectons le choix du gouvernement et du Parlement grecs de convoquer un référendum. C'est une décision souveraine, qui relève de la vie démocratique d'un État membre. Nous n'avons pas à interférer, mais il faut que l'expression des citoyens se fasse de façon éclairée, et qu'ils aient conscience du fait que c'est la suite de la participation de la Grèce à la zone euro qui est en jeu, - même si ce n'est pas la question formulée.

L'objectif, de notre point de vue, est de faire en sorte que les décisions politiques qui sont prises permettent à la Grèce de rester dans la zone euro. C'est le choix des citoyens grecs : ils ont, lors des différents scrutins, ces dernières années, toujours exprimé leur volonté de rester dans la zone euro, même s'ils ont fait dernièrement le choix d'un changement politique, aspiration que l'Europe doit prendre en compte.

Si la Grèce choisit de rester dans la zone euro, un accord avec les autres partenaires doit être recherché. Nous pensons que si les Grecs, au terme du référendum, refusaient de poursuivre cette négociation, ou la rendait plus compliquée, le pays risquerait de sortir de la zone euro. Cela aurait des conséquences extrêmement négatives pour l'économie grecque et pour les citoyens.

La zone euro elle-même a adopté ces dernières années des mécanismes et des outils qui la protègent d'un risque de propagation de la crise financière grecque aux autres pays de la zone euro. Même s'il y a eu des mouvements sur les marchés, qui n'aiment pourtant pas l'incertitude, il n'y a pas eu d'extension de la crise grecque aux autres pays de la zone euro.

Plusieurs outils existent, sur lesquels vous avez-vous-mêmes eu à prendre des décisions importantes en la matière. Il y a aujourd'hui moins d'exposition des banques ; l'essentiel de la dette est certes détenue par des institutions publiques, mais l'Union bancaire offre des protections dans ce domaine. Des mécanismes de politique monétaire permettent à la Banque centrale d'intervenir en cas de spéculation sur les titres souverains, comme l'OMT, ou le quantitative easing. Il existe également des dispositifs comme le Mécanisme européen de stabilité, qui sécurise l'économie de la zone euro.

En France même, il n'y a pas eu d'effet négatif sur les taux d'intérêt, qui sont restés très bas depuis le début de la semaine, comme dans tous les pays du coeur de la zone euro. Les choses ont été différentes pour d'autre pays, même si les mouvements n'ont pas été très importants. Pour la France, c'est le signe de la robustesse de notre économie et de la confiance dans le sérieux budgétaire des réformes qui sont menées.

Le problème est plus politique : la sortie de la Grèce de la zone euro constituerait un élément de manquement à l'unité européenne, dans un moment où tant de sujets, comme l'immigration, la sécurité, la Méditerranée exigent au contraire plus de cohésion. C'est pourquoi nous sommes pour le maintien de la Grèce dans la zone euro. C'est notre objectif, et nous y travaillons. La France fait donc tout ce qui peut être fait pour aider la Grèce à passer un accord avec ses partenaires. Cela dépendra du résultat du référendum qui a lieu dimanche.

L'un des résultats rendra les choses plus faciles ; l'autre rendra les choses plus difficiles, mais nous continuerons à travailler, quel que soit ce résultat, avec les autres pays de la zone euro pour trouver un accord avec la Grèce, qui est toujours membre de la zone euro. Il faut prendre garde aux expressions : même s'il existe des risques, la Grèce est membre de cette communauté et partage la monnaie commune. Certains pays de la zone euro sont confrontés à une crise. Il est difficile de trouver un accord, mais nous ne pouvons accepter l'idée de renoncer à maintenir l'unité et l'intégrité de la zone euro.

S'agissant des migrations, celles-ci ont été l'objet d'un débat très difficile, faisant suite à celui qui a eu lieu entre les pays « en première ligne », pour reprendre les conclusions du Conseil européen, singulièrement l'Italie, mais aussi la Grèce, et un certain nombre de pays à la frontière des Balkans - Hongrie, pays du groupe de Viegrad, pays baltes - qui ne veulent pas que chaque pays de l'Union européenne soit tenu d'accueillir une partie des réfugiés. Or, les pays du sud, qui sont d'accord pour procéder à l'enregistrement et à agir conformément aux règlements Eurodac et aux règles de Dublin, demandent que les pays d'accueil ne se limitent pas, en Europe, à la France, l'Allemagne, la Suède, la Grande-Bretagne et l'Italie.

La proposition de la Commission n'a pas recueilli l'assentiment, même si le mot de « quota » n'a pas été prononcé. Nous avons veillé que le Conseil européen arrête une position qui puisse rassembler le plus largement possible les États membres, à charge pour le Conseil « justice et affaires intérieures » (JAI), qui doit se réunir ces prochains jours, de définir la répartition des réfugiés.

Selon nous, seule une politique globale permet de répondre à cette crise migratoire. Pour ce faire, il faut :

- lutter contre les filières. L'opération « EU Navfor Med », même si elle dépend d'un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, doit pouvoir être mise en oeuvre, en complément des actions de l'agence Frontex de secours en mer destinées à démanteler des filières et lutter contre les réseaux de passeurs ;

- soutenir les pays d'origine et de transit, en particulier des pays comme le Niger, vers lesquels convergent beaucoup de trafics d'êtres humains, pour les aider à démanteler des filières et éviter que ne remonte vers la Libye, puis vers les côtes méditerranéennes, des migrants exploités par les passeurs ;

- participer aux opérations de retour pour les migrants ne relevant pas de l'asile au titre de la Convention de Genève et de la protection internationale, dans le cadre d'accords de réadmission qui doivent être complétés et négociés avec les pays d'origine et de transit ;

- procéder à l'accueil solidaire de 40 000 réfugiés dans les deux années à venir, afin que l'Italie et la Grèce ne soient pas les seuls pays à devoir les accueillir, et de 20 000 dans des camps aujourd'hui gérés par le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR).

C'est ce qui a été conclu, mais ce débat a sans doute été le plus difficile au sein du Conseil européen, et ce depuis très longtemps. C'est un sujet qui doit nous préoccuper. L'immigration est un sujet très difficile pour chaque État membre, mais il ne peut y avoir qu'une réponse commune de l'Europe - et votre assemblée a eu l'occasion de s'exprimer à de nombreuses reprises : le débat que nous avons eu en préparation au Conseil européen reflétait cette tonalité.

La politique commune d'immigration de l'Union européenne doit être en mesure de traiter l'ensemble des aspects : contrôle des frontières, accueil des réfugiés et secours aux personnes en danger, mais aussi lutte contre les filières clandestines, mise en oeuvre du retour et de la réadmission, coopération avec les pays tiers et les pays d'origine.

Une part de la réponse se trouve aussi en Afrique. Il y aura d'ailleurs un sommet, à La Valette, entre l'Union européenne et les pays d'Afrique. L'Afrique représente un potentiel économique très important. Des besoins d'équipements se font jour. Il n'y a pas de raison de laisser ce terrain aux Chinois ou aux Indiens ! On doit aider les États à se structurer, favoriser la coopération entre les États sur une base régionale et lutter contre l'instabilité et les trafics. C'est là un champ de coopération extrêmement vaste. Vingt-huit politiques nationales superposées en matière de migration, de coopération et de lutte contre les trafics en Méditerranée n'apporteront pas seules une réponse efficace.

Sur le plan économique, les échanges ont porté pour l'essentiel sur la mise en oeuvre du plan Juncker. L'agenda numérique, même si nous avons insisté pour que l'on rappelle dans les conclusions l'importance de protéger le droit d'auteur, est un sujet plus large : la communication de la Commission du 6 mai inclut la régulation des plates-formes, la fiscalité, mais aussi le soutien aux investissements dans le domaine numérique.

Sur le plan de la sécurité et de la défense, ont été réaffirmés :

- la stratégie européenne de sécurité, dont les travaux vont se poursuivre sur la base de la proposition de la Commission ;

- l'élaboration d'une nouvelle stratégie de politique étrangère et de sécurité que la Haute représentante devrait soumettre d'ici juin 2016 ;

- suite au Conseil européen de décembre 2013, le renforcement de la dimension efficacité-visibilité-impact de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et l'importance des groupements tactiques de l'Union européenne. La France va prendre son tour de commandement d'un groupement tactique avec la Belgique ;

- l'amélioration des capacités de défense sur quatre programmes, le ravitaillement en vol, les drones, les satellites et la cyberdéfense ;

- le renforcement de l'industrie européenne de défense.

Les conclusions soulignent aussi, à notre demande, l'effort de financement qui doit être plus important, afin que quelques pays ne supportent pas seuls le poids de l'effort de défense.

Enfin, le Premier ministre britannique, dont c'était la première réunion du Conseil européen depuis sa réélection, a présenté, sans que cela fasse l'objet d'un débat, ses priorités concernant les réformes de l'Union européenne que la Grande-Bretagne demande avant le référendum sur son maintien dans l'Union européenne. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a été chargé d'engager des consultations dont il rendra compte lors du Conseil européen de décembre, au cours duquel un débat devra s'engager sur le type de propositions de réformes concrètes avancées par le Royaume-Uni.

Vous connaissez notre position : ce qui peut permettre d'améliorer le fonctionnement de l'Union européenne peut être discuté, mais aussi faire l'objet de modifications législatives. Nous voulons que cela se fasse à traité constant, sans s'engager donc dans une réforme des traités, dans le respect des principes fondamentaux de l'Union européenne, notamment concernant la liberté de circulation, mais aussi les grandes politiques communes.

Je me réjouis enfin que le Conseil européen ait décidé d'attribuer le titre de citoyen d'honneur de l'Europe à Jacques Delors, ce qui constitue une distinction qui honore un grand Européen et un grand Français. Fait exceptionnel, c'est la seconde fois qu'un Français reçoit cette distinction. Jean Monnet avait été désigné par le Conseil européen comme citoyen d'honneur de l'Europe. Ce n'est que la troisième fois qu'elle est attribuée, l'autre personnalité étant Helmut Kohl, à la suite de la réunification allemande et de sa contribution aux grandes étapes de la construction européenne.

Ce Conseil européen marque aujourd'hui la situation d'une Europe qui est la fois face à des grands défis qui poussent à renforcer l'idée d'intégration et de coopération, et qui est travaillée en profondeur par des tendances à la fragmentation, par des risques, qu'il s'agisse de la Grèce, de la Grande-Bretagne, ou de la difficulté à se mettre d'accord sur les questions d'immigration.

M. Jean Bizet, président. - Merci.

Nous sommes ravis que Jacques Delors, compte tenu de son investissement depuis tant d'années, ait été élevé au rang de citoyen d'honneur de l'Europe.

Nous l'avons auditionné à plusieurs reprises. Nous avons toujours prêté beaucoup d'attention aux propos qu'il a pu tenir, qui étaient toujours frappés au coin d'une grande passion pour l'Europe, mais également d'une grande prospective.

S'agissant de la Grèce, chacun est désolé de la situation, quelles que soient les sensibilités.

Je voudrais toutefois relativiser, même si je déplore l'attitude du Premier ministre grec car, compte tenu de tous les efforts de la Commission européenne depuis bien des années, aujourd'hui, la Grèce, c'est 322 milliards d'euros d'impasse budgétaire. On se souvient tous qu'en 2012, les financiers privés ont effacé une dette de 107 milliards d'euros !

Il est très important que l'ensemble des États membres restent unis sur le sujet, principalement les dix-neuf États membres de l'Eurogroupe.

Quatre pays devront faire valider une nouvelle proposition de la Commission par leur parlement : l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et l'Autriche. Un vote positif n'est pas du tout évident dans ces États. L'Europe, ce sont des règles, des droits et des devoirs. La Grèce ne représente que 2 % du PIB de l'ensemble de l'Union européenne, même si la sortie de la Grèce de la zone euro serait dramatique pour le peuple grec. Ainsi que vous l'avez dit, monsieur le ministre, l'effet domino serait malgré tout quelque peu endigué par les différentes structures mises en place.

Il est vrai, pour reprendre les propos de Mme Lagarde, directrice du FMI, qu'on avancerait en terrain inconnu. L'article 50 du traité de fonctionnement de l'Union codifie la sortie d'un pays de l'Europe, mais rien n'a encore été écrit sur la sortie d'un État membre de la zone euro.

Cela étant, même si la main demeure tendue, il faut parfois savoir terminer une négociation, et l'Europe doit aussi adresser un message à certains États membres, qui sont rentrés en turbulence au travers de quelques formations politiques, en Espagne, en Italie, et même en France.

Il faut donc demeurer vigilant, même à l'égard de nos amis anglais, qui s'engagent aussi vers un référendum, bien que le message soit d'un tout autre niveau. L'Europe comporte des règles.

Je note avec intérêt que le président du Conseil européen, Donald Tusk, a annoncé que les propositions que la Grande-Bretagne compte faire à travers son référendum seront précisées en décembre prochain. La commission des affaires européennes du Sénat aura d'ici là avancé pour travailler avec la Chambre des Lords. Lord Boswell, président de la commission des affaires européennes, nous en a fait la proposition, afin d'étudier la réflexion de nos amis anglais notamment sur le marché unique, etc. Même si nous sommes tout à fait en phase sur certains points, nous divergeons sur d'autres.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Lorsque le Conseil européen aborde les problèmes de sécurité, on a l'impression que cela devient presque formel, malgré le travail de Michel Barnier et le nôtre. Pensez-vous qu'il existe une véritable volonté d'aborder ce problème, ou s'agit-il d'une simple formule de style ?

Deuxièmement, s'agissant des relations entre l'Europe et la Russie, que nous suivons avec Simon Sutour, qu'en est-il de l'évaluation qui devait être faite à propos des sanctions contre la Russie, qui ont été prolongées en attendant que les accords de Minsk soient satisfaits ?

Les Lettons, qui présidaient l'Europe, n'ont-ils pas voulu réaliser cette évaluation, ou cela s'explique-t-il par un manque de temps ? Ceci est important, car ces sanctions ont des conséquences sur la situation économique européenne et sur notre quotidien.

M. Jean Bizet, président. - Les problèmes avec la Russie ont un impact sur nos zones rurales : la filière laitière française connaît en effet des turbulences assez fortes, toute variable d'ajustement entraînant des conséquences très importantes.

M. Richard Yung. - Je partage l'idée qu'il n'y aurait pas de pire catastrophe qu'une sortie de la Grèce de la zone euro. Cela fragiliserait non seulement la zone euro, mais également l'ensemble de la construction européenne. Celle-ci a certes un prix et les Grecs le savent, mais nous devons rester autant que possible sur cette ligne !

Bien évidemment, Alexis Tsipras ne nous aide guère ! Le dernier compromis, assorti de dix demandes, était pourtant raisonnable, avec un plan Marshall de vingt-cinq ou trente milliards d'euros et un allongement des remboursements. C'est d'ailleurs ainsi que cela se terminera, quoi qu'il arrive !

Le plus inquiétant reste la position de Mme Merkel. On a l'impression que l'axe franco-allemand est mis à mal. J'espère que ce n'est qu'une tactique. La Chancelière est soumise à une base et à un Bundestag très durs.

En second lieu, pour ce qui concerne la séparation des banques, on voit ici revenir, sous une autre forme, la proposition que M. Barnier avait essayé de faire passer en janvier 2014, à laquelle nous nous étions opposés avec énergie. Nous sommes cependant là aussi relativement seuls, les Allemands nous ayant lâchés. Nous sommes opposés à ce système, qui a pour principal résultat d'exonérer tout ce qui est anglo-saxon et surtout de favoriser les banques américaines, qui vont s'implanter davantage encore à Londres.

Quelles sont nos marges de manoeuvre ? Les choses ne me paraissent pas très évidentes.

M. Didier Marie. - La situation, s'agissant de la Grèce, est confuse et son issue incertaine. Il y a quinze jours ou trois semaines, les observateurs considéraient que la sortie de l'euro de ce pays était inenvisageable ; aujourd'hui, le risque augmente de jour en jour et même d'heure en heure !

Je partage l'avis de Richard Yung : certes, l'Europe a mis en place des mécanismes pour sécuriser l'euro et notre système bancaire, mais il n'en reste pas moins que personne n'est capable de prévoir les répercussions sur les marchés et les répercussions politiques de cette sortie. Jusqu'à présent, les mécanismes permettant à un pays de sortir de l'euro n'existent pas. Il faudrait donc savoir ce que serait un éventuel plan B si l'on devait malheureusement y arriver.

Je comprends et je soutiens la position de la France, qui est d'ailleurs favorable à une issue positive plus qu'un certain nombre de pays européens, mais on ne peut accepter qu'un pays ne respecte pas les règles, ne rembourse pas ses dettes, et refuse de mettre en place des réformes indispensables.

Le risque de contagion politique freine en outre un certain nombre de gouvernements européens, comme le gouvernement espagnol, mais Alexis Tsipras s'appuie sur la légitimité démocratique qui est la sienne et sur le bilan de ce qui a été fait précédemment. Depuis cinq ans, les mesures prises par les différents gouvernements grecs, qu'il s'agisse du PASOK ou de la Nouvelle démocratie, n'ont strictement rien réglé : la dette n'a cessé de s'amplifier, et la croissance s'est effondrée.

On a le sentiment que la France souhaite aujourd'hui une solution immédiate et y met tout son poids, mais on entend l'Allemagne affirmer que la négociation ne pourra reprendre qu'après le référendum. Quelle est notre marge de manoeuvre et celle de ceux qui souhaitent une solution immédiate, sachant que le risque est important ?

Deuxièmement, combien de temps le FMI peut-il qualifier la situation de la Grèce de « retard de paiement » et non de « défaut de paiement » ? Qu'est-ce que le défaut implique pour le FMI et les instances européennes ?

Enfin, que va faire la BCE, sachant qu'elle a arrêté de fournir des liquidités aux banques grecques, mais qu'elle met en place un nouveau dispositif appelé Emergency liquidity assistance (ELA), qui permettra à celles-ci de ne pas plonger immédiatement ? Quelle est la position de la France par rapport à celle de la BCE ? On imagine parfaitement que la BCE ne décide pas tout de façon totalement indépendante ! On peut espérer qu'elle prenne conseil auprès des différents gouvernements, en particulier des plus importants.

S'agissant de la question des migrants, il ne s'est pas passé grand-chose lors du dernier Conseil européen. Les problèmes sur la table n'ont en effet pas été réglés. La répartition des demandeurs d'asile s'est faite suivant la bonne volonté de chacun. Quelle est donc l'analyse du Gouvernement français à ce sujet ?

Par ailleurs, existe-t-il des pistes pour le financement du retour des migrants économiques ? En l'état, ce ne sont que les pays d'accueil qui peuvent organiser le retour et qui en supporteront le financement. Ce n'est pas sans conséquence sur la situation de la Grèce...

Enfin, y a-t-il eu des discussions sur les accords de Dublin et sur une certaine flexibilité de ceux-ci, en particulier concernant l'Italie ?

M. André Gattolin. - L'ordre du jour prévisionnel du dernier Conseil européen, qui était particulièrement fourni, a vu se rajouter le sujet de la Grèce et celui du référendum.

Deux points sont passés à la trappe, les relations entre l'Union européenne, la Russie et l'Ukraine - alors qu'il s'agit de questions importantes - et le traité de libre-échange transatlantique.

La semaine dernière, le président Obama, grâce à un changement d'alliance, est parvenu à faire adopter le fast-track, qui lui permet d'accélérer les négociations et de soumettre les accords au Congrès, sans que celui-ci puisse user de son droit d'amendement. Ce souhait de faire vite a maintes fois été rappelé par la Commission européenne et Mme Malmström. C'est là un sujet particulièrement délicat...

À cela s'ajoute le fait que Matthias Fekl, ministre français du commerce extérieur, a fait une contre-proposition au système d'arbitrage entre investisseurs et États, à laquelle on n'a pas eu de réponse officielle. On a par ailleurs appris hier que la France était opposée à la ratification en l'état du traité CETA avec le Canada à propos de la question de l'arbitrage.

L'Europe est de plus en plus présente dans nos vies ; des décisions importantes doivent être prises trimestriellement par le Conseil européen ; des sujets d'actualité sont inscrits à l'ordre du jour ; d'autres, qui sont programmés, ne sont pas traités, et on a le sentiment que la Commission avance seule depuis deux ans sur le traité transatlantique, pour ce qui est de l'information tant des États que des parlements nationaux.

J'organisais lundi une rencontre entre des parlementaires européens et des responsables américains, très critiques vis-à-vis du traité. Les problèmes sont nombreux dans les opinions européennes et américaines à l'égard de ce traité, et on a le sentiment que la machine s'est emballée. On se pose donc la question du pilotage politique.

On manque d'un organe quasi-permanent pour gérer tous ces problèmes. Qu'il s'agisse des migrants et du drame sanitaire qui se déroule en Méditerranée, du terrorisme, ou du plan Juncker, on a l'impression que la Commission agit suivant son idée. Les parlementaires nationaux ont de plus en plus de mal à « vendre » la question européenne, car la machine avance seule, sans concertation avec les États et les représentations nationales.

Concernant l'opération qui porte le nom imprononçable d'« EU Navfor Med », qui associe l'OTAN, les agences de l'ONU et Frontex, vous avez affirmé qu'au-delà du contrôle, une interception en haute mer ou dans les eaux libyennes requiert une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU et, sans doute, un accord des autorités libyennes. De quelles autorités s'agit-il ? Est-ce envisageable ? Va-t-on pouvoir agir pleinement ?

Par ailleurs, le budget de Frontex est de 100 millions d'euros, mais comporte un nombre de missions considérable : coordination et surveillance de la gestion des frontières extérieures, harmonisation des dispositifs des contrôles de flux migratoires sur le territoire européen, aide ponctuelle aux États membres, participation à « EU Navfor Med », mise en oeuvre de la politique de retour. On se demande si les moyens sont bel et bien au rendez-vous. On crée un nouveau dispositif, on renforce les missions de Frontex. Il s'agit de la même logique par rapport à Eurojust ou à Europol, les problèmes transnationaux de criminalité ne cessant de croître sans que l'on ait les moyens de les traiter.

N'est-on pas un peu juste sur le plan budgétaire, en particulier pour ce qui concerne Frontex ?

M. François Marc. - La Grèce est l'un des sujets majeurs du moment. Je me félicite de la position que la France a prise ces derniers jours concernant la nécessité de maintenir le lien avec ce pays, et d'essayer de faire en sorte que les responsables aient conscience des réalités, afin que l'on puisse trouver ensemble un compromis.

Il est vrai que la bulle médiatique a tendance à enfler autour de cet événement, mais j'ai néanmoins le sentiment que l'on trouvera un terrain d'entente. Dans l'attente du démarrage du Tour de France, il fallait bien que les médias s'occupent ! Ils ont utilisé ce sujet, bien que ce ne soit pas le seul.

Parmi les questions qui se posent à la Grèce figurent la lutte contre la rente, les dérives du système fiscal et la fraude. Toutefois, la Grèce n'est pas le seul pays concerné en Europe. Actuellement, la fraude fiscale représente en Europe une baisse de recettes de 1 000 milliards d'euros par an. Il suffit de rapprocher ce chiffre du budget annuel de l'Union européenne, qui est compris entre 140 et 150 milliards d'euros pour se rendre compte qu'il y a certainement des choses à faire ! On dit aujourd'hui que le système grec de gouvernance fiscale n'est pas bon : que penser du système européen dans son ensemble face à cet état de fait ?

Lors de la réunion du 15 juin, les ministres des finances de la zone euro ont évoqué la question de la mise en place d'une politique organisée, structurée et coordonnée de la lutte contre la fraude fiscale, en particulier en ce qui concerne les entreprises. Y a-t-il des perspectives d'avancer rapidement dans ce domaine ? On voit très bien les recettes qui se profilent derrière, alors que l'on cherche de l'argent un peu partout. Il y aurait là de quoi faire !

Mme Gisèle Jourda. - Je suis très préoccupée par la position de la Grande-Bretagne, qui a toujours été l'un des premiers partenaires de l'Europe ; certes, ce pays a de tout temps manifesté ses différences - c'est une île - mais il s'engage depuis plusieurs mois dans un processus très perturbateur. Or, il semblerait que le dernier Conseil européen ait quasiment acté le lancement de la renégociation de la place de la Grande-Bretagne au sein de l'Europe. Pouvez-vous nous éclairer à ce propos ? Les autres problématiques ne doivent pas, en effet, occulter cette question essentielle par rapport au rayonnement européen.

M. Jean Bizet, président. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Tout d'abord, la réforme structurelle des banques renvoie à notre propre loi bancaire.

Il est vrai que, suite au rapport Liikanen et aux propositions du commissaire Barnier, une inquiétude s'était fait jour concernant la remise en cause de notre modèle de banque universelle. Nous considérons que la loi bancaire, telle que nous l'avons adoptée, répond à la nécessité d'une séparation entre certaines activités de marché et le reste de l'activité bancaire. Les stress tests et la crise ont montré que les banques françaises universelles étaient solides, bien contrôlées, bien régulées, et qu'elles ne comportaient pas de risques dus au simple fait qu'elles sont des banques universelles.

D'ailleurs, beaucoup de banques qui ont été facteurs de crise dans différents pays, que ce soit en Europe ou aux États-Unis à partir de 2007-2008, n'étaient pas des banques universelles, des banques de détail, mais des banques d'affaires, à commencer par Lehman Brothers, Royal Bank of Scotland, ou autres. Certaines banques universelles ont également pu se retrouver en difficulté dans quelques pays, mais ceci n'est pas lié à cette disposition particulière.

Nous avons été très préoccupés par les positions défendues par la présidence lettone au début de ce débat, et nous resterons très vigilants pendant tout l'examen de ce nouveau règlement BSR mais, lors de la réunion Ecofin du 19 juin, nous avons obtenu gain de cause sur deux points.

Tout d'abord s'agissant de la protection des grandes banques universelles puisque, à l'origine, le système reposait sur trois zones et stigmatisait une zone rouge, dans laquelle se trouvaient les banques françaises. Depuis janvier, la présidence lettone est revenue sur cette approche, avec une proposition de catégorisation en deux zones. Nos arguments ont donc été entendus. Ce changement correspond également à une évolution vers une analyse préalable à toute séparation pour une meilleure prise en compte des risques, au lieu d'une présomption de séparation en fonction de la taille des banques. Il n'y a donc pas séparation automatique des banques à partir d'un certain seuil dans la version du règlement adopté par l'Ecofin le 19 juin.

Deuxièmement, s'agissant de la question de la dérogation britannique, qui permettrait au Royaume-Uni d'appliquer la loi Vickers relative à la séparation des banques en lieu et place du règlement BSR, l'article 21 a été jugé en l'état contraire au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne par le service juridique du Conseil européen. Une telle distinction constituait un précédent majeur pour le marché intérieur. Nous avons plaidé en faveur d'une solution permettant d'encadrer les options nationales par des lignes directrices de l'Autorité bancaire européenne (ABE). L'ensemble de nos propositions ont été reprises et aboutissent à ce que les banques britanniques n'adoptent pas de comportement de cavalier solitaire au-dessus des seuils d'application du règlement.

Il ne peut donc pas y avoir une version du règlement BSR avec des conséquences pour les grandes banques françaises, et non pour les grandes banques britanniques. La Grande-Bretagne estime avoir répondu avec la loi Vickers au problème de risque systémique ; nous y avons également répondu. Il ne saurait donc y avoir de traitement différencié. Nous serons très attentifs au fait que l'équilibre qui a été atteint soit préservé dans la discussion qui va se poursuivre devant le Parlement européen.

Existe-t-il une véritable volonté en matière de sécurité ? Beaucoup sont conscients de cette nécessité. De plus en plus de groupements tactiques sont mis en place, comme dans les pays nordiques, par exemple. Le Conseil européen a rappelé que chaque pays doit faire un effort en matière de financement de ses dépenses de défense. Il insiste sur le fait que si nous voulons garder une capacité de défense, nous devons avoir des industries de défense et développer des programmes en commun. Les drones, la cybersécurité, les satellites sont des domaines d'avenir dans lesquels il va falloir investir. Si nous ne voulons pas être dépendants en matière de fourniture de matériels, il nous faut défendre nos propres industries. Peut-être l'avons-nous fait insuffisamment dans le domaine de l'aéronautique de défense, mais nous disposons cependant de l'A400M et d'un certain nombre de programmes communs.

La volonté existe donc, il faut maintenant passer à la mise en oeuvre. C'est un point sur lequel le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a insisté auprès de ses collègues, lors du dernier Conseil affaires étrangères réunissant les ministres de la défense et des affaires étrangères, où étaient traités ces sujets.

Il faut que les groupements tactiques puissent être utilisés en cas de crise ; il ne suffit pas d'avoir adopté le concept. C'est pourquoi nous avons insisté pour que, après l'intervention au Mali, que nous avons assumée seuls au départ, l'opération de formation de l'armée malienne soit l'objet d'une mutualisation. Des soldats de la plupart des pays de l'Union européenne prennent part à cette formation des brigades de l'armée malienne. Ce sont successivement des généraux allemands, espagnols, et non pas simplement français, qui ont commandé cette opération.

De même, il existe en Centrafrique une contribution militaire d'un certain nombre de pays de l'Union européenne.

S'agissant des sanctions à l'égard de la Russie, une évaluation a été menée par la Commission européenne en février ; elle évaluait l'impact de ces sanctions sur le PIB de l'Union européenne à 0,2 %. Des mesures ont été prises pour venir en aide aux secteurs agricoles victimes des contre sanctions prises par la Russie.

Le Conseil européen a reconduit les sanctions pour six mois, jusqu'au 31 janvier, en lien avec la mise en oeuvre des accords de Minsk. Nous avons beaucoup insisté sur ce lien. Les sanctions ne sont pas une fin en soi, nous l'avons souvent évoqué lors de nos débats ; l'objectif est de les utiliser comme levier diplomatique, afin que la Russie respecte ses engagements, de la même façon que l'Ukraine. Le but est d'arriver à la levée des sanctions, qui ont un réel impact. Nous le savons d'autant plus que nous n'avons pas livré les vedettes Mistral comme prévu, même si la décision demeure suspendue.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Selon une information que je viens d'avoir, il semblerait que la Russie vienne d'arrêter les livraisons de gaz à l'Ukraine...

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Le dialogue, la diplomatie, la négociation doivent demeurer les voies à explorer.

S'agissant de la question de la Grèce, nous pensons effectivement qu'une sortie de la Grèce de l'euro fragiliserait la construction européenne. C'est pourquoi il faut travailler au maintien de la Grèce dans la zone euro, et continuer à le faire au lendemain du référendum, quel que soit son résultat, même si l'un des résultats comporte des risques. Cela fait partie des éléments qui doivent éclairer le vote. Ce n'est pas le sens que le Premier ministre grec veut donner à cette consultation, et nous respectons sa position, mais il faut dire que le maintien de la Grèce dans la zone euro suppose un accord entre la Grèce et les autres membres de la zone euro.

Il faut donc une volonté, de tous côtés, d'aboutir à un accord qui permette d'assurer à la Grèce les financements nécessaires pour honorer ses remboursement de prêts et faire face à ses besoins de fonctionnement - État, systèmes sociaux. Par ailleurs, cet accord impose un certain nombre de réformes nécessaires en Grèce. Enfin, il permet de débloquer un plan de soutien aux investissements d'un montant de 35 milliards d'euros, d'ici à 2020.

La discussion sur la dette, son poids, sa soutenabilité, la maturité des prêts, les taux d'intérêt est une question importante pour l'avenir, même si elle n'a pas d'impact immédiat, la Grèce n'ayant pas à rembourser sur le champ la totalité de ses emprunts. Il s'agit en effet de prêts bilatéraux accordés par chacun des États membres, dont la France, ou par la BCE, sur des maturités longues. On peut comprendre que certains désirent voir la discussion engagée. Nous y sommes prêts.

Existe-t-il des positions différentes ? Nous veillons à ce que la France et l'Allemagne défendent le même point de vue. Lundi, la Chancelière a indiqué qu'elle souhaitait que des négociations puissent reprendre au lendemain du référendum. Quant à nous, nous avons souhaité que des négociations puissent se nouer à tout moment. Le Premier ministre grec vient lui-même, semble-t-il, de dire que les négociations reprendraient après le référendum. C'est lui qui a mis fin unilatéralement aux négociations vendredi soir...

M. Jean Bizet, président. - Comme l'a dit Richard Yung, il ne nous aide guère !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Il faut que nous fassions comprendre aux uns et aux autres que la seule voie possible réside dans la discussion et la négociation d'un accord, absolument nécessaire pour la Grèce. La première conséquence de l'absence d'accord serait une dégradation de la situation économique de la Grèce, de ses citoyens, des acteurs économiques, et des entreprises. Il en irait de même si cette situation devait perdurer au-delà du référendum de dimanche. Un accord entre la France et l'Allemagne est bien évidemment indispensable pour pouvoir répondre à toutes ces questions. C'est l'objet des contacts qui ont lieu en permanence entre le Président de la République et la Chancelière, ainsi qu'entre nos ministres des finances.

On peut comprendre que l'attitude du Bundestag puisse ne pas être la même que celle du Parlement français. Les perceptions et les opinions publiques ne sont pas toujours identiques, mais les gouvernements ont le devoir de défendre des positions communes. C'est la seule possibilité de trouver une solution au sein de la zone euro. Il ne peut y avoir de solution sans accord franco-allemand. Nous oeuvrons donc en ce sens.

S'agissant des migrations, des décisions ont été prises lors de ce Conseil européen, même si la discussion a été extrêmement tendue. Des échanges ont eu lieu entre le Président du Conseil italien et la Présidente lituanienne, qui ont été le reflet de cette difficulté, qui montrent ce qu'il faut surmonter. On ne peut avoir une réponse efficace et commune sans le minimum d'esprit de solidarité, en tenant seulement compte des approches nationales.

Aujourd'hui, ce sont l'Italie et la Grèce qui ont besoin de la solidarité européenne ; toutefois, celle-ci est de toute façon indispensable, car on voit bien que les migrants qui débarquent sur les côtes européennes ne viennent pas spécialement en Italie, mais cherchent à venir en Europe. On les retrouve ensuite à Calais, et sur les routes de Suède ou d'Allemagne. L'idée selon laquelle cela ne concerne que les pays en première ligne est objectivement démentie par l'actualité quotidienne.

En outre, il serait politiquement désastreux de donner le sentiment que l'on refuse de traiter en commun des propositions concernant l'accueil des réfugiés - qui sont en droit d'attendre une protection internationale - la gestion des centres d'accueil, leur financement, ou la mise à disposition de moyens aux agences européennes comme Frontex ou le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA), qui est basé à Malte, mais qui a vocation à intervenir partout où ces problèmes se posent.

Le financement par le budget européen a été renforcé pour les opérations Triton et Poséidon, mais devra sans doute l'être encore dans le cadre de la gestion des centres d'accueil. C'est là que va se faire l'enregistrement des migrants qui fuient une dictature comme celle que connaît la Syrie, ou l'Érythrée ou, au contraire, de migrants économiques en situation irrégulière, qui doivent faire l'objet d'un retour dans le cadre d'un accord de réadmission avec leur pays d'origine. Toute cette gestion, qui va se faire sur le territoire italien ou grec, va demander une mobilisation des moyens européens.

Malgré les difficultés du dialogue, des décisions ont donc été prises lors du Conseil européen en ce qui concerne la mise en place d'une coopération renforcée avec les pays d'origine et de transit. Ce qui a été fait entre l'Espagne et le Maroc ces dernières années, ou encore entre l'Espagne et le Sénégal s'agissant de l'immigration par bateau vers les Canaries, montre que des résultats sont possibles. Comme en Méditerranée, on déplorait énormément de morts. Un appui très important a été apporté par l'Espagne au Maroc et au Sénégal ; il permet de lutter efficacement contre ces filières, de sauver des vies et d'aider à la réinstallation des migrants. Il reste 60 000 réfugiés à accueillir dans les deux ans à venir. Les ministres de l'intérieur doivent établir la part de chaque pays dans cet accueil.

Un certain nombre de pays, en particulier les pays du groupe de Viegrad, ainsi que les pays baltes, ont refusé que des engagements soient fixés par la Commission européenne. Chaque État membre doit donc donner des garanties à l'ensemble de ses partenaires. C'est la position que nous avons défendue. Il va falloir que, dans les jours qui viennent, chaque pays dise ce qu'il est prêt à faire, tout le monde ayant accepté le principe de prendre une part à l'accueil des réfugiés.

Nous avons dit qu'il fallait prendre en compte l'accueil des réfugiés existants. La France accepte plus de 60 000 demandeurs d'asile par an ; d'autres pays en accueillent bien plus en proportion de leur population, voire plus en chiffre absolu : la Suède, par exemple, en reçoit de l'ordre de 80 000, et l'Allemagne de l'ordre de 200 000. Cela contredit l'idée qu'un pays, à lui seul, ferait plus d'efforts que les autres. Beaucoup de pays font des efforts, mais pas tous. Dans le cas présent, ce ne pourra plus être le cas.

Quant aux accords de Dublin, nous pensons qu'il ne faut pas les remettre en cause. Le mécanisme proposé pour l'accueil de 40 000 personnes ayant besoin de protection est temporaire et destiné à faire face à une urgence. La règle doit rester la responsabilité du pays de premier accueil concernant les demandeurs d'asile. À partir du moment où un demandeur fait une demande dans un pays, c'est dans ce pays que doit être traitée sa demande. C'est par exception, face à l'urgence de la crise, qu'une partie de ces demandes pourra ne pas être traitée en Italie ou en Grèce, mais dans d'autres pays.

S'agissant du traité transatlantique, le fast-track accordé par le Congrès américain au Président Obama et à son administration pour négocier en matière commerciale concerne pour l'instant le traité transpacifique et non le traité transatlantique. Ce dernier a fait l'objet d'un échange, mais n'a pas occupé une grande place dans le Conseil européen. La difficulté réside dans le fait que le Président Obama ne dispose pas de cette disposition appelée trade promotion authority. À chaque étape de la négociation, le Congrès peut remettre en cause ce que les négociateurs américains pourraient accepter. Or, nous avons besoin que des engagements soient pris sur les marchés publics au niveau subfédéral. Si ce qui est obtenu par la négociation pour les entreprises européennes est à chaque fois remis en cause par le Congrès, cela va rendre très difficile l'avancée de la négociation. Nous respectons le fait qu'en dernier ressort, le Congrès, comme les parlements nationaux en Europe et le Parlement européen, acceptent ou refusent le résultat de la négociation en ratifiant ou non le traité...

M. André Gattolin. - Il s'agit d'un accord mixte, ce qui n'est pas le cas pour les États-Unis...

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - En effet, aux États-Unis, ce sera seulement le Congrès fédéral qui se prononcera. Le traité pacifique ayant été accepté, il semblerait normal que ce soit également le cas pour le traité transatlantique. Côté européen, il n'en demeure pas moins que le fait qu'il n'existe pas de trade promotion authority constitue un obstacle.

Je ne crois pas que l'on puisse dire que la Commission avance seule. Il y a certes eu des problèmes, mais nous avons demandé la transparence du mandat. Il y a encore des difficultés liées à des exigences des États-Unis, qui posent des conditions restrictives à la consultation de certains documents de négociation, qui ne peuvent avoir lieu que dans les ambassades, ce qui nous semble absolument anormal !

Nous continuons à nous battre. Matthias Fekl et Laurent Fabius ont déjà eu l'occasion de le dire : nous sommes toujours prêts à rendre compte devant le Parlement français de chaque étape de la négociation. Matthias Fekl a par ailleurs mis en place un comité du commerce extérieur auquel les parlementaires peuvent participer.

M. Jean Bizet, président. - Je tiens à saluer ici le travail qui est fait au sein de ces réunions. J'y participe à chaque fois que je peux. On nous a fait part du blocage total au sujet des marchés publics. Comme le souligne régulièrement Daniel Raoul, l'échelon fédéral et l'échelon fédéré ne sont pas en cohérence sur cette question. Ceci est inacceptable !

Il existe également un blocage à propos d'un domaine sur lequel la France aurait intérêt à ne pas lâcher, celui des indications géographiques protégées (IGP), qui comportent une valeur ajoutée considérable.

Je suis très inquiet de la différence qui existe entre la PAC et le Farm Bill. Nous sommes à front totalement renversé ! Nous sommes tous en principe ouverts à des traités commerciaux internationaux, mais si cet accord était déséquilibré, ce serait excessivement dangereux. Les fermiers américains sont dans une posture de production totale ; or, les agriculteurs français, avec une PAC essentiellement redistributive, ne sont pas armés. Quand on les interroge, ils assurent ne pas être contre une évolution, mais indiquent qu'il faut des améliorations en termes de quotas et de lissage, sans quoi l'onde de choc risque d'être sévère.

Ce que fait Mathias Fekl est une très bonne chose, qu'il s'agisse de l'Investor-state dispute settlement (ISDS), ou de marchés publics, mais les Américains ne sont guère à l'écoute - c'est le moins que l'on puisse dire !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Il existe des lignes rouges dans cette négociation. Elles sont très claires concernant l'agriculture française. Nous veillerons à ce qu'elle ne soit pas fragilisée, que ce soit sur le terrain des normes sanitaires ou sur celui de la protection de secteurs qui pourraient être exposés.

S'agissant de la Grande-Bretagne, rien n'a été acté. La seule chose qui l'ait été, c'est le fait que Président du Conseil européen mènerait des consultations sur la base des propositions qui ont été présentées par le Premier ministre britannique à propos de grands sujets. Il n'a d'ailleurs pas fourni de précisions sur les réformes qu'il proposait, ni indiqué si elles concernaient des articles du traité ou des directives. Il a évoqué la question des migrations et des abus sociaux, le fonctionnement et la simplification de l'Union européenne, le fait que la Grande-Bretagne souhaite qu'un certain nombre d'éléments de sa législation nationale ne soit pas affecté par de futures évolutions de la législation européenne relative au marché du travail, mais il n'a pas donné de précisions. Il a lui-même dit qu'il souhaitait que le Président du Conseil européen mène d'abord un dialogue avec les autorités britanniques et les autres États membres pour étudier les propositions de réforme ultérieures.

Aucune décision qui engage qui que ce soit n'a été prise dans l'attente de cette discussion, qui aura lieu au Conseil européen de décembre. Nous avons dit au Premier ministre David Cameron, lorsqu'il est venu à Paris rencontrer le Président de la République, il y a quelques semaines, que nous serons attentifs aux demandes formulées par le gouvernement britannique avant son référendum, mais que nous souhaitons que le Royaume-Uni demeure dans une Union européenne qui, elle-même, reste forte, cohérente, et ne se délite pas en remettant en cause des politiques communes, ou des principes fondamentaux, tels que la liberté de circulation des personnes.

S'agissant de l'évasion fiscale, la Commission européenne a en effet évalué le manque à gagner provoqué par la fraude à 1 000 milliards d'euros. Les premiers échanges automatiques d'informations et le fait que les contribuables ayant des comptes en Suisse ont été invités à se déclarer ont permis de récupérer plus de 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires dans le budget 2014 ; la même somme est attendue pour le budget 2015.

Il faut continuer à renforcer la lutte contre l'optimisation fiscale. Cela concerne les revenus des particuliers, mais pas uniquement. Tous les grands acteurs du secteur numérique des pays de l'Union européenne, par exemple, essayent d'échapper à l'impôt en domiciliant la totalité de leurs bénéfices dans l'une de leur holding ou de leur filiale située dans un pays européen où l'impôt sur les sociétés est moins élevé. Cela constitue un manque à gagner considérable, les profits étant réalisés dans une Union européenne de 500 millions d'habitants. Il n'y a aucune raison que les bénéfices soient rapatriés dans l'un des États membres et que l'impôt prélevé le soit au taux de l'impôt sur les sociétés dudit État membre.

C'est une bataille dans laquelle un grand nombre d'étapes sont importantes, comme la directive sur la fiscalité de l'épargne de mars 2014, la directive révisée sur la coopération administrative en matière fiscale adoptée en décembre dernier, la directive « mère-filiale », dont le renforcement doit permettre de lutter contre l'optimisation fiscale et dont les nouvelles dispositions doivent être transposées dans les législations nationales d'ici le 31 décembre 2015 et, bien évidemment, l'action concernant le tax ruling, la transparence sur les dispositions accordées par chaque État, ainsi que le travail pour relancer l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Tout cela doit nous permettre de faire rentrer les 1 000 milliards d'euros estimés par la Commission européenne dans les finances publiques des États membres.

M. Jean Bizet, président. - M. Claude Kern fera demain une communication à propos des rescrits fiscaux.

Monsieur le ministre, merci beaucoup.

Je rappelle que le Sénat, s'agissant du problème de la séparation des activités bancaires, va maintenir sa vigilance, le cas échéant au travers d'une résolution européenne. On ne peut laisser la City gérer toute la politique bancaire à travers les banques de marché et laisser de côté les banques universelles.

La réunion est levée à 18 h 03.

Jeudi 2 juillet 2015

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Politique de voisinage - Sommet de Riga sur le Partenariat oriental : rapport d'information de MM. Pascal Allizard, Gérard César, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Claude Requier, André Reichardt et Simon Sutour

M. Jean Bizet, président. - Le rapport d'information qui va nous être soumis fait suite au sommet de Riga, qui s'est tenu le 22 mai dernier et a réaffirmé les grands principes du Partenariat oriental. Comme l'a rappelé Angela Merkel en marge de ce sommet, celui-ci ne doit pas être confondu avec l'élargissement. La confusion en cette matière, réelle ou organisée, a eu les conséquences que l'on sait. La différenciation doit aussi prévaloir si l'on veut être efficace. Je rappelle que nous avons mis en place un groupe de travail qui est composé de Pascal Allizard, Gérard César, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Claude Requier, André Reichardt et Simon Sutour. Pascal Allizard et Jean-Claude Requier vont intervenir en premier. Les autres membres du groupe de travail prendront la parole ensuite, avant qu'un débat s'engage.

M. Jean-Claude Requier. - Le Partenariat oriental aurait pu être un prolongement européen de l'Ostpolitik ou un plan Marshall européen. Comme l'un et l'autre, il a des enjeux politiques et économiques. S'il n'est ni l'un ni l'autre, c'est d'abord parce que l'Union européenne ne considérait pas qu'elle avait un voisin hostile à l'Est et se reposait depuis 1989 sur l'ordre issu de la chute du mur et ensuite, c'est parce que l'Union européenne ne dispose pas d'une force de frappe financière suffisante pour offrir un plan Marshall.

De toute manière, un plan Marshall eût été prématuré et serait voué à l'échec dans la mesure où les pays du Partenariat oriental sont pour la plupart sortis très mal en point du système soviétique et ils sont incapables d'offrir les infrastructures nécessaires pour recevoir un plan Marshall et en bénéficier.

Ainsi, le Partenariat oriental est plutôt l'esquisse d'une politique de bon voisinage. Il est essentiellement la manifestation d'une bonne volonté de l'Union européenne à l'égard de sa frontière orientale. Si l'on préfère, il est la proposition faite par l'Union à ses voisins d'adopter le modèle européen de la démocratie et de la libre entreprise.

En pratique, l'objectif premier du Partenariat oriental est la réalisation d'une association politique et d'une intégration économique de ces six pays - Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine - avec l'Union européenne ainsi que la promotion, à l'est de l'Europe, d'une stabilité et d'une prospérité qui profiteront à l'Union européenne comme à ses partenaires, dans une zone où les tensions demeurent nombreuses.

L'enjeu est également économique et commercial puisque les six partenaires orientaux réunissent 75 millions d'habitants et que leur marché est doté d'un fort potentiel de croissance et d'une main d'oeuvre assez bien qualifiée. La conclusion d'accords d'association comprenant la création d'une zone de libre-échange approfondi et complet permet à cet égard, pour ceux qui l'auront souhaité, une convergence réglementaire avec l'Union.

Le Partenariat oriental est financé par des crédits de l'instrument européen de voisinage (IEV) qui disposera de 15,4 milliards d'euros entre 2014 et 2020. Cet instrument est le prolongement du dispositif précédent, l'instrument européen de voisinage et de partenariat 2007-2013 : il finance les pays mitoyens dans le cadre de la politique européenne de voisinage par le biais de programmes de coopération. Ces programmes se divisent en trois catégories - bilatéraux, régionaux et transfrontaliers -, mais ils sont tous destinés à promouvoir les réformes politiques économiques et sociales et à encourager l'harmonisation des politiques et l'adoption des normes européennes.

En 2014, pour le Partenariat oriental, 2,297 milliards d'euros ont été engagés et 1,623 milliard payé, dont 341,1 millions pour la seule Ukraine.

Pour donner une dimension parlementaire au Partenariat oriental, le Parlement européen a créé, en mai 2011, l'Assemblée Euronest, qui rassemble 60 députés européens ainsi que dix députés de chaque pays partenaire, hors Biélorussie. L'Assemblée Euronest reste ainsi le lieu d'échanges parlementaires favorisant les conditions nécessaires à l'accélération de l'association politique et au renforcement de l'intégration économique entre l'Union européenne et ses partenaires d'Europe orientale. Elle participe au développement et à la visibilité du Partenariat oriental, en tant qu'institution responsable de la consultation parlementaire, du contrôle et du suivi du partenariat.

Quelle est l'attitude de la Russie face à ce partenariat ? Après l'avoir refusé, elle ne cache plus son hostilité. Elle a fait pression sur Kiev pour obtenir une volte-face et le refus de signer l'accord d'association. Elle interfère sur la crise ouverte en Ukraine qui n'est pas terminée même si entretemps, au bénéfice de nouvelles élections, l'accord d'association a finalement été signé.

Pour faire pièce au Partenariat oriental, la Russie a tourné ses projecteurs vers l'Asie et lancé le projet de l'Union économique eurasienne qui pourrait regrouper à terme la Russie, la Biélorussie, Le Kazakhstan, l'Arménie, le Kirghizstan et le Tadjikistan.

Le Partenariat oriental est de surcroît sérieusement gêné dans son action par les conflits gelés, l'annexion de la Crimée et la guerre en Ukraine. Les conflits gelés, hérités du découpage des anciennes républiques soviétiques - Ossétie et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, Haut-Karabagh en Azerbaïdjan - créent une tension régionale constante en l'absence de règlement politique durable et nuisent à la stabilité et à la sécurité entravant par conséquent les progrès de la démocratie et de l'économie de marché dans ces pays.

Le Partenariat oriental fait l'objet de critiques diverses et la première d'entre elles vise ce qu'il est convenu d'appeler son ambiguïté.

La politique du Partenariat oriental est distincte du processus d'élargissement et ne saurait s'y substituer, même si elle peut, dans certains cas, constituer une première étape vers la candidature. Pourtant en aucun cas, le projet du Partenariat oriental ne préjuge de l'évolution future des relations des pays voisins de l'Union à l'est. La force du partenariat varie d'un pays à l'autre et elle dépend de la rapidité avec laquelle les réformes démocratiques nécessaires sont mises en place par les pays concernés.

Toutefois, certains ont relevé une ambiguïté dans ce projet de Partenariat oriental ou en tout cas un risque, celui de laisser espérer aux pays concernés plus que ce que l'Union peut effectivement leur apporter.

Comme la politique du Partenariat oriental s'inspire, par la force des choses, de l'habitude et des traditions de « screening » de la politique d'élargissement - technique en usage dans l'administration bruxelloise et qui consiste, si j'ai bien compris, à polariser des valeurs en les faisant passer par un filtre - elle nourrit, malgré des moyens limités, des ambitions comparables et elle demande, grosso modo, aux pays partenaires de reprendre 80 % de l'acquis communautaire. De là a pu naître une certaine confusion, car il faut reconnaître que le projet du Partenariat oriental est calqué dans sa méthodologie sur la politique d'élargissement et sur la politique d'aide au développement dans ses aspects financiers.

L'avenir du partenariat aurait dû être tranché à Riga, mais l'Union européenne hésite peut-être sur son but exact, et se refuse à dire que l'adhésion serait une perspective automatique - fût-elle très lointaine - pour tous les pays partenaires qui souhaitent s'en donner les moyens. L'Union précise toutefois qu'il n'appartient pas à la Russie de déterminer qui peut adhérer ou non à l'Union européenne.

Comme il a été dit, l'Union s'engage maintenant à soutenir le principe « faire plus pour recevoir plus » : les crédits doivent aller à ceux qui ont fait les plus grands progrès. Même si l'Azerbaïdjan a d'intéressantes réserves d'hydrocarbures, il n'y a aucune bonne raison d'être plus indulgent avec ce pays qu'on ne l'est à l'égard de Biélorussie aujourd'hui, par exemple.

Si les pays de ce partenariat mettent vraiment en oeuvre les réformes préconisées et respectent les textes qu'ils adoptent sur le modèle européen, l'Europe, dans cette région du monde, finira par avoir un autre visage beaucoup plus démocratique. Il faut reconnaître sans ambages que le Partenariat oriental est un moyen pour ces pays de rompre de manière définitive avec le modèle soviétique qu'ils ont déjà ouvertement rejeté mais dont ils continuent à subir les conséquences, faute d'avoir réformé profondément leurs institutions.

La crise ukrainienne pèse comme une épée de Damoclès : il faut qu'elle se termine de manière satisfaisante et que l'Ukraine soit sauvée, alors que son PIB a chuté de 17 %, de la faillite qui la menace. Un échec en Ukraine mettrait un terme au Partenariat oriental, en nuisant à la crédibilité de l'Union européenne à l'extérieur de ses frontières.

Les conclusions du sommet de Riga, qui s'est tenu le 22 mai dernier, réaffirment les grands principes du Partenariat oriental et énumèrent les progrès accomplis, qui tiennent, pour l'essentiel, à la signature de trois accords d'association, avec l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie. Plus importante est la déclaration de la Chancelière Angela Merkel en marge du sommet, qui soulignait que « le partenariat n'est pas un instrument pour l'élargissement » mais seulement un rapprochement.

Le sommet de Riga est surtout apparu comme l'occasion d'apaiser le Kremlin en insistant sur le fait que le Partenariat oriental était plus que jamais à géométrie variable. C'est donc le principe de la différenciation qui l'emporte et à ce titre, on perd un peu de la cohésion d'ensemble mais on gagne en efficacité. On perd un peu des grands principes pour gagner en réalité.

M. Pascal Allizard. - Le sommet de Riga s'est voulu un sommet de l'apaisement. Il y a été rappelé que le Partenariat oriental ne se construit contre personne, et certainement pas contre la Russie.

La politique européenne de voisinage (PEV) a été fondée en 2004 afin de donner corps à l'idée d'un cercle de pays qui, situés aux marches de l'Union européenne, partagerait ses valeurs et ses objectifs fondamentaux et serait décidé à s'engager avec elle dans une relation plus étroite allant au-delà de la coopération, c'est-à-dire - et c'est là que résident les premiers germes de l'ambiguïté - impliquant un haut niveau d'intégration économique et politique.

Romano Prodi souhaitait, à l'époque, « créer un cercle d'amis » et préconisait de « mettre en commun tout sauf les institutions ». Au fond, il fallait surtout éviter l'émergence de nouvelles lignes de division entre l'Union nouvellement élargie à l'Est et ses voisins et en conséquence, renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité de tous.

L'idée sous-jacente est bien celle d'un progrès continu à l'est, progrès qui amène à effacer pas à pas, et sur le long terme, les différences encore criantes dans le domaine institutionnel et économique qui existent, encore aujourd'hui, entre l'ouest et l'est de l'Europe. En ce sens, il s'agissait d'un acte de foi dans l'avènement d'une Europe totalement réunifiée et prospère.

L'autre idée, tacite, était qu'une politique dédiée à cette zone permettrait de manifester l'intérêt de l'Europe pour cette région et de renforcer sa normalisation après 70 ans d'antagonisme.

Même si ce partenariat se distingue de la politique d'élargissement, l'idée reste que tous doivent participer à la construction d'un espace commun de prospérité. C'est pourquoi l'Union européenne a également proposé cette politique à la Russie, qui a décliné l'offre mais qui a accepté un simple partenariat stratégique, lequel ne s'est pas vraiment concrétisé jusqu'à présent.

Aujourd'hui le Partenariat oriental constitue un des piliers de la politique européenne de voisinage qui comprend aussi la politique méditerranéenne. On peut, au reste, s'interroger sur cette politique de l'Union européenne, si tant est qu'elle en ait une, qui consiste à agir à l'Est, pour rééquilibrer aussitôt au Sud. Malheureusement, ce pilier de la politique de voisinage est devenu politiquement très sensible dans la mesure où la Russie, qui le remet en cause, est aussi un acteur régional important.

Le Partenariat oriental, né à la demande de la Pologne et de la Suède - ce qui donne tout son sens aux évènements actuels - visait à accorder une attention particulière aux voisins de l'Est. S'appuyant sur les conclusions du Conseil européen de décembre 2007, ces deux États membres ont conjointement présenté au conseil Affaires générales-Relations extérieures du 26 mai 2008 une « proposition pour un Partenariat oriental », officialisé lors du sommet du 7 mai 2009 à Prague.

Cette initiative, qui vise à promouvoir le renforcement des relations de l'Union européenne avec ses six voisins de l'Est, reprend les principes essentiels de la politique de voisinage. Elle réaffirme les axes directeurs : promotion de l'État de droit et de la démocratie - il reste du travail à faire chez certains de nos partenaires - ; l'intégration économique ; la libéralisation des échanges et le développement de la mobilité.

La plus-value essentielle de cette politique est d'offrir aux six pays voisins la perspective attrayante de bénéficier un jour d'un régime sans visa avec l'Union européenne ainsi que d'un accord d'association - association politique et intégration économique à travers la négociation d'un accord de libre-échange approfondi et selon une logique de différenciation.

L'évolution de ce partenariat se lit dans la succession de ses sommets. Le Sommet de Prague, du 7 mai 2009, a vu l'adoption d'une déclaration conjointe qui précise l'ambition du Partenariat oriental : en substance, les négociations relatives à la conclusion d'accords d'association ne seront lancées qu'avec les pays partenaires ayant la volonté et la capacité de respecter les engagements qui en découlent.

En matière de visas, il s'agissait de conclure des accords de facilitation avec les pays partenaires qui n'en ont pas encore. La libéralisation totale des visas constituerait un objectif à long terme quand les conditions seraient remplies.

Deux ans plus tard, le sommet de Varsovie, des 29 et 30 septembre 2011, fut l'occasion de préciser les objectifs fixés en 2008 en vue d'une reconnaissance d'une communauté de valeurs et de principes démocratiques, et de prendre acte des aspirations et du choix européen de certains partenaires et de leurs engagements en faveur du développement d'une démocratie approfondie et durable tout en maintenant une distinction entre la politique d'élargissement et la politique de voisinage. Lors de ce sommet, on supprima la mention « à long terme » concernant l'objectif de libéralisation du régime des visas de court séjour. Les intentions, comme on le voit, étaient alors toujours aussi bénignes.

Le Sommet de Vilnius des 28 et 29 octobre 2013 fut l'occasion de souligner les progrès réalisés, même s'il a été surtout marqué par le refus inattendu des autorités ukrainiennes de signer l'accord d'association avec l'Union européenne après cinq années de négociation.

Cependant les deux accords d'association avec la Géorgie et la Moldavie ont été paraphés à Vilnius. Ils visent par leurs dispositions ambitieuses en matière d'État de droit, de libre échange commercial et de coopération sectorielle à moderniser en profondeur ces pays.

Par une déclaration séparée, on a encouragé l'Arménie à poursuivre son rapprochement avec l'Union européenne et sa modernisation, malgré son choix - et l'on trouve là aussi les germes de la crise actuelle - de rejoindre l'Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, qui a entraîné la suppression du paraphe de l'accord d'association initialement prévu à Vilnius.

Le sommet de Vilnius a fait naître les premières inquiétudes sur l'avenir du Partenariat oriental et révélé l'hostilité de la Russie à ce projet, ou tout au moins ses inquiétudes.

Dernière étape en date, enfin, le sommet de Riga du 22 mai 2015. La crise ukrainienne a incité l'Union européenne à se pencher sur la situation des pays voisins à l'Est et sur l'avenir du Partenariat oriental, rendu pour le moins difficile et incertain.

La coopération avec les pays voisins reste une priorité évidente pour l'Union européenne, car il existe une double interdépendance : économique et sécuritaire. Les accords signés sont ambitieux et peut être trop ambitieux puisqu'aussi bien les pays du partenariat oriental sont encore très loin des normes de l'Union européenne quel que soit le domaine envisagé et malgré les réformes entreprises. Les liens commerciaux avec la Russie sont encore dominants et la dépendance énergétique totale pour quatre d'entre eux. L'actualité d'hier après-midi sur les livraisons de gaz russe à l'Ukraine en témoigne.

Trois scénarios pour l'avenir du Partenariat oriental restent possibles. En premier lieu, celui d'un rapprochement progressif et vertueux : la coopération devient plus étroite, plus fructueuse et les six pays se rapprochent chacun à son rythme des normes de l'Union européenne et d'un idéal bâti sur la démocratie et la libre entreprise - il y a encore un peu de chemin à faire. Deuxième scénario, le Partenariat oriental dépérit lentement, l'Union européenne, sous la pression de la Russie, décidant de se montrer discrète et cessant d'intensifier son appui à la réforme des six pays concernés ; la Russie retrouverait ainsi son glacis défensif face à l'Union européenne, souci qui est le sien depuis des siècles et n'est pas propre à M. Poutine : l'histoire nous a déjà servi ce scénario.

Troisième scénario : les conflits gelés sont réactivés, la Russie affirme son emprise sur l'Ukraine et la Biélorussie ; l'esprit de la guerre froide l'emporte et dans les faits, la guerre dite « hybride » s'installe dans tous les foyers de tension actuels.

La crise ukrainienne et les tensions avec la Russie ont sensiblement accéléré le processus de signature des accords d'association avec l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie en 2014. Ces accords doivent encore être ratifiés par les États membres.

Les relations de l'Union européenne avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan avancent à un rythme différent. Les négociations pour un accord sont en cours avec l'Azerbaïdjan mais sans volet de libre-échange, car Bakou n'est toujours pas membre de l'OMC - il n'est d'ailleurs pas sûr que sur le volet de la démocratie, les choses aient non plus beaucoup avancé. Quant au paraphe de l'accord avec l'Arménie, il est suspendu en raison du souhait de l'Arménie de rejoindre l'Union économique eurasienne, comme il a été dit.

Les relations entre l'Union européenne et la Biélorussie sont plus complexes, la Biélorussie ne participant qu'au volet multilatéral. La politique européenne à l'égard de Minsk repose sur une double approche : pression, d'un côté, pour obtenir une amélioration de la situation des droits de l'homme, de l'État de droit et des principes démocratiques et, de l'autre, soutien à la société civile.

À l'heure actuelle, trois pays, l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, envisagent à terme leur entrée dans l'Union, les autres - Biélorussie, Arménie et Azerbaïdjan - pratiquent une realpolitik tendant à tirer un maximum d'avantages de leur position intermédiaire entre la Russie et l'Union européenne.

M. Jean Bizet, président. - Simon Sutour veut-il nous dire quelques mots sur la ventilation des crédits ?

M. Simon Sutour. - Mon propos ira un peu au-delà. La politique de voisinage est une politique de l'Union européenne à l'égard d'un certain nombre de pays à ses frontières. Elle se décline en deux volets : Partenariat oriental, à l'Est, et politique euro-méditerranéenne au Sud - sur laquelle nous vous soumettrons prochainement, avec Louis Nègre, un rapport. Les crédits vont pour les deux tiers à la politique euro-méditerranéenne, et pour un tiers au Partenariat oriental. Ces crédits, qui ne sont pas intégralement consommés, restent assez modestes. En 2014, l'Arménie a reçu 23,2 millions d'euros ; l'Azerbaïdjan, 6,8 millions - en a-t-il vraiment besoin, sachant qu'il engrange par ailleurs des revenus substantiels ? La Biélorussie, 22,3 millions ; la Géorgie, 41,1 millions ; la Moldavie, 93,7 millions ; l'Ukraine, 314,1 millions.

La ventilation des crédits entre Partenariat oriental et politique euro-méditerranéenne est le fruit d'un accord tacite, qui peut être remis en cause. Je suis de ceux qui défendent la clé de répartition actuelle, mais il faut avoir conscience que c'est une question qui peut à tout moment revenir sur le tapis, sous la pression des pays baltes.

Je souhaiterais, personnellement, que certaines modifications soient apportées au rapport, dont je suis signataire, car certains termes me semblent excessifs. Qu'il suffise de dire que l'Union européenne a proposé également cette politique à la Russie qui a décliné l'offre mais qui a accepté un simple partenariat stratégique, sans retenir les considérations sur les limites physiques de l'Europe et sur la relation de la Russie au modèle européen.

M. Pascal Allizard- Je partage votre avis.

M. Simon Sutour. - Dire, au sujet du sommet de Vilnius, que la dégradation des relations entre l'Union européenne et la Russie n'a rien d'une fatalité et doit beaucoup à la personnalité du dirigeant russe actuel me paraît un peu polémique.

M. André Gattolin. - On ne peut nier qu'il ait une personnalité...

M. Simon Sutour. - Vous n'êtes pas signataire du rapport, je le suis.

Je souhaiterais, enfin, que l'on supprime le développement que récapitule l'intitulé : « L'hostilité de la Russie a conduit à une entreprise de déstabilisation », car il me semble très polémique. Ce qui suppose aussi de modifier la première phrase du développement suivant, relatif au bilan 2009-2015, pour la faire commencer ainsi : « Le bilan du Partenariat oriental est en demi-teinte ».

M. Jean Bizet, président. - Vous demandez un regard plus tempéré, en somme, sur la Russie.

M. Simon Sutour. - Sur laquelle nous travaillons avec Yves Pozzo di Borgo. Ce regard peut se prévaloir d'une expertise.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Ce projet de rapport contient un certain nombre de rappels fort intéressants, mais je souscris totalement aux demandes de Simon Sutour. C'est un sujet difficile, qui appelle à rester prudent dans le jugement.

Prenons l'exemple du sommet de Vilnius : il est évident que la précipitation maladroite des pays baltes à souscrire à un accord avec l'Ukraine est à l'origine des problèmes que l'on connaît aujourd'hui. On ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le sujet. Le sommet de Vilnius est pour beaucoup dans le cancer qui est en train de se développer en Ukraine, et n'est pas près de reculer. Le Président de la République lui-même a déclaré, à Astana, que le refus de l'Union européenne de voir l'Ukraine entrer dans le partenariat eurasiatique était une erreur.

Je ne puis souscrire en l'état au rapport. Le Partenariat oriental est indépendant de la relation avec la Russie.

M. Jean Bizet, président. - On touche à un sujet délicat. J'avoue que personnellement, qu'il soit écrit que l'hostilité de la Russie a conduit à une entreprise de déstabilisation ne me heurte pas, mais je conçois que d'autres puissent avoir un autre avis. On prend bonne note de vos remarques et on en reparlera lors d'une prochaine réunion.

M. Éric Bocquet. - Je me demande si les remarques qui ont été faites, et auxquelles je souscris ne trouvent pas leur cause efficiente, dans le propos relatif à « l'exportation du modèle européen », qui me rappelle des époques révolues où ce mot de modèle était brandi par certains comme un repoussoir. Écrire qu'« il n'y a aucune raison valable de ne pas reconnaître que l'Europe est un modèle politique et économique ni de renoncer qu'elle propose ce modèle à tous ceux qui l'entourent » me paraît un bien mauvais début pour créer de bonnes relations de voisinage. Il me semble que nous devons rester dans le ton d'un rapport d'information.

Nous ne rédigeons pas un manifesto, pour reprendre l'expression anglaise. Que l'on milite en faveur de l'exportation d'un modèle, cela me gêne.

M. Pascal Allizard. - Nous pouvons apporter les modifications demandées par notre collègue Simon Sutour. Nous ne devons pas donner l'impression de présenter des positions quelque peu fermées sur les relations avec la Russie. Ce n'est pas l'objet de la mission. Et comment prétendre posséder la vérité quand on n'a pas toujours démontré que tout est parfait dans notre modèle ? Enfin, je me pose la question : la politique actuelle de la Russie est-elle directement liée à la personnalité de M. Poutine...

M. Yves Pozzo di Borgo. - C'est plus complexe que cela.

M. Pascal Allizard. - ...ou ne tient-elle pas plutôt à des fondamentaux, qui reviennent en force ; à une volonté de reconquête par la Russie de sa zone d'influence, qui est en partie liée à sa géographie - c'est bien de cela qu'il s'agit quand on parle de la Crimée et de l'Ukraine. Ces sujets méritent qu'on y travaille un peu plus.

M. Jean Bizet, président. - Pour donner corps à votre remarque, nous allons demander à nos rapporteurs de prendre en compte ces diverses observations en vue du rapport final. Dans ce qui a été dit, je retiens deux idées qui ne me paraissent pas inconciliables : ce n'est pas à la Russie de dicter à l'Union sa politique orientale, mais d'un autre côté, l'Union ne peut envisager son développement sans un dialogue avec son grand voisin.

M. Jean-Yves Leconte. - Je reviens sur ce qui a été dit au sujet de la situation économique de ces pays. Pour avoir vécu en Pologne au début des années 1990, je sais ce qu'y était, à cette époque, la situation. Et je sais aussi qu'à partir du moment où des réformes, celles de Leszek Balcerowicz, ont été conduites, qui ont coupé certaines racines du mal, la Pologne a connu une croissance soutenue durant plus de vingt-cinq ans. Certains pays, qui faisaient alors encore partie de l'Union soviétique, n'ont pas eu cette chance, et leur économie a conservé le caractère oligarchique qui marquait l'économie soviétique. Que certains pays d'Europe centrale considèrent, sur le fondement de leur expérience propre, que l'on puisse arriver à un résultat semblable pour peu que l'on extirpe les racines du mal dans les anciens pays de l'Union soviétique, et qu'ils en soient partisans, parce que cela leur a réussi, n'a rien que de normal.

Le fait est qu'un décalage s'est creusé, dès le départ, entre les pays, entrés dans l'Union européenne entre 2004 et 2007, qui appréhendent le Partenariat oriental comme la voie vers l'adhésion, et les autres. D'où la situation que l'on connaît aujourd'hui.

On a vu ce qu'il s'est passé en Ukraine depuis deux ans. Je ne dis pas que les choses évolueront de la même manière en Arménie, mais reconnaissons que la situation politique à laquelle on assiste depuis une semaine témoigne que la société civile se réveille, de toute autre façon que ces vingt dernières années, ce qui conduit à une situation que la Russie considère déjà comme une entreprise de déstabilisation. Vu les perspectives de rapprochement entre les États-Unis et l'Iran, il convient de faire évoluer l'Arménie : c'est ainsi que la Russie lit les évènements qui se déroulent aujourd'hui en Arménie.

Je partage ce qui a été dit sur les scénarios décrits dans le rapport. L'approche pragmatique qui consistait à penser que la Russie n'a certes pas le même projet politique que l'Union européenne, mais qu'en échangeant sur le plan économique, on arriverait à évoluer ensemble s'est fracassé, comme on l'a vu l'an dernier, sur la question de la Crimée. Peut-on encore tabler sur un tel scénario, le pouvoir restant entre les mêmes mains ? L'idéal serait bien sûr de faire émerger un projet plus fort entre l'Union européenne et la Russie, mais cela paraît un peu complexe aujourd'hui. Quant aux autres perspectives, elles sont plutôt négatives : soit la persistance de conflits gelés, soit un mouvement qui verrait l'Union européenne se détourner de ses voisins orientaux et les deux grands blocs de la région tourner le regard dans des directions différentes. Mais l'Europe en serait affaiblie.

Je rebondis sur ce qu'a dit Simon Sutour : à partir du moment où l'on a distingué, d'un côté, le Partenariat oriental, avec la perspective qui a été rappelée, et de l'autre, une politique de voisinage avec les pays du pourtour méditerranéen, l'action vers l'Est apparaît comme une entreprise de désoviétisation, donc une politique antirusse. Mieux vaudrait unifier la politique de voisinage, afin qu'elle cesse d'apparaître comme une volonté européenne de soustraire à l'orbite de la Russie une partie de ses voisins. J'ajoute qu'une relation entre l'ouest et l'est de l'Europe ne saurait se développer indépendamment de toute considération sur ce qui se passe au sud ; ce serait oublier tout ce qui se passe entre les deux, dans les Balkans, dans le Caucase, dans le triangle entre l'Irak, la Syrie et la Turquie. Comment mener, en Azerbaïdjan, une politique qui prend la démocratisation pour ligne de mire et ne pas se donner les mêmes moyens en Tunisie, et dans les pays du sud en général ? A négliger cet enjeu, de taille, on encourrait de terribles reproches.

M. André Gattolin. - Mon intervention sera de même esprit. Le rapport doit mentionner que la Biélorussie vient d'opter, comme l'Arménie, pour le Partenariat eurasiatique. Et l'on sait que cela n'a pas été sans pression de la part de la Russie.

Il faut aussi prendre en compte la dimension géostratégique du problème, avec le cas de la Transnistrie. La tension est forte. Des élections locales viennent de se dérouler en Moldavie, qui ont fait passer la capitale aux mains des pro-européens, qui tiennent le gouvernement. L'économie de ce pays est très dynamique. La Moldavie devient le nouvel atelier textile de l'Europe. Son agriculture est également très dynamique, au point que les pays européens, inquiets, ne lui offrant guère de débouchés, le pays vient de passer avec la Chine un accord qui va lui ouvrir le marché asiatique. Comment dire à un pays qui se considère comme européen, dont l'économie est dynamique, qu'une adhésion à l'Union européenne est inenvisageable ? Le même problème se pose pour l'Ukraine. Je comprends la difficulté diplomatique, mais si l'on n'offre pas de perspective à ces pays, les populations ne le comprendront pas. Il faut s'y prendre avec beaucoup de précautions, mais ne pas renoncer à considérer qu'elles ont un droit à l'autodétermination. On peut considérer qu'il reste beaucoup de retards - retard économique, problèmes structurels, corruption endémique, État de droit à consolider - mais on a vu, avec le cas exemplaire de la Pologne, qu'ils pouvaient être comblés. Comment dire à ces populations que l'adhésion ne sera jamais possible ? Sauf à considérer qu'on leur oppose une fin de non recevoir au seul motif que c'est le pré carré de la Russie. Au nom de la realpolitik ?

Certes, l'Europe doit faire évoluer ses relations avec son grand voisin, mais on n'en sait pas moins que le prochain conflit aura lieu en Transnistrie, où la Russie, qui y détient encore des millions d'armes, est militairement présente et où le pouvoir, déchiré entre plusieurs influences, est instable. Si le regard de la France, qui a toujours été bienveillant envers son grand allié historique, a évolué, c'est bien parce que la Russie a rompu le principe de non violation des frontières. Au reste, les Chinois, même si les relations avec la Russie se réchauffent, n'apprécient guère non plus, car ils pensent au Tibet. Bref, on va se trouver, dans les mois qui viennent, en Transnistrie, avec une situation très difficile à gérer avec la Russie, l'Ukraine et, au premier chef, la Moldavie.

M. Jean Bizet, président. - Au vu des réflexions qui viennent d'être échangées, je crois que nous pouvons encore approfondir notre travail. Ce qui n'enlève rien à la pertinence du Partenariat oriental, voulu, en son temps, par Romano Prodi, comme un glacis de pays alliés et voisins.

Je n'entends pas relancer la polémique sur le partage de la politique de voisinage, mais je citerai simplement ce que j'ai entendu dire par la délégation polonaise que nous avons récemment reçue : si le danger est au sud, le drame, lui, est à l'est. C'est éloquent.

M. André Gattolin. - Belle expression.

M. Jean Bizet, président. - Qui mérite brevet ?

M. Éric Bocquet. - Aucun drame au sud, donc.

M. Jean Bizet, président. - Comme je l'ai indiqué, nos rapporteurs prendront en compte nos échanges en vue de finaliser le rapport.

Économie, finances et fiscalité - Réunion interparlementaire sur les rescrits fiscaux : communication de M. Claude Kern

M. Jean Bizet, président. - Notre collègue Claude Kern a participé, le 17 juin dernier, à une réunion interparlementaire à Bruxelles sur l'épineuse question des rescrits fiscaux. Cette réunion était organisée sur l'initiative d'Alain Lamassoure qui préside la commission spéciale du Parlement européen qui a été créée à la suite des révélations de l'affaire « Luxleaks ».

Je lui donne la parole pour qu'il nous dise les enseignements qu'il a tirés de cette réunion.

M. Claude Kern. - Cette affaire n'est pas étrangère au regain d'intérêt des États pour un renforcement de la législation fiscale, de même que la nécessité où se trouvent certains États d'accroître leurs recettes fiscales.

L'affaire « Luxleaks » a révélé au grand jour des accords fiscaux préalables, appelés rescrits, souvent très avantageux pour les entreprises comme pour le fisc concerné. De tels accords ont été conclus pour le fisc luxembourgeois par le cabinet de conseil Price Waterhouse Coopers (PWC) pour le compte de nombreux et importants clients internationaux dont Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et Deutsche Bank, entre autres.

La révélation de ces accords au grand public a permis de mettre en lumière le problème et de chercher une solution à l'échelle européenne, avec un double objectif : éviter de trop grandes distorsions de concurrence et augmenter les recettes fiscales. Invoquant la nécessité d'une harmonisation fiscale européenne, la France, l'Allemagne et l'Italie ont réclamé, le 28 novembre 2014, une directive européenne sur l'optimisation fiscale. Les trois États membres ont, dans ce cadre, demandé, notamment, la mise en place de registres facilitant l'identification des bénéficiaires de sociétés écrans et milité en faveur de l'édiction de mesures contre les juridictions qui favorisent l'optimisation fiscale et les « montages inappropriés » permettant un avantage fiscal.

Ces demandes sont dans le sillage du G20 de 2014 qui appelait à achever le chantier de lutte contre l'optimisation fiscale en 2015 en exigeant l'absolue transparence. La pratique du « tax ruling », ou rescrit fiscal, permet en effet à une entreprise de demander à l'avance comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale d'un pays et d'obtenir ainsi certaines garanties juridiques, voire certains avantages. Or, certaines multinationales utilisent cette disposition, qui est parfaitement légale, pour faire de l'optimisation fiscale en répartissant leurs coûts et leurs bénéfices imposables entre plusieurs de leurs branches ou filiales situées dans différents pays, et cela avec l'accord des pays concernés.

Toutes ces initiatives hostiles à l'optimisation fiscale ont conduit la Commission européenne à présenter, le 18 mars 2015, sa proposition sur l'échange automatique d'informations. Elle souhaiterait une entrée en vigueur dès le 1er janvier 2016 pour les « tax rulings » (ou « rescrits fiscaux » dits aussi « décisions anticipatives en matière fiscale »), qui ont un impact frontalier. Les « rulings » concernés par la directive sont les accords donnés par une autorité fiscale d'un État membre qui clarifient ou interprètent une disposition juridique ou administrative relative à la législation fiscale d'un État, et sont relatifs à des transactions transfrontalières, en amont desquelles ils sont accordés.

Il faut savoir que tous les États membres accordent des rulings même si ceux-ci n'ont pas partout la même forme ni la même ampleur. Le champ d'application de ce projet de directive sera naturellement le point le plus discuté par les États membres. Je rappelle qu'au sein du Conseil, il faudra, comme pour toute décision sur la fiscalité, se prononcer à l'unanimité.

Il est prévu que les États membres échangent entre eux mais également avec la Commission, certaines informations sur les rulings et les arrangements préalables en matière de prix de transfert, y compris ceux accordés depuis dix ans. Ces échanges, d'une fréquence trimestrielle, permettront à la Commission d'avoir à sa disposition une image globale de cette pratique. Sur cette base, elle pourra juger de ce qui est acceptable ou pas dans la conception de certains rulings. La Commission n'exclut pas de travailler avec les États pour définir les conditions à réunir avant d'accorder des tax rulings.

Certains demandent, outre l'absolue transparence, un « reporting » pays par pays. M. Alain Lamassoure a déclaré : « La transparence entre les États membres est une première étape. La suivante doit être la transparence maximale possible entre les acteurs économiques eux-mêmes et les consommateurs ».

Dans la continuité de cette politique, on s'attend désormais à ce que la Commission présente d'un moment à l'autre un « paquet législatif » sur la fiscalité des entreprises qui pourrait donner un second souffle à un dossier enlisé depuis quatre ans, celui de « l'assiette commune consolidée sur l'impôt des sociétés » (ACCIS). Les États hostiles à ce projet ont déjà fait savoir qu'il ne doit pas conduire à l'harmonisation fiscale. Certains craignent en effet que la détermination d'une assiette commune définie de la même manière dans tous les États ne conduise à un taux commun à tous les États...

Il faut toutefois raison garder dans la mesure où l'optimisation fiscale est une pratique légale répandue, qui se distingue de l'évasion et de la fraude. Entre l'optimisation et l'évasion ou la fraude, il y a une différence de nature, et non une différence de degré, comme le laissent entendre certaines ONG et même certains gouvernements. En outre, l'optimisation fiscale n'est possible que parce que la législation fiscale varie d'un pays à l'autre dans des proportions importantes. Parfois même, certains États dans le besoin pratiquent ce qui apparaît aux yeux des uns - par comparaison avec la fiscalité lourde et mature des États voisins - comme une forme de dumping fiscal, quand d'autres y voient une pratique concurrentielle. Enfin, les taux d'impôt sur les sociétés - comme la base taxable -, très différents d'un pays à l'autre, apparaissent souvent confiscatoires dans certains États où ils dépassent 30 %, plafond considéré comme la limite extrême du consentement à l'impôt.

Dans ce contexte, il semble en effet plus que jamais nécessaire de réactiver les négociations qui doivent aboutir à l'établissement d'une « assiette communautaire commune de l'impôt des sociétés » (ACCIS). Tant que l'assiette et les taux varient d'un pays à l'autre au sein même de l'Union européenne, on ne peut espérer décourager l'optimisation fiscale.

Cela dit, il faut naturellement préférer que les rescrits fiscaux soient transparents dans la mesure où ils peuvent représenter un frein sérieux à une juste concurrence. En effet, si une entreprise obtient un rescrit fiscal avantageux, la charge d'impôt dont elle est dispensée par le rescrit peut s'apparenter à une aide indirecte de l'État qui a accordé le rescrit. Il n'est pas faux alors de considérer qu'il y a distorsion de concurrence entre les entreprises. Ce qui paraît difficile à déterminer, c'est l'ampleur de cette concurrence déloyale. Et c'est pour cela que l'émergence d'une plus grande transparence est justifiée.

Le rescrit fiscal apparaît aussi comme le produit des efforts toujours plus importants des acteurs économiques pour réduire le poids de l'impôt. Cette tendance doit être analysée comme une réaction de survie face à des systèmes fiscaux européens peu compétitifs. L'optimisation fiscale qu'autorise le rescrit fiscal apparaît dans certains cas comme une réaction rationnelle au malaise généré par les systèmes fiscaux très complexes de nos vieilles démocraties. L'optimisation fiscale est le symptôme d'un véritable dysfonctionnement de nos systèmes fiscaux.

Dans la mesure où l'optimisation fiscale relève d'un choix intelligent à l'intérieur d'un système fiscal donné et avec l'assentiment de ce même système, elle illustre une vérité économique bien connue : les acteurs économisent leurs ressources. Ainsi quand un impôt excessif réduit l'activité et la croissance, ils produisent moins ou ils cherchent à obtenir une moindre pression fiscale. Dans les deux cas, le produit fiscal diminue comme l'a très bien montré Laffer dans sa célèbre courbe dont la signification est traduite par l'adage : « trop d'impôt tue l'impôt ».

Il s'agit donc de comprendre pourquoi certains obtiennent des rescrits fiscaux qu'il faut bien appeler par leur nom : des lois privées, c'est-à-dire des privilèges. Il faut croire que ces rescrits sont une soupape de sécurité dans une économie mondialisée où, si l'on rejette la concurrence fiscale, il y a fort à parier qu'on finira par limiter les investissements. En effet, une moindre pression fiscale devrait permettre un meilleur autofinancement et davantage d'investissements.

En outre, le rescrit fiscal trouve tout son sens dans la mesure où il offre une stabilité et une clarté juridique quand certains États ont laissé se développer l'instabilité fiscale en changeant les règles à chaque loi de finances, instabilité fiscale elle-même source d'instabilité juridique.

Ainsi, l'on voit que la question du rescrit fiscal n'est pas aussi simple à régler puisqu'aussi bien il est le fruit direct de systèmes fiscaux complexes et peu clairs faisant peser sur les acteurs économiques une forte pression fiscale et une grande insécurité juridique. La pratique du rescrit fiscal réintroduit de la souplesse et un peu de bon sens, illustrant l'idée simple dont on s'est écarté qu'un bon impôt doit avoir une large base et un taux faible.

Pour information, Alain Lamassoure a dû renoncer à faire adopter un texte de consensus par les parlementaires des vingt-et-un États membres présents à la réunion, voyant qu'un nombre trop important d'entre eux n'étaient pas prêts à le suivre.

M. Jean Bizet, président. - Merci de ces éclairages sur ce que vous avez nommé, par une expression assez savoureuse, une « soupape de sécurité ». Dans une économie mondialisée, on n'atteindra pas l'idéal ; il faut essayer de se situer dans un couloir acceptable.

M. André Gattolin. - Il est important de rappeler ce qu'est un rescrit fiscal, et toutes les nuances qu'il peut prendre. Dans certains cas, ce sont des adaptations bienvenues, et un certain nombre de ces rescrits sont, d'ailleurs, publics. Mais c'est loin d'être le cas général : un réel problème de transparence se pose.

C'est bien de compétition fiscale qu'il convient de parler, car le terme de compétitivité, dès lors que tout est déterminé par des négociations, ne veut rien dire. Pour en avoir discuté avec plusieurs ministres de Bercy, je sais que la première demande des entreprises internationales qui envisagent une implantation est de négocier un rescrit.

Il faut rappeler que la commission spéciale présidée par Alain Lamassoure n'est qu'un pis-aller. Elle a été mise en place à défaut d'une commission d'enquête, dont le principe avait recueilli 194 voix, au-delà de la majorité de 188. Par un tour de passe-passe institutionnel, c'est, en fait de commission d'enquête, cette commission spéciale qui a été mise en place, pour six mois, éventuellement renouvelables. Et tout cela pour ne pas déplaire à M. Juncker, dont le gouvernement a négocié secrètement des rescrits fiscaux. On ne peut pas déclarer qu'il faut taxer les GAFA sans balayer devant sa porte. Les parlementaires qui participent à cette commission spéciale, qui n'a rien de partisan, en sont à se demander si l'on ne cherche pas à la saboter : à l'exception de Total SA, toutes les grandes entreprises qu'ils ont souhaité entendre se sont dérobées. C'est le cas de McDonald's, d'Ikea, de Google, de Fiat, de Chrysler, d'Amazon Europe, de HSBC. Quant à certains groupes comme Coca Cola, Barclays, Walt Disney ou Facebook, ils tentent de négocier les conditions de leur audition ! On peut reprocher beaucoup de choses au système américain, mais quand le Congrès met en place une commission, aucune entreprise ne peut se soustraire à une audition. On en est loin ici. C'est même à se demander si une recommandation de ne pas s'y rendre émanant du plus haut niveau de la Commission ne leur a pas été adressée. L'autorité du Parlement est bafouée. Qu'une commission parlementaire, qui ne dispose pas, de surcroît, de pouvoirs exorbitants, ne puisse pas même imposer des auditions à de grands groupes qui bénéficient de rescrits très discutables témoigne d'une réelle faiblesse de l'Union européenne.

M. Jean-Yves Leconte. - Je remercie notre rapporteur. L'échange automatique d'informations est souvent considéré comme la panacée. Mais j'attire l'attention sur ce qu'il se passe déjà pour les personnes physiques. Nombre de conventions bilatérales ont été signées entre États membres, qui mobilisent considérablement les services fiscaux, parce que toutes sont différentes. On en arrive un peu à la situation des services de renseignements... Avoir l'information sans être capable de la traiter ne sert pas à grand-chose. La seule solution est d'aller au-delà, et de décider d'un certain nombre de principes communs. Il ne sera certes pas facile d'en venir rapidement à une assiette fiscale commune, tant ce qui est déductible, pour les entreprises, varie d'un pays à l'autre. Mais c'est un horizon qu'il faut avoir en tête, car l'échange automatique d'information charge la barque des services, au risque d'introduire de l'arbitraire dans les traitements. Ce n'est pas en compliquant les choses que l'on avancera : il faut insister sur la nécessité d'une harmonisation.

M. Éric Bocquet. - Chacun comprend bien que le sujet n'est pas purement technique. Pour certains, une fiscalité excessive justifie l'optimisation fiscale, qui ne serait qu'une mesure de bonne gestion. Soit, mais quid de la transparence ? On en est arrivé, en matière de fiscalité - laquelle n'est pourtant qu'un des paramètres de la gestion des entreprises, à côté de la qualité de la main d'oeuvre, des infrastructures, du prix de l'énergie, etc - à de véritables excès. J'ai récemment rencontré Margaret Hodge, parlementaire britannique qui a travaillé sur la fiscalité des grands groupes comme Starbuck, Amazon, Google. En 2013, Amazon a réalisé, au Royaume-Uni, un chiffre d'affaires de 4,3 milliards de livres et acquitté un impôt de 4,2 millions de livres - 0,1 %. On est assez loin de l'impôt excessif dont il a été question. L'impôt est une loi, votée par un parlement démocratiquement élu. J'ai du mal à imaginer qu'il puisse être négocié. Il existe un barème de l'impôt, auquel personne ne devrait échapper. Il est inacceptable de penser qu'il puisse être négocié, comme on l'a vu faire au Luxembourg. La Commission avait décidé de mener une enquête sur l'affaire Luxleaks : où en sont les évolutions dans ce pays ?

L'harmonisation fiscale n'est certes pas pour demain, tant la compétition fait rage. C'est un chantier immense pour l'Union européenne, qui a déjà du mal à avancer sur ACCIS. La règle de l'unanimité est, sans nul doute, un frein.

M. Claude Kern. - Les refus d'audition évoqués par André Gattolin sont une réalité. Alain Lamassoure a lancé un appel aux parlementaires présents pour qu'ils pèsent auprès des autorités de leurs pays, afin qu'elles lui prêtent la main.

M. André Gattolin. - La France n'est pas concernée, puisque la seule entreprise française convoquée s'est rendue à l'audition.

M. Claude Kern. - C'est juste, mais je crains malheureusement que cet appel ne soit pas répercuté dans tous les pays.

L'harmonisation de l'assiette est bien l'objectif. La première étape est de faire le point sur les déductions, très différentes selon les pays.

Les évolutions au Luxembourg ? La question a été posée, mais la réponse n'est pas venue.

M. Jean Bizet, président. - On est loin d'en être, sur ce sujet de la fiscalité, à l'épilogue. Il est vrai que la règle de l'unanimité en matière fiscale conduit à une forme de paralysie. On sait que nos amis anglais sont excessivement sourcilleux sur le sujet...

Nous continuerons à suivre les travaux de la commission Lamassoure, et nous pourrions envisager, le cas échéant, d'adopter une proposition de résolution européenne.

Économie, finances et fiscalité - Suivi des résolutions européennes du Sénat - Secret des affaires : communication de M. Claude Kern et échange de vues avec Mme Constance Le Grip, rapporteure au Parlement européen

M. Jean Bizet, président. - En juin 2014, nous avions adopté une proposition de résolution européenne sur la directive relative à la protection du secret des affaires. C'est Sophie Joissains qui en était la rapporteure. La résolution est devenue définitive le 11 juillet 2014.

Dans le cadre du suivi des résolutions européennes du Sénat, que nous réalisons régulièrement, il était important de faire un point sur l'état des négociations en cours. Je remercie Claude Kern d'avoir accepté de se charger de ce dossier. En outre, je remercie très sincèrement en votre nom à tous Constance Le Grip, qui est rapporteure de ce texte au Parlement européen, d'avoir accepté de venir échanger avec nous aujourd'hui sur ce dossier. Elle nous présentera l'état des travaux en cours au Parlement européen à l'issue de la communication de Claude Kern.

Nous souhaitons développer ce type de rencontres avec les rapporteurs du Parlement européen. C'est une façon d'aller vers une « coproduction législative ». Nous l'avons déjà fait, nous devons le faire davantage. Le traité de Lisbonne invite d'ailleurs à approfondir le dialogue avec les parlements nationaux et le Parlement européen. En outre, c'est une bonne première que de le faire avec une compatriote que je sais à l'écoute des préoccupations du Parlement français et du Sénat en particulier !

Je donne la parole à Claude Kern.

M. Claude Kern. - Le 4 juin 2014, notre commission, sur le rapport de notre collègue Sophie Joissains, avait adopté une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 11 juillet suivant, sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires, que la Commission européenne avait présentée le 28 novembre 2013.

1. Rappel sur la proposition de directive

Je rappelle que ce texte a pour objet de protéger les savoir-faire et les informations commerciales non divulguées, dits « secrets d'affaires », contre leur obtention, utilisation et divulgation illicites.

En effet, les secrets d'affaires ne peuvent généralement pas faire l'objet d'une protection au titre des droits de propriété intellectuelle, qui, eux, font l'objet d'une publication, et leur détenteur n'a donc pas de droits exclusifs sur les informations concernées qui relèvent davantage de la confidentialité. Pour autant, les particuliers comme les entreprises ont un intérêt réel à protéger ce type d'informations.

Or, les lois en vigueur dans les États membres varient fortement en matière de protection offerte contre l'appropriation illicite de secrets d'affaires. Généralement, ceux-ci ne sont ni définis ni protégés et s'inscrivent dans le droit commun de la responsabilité civile. La loi française est ainsi dépourvue de dispositions spécifiques relatives à la protection des secrets d'affaires, mais certains textes permettent de sanctionner l'accès frauduleux à des secrets. C'est le cas de l'article 1382 du code civil qui constitue le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Notons que l'article L. 1227-1 du code du travail, reproduit à l'article L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle, seule disposition pénale française en la matière, vise le vol de secrets de fabrique par des collaborateurs d'une entreprise1(*).

Le texte de la Commission ne comprend pas de dispositions pénales. En effet, la pénalisation de la captation des secrets d'affaires est quasiment inexistante en Europe et les États membres conservent la faculté d'instituer un délit spécifique qui viendrait compléter l'harmonisation de la procédure civile réalisée par la proposition de directive.

2. La résolution européenne du Sénat

Je rappelle que notre résolution européenne, dont le texte vous a été distribué pour mémoire, approuve l'objectif et les grandes lignes de la proposition de directive, en particulier l'harmonisation de la définition des secrets d'affaires dans l'Union européenne pourvu que cette harmonisation soit minimale. Elle fait de même pour ce qui concerne la reprise dans la proposition de directive de la définition des secrets d'affaires donnée par l'article 39 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

Notre résolution européenne fait valoir la nécessité de préserver l'équilibre auquel les négociations au Conseil sont parvenues sur la rédaction de l'article 8 de la proposition de directive relatif à la protection du caractère confidentiel des secrets d'affaires au cours des procédures judiciaires de manière à assurer leur protection tout en respectant les principes fondamentaux de la procédure civile. Elle prend également position sur des questions relatives au respect du principe de la publicité des débats et à plusieurs règles fondamentales de la procédure (accès aux pièces et à l'audience et publicité du jugement, pour l'essentiel).

Le Conseil Compétitivité du 26 mai 2014 avait approuvé à l'unanimité le texte de compromis auquel était parvenue la Présidence grecque et invité la Présidence à entamer les négociations avec le Parlement européen. La résolution européenne du Sénat est venue conforter les orientations qui donnent largement satisfaction aux États membres, dont la France, dans la perspective des débats devant le Parlement européen.

3. Un texte controversé qui a connu des développements nationaux

Il nous a semblé opportun de revenir sur cette proposition de directive dans le cadre du groupe de travail sur la propriété intellectuelle constitué au sein de notre commission, au titre à la fois du suivi des résolutions européennes que nous adoptons et du dialogue avec nos collègues députés européens puisque nous avons la chance de pouvoir échanger avec Constance Le Grip, rapporteure de la proposition de directive au Parlement européen.

Avant d'engager le débat avec notre collègue, je voudrais rappeler que la protection des secrets d'affaires a été évoquée au niveau national à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dit « projet de loi Macron ». L'Assemblée nationale avait en effet adopté des amendements présentés en commission par notre collègue député Richard Ferrand visant à introduire les secrets d'affaires et leur protection dans le code de commerce (peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende et de sept ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende en cas d'atteinte à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France).

Ces dispositions ont toutefois suscité de nombreuses critiques eu égard aux atteintes qu'elles pourraient porter à la liberté de l'information et à l'action des syndicalistes et des lanceurs d'alerte, en particulier de la part de Transparency International France, des sociétés des journalistes et des rédacteurs de grands médias, de l'Association de la presse judiciaire ou encore du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne. Ces derniers ont en effet considéré que, sous couvert de lutter contre l'espionnage industriel, les dispositions introduites risquaient d'établir une « censure de fait » et qu'elles pourraient empêcher de rendre publiques des affaires comme celles du Médiator, de l'amiante, de Karachi ou encore du Crédit Lyonnais.

Alors que le gouvernement avait déposé des amendements de manière à prendre en compte ces objections, les dispositions controversées ont finalement été retirées du projet de loi. Sans doute est-ce finalement une bonne chose car la transposition de la directive aurait pu être rendue délicate par la pré-existence d'un texte national.

Le débat se retrouve désormais au niveau européen et vise directement la proposition de directive, soixante organisations issues de neuf États membres, dont la Confédération européenne des syndicats, Wikileaks ou encore le Syndicat des avocats de France, ayant publié une tribune contre ce texte le 8 avril dernier.

Il me semble toutefois que ce texte a souffert d'une incompréhension sur ses intentions véritables. Le débat a viré à la polémique : le texte empêcherait les médias de mener leurs investigations et porterait atteinte aux droits des salariés.

Pourtant, le Conseil avait déjà évoqué ces questions et le compromis auquel il avait abouti comporte des dispositions visant à les prendre en compte. Ainsi le considérant 12 précise-t-il que « la protection des secrets d'affaires ne devrait pas s'étendre aux cas où la divulgation d'un tel secret sert l'intérêt général dans la mesure où elle permet de révéler une faute ou malversation ».

De même, l'article 4, alinéa 2 détermine les cas d'obtention, d'utilisation et de divulgation licites de secrets d'affaires et leurs exceptions, dont l'usage légitime du droit à la liberté d'expression et d'information ; la révélation d'une faute, d'une malversation ou d'une activité illégale, à condition que l'obtention, l'utilisation ou la divulgation présumée du secret d'affaires ait été nécessaire à cette révélation et que le défendeur ait agi dans l'intérêt public ; la divulgation du secret d'affaires par des travailleurs à leurs représentants dans le cadre de l'exercice légitime de leur fonction de représentation, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice ; et la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit national ou le droit de l'Union.

Nos collègues députés ont toutefois souhaité aller plus loin dans la proposition de résolution européenne qu'ils ont adoptée en demandant notamment l'exclusion des activités des journalistes du champ d'application de la directive, le renforcement de la protection des représentants des salariés et l'institution d'une forme d'exemption pour les lanceurs d'alerte agissant à titre individuel dans une démarche citoyenne.

La commission JURI du Parlement européen s'est réunie le 16 juin dernier et a adopté douze amendements qui apportent des modifications substantielles au texte. Constance Le Grip pourra nous en dire plus sur la façon dont le Parlement européen est parvenu à un équilibre entre la lutte contre l'espionnage industriel et la préservation de la liberté d'expression et d'information, ainsi que sur les échéances à venir pour ce texte.

Mme Constance Le Grip, rapporteure au Parlement européen. - Je vous remercie vivement pour votre invitation. Je suis moi aussi attachée au renforcement de la coopération interparlementaire et je souhaite qu'elle progresse. Il s'agit d'un enjeu pour la consolidation du fonctionnement de nos démocraties et les échanges entre le Parlement européen et les parlements nationaux doivent y contribuer.

Je rappelle que le Conseil avait abouti, le 26 mai 2014, à un compromis sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires. Après les élections européennes de mai 2014, le Parlement européen a repris ses travaux sur ce texte à la rentrée dernière. Sa commission des questions juridiques en est saisie au fond, alors que les commissions du marché intérieur et de la protection des consommateurs, d'une part, et de l'industrie et de la recherche, d'autre part, en sont saisies pour avis. Le vote de mon rapport par la commission JURI a eu lieu le 16 juin dernier et il a été adopté à une très large majorité, soit 19 voix pour, 2 voix contre, et 3 abstentions. À cette occasion, j'ai également obtenu mandat pour engager les négociations en trilogue. Celles-ci devraient démarrer en septembre et il est envisageable que le texte soit définitivement adopté au début de l'année prochaine.

Sur le fond, la commission, à mon initiative, a adopté douze amendements de compromis qui avaient été préalablement négociés avec les principaux groupes politiques. La commission a jugé utile l'existence d'un dispositif juridique permettant de définir ce qu'est un secret d'affaires et donnant aux entreprises un outil pour lutter contre leur divulgation. Elle a également manifesté la volonté de renforcer l'équilibre entre la protection des intérêts des entreprises et de l'innovation contre l'espionnage industriel, qui est aujourd'hui massif, et l'exercice des libertés fondamentales telles que les libertés d'expression et d'information, et la mobilité des salariés. Au cours des auditions que j'ai effectuées, beaucoup d'entreprises ont manifesté leur souhait de disposer d'un outil leur permettant d'instaurer la confiance avec leurs partenaires, et, par conséquent, d'affirmer des obligations de transparence et d'information.

Sur cette base, j'ai proposé un certain nombre de modifications au texte. Ainsi, ont été introduits des considérants allant plus loin dans l'affirmation de l'exercice des libertés d'information et d'expression et la protection des sources des journalistes. En outre, le considérant 12 précise que les États membres doivent appliquer la directive dans le respect de la liberté de la presse et des médias, conformément à la Charte européenne des droits fondamentaux. Ainsi, la directive ne pourra pas faire obstacle à l'exercice de la profession de journaliste. À l'article 1er, relatif au champ d'application du texte, une disposition a été introduite selon laquelle la directive ne doit en rien affecter la liberté et le pluralisme des médias. Le texte de l'article 4 a été restructuré de manière à le dédier aux exceptions. Une référence claire à la Charte européenne des droits fondamentaux et à la liberté des médias a été faite, ce qui aura des conséquences importantes au moment de la transposition de la directive dans les États membres. La référence à la protection de l'intérêt général du public vise les lanceurs d'alerte, même s'il n'existe pas encore de statut européen des lanceurs d'alerte, une réflexion étant toutefois ébauchée sur ce sujet au niveau européen.

M. André Gattolin. - J'observe que la notion d'« intérêt général du public » est extrêmement large et, par conséquent, sujette à de nombreuses interprétations. Par ailleurs, le principal reproche que l'on peut adresser à cette proposition de directive tient au flou du concept même de secret d'affaires, alors que les dispositions restrictives, elles, sont très précises. J'observe également une forte augmentation des frais de justice pour les entreprises de presse, de nombreuses entreprises harcelant les journalistes devant les tribunaux. Il faut surtout s'interroger sur l'existence de cas précis de violation des secrets d'affaires. En outre, je crains que l'application de ce texte mette en évidence de fortes inégalités entre ceux qui pourront se défendre en justice et ceux qui n'en auront pas les moyens. Ce texte est très imprécis et repose sur une étude d'impact peu crédible qui a été réalisée sur des critères partiaux et sous l'influence de grandes entreprises. De manière plus générale, on dit vouloir protéger les lanceurs d'alerte, mais cette notion n'est pas définie. Tout cela est incohérent. Je conclurai en posant une question : un rescrit fiscal non public constitue-t-il un secret d'affaires ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure au Parlement européen. - Je partage certaines de vos observations et je note que plusieurs réflexions sont en cours au niveau européen, en particulier sur les lanceurs d'alerte et sur les rescrits fiscaux. Je suis tout à fait favorable à ce que ces notions soient articulées avec la directive sur les secrets d'affaires. Je note également que de nombreuses avancées ont été obtenues sur ce texte depuis sa présentation par la Commission à la fin 2013.

M. André Gattolin. - Le déroulement des travaux de la commission sur les rescrits fiscaux présidée par Alain Lamassoure au Parlement européen illustre la difficulté à obtenir des informations de grandes entreprises qui refusent d'être auditionnées, ce qui porte atteinte à l'autorité du Parlement. Je considère que la proportionnalité et l'examen de cas concrets doivent présider à l'élaboration d'un texte législatif. Dans le cas d'espèce, il s'agira de voir quelles entreprises pourront concrètement utiliser ce texte et je doute que ce soit des PME, ne serait-ce qu'en raison du coût élevé des contentieux. Le débat me semble revêtir une dimension bien plus large alors que l'industrie européenne rencontre des difficultés pour se protéger.

Mme Constance Le Grip, rapporteure au Parlement européen. - Vous avez raison, mais la proposition de directive n'a pas vocation à couvrir ce type de problématique. Il s'agissait initialement de protéger le patrimoine immatériel des entreprises, alors que le brevet européen venait enfin d'entrer en vigueur. Il s'agissait aussi d'harmoniser des dispositions nationales disparates. Je note d'ailleurs que la base juridique du texte est l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui concerne le rapprochement des législations nationales en vue de favoriser le marché intérieur. Les négociations qui vont commencer avec le Conseil vont également permettre d'améliorer encore le texte. Je continue de faire d'ailleurs des auditions, en particulier d'associations de journalistes et de lanceurs d'alerte. L'intention générale de notre commission n'était pas de dénaturer et de vider de sa substance la proposition de directive.

M. Jean Bizet, président. - Je remercie encore une fois Constance Le Grip et je propose que l'on revienne sur cette question, éventuellement sous la forme d'une proposition de résolution européenne.

La réunion est levée à 11 h 10.


* 1 Peine d'emprisonnement de deux ans et amende de 30 000 euros.