Mercredi 30 septembre 2015

- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -

Nouvelle croissance chinoise - Examen du rapport d'information

La commission examine le rapport d'information de M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret, co-présidents du groupe de travail sur la « nouvelle croissance » chinoise.

M. Henri de Raincourt. - Décidé il y a presque une année, le thème de la nouvelle croissance en Chine et de ses conséquences sur le monde et sur la France a prouvé sa pleine actualité cet été. Durant le mois d'août, l'évolution monétaire et boursière dans ce pays a été au centre de l'actualité ; certains parlent de crise, d'autres de soubresauts.

Hélène Conway-Mouret, André Trillard, Bernard Cazeau et moi-même avons mené une série d'auditions durant le printemps et effectué un déplacement en Chine courant septembre, accompagnés par notre Président, Jean-Pierre Raffarin, dont tout le monde mesure la très grande connaissance de la Chine. Ce déplacement nous a permis de mener des entretiens de très haut niveau à Pékin et à Shanghai, avec des autorités chinoises et de nombreux Français installés en Chine ; nous nous sommes également rendus en province, dans la ville de Guilin.

Nous n'avons pas la prétention de réaliser une thèse universitaire mais souhaitions nous poser quelques questions simples : où en est l'économie chinoise aujourd'hui ? Quelles sont ses perspectives d'évolution ? Quelles sont les opportunités pour la France ?

Tout d'abord, où en est l'économie chinoise aujourd'hui ?

Nous sommes tous conscients de la formidable croissance économique qu'a connue ce pays depuis presque quarante ans maintenant mais je pense que, finalement, nous sous-estimons collectivement le phénomène. Depuis la fin des années 1970 et les réformes engagées par Deng Xiaoping, la croissance a été supérieure à 10 % par an ! Selon la Banque mondiale, la Chine a ainsi connu une croissance plus rapide que tout autre pays au cours de l'histoire. Cette croissance a été exponentielle ces dix dernières années, ce qui correspond globalement à l'entrée de la Chine dans l'OMC : en 1990, le PIB chinois représentait 7 % de celui des Etats-Unis, il en atteignait 12 % en 2000 et en dépasse aujourd'hui les 60 %. La Banque mondiale estime même que si l'on corrige les distorsions liées à ce que les économistes appellent les parités de pouvoirs d'achat, l'économie chinoise a dépassé en 2014 celle des Etats-Unis. La Chine est donc d'ores et déjà la deuxième, voire la première, économie mondiale.

Pour autant, le modèle de développement qui a assuré cette réussite exceptionnelle repose sur un certain nombre de fragilités ou particularités qui le rendent non soutenable à long terme.

D'un strict point de vue économique, ce modèle est basé sur une puissante industrie exportatrice, de faible valeur ajoutée et s'appuyant sur une main-d'oeuvre nombreuse et à bas coût. Or le développement économique a nécessairement été accompagné d'une progression notable des salaires, ce qui a entraîné un gain sensible du pouvoir d'achat d'une part importante de la population : elle s'est élevée ces dernières années à environ 15 % par an dans la région de Shanghai, soit nettement plus que l'inflation. Ainsi, les régions traditionnelles de développement, sur la côte Est de la Chine, ne sont plus autant compétitives sur les produits qui ont fait leur force et on assiste à d'importantes délocalisations, soit vers l'intérieur du pays, soit vers des pays à plus bas coûts.

19 des 29 principaux secteurs industriels chinois sont considérés comme en surcapacité : dans l'acier, l'aluminium, le ciment, le verre ou la construction navale, le taux d'utilisation des capacités oscille entre 70 % et 75 %, ce qui est particulièrement faible. Cette situation a été amplifiée par le plan de relance massif décidé par les autorités pour contrecarrer les effets de la crise mondiale de 2008-2009.

Ce plan de relance massif a certes permis à la Chine de « passer » la période délicate d'une faible demande mondiale mais il a entraîné une augmentation importante de la dette des autorités locales. Soumises à des obligations de résultat en termes de croissance tout en ne disposant que de moyens très limités pour s'endetter, celles-ci ont développé des politiques de contournement qui font aujourd'hui peser un risque global identifié mais encore mal mesuré. Elles ont notamment créé des structures spécifiques de financement peu transparentes et ont eu recours à du « shadow banking » dont l'encadrement prudentiel est faible. Au total, l'endettement des agents non financiers est relativement élevé en Chine (230 % du PIB) mais il s'agit presque uniquement de prêteurs nationaux, non internationaux, ce qui diminue la sensibilité au risque.

Par ailleurs, les inégalités sociales et territoriales sont très importantes et, alors qu'en volume, le PIB chinois s'approche de celui des Etats-Unis, le PIB par habitant reste très éloigné des standards des pays développés. Il a lentement progressé pour atteindre environ 7 500 dollars en 2014 contre presque 55 000 aux Etats-Unis ou presque 46 000 en France, soit un écart qui reste très important.

Autre phénomène connu sur lequel nous ne nous étendrons pas : la consommation excessive des ressources naturelles. Pollution de l'air, des sols ou de l'eau, part majoritaire du charbon et des énergies fossiles dans la consommation d'énergie : durant toute cette période de croissance, la priorité n'était pas - on peut en comprendre les raisons - à la protection de l'environnement.

Dernier aspect important, la démographie. La politique de contrôle des naissances mise en place depuis plus d'une trentaine d'années a des effets déterminants. La population chinoise est presque arrivée à un palier, elle ne va plus croître dans les prochaines années et, surtout, elle commence à vieillir, phénomène qui va s'accentuer très sensiblement. Il y a environ cinq ans, la population âgée de plus de 60 ans représentait 10 % de la population totale ; ce chiffre aura doublé en 2025. La population active diminue d'ores et déjà et le rapport entre les actifs et les inactifs se dégrade irrémédiablement. Il subsiste certes un « réservoir » important de main-d'oeuvre rurale qui émigre en ville mais, d'une part, il diminue, d'autre part, ces populations ne sont plus prêtes à accepter tous les sacrifices.

D'ailleurs, deux éléments nous ont été mentionnés à plusieurs reprises en ce qui concerne la population active : le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur a beaucoup augmenté mais ces jeunes ont de grandes difficultés à trouver un travail à la hauteur de leurs qualifications ; par ailleurs, le « turn-over » dans les entreprises est très élevé, celles-ci ayant les plus grandes peines du monde à fidéliser leurs employés.

Ainsi, de nombreux analystes se posent la question de savoir si la Chine ne va pas « vieillir avant de s'être enrichie ».

Les autorités chinoises sont pleinement conscientes de ces différentes difficultés et évolutions.

En 2013, la Banque mondiale et le Development Research Center, think tank très influent qui dépend directement du Conseil d'Etat chinois, équivalent de notre Gouvernement, et dont nous avons rencontré le président à Pékin, ont conjointement publié un rapport qui a fait date : « Chine 2030 : construire une société moderne, harmonieuse et créative ». Lancé dès 2010, ce travail conjoint de 500 pages tire les leçons de trente ans de croissance et évoque la méthode pour éviter ce que les économistes appellent la « trappe des pays à revenus intermédiaires », c'est-à-dire l'incapacité pour certains pays, après une phase de croissance rapide, à rejoindre le groupe des économies avancées.

Ce rapport « Chine 2030 » rappelle les décisions prises dans le cadre du 12e plan quinquennal (2011-2015) pour éviter ce risque : « qualité » de la croissance ; réformes structurelles notamment en faveur de l'innovation et de l'efficacité économique ; inclusion sociale pour surmonter la division entre urbain et rural et l'écart dans la répartition des revenus.

Ces orientations ont été réaffirmées et amplifiées par les nouveaux dirigeants arrivés au pouvoir à la fin de 2013. En mai 2014, le Président Xi Jinping évoque, par exemple et pour la première fois, une phase de « nouvelle normalité » : prenant acte du vieillissement de la population, de la réduction de l'excédent de main-d'oeuvre agricole, de la diminution de la croissance potentielle ou encore de la fin du modèle de production à faible coût, cette nouvelle normalité vise une montée en gamme de l'économie avec l'accent mis sur les nouvelles technologies et l'innovation dans tous les secteurs. Nous avons aussi entendu plusieurs fois, lors de notre déplacement, la volonté de « donner un rôle décisif au marché », même si la déclinaison de ce principe est variable.

En mai 2015, les autorités ont annoncé un vaste plan « Made in China 2025 » qui engage la transition du « fabriqué en Chine » vers le « conçu en Chine », de la rapidité vers la qualité et des produits vers les marques. Priorité sera ainsi donnée aux hautes technologies, à la robotique, à l'ingénierie spatiale et à d'autres secteurs faisant appel aux technologies de pointe.

Alors que l'ancien modèle de croissance entraînait un niveau élevé des investissements dans le PIB au détriment de la consommation, ainsi qu'un taux d'épargne particulièrement important, la réorientation économique vise le développement de la consommation et des services.

L'importance du taux d'épargne des ménages (environ 40 % du revenu contre 16 % en France ou 10 % en Allemagne) est une caractéristique de l'économie chinoise. Elle résulte de plusieurs facteurs : auto-assurance face à l'avenir ou à un régime de protection sociale encore très insuffisant ; précaution en vue d'un achat immobilier. Le système de protection sociale s'est certes rapidement développé depuis le milieu des années 2000 mais il reste fragmenté, inégal selon les territoires et les populations et insuffisant en termes de couverture. La Chine est ainsi confrontée à la nécessité de renforcer son système de protection sociale pour réorienter l'épargne vers la consommation et faire face au vieillissement.

Dans ce contexte global, quelles sont les perspectives de l'économie chinoise ?

La réorientation d'une économie, en particulier lorsqu'elle atteint un volume aussi impressionnant et dans un contexte mondial déprimé, n'est pas chose facile ! Il est impossible de faire table rase du passé et toute évolution est nécessairement progressive.

Les autorités chinoises ont lancé une vaste réforme du financement de l'économie et du système financier : libéralisation quasi-intégrale des taux d'intérêt, dispositif de garantie des dépôts, connexion entre les bourses de Shanghai et de Hong Kong, etc. Elles ont notamment encouragé le développement de la bourse de Shanghai, en incitant par exemple les Chinois à y investir. Or cette bourse, qui est beaucoup moins connectée à l'économie réelle que ce que nous connaissons en Europe ou aux Etats-Unis, est encore mal régulée ; elle connaît une volatilité importante. Cet été, la presse internationale s'est ainsi fait l'écho de fortes baisses des indices qui ont chuté d'environ 40 %. Mais il faut savoir que la bourse de Shanghai avait augmenté de 150 % en un an ! Il est certain que nombre de petits porteurs ont vu leurs espoirs, et parfois leur capital, s'évaporer ainsi, mais l'impact réel de la baisse du mois d'août sur l'économie est faible.

On peut également citer le secteur de l'énergie. La Chine adopte, contrairement à ce qui s'était passé à Copenhague, une attitude positive dans le cadre des négociations de la COP21 et entend réorienter ses sources d'énergies (développement des énergies renouvelables ou du nucléaire), mais elle ne pourra pas se passer d'une part importante de centrales thermiques à charbon même si elle promeut la construction de centrales plus modernes respectant de meilleures normes de qualité. En outre, des problèmes de réseaux et d'aménagement global se posent d'ores et déjà ; la Chine a par exemple construit de très importants parcs d'énergie solaire mais a des difficultés à utiliser l'électricité produite en raison de problèmes de raccordements. Là aussi, les autorités font preuve d'un grand pragmatisme : l'accroissement des normes environnementales permet de fermer des centrales anciennes et de résorber des surcapacités existantes...

Sur le plan macro-économique, les autorités chinoises ont abaissé leurs objectifs de croissance pour le fixer autour de 7 %. Elle s'est élevée à 7,4 % en 2014. Certains analystes s'effraient de cette évolution mais, d'une part, il s'agit encore d'une des croissances les plus élevées au monde, d'autre part, soyons également conscients que l'assiette sur laquelle s'applique le taux de croissance est beaucoup plus large qu'auparavant : 7 % de création de richesse sur le PIB d'aujourd'hui représente un volume supérieur à 10 % sur le PIB d'il y a dix ans.

Au total, l'économie chinoise est particulièrement robuste. Nous devons notamment toujours tenir compte de « l'effet volume » lié aux dimensions de la Chine. Tout est « hors de proportion », au sens littéral du terme, par rapport à ce que nous pouvons connaître. La classe moyenne haute, qui consomme beaucoup, est à la taille de l'Allemagne tout entière !

Qui plus est, les réserves financières du pays sont extrêmement élevées : les réserves de change sont supérieures à 4 000 milliards de dollars et la balance commerciale reste largement excédentaire. En outre, les pouvoirs publics continuent de disposer de moyens d'action considérables sur l'économie, que ce soit en termes financiers ou en termes administratifs et humains. Ils mettent en oeuvre des plans quinquennaux qui définissent une stratégie de moyen et long terme qui s'applique effectivement à l'économie réelle.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il est évident que cette phase de transition symbolisée par une croissance moins dynamique entraîne des risques et des tensions, notamment sociales. Une large part de la population n'a connu que des années de croissance à deux chiffres, avec une amélioration rapide et constante de ses conditions de vie. Or la réduction des surcapacités, la réorganisation (synonyme en fait de privatisation) de nombre d'entreprises publiques, notamment celles contrôlées par les pouvoirs locaux, ou le développement des services au détriment des industries traditionnelles a un effet manifeste sur l'emploi.

Le pouvoir chinois exerçant encore un contrôle politique très puissant - ayons toujours en tête que le Parti communiste chinois regroupe entre 80 et 90 millions d'adhérents -, les tensions peuvent s'exprimer dans des revendications sociales (salaires, conditions de travail,...) mais surtout environnementales. La sensibilité de la population vis-à-vis des questions écologiques est un véritable défi pour les autorités aujourd'hui, comme l'ont montré les réactions à la suite de scandales sanitaires, de pics de pollution ou d'accidents industriels comme cet été dans le port de Tianjin près de Pékin.

On peut d'ailleurs souligner à ce stade l'ambivalence des évolutions récentes de la Chine. Ainsi, lorsque les autorités ordonnent la fermeture des usines près de Pékin lors de sommets internationaux ou de grands événements comme la grande parade qui a eu lieu le 3 septembre pour commémorer le 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, les Pékinois se souviennent qu'il est possible de voir un ciel bleu... Ils ont d'ailleurs inventé l'expression « bleu APEC » car la fermeture des usines, qui a permis d'obtenir ce ciel bleu, a eu lieu pour la première fois lors d'un sommet APEC des pays du Pacifique. Une décision des autorités peut donc avoir un effet indirect de prise de conscience.

Le secteur immobilier est un autre exemple de complexité. Dopé par plusieurs plans massifs d'investissement, ce secteur connaît certes une bulle spéculative mais il conserve d'importants gisements de croissance dans de « plus petites » villes, celles qui ne font que 5 ou 10 millions d'habitants... D'autant que, même s'il s'est réduit, le réservoir de main-d'oeuvre rural reste important : au moins 200 millions de personnes sont susceptibles de rejoindre les villes dans les prochaines années. L'urbanisation atteint déjà environ 50 % et les autorités anticipent un taux de 60 % dans les cinq ans à venir, ce qui représente un certain nombre de logements et d'infrastructures à construire...

Autre exemple particulièrement intéressant : internet. En interdisant l'activité de plusieurs entreprises américaines dans le domaine du numérique, la Chine a réussi à constituer des champions nationaux qui peuvent s'appuyer sur un marché absolument gigantesque, plus de 600 millions d'internautes. Selon une étude internationale, le poids du numérique dépasse 9 % du PIB en Chine contre 5 % en France ou en Allemagne. Trois géants dominent le marché et se font concurrence : Alibaba, Baidu et Tencent. Surtout, les acteurs innovent en permanence, comme le montre le développement incroyable de l'application « WeChat » qui conjugue réseau social de type Facebook ou Twitter et commerce en ligne, puisqu'il inclut une capacité de paiement direct, et téléphonie gratuite. Et c'est là où nous touchons du doigt la grande complexité du monde chinois : d'un côté, internet et les réseaux sociaux sont très étroitement contrôlés par les autorités qui censurent lorsqu'une activité devient trop importante sur un sujet politique sensible ; d'un autre côté, le commerce numérique et l'utilisation des nouvelles technologies par la population sont bien plus avancés que dans nos pays.

Le risque de tensions liées aux évolutions économiques explique sans doute en partie la grande politique de lutte contre la corruption lancée par le Président chinois dès son arrivée au pouvoir. Certains estiment que cette politique volontariste a permis aux nouveaux dirigeants d'écarter des opposants internes ; il est certain qu'elle va bien au-delà. Face aux excès de la période précédente, elle permet de donner des gages à la population en mettant en avant la « frugalité » des dirigeants pour assurer l'acceptation d'une moindre augmentation de l'économie, donc des salaires et du niveau de vie.

Beaucoup estiment que cette politique devrait durer au moins jusqu'au renouvellement des instances dirigeantes du Parti en 2017, mais elle a également pour conséquence indirecte de ralentir les processus de décision, ce qui n'est pas positif dans un contexte de transition. Par ailleurs, cette politique pèse sur certains secteurs économiques, comme dans le luxe. Cependant, tout le luxe n'est pas touché, seul celui qui est trop ostentatoire, ce qui nécessite de repenser certains concepts de développement et de s'appuyer sur des marques ayant une image de qualité et de long terme.

Au-delà des réformes internes, les autorités chinoises ont décidé, pour reprendre une expression que nous avons entendue lors de notre déplacement, de projeter leur économie à l'international.

L'objectif d'internationalisation de la monnaie est clairement affiché et passe par de multiples mesures, notamment des accords de compensation signés avec plusieurs pays. Alors que le FMI considère depuis plusieurs mois que le yuan n'est plus sous-évalué par rapport aux principales monnaies internationales dont le dollar, la question de sa pleine convertibilité est posée. Les répercussions mondiales d'une petite dévaluation du yuan (environ 4 % en deux jours) ont montré, cet été, la réalité de l'internationalisation de l'économie chinoise et de sa monnaie.

Le Gouvernement encourage aussi les entreprises chinoises à participer à des projets d'infrastructure à l'étranger et à coopérer avec des entreprises étrangères hors de Chine. En 2014, les investissements directs chinois à l'étranger ont dépassé les 100 milliards de dollars ; en 2015, ils continuent de progresser pour atteindre 130-140 milliards et devraient ainsi, pour la première fois, être supérieurs au montant des investissements étrangers en Chine. Les investissements chinois se diversifient : outre les secteurs traditionnels de l'énergie et des exploitations minières ou agricoles, ils concernent désormais les services ou le tourisme.

La recherche de relais de croissance à l'étranger a été conceptualisée à partir de 2013 par le Président Xi Jinping au-travers de la politique de « nouvelle route de la soie ». Cette initiative, qui n'a pas de cadre juridique, politique ou géographique précis, se décline en une route « terrestre » allant de Chine en Europe par l'Asie centrale et en une route « maritime », qui constitue plutôt un chapelet d'initiatives dans des ports ou des infrastructures permettant de relier la Chine, l'Inde, l'Afrique et l'Europe. Ce projet aussi appelé « une ceinture, une route » participe à la fois d'une projection à l'international de la stratégie chinoise mais aussi d'un discours à visées intérieures relatif au « rêve chinois », thème souvent développé par le Président Xi Jinping.

Pour assurer la mise en oeuvre de ces différentes initiatives, les autorités chinoises ont suscité la création d'institutions financières dédiées. Il s'agit notamment :

- d'un fonds de la route de la soie doté de 40 milliards de dollars chargé d'investir principalement dans les infrastructures, le développement des ressources, ainsi que dans la coopération industrielle et financière ;

- d'une banque de développement fondée par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et chargée d'investir, dans un premier temps, dans ces pays pour des projets structurants. Dotée de 50 milliards de dollars de capital aujourd'hui, cette banque pourra également jouer un rôle en matière de stabilité monétaire pour ses pays membres ;

- d'une banque asiatique d'infrastructure et d'investissement (AIIB selon son acronyme anglais), dotée d'un capital de 100 milliards de dollars et dont le rôle est de financer des projets de développement en Asie.

La création de ces outils spécifiques, substantiellement dotés en capital, permet à la Chine de contourner les organismes de Bretton Woods (banque mondiale et FMI) dans lesquels son poids est faible, en particulier en raison du blocage de la réforme des droits de vote par le Congrès américain. Cependant, la Chine cherche également à mieux intégrer ces organisations, par exemple en souhaitant que le yuan intègre le panier des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.

Enfin, on peut mentionner ici l'activisme de la Chine à négocier des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ; elle en a par exemple conclu avec le Chili et avec l'Australie, accords qui prévoient notamment des droits de douane nuls sur les vins, ce qui nuit à nos propres exportations. Et deux projets régionaux sont en concurrence, celui suscité par les Américains (le traité transpacifique) et celui promu par les Chinois au sein de l'ASEAN.

Quelles sont dans ce contexte les opportunités pour la France ?

Alors que la France a particulièrement souffert, comme beaucoup d'économies occidentales, du modèle chinois fondé sur des exportations massives à bas coût, la réorientation vers une croissance plus qualitative et tournée vers la consommation et les services peut offrir des opportunités indéniables. Certes l'économie chinoise ralentit mais les volumes sont conséquents et les conseillers du commerce extérieur que nous avons rencontrés nous ont bien montré que l'activité économique est très variable selon les secteurs et que leur activité est encore souvent très dynamique.

Depuis plusieurs années, la France a réorganisé sa politique de soutien à l'export ; nous en avons notamment parlé lors du colloque organisé par notre commission avant l'été relatif à la diplomatie économique. La Chine fait partie des pays concernés par les quatre « familles prioritaires » définies depuis 2012 pour mettre l'accent sur des secteurs économiques spécifiques : mieux se nourrir ; mieux se soigner ; mieux vivre en ville ; mieux communiquer.

Ainsi, le secteur de l'agroalimentaire, y compris l'importante question pour les Chinois de la sécurité alimentaire, le secteur de la santé, du médico-social et de la protection sociale en général ou encore le secteur de la gestion des services publics locaux ou de l'aménagement urbain durable constituent des opportunités où la France dispose d'expertise et d'entreprises dynamiques. On peut aussi mentionner le développement, là aussi exponentiel, du tourisme : 100 millions de Chinois ont voyagé à l'étranger en 2014 et y ont dépensé 165 milliards de dollars.

Dans le domaine de la santé, les besoins sont très importants, tant en termes d'organisation du système, par exemple dans la gestion et le fonctionnement des hôpitaux, que de produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux,...). Les dépenses de santé sont passées de 156 milliards de dollars en 2006 à presque 700 milliards cette année, avec une population désormais couverte quasiment à 100 % par une assurance santé. Plusieurs segments sont fermés aux entreprises étrangères, comme les vaccins, mais certaines, nous avons par exemple visité BioMérieux à Shanghai, sont très bien installées et sont particulièrement dynamiques.

La France dispose également d'atouts en matière d'expertise, qui constitue souvent une première étape d'une implantation économique et qu'elle doit mieux valoriser.

C'est l'une des raisons d'être des actions de l'AFD en Chine. Nous nous sommes intéressés aux actions de l'agence en tant que rapporteurs de l'aide au développement et l'on constate qu'elle joue un rôle d'influence en faveur de la diplomatie économique. Elle est présente en Chine depuis 2004 et sa logique d'intervention est fondamentalement différente de ce qu'elle peut être dans les pays pauvres prioritaires et plus généralement en Afrique. L'AFD intervient uniquement sous forme de prêts accordés aux conditions de marché, sans coût pour l'Etat. Elle participe au financement d'un nombre limité et ciblé de projets : 24 ont été conclus depuis 10 ans, dont 12 sont terminés, pour un montant total d'engagements cumulés d'environ 1,2 milliard d'euros. Trois secteurs sont privilégiés : l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables ; le développement urbain durable ; la protection de la biodiversité et des ressources naturelles. L'AFD, qui ne distribue pas de subvention en Chine ni ne bonifie les prêts qu'elle accorde, cherche à mettre en valeur l'offre française d'expertise et les savoir-faire, en particulier dans des secteurs économiques où les entreprises françaises sont bien positionnées et disposent d'une valeur ajoutée certaine.

Par ailleurs, mais cela peut avoir un lien avec l'AFD, la France et la Chine réfléchissent à la mise en place d'outils pour travailler ensemble dans des pays tiers, notamment en Afrique. C'était l'un des objets de la visite en Chine du Premier ministre au début de l'année. La Chine a beaucoup investi, en particulier dans les pays dotés de matières premières essentielles à son développement. Mais nous avons tous constaté en Afrique qu'après une phase de fort rapprochement, les liens sont finalement plus difficiles à stabiliser que prévu pour la Chine. La France peut naturellement aider et nos deux pays peuvent développer des intérêts réciproques ; nous devons cependant rester vigilants sur les modalités de mise en oeuvre d'une telle politique.

Autre point, nous avons vu que la Chine a prévu un programme d'investissements importants dans le monde, notamment par l'intermédiaire des entreprises chinoises publiques ou privées. Ces investissements doivent être vus comme des opportunités, non comme des menaces. Souvenons-nous des années 70-80 avec la grande peur que les investissements japonais ou coréens « n'avalent » l'économie française, ce qui ne s'est naturellement pas produit.

Les Chinois ciblent leurs investissements, veulent naturellement acquérir les techniques qui leur manquent, mais ils ont une réelle vision de long terme et développent plutôt une approche partenariale. Certes nous devons rester vigilants là aussi mais la meilleure réponse, celle qui est positive en tout cas, consiste à toujours avoir une technologie ou une expertise d'avance... et donc à innover ! Il nous faut également mieux accompagner ces investissements pour que l'opinion publique les comprenne et n'en soit pas effrayée, ce qui serait contre-productif pour notre économie.

M. Henri de Raincourt. - En conclusion, nous tirons de nos auditions et, surtout, de notre déplacement, un message d'optimisme et de confiance.

L'économie chinoise est dorénavant un élément clé de l'économie mondiale, dans laquelle elle est pleinement intégrée, comme on a pu le constater a contrario cet été ; son précédent modèle de développement n'était pas soutenable et les autorités ont pris des décisions depuis trois ou quatre ans pour résolument réorienter la croissance vers plus de qualité sociale et environnementale, vers les services, vers la consommation.

Le mouvement sera progressif, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas imaginable de tourner le dos à quelque chose qui fonctionne encore. En outre, une telle phase de transition n'est pas exempte de crispations ou de raidissements, qu'ils soient politiques ou économiques.

Mais il s'agit, à notre sens, d'une chance pour la France si nous réussissons à adopter une démarche ciblée et cohérente et si nous entraînons l'Europe dans un dialogue global avec la Chine.

Après de nombreuses rencontres en Chine, ce sont vraiment les mots de confiance et d'optimisme dans ce pays qui ressortent. Beaucoup de nos compatriotes mettent cependant en avant les problèmes de qualité de l'air ou de l'alimentation, ainsi que les difficultés grandissantes face aux administrations ou aux réglementations dispersées et ressemblant parfois à du protectionnisme.

L'un de nos interlocuteurs travaillant dans l'économie numérique nous disait à Shanghai que la Chine est à la fois plus massive et plus véloce que les autres économies. C'est une réalité dont nous devons être conscients. Nous ne pouvons finalement pas être vraiment concurrents de la Chine qui, par bien des aspects, est « hors catégorie » ; nous devons être partenaires dans une démarche d'intérêts bien compris, en misant sur nos atouts.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Ce rapport intervient à un moment particulièrement intéressant, puisque le Président Xi Jinping est aux Etats-Unis, notamment à New York pour la session annuelle des Nations unies.

La politique chinoise a toujours été une politique de discrétion. Le grand maréchal chinois est celui qui gagne les batailles sans avoir à les livrer... Mais ceci n'est plus possible aujourd'hui sur le plan économique au regard de l'importance qu'a prise ce pays dans l'économie mondiale. Nous assistons ainsi à l'émergence de la Chine, au nom de l'économie, ce qui révèle au fond un rapport de forces latent avec les Etats-Unis. Dans un contexte de morosité économique mondiale, la question est de savoir qui sera l'acteur de la croissance.

La Chine s'appuie notamment sur l'innovation qu'elle favorise constamment et sur son changement de modèle qu'elle met en oeuvre d'une manière inimaginable pour nous : les dépenses publiques ont été réduites de 20 % en deux ans ; 200 000 entreprises sont réorganisées... Elle a bien compris que son ancien modèle, massif et menaçant pour la planète, était à bout de souffle. Ce changement qui est exigeant pour l'opinion publique, les salariés, est accompagné de mesures de lutte contre la corruption et de modernisation du parti.

La Chine a la volonté de se projeter à l'extérieur, notamment en créant des outils multilatéraux qui ne soient pas dominés par les Etats-Unis ou en développant des actions communes dans des pays tiers, par exemple avec la France, que ce soit en Amérique latine ou en Afrique.

Ces évolutions posent naturellement des questions aux entreprises françaises mais offrent aussi des opportunités et des points d'appui particulièrement intéressants, si tant est que nous inscrivions nos actions dans ce contexte global et que nous développions une véritable réflexion sur nos relations avec la Chine au niveau européen.

M. Jeanny Lorgeoux. - Tous les empires à travers l'Histoire connaissent un cycle d'émergence, puis de déclin, voire de guerre. La croissance économique n'est-elle pour les Chinois que l'instrument maîtrisé de la construction d'un empire, ou bien cette croissance finira-t-elle par détruire de l'intérieur la dictature communiste ?

M. Daniel Reiner. - Les pays voisins manifestent une certaine inquiétude vis-à-vis de la puissance chinoise, notamment face à ses revendications sur des îles de la mer de Chine et à la montée en puissance de son industrie d'armement. La Chine fait-elle réellement preuve d'agressivité ?

M. Jean-Paul Emorine. - Les dirigeants chinois ont très bien compris l'économie de marché et ont le sens de la globalisation, comme on le voit lorsqu'ils investissent dans Peugeot ou couplent leurs achats d'Airbus à des transferts de technologie. Est-il toujours vrai que, chaque année en Chine, 10 millions de personnes atteignent le niveau de vie européen moyen ? Par ailleurs, alors que la France dispose de 28 millions d'hectares de terres agricoles pour 65 millions d'habitants, et les États-Unis 375 millions d'hectares pour 300 millions d'habitants, la Chine dispose de 140 millions d'hectares, soit l'équivalent de l'espace agricole européen, pour 1,3 milliard de personnes : c'est un lourd enjeu en termes d'approvisionnement et de sécurité alimentaires.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Il me semble que la relation de la Chine avec Taïwan est normalisée et apaisée. Cette question est-elle abordée dans votre rapport ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - L'inquiétude devant la puissance chinoise est réelle en Asie et en Afrique, d'autant que la Chine assume désormais sa place. La Chine n'avance plus masquée : le Président et le Premier ministre assument explicitement le fait qu'ils représentent la première ou deuxième puissance mondiale. Il y a cependant une volonté de partenariat qui peut permettre à la France de jouer un rôle, en particulier dans le domaine de l'énergie et des besoins alimentaires. La Chine vide ses campagnes pour soutenir son essor économique et doit de plus en plus aller chercher sa nourriture à l'extérieur du pays. Nous n'avons pas intégré la relation avec Taïwan dans le cadre de notre étude, qui avait une portée avant tout économique.

M. Henri de Raincourt. - Le constat qu'un pays d'1,3 milliard d'habitants est capable, en une décennie, de changer de système, ne peut que conduire à mesurer la puissance chinoise. Pour autant, l'entrée dans le capital de Peugeot, par exemple, n'a pas consisté en une prise de contrôle. De même, en Afrique, les Chinois se rendent bien compte qu'il ne suffit pas de construire un pont ou un hôpital pour susciter la confiance. Ils souhaitent d'ailleurs coopérer avec la France afin de bénéficier de nos liens traditionnels avec le continent africain. Or, la paix du monde de demain dépend davantage, selon moi, de la situation de l'Afrique que de la croissance chinoise. Il est vrai que les voisins de la Chine sont inquiets. Enfin, la question de la sécurité alimentaire nous semble en effet très importante.

Mme Nathalie Goulet. - Évoquez-vous dans ce rapport la question des difficultés rencontrées en matière d'obtention de visas ?

M. Henri de Raincourt. - Nous en avons parlé avec le Consul général de France à Shanghai et à l'occasion d'une réunion avec la chambre de commerce franco-chinoise.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La France a fait de gros efforts dans ce domaine. Les entreprises françaises rencontrent aussi réciproquement des difficultés pour s'installer en Chine : en cette période de transition économique, il existe un réel protectionnisme visant à protéger les entreprises chinoises. En ce qui concerne la question de la nature de la puissance chinoise, il faut noter que le président chinois parle d'« émergence pacifique ».

M. Michel Boutant. - Qu'en est-il du problème du vieillissement de la population ? Comment comprendre par ailleurs l'expansion démographique rampante en Sibérie et en Asie centrale ? Ce mouvement n'est-il pas de nature à inquiéter certains pays ?

M. Henri de Raincourt. - Je ne pense pas qu'il y ait là une politique délibérée : il s'agit d'une émigration de travail, qui est une constante de l'histoire chinoise.

M. Cédric Perrin. - Dans nos travaux sur le climat, nous avons identifié un phénomène important : la fonte du pergélisol sibérien due au réchauffement climatique, qui rendra bientôt possible la mise en culture de terres jusqu'alors gelées en Sibérie. Il s'agit là d'un enjeu très important.

Mme Hélène Conway-Mouret. - En ce qui concerne la question démographique, il faut souligner que la prise de conscience du vieillissement du pays a provoqué un assouplissement sensible de la politique de l'enfant unique.

M. Jean-Pierre Raffarin. - M. Obama vient de décider de la création de visas de 10 ans à destination des jeunes Chinois. Il y a déjà une dizaine d'années, Alvin Toffler disait très lucidement: « Nous autres Américains devons avoir conscience que la Chine est en nous ». Aux États-Unis, les deux tiers des diplômés en sciences et techniques sont d'origine asiatique. Chacun connaît la force de la diaspora chinoise dans de nombreux pays, en France même. Par ailleurs, il ressort clairement de l'ouvrage récent de Xi Jinping que la Chine restera communiste. La Chine est dirigée par les 80 millions de membres du parti communiste, ce qui n'empêche pas des débats au sein même du Parti, dans une dynamique relativement ouverte. Ce pays d'1,3 milliard de personnes est très fortement attaché à son unité, valeur qui constitue une fin en soi pour les Chinois, alors qu'elle n'est qu'un moyen pour nous. Enfin, la montée de la puissance chinoise inquiète certes les pays voisins mais la Chine, à l'image de l'opposition créatrice entre le Ying et le Yang, entretient aussi des relations étroites avec les Japonais, les Coréens, les pays d'Asie du Sud-Est... Au total, la situation dans la région est certes très mouvante mais surtout riche d'opportunités diverses pour notre pays.

Mme Bariza Khiari. - La question des droits de l'homme a-t-elle été évoquée ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Elle l'est systématiquement, notamment lors des visites officielles.

M. Jacques Legendre. - L'Union soviétique s'opposait à la Chine sur la question des « traités inégaux », celle-ci considérant que le partage de la Sibérie l'avait lésée. Cette question ainsi que celle de la Mongolie intérieure ont-elles été abordées pendant votre déplacement ?

M. Jean-Pierre Raffarin. - Nos entretiens étaient centrés sur la question de la croissance économique, objet de la mission de notre commission.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport d'information.

Proposition de désignation d'un candidat appelé à siéger au sein de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)

La commission propose de désigner :

M. Michel Boutant, candidat appelé à siéger au sein de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Mesures de surveillance des communications électroniques internationales - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

La commission a décidé de se saisir pour avis de la proposition de loi n° 3042 (AN, XIVe législature) relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales et de la proposition de loi de loi n° 700 (2014-2015) relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales et a nommé M. Michel Boutant rapporteur sur ces deux textes.