Jeudi 15 novembre 2018

- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Économie, finances et fiscalité - Nouveau programme d'investissement pour l'Europe (InvestEU) : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Didier Marie et Cyril Pellevat

M. André Reichardt, président. - Le président Jean Bizet représente aujourd'hui le président du Sénat à une réunion interparlementaire qui se tient à Bratislava. Notre ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) de nos collègues Didier Marie et Cyril Pellevat sur le nouveau programme d'investissement pour l'Europe : InvestEU.

L'Europe souffre d'un gros déficit en matière d'investissements. À travers le travail de ses deux rapporteurs, notre commission a suivi de près le plan d'investissement pour l'Europe, dit plan Juncker, qui avait pour objectif de combler ce déficit. Ce plan repose sur une idée originale et qui s'est révélée pertinente : assurer une garantie publique pour lever les freins à une orientation de l'épargne privée vers l'investissement. Le bilan est très favorable, et les objectifs d'investissement envisagés à l'origine ont été dépassés. Dans nos résolutions européennes, nous avons toujours insisté sur la place des collectivités territoriales et les enjeux pour nos territoires. À travers le nouveau programme InvestEU, la Commission européenne propose de poursuivre cette dynamique en aménageant le cadre.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Dans le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a prévu de poursuivre l'expérience positive du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) mis en place en 2015. Tout en reprenant les principes du FEIS, son successeur, InvestEU, lui apporte de substantielles améliorations.

Le bilan du plan Juncker est positif tant pour l'Union en général que pour la France. Il avait pour but de relancer les investissements stratégiques dans l'Union européenne en s'appuyant sur le FEIS, un outil à fort effet de levier. Il devait atteindre trois objectifs stratégiques. D'abord, stimuler l'investissement, en s'assurant que les ressources publiques, limitées par nature, soient utilisées pour mobiliser l'investissement privé, en ciblant les défaillances du marché. Puis, renforcer la compétitivité en améliorant l'environnement en matière d'investissement, tant au niveau européen que dans chaque État membre. Enfin, favoriser la croissance économique à long terme.

Le but était de mobiliser 315 milliards d'euros d'investissements entre 2015 et 2017, avec un effet de levier de 15, grâce à la garantie que le Fonds apporte aux investissements les plus risqués qui, sans cela, ne trouveraient pas de financement. Le Fonds est géré par la Banque européenne d'investissement (BEI), qui est un acteur essentiel du plan.

Ce plan a financé deux grands types de projets. D'une part, des grands projets portant sur les secteurs d'avenir comme les infrastructures - transport, haut débit, énergie, numérique - , ayant pour objet de développer l'utilisation plus efficace des ressources et des énergies renouvelables, ou soutenant la recherche et l'innovation. D'autre part, des projets innovants portés par des PME, pour du capital et des micro-crédits, ou des ETI, avec des crédits de financement pour les projets de recherche et développement et du capital-risque pour les prototypes. Le Fonds européen d'investissement (FEI) apporte sa garantie aux banques nationales de développement, qui sont la Caisse des dépôts de consignations (CDC) et Bpifrance pour la France.

Les projets doivent répondre à plusieurs critères d'éligibilité. Ils doivent être viables sur les plans économique et technique et compatibles avec les politiques de l'Union en matière de croissance intelligente, durable et inclusive, de création d'emplois de qualité et de cohésion économique sociale et territoriale. Le principe d'additionnalité impose que le projet ne puisse être financé via les circuits traditionnels sans la garantie du FEI. Les projets doivent maximiser la mobilisation de capitaux du secteur privé et être ciblés sur des secteurs déterminés, comme la recherche, l'énergie, les équipements de transport, les PME et ETI, les technologies de l'information et de la communication, l'environnement, ou la promotion du capital humain, de la culture et de la santé.

La France est le principal bénéficiaire en valeur absolue du plan, devant l'Italie et l'Espagne. Ont ainsi pu être financés des réseaux numériques très haut débit, dans le Nord et le Grand Est, des fonds d'infrastructures - comme Gingko pour la dépollution des friches industrielles, Capenergie 3 pour l'efficacité énergétique et les renouvelables, ou TRI en Nord Pas-de-Calais, qui accompagne la transition énergétique et le numérique - et des projets de transition énergétique. Le volet social, par contre, est en retard. Au terme de la première phase du plan Juncker, en juillet 2018, 144 opérations avaient été approuvées en France, représentant un total de 50 milliards d'euros d'investissements et mobilisant 10 milliards d'euros d'engagements financiers de la BEI. En tout, 60 000 entreprises ont bénéficié d'une garantie Juncker et plusieurs fonds d'investissement ont été mis en place, notamment en matière d'infrastructures et à l'appui de la transition énergétique.

Forte de ce succès, la Commission européenne a proposé en 2016 la prorogation du Fonds. Après d'âpres négociations sur le financement de la garantie et la gouvernance du comité de pilotage du FEIS, le doublement de la durée du plan a été décidé fin 2017. Le FEIS 2 a été porté de 21 milliards d'euros à 33,5 milliards d'euros. Quant à la garantie, elle a été relevée de 16 à 26 milliards d'euros.

Il a également été décidé de se concentrer sur les investissements durables afin de contribuer à atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Une amélioration de la couverture géographique, notamment dans les régions les moins développées, y compris les régions ultramarines périphériques, était en outre préconisée. De nouveaux secteurs ont été introduits, en particulier la pêche et l'agriculture durables, et une place a été faite aux plus petits projets, grâce à la réduction de la taille des projets éligibles et à la mise en place de plateformes d'investissement régionales sectorielles, comme en Occitanie, en Normandie et à La Réunion. Enfin, l'accent a été remis sur la nécessaire additionnalité des financements garantis et sur le caractère risqué des projets retenus, afin d'écarter l'effet d'aubaine dénoncé par certains.

Notre commission a suivi avec attention la mise en oeuvre du plan. Au cours des quatre dernières années, elle a proposé au Sénat trois résolutions européennes et avis politiques, mettant particulièrement l'accent sur le rôle que les collectivités territoriales, et singulièrement les régions, doivent jouer dans la mise en oeuvre du plan et la place à donner aux projets portés par des PME et des TPE. Il y a un an, Didier Marie et moi-même, nous vous avons présenté une communication sur la prorogation du plan.

M. Didier Marie, rapporteur. - Comme le fonds actuel, InvestEU mobilisera des investissements publics et privés en recourant à des garanties provenant du budget de l'Union. La Commission propose d'injecter une provision de 15,2 milliards d'euros dans InvestEU, mobilisant une garantie publique de 38 milliards d'euros, ce qui pourrait générer un total d'investissements essentiellement privés à hauteur de 650 milliards d'euros sur les sept ans de la prochaine programmation 2021-2027, avec un effet multiplicateur de 13,7, légèrement inférieur à l'actuel multiplicateur de 15 pour le FEIS.

L'objectif de la Commission est de mettre en place une structure simplifiée et mieux ajustée aux besoins des territoires. À cet effet, InvestEU rassemblera dans une seule structure treize instruments financiers existants de l'Union européenne, avec un seul ensemble de règles et de procédures et un point d'accès unique aux services de conseil. Cette simplification est bienvenue à tous égards. La plateforme de conseil du plan Juncker, qui fournit des conseils techniques aux porteurs de projets à la recherche de financements, sera ainsi complétée pour prendre en compte les instruments financiers proposés par InvestEU. Enfin, le portail InvestEU prendra le relais des portails comportant une base de données pour mettre en contact des projets et des investisseurs.

Les interventions d'InvestEU sont organisées autour de quatre volets, au lieu de deux précédemment. D'abord, les infrastructures durables, pour 11,5 milliards d'euros : énergies renouvelables, connectivité numérique, transports, économie circulaire, infrastructures de gestion de l'eau, des déchets et autres infrastructures environnementales... Puis, la recherche, l'innovation et la numérisation, pour 11,25 milliards d'euros : accès au marché pour les résultats de la recherche, numérisation de l'industrie, expansion d'entreprises innovantes de plus grande taille, intelligence artificielle. Les petites entreprises sont, comme auparavant, ciblées via l'accès au financement pour des PME et des ETI, à hauteur de 11,25 milliards d'euros. Enfin, et c'est là une innovation importante, le nouveau programme couvrira les investissements sociaux et relatifs aux compétences à hauteur de 4 milliards d'euros : cela concerne l'éducation et la formation, les logements sociaux, les écoles, les universités, les hôpitaux, l'innovation sociale, les soins de longue durée, le microfinancement, l'entrepreneuriat social, toute l'économie sociale et solidaire, et l'intégration des migrants, des réfugiés et des personnes vulnérables... Au total, il s'agit de domaines d'intervention privilégiés pour les collectivités territoriales, pour lesquels seront mobilisés non plus des concours publics mais des fonds privés, ou des partenariats public-privé.

Autre innovation, les États membres auront la possibilité de transférer dans InvestEU une partie des fonds qu'ils reçoivent au titre de la politique de cohésion, dans la limite de 5 %. Cela revient à transformer une partie des fonds structurels en instruments financiers... Ce choix permettra l'ouverture, pour chacun des volets d'action, d'un « compartiment État membre ». Grâce à cet outil, des projets locaux visant des objectifs de cohésion régionale, entrant dans l'un des quatre volets d'action d'InvestEU et relevant du fonds européen de développement régional, du fonds social européen, du fonds européen agricole pour le développement rural ou du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, pourront être financés grâce à une ingénierie financière simplifiée soutenue par la garantie de l'Union.

Cette option ouverte aux États membres présente un triple avantage : la part des fonds structurels versée sur le compartiment État membre n'aura pas besoin de cofinancement national ; les règles concernant les aides d'État applicables aux fonds structurels transférés vers InvestEU seront celles de l'Union - contrairement à ce qui prévaut pour les fonds structurels seuls - ce qui constitue une simplification appréciable. Enfin, à travers le « compartiment État membre », ce sont les autorités nationales de gestion des fonds structurels qui pourront, et devront, de façon plus visible et efficace qu'avec le FEIS, s'impliquer dans le dispositif, qu'il s'agisse de la décision même de transférer une partie des fonds dont elles ont la gestion ou du choix et du suivi des projets éligibles. Notre proposition de résolution européenne insiste donc pour que la gestion de ce compartiment État membre fasse une large place aux autorités de gestion des fonds de cohésion, en particulier dans la gouvernance de ces compartiments. Pour la France, ce sont, pour l'essentiel, les régions qui seront concernées.

Une autre innovation importante vient d'ailleurs s'inscrire dans cette logique. Contrairement au FEIS, la BEI n'aura plus le monopole de la mise en oeuvre des instruments financiers. Cela a fait l'objet d'âpres discussions. InvestEU réservera en effet, à hauteur de 25 %, un accès direct aux banques ou organismes nationaux de développement, par exemple, pour la France, la CDC et Bpifrance. Ces deux institutions financières sont dotées d'une implantation régionale et ont l'expérience de projets construits en coopération avec les régions. Contrairement à la BEI, plus familière des grands projets, elles sont à même d'élaborer des projets plus petits et ancrés localement.

En ce moment, la question de la gouvernance du futur programme est au coeur des débats. Elle oppose la BEI et la Commission européenne. Celle-ci, à la différence de ce qui se passe pour le plan Juncker, souhaite exercer un contrôle centralisé sur une large part du dispositif. La proposition de règlement, en l'état, envisage un système assez complexe - comité consultatif, équipe de projet, comité d'investissement - qui, en effet, complique la donne et marginalise la BEI alors que celle-ci a joué un rôle majeur dans le succès du FEIS.

Notre proposition de résolution européenne souhaite revenir à un système simple et lisible où le rôle d'orientation stratégique, d'une part, et le métier bancaire de contrôle du risque, d'autre part, soient clairement répartis entre la Commission européenne et la BEI.

On peut se féliciter du succès du plan Juncker et du choix de le prolonger par un nouveau dispositif plus large et plus simple - même s'il reste quelques négociations et validations à finaliser. Il n'est pas sûr que la mise en place, qui était prévue avant la fin de l'année, se fasse dans les délais. Dix-huit États membres attendent, pour valider le processus, un accord préalable entre la Commission européenne et la BEI. Les discussions sont encore assez tendues.

Mme Laurence Harribey. - Les documents que vous nous avez distribués font état, par secteur d'activité, des investissements du plan Juncker à la date du mois de septembre 2018. Il apparaît que seulement 14 % des sommes ont, en France, bénéficié aux PME, contre une moyenne de 31 % dans l'ensemble des États membres. Pourtant, les PME, dont l'accès aux fonds européens est, de longue date, insuffisant, étaient identifiées comme une cible prioritaire du plan Juncker. Les auditions que vous avez menées vous ont-elles permis de comprendre les raisons de ce blocage ? Le tableau retraçant la ventilation du fonds entre les régions indique également d'importantes inégalités. Pouvez-vous nous apporter des éléments d'explication ? La dimension régionale est-elle prise en compte dans la construction de la future agence de cohésion des territoires ?

M. Simon Sutour. - Lorsque nous avons débattu, la première fois, du plan Juncker, nous nous étions montrés très sceptiques à l'endroit d'un outil dont la réussite, sortant de l'orthodoxie des fonds structurels, se logeait dans sa capacité à créer un effet de levier. Je dois reconnaître, pour m'en féliciter, le succès de l'opération. Le tandem formé par Jean-Claude Juncker et Jyrki Katainen a fonctionné, malgré les critiques ! Comme notre collègue Laurence Harribey, je m'interroge sur la faible part du dispositif consacré aux PME françaises.

M. Jean-François Rapin. - La commission m'a confié, avec André Gattolin, une mission sur le futur programme Horizon Europe, dont nous vous présenterons prochainement les conclusions d'étape. Il renforcera, au travers de la nouvelle agence pour l'innovation de rupture, le soutien à la recherche et à l'innovation, en permettant notamment aux jeunes entreprises de se développer sur le territoire européen. La collaboration financière avec InvestEU sera essentielle, afin d'offrir la possibilité aux entreprises de mettre en oeuvre une stratégie globale d'appel aux fonds européens. Lors des auditions que nous avons menées, il est, en effet, apparu qu'il existe peu d'outils européens de développement au bénéfice des chercheurs souhaitant faire fructifier leurs recherches dans une entreprise qu'ils auraient créée à cet effet.

M. André Gattolin. - Pourriez-vous nous apporter des précisions quant à la gouvernance du programme InvestEU, que la Commission européenne souhaite piloter ? Une partie du fonds sera intégrée à Horizon Europe pour la recherche et l'innovation. Les dispositifs pourraient-ils être davantage coordonnés ? Certains États récemment intégrés à l'Union européenne se plaignent de ne guère bénéficier des subsides du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et montrent une volonté résolue de récupérer leur part. Pourtant, ils sont déjà bien servis en matière de politique agricole commune (PAC) et par les fonds de cohésion. Je regrette, par ailleurs, la complexité de la procédure attachée à InvestEU. A défaut de pouvoir faire valider par les États membres le cadre financier pluriannuel avant la fin de sa mandature, la présidence autrichienne souhaite voir aboutir une partie du plan de soutien à la recherche et à l'innovation : au-delà des objectifs économiques, des enjeux politiques forts entourent donc le programme InvestEU. À mon sens, il est souhaitable que la Commission européenne soit garante des grands équilibres du programme.

Mme Fabienne Keller. - Quelle sera l'articulation entre InvestEU et le programme des investissements d'avenir (PIA) développé par la France ? Poursuivront-ils des objectifs complémentaires ?

M. Didier Marie, rapporteur. - Madame Harribey, les PME françaises bénéficient également de financements en provenance d'autres enveloppes thématiques du FEIS. Leur gain est donc en réalité supérieur aux 14 % indiqués dans notre document. La France, je le rappelle, est, en volume, le premier pays bénéficiaire du plan Juncker. Des inégalités apparaissent, en revanche, entre les régions. Si toutes maîtrisent convenablement les procédures de recours au Fonds européen de développement régional (FEDER), dont ont notamment profité La Réunion et les Hauts-de-France, l'accès aux outils financiers semble moins aisé pour certaines. Pour autant, la Normandie, pour les « Maîtres laitiers du Cotentin », la Nouvelle-Aquitaine et l'Ile-de-France ont porté des projets dans le cadre du FEIS. Du reste, la compréhension des procédures financières européennes semble s'améliorer dans l'ensemble des régions.

Je partageais votre scepticisme, monsieur Sutour. Nous avions des craintes à l'époque, mais, après une installation chaotique et dans l'urgence, le dispositif a enregistré un succès qu'il convient de saluer. La BEI a piloté le FEIS avec efficacité, ce qui explique les tensions observées à l'heure où la Commission européenne souhaite s'arroger la gouvernance d'InvestEU.

Messieurs Rapin et Gattolin, il existe, fort heureusement, une compatibilité d'InvestEU avec les autres programmes européens, notamment en matière de recherche et d'innovation, que le Livre blanc a placées au coeur des préoccupations de la Commission européenne. Nous insistons effectivement, dans le cadre de notre proposition de résolution européenne, sur les enjeux de gouvernance et de pilotage attachés au programme InvestEU, objets d'une lutte d'influence entre la BEI et la Commission européenne. La BEI ne souhaite pas partager la gestion du programme avec d'autres banques d'investissement, à l'instar de la Caisse des dépôts et consignations s'agissant de la France : elle désire s'assurer, par une évaluation pointilleuse du risque, que les garanties de l'Union européenne ne seront pas mises en péril. Or, 25 % des garanties seront accessibles aux banques nationales de développement, certaines pouvant être moins attachées au triple A et moins prudentes que la BEI en matière de risque. Dès lors, la BEI réclame un reporting de la totalité des garanties, ce qui ne réjouit guère les banques nationales de développement. La Commission européenne souhaite, quant à elle, reprendre en main le pilotage du dispositif.

M. André Gattolin. - Quelle est votre opinion sur cette volonté de la Commission européenne ? L'efficience de la gestion de la BEI n'apparaît-elle pas suffisante ?

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Chacun doit exercer son métier : la BEI jouer son rôle de banque et la Commission européenne piloter le programme.

M. André Reichardt, président. - Le Congrès des maires se tiendra prochainement. Les programmes d'investissement européens manquent de visibilité ; les sommes en jeu sont méconnues des territoires comme des populations. Dans la perspective des élections européennes, la Commission européenne devrait communiquer davantage sur les actions menées et les aides disponibles auprès des porteurs de projets comme de l'opinion publique. Elle aurait, d'ailleurs, dû vulgariser ses programmes dès leur lancement. Je me félicite de l'initiative de notre commission, qui distribuera aux maires une note d'actualité sur ces sujets lors du Congrès.

Je salue l'ouverture, certes tardive, d'InvestEU aux investissements sociaux, souhaitée par la population. Les PME françaises ne doivent pas être oubliées des investissements européens. À cet égard, les objectifs du FEIS n'ont pas été atteints et nous devons demeurer vigilants pour l'avenir.

M. Simon Sutour. - Dans ma région, les entreprises ont l'habitude de travailler avec les services économiques, avec les organismes consulaires qui connaissent bien le fonds Juncker. Je me demande même si l'Occitanie n'est pas la première région pour l'utilisation de ces fonds en France. Et les Français sont les premiers, devant les Allemands. Il faut certes accentuer l'information sur ce fonds, on peut toujours faire mieux ; mais il faut aussi le dire lorsque les choses fonctionnent bien.

M. André Reichardt, président. - Je ne suis pas sûr que l'opinion publique le sache...

M. Franck Menonville. - A quelques mois des élections européennes, il faut effectivement mieux communiquer sur le plan Juncker à l'échelle de nos territoires.

M. Didier Marie. - Oui, plus on communique sur l'efficacité des politiques européennes, moins nos concitoyens seront sceptiques. Mais c'est une nébuleuse difficile à comprendre. En France, il y a moins de PME qui bénéficient en direct de ces aides que la moyenne européenne. Mais ces aides sont mobilisées par des plateformes d'investissement qui elles-mêmes financent des PME, comme dans le secteur des énergies renouvelables, par exemple. Les PME ne sont pas directement concernées, mais elles en bénéficient de fait. C'est difficile à expliquer...

Les efforts doivent être poursuivis ; la France a utilisé pleinement le dispositif. C'est un fonds conséquent pour l'investissement, qui permet de solvabiliser des opérations qui ne seraient pas solvables si on laissait faire le marché, car elles sont trop risquées. Au bout de quelques années, on constate cependant que la garantie n'a jamais été appelée. Les opérations vivent leur vie, le risque était réel, mais pas si important puisque la garantie n'a pas été mobilisée.

À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, dans la rédaction suivante, la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.


Proposition de résolution européenne

(1) Le Sénat,

(2) Vu l'article 88 4 de la Constitution,

(3) Vu le règlement (UE) 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 - le Fonds européen pour les investissements stratégiques,

(4) Vu le règlement (UE) n° 2017/2396 du 13 décembre 2017 modifiant les règlements (UE) n° 1316/2013 et (UE) 2015/1017 en vue de prolonger la durée d'existence du Fonds européen pour les investissements stratégiques et d'introduire des améliorations techniques concernant ce Fonds et la plateforme européenne de conseil en investissement,

(5) Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme InvestEU (COM(2018) 439 final) du 6 juin 2018 et ses quatre annexes,

(6) Vu la communication de la Commission européenne du 1er juin 2016 intitulée « L'Europe investit de nouveau- Premier bilan du plan d'investissement pour l'Europe et prochaines étapes » (COM (2016) 359 final),

(7) Vu ses résolutions n° 84 (2014-2015) sur le plan d'investissement pour l'Europe du 24 mars 2015, n° 46 (2015 2016) sur la mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe du 7 décembre 2015 et n° 42 (2016-2017) sur le premier bilan et les perspectives du plan d'investissement pour l'Europe du 20 décembre 2016,

(8) Vu sa résolution n° 131 (2017-2018) pour une politique régionale européenne ambitieuse au service de la cohésion territoriale, du 2 juillet 2018,

(9) Sur les caractéristiques des financements et des domaines couverts par le programme InvestEU

(10) Salue la poursuite d'un programme de stimulation de l'investissement au moyen d'instruments financiers appuyés sur une garantie budgétaire de l'Union européenne, afin de remédier au déficit global persistant de l'investissement public et privé en Europe ;

(11) Se félicite à cet égard des résultats obtenus par le fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) en termes de mobilisation de financements publics et privés et de création d'emplois dans les secteurs des infrastructures, de l'innovation et des PME depuis sa mise en place en 2015 ;

(12) Approuve la diversification des objectifs sectoriels proposés par le programme InvestEU, qui ajoute aux volets d'action déjà visés par le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (FEIS) - infrastructures et innovation, PME -, celui des investissements sociaux et des compétences, secteur qui subit une situation chronique de sous-investissement, en particulier dans certains territoires fragilisés ;

(13) Se félicite du renforcement des dispositions renforçant la condition d'additionnalité des projets éligibles au programme InvestEU au vu de leur profil de risque, afin que leur financement fondé sur une valeur ajoutée européenne ne concurrence pas les instruments financiers du secteur commercial ;

(14) Souligne le rôle crucial des plateformes d'investissement pour mener à bien des projets locaux de taille réduites portant sur un même domaine ou sur une même zone géographique ; se félicite à cet égard de la place reconnue à ces plateformes dans la proposition de règlement ;

(15) Sur la gouvernance du programme InvestEU

(16) Estime que la gouvernance d'InvestEU doit reposer sur un juste équilibre entre d'une part les fonctions d'orientation stratégiques et de supervision juridiques dévolues à la Commission européenne et d'autres part les activités bancaires et d'expertise du risque financier, liées à l'octroi de la garantie de l'Union, relevant de la Banque européenne d'Investissement (BEI) d'autre part ;

(17) Est d'avis que le système de gouvernance du Fonds européen pour les investissements stratégiques, basé d'une part sur un comité de pilotage comprenant des représentants de la Commission européenne et de la BEI, ainsi que des banques nationales de développement et d'un représentant du Parlement européen et, d'autre part, sur un comité d'investissement composé d'experts indépendants, devrait être envisagé pour InvestEU ;

(18) N'est pas favorable au recours, par la Commission européenne, aux actes délégués, en particulier pour la détermination des lignes directrices d'investissement et la modification du taux de provisionnement ;

(19) Sur les opportunités ouvertes par le programme InvestEU aux investissements dans les territoires

(20) Demande que la proposition de règlement prévoie explicitement l'attribution à hauteur de 25 %, d'un accès direct à la garantie de l'Union accordée dans le cadre du « compartiment Union Européenne » à des banques ou institutions nationales de développement, 75 % relevant de la Banque européenne d'investissement (BEI) ;

(21) Salue l'innovation que peut représenter, en particulier en termes de simplification administrative et règlementaire pour les autorités de gestion, la création d'un « compartiment État membre », lorsqu'un État membre fait le choix de transférer une partie de sa dotation de fonds européens structurels et d'investissement (FESI), dans la limite de 5 %, vers le programme InvestEU ;

(22) Fait valoir que cette faculté permettra, plus facilement que dans le cadre actuel, de garantir le financement de petits projets locaux éligibles et d'en accompagner la mise en oeuvre ;

(23) Insiste cependant pour que cette option soit préparée, négociée, décidée et mise en oeuvre en pleine concertation et en accord entre l'État et les autorités de gestion des FESI ;

(24) Demande que, dans un éventuel « compartiment France », les autorités de gestion concernées, en charge des fonds de la politique de cohésion régionale, soient étroitement associées à son fonctionnement par une présence dans sa gouvernance, au côté des banques nationales de développement, des porteurs de projets et des bénéficiaires ;

(25) Demande la suppression du délai de quatre mois entre d'une part la signature de l'accord de partenariat Commission-État-membre pour le démarrage des programmes de cohésion régionale et, d'autre part, la conclusion de la convention de contribution créant un « compartiment État membre », afin de permettre aux autorités de gestion d'expertiser, en cours de programmation les opportunités et la nature des projets que la création de ce compartiment permettrait d'engager ;

(26) Demande la suppression de la disposition du projet de règlement exigeant que les « partenaires chargés de la mise en oeuvre », à savoir les banques et institutions nationales de développement, soient obligés de couvrir au moins trois États membres pour être sélectionnés par la Commission européenne, une telle condition ne favorisant pas la souplesse et la proximité géographique nécessaires à une juste évaluation des projets de développement locaux ;

(27) Note que de nombreuses régions françaises ont déjà recours à des instruments financiers sous trois configurations possibles : instruments financiers régionaux avec concours des FESI, instruments financiers mixant les concours des FESI et du FEIS, enfin instruments financiers avec le concours du seul FEIS ;

(28) Se félicite de la complémentarité réaffirmée entre les mécanismes d'ingénierie financière d'une part et les fonds européens structurels et d'investissements d'autre part ; insiste par ailleurs sur la nécessité de préserver et encourager les instruments financiers régionaux, existants ou à venir, mis en place par certaines régions à partir des seuls fonds européens structurels et d'investissement ;

(29) Rappelle que le recours à la subvention et au cofinancement est et restera un élément essentiel d'une politique régionale ambitieuse pour des projets locaux qui ne présentent pas de perspectives de rentabilité financière mais qui sont indispensables à l'équilibre et au développement des territoires ;

(30) Demande que les garanties ou contributions des États membres au « compartiment État membre » ou d'une banque ou institution nationale de développement agissant au nom d'un État membre, ne soient pas prises en compte dans le calcul du déficit ou de la dette publique au titre de l'application du Pacte de stabilité et de croissance ;

(31) Estime par ailleurs que, dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, la politique de cohésion économique, sociale et territoriale doit bénéficier d'une dotation budgétaire permettant de faire face aux inégalités territoriales et sous régionales observées dans l'Union européenne et en France en particulier.

Justice et affaires intérieures - Règles européennes et statut des sapeurs-pompiers volontaires : avis politique de MM. Jacques Bigot et André Reichardt

M. Jacques Bigot, rapporteur. - Nous devons ce point de l'ordre du jour à Catherine Troendlé et Olivier Cigolotti. Catherine Troendlé, en particulier, a été chargée par Gérard Collomb, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, d'une réflexion sur la question. Les sapeurs-pompiers volontaires sont 195 000 et les professionnels sont 40 500. La question qui se pose est celle de la portée d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dit « Matzak », du 21 février 2018, qui a jugé que les règles d'une directive de 2003 relative au temps de travail s'appliquaient aux sapeurs-pompiers volontaires, mais n'avaient pas été respectées pour M. Matzak, sapeur-pompier volontaire à Nivelles, en Belgique, qui était tenu d'effectuer des permanences à son domicile et devait intervenir dans les huit minutes suivant chaque appel. La Cour considère en effet qu'il ne peut rien faire d'autre dans ces conditions que d'être à la disposition de la caserne. La question se pose de l'application de la directive à nos sapeurs-pompiers volontaires. L'article 17 de la directive prévoit des dérogations, notamment pour les sapeurs-pompiers dans le cadre des « activités caractérisées par la nécessité de garantir la continuité du service ou de la production. » On peut considérer que cette dérogation s'applique, par exemple, lorsqu'il y a un incendie ravageur ou des inondations dans une région. Mais c'est plus délicat pour les astreintes, surtout lorsqu'elles contraignent la personne à être complètement disponible, comme lors des gardes. S'ajoute à cela la problématique de la durée du travail lorsqu'un sapeur-pompier volontaire assure une astreinte ou une garde le soir, après sa journée de travail.

M. André Reichardt. - Comme l'a indiqué Jacques Bigot, l'arrêt de la CJUE suscite des inquiétudes en France car il comporterait des risques de remise en cause du volontariat des sapeurs-pompiers et, plus largement, de notre modèle de sécurité civile. Les sapeurs-pompiers volontaires sont 195 000, contre 40 500 professionnels. S'ils ne peuvent plus effectuer leur service, on voit bien quelles seraient les conséquences en termes de sécurité et de finances locales...

Quels risques l'arrêt Matzak de la CJUE fait-il peser sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires en France ? Dans notre pays, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, bien qu'exerçant le même métier, disposent d'un statut très différent.

Le code de la sécurité intérieure, reprenant la loi du 20 juillet 2011, dispose que « l'activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n'est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres » et que le sapeur-pompier volontaire « exerce les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels. Il contribue ainsi directement, en fonction de sa disponibilité, aux missions de sécurité civile de toute nature confiées aux services d'incendie et de secours ou aux services de l'État qui en sont investis à titre permanent ». De même, « ni le code du travail ni le statut de la fonction publique ne lui sont applicables », contrairement aux sapeurs-pompiers professionnels, tandis que « les activités de sapeur-pompier volontaire ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail ». Enfin, leurs indemnités ne sont pas un salaire, mais un simple défraiement.

Les sapeurs-pompiers exercent leurs activités sous la forme, soit de garde en caserne sur une période de 24 heures, soit d'astreinte qui peut être organisée selon des créneaux horaires prédéfinis ou être libre, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) fixant dans leur règlement le régime d'emploi de leurs ressources en fonction de leurs besoins.

Nous nous sommes dès lors interrogés sur le fait de savoir si l'arrêt Matzak pouvait remettre en cause le statut des sapeurs-pompiers volontaires en leur appliquant la directive de 2003.

Il est certain que cet arrêt aurait des conséquences sur l'organisation des gardes et des astreintes en raison de son impact sur le décompte du temps de travail. Plusieurs aspects seraient ainsi concernés au regard des dispositions de la directive : en premier lieu, le repos physiologique, c'est-à-dire le repos minimum de 11 heures sur une période de 24 heures, mais aussi le repos hebdomadaire de 24 heures, qui s'ajoute au repos physiologique, ce qui représente un repos de 35 heures consécutives sur sept jours, ainsi que la durée annuelle du temps de travail. La durée maximale hebdomadaire de travail, soit 48 heures, n'est pas directement concernée, mais pourrait l'être indirectement par le recours à l'article 22 de la directive qui prévoit de possibles clauses dérogatoires.

Les conséquences de l'arrêt sont aussi potentiellement financières si les astreintes sont considérées comme du temps de travail et donc rémunérées ou si des sapeurs-pompiers supplémentaires venaient à être recrutés. Cet impact budgétaire est malheureusement - ou heureusement, pour notre tranquillité... - impossible à chiffrer avec précision à ce stade.

Pour autant, la portée des conséquences de l'arrêt Matzak ne doit pas non plus être exagérée. Son application éventuelle en France doit être analysée de façon pragmatique.

D'abord, l'ensemble des sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas visés. Sur 195 000, environ 135 000 exercent par ailleurs une activité professionnelle, dont les deux tiers se trouvent sous le régime de l'astreinte. Parmi ces 90 000 sapeurs-pompiers volontaires, tous, loin de là, n'effectuent pas un nombre d'heures tel qu'ils se trouveraient en difficulté avec la directive de 2003. En réalité, le problème pourrait se concentrer sur les casernes de quelques grands centres urbains où interviennent des volontaires qui effectuent de nombreuses gardes, dans les mêmes conditions que les professionnels.

Ensuite, la directive comporte un article 17 relatif au régime de dérogations, qui mentionne explicitement les sapeurs-pompiers dès lors qu'il y a nécessité d'assurer la continuité du service. Ces dérogations peuvent porter sur le repos journalier, le temps de pause, le repos hebdomadaire, la durée du travail de nuit et les périodes de référence. C'est pourquoi il est raisonnable de penser que la modification du règlement des SDIS pourrait permettre d'en adapter le texte à l'arrêt Matzak, tout en restant dans l'épure de la directive.

Il y a cependant des incertitudes à lever au niveau européen. L'arrêt Matzak pourrait certes mettre en difficulté le volontariat de façon limitée, mais une action au niveau européen n'en est pas moins opportune, à la fois pour lever définitivement les incertitudes sur l'application de la directive de 2003, dont il conviendrait d'élargir le champ des dérogations pour le rendre compatible avec le dispositif français, et pour garantir la pérennité du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers.

Le Gouvernement l'a d'ailleurs lui-même reconnu devant le Sénat récemment. Le 26 septembre, le ministre de l'intérieur avait considéré qu'« il faut sans doute faire évoluer cette directive européenne », tandis que, le 30 octobre, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur a déclaré : « Nous prendrons une initiative européenne pour préserver le statut des sapeurs-pompiers volontaires dans notre dispositif de secours et leur permettre de concilier leur vie professionnelle et leur engagement citoyen ». Cet engagement se retrouve avec la mesure 15 du récent plan d'action 2019-2021.

Pour l'ensemble de ces raisons, Jacques Bigot et moi vous proposons d'adresser à la Commission européenne un avis politique assez simple, qui réaffirme notre fort attachement à la préservation d'un dispositif permettant aux sapeurs-pompiers d'effectuer des interventions à titre volontaire et bénévole leur assurant d'exercer les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels et contribuant aux missions de sécurité civile, qui observe que l'article 17 de la directive 2003/88/CE comporte une dérogation visant spécifiquement les services de sapeurs-pompiers lorsqu'il s'agit d'assurer la continuité du service, qui considère que l'arrêt Matzak de la CJUE est susceptible de produire des effets pouvant compromettre la pérennité du dispositif français de sécurité civile, qui demande instamment, par conséquent, que la Commission européenne prenne une initiative législative visant à modifier l'article 17 de la directive de manière à élargir le champ d'application des dérogations relatives au repos journalier, au temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée du travail de nuit et aux périodes de référence afin que ces dérogations assurent la préservation du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers, et qui souhaite enfin que la Commission engage une réflexion de plus long terme visant à établir, le cas échéant, un acte législatif européen permettant de garantir les spécificités du volontariat dans l'exercice des missions de sécurité civile.

M. Pierre Cuypers. - Je partage cet avis. C'est important dans le monde urbain, mais aussi dans le monde rural, où le volontariat est indissociable de la sécurité. Peut-être faudrait-il évoquer les conséquences qu'auraient un tel bouleversement sur les employeurs des pompiers volontaires s'ils étaient astreints à un temps de repos obligatoire... Plus personne ne voudrait les embaucher !

M. Claude Haut. - Les sénateurs vivent au quotidien la qualité de l'engagement des pompiers volontaires. On peut certes adapter un peu les règlements localement, mais il faut préserver notre modèle de sécurité civile, et pour cela, il faut demander à la Commission de modifier les règles européennes. Le Sénat est dans son rôle en émettant cet avis politique.

M. Simon Sutour. - Merci de cette initiative très importante. C'est un sujet que je connais : j'ai dirigé les services d'un département, le Gard, comptant deux grandes villes, Avignon et Nîmes, dans une région ou les incendies sont fréquents, hélas. Nous avons de plus en plus de mal à recruter. Mais il ne faut pas confondre les pompiers volontaires des villes et les pompiers volontaires des champs... Le pompier volontaire des villes est quasiment un permanent, mais qui a pour la collectivité l'avantage de coûter beaucoup moins cher qu'un professionnel. Il a une indemnité même s'il n'a pas l'avantage d'avoir un emploi permanent.

L'arrêt de la CJUE concerne un cas particulier. Il faut avoir conscience du danger, mais tout ne s'arrête pas du jour au lendemain. La directive permet de prendre en compte un grand nombre de nos situations. Attention à ne pas trop crier au loup, cela pourrait bien le faire sortir du bois...

Le ministre a dit : « c'est réglé, on va changer la directive. » Mais ce n'est pas le ministre de l'intérieur français qui change les directives ! L'État est clairement moins motivé que nous, et c'est normal : qui paye ? Les communes et le département. Et qui commande ? L'État. Peut-être pourrions-nous demander au président du Sénat de saisir le Président de la République, qui est le seul à pouvoir faire quelque chose auprès de la Commission européenne. Si nous nous en tenons à cet avis politique, rien ne bougera.

M. Cyril Pellevat. - Le nord de la Haute-Savoie et le pays de Gex sont caractérisés par la vie chère. Nous avons donc de grandes difficultés à recruter des pompiers professionnels, à qui le département ne fournit pas de logement... Nous avons donc principalement des sapeurs-pompiers volontaires. J'ai signé la lettre de Catherine Troendlé, il y a eu des questions écrites, des questions orales... Quel mécanisme préconise le Gouvernement ? Y a-t-il une initiative conjointe avec d'autres pays ? Je sais que la Suède et l'Allemagne entre autres sont concernées.

J'ai lu la réponse au courrier que Catherine Troendlé et Olivier Cigolotti avaient adressé à Jean-Claude Juncker : « J'ai pris connaissance de votre courrier avec beaucoup d'attention et je l'ai partagé avec les membres du collège et les services compétents... » Je rejoins donc Simon Sutour : il faut aller plus loin.

M. Pierre Médevielle. - Je suis moi aussi d'accord avec Simon Sutour. Il faut replacer la chose dans le contexte du désert médical. Les sapeurs-pompiers volontaires sont des acteurs majeurs dans l'assistance aux personnes accidentées, voire aux malades. Une projection a été faite : si nous devons appliquer cette directive, nous devrions remplacer 174 000 volontaires par 45 000 professionnels, ce qui nous ferait perdre 10 % de disponibilité sur le territoire. Dans le contexte de désertification médicale, ce sera difficile à avaler !

Autre problème : il va falloir « faire le ménage » en interne, pour plus d'efficacité et pour ensuite pouvoir agir au niveau européen. En effet, certains, parmi les sapeurs-pompiers professionnels, sont favorables à l'application de cette directive, notamment par jalousie envers les volontaires.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je partage les observations de nos collègues sur le volet sapeur-pompier volontaire. En revanche, je m'interroge sur l'angle d'attaque retenu, à savoir la question du rythme de travail des sapeurs-pompiers volontaires. La directive de 2003 soulève un problème beaucoup plus général, ce qui nécessite son réexamen. Cela concerne avant tout l'État, puisque, outre celle des sapeurs-pompiers volontaires, se pose également la question des gendarmes et des policiers. L'augmentation importante de leurs effectifs, inscrite dans la loi de finances pour 2018, n'avait d'autre but que de tirer les conséquences de la directive. En effet, l'application de la directive a eu des effets sur le cycle de travail des policiers en particulier, d'une grande technicité, même si notre pays s'y est longuement opposé.

Je souscris à l'avis politique et souhaite un réexamen plus global de la directive, car ses conséquences ne se limitent pas seulement aux sapeurs-pompiers volontaires.

M. Didier Marie. - Même si elle nous pose des difficultés, il faut saluer cette directive qui concourt à améliorer les conditions de travail des salariés en général. Il est toutefois exact qu'elle remet en cause un modèle citoyen, très efficace et très peu onéreux pour les finances publiques. On glorifie l'engagement citoyen, mais nous devons nous interroger sur notre modèle de sécurité publique et la cohabitation entre des professionnels et des volontaires. Pouvoir compter sur des volontaires nous arrange tous car cela coûte moins cher - et eux perçoivent un complément de salaire.

Nous avons tous constaté la difficulté à recruter des volontaires. Lorsque j'étais président d'un SDIS, nous avions tout fait pour attirer des volontaires en passant des conventions avec les entreprises, les collectivités, en améliorant leur situation tant sur le plan financier que sur celui de l'organisation. Comment font les autres pays européens ? D'autres pays sont-ils favorables à un assouplissement de la directive au profit de la sécurité civile ? Vous avez évoqué la modification du règlement des SDIS : est-ce envisageable sans déroger à la directive ? Il faut une initiative gouvernementale extrêmement forte englobant tous les métiers liés à la sécurité publique, pour lesquels il faut des dérogations.

Mme Laurence Harribey. - Ce n'est qu'une décision de la Cour de justice et tout le monde ne va pas la saisir. Malgré tout, rappelons que l'arrêt Bosman a conduit à une réorganisation complète du milieu du sport. Il faut donc être très vigilant et agir un plus haut niveau.

M. Franck Menonville. - Il est important de porter cet avis politique au plus haut niveau. Tant dans les départements ruraux que dans les grands centres urbains, les sapeurs-pompiers volontaires sont irremplaçables. Une professionnalisation complète de la sécurité civile coûterait plus de 2,5 milliards d'euros. Au moment où l'on réfléchit à un service civil universel, la dynamique portée par jeunes pompiers volontaires dans les départements ruraux est importante.

M. Jacques Bigot, rapporteur. - Il ne faut pas aborder cette question du volontariat sous l'angle de la dépense. Ce système a été mis en place afin de pouvoir traiter avec réactivité les incendies. Aujourd'hui, 85 % des interventions portent sur les secours à personnes et les accidents, qui nécessitent des gens formés intervenant aussi vite que possible, sans compter les risques nouveaux - catastrophes naturelles, incendies importants, inondations. Il faut donc développer cet esprit civique. Or, la directive est difficile à remettre en cause car elle concerne la sécurité, le temps de travail et la santé au travail, et non pas les questions de rémunération, ce que la Cour confirme dans son arrêt. Difficulté : dans quelle mesure considérer les sapeurs-pompiers volontaires comme des travailleurs soumis à un temps de travail et assujettis à l'article 2 de la directive ? À cette fin, la direction générale de la sécurité civile recueille auprès de l'ensemble des SDIS des informations relatives aux gardes. Vraisemblablement, cela ne concernera pas grand monde. Pour autant, M. Matzak n'a pas agi seul ; ce n'est pas par des sapeurs-pompiers volontaires qu'il a été soutenu... C'est bien pour cette raison qu'il faut insister sur l'esprit du volontariat : des citoyens disponibles, indemnisés, mais qui ne gagnent pas leur vie grâce à cette activité.

La direction générale de la sécurité civile pense pouvoir obtenir des dérogations au titre de l'article 17 de la directive de 2003, mais celles-ci concernent aussi « les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit des services de presse, de radio, de télévision ». Exemple : un journaliste qui suit le Président de la République lors d'un voyage. Elles ne concernent pas notre organisation fondée sur le volontariat. C'est bien pourquoi nous préconisons une directive sur l'organisation de la sécurité civile en Europe et sur la question du volontariat. C'est ce qu'attendent également l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Croatie, la Slovénie, la Roumanie, la Slovaquie ou la République tchèque.

Le projet de service civique universel peut être l'occasion de rappeler sur le terrain que nous avons besoin de personnes pouvant intervenir rapidement en cas d'accident ou d'incendie. Là est la différence entre le volontaire et le professionnel. L'essentiel du travail est à faire sur le terrain auprès des élus locaux, dans les SDIS.

M. André Reichardt, président. - En effet, M. Matzak n'a pas agi seul et a été encouragé. D'autres recours sont en préparation par des pompiers volontaires, eux aussi un peu encouragés. Il faut certes raison garder, ne pas « peindre le diable sur le mur », comme l'on dit en Alsace, mais il nous faut anticiper une éventuelle extension de ce mouvement en menant une action forte. Je propose que le président Bizet intervienne auprès du président du Sénat en ce sens, en plus de la transmission de notre avis politique au président de la Commission européenne et au président du Parlement européen. Il est important que le Sénat prenne une position, de surcroît à quelques jours du congrès des maires.

À l'issue du débat, la commission, à l'unanimité, adopte l'avis politique, qui sera adressé à la Commission européenne.


AVIS POLITIQUE
sur les règles européennes et le statut des sapeurs-pompiers volontaires

Vu la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail,

Vu l'arrêt (renvoi préjudiciel) Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 février 2018 (affaire C-518/15),

Vu le rapport intitulé Mission volontariat - Un élan nouveau pour les sapeurs-pompiers, établi par Mme Catherine Troendlé et MM. Fabien Matras, Olivier Richefou, Éric Faure et Pierre Brajeux, à l'attention du ministre d'État, ministre de l'intérieur, du 23 mai 2018,

La commission des affaires européennes du Sénat :

Réaffirme son fort attachement à la préservation d'un dispositif permettant aux sapeurs-pompiers d'effectuer des interventions à titre volontaire et bénévole leur assurant d'exercer les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels et contribuant aux missions de sécurité civile ;

Observe que l'article 17 de la directive 2003/88/CE relatif aux dérogations comporte un 3. c) iii) visant spécifiquement les services de sapeurs-pompiers lorsqu'il s'agit d'assurer la continuité du service ;

Considère que l'arrêt Ville de Nivelles c/ Rudy Matzak de la Cour de justice de l'Union européenne est susceptible de produire des effets pouvant compromettre la pérennité du dispositif français de sécurité civile et plus particulièrement de certaines règles figurant aux articles L. 723-1 à L. 723-20 du code de la sécurité intérieure ;

Demande instamment, par conséquent, que la Commission prenne une initiative législative visant à modifier l'article 17 de la directive 2003/88/CE de manière à élargir le champ d'application des dérogations relatives au repos journalier, au temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée du travail de nuit et aux périodes de référence afin que ces dérogations assurent la préservation du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers ;

Souhaite que la Commission engage une réflexion de plus long terme visant à établir, le cas échéant, un acte législatif européen permettant de garantir les spécificités du volontariat dans l'exercice des missions de sécurité civile.

La réunion est close à 10 heures.