Mardi 13 novembre 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons ce soir M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, sur son budget pour 2019. Monsieur le ministre, ce sera l'occasion d'échanger avec vous sur vos priorités politiques concernant, notamment mais pas seulement, la sécurité et la lutte contre l'immigration irrégulière.

Nous célébrons aujourd'hui le triste anniversaire de l'attentat du Bataclan. Nous avons à l'esprit les tragédies à répétition, les crimes de masse commis par les terroristes sur notre sol. Sachez, monsieur le ministre, que nous apprécierions que vous fassiez le point sur la menace terroriste, après un temps de relative accalmie qui ne doit pas nous faire espérer naïvement que nous sommes sortis d'affaire.

Une fois encore, après d'autres agents des forces de l'ordre - fonctionnaires de police, gendarmes, gardes républicains -, une policière, Mme Biskupski, s'est donné la mort. Quelle est le moral actuel des forces de l'ordre ? Comment les agents sont-ils accompagnés au quotidien ? Où en sont leurs conditions de travail ? La question des effectifs est importante, mais elle ne détermine pas seule les conditions de travail et d'emploi des forces de sécurité.

Je veux excuser l'absence de votre secrétaire d'État, M. Laurent Nunez, empêché à la dernière minute.

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. - Ce budget traduit une priorité politique claire, reflétant la conscience qu'ont le Président de la République et le Premier ministre de l'importance des missions exercées par le ministère de l'intérieur.

Pour la seconde année consécutive, les moyens du ministère progressent sensiblement, de 3,4 % à périmètre constant, soit 575 millions d'euros. C'est là une orientation forte de ce quinquennat : dans tous les domaines d'action du ministère, non seulement nous consolidons les efforts passés, mais nous les inscrivons dans la durée en les accentuant.

Des plans d'urgence avaient été mis en place, notamment après 2015, sur des politiques de recrutement, mais aussi sur un certain nombre d'actions. Tous ces plans ont été pérennisés dans le budget de l'année dernière. Il a en outre été décidé d'augmenter les moyens du ministère, et cela concerne au premier chef le budget de la sécurité intérieure.

Même si dans l'opinion publique le risque terroriste semble moins présent, il demeure, sous des formes différentes. Jusqu'à présent, les attentats terroristes étaient préparés depuis des pays étrangers. Aujourd'hui, le risque est principalement endogène. Daesh est particulièrement affaibli, même si, par ses outils de communication et de propagande via les réseaux sociaux - plusieurs dizaines de vidéos chaque jour -, il peut encore inspirer un certain nombre d'individus.

Depuis janvier 2015, la France a fait l'objet de 12 attaques terroristes. Elles ont causé la mort de 246 personnes, et prennent des formes différentes : organisées - comme celle que nous commémorons aujourd'hui - ou ayant pour auteur un individu isolé - comme celle qui a eu lieu le 12 mai dernier à Paris. Par ailleurs, 55 tentatives ont été déjouées depuis 2015, dont 20 en 2017 et 6 en 2018 - chiffre qui ne comptabilise pas les tentatives d'attentat des réseaux de l'ultradroite, mais seulement celles qui sont liées à l'islamisme radical.

Depuis les revers subis par l'État islamique dans la zone irako-syrienne, les choses ont donc évolué, nous sommes passés à un risque endogène. Est-il plus facile à gérer, à appréhender, à anticiper ? Personne ne peut le dire. Toujours est-il que la montée en puissance, depuis 2015, de notre système d'information et de renseignement permet d'avoir une vision beaucoup plus claire, beaucoup plus en amont.

En outre, la coopération internationale a atteint un niveau assez exceptionnel. Ainsi la dernière interpellation, à la fin du mois d'octobre, a été permise grâce à un travail de coopération internationale.

Un outil comme le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) recense 10 030 individus.

J'ai signé aujourd'hui une circulaire à destination des préfets pour leur demander, conformément à l'engagement qu'avait pris le Président de la République, d'informer les maires sur trois points. Premièrement, sur le risque global qui existe sur la commune, soit de façon permanente, soit de façon ponctuelle : un maire qui veut organiser un marché de Noël ou un grand événement culturel a besoin d'être informé sur le niveau de risque, pour prendre les mesures adéquates. Les préfets devront fournir le maximum d'informations. Deuxièmement, quand un maire ou son adjoint à la sécurité informeront nos services d'un risque avec telle famille ou telle personne, le préfet devra en retour les informer de la suite donnée - classement, interpellation, incarcération. Troisièmement, les maires seront systématiquement informés de toute inscription au fichier FSPRT d'une personne exerçant des fonctions municipales « à risque » - dans une crèche, au sein de la police municipale, etc. En échange, une charte de confidentialité sera signée entre le maire et le préfet.

La menace terroriste a changé de nature, mais elle est toujours présente et mobilise très fortement nos forces de sécurité, qui ont appris de l'épreuve et savent agir avec une grande efficacité.

La sécurité, c'est aussi la sécurité du quotidien. Pour la police et la gendarmerie, les crédits sont globalement en hausse de 11,9 %, soit 1,4 milliard d'euros. Le budget de fonctionnement et d'investissement des services augmente de plus de 17 % par rapport à 2015, soit près de 350 millions d'euros. Le message est donc clair : les mesures qui étaient hier exceptionnelles et limitées dans le temps - les fameux plans - ont été inscrites dans la durée. Les moyens de sécurité sont donc restaurés progressivement, même s'il y a encore de la marge. Cela répond à ce besoin de sécurité, mais également à ce malaise grandissant au sein des forces qui a éclaté en 2016 et en 2017, après un véritable acte de guerre à l'encontre de quatre policiers qui surveillaient une caméra installée pour éviter les vols à la portière.

Le Gouvernement et moi-même ne nous satisfaisons pas de cette consolidation des moyens. Nous avons souhaité accentuer l'effort dans trois domaines : les effectifs, l'immobilier et l'équipement. Certains considéreront que ce n'est pas assez, mais nous savons ce qu'est l'équilibre budgétaire de l'État. Or, en deux budgets, les crédits augmentent de plus de 1 milliard d'euros.

Concernant les effectifs, à la suite de ce qui a été engagé après les attentats, 10 000 postes de policiers et gendarmes supplémentaires seront créés, avec un effort particulièrement important en début de quinquennat : après 2 000 recrutements en 2018, 2 500 sont prévus pour 2019, 1 500 les deux dernières années du quinquennat, et ce au bénéfice de toutes les composantes de la sécurité intérieure - sécurité publique, quartiers de reconquête républicaine, police aux frontières, services de renseignement. S'agissant de ces derniers, nous voulons recruter 1 900 personnes pour que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) monte en puissance, avec des profils variés.

Entre les départs à la retraite et les recrutements nets, nos écoles de police devront recruter et former 4 500 personnes : exercice difficile, compte tenu de la sélectivité dont nous devons faire preuve.

Dans le passé, on a pu donner la priorité aux recrutements en négligeant les moyens, matériels ou immobiliers. Le budget pour 2019 donne corps à notre projet d'une police et d'une gendarmerie aux ambitions renouvelées, respectées, tirant le meilleur parti du progrès et de la technologie. Ainsi, nous avons prévu la commande de 5 800 véhicules neufs dans les deux forces en 2019, soit pour un montant de 137 millions d'euros, niveau jamais atteint ces dix dernières années. Nous voulons améliorer l'état du parc : la moyenne d'âge de nos véhicules est aujourd'hui supérieure à sept ans. Non seulement ils sont en mauvais état, mais ils ne sont nullement adaptés aux conditions de travail et d'intervention des forces de l'ordre. La typologie des achats de véhicules en tient compte et, par exemple, nous privilégions plutôt des véhicules break.

Concernant leur équipement technologique, nos forces de sécurité, avec les tablettes et smartphones, disposent d'un accès facilité aux systèmes d'information et peuvent développer de nouveaux modèles de mobilité, renforcer leur opérationnalité sur le terrain. Certes, lors de mes déplacements, on me présente toujours ce qui va bien, je ne suis pas dupe. Cependant, le matériel à disposition de nos forces de l'ordre s'est fortement amélioré. Au cours du premier trimestre de 2019, 50 000 tablettes et smartphones Néopol et 67 000 équipements Néogend auront été déployés ; 10 000 équipements supplémentaires le seront en 2019 comme en 2020.

Notre budget permettra également de poursuivre la diffusion des caméras piétons : en 2019, 14 000 caméras supplémentaires équiperont nos forces de l'ordre. C'est un outil de prévention majeur : les policiers que j'ai interrogés me disent que sa présence apaise la relation avec un individu qui pourrait avoir un mauvais comportement s'il n'était pas filmé.

Il y a de l'immobilier de qualité dans notre police et dans notre gendarmerie, mais il y a aussi de vrais scandales. En 2019, 300 millions d'euros sont destinés à financer des opérations de construction ou de rénovation lourde des lieux de vie et de travail. Le budget dédié aux opérations de maintenance lourde a été très fortement augmenté, il est trois fois supérieur à ce qu'il était en 2015. Cela évitera demain d'avoir tout à reconstruire...

J'ai visité le commissariat d'une ville du Nord, maison bourgeoise de 300 mètres carrés datant des années trente, demeurée « dans son jus » et où travaillent 40 policiers. La construction d'un nouveau commissariat est prévue, pour 4,4 millions d'euros. Un lieu inapproprié est difficile à vivre pour les intéressés : si nous ne les dotons pas d'équipements et de locaux corrects, nous sommes les premiers responsables s'ils ne sont pas respectés...

Les crédits dédiés aux politiques d'immigration, d'asile et d'intégration seront désormais crédibles et réalistes. Ils augmenteront de 13 % à périmètre constant en 2019, après une progression de 28 % en 2018. Notre pays demeure soumis à une pression migratoire intense, évolutive, qui appelle des réponses et des actions déterminées, mais équilibrées. J'étais hier à la frontière entre la France et l'Espagne, avant de rencontrer le ministre de l'intérieur espagnol, et je me rendrai jeudi au Maroc. Des trois routes migratoires que nous connaissions, celle de l'Espagne est devenue la principale, les deux autres s'étant taries, même si la Grèce reste soumise à une pression forte.

Les migrants qui arrivent de la sorte dans notre pays choisissent celui-ci ou bien la Belgique comme destination finale. Ils proviennent pour l'essentiel de pays francophones qui ne sont pas considérés comme étant à risque sur le plan politique. Ils ne peuvent pas prétendre au droit d'asile - il s'agit en fait surtout d'une immigration économique irrégulière. Pour preuve, la pression migratoire reste extrêmement forte à Bayonne, alors même que le centre de Bordeaux qui gère la procédure d'asile a enregistré une baisse du nombre de demandes, de 5 à 6 %. Avec mon homologue espagnol, nous voulons renforcer les moyens pour faire face à cette immigration économique.

Nous avons l'ambition de renforcer les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés. Nous allons créer 1 000 places en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), 2 500 places d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) et 2 000 places en centres provisoires d'hébergement, qui visent à faciliter l'accès au logement des réfugiés les plus vulnérables.

Il faut souligner un certain paradoxe : alors que les flux migratoires ont diminué de 95 % en Europe par rapport à 2015, on a assisté à leur augmentation en France, l'année dernière et cette année, parce que nous sommes un pays secondaire d'immigration, notamment pour les migrants qui, après avoir demandé le statut de réfugié dans un premier pays, le demandent ensuite en France. Les Afghans, par exemple, savent qu'ils ont plus de chances d'obtenir le statut de réfugié en France qu'en Allemagne. Nous devons donc travailler à une meilleure cohérence dans l'évaluation. J'assume que nous soyons généreux, mais nous devons prendre en compte ces réalités. Récemment, la cour d'appel de Douai a décidé qu'un Kurde irakien, selon la région irakienne où il résidait, ne pouvait pas revendiquer de provenir d'un pays à risque. Cette décision nous a aidés au moment où nous avons pris la décision d'évacuer le camp de Grande-Synthe ; et les filières, très organisées, seront contraintes d'évoluer. Je parle là des filières à destination du Royaume-Uni, qui n'ont rien à voir avec l'immigration essentiellement économique qu'on observe du côté de l'Espagne.

Le Gouvernement a la volonté que soient traitées les demandes d'asile dans un délai de six mois en moyenne. Des renforts et des moyens supplémentaires sont alloués à tous les segments de la chaîne d'asile. C'est une ambition humanitaire et un gage d'efficacité : comment annoncer à quelqu'un qui vit en France depuis deux ou trois ans qu'il n'aura pas de papiers ? Il ne retournera pas dans son pays.

Quant à la lutte contre l'immigration économique irrégulière, nous la voulons ambitieuse, crédible et déterminée. C'est indispensable pour garantir ce qui fait l'honneur de la France : sa capacité à assumer sa politique d'asile. Depuis deux ans, on assiste à une reprise nette des éloignements d'étrangers sans droit de séjour : après une hausse de 14 % en 2017, l'augmentation sur les premiers mois de l'année est de 20 %. J'ai demandé aux préfets d'amplifier cette dynamique. Pour cela, des moyens supplémentaires étaient nécessaires : des places en centre de rétention administrative (CRA) ont été créées et un plan d'investissement est prévu, pour 48 millions d'euros.

Troisième axe de notre action : le changement d'échelle de notre politique d'intégration des étrangers. Si l'on autorise une personne à rester en France, il faut lui donner les moyens de s'intégrer. Depuis de trop longues années, on débat des chiffres sans se préoccuper suffisamment de l'intégration - la maîtrise du français, la compréhension des valeurs républicaines qui fondent notre vivre ensemble. D'où les moyens supplémentaires que nous accordons à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

Ce budget pour 2019 nous donne les moyens d'une politique ambitieuse pour faire face aux défis des migrations et de l'intégration des étrangers en France, comme pour garantir les termes d'un contrat opérationnel avec la Nation à la hauteur des enjeux de sécurité.

J'en viens aux investissements nécessaires pour préparer l'avenir. Face à une menace longue, il faut donner des moyens à la DGSI : moyens humains, mais aussi création d'un site unique d'ici 2022, car les agents sont actuellement répartis sur trois sites. C'est une opération de 450 millions d'euros, distincts des 310 millions d'euros évoqués tout à l'heure.

Dans ce grand ministère de main-d'oeuvre, il est nécessaire aussi d'accompagner le virage technologique pour tirer le meilleur parti de la révolution numérique, afin que nos policiers et nos gendarmes soient au maximum sur le terrain et de moins en moins dans des bureaux. Il y a quatre chantiers majeurs : un plan d'investissement de 22,5 millions d'euros destiné à mettre au meilleur niveau technologique les réseaux, outils et techniques de renseignement de la DGSI ; 11 millions d'euros seront dédiés à la modernisation des centres d'information et de commandement pour améliorer le pilotage des interventions de police secours, ainsi que l'efficacité et la rapidité de traitement des appels d'urgence ; 10 millions d'euros seront consacrés à la mise en place d'un plan de renforcement de la sécurité des applications et systèmes d'information du ministère de l'intérieur - nous ne sommes pas assez protégés, et je ne suis pas sûr que nous le serons demain suffisamment, les hackeurs étant de plus en plus offensifs. Le ministère n'a pas le droit à l'erreur. La confiance de nos concitoyens dans l'action des forces de l'ordre et la protection des libertés publiques en dépend. Enfin, 22,5 millions d'euros seront mobilisés en 2019 pour entrer dans la phase opérationnelle du projet réseau radio du futur.

Préparer l'avenir, c'est investir, mais c'est aussi s'engager dans des réformes structurelles destinées à transformer le ministère et ses réseaux. On ne peut pas demander aux Français de faire des efforts si nous-mêmes nous n'en faisons pas. Le ministère se doit d'être exemplaire. J'ai confié au nouveau secrétaire général, le préfet Mirmand, la mise en place d'un pilotage financier transversal pour tout le ministère. Car le suivi budgétaire a suscité l'année dernière des inquiétudes - j'attends sur ce sujet un rapport de l'Inspection générale de l'administration et l'Inspection générale des finances. En raison de dérapages dans la masse salariale, il a fallu couper dans d'autres dépenses, notamment celles de la réserve !

Nous voulons aussi approfondir la politique de substitution, avec un objectif de 800 substitutions par an (5 000 sur le quinquennat) : cela consiste à envoyer sur le terrain les policiers et gendarmes exerçant une tâche administrative, par souci d'efficacité et parce que c'est leur demande. Évidemment, nous aurons besoin d'en garder quelques-uns dans des emplois fonctionnels !

J'ai demandé une réduction des effectifs de cabinet et d'état-major en centrale. Enfin, même si c'est difficile à mettre en oeuvre, je souhaite la création d'un service ministériel des achats pour optimiser l'organisation de cette fonction et faire des économies par la mutualisation des commandes et la massification des achats, ainsi que la mise en place d'une direction unique du numérique pour rassembler les moyens et les savoir-faire, aujourd'hui dispersés dans dix programmes budgétaires différents, trois services centraux, une direction de la préfecture de police et deux opérateurs.

Le Premier ministre a décidé récemment que le ministère de l'intérieur - les préfets en particulier - serait le pilote de la réforme de l'organisation territoriale de l'État, dans un but de redépartementalisation, à opérer bien sûr en lien avec les responsables des autres ministères. Le but est que l'État ait une parole unique dans les départements et que les préfets, en cas de difficulté sur un dossier, travaillent avec l'ensemble des acteurs, de quelque ministère qu'ils relèvent.

M. Philippe Bas, président. - Cette heureuse orientation vers la départementalisation des services de l'État va un peu à rebours de ce qu'on a pu nettement observer ces dix dernières années. Faire changer de direction à un paquebot prend du temps...

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis (mission « Immigration, asile et intégration »). - Les crédits de la mission « immigration, asile et intégration » augmentent et je suis satisfait que l'intégration soit particulièrement prise en compte à travers le financement de cours de français et les moyens alloués aux réfugiés dits statutaires. Cela rejoint une position constante de la commission des lois du Sénat depuis de nombreuses années.

Nous avons un doute sur le budget alloué au traitement de l'asile. Le document budgétaire repose sur une hypothèse de stabilité des demandes d'asile en 2019, et même d'une baisse d'environ 10 % des demandeurs sous procédure Dublin. Nous sommes vraiment dubitatifs : au cours des six premiers mois de 2018, les demandes ont augmenté de près de 19 %, tandis que les flux secondaires ne tarissent pas en France, principalement en provenance de l'Allemagne. À cela, il faut ajouter les personnes arrivées en France via l'Espagne, dont un certain nombre déposeront une demande d'asile. Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur la sincérité de ce budget.

Vous avez évoqué une augmentation cette année de 20 % des éloignements du territoire depuis le début de 2018. Je conçois que vous puissiez le présenter comme un succès, mais il faut aussi prendre en compte les taux d'exécution : depuis le début de l'année, 12,5 % seulement des décisions d'éloignement ont été exécutées, soit 6 406 sur 50 800 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées. Le compte n'y est pas. Où en est-on sur les négociations relatives aux accords de réadmission ? Sur l'obtention des laissez-passer consulaires ? Ce sont les vraies solutions en la matière. Sans cela, il n'y aura pas d'évolution possible.

M. Christophe Castaner, ministre. - L'évolution de la demande d'asile s'inscrit dans le contexte paradoxal que j'évoquais tout à l'heure : un recul de 95 % en Europe et des augmentations de demandes chez nous ces dernières années. La France ne pourra pas éternellement rester dans une situation singulière en Europe : cet effet de « rebond » ou de « transfert » des demandeurs d'asile depuis les pays voisins, que nous constatons aujourd'hui, a vocation à être limité par la diminution du nombre de migrants entrant dans ces États. C'est le pari que nous faisons. Il ne s'agit pas de minorer les chiffres, et notre prévision d'une stabilité du flux des demandeurs d'asile pour 2019, à environ 110 000 premières demandes introduites à l'Ofpra, correspond à ce schéma-là.

Plus globalement, il faut aussi renégocier le règlement de Dublin, en introduisant plus de responsabilité, mais aussi plus de solidarité. J'ai commencé à avoir des échanges avec mes homologues européens sur ce sujet, j'ai rencontré le commissaire européen chargé de ce dossier. Les positions sont très opposées : les pays de première entrée sont favorables à une responsabilité la plus courte possible et à un maximum de solidarité ; les pays d'entrée secondaire, eux, sont favorables à une plus large responsabilité dans la durée et sont plus réservés sur la solidarité. On doit pouvoir trouver un point d'équilibre. Mes échanges avec mon homologue espagnol ont été très intéressants : son pays, très fortement confronté au problème, accepte d'ouvrir la discussion, y compris sur la question de la durée de la responsabilité. Même le ministre allemand, qui souhaite une responsabilité de dix ans pour le pays de première entrée, est prêt à accepter le principe de la solidarité financière, sur laquelle bloquent certains pays.

S'agissant des conventions passées avec certains pays, un travail efficace a été conduit par exemple avec l'Albanie, qui a permis de diminuer les flux et d'accroître très fortement les retours. À l'inverse, des tensions existent avec la Géorgie, car on assiste à une très forte croissance du flux des ressortissants.

S'agissant des OQTF, vous avez raison sur le constat, mais entre 2015 et 2018, le nombre des OQTF - qui, pour l'essentiel, sont des décisions de justice - a augmenté de 28 % et dépassera 100 000 cette année. Bien sûr, une OQTF qui n'est pas exécutée, c'est un problème. Il faut améliorer le taux d'exécution, mais nous ne sommes pas au plus bas historique. Il faut aussi prendre en compte l'ensemble des départs : les départs spontanés, grâce à une aide financière, ont eux augmenté de 20 %.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances (mission « Immigration, asile et intégration »). - On ne peut se satisfaire d'un taux d'exécution des éloignements à 12,5 % ; il y a là un problème. Améliorer l'obtention des laissez-passer consulaires est indispensable. Nous procédons aux expulsions par avions civils, tandis que d'autres pays recourent à des avions militaires. Enfin, des personnes acceptent l'argent... sans quitter le territoire.

Ensuite, certains pays sont attractifs en raison de leur système social. Nous ne pourrons gérer correctement l'intégration de personnes en nombre excessif ! Et le droit d'asile est détourné. La non-application des décisions de justice est un vrai problème qui dure depuis des années. Les chiffres sur lesquels le Gouvernement a bâti son budget, malgré la très forte augmentation des crédits, risquent encore une fois de poser un problème de sincérité.

Ne pourrait-on pas s'inspirer de nos voisins ? Ainsi, l'Allemagne a élargi le nombre de pays sûrs pour pouvoir expulser rapidement, de manière certaine, ceux qui ne méritent pas d'obtenir l'asile.

En ce 13 novembre, je suis obligé de vous demander ce qu'il va advenir des djihadistes revenant des théâtres extérieurs et de ceux qui vont sortir de prison.

Vous avez parlé d'un pilotage financier transversal du ministère : ne faudrait-il pas, de manière urgente, consolider le coût de cette mission « Immigration, asile et intégration » ? Les crédits sont d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros, mais certains documents budgétaires évoquent un montant de 6,2 milliards, sans même inclure tout ce qui relève de la sécurité sociale ou des départements.

La dernière loi « asile et immigration » promulguée à l'automne ne va pas dans le bons sens : elle facilite par exemple l'accès au territoire des mineurs isolés. Or nous observons une recrudescence de l'arrivée de ces mineurs via l'Espagne. Et s'ils obtiennent le droit d'asile, ils pourront alors faire venir leur famille.

M. Philippe Bas, président. - Cette interrogation est lancinante : 50 838 OQTF prononcées, seulement 6 406 exécutées. Quelles initiatives nouvelles allez-vous prendre à ce sujet ?

M. Christophe Castaner, ministre. - On ne peut pas dire que ce budget n'est pas sincère. Pour ma part, je ne parle que du budget du ministère de l'intérieur et du programme 303 « Immigration et asile », doté de 1,281 milliard d'euros. Vous évoquez les dépenses des départements, le ministre de l'intérieur n'a pas à se prononcer.

Le taux de 12,6 % ne concerne que les éloignements forcés de personnes faisant l'objet d'une OQTF. Or il existe d'autres dispositifs : le départ aidé ou le départ spontané. Sauf rares exceptions, je ne peux pas vous laisser dire que certains prennent l'argent et ne repartent pas. Le dispositif est plutôt efficace, même si certains peuvent revenir. Ayons les montants à l'esprit : pour un ressortissant albanais par exemple, l'aide au départ est de 300 euros.

S'agissant de l'appréciation de la sécurité dans les pays de renvoi, hormis sur le cas afghan, l'Allemagne et la France ont une approche à peu près similaire.

Sur le fond concernant l'éloignement, je partage votre exigence : nous devons améliorer notre efficacité dans les opérations d'éloignement. Nous procédons à des recrutements de personnel, nous augmentons le budget dévolu aux départs volontaires, nous créons des places en centre de rétention administrative (CRA). Nous avons avec la loi récente prévu d'accélérer la procédure diplomatique, pour éviter une réception trop tardive des laissez-passer consulaires.

Concernant l'éloignement des étrangers en situation irrégulière et présentant une menace à l'ordre public, j'ai réuni les préfets et je leur ai demandé le 20 octobre une vigilance particulière.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Monsieur le ministre, vous avez souligné votre attachement au processus d'intégration des étrangers et des réfugiés statutaires, ce qui se traduit par une augmentation des crédits budgétaires. Je partage votre souci. L'Assemblée nationale a adopté lors de l'examen du budget un dispositif qui est extrêmement intéressant, un crédit d'impôt de 5 euros par nuit, plafonné à 1 500 euros par an, au profit des particuliers qui hébergent des réfugiés statutaires, et ce depuis moins d'un an, le tout étant encadré par des associations. Ce dispositif avait été lancé à l'initiative d'Emmanuelle Cosse - sans crédit d'impôt - ce qui nous donne un certain recul pour l'apprécier. Des milliers de réfugiés sont aujourd'hui sans solution d'hébergement, et le coût budgétaire d'un réfugié dans les centres varie actuellement entre 17 et 25 euros par nuit. Le coût pour l'État de ce dispositif serait donc comparativement très modeste.

Pouvez-vous nous confirmer que vous ne vous opposerez pas au maintien de cette disposition, au nom de votre souci d'intégration de ces réfugiés statutaires, pour leur permettre d'acquérir la langue française et de construire des liens avec des personnes vivant en France ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Je ne peux parler au nom de mon collègue ministre du budget. Cela étant, la question de l'hébergement est majeure. Nous finançons 2 000 places supplémentaires en centres provisoires d'hébergement, dont 1 500 places en Île-de-France et je préfère une « offre » publique, qui permet une meilleure sécurité, une meilleure anticipation et un meilleur accompagnement dans l'élaboration des dossiers.

Je crois à la solidarité, qui ne doit pas nécessairement s'accompagner d'une défiscalisation. Beaucoup de citoyens en font preuve sans en attendre un crédit d'impôt. En clair, je suis favorable au renforcement des capacités publiques d'hébergement encadré et défavorable à la multiplication d'initiatives qui ont des conséquences fiscales.

M. Jean-Yves Leconte. - Votre budget vous donne-t-il les moyens de mettre en oeuvre l'ensemble des évaluations Schengen, en particulier celle de 2016, et les plans d'action qui ont suivi ? Il reste encore du travail.

Concernant les visas, question liée à notre politique migratoire, le ministère des affaires étrangères est sous tension budgétaire. Dès lors, comment peut-on envisager d'étudier sérieusement les demandes de visa dans des délais brefs, en accordant toute l'attention requise à la pertinence des demandes et en exerçant la surveillance nécessaire ?

Le Gouvernement est favorable à la dématérialisation du plus grand nombre de démarches administratives. Quand les étrangers en situation régulière seront-ils concernés ?

Enfin, j'attire votre attention sur la situation des CRA, qui, au cours des 18 derniers mois, ont été sous très forte tension, avec une mobilisation de leur personnel pour accompagner des personnes interpellées d'un endroit à l'autre de la France. Ce travail aux côtés des agents de la police aux frontières ne se fait pas dans des conditions satisfaisantes. La rétention n'est pas le seul moyen pour éloigner quelqu'un : les taux d'éloignement sont meilleurs en Allemagne, pays qui ne recourt pas systématiquement à la rétention.

M. Christophe Castaner, ministre. - S'agissant du système d'information Schengen, la France a fait l'objet d'un contrôle par la Commission. Nous consacrons 550 millions d'euros pour satisfaire aux exigences européennes, c'est une de nos priorités budgétaires.

Vous évoquez le projet de dématérialisation initié par le Quai d'Orsay France-Visas. Il va dans le sens d'une plus grande efficacité, il est moins contraignant pour nos agents. Il nous faut poursuivre ce travail.

Les conditions de travail de la police aux frontières (PAF) sont difficiles, en particulier dans la gestion des centres de rétention (CRA). Cette nuit encore, on a enregistré un départ d'incendie volontaire dans un centre. Le plan d'investissement destiné à rénover l'immobilier permettra d'améliorer non seulement les conditions de vie de ceux qui y séjournent, mais aussi les conditions de travail des agents de la PAF. Cela ne réglera pas tout, j'en conviens, et je suis d'accord avec vous : il nous faudra encore améliorer la situation.

M. Alain Marc. - Dans l'Aveyron, on a recensé 40 mineurs non accompagnés (MNA) en 2016, 170 en 2017 et plus de 700 en 2018. Le traitement de ces MNA est pris en charge par le département, à hauteur de 4 millions d'euros aujourd'hui, alors que cette charge ne représentait que quelques centaines de milliers d'euros en 2016. On sait en outre qu'à peu près 40 % sont reconnus majeurs. L'Assemblée des départements de France (ADF) a demandé au Gouvernement de compenser cette charge, qui doit relever de l'État. Vous dites que vous allez tenter de tarir l'immigration, mais que comptez-vous faire pour aider les départements ? Seulement 17 % des montants en jeu seraient compensés par l'État, c'est très peu.

M. Christophe Castaner, ministre. - On observe effectivement une très forte augmentation du nombre de MNA en France - environ 15 000 en 2018, soit une multiplication par trois en quelques années. C'est très lourd pour les départements.

Le Gouvernement a proposé à l'ADF la mise en place d'un fichier national unique qui permettrait d'éviter le « nomadisme », d'évaluer les besoins et de faire évoluer le dispositif. Il propose aussi une dotation directe aux départements de 142 millions d'euros. L'ADF a reconnu que cela correspondait à une partie du chemin à parcourir.

Il y a à ce sujet une discussion globale entre le Gouvernement et les départements, sous l'autorité du Premier ministre et du ministre chargé des collectivités territoriales, mais cela ne répond qu'à une partie du problème. J'ai moi-même vu, comme élu local, des jeunes arriver avec un plan de trajet complet et très bien renseigné, tenant sur une demi-feuille et fourni par une filière organisée ; cela relève de l'esclavage.

M. Philippe Bas, président. - Cette situation, vécue par les départements, doit être prise en charge par l'État au titre de sa politique de l'entrée et du séjour irréguliers ; ce n'est pas à M. Lecornu ni à la direction générale des collectivités locales de s'en charger. Ce sont bien les défaillances de notre politique d'immigration qui font que nos départements se trouvent face à une charge devant incomber à l'État.

M. Christophe Castaner, ministre. - Cela entre dans le budget de l'État, au travers de crédits du ministère de la justice. Peut-être serait-il plus cohérent que cela relève du ministère de l'intérieur, je ne me prononcerai pas sur ce point, mais sur le fond, il faut que nous consolidions ce coût, tout en prenant en compte la situation sociale, humaine.

Mme Muriel Jourda. - Même si la politique migratoire ne se résume pas à des chiffres, je veux en donner quelques-uns, car ils sont mauvais. Sur les sept premiers mois de cette année, seulement 8 % des demandeurs d'asile relevant de la procédure de Dublin III ont été effectivement transférés de la France vers leur pays d'accueil dans l'Union européenne. Cela donne à la France une attractivité forte comme pays de deuxième chance.

J'entends bien ce que vous envisagez pour faire progresser ces accords à l'échelon européen, mais ne regrettez-vous pas d'avoir rejeté les propositions du Sénat en la matière, notamment le renforcement des obligations de recueil d'empreintes et de l'efficacité des visites domiciliaires ?

M. Christophe Castaner, ministre. - On a tout de même observé, sur les huit premiers mois de l'année, une augmentation de 42 % des retours, reconduites à la frontière ou transferts de demandeurs d'asile « dublinés ». C'est une amélioration, même si cela reste effectivement insuffisant. La question des « dublinés » doit être abordée en priorité à l'échelon européen, et je m'y attelle sans relâche, mais il est très difficile de faire bouger les lignes en la matière.

Il faut agir dans trois directions. D'abord, il faut intervenir dans les pays de départ. Ensuite, il faut renforcer les frontières européennes en accroissant les moyens de Frontex. Enfin, il faut qu'émerge une vraie solidarité européenne. J'ai confiance dans la capacité intégratrice de l'Union européenne, mais le problème principal réside dans le sort des personnes qui n'obtiennent pas ce statut et qui sont en situation irrégulière. Il faut des moyens de contrôle. Vos propositions ne sont pas mauvaises, mais il y a des contraintes européennes à respecter. C'est un combat difficile à mener, dans lequel je n'ai pas de tabou, tant que l'on respecte la dignité humaine.

M. François Bonhomme. - Nous connaissons, dans le Tarn-et-Garonne, le même problème avec les MNA, d'autant que ce département est traversé par deux autoroutes, c'est une importante voie d'entrée.

Sur un tout autre sujet que la politique migratoire, M. le Premier ministre a publié une tribune sur sa volonté de lutter contre l'antisémitisme, qui a augmenté, précise-t-il, de 69 % en 2018. Cette tribune a été publiée le 9 novembre dernier, date anniversaire de la nuit de Cristal, mais le parallèle me semble malvenu : il ne s'agit plus du vieil antisémitisme maurrassien, qui a, heureusement, disparu ; l'antisémitisme actuel revêt une nouvelle forme. Ainsi, la « Tribune des imams indignés » - initiative à saluer - mettait en évidence un antisémitisme structurel dans certaines couches de la population. Quels moyens comptez-vous mobiliser pour analyser et contrer ce nouvel antisémitisme, qui est diffus ? Le Premier ministre a indiqué ne rien vouloir laisser passer sur les réseaux sociaux, mais les moyens de la Plateforme d'harmonisation, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), dont la compétence est reconnue, sont insuffisants.

M. Christophe Castaner, ministre. - Je partage le constat d'horreur face à ces propos de haine et à ces actes odieux. On a recensé, depuis le début de l'année, 125 actes antisémites et 261 menaces, dont la moitié en Île-de-France.

Effectivement, cet antisémitisme revêt de nouvelles formes, c'est pourquoi nous doublons les moyens humains de Pharos. Autre façon d'intervenir : traiter directement avec les opérateurs pour réguler le contenu sur les réseaux sociaux. Nous avons entrepris une telle démarche avec Facebook, qui sera relayée auprès des autres opérateurs.

Enfin, le Premier ministre a demandé à l'écrivain Karim Amellal, au député Laetitia Avia et au vice-président du CRIF, Gil Taïeb, un rapport sur les moyens de lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Certaines des vingt propositions qui y figurent commencent à être reprises. La commission des lois de l'Assemblée nationale souhaite ainsi proposer des mesures simplifiées de dénonciation des propos tenus en ligne ; elle soutient aussi le dispositif de préplainte en ligne et la possibilité de déposer plainte en ligne, ainsi que la formation des personnes chargées de recueillir ces plaintes dans les commissariats.

La lutte contre l'antisémitisme et le racisme est l'une de nos priorités, ce qui explique les moyens que nous lui attribuons. Cela dit, nous devons aussi encourager les victimes à déposer systématiquement plainte.

M. André Reichardt. - Vous affirmez que l'amélioration du taux de retour des personnes déboutées du droit d'asile doit passer par la discussion avec les pays d'origine. Je suis d'accord, mais certains pays ne veulent pas accueillir ces personnes. Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour y parvenir ? Des mesures donnant-donnant, par exemple concernant les visas ?

En ce qui concerne la sécurité, j'ai sollicité votre prédécesseur sur le fichier domiciliaire. La région dont je suis élu dispose d'un tel fichier, mais celui-ci n'a pas été sanctionné pénalement. Lorsqu'ils pouvaient y accéder, les maires avaient une connaissance précise des personnes qui venaient dans leur commune. Cela avait beaucoup d'intérêt en matière de scolarisation et de lutte contre le terrorisme. Le ministre antérieur devait y réfléchir. Qu'en pensez-vous ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Le donnant-donnant est le principe même de la négociation, notamment internationale. C'est ce principe qui a été mis en oeuvre dans nos discussions avec les Comores, qui bloquaient les retours de leurs ressortissants en provenance de Mayotte.

Un autre levier réside dans l'aide publique au développement (APD). C'est un levier fort. Le pari du codéveloppement nous permettra d'éviter un phénomène migratoire massif estimé entre trois cents et cinq cents millions de personnes au cours des prochaines décennies. Des coopérations sont aussi mises en place dans la lutte contre les trafics de migrants, par exemple au Sénégal ou en Guinée.

Je connais votre travail sur le fichier domiciliaire, mais je n'ai pas encore eu le temps de m'y pencher. Je n'ai donc pas de position à ce stade, mais j'ai demandé à mes services de me fournir des éléments à ce sujet.

M. Henri Leroy, rapporteur pour avis (mission « Sécurités », programme « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières »). - Vous dites que l'on ne montre au ministre que ce qui va bien, mais, précisément, rien n'est au beau fixe pour les forces de sécurité. J'aurai cinq questions.

L'encadrement de la police nationale reconnaît qu'il y a un stock de vingt-trois millions d'heures supplémentaires non rémunérées et non récupérées. Que comptez-vous faire pour résorber ce stock ?

Le budget pour 2019 ne fait, en matière de police de sécurité du quotidien (PSQ), qu'entretenir la « misère » des forces de sécurité, en prévoyant quelques centaines de postes supplémentaires, qui ne seront pas suffisants sur le terrain. Y a-t-il un calendrier précis à cet égard ?

Le parc immobilier domanial des forces de sécurité est dans un état lamentable. Votre prédécesseur avait annoncé des efforts importants, qui suscitaient des attentes fortes au sein de la police et de la gendarmerie. La légère augmentation des crédits prévue dans le budget me paraît insuffisante. Dans quels délais comptez-vous résorber cette situation ?

Les investissements dans le numérique, sur lesquels repose la PSQ, chutent pour la police nationale et sont quasi inexistants pour la gendarmerie nationale. Comment comptez-vous moderniser les forces de sécurité sans allouer de crédits en faveur de la révolution numérique ?

Enfin, vous annoncez des acquisitions de véhicules, mais les mises en réserve budgétaires obèrent gravement cet investissement. Ainsi, sur les 2 800 véhicules prévus en 2018, la gendarmerie n'en a obtenu que 1 700. Comment éviterez-vous qu'une telle situation se reproduise ?

M. Christophe Castaner, ministre. - En ce qui concerne la mise en réserve budgétaire, la solution est simple, c'est le dégel, que j'ai obtenu, car ces 24 millions d'euros étaient indispensables.

Pour ce qui concerne l'équipement numérique de la police nationale, il n'y a pas de diminution, c'est un retraitement comptable qui donne cette impression. Quant à la gendarmerie nationale, elle a obtenu 67 000 terminaux ; on ne peut donc parler de frein à l'équipement numérique.

En matière d'immobilier, je ne peux pas vous laisser dire que l'on entretient la misère. Il faut être responsable, on a un budget à tenir, et une augmentation de 1 milliard d'euros en deux ans, ce n'est pas entretenir la misère. C'est vrai, la misère existe mais les travaux sont planifiés, ils commencent. Tout cela prend du temps.

Sur les moyens de la police et de la gendarmerie, on peut penser qu'il en faudrait plus, mais nous sommes des responsables politiques, on ne peut considérer qu'une augmentation de 335 millions d'euros - 216 millions pour la police nationale et 119 millions pour la gendarmerie nationale - soit négligeable. Cela ne permettra pas de rattraper le retard, car les budgets de la justice et de la sécurité ont été trop faibles pendant longtemps. Il faut donc conduire ce rattrapage, mais on le fait dans un cadre budgétaire contraint, dans une négociation avec Bercy. Néanmoins, je reconnais qu'il est plus facile pour moi de présenter ce budget de sécurité, négocié d'ailleurs par mon prédécesseur, que ce ne le fut pour les budgets antérieurs.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances (mission « Sécurités », programmes « Gendarmerie nationale » et « Police nationale »)- Je suis frappé par un certain nombre d'inexactitudes dans votre propos, monsieur le ministre. Tout d'abord, sur l'augmentation du budget, vous devez parler des autorisations d'engagement, parce que, en crédits de paiement, la mission « Sécurités » augmente de 1,62 %, non de 3,5 %.

Deuxième inexactitude, les crédits d'investissement, loin de représenter un effort important, sont en baisse : ils passent de 200 à 173 millions d'euros pour la gendarmerie et de 355 à 273 millions d'euros pour la police nationale. Cette tendance est d'ailleurs logique : depuis des années, les dépenses de personnel de ces programmes augmentent mais de manière disproportionnée par rapport à l'investissement et au fonctionnement. Elles sont passées en dix ans de 80 % à 87,36 % du budget. Depuis dix ans, à chaque fois que l'État a créé un poste d'agent, il a supprimé une voiture.

Troisième inexactitude : vous prétendez que le parc automobile va bien. Or la commission des finances a demandé une enquête à la Cour des comptes, qui estime que le parc de la police comme de la gendarmerie est vieillissant. La Cour a aussi constaté que seulement 51 % des effectifs suivent leurs trois formations de tir dans l'année.

Il y a donc une diminution en formation, en fonctionnement et en investissement, et je ne parle même pas de la vacation forte, qui exige une augmentation supérieure des effectifs. Les chiffres que vous indiquez sont contraires à ce que la commission des finances constate, c'est pourquoi elle a rejeté votre budget.

M. Christophe Castaner, ministre. - Je n'ai jamais dit que le parc automobile allait bien. En revanche, il s'améliore ; 5 800 véhicules livrés en 2018, c'est du concret. Cela abaisse l'âge moyen des automobiles, c'est toujours mieux.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - Sur 60 000 véhicules, c'est peu.

M. Christophe Castaner, ministre. - Ce n'est pas parfait, mais c'est déjà ça ; moi aussi, j'aimerais avoir une baguette magique...

Vous avez raison pour ce qui concerne l'augmentation forte des dépenses de personnel par rapport aux dépenses d'équipement ; c'est un problème, d'autant que cet équipement sert aussi à protéger nos forces de sécurité. Néanmoins, nous avons bien prévu l'équipement des 2 500 recrutements que nous envisageons pour cette année, soit 28 millions d'euros. Nous appliquons le parallèle nécessaire entre recrutement et équipement.

On peut discuter de la présentation du budget selon la nomenclature des titres, mais je m'attache à appliquer les catégories prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), par missions et programmes, et avec une distinction entre dépenses de personnel et autres dépenses. Je vous invite toutefois à bien tenir compte des effets de périmètre. La suppression des loyers budgétaires a un impact, par exemple. En outre, vous comparez des données différentes à des stades différents du processus budgétaire. On ne peut pas comparer un projet de loi de finances à une loi de finances promulguée. Le débat parlementaire compte. Ce qui est essentiel, à mes yeux, c'est l'exécution du budget ; or nous passons cinq semaines à examiner le budget et une demi-journée à examiner la loi de règlement. Dans une commune, on fait l'inverse.

Bref, n'opposons pas nos chiffres ; ce budget porte une ambition, mais je sais que je devrai me battre pour l'exécuter. Par exemple, en matière de sécurité civile, mon prédécesseur a prévu un programme d'achat de six avions de type « Dash », et je ferai en sorte que le premier d'entre eux soit livré avant l'été - il s'agit d'un engagement de 380 millions d'euros.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial de la commission des finances (mission « Sécurités », programme « Sécurité et éducation routières »
et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers »)
. - L'année dernière, le Gouvernement avait indiqué qu'il n'y aurait aucun radar supplémentaire sur les routes. C'est vrai, malgré un budget consacré aux radars en forte hausse, il y en a eu trois de moins. Le budget pour 2019 est ambitieux aussi, et il fixe une cible de 4 700 radars pour le 31 décembre 2019, mais c'était déjà l'objectif fixé pour le 31décembre 2018. Il y a aussi dans le projet de loi de finances rectificative des annulations de crédits. Ne risque-t-on pas de retrouver en 2019 les mêmes écarts entre objectifs et réalisation ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Il y a une explication technique liée à une problématique d'homologation. Les 400 radars nouveaux devaient être financés mais la livraison a pris six mois de retard, donc ils ne peuvent être mis en activité en 2018. En revanche, ils ont été commandés, et ils seront livrés et installés en 2019. Il s'agit de radars tourelles, qui ont une plus grande capacité de contrôle, donc de prévention routière, car, je le rappelle, il s'agit d'un objectif de sécurité routière et non de recettes. En effet, si l'État perçoit un milliard d'euros par ce biais, ce montant baisse et, en outre, la prévention routière a un coût de 3,5 milliards d'euros. Ce n'est pas la « machine à fric » souvent dénoncée. Ce contrôle sauve des vies.

En ce qui concerne les annulations de crédits du projet de loi de finances rectificative, il s'agit d'annulations techniques concernant des autorisations d'engagement devenues sans objet.

M. Philippe Bas, président. - Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis des crédits du programme « Sécurité civile », devait poser une question mais elle est aujourd'hui en déplacement auprès de Marianne Thyssen, commissaire européen à l'emploi. Elle est à l'origine d'une motion signée par 254 sénateurs demandant que l'Union européenne prenne des mesures après l'arrêt Matzak de la Cour de justice de l'Union européenne sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires. Elle m'a donc chargé d'être son porte-parole pour exprimer notre inquiétude sur l'avenir du volontariat, qui est, dans le modèle français de sécurité civile, incontournable. Que peut entreprendre le Gouvernement pour colmater cette brèche dans les meilleurs délais, éventuellement en modifiant les textes européens, afin que le statut des sapeurs-pompiers volontaires ne soit pas en péril ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Le Gouvernement est très attaché à ce modèle, fondé sur le volontariat. Aujourd'hui, 69 % de nos 193 800 sapeurs-pompiers volontaires ont une activité professionnelle comme salariés. Cet arrêt pose un problème majeur. À ce stade, il n'y a pas de mise en demeure directe de la France, mais la Cour des comptes ne manque pas d'évoquer le sujet chaque fois qu'elle aborde les services départementaux d'incendie et de secours.

Deux orientations sont possibles pour faire face à ce problème. La première consiste à exploiter au maximum les capacités de dérogation prévues par la directive. J'ai demandé une étude en ce sens. La seconde, qui peut être cumulative, consiste à engager une démarche auprès des institutions européennes pour modifier la directive de 2003 ; mais ce sera difficile, car il s'agissait à l'époque d'une initiative française. Nous pouvons mener les deux démarches en parallèle ; nous devons sauver notre modèle.

Pour l'instant, je n'ai pas encore saisi la Commission, je suis en fonction depuis un mois et je veux étudier le dossier au préalable, mais nous sommes côte à côte pour défendre ce modèle. Non seulement nous défendons cette philosophie, celle de l'engagement, mais l'enjeu financier est colossal ; nous ne pourrions pas armer correctement les centres de départ en ne recourant qu'à des sapeurs-pompiers professionnels. Dans la principale sous-préfecture des Alpes-de-Haute-Provence, il n'y a qu'un sapeur-pompier professionnel qui encadre des sapeurs-pompiers volontaires. Même en étant très riche, l'État ne pourrait pas couvrir tout le territoire national, surtout les zones rurales.

M. François Grosdidier. - Je ne doute pas de votre bonne volonté et de votre souhait de disposer d'un budget à la hauteur des besoins de la sécurité intérieure, mais le compte n'y est pas. Sans doute, nous faisons mieux que les années précédentes, mais le rapport de notre commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure - on se demande parfois si un membre du Gouvernement l'a lu - a établi les responsabilités des uns et des autres, et a mis en évidence les besoins nouveaux. Or on ne peut s'en tirer avec l'affichage d'augmentations marginales ou artificielles. Vous évoquez 5 800 nouveaux véhicules sur 60 000. Le parc va donc continuer de vieillir, pour tendre vers dix ans de moyenne d'âge. On nous a ainsi promis 3 000 véhicules neufs pour la police nationale l'année dernière, mais les crédits de 40 % d'entre eux ont été gelés.

Bref, il ne faut pas des augmentations au coup par coup, annulées en cours d'exécution, il faut une loi de programmation qui sécurise le budget et les investissements, et qui redonne du moral aux forces de l'ordre. Cela vaut pour les véhicules, pour l'immobilier ou pour l'équipement.

De même, on mentionnait la vidéo ; nous sommes convaincus de l'utilité de la caméra-piéton individuelle pour éviter les mises en cause injustifiées des agents, les dérapages éventuels, et pour donner des éléments matériels au juge, mais les policiers sont insuffisamment équipés et les gendarmes n'en ont quasiment pas. On est souvent allé plus vite pour équiper les polices municipales dans le cadre d'une expérimentation qui a failli ne pas être pérennisée. Heureusement, le Parlement a accompli l'exploit de voter en urgence une nouvelle loi cet été, mais les décrets d'application n'ont toujours pas été publiés, de sorte que l'on a dû remiser les caméras !

Par ailleurs, la vidéoprotection par caméras fixes dans les communes, si utile à la justice et aux forces de l'ordre, n'est plus financée.

Enfin, dernières questions, relatives au fonctionnement : comment allez-vous payer les vingt-deux millions d'heures supplémentaires qui ne peuvent être récupérées, et allez-vous payer les arriérés de loyer de 85 millions d'euros dus aux collectivités territoriales qui logent, très correctement, les gendarmes ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Je ne sais pas encore comment régler cette question des heures supplémentaires, mais il y a actuellement des négociations sur le temps de travail qui peuvent, à tout le moins, donner les moyens d'empêcher l'augmentation du stock. C'est une avancée, insatisfaisante sans doute, mais c'est déjà ça. On estime que le paiement de ce stock représenterait 250 millions d'euros, on sait qu'on ne peut le financer.

Votre propos est un peu un réquisitoire ; je n'emploierai pas le même ton. En ce qui concerne les véhicules, on peut penser qu'il n'y en a pas assez, mais on programme l'acquisition de 2 800 véhicules pour la gendarmerie en 2019 ; par rapport au budget pour 2012 - il prévoyait l'acquisition de 916 véhicules -, l'augmentation est plus que marginale, c'est significatif. Cela permet-il d'aller assez loin ? Non, je le répète, mais, en moyenne, nous achèterons 1 100 véhicules de plus chaque année par rapport au quinquennat précédent.

Sur le gel des crédits pour l'achat des véhicules, j'ai répondu, ces crédits ont été totalement dégelés.

Le rapport de votre commission d'enquête a non seulement été lu, mais il a été fortement utilisé par Gérard Collomb, mon prédécesseur, dans ses négociations avec Bercy, et ce que vous considérez comme marginal a causé de vraies tensions entre le ministre de l'intérieur et le ministère du budget. Votre rapport a donc déjà eu cette efficacité.

Sur la caméra-piéton, on peut aller plus loin et plus vite, certes, mais on augmente leur nombre de 25 %, soit de 4 000, dans la police, c'est non négligeable. Pour les gendarmes, c'est un problème de doctrine et non un problème budgétaire qui en retarde l'utilisation.

Je ne peux vous laisser dire que l'on ne finance pas la vidéoprotection des communes. En 2018, 30 % du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a financé la vidéoprotection des communes. Il y a une forte augmentation de la demande, car les maires ont compris que c'est un enjeu majeur. On ne peut les suivre toutes, mais nous souhaitons financer directement la vidéoprotection des communes tout en maintenant les capacités de financement du FIPD.

Pour ce qui concerne les arriérés de loyer dans la gendarmerie, Gérard Collomb voulait résorber la dette locative en deux ans. Nous reprenons cet engagement : 26 millions d'euros en 2017, 26 millions en 2018. Selon mes informations, la dette est résorbée et elle a maintenant un caractère frictionnel. Il n'est pas question de la reconstituer.

M. Philippe Bas, président. - Il est vrai que les effectifs ont augmenté au cours des dernières années, mais c'était surtout justifié par la lutte contre le terrorisme. Il est aussi exact que, depuis 2017, on a redéployé les effectifs en faveur de la lutte contre la délinquance. La sécurité au quotidien est un sujet majeur pour nous. On ne peut consacrer tous les moyens supplémentaires à la lutte contre le terrorisme, même si cette lutte doit effectivement se mettre à niveau.

Nous reconnaissons votre effort mais on ne peut réduire la question des ressources humaines de la gendarmerie et de la police à l'augmentation des effectifs. D'abord, il n'est pas simple de recruter ; ainsi, au 31 août 2018, on constate un sous-effectif de 369 agents par rapport à la cible. En outre, une partie des effectifs supplémentaires sera absorbée par des modifications des conditions d'emploi. Je pense en premier lieu à la réforme des cycles de travail dans la police nationale - la vacation forte -, qui sera très coûteuse ; sa généralisation devrait nécessiter 6 000 équivalents temps plein (ETP). En second lieu, l'application de la directive sur le temps de travail dans la gendarmerie entraînerait la perte de 4 000 ETP, partiellement compensée par l'augmentation des astreintes. Ces deux phénomènes absorbent une part importante de la hausse des effectifs dont nous avons besoin.

Nous vous donnons acte de vos propositions d'augmentation d'effectifs, mais nous sommes inquiets des conditions de mise en oeuvre de ces augmentations, qui n'amélioreront en rien la présence des forces de sécurité sur le terrain.

M. Christophe Castaner, ministre. - Les 10 000 recrutements prévus ne seront pas consacrés en totalité au renseignement. Il y en aura 1 900 pour le renseignement, y compris territorial ou de cyberdéfense, donc 81 % d'entre eux ne sont pas dédiés au renseignement : 5 524 policiers, 2 489 gendarmes, 45 personnels de sécurité civile et 30 agents de préfecture pour le pôle « éloignement ». Cela dit, je considère pour ma part que les policiers de la PSQ sont aussi des acteurs du renseignement ; si la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est chef de file, cela ne signifie pas que les autres acteurs de la police et de la gendarmerie ne font pas de renseignement.

En ce qui concerne les effectifs de 2018, la cible doit être appréciée à la fin de l'année. Mes services se sont engagés à ce que les 1 376 policiers et les 459 gendarmes de la cible soient recrutés et opérationnels à la fin de l'année. Il faut en outre prendre en compte le temps de formation et l'attractivité des postes sur certains territoires ; on éprouve de vraies difficultés à maintenir des cadres et des agents à certains endroits. À Maubeuge, par exemple, je ne parviens pas à recruter un commissaire.

Sur la vacation forte, un moratoire est en vigueur. Les partenaires sociaux veulent rouvrir le débat. En ce qui concerne la gendarmerie, le Président de la République a prévenu la Commission européenne que nous n'irions pas au-delà. Vos pronostics seraient justes si l'on devait appliquer ces politiques, mais je n'imaginerais pas demander des moyens en forte augmentation au Parlement si cela ne se traduisait pas par une plus forte présence sur le terrain. Il est arrivé dans le passé que l'on adopte des moyens en hausse mais que les effectifs baissent. Ce ne sera pas le cas ; je ne serais pas audible si cela ne se traduisait pas dans la réalité.

M. Jacques Genest, rapporteur spécial de la commission des finances (mission « Administration générale et territoriale de l'État »). - Ma première question porte sur les travaux en cours visant à réorganiser l'administration territoriale de l'État. Dans quelle mesure les préconisations de Cap 2022 permettront-elles de prendre le relais du plan Préfectures nouvelle génération, qui s'est achevé l'an dernier ? Quel est l'apport du travail demandé aux préfets de région pour établir de nouveaux schémas de service ? Le réseau préfectoral sera-t-il mieux à même d'assurer ses missions ?

Les délais de délivrance des cartes grises sont insupportables, surtout quand les demandes transitent par les centres d'expertise et des ressources des titres. Comment comptez-vous résorber les délais ? Par ailleurs, est-il normal que les concessionnaires privés prélèvent une commission quand ils s'acquittent de cette formalité pour leur client ?

Les moyens consacrés à l'accueil des étrangers - asile, titres de séjour, naturalisations - sont insuffisants pour absorber toutes les demandes. Quelles sont vos intentions à cet égard ?

M. Christophe Castaner, ministre. - Les travaux interministériels sur l'organisation territoriale de l'État ont commencé aujourd'hui. Mon directeur de cabinet, le préfet Stéphane Bouillon, pilote cela personnellement, c'est dire mon attachement à ce sujet. Il ira dans le sens de la modernisation et de la proximité. Favoriser la proximité, c'est prioriser l'échelon départemental dans la réorganisation territoriale de l'État. Ce n'est pas simple, mais nous avons la volonté forte d'avoir un interlocuteur unique.

En ce qui concerne les cartes grises, si un concessionnaire offre une prestation, il a légalement le droit de prélever une commission, même si la demande qu'il entreprend est gratuite sur Internet. Les acheteurs doivent être informés.

Quant au délai de délivrance des titres réglementaires, la situation s'est améliorée mais le processus de délivrance a été revu en profondeur dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération, et celui des cartes grises a connu quelques difficultés. Les cartes nationales d'identité sont aujourd'hui délivrées en seize jours, les passeports en dix-sept jours, les cartes grises complexes en quatorze jours. Les choses vont mieux mais il y a des anomalies dans certains endroits ; n'hésitez pas à nous les signaler. J'ai demandé à l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) de prendre systématiquement l'attache avec les usagers et j'ai indiqué qu'il ne devait pas y avoir de verbalisation du fait d'un retard imputable à l'administration.

M. Jacques Genest, rapporteur spécial. - Ma commune de 850 habitants délivre des cartes d'identité et des passeports vite, en huit jours, cela fonctionne très bien, je dois le reconnaître. Cela attire même des gens des communes voisines.

M. Philippe Bas, président. - Merci de vos réponses précises, monsieur le ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 10.

Mercredi 14 novembre 2018

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Questions diverses

M. Philippe Bas, président. - Notre collègue Josiane Costes aura été assidue jusqu'au dernier jour. Je vous rappelle que Jacques Mézard redeviendra sénateur dans les prochains jours, après son départ du Gouvernement. Je veux dire, au nom de tous, le plaisir que nous avons eu à travailler avec Josiane Costes, et notre reconnaissance pour son investissement dans les travaux de la commission.

Mme Josiane Costes. - Tout le plaisir a été pour moi. J'ai beaucoup appris, et je souhaite remercier les collègues sénateurs et le président pour tout ce qu'ils m'ont apporté.

M. Philippe Bas, président. - Je voudrais également vous rappeler qu'à l'initiative de notre collègue Mathieu Darnaud et de la mission de contrôle et de suivi des lois de réforme territoriale, un colloque sur la revitalisation de l'échelon communal se tiendra au Sénat le jeudi 15 novembre. Il sera ouvert par le président Gérard Larcher et clôturé par Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Depuis 2011, l'âge d'éligibilité des candidats aux élections sénatoriales est fixé à 24 ans, alors que celui des candidats aux autres élections a été abaissé à 18 ans.

Ce seuil de 24 ans a été défini pour donner l'opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales au sens de l'article 24 de la Constitution, d'exercer un mandat local avant d'entrer au Palais du Luxembourg.

La proposition de loi organique relative à l'élection des sénateurs, présentée par André Gattolin et plusieurs de nos collègues, a pour objectif de réduire l'âge d'éligibilité des sénateurs de 24 à 18 ans pour plusieurs raisons.

Il s'agit, en premier lieu, de faire concorder âge d'éligibilité et citoyenneté, comme pour les autres élections.

En deuxième lieu, notre collègue André Gattolin rappelle qu'il n'est pas indispensable d'avoir exercé un mandat local pour être élu sénateur.

En troisième lieu, il juge illogique qu'un grand électeur de moins de 24 ans ne puisse se présenter aux élections sénatoriales.

En dernier lieu, il considère que cette proposition de loi organique permettrait de faciliter le renouvellement politique de la Haute Assemblée.

Le Sénat remplit trois missions : voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques. Il assure aussi la représentation des collectivités territoriales et des Français établis hors de France.

Conformément à la Constitution, l'équilibre de la Vème République repose sur un bicamérisme différencié mais équilibré. Il est primordial de conserver deux chambres différentes et complémentaires dans notre système institutionnel.

C'est pourquoi deux modes d'élection différents ont été retenus pour le Sénat et l'Assemblée nationale.

Les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect. L'âge d'éligibilité est fixé à 24 ans. Le scrutin est majoritaire dans les circonscriptions qui élisent un ou deux sénateurs et proportionnel dans celles qui élisent trois sénateurs ou plus. La durée du mandat de sénateur est de six ans, avec un renouvellement partiel tous les trois ans.

Comme l'a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas, président de la commission, le Sénat constitue « ainsi le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant ». En effet, « le mode d'élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme ».

Historiquement, le choix de différencier l'âge d'éligibilité entre les deux assemblées date de 1795. À l'époque déjà, la chambre haute devait permettre l'évolution du régime tout en maintenant la paix sociale.

Je rappelle également les mots du Général de Gaulle en 1946 : « le premier mouvement [de l'Assemblée nationale] ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée élue et composée d'une autre manière la fonction d'examiner publiquement ce que la première a pris en considération ».

De même, l'âge des sénateurs est perçu comme un facteur de modération pour la « chambre de la réflexion » louée par Georges Clemenceau.

En outre, nous sommes les représentants des collectivités territoriales. Comment est-il possible de les représenter sans en connaître le fonctionnement ? Certains sénateurs n'ont pas exercé de mandats locaux mais ils sont rares. Si tous les sénateurs étaient dans ce cas, alors les collectivités territoriales perdraient leur confiance dans le Sénat, considérant que ce dernier serait trop éloigné de leurs préoccupations concrètes.

Les débats parlementaires de 2011 démontrent d'ailleurs que l'âge d'éligibilité de 24 ans a été défini en additionnant l'âge de la citoyenneté, d'une part, et la durée d'un mandat local complet, d'autre part. Il s'agit de valoriser l'expérience locale des sénateurs.

Faut-il diminuer l'âge d'éligibilité à 18 ans pour rajeunir l'âge moyen des sénateurs ? Depuis le début de la Vème République, l'âge moyen des députés oscillait entre 50 et 56 ans et celui des sénateurs entre 55 et 61 ans. L'abaissement en 2011 de l'âge de l'éligibilité des sénateurs de 30 à 24 ans et de celui des députés de 23 à 18 ans n'a pas eu d'effet décisif. Les âges moyens entre les deux assemblées étaient assez proches. Je parle à l'imparfait car il y a eu depuis les élections législatives de 2017 ! L'écart s'est creusé puisque la moyenne d'âge des députés est passée à 49 ans tandis que celle des sénateurs est restée à 61 ans. Toutefois, cette évolution est due à l'élection de députés âgés entre 30 et 50 ans. Sur les 27 députés de moins de 30 ans, aucun n'avait moins de 23 ans !

Je me suis également interrogé pour savoir si la jeunesse faisait partie des thématiques abordées par le Sénat. Nos travaux sont-ils adaptés à toutes les générations ? Pour répondre à ces questions, j'ai procédé à l'audition de jeunes députés afin de recueillir leur point de vue. Ils m'ont précisé qu'ils n'étaient pas spécialisés sur le thème de la jeunesse et que leurs opinions différaient peu de celles de leurs collègues. La jeunesse est un sujet abordé au Parlement, suivi et pris en considération par des élus de toute génération.

Enfin, sommes-nous dans une situation différente de celle des autres pays ? Non. Seuls l'Allemagne et l'Espagne ont fait le choix d'avoir des âges d'éligibilité identiques pour la chambre haute et la chambre basse. Mais il est difficile de comparer la France et l'Allemagne puisque les membres du Bundesrat sont désignés par les gouvernements des Länder. La plupart des autres démocraties ont fait le choix de maintenir une différence d'âge pour l'éligibilité aux deux chambres, notamment les États-Unis, l'Italie et le Royaume-Uni.

Enfin, peut-on aborder cette proposition de loi organique sans prendre en considération les projets du Gouvernement concernant la réforme de nos institutions ? Ces projets pourraient d'ailleurs remettre en question les spécificités du Sénat en multipliant par quatre le nombre de départements ne comptant qu'un seul sénateur et en supprimant, pour les prochaines élections sénatoriales, le principe du renouvellement partiel.

Comme l'a déclaré notre collègue Jérôme Bignon en 2003, lorsqu'il était député : « la différence d'âge [entre les deux chambres] est une richesse. N'uniformisons pas les mandats, les modes d'élection et les périodes de renouvellement car nous risquerions de sombrer dans un bicamérisme affadi ».

Je propose donc de ne pas adopter la proposition de loi organique de notre collègue André Gattolin.

M. Jean-Pierre Sueur. - Le groupe Socialiste et républicain a largement débattu de cette proposition de loi organique. Le vote qui a conclu ce débat a été favorable à ce texte.

Pour commencer, il y a peut-être une phrase malheureuse dans votre rapport, même s'il s'agit d'une citation. Dire que le Sénat est « le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant » me paraît excessif. Il existe, en dehors du Sénat, d'autres pouvoirs qui répondent à ces caractéristiques.

Sur le fond, nous considérons qu'il n'y a pas d'argument solide contre la proposition de loi organique. Comment expliquer et justifier un âge d'éligibilité différent pour le Sénat ? L'argument principal en défaveur de ce texte est que le Sénat représente les collectivités territoriales. Mais il n'est pas obligatoire d'être élu local pour être sénateur. Si l'on suivait ce raisonnement, il faudrait imposer aux candidats aux élections sénatoriales d'avoir exercé un mandat local. Par ailleurs, les grands électeurs qui participent aux élections sénatoriales sont libres de s'exprimer : ils peuvent voter, ou non, pour un élu local.

M. Mathieu Darnaud. - Je suis étonné que l'on puisse déposer une proposition de loi organique, quand l'auteur lui-même indique que son texte ne permettra ni d'abaisser l'âge moyen des sénateurs, ni de conduire à l'élection d'un nombre conséquent de sénateurs âgés de 18 à 24 ans... Par ailleurs, considérant l'actualité des collectivités territoriales et la volonté annoncée du Gouvernement de renouer avec les territoires et leurs élus, il y a peut-être d'autres sujets à traiter en priorité.

Je me retrouve totalement dans les propos du rapporteur. Pour répondre à notre collègue Jean-Pierre Sueur, il n'est pas nécessaire d'écrire les choses pour qu'elles puissent être entendues. À l'évidence, si être élu local n'est pas une obligation pour être élu sénateur, cela ne nuit pas. Et pourquoi faudrait-il aligner l'Assemblée nationale et le Sénat ?

M. François Bonhomme. - Je suis en accord avec le rapporteur et mon collègue Mathieu Darnaud. Cette proposition de loi organique entretient la confusion : elle laisse penser qu'il faut appartenir à une certaine catégorie d'âge pour pouvoir la représenter. C'est contraire à l'idée même de représentation politique.

De manière générale, l'expérience que l'on reproche au Sénat devient encore plus nécessaire avec la fin du cumul des mandats. Avoir été élu local donne une autre vision des choses, c'est une véritable plus-value pour un parlementaire.

M. Loïc Hervé. - Les membres du groupe Union centriste ont aussi débattu de cette proposition de loi organique, et nous rejoignons la proposition du rapporteur.

Le premier danger est l'alignement systématique des modes d'élection et du fonctionnement du Sénat sur ceux de l'Assemblée nationale.

On reproche parfois au Sénat d'anticiper des débats politiques pour préparer, quelques mois avant, les grandes réformes. Or, cette proposition de loi organique trouverait toute sa place dans le débat sur les réformes institutionnelles, conjointement avec d'autres questions comme la limitation du cumul des mandats dans le temps ou la manière de favoriser l'accès aux mandats électifs pour certaines catégories de la population.

M. Yves Détraigne. - À quoi servirait le Sénat s'il y avait des sénateurs sans expérience locale ? Ces élus ne correspondraient pas au rôle du Sénat, qui doit représenter les collectivités territoriales. Par nature, le sénateur est quelqu'un qui a de l'expérience, d'autant qu'il est élu par les élus locaux. Comment différencier sinon le Sénat de l'Assemblée nationale ? Ou alors allons vers un système mono-caméral ! Mais il ne me semble pas que ce soit la position du Sénat...

Mme Esther Benbassa. - Je partage la position de notre collègue Jean-Pierre Sueur. Pourquoi ne pourrait-on pas, à 18 ans, être candidat aux élections sénatoriales alors qu'on peut être candidat aux concours administratifs ? Pourquoi existerait-il une spécificité sénatoriale sur ce point ? D'ailleurs, qu'est-ce que l'expérience en politique ?

Il n'existe aucune obligation juridique d'être, ou d'avoir été, élu local pour être candidat aux élections sénatoriales. Je ne vois donc que des avantages au rajeunissement de notre assemblée. Cela nous donnerait plus de visibilité auprès des jeunes, qui connaissent très mal les missions et le fonctionnement du Sénat.

Le Sénat gagnerait en représentativité en abaissant l'âge d'éligibilité. Les citoyens de 18 à 24 ans peuvent déjà être grands électeurs !

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je salue la qualité du travail du rapporteur même si je ne partage pas son analyse.

L'abaissement à 18 ans de l'âge d'éligibilité n'affectera pas les particularités du Sénat, qui dépendent davantage de la composition de son collège électoral que des règles d'éligibilité. Ce collège électoral est pour l'essentiel composé d'élus locaux qui s'expriment dans le cadre de circonscriptions territoriales.

Le fait pour les sénateurs d'être ou d'avoir été élu local est secondaire dans cette représentativité des territoires, notamment depuis le durcissement des règles de cumul des mandats.

La deuxième particularité du Sénat, c'est d'être la chambre du temps long et de la stabilité politique en raison du renouvellement par moitié tous les trois ans, du suffrage universel indirect, de la durée du mandat et du recours à la représentation proportionnelle dans certains départements. Ces règles permettent au Sénat d'avoir une temporalité différente de celle de l'Assemblée nationale.

Rien de tout cela ne sera altéré pas l'abaissement de l'âge d'éligibilité pour les élections sénatoriales. J'en veux pour preuve que l'abaissement précédent à 24 ans n'a pas altéré les spécificités du Sénat.

En outre, les jeunes âgés de 18 à 24 ans peuvent être grands électeurs. Ils subissent aujourd'hui une véritable discrimination : ils sont obligés de voter mais ne peuvent pas se porter candidats. L'adoption de cette proposition de loi organique mettrait donc un terme à une aberration.

Autre série arguments, mais vous voyez qu'il y en a beaucoup : aucun autre mandat électif ne fait l'objet d'une telle barrière d'âge, même celui de Président de la République.

Enfin, l'électeur est responsable de son vote. Il n'est donc pas nécessaire d'encadrer abusivement les possibilités d'être candidat. C'est d'ailleurs pour cela que certains collègues rejettent les projets de limitation du cumul des mandats dans le temps.

M. Alain Richard. - Je vais faire état d'un soulagement. Nous avons failli voir émerger des projets de réforme du mode d'élection des sénateurs... Heureusement, les conservateurs de cette assemblée ont manifesté leur attention sur ce sujet...

Ce dont il est question avec cette proposition de loi organique est une simple faculté, une liberté de présenter une candidature à une élection entre 18 et 24 ans. Donc le raisonnement consistant à dire que cette faculté serait de nature à modifier les conditions de l'élection et l'équilibre des institutions me paraît inadéquat. En quoi cette faculté d'être élu sénateur avant 24 ans changerait le rapport du Sénat aux collectivités territoriales ?

J'insiste sur un point essentiel : la Constitution prévoit que le Sénat est élu au suffrage universel indirect et qu'il « assure la représentation » des collectivités territoriales. Le Constituant n'a pas écrit que le Sénat « représente » les collectivités territoriales. Assurer la représentation et représenter, ce sont deux choses différentes. Le Sénat n'est donc pas dans une relation de « mandat » vis-à-vis des collectivités territoriales. Les grands électeurs, quand ils votent, représentent le suffrage universel et la souveraineté nationale, pas leurs collectivités.

J'ai du mal à suivre le raisonnement selon lequel l'âge d'éligibilité, fixé à 24 ans aujourd'hui, se justifierait car il permettrait une bonne représentation des élus locaux : il faudrait donc fêter ses 18 ans la veille d'une élection locale, être élu dès ses 18 ans puis faire un mandat complet avant de pouvoir se présenter aux élections sénatoriales à tout juste 24 ans pour être un bon sénateur et bien représenter les collectivités territoriales ? C'est absurde.

Quant à l'argument selon lequel on altérerait les institutions en abaissant l'âge d'éligibilité au Sénat, il me fait sourire. Nos prédécesseurs qui ont abaissé successivement à 35 ans, 30 ans puis 24 ans cet âge d'éligibilité au Sénat ont-ils altéré nos institutions ? La République l'a échappé belle !

M. François Grosdidier. - La valeur n'attend pas le nombre des années. D'ailleurs beaucoup de maréchaux de l'Empire n'avaient pas 30 ans. Mais pour être sénateur, je vois deux critères importants qui nous distinguent de nos collègues députés.

Il y a d'abord l'âge. À 18 ans, on ne possède pas l'expérience nécessaire pour représenter les collectivités territoriales. Le bicamérisme ne doit pas conduire à la coexistence de deux chambres identiques et le Sénat ne doit pas être un « clone » de l'Assemblée nationale. Autant on peut, sans doute, représenter le peuple, donc être député, à 18 ans, autant il me paraît difficile de bien représenter les territoires aussi jeune. Il y a des fonctions qui sont réservées, au moins dans la pratique si les textes ne le prévoient pas, à ceux qui ont acquis une expérience.

Le deuxième critère est celui de l'enracinement local. Il est déjà mis à mal par les règles très strictes de non cumul des mandats. Pour beaucoup d'entre nous, notre longue expérience d'élu local nous permet parfois de démontrer à un ministre qu'il est dans le faux, surtout quand il se contente de lire ce que ses conseillers lui ont préparé.

Lors de l'examen des textes sur le non cumul des mandats, certains avaient proposé qu'il y ait même un critère pour pouvoir se présenter aux élections sénatoriales : avoir effectué deux mandats locaux. Ce n'est pas possible pour des raisons constitutionnelles. Mais, dans les faits, les grands électeurs sont très sensibles à ce critère de l'expérience locale.

Le Sénat, pour pleinement jouer son rôle constitutionnel, doit être une assemblée différente. J'adhère donc pleinement aux conclusions de notre rapporteur.

M. Philippe Bas, président. - Merci d'avoir rappelé que dans tous les domaines de l'expérience humaine, un peu de « bouteille » ne nuit pas.

M. Alain Marc. - Je suis de l'avis du rapporteur et je souscris à l'argumentation développée par nos collègues François Grosdidier et Yves Détraigne, selon laquelle il est nécessaire d'avoir un minimum d'expérience pour pouvoir exercer le mandat de sénateur. En outre, l'abaissement de l'âge d'éligibilité pourrait entraîner une inégalité de représentation dans nos territoires. À titre d'exemple, mon département comprend deux sénateurs élus au scrutin uninominal. Or, un candidat de 18 ans n'aurait véritablement de chance d'être élu qu'au scrutin proportionnel, dans les départements les plus peuplés et non en zone rurale.

M. Patrick Kanner. - Je suis pour ma part en désaccord avec le rapporteur car il y a un paradoxe à ce qu'un grand électeur de 18 ans soit tenu de voter à une élection pour laquelle il ne peut être candidat. Autre exemple, une candidate élue adjointe au maire en septembre 2020, à l'âge de 19 ans, ne pourra pas être candidate aux élections sénatoriales de septembre 2023 car elle n'aura pas atteint l'âge de 24 ans.

Je ne comprends pas les arguments corporatistes et je considère que le rejet de cette proposition de loi organique apparaîtra comme « ringard » aux yeux de la population et pas seulement des plus jeunes.

Mme Josiane Costes. - Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) considère majoritairement que l'expérience locale apporte une valeur ajoutée incontestable au mandat de sénateur. À titre personnel, j'ai été conseillère départementale et adjointe au maire d'Aurillac et cela m'a beaucoup aidée à exercer mon mandat parlementaire.

M. Éric Kerrouche. - Cette proposition de loi organique pose plus de questions qu'elle n'en résout.

Le bicamérisme ne se réduit pas uniquement à la question de la différence d'âge ; le Sénat possède d'ailleurs bien d'autres différences. Il existe, en réalité, deux Sénats en fonction des modes de scrutin : ce n'est pas la même chose d'être élu au scrutin majoritaire qu'au scrutin proportionnel.

En ce qui concerne la représentation, il n'est pas nécessaire qu'existe un mimétisme entre la population, d'une part, et la composition d'une assemblée parlementaire, d'autre part. Une personne d'un certain âge est tout à fait capable de représenter une personne plus jeune qu'elle.

Le Sénat n'est pas le Bundesrat car il ne représente pas exclusivement les collectivités territoriales. La matière propre aux collectivités territoriales ne constitue d'ailleurs qu'une petite partie du grand nombre de textes que nous examinons. Nous sommes la seconde chambre du Parlement et possédons une compétence générale dans l'exercice du pouvoir législatif.

Certes, cette proposition de loi organique ne devrait pas avoir d'effet, mais elle est un symbole. Ne pas le prendre en compte jouera en notre défaveur.

M. Philippe Bas, président. - Ce débat porte effectivement sur des symboles. Mais ceux qui sont en faveur de cette proposition de loi organique ne privilégient pas les mêmes symboles que les autres.

Je vous remercie d'avoir rappelé que si le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales - c'est sa marque de fabrique - il est une assemblée parlementaire de plein exercice. La Constitution prévoit d'ailleurs que la loi doit être adoptée en termes identiques par les deux chambres, le dernier mot de l'Assemblée nationale restant une exception à ce principe.

Mme Agnès Canayer. - J'adhère aux propos du rapporteur et le félicite pour son travail. Faire du « jeunisme » pourrait desservir la cause de notre institution.

L'équilibre et la complémentarité des deux chambres du Parlement sont ancestraux. Cet équilibre était déjà recherché lors de la création du Conseil des Cinq-Cents et du Conseil des Anciens sous le Directoire, l'un devant incarner l'imagination de la France et l'autre la raison.

Aujourd'hui, cet équilibre institutionnel doit être conservé. Laisser aux sénateurs la possibilité d'exercer, en amont, un mandat local leur permet d'acquérir des compétences ainsi qu'un lien avec les territoires.

Si j'étais convaincue que cet abaissement de l'âge d'éligibilité aux élections sénatoriales puisse faire retrouver le chemin des urnes et de l'engagement aux jeunes, je le voterais « des deux mains », mais ce n'est pas le cas. C'est pourquoi je suivrai les conclusions de notre rapporteur.

Mme Brigitte Lherbier. - La jeunesse donne une autre vision de la vie, mais exercer des responsabilités nécessite d'avoir de l'expérience : une expérience d'élu, mais avant tout une expérience de la vie.

Ma carrière m'a donné l'occasion de côtoyer des étudiants extrêmement brillants, mais qui n'avaient pas l'expérience nécessaire pour endosser certaines responsabilités. La très grave affaire d'Outreau en a été un triste exemple pour la magistrature. Quelques années supplémentaires auraient permis au magistrat d'exercer son office avec plus de clairvoyance.

Mme Sophie Joissains. - Je pense également que l'expérience est utile pour exercer certaines responsabilités.

Cette proposition de loi organique vise à « gommer » une spécificité du Sénat, au moment précis où notre institution est relativement malmenée par l'exécutif et par l'Assemblée nationale. Je rappelle qu'actuellement très peu de commissions mixtes paritaires aboutissent.

Cette spécificité sénatoriale n'est pas anodine. Le doyen Patrice Gélard avait proposé l'âge de 24 ans pour valoriser l'expérience locale des sénateurs. Cela marque une différence avec l'Assemblée nationale et permet une connaissance plus fine des collectivités territoriales. C'est aujourd'hui d'autant plus important que les règles sur le non-cumul des mandats ont éloigné les sénateurs des réalités de nos territoires. À terme, nous risquons de confondre les deux chambres et de faire perdre de vue au citoyen leur nécessaire complémentarité.

« Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi », comme disait Jean Cocteau. Le Sénat possède ses spécificités, dont l'âge d'éligibilité plus élevé qu'à l'Assemblée nationale. Je souhaite en rester au droit en vigueur.

M. Simon Sutour. - Ce débat me rappelle l'examen des projets de loi sur le non-cumul des mandats, dont j'étais rapporteur. Ces textes sont entrés en vigueur depuis et leurs effets sont positifs.

Comme l'a indiqué notre collègue Alain Richard, cette proposition de loi organique donne une faculté et non l'obligation d'élire des sénateurs âgés de 18 à 24 ans. L'âge minimum requis était de 35 ans lorsque j'ai été élu pour la première fois.

Des comparaisons ont été faites avec l'âge requis pour occuper certaines fonctions administratives. Or, la question n'est pas ici de nommer des fonctionnaires mais concerne un mandat électif et le libre choix des électeurs.

Beaucoup d'interventions tendent à ériger l'exercice d'un mandat local, par exemple de conseiller municipal, comme un prérequis pour être sénateur. Ce n'est pas le cas sur le plan juridique. J'ai moi-même été élu sénateur trois fois, sans jamais avoir été conseiller municipal.

Des comparaisons historiques ont été faites mais les temps évoluent. Les plus jeunes d'entre nous connaîtront le temps où l'élection des sénateurs pourra se faire à 18 ans. Je regrette la volonté systématique de donner une mauvaise image de notre Sénat.

M. Jérôme Durain. - Ce problème anime le débat public car tous les arguments sont réversibles, bien qu'ils ne couvrent qu'un aspect limité de la place du pouvoir législatif dans les équilibres institutionnels.

Je pense que les spécificités du Sénat tiennent à son collège électoral et aux circonscriptions d'élection, non à l'âge des candidats. Prôner l'inverse est difficilement compréhensible pour nos concitoyens et assez peu opérant au regard des résultats des élections sénatoriales.

La représentativité des sénateurs vis-à-vis des collectivités territoriales découle de l'expression du suffrage des grands électeurs. Ce sont bien eux, et pas l'âge du sénateur, qui donnent la qualité de représentant légitime.

Cette proposition de loi organique ne porte pas sur un sujet majeur mais en la rejetant, nous perdons une occasion d'affirmer que le Sénat est ancré de plain-pied dans la société française.

M. Jacques Bigot. - On peut être conservateur à 18 ans et progressiste bien plus tard. À l'heure actuelle, le bicamérisme n'est pas toujours compris et notre Gouvernement ne l'entend pas. Je pense, en particulier, au projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions et au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. La garde des sceaux a balayé d'un revers de main les propositions de notre assemblée, malgré un très bon travail de nos rapporteurs. L'Assemblée nationale se bornera certainement à suivre la chancellerie...

Or, le bicamérisme est utile ! C'est ce travail-là que nous devons défendre et il pourrait très bien être mis en oeuvre par des sénateurs élus à l'âge de 18 ans. Je ne pense pas que l'on ait beaucoup plus d'expérience à 24 qu'à 18 ans.

Certes, l'intérêt de la proposition de loi organique est relatif, mais nous ne devons pas manquer le débat sur le bicamérisme. Selon le rapporteur, il faut avoir exercé un mandat local pour représenter les collectivités territoriales. Toutefois, cette position conduit à confondre nos prérogatives avec celles d'un Bundesrat alors qu'elles en sont éloignées. La France n'est pas un État fédéral et cette confusion conduit à remettre en cause la conception française du bicamérisme, proche de celle que l'on trouve également aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

L'adoption de ce texte n'aura certainement que peu d'effets mais elle est l'occasion d'affirmer que nous ne sommes pas simplement les représentants des collectivités territoriales et que le bicamérisme est utile à la démocratie.

M. Jean-Luc Fichet. - La nécessité de l'expérience peut être battue en brèche par l'existence des conseils municipaux de jeunes. Ils permettent aux jeunes d'accéder à une expérience municipale et d'être en prise avec les réalités de la vie locale. Abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs les motiverait d'autant plus à s'engager. Je pense que l'expérience s'acquiert à tout âge et je suis très heureux de voir les membres de conseils municipaux de jeunes visiter le Sénat et arborer une écharpe tricolore.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Les lois sont faites pour répondre à une certaine demande sociale. Or, cette proposition de loi organique ne semble pas être motivée par des demandes de citoyens trop jeunes pour se présenter aux élections sénatoriales.

Je suis d'accord avec le fait que la Constitution n'impose pas l'expérience d'un mandat local pour être élu sénateur. Je pense néanmoins que cette expérience est nécessaire pour demeurer crédibles face aux grands électeurs.

Enfin, il me semble important de conserver des différences entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

La proposition de loi organique n'est pas adoptée par la commission.

M. Philippe Bas, président. - Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera sur le texte de la proposition de loi organique déposée sur le Bureau du Sénat.

La réunion est close à 11 h 20.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et de M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales

M. Philippe Bas, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir pour cette audition Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales, pour débattre des questions financières qui concernent les collectivités territoriales.

Vos nominations, par la constitution d'un ministère de plein exercice en charge des relations avec les collectivités territoriales, sont un signal par lequel le Président de la République a voulu montrer son souci de rétablir et d'amplifier le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Je crois que cette intention est sage.

À vrai dire, cela ne répond pas uniquement aux intérêts de l'État, ni même seulement à ceux des collectivités territoriales, mais ceux de nos concitoyens. Au quotidien en effet, plus encore que l'État, les collectivités sont des prestataires de services. Lorsque ces services connaissent des difficultés de financement, ce sont la qualité de la vie et la capacité à créer des emplois qui s'en trouvent affectées. C'est donc à ce niveau que nous situons l'enjeu du débat sur le partenariat entre les collectivités territoriales et l'État.

Nous souhaitons aborder deux sujets en particulier au cours de cette audition. Le premier concerne les conséquences de la suppression progressive de la taxe d'habitation pour le financement des collectivités territoriales et pour le maintien d'un lien fiscal entre le citoyen bénéficiaire des services publics locaux et les élus qui gèrent ces services. Il s'agit pour nous d'un point majeur qui peut déstabiliser le financement des collectivités territoriales et la vie démocratique locale.

Nous sommes curieux de vous entendre nous expliquer quels sont les critères que vous entendez retenir pour décider de la ressource qui viendra remplacer la taxe d'habitation. Vous vous êtes donné le temps de la réflexion, la décision de supprimer la taxe d'habitation ayant été prise il y a longtemps - et c'est heureux si cela permet de déboucher sur une bonne solution. Nous sommes prêts à vous accompagner dans cette réflexion.

Le second sujet que nous souhaitons aborder concerne l'évolution des dotations. Il est sûr, comme l'a dit M. Lecornu à l'Assemblée nationale avec beaucoup d'enthousiasme, qu'il est préférable de maintenir le niveau des dotations que de les réduire. Ce point fait consensus entre nous.

Néanmoins, nous constatons que le gel des dotations, combiné avec une inflation plus élevée qu'elle ne l'était sous le précédent quinquennat, entraîne une réduction du pouvoir d'achat des collectivités. Je ne crois pas que cela puisse être interprété autrement. En revanche, la volonté du Gouvernement à travers le processus de contractualisation est claire : il s'agit de diminuer les dépenses des collectivités de 13 milliards d'euros en cinq ans. La commission des finances du Sénat estime que ce processus aboutira, en réalité, à 21 milliards d'euros de réduction des dépenses.

Nous sommes également inquiets car le gel des dotations est assorti d'un certain nombre de mesures qui réduisent les moyens financiers des collectivités. Je pense à la diminution des contrats aidés - 800 millions d'euros -, aux prélèvements sur les ressources des agences de l'eau qui vont être renouvelés en 2019 d'après ce que je comprends, et à ce que l'on demande aux offices HLM, contraints de compenser la baisse de l'aide personnalisée au logement (APL). Au vu de ces éléments, comment faire pour éviter une déstabilisation majeure des finances locales ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, les questions que vous posez dépassent le strict périmètre du budget.

Tout d'abord, la réforme de la taxe d'habitation est un engagement que le Président de la République a pris durant sa campagne électorale. Il est élu, il le tient.

Cela n'a rien de très surprenant, car cette taxe était devenue très inégalitaire. Aucun gouvernement n'a engagé la réforme des bases fiscales sur laquelle elle repose. J'ai été maire suffisamment longtemps pour me souvenir que cette réforme a été envisagée à deux reprises. Lorsqu'on réalisait des simulations cependant, tout le monde était réservé sur la mise en oeuvre de la réforme car elle aurait provoqué des augmentations d'impôt importantes dans de nombreux endroits.

Nous avons ainsi abouti à de très grands écarts entre les territoires, voire à l'intérieur des quartiers d'une même commune. Ils pouvaient même concerner des logements de confort et de taille similaires, mais dont la différence résidait simplement dans la date de construction.

L'engagement initial du Président de la République portait sur le dégrèvement de la taxe d'habitation pour 80 % des contribuables. Le Conseil constitutionnel a cependant décidé, au nom de l'égalité devant l'impôt, que cela devait concerner la totalité des personnes assujetties à l'impôt.

La compensation pour les collectivités devait initialement intervenir sous forme de dégrèvement, l'État prenant progressivement la place du contribuable sur trois ans. On peut comprendre que les élus se demandent comment sera compensée la taxe d'habitation une fois qu'elle aura été supprimée. Cela a fait l'objet d'un rapport d'Alain Richard et du préfet Dominique Bur, mais aussi de diverses autres réflexions.

Je ne peux bien évidemment pas vous annoncer aujourd'hui ce que nous allons faire, dans la mesure où le Président de la République s'est engagé devant le congrès des maires, l'année dernière, à effectuer un travail préparatoire avec les associations d'élus et les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Cela étant, il n'existe que deux grandes familles de mesures permettant de préserver les ressources propres des collectivités : les transferts d'impôts locaux d'une collectivité à une autre et le partage d'un impôt national.

Les élus municipaux souhaitent conserver une capacité de taux pour maintenir leur lien avec le territoire. À titre personnel, je suis d'accord avec le fait que plus la collectivité est proche des citoyens, plus il est important qu'elle ait un pouvoir de taux. Les régions bénéficient d'une part de la TVA, qui est un impôt national. S'agissant d'une collectivité plus éloignée des citoyens que les municipalités, elles se contentent d'une part d'un impôt dynamique sans avoir besoin d'un pouvoir de taux.

Une des solutions envisagées pour compenser la suppression de la taxe d'habitation serait que la taxe foncière sur les propriétés bâties redescende vers les communes. Cela ne plaît pas aux départements, qui estiment que ce serait les priver d'un impôt.

M. Philippe Bas, président. - Cette solution n'est-elle pas écartée aujourd'hui ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Rien n'est pour l'instant écarté.

J'étais sénatrice lors de la réforme de la taxe professionnelle en 2010 : il a bien fallu trouver des solutions. Aujourd'hui, les solutions se trouvent entre le bloc communal et les départements. L'ancien gouvernement a anticipé la réforme fiscale pour les régions en leur attribuant une part de la TVA, disposition sur laquelle elles ne souhaitent pas revenir.

La réforme de la fiscalité locale devra être bouclée avant l'été, en prévision des futures échéances électorales municipales et départementales.

S'agissant ensuite de l'évolution des dotations, l'ancien gouvernement avait choisi d'opérer un prélèvement sur l'ensemble des collectivités, de la plus petite à la plus grande, pour contribuer au redressement des finances publiques. Nous en avons décidé autrement.

Vous dites que l'on va soustraire aux collectivités territoriales 13 milliards d'euros en cinq ans. Il existe cependant une différence entre le fait de prélever une part de la dotation globale de fonctionnement (DGF), et le fait de demander aux collectivités territoriales de ne pas augmenter leurs dépenses de fonctionnement au-delà d'un certain seuil. C'est bien pourquoi nous avons contractualisé avec 322 collectivités par l'intermédiaire des préfets et de la direction générale des collectivités locales (DGCL). Cela représente environ 85 % des collectivités initialement visées.

Aujourd'hui, les dépenses de fonctionnement de ces 322 collectivités progressent de 0,7 % par an en moyenne. Nous sommes donc tous ensemble sur la bonne voie.

La DGF a été stabilisée depuis 2017. Pour mémoire, en 2018, elle a été augmentée de 300 millions d'euros pour rattraper la baisse importante subie entre 2014 et 2017. Nous l'augmentons cette année de 11 millions. Cela représente environ 311 millions supplémentaires par rapport à 2017. Le Gouvernement aimerait en distribuer plus et les collectivités en recevoir davantage, mais nous devons veiller ensemble aux contraintes budgétaires.

Je ne reviens pas sur les évolutions des dotations individuelles. La DGF est une dotation vivante, reposant sur des critères objectifs, mais dont il est difficile d'expliquer les variations individuelles qui dépendent de nombreux facteurs.

Les critères de répartition sont en effet liés à la situation objective de chaque collectivité, mais également à la solidarité. En outre, les modifications de la carte intercommunale ont été l'élément le plus perturbateur dans la répartition de la DGF des communes et des intercommunalités. À Poitiers, par exemple, certaines communes, initialement situées dans des intercommunalités plus rurales et plus pauvres, sont subitement devenues artificiellement plus riches en entrant dans le Grand Poitiers.

Les répercussions des modifications de la carte intercommunale sur la DGF ont souvent été douloureuses, les territoires ayant enregistré le plus de baisses étant ceux où il y avait eu le plus de modifications du périmètre des intercommunalités.

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j'aimerais revenir sur le chiffre de 13 milliards d'euros, qui constitue souvent un abus de langage que l'on retrouve dans la presse. Ce n'est pas la même chose de demander à 322 collectivités parmi les plus importantes de limiter leurs dépenses réelles de fonctionnement que de diminuer les recettes de l'ensemble des collectivités, comme on a pu le faire dans le passé !

Je m'attarderai tout d'abord sur la question des dotations que l'on ne diminue plus. Je considère qu'il s'agit du premier pilier de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » pour le budget 2019. Il est vrai que nous gelons les dotations et que l'ensemble est plafonné, mais c'est une trajectoire que nous assumons : on ne peut d'un côté reprocher au Gouvernement de ne pas faire suffisamment d'économies et, de l'autre, lui demander d'augmenter l'ensemble des concours financiers.

Plusieurs choix ont été opérés, parmi lesquels celui de faire avancer la péréquation. C'est une demande de l'ensemble des associations d'élus, que nous mettons en oeuvre à la fois pour les communes urbaines très pauvres, avec une augmentation de 90 millions d'euros de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), et pour les communes rurales très pauvres, avec une augmentation de 90 millions d'euros de la dotation de solidarité rurale (DSR). Nous prévoyons par ailleurs une augmentation de 10 millions d'euros des dotations de péréquation des départements, la dotation de péréquation urbaine (DPU) et la dotation de fonctionnement minimale (DFM). Il s'agit de faire en sorte que personne ne soit oublié.

À cela s'ajoute la réforme de la dotation d'intercommunalité - la DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. C'est également une demande ancienne des associations d'élus - qu'il s'agisse de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) ou de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) - et surtout du comité des finances locales (CFL), qui a étudié l'année dernière quatorze ou quinze scénarios de réforme.

Rappelez-vous : la dotation d'intercommunalité était divisée en sous-enveloppes en fonction de la catégorie juridique des intercommunalités. La loi NOTRe a cependant eu pour conséquence un accroissement du périmètre de la majorité des EPCI à fiscalité propre, et l'on s'est retrouvé avec des déséquilibres importants au sein de ces sous-enveloppes. Un certain nombre de communautés de communes et bien souvent de communautés d'agglomération ont connu en 2018 des baisses importantes de dotation que les services de l'État n'étaient pas capables de justifier. On se retrouvait dès lors avec des évolutions totalement imprévisibles et des dotations qu'on n'arrivait plus à financer, le besoin pouvant aller jusqu'à 70 millions d'euros sur un exercice budgétaire.

Le CFL a proposé de réformer cette dotation en fusionnant ces quatre sous-enveloppes et en intégrant le critère du revenu par habitant des EPCI en question, ce qui stabilise l'ensemble du dispositif. Des simulations nous ont permis, en lien avec les associations d'élus, de détecter quelques anomalies. Lors des travaux devant l'Assemblée nationale, certains effets pervers ont ainsi pu être corrigés. 90 % des EPCI à fiscalité propre verront donc leur DGF stabilisée ou augmentée en 2019. Cela s'explique, d'une part, par l'abaissement à 1,1 du coefficient de majoration du coefficient d'intégration fiscale (CIF) des métropoles, d'autre part, par la mise en place d'une garantie de stabilité pour les métropoles, communautés urbaines et communautés d'agglomération dont le CIF est supérieur à 0,35 et pour les communautés de communes dont le CIF est supérieur à 0,6.

Par ailleurs, plusieurs groupes politiques à l'Assemblée nationale ont demandé à faire entrer le produit des redevances d'eau et d'assainissement dans le calcul du CIF des communautés de communes, qui exercent bien souvent ces compétences. Cela va prendre un peu de temps, mais nous nous sommes engagés à avancer dans cette voie.

Le deuxième pilier de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » concerne la prévisibilité. Les députés, tout comme les sénateurs, souhaitent que l'on explique mieux les dotations de l'État aux collectivités. J'y suis favorable, dans la mesure où cela éviterait à beaucoup de démagogues de raconter n'importe quoi. Si les dotations évoluent, c'est tout simplement parce que la population, les critères de pauvreté ou de richesse évoluent également. Il faut se réjouir d'ailleurs que les dotations de l'État soient vivantes : si elles étaient figées, on figerait aussi les inégalités. Par exemple, le maire d'une commune qui voit sa population passer de 200 à 300 habitants percevrait une dotation fixe et ne pourrait construire une nouvelle classe pour absorber les populations nouvelles. À l'inverse, un maire qui verrait sa population diminuer continuerait à avoir droit aux mêmes dotations de l'État ! L'enjeu est de pouvoir suivre ces évolutions. Pour ce faire, il faut expliciter les critères de répartition des dotations. J'ai parfois moi-même, en tant qu'élu local, bien du mal à comprendre les notifications des dotations de l'État telles qu'elles me sont adressées.

Cela demandera beaucoup de travail aux services de l'État et n'est pas si évident à mettre en place, mais je veux que l'on puisse avancer sur le sujet, en lien avec les sénateurs.

Concernant la DSR-cible, outil de solidarité important pour le milieu rural, cher au Sénat, une garantie de sortie en cas de perte d'éligibilité a été mise en place pour assurer une transition. Auparavant, le bénéfice de la DSR était perdu du jour au lendemain. On a imaginé un système de transition permettant d'en percevoir 50 % l'année qui suit, ce qui permet d'avoir une année pour adapter son budget. C'est un véritable signal en termes de respect des élus locaux.

Par ailleurs, le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale a souhaité imaginer des dispositions nouvelles dans le calcul de la DGF pour les communes dont une grande partie du territoire est classée en zones Natura 2000. Il y a derrière tout cela un débat très ouvert en termes d'aménagement du territoire, sur lequel nous reviendrons sans doute. Les échanges ont été riches à l'Assemblée nationale.

Enfin, le troisième pilier de cette mission est bien sûr la question de l'investissement local. Une aide de 2 milliards d'euros aux territoires, cela ne s'est jamais vu ! Cette aide se compose d'un gros milliard de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), d'un gros demi-milliard de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et d'un gros demi-milliard pour les départements et la dotation politique de la ville (DPV).

Le sort des communes rurales regroupées dans des intercommunalités au périmètre élargi est à ce titre significatif. Prenons par exemple le département de la Manche qui, du fait de la loi NOTRe, a vu diminuer le nombre de ses intercommunalités par la constitution de vastes EPCI à fiscalité propre : ce n'est pas parce que les communes rurales sont désormais incluses dans des communautés d'agglomération qu'elles ne sont plus rurales. Mécaniquement, elles auraient cependant pu se voir privées de l'éligibilité à la DETR. On a introduit une certaine souplesse dans l'affaire. Le débat sur le sujet a cependant été passionné à l'Assemblée nationale, certains considérant que les communes rurales inclues dans des métropoles ne devaient plus être éligibles à la DETR. Je me suis opposé à cette logique en prenant pour exemple la métropole de Nice et ses villages de montagne en milieu rural. Le débat est ouvert. Ce n'est pas un débat politique, mais un débat d'aménagement du territoire. Il faut qu'il se tienne en toute transparence, car il faudra ensuite que tout le monde assume la décision qui aura été prise.

S'agissant de la métropole du Grand Paris, elle est un mystère pour le Normand que je suis. Un consensus large est ressorti de l'Assemblée nationale sur le fait qu'il fallait reconduire les dispositifs tels qu'ils existaient jusqu'à présent, la réforme institutionnelle ne relevant pas de la loi de finances. C'est l'accord politique sur la réforme institutionnelle qui doit permettre de modifier les circuits financiers entre la métropole et les établissements publics territoriaux (EPT). J'ai cru comprendre que les Franciliens s'étaient plus ou moins accordés autour d'une forme de statu quo. Je ne sais ce qu'il en sera ici au Sénat, mais sachez que le Gouvernement est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

Enfin, s'agissant des départements, le fonds d'urgence est rebaptisé fonds de stabilisation et doté de 115 millions d'euros par an. Pour la première fois, les présidents de conseils départementaux vont pouvoir disposer de ce fonds d'urgence jusqu'à la fin du mandat départemental. On va ainsi donner de la visibilité. Cela permet de répondre aux graves tensions que l'on observe dans les Ardennes, l'Aisne, etc., où le bouclage même du budget n'est pas assuré.

Par ailleurs, le plan Pauvreté bénéficiera de 135 millions d'euros l'année prochaine, et son enveloppe demeurera en augmentation jusqu'en 2021-2022. J'ai entendu des choses assez inexactes sur la nature des politiques sociales qui sont menées, comme si le plan Pauvreté réclamait des dépenses nouvelles. Je parle ici en tant que conseiller départemental : dans un département qui a une politique de lutte contre la fraude qui fonctionne, une politique d'inclusion efficace et qui travaille bien avec les opérateurs de l'emploi, le taux de sortie des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) est satisfaisant et l'on est « dans les clous » du plan Pauvreté. Toutes les gestions départementales du RSA ne se valent pas, si j'en crois les présidents de conseils départementaux élus en 2015.

Il existe également un enjeu de péréquation et de solidarité entre les départements. La dynamique des recettes du département des Hauts-de-Seine ou des Yvelines n'est pas celle que l'on observe dans l'Aisne ou dans les Ardennes. Avec Jacqueline Gourault, nous avons demandé à l'Assemblée des départements de France (ADF) de nous faire des propositions consensuelles sur la manière de bâtir la péréquation sur la base de ces 250 millions d'euros. Un amendement a déjà adopté à l'Assemblée nationale. Les critères sont appelés à évoluer dans la mesure où nous souhaitons que l'ADF fasse des propositions. Je crois savoir qu'un certain nombre de présidents de département, notamment d'anciens sénateurs - je pense au président du conseil départemental du Calvados - travaillent actuellement d'arrache-pied sur ces sujets.

Le projet de loi de finances pour 2019 signe la fin de la dotation globale d'équipement (DGE) des départements, qui n'était pas forcément très connue des conseils départementaux. Elle constitue une aide à l'investissement. Elle ne fonctionnait pas très bien
- nécessité d'une ingénierie financière, factures, avances d'argent, un peu à la manière du FCTVA. Nous avons décidé, en lien avec l'ADF, de la réformer et de la transformer en dotation de soutien à l'investissement départemental (DSID) afin que les départements, dès l'année en cours, bénéficier de subventions d'investissement.

La DGE ne concernait que les seuls travaux d'aménagement foncier. La dotation de soutien à l'investissement départemental serait ouverte à l'ensemble des travaux. Nous avons souhaité - et l'Assemblée nationale nous a suivis - qu'elle ne soit pas conditionnée à la signature des contrats de Cahors.

Enfin, il n'y aura pas de baisse ou de ponction sur le budget des agences de l'eau dans le projet de loi de finances pour 2019. Une ponction importante a eu lieu l'année dernière, car il fallait que les agences fassent un effort au regard du fonds de roulement extraordinairement important qu'elles détenaient. Entre-temps, les comités de bassin se sont prononcés sur les nouveaux programmes. Nous avons imaginé cette année un système de plafond mordant pour limiter la dépense publique : on applique un plafond qui permet d'éviter que la dépense publique ne s'envole. Ce qui est au-dessus du plafond retournera dans le budget général de l'État. Pour l'année prochaine, le plafond sera fixé à 2,1 milliards d'euros.

Une nouveauté cependant, qui a pu amener certaines agences de l'eau, notamment celle de Seine-Normandie, à parler de baisse de leur budget : nous avons fait droit à une demande des élus portant sur la solidarité entre les bassins. Les agences sont également appelées à verser 41 millions d'euros à l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), considérant que l'AFB a des missions de police de l'eau. L'eau paye l'eau ainsi que la police régalienne de l'eau. Un débat a eu lieu l'année dernière sur le sujet au Sénat, permettant à un accord d'émerger.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Madame la ministre, monsieur le ministre, ma première question concerne la DGF et le traumatisme vécu l'année dernière par un certain nombre de communes qui ne s'attendaient pas à la voir diminuer. Je voudrais m'assurer auprès de vous que des simulations ont été faites cette année pour que cela ne se reproduise pas, et relayer la proposition de l'AMF de créer un fonds de lissage à destination d'environ 3 000 communes, lesquelles ont vu la baisse de leurs dotations de péréquation dépasser 1 % de leurs recettes de fonctionnement. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

De manière générale, je m'interroge sur le fait d'avoir introduit un nouveau dispositif destiné aux communes en zone Natura 2000 au moment où chacun trouve que la DGF est déjà suffisamment compliquée. Pourquoi encore complexifier le système ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il y aura toujours des différences entre communes en matière de DGF. Un certain nombre de critères - population, richesse, etc. - jouent sur la répartition. Il faut aussi tenir compte de la péréquation. On l'a dit, la DGF est vivante et cela a toujours été le cas. On ne peut assurer que tout le monde y gagne. Ce serait mentir. Si vous perdez de la population, vous perdez de la DGF, c'est absolument évident. C'est une dotation qui évolue et qui se répartit sur l'ensemble du territoire.

Les mécanismes que l'on a mis en place, notamment la réforme de la dotation d'intercommunalité, vont évidemment amoindrir les différences entre les communes et les intercommunalités. Nous faisons le maximum pour que la répartition se fasse sans chocs aussi importants que ceux que l'on a connus lors des modifications de la carte intercommunale. Mais il y aura toujours des évolutions dans les montants de la DGF.

Quant à Natura 2000, il ne s'agit pas d'un critère de la DGF. C'est une politique spéciale. Certaines communes sont presque totalement classées en Natura 2000. Le Gouvernement a donc accepté un amendement du rapporteur général créant une dotation en faveur des communes dont une part significative du territoire est comprise dans un site Natura 2000. Environ 1 000 communes sont concernées. Un autre amendement du Gouvernement sera nécessaire pour améliorer le financement de cette dotation.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Dans les territoires où des évolutions significatives ont eu lieu, avec des agrandissements de périmètres intercommunaux, voire des communes nouvelles, il peut être nécessaire de « déCIFer », c'est-à-dire de restituer un certain nombre de compétences aux communes, conformément au principe de subsidiarité. Ce faisant, l'intercommunalité voit sa dotation baisser. N'avoir pour seule règle de répartition de la dotation que l'intégration fiscale n'est pas toujours adapté.

M. Philippe Bas, président. - Le fait de restituer aux communes des compétences qui étaient intégrées stabilise le fonctionnement d'une communauté de communes. Mais le CIF évolue alors négativement, car les charges de la communauté de communes diminuent. Cependant, les charges des communes augmentent sans que leurs dotations soient modifiées. Il faudrait que les choses soient proportionnées, et ce n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Ce qu'il faut, c'est que le territoire dans son ensemble - intercommunalité et communes - n'y soit pas perdant. Il faut combattre l'effet pervers des dotations basées sur l'intégration.

M. Philippe Bas, président. - Il faut que le coût soit le même pour l'État mais que la répartition soit différente.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - On pouvait avoir cette vision intégrative tant que la carte intercommunale n'était pas achevée. Elle l'est à présent. Des espaces intercommunaux plus puissants et plus forts se constituent. On est déjà arrivé par endroits à un niveau d'intégration conséquent et à des périmètres intercommunaux dont on sait à peu près qu'ils ne bougeront plus.

Par ailleurs, estimez-vous pertinent de maintenir la DSIL au niveau des préfectures de région, alors même que l'enveloppe régionale est le plus souvent répartie entre les départements au prorata  de leur population ? Pour ma part, j'estime qu'il serait plus opportun transférer le pouvoir d'attribution aux préfets de département, au plus près des élus. On aurait ainsi une plus grande cohérence entre la DSIL et la DETR.

On pourrait aussi créer auprès des préfets une forme de commission départementale des investissements publics locaux, sur le modèle de la commission DETR qui fonctionne à peu près bien partout et qui permet une forme de dialogue entre le préfet de département et les élus locaux.

M. Philippe Bas, président. - En ce qui concerne la DSIL, la plupart des projets sont déterminés au niveau départemental, envoyés et validés au niveau régional, avant de revenir au niveau départemental. Il est vrai que quelques projets dépassent le strict cadre départemental. Nous ne serions pas hostiles, si vous acceptiez de faire redescendre au préfet de département l'attribution de la DSIL, au fait que le préfet de région garde une quote-part permettant le financement de projets régionaux.

Il nous semble qu'il serait intelligent de rapprocher la méthode d'attribution de la DSIL de celle de la DETR, et de faire en sorte qu'une seule commission départementale examine l'ensemble des projets. Pour les services de l'État, le mode de répartition de la DSIL est aujourd'hui une usine à gaz.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - L'AMF ne dit pas comment le fonds de lissage qu'elle propose serait financé. Il faudra en parler lorsque l'AMF aura retrouvé le chemin du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. J'ai malheureusement cru comprendre qu'il s'agirait d'ajouter de l'argent. François Baroin, qui a été ministre du budget, connaît les contraintes auxquelles nous faisons face. Il faudra en discuter avec lui.

Le CIF, vous avez raison, monsieur le sénateur, a parfois donné lieu à une forme de course à l'intégration. La stabilisation des dotations est l'enjeu le plus important. Nous y parvenons dans le projet de loi de finances en plafonnant le CIF à 0,6 au maximum, et en garantissant le niveau de dotations grâce au fameux amendement passé à l'Assemblée nationale, qui a fixé à 0,35 le CIF minimal pour bénéficier d'une garantie. La maquette, telle qu'elle est sortie de l'Assemblée nationale, répond à votre interpellation.

Le critère du revenu par habitant fait par ailleurs son apparition dans le calcul de la dotation d'intercommunalité. Les communautés de communes rurales vont être les grandes gagnantes de l'opération.

Quant à la DSIL, une grande partie de cette dotation est effectivement distribuée, en pratique, par les préfets de département. Mon objection à votre proposition tient plutôt à la forme qu'au fond : la modification voulue relève plus d'une circulaire aux préfets de région et de la doctrine d'emploi au quotidien de la DSIL que de la loi. Le président Larcher est attentif au fait que l'on ne mette pas dans la loi trop de dispositions qui relèvent du règlement ou du fonctionnement interne de l'État. L'attribution de la DSIL correspond déjà, il me semble, à ce que vous demandez. Peut-être suis-je induit en erreur par ce qui se passe en Normandie, où cela fonctionne bien. Il faut étudier ce point.

Concernant la distinction entre la DETR et la DSIL, le législateur et le gouvernement de l'époque avaient décidé que, sur les 2 milliards d'euros dédiés à l'investissement local, la moitié s'adressait aux projets locaux. Les commissions DETR fonctionnent bien dans certains départements, où l'on observe une vraie élaboration des critères, une véritable hiérarchisation des priorités. Dans d'autres départements, les commissions sont plus « baroques » - sans porter de jugement. Vous êtes parlementaires : nous sommes là pour que cela fonctionne bien dans tous les départements.

L'objet de la DSIL, en revanche, était de financer les projets répondant à des priorités nationales. Il est bien normal que l'État, dont vous êtes les représentants, ait aussi ses priorités. Il faut que l'on dispose d'un outil permettant de les décliner dans les territoires. Je prends toujours le même exemple, celui de la transition écologique : 200 millions d'euros de DSIL issus du grand plan d'investissement sont « verdis ». Sans cela, un grand nombre de projets n'auraient pas été réalisés dans une logique de transition énergétique.

J'entends bien qu'il faut que le Gouvernement travaille davantage avec les parlementaires pour définir les critères de répartition à l'échelle nationale, mais une commission départementale va quelque peu à rebours de la logique présidant à la création de la DSIL.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'année 2018 a vu la conclusion des contrats visant à limiter l'augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales à 1,2 % par an. Quelles inflexions entendez-vous donner à cette contractualisation ? Nous sommes face à des situations qui nous interpellent en matière de dépenses ou de sollicitations de l'État. Comment envisagez-vous de faire évoluer le dispositif afin de lui conférer intelligence et souplesse ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Nous ferons le bilan après un an de contractualisation avec les collectivités territoriales. Inutile de dire que beaucoup de choses nous ont déjà été remontées. Nous effectuerons les adaptations qui sembleront nécessaires à tout le monde.

M. Charles Guené, rapporteur spécial de la commission des finances. -
Le projet de loi de finances pour 2019 ne bouscule pas le paysage des finances locales. Nous devrions examiner l'année prochaine un collectif budgétaire spécialement consacré à ce sujet. Il s'agira de savoir alors si l'on se contente d'un ajustement pour compenser la suppression de la taxe d'habitation ou si l'on engage une véritable réforme fiscale, sachant que la revalorisation des valeurs locatives risque d'avoisiner cette année le taux de 2,3 %. Ce ne sera pas neutre.

Quelques réactions sur ce qui vient d'être dit.

S'agissant du fonds qui pourrait être créé pour compenser les baisses de DGF, je voudrais rappeler que l'année 2018 a été très particulière du fait des variations de périmètres intercommunaux. La plupart des écarts ont été dus au changement de régime fiscal de certains EPCI. Il est donc un peu gênant de créer un fonds alors que l'argent existe déjà et pourrait très bien être rendu.

Ce projet de loi de finances comporte surtout deux dispositions importantes, qui concernent la dotation d'intercommunalité et la métropole du Grand Paris. Ce qui a été voté pour la métropole du Grand Paris ne pourra aller au-delà d'une année, il faudra trouver des solutions.

Pour ce qui est de la dotation d'intercommunalité, le comité des finances locales avait souhaité revoir ses règles de répartition, afin que les montants par habitant ne varient pas autant d'un type d'EPCI à fiscalité propre à un autre et qu'il soit plutôt fait référence aux charges réelles des intercommunalités. On avait choisi pour cela le coefficient d'intégration fiscale, qui semblait le meilleur critère, faute de mieux.

Depuis, les amendements adoptés à l'Assemblée nationale ont réduit très sensiblement l'impact du CIF, puisqu'on s'est aperçu que trop de villes étaient « perdantes ». Je pense qu'il faut laisser les choses en l'état et ne pas bouder notre plaisir d'avoir réussi à harmoniser les choses.

Il faudra toutefois évoluer vers un système qui tienne davantage compte de l'importance des charges. Le CIF varie d'un montant epsilonesque à 80 % ou 85 %, tandis que le revenu moyen par habitant varie de plus 10 à moins 10 - et ce n'est pas forcément cela qui change fondamentalement les charges de la collectivité. Il faudra être prudent à l'avenir.

L'intégration des redevances d'eau et d'assainissement aux bases de calcul du CIF est une très bonne idée, mais il ne faudrait pas avantager temporairement le secteur urbain au détriment du secteur rural. Tout le monde sait que les communautés de communes ont jusqu'à 2026 pour assumer les compétences eau et assainissement. Pendant ce temps-là, il n'y a pas lieu de modifier le calcul du CIF.

S'agissant de la DSIL, on peut essayer d'en avoir une meilleure vision, mais il est assez délicat de trouver un mode de représentation départementale, sauf à reprendre la commission qui existe pour la DETR.

M. Philippe Bas, président. - C'est la bonne solution.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - En revanche, je m'inscris en faux contre l'affirmation du Gouvernement selon laquelle les dotations aux investissements n'auraient jamais été aussi élevées. Par rapport à 2017, le compte n'y est pas. Peut-être n'est-ce pas mal par rapport à une certaine époque, mais on ne peut dire que l'on est au sommet.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je reconnais que les dispositions relatives à la Métropole du Grand Paris ne valent que pour un an et que la réforme de la dotation d'intercommunalité est également provisoire.

Le CIF est un sujet qui passionne, entre ceux qui en sont partisans et ceux qui considèrent qu'il s'agit d'un critère contraignant. Il faudra en discuter à l'occasion de la réforme de la fiscalité locale.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - L'architecture de la dotation d'intercommunalité prévue par ce texte est la même que celle que préconisait le comité des finances locales. Peut-être n'avait-il pas suffisamment tenu compte des contraintes pesant sur quelques métropoles. On ne peut souhaiter de la stabilité pour nos EPCI et dire que le dispositif transitoire que nous proposons et qui amortit un peu le choc provoqué par la loi NOTRe manque d'ambition. Quand on fait preuve d'ambition, on entend peu les membres du CFL venir en aide au Gouvernement pour expliquer cette ambition sur le terrain... Il nous faut donc être prudents.

Les élus demandent de la stabilité pour cette fin de mandat. Nous mettons d'ailleurs un dispositif de crémaillère qui évite les augmentations ou diminutions trop brusques d'attributions. Le débat à l'Assemblée nationale a été riche et intéressant, et il me semble que nous sommes parvenus à un équilibre.

S'agissant des dotations d'investissement, les contrats de ruralité sont progressivement mis en oeuvre et il est normal que cela ait une incidence sur les crédits. Je rappelle que la DSIL n'existait pas auparavant.

M. Mathieu Darnaud. - Je ne vais pas refaire le débat sur le CIF mais il reste, quoi qu'on en pense et quoi qu'on en dise, pénalisant pour les communautés de communes. En effet, les EPCI à fiscalité propre qui ont aujourd'hui le plus besoin de cette dotation d'intercommunalité sont les communautés de communes. Il y a du mieux, mais on est encore à mi-chemin. Il faut repenser la dotation d'intercommunalité de façon plus ambitieuse et globale pour tenir compte des restitutions de compétences aux communes, notamment dans les communautés de communes. L'Histoire va dans le sens de la suppression du critère du CIF, qui a selon moi un effet pervers s'agissant des plus petites structures intercommunales.

Enfin, s'agissant de la question de l'eau et de l'assainissement, les agences de l'eau demandent aujourd'hui que les intercommunalités, auxquelles ces compétences doivent être obligatoirement transférées, les transfèrent à leur tour à des syndicats : il y a là une incohérence.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - S'agissant des agences de l'eau, tous les comités de bassin ne prennent pas les mêmes orientations. Je souscris toutefois à la philosophie de votre propos, et vais vérifier que la direction de l'eau et de la biodiversité n'ait pas sévi par erreur. Je m'engage à vérifier ce point avant la séance.

Quant à la réforme de la dotation d'intercommunalité, les communautés de communes en seront les grandes gagnantes. Sans réforme, tous les EPCI à fiscalité propre auraient été perdants, métropole comme communautés de communes. Cela explique que nous nous soyons attaqués à cette affaire. Pas moins de 171 communautés de communes à fiscalité additionnelle et 667 communautés de communes à fiscalité professionnelle unique vont voir leur dotation augmenter. Une seule communauté de communes à fiscalité additionnelle va voir sa dotation baisser, de même que 76 communautés de communes à fiscalité professionnelle unique. Toutes les autres verront leur dotation stabilisée.

Comme le dirait l'ancien rapporteur général et ancien président du CFL, Gilles Carrez, il ne faut pas trop regarder les simulations, sinon on ne réforme jamais. Néanmoins, nous donnerons en séance publique tous les chiffres des simulations en gains et en pertes - même si je n'aime pas ces mots. Cela permet de comprendre que ce qui est proposé est le meilleur équilibre qu'on ait pu trouver.

M. Philippe Bas, président. - Nous prenons acte de votre engagement.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je voudrais aborder le cas de communes qui ont intégré des intercommunalités plus riches, et qui ont vu leur DGF baisser. Il existe une solution très simple : mettre en oeuvre la solidarité interne. La majorité des intercommunalités concernées ne le veut malheureusement pas. Pourrait-on, dans la loi de finances, se mettre d'accord sur un amendement permettant de régler ce problème ?

Par ailleurs, l'État républicain n'a jamais répondu à la question de savoir ce qu'il convient de faire des soldes, positifs ou négatifs, des budgets annexes de l'eau et de l'assainissement. Ne pourrait-on faire en sorte qu'ils aillent à l'intercommunalité ? L'absence de règles crée un mauvais climat, entretient l'anarchie et favorise les injustices.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Ce que vient de dire M. Sueur rejoint ce que j'ai dit tout à l'heure : généralement, lorsque les communes qui sont entrées dans une nouvelle intercommunalité ont vu leur dotation baisser, l'argent n'est pas perdu pour tout le monde... Certaines intercommunalités l'ont même rendu.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - On va accuser l'État de s'immiscer dans la gestion locale et de devenir jacobin ! Nous préférons nous en remettre à l'accord local.

M. Jean-Pierre Sueur. - Quand cela vous arrange, vous êtes girondine !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je suis girondine par nature !

M. Jean-Pierre Sueur. - Dans le Loir-et-Cher, le contraire serait mal vu !

Mme Françoise Gatel. - Je vous ai entendu dire qu'il n'y aurait plus de tsunami territorial, qu'il faut à présent de la stabilité. Cela n'empêche pas d'apporter les nécessaires corrections aux réformes du quinquennat précédent. Je pense que les élus ont besoin de visibilité, quand on sait que la réalisation d'un projet d'investissement nécessite plusieurs années et qu'on a besoin de connaître la réalité des dotations au moment où l'on va commencer les travaux.

Par ailleurs, quand on parle de la réforme des finances locales, personne n'évoque le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), qui hérisse à la fois ceux qui reçoivent et ceux qui donnent. Il ne faut jamais oublier les classes moyennes, y compris parmi les intercommunalités. Certaines collectivités ont vu leur contribution au FPIC passer de 75 000 euros à 750 000 euros en cinq ans sans que leurs ressources aient augmenté, tout simplement parce que le nombre de leurs contributeurs a beaucoup diminué.

Enfin, s'agissant de la DSIL, il existe un écart entre l'enveloppe allouée et ce qui est effectivement consommé. Vous n'y êtes pour rien : c'est que les collectivités ont parfois des moyens limités pour monter des projets. Il me semble d'ailleurs que, cette année, de nouvelles dépenses deviennent éligibles à la DSIL, ce qui fera en définitive baisser l'enveloppe pour les autres projets. Je pense notamment au deuxième volet de l'appel à projets État-régions pour la revitalisation des bourgs-centres.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - La DSIL est attribuée en fonction des projets réalisés, quelle que soit la nature des projets. Des orientations ont été données par le Gouvernement s'agissant par exemple du numérique, mais toutes sortes de dossiers peuvent être subventionnés. Les opérations de revitalisation des bourgs-centres étaient déjà éligibles auparavant.

Mme Muriel Jourda. - Vous avez dit qu'une aide de 250 millions d'euros serait apportée aux départements, par le biais d'un fonds de stabilisation de 115 millions d'euros et de 135 millions issus du fonds de lutte contre la pauvreté. Vous avez également expliqué que le Gouvernement avait prévu d'augmenter la péréquation entre les départements, qui doivent en discuter entre eux. Il me semble que vous avez annoncé que les négociations allaient se poursuivre avec les départements. Qu'en est-il ?

En second lieu, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté en juillet 2018 une proposition de loi visant à allonger la durée de prise en charge des mineurs par les départements au-delà de leurs 18 ans et jusqu'à 21 ans, ce qui engendrera un surcoût considérable, notamment si l'on ne fait pas la différence entre ces mineurs et les mineurs non accompagnés - et il n'y a pas de raison a priori de le faire. Avez-vous envisagé un mode de financement pour cet allongement de la prise en charge ?

M. Philippe Bas, président. - Envisagez-vous de permettre aux départements de relever le taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Le déplafonnement des DMTO signifierait, en clair, une augmentation des frais de notaire. Il n'en est pas question, j'en prends l'engagement. Ces frais de transaction sont déjà suffisamment dynamiques dans certains départements, ce qui permet de porter le niveau de péréquation à 250 millions d'euros. Augmenter les DMTO serait contre-productif dans les zones en tension.

Oui, nous continuons de discuter et de travailler avec les conseils départementaux. Nous l'avons dit à Rennes vendredi dernier. Nous n'avions pas la prétention, en quatre jours, de régler dix ans de problèmes juridico-financiers. Le premier fonds d'urgence date du quinquennat de Nicolas Sarkozy. C'est François Baroin, alors ministre du budget, qui l'avait mis en place. Entre-temps, le RMI est devenu RSA, et la crise économique de 2008 est passée par là.

Il faut que l'on puisse avancer sur le sujet. Seul membre du Gouvernement à avoir présidé un conseil départemental, je milite pour que l'on ait l'année prochaine une réflexion globale sur les départements dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale. On ne peut confier autant de dépenses dynamiques à une strate de collectivités sans avoir une réflexion sur les recettes qui, elles aussi, doivent être dynamiques. Le lien entre le citoyen et la collectivité créé par le consentement à l'impôt est un superbe sujet, mais le caractère dynamique de la recette demeure tout aussi important.

La question de la fiscalité locale est majeure pour les conseils départementaux. Il faut donc avancer sur le sujet, notamment pour financer les allocations individuelles de solidarité, la pauvreté, le RSA et l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Dans certains départements, c'est la dépendance qui pose problème plutôt que la pauvreté. Dans d'autres, c'est l'inverse. Les situations sont disparates.

Pour ce qui est des mineurs non accompagnés, il y a tout un débat au sein de l'ADF entre ceux qui considèrent que ce sujet est devenu régalien et ceux qui estiment que, dès lors qu'il s'agit d'un mineur non accompagné, il relève de l'aide sociale à l'enfance (ASE). D'ailleurs, l'ensemble des traités internationaux le rappellent, on ne peut distinguer un enfant étranger d'un enfant français.

Le débat porte sur l'aval, c'est-à-dire la prise en charge. Il faut continuer à travailler sur l'amont, c'est-à-dire la phase d'évaluation qui permet de s'assurer qu'on a bel et bien affaire à un mineur, etc. Tout un volet purement régalien a été acté avec le président Bussereau l'été dernier, et commence à porter ses fruits. Il faudra l'évaluer ensemble.

Sur l'aval, l'État augmente son aide financière aux conseils départementaux pour leur permettre de faire face au flux. Pour le reste, la compétence amont comme aval ne rentrera plus dans la base de calcul de l'évolution des dépenses de fonctionnement, plafonnnée à 1,2 %. Cela fait l'objet des discussions que nous avons actuellement avec l'ADF, le ministère de l'intérieur et celui de la justice.

Enfin, s'agissant de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative à la prise en charge par les départements des mineurs au-delà de 18 ans et jusqu'à 21 ans, nous sommes en discussion avec les présidents de conseils départementaux, qui ne sont pas tous d'accord entre eux.

M. François Bonhomme. - Vous avez dit qu'il n'y aurait pas de ponction sur les agences de l'eau. Ce n'est pas ce que l'on entend. Le principe selon lequel l'eau paye l'eau a été piétiné. Aujourd'hui, le produit des redevances d'eau qui revient aux agences de l'eau est plafonné à 2,1 milliards d'euros au niveau national. Si l'on ajoute à ce plafond mordant les prélèvements opérés depuis plusieurs années, on aboutit des ponctions qui produisent aujourd'hui leur plein effet et qui conduisent beaucoup de collectivités partenaires des agences à réduire considérablement leurs programmes.

J'aimerais savoir si vous allez maintenir ce principe du plafond mordant, qui met à mal le principe qui veut que l'eau paye l'eau, mais aussi le financement de l'Agence française de la biodiversité (AFB) et de l'Office national des forêts (ONF) par les agences de l'eau. La question du périmètre des agences est donc posée.

Toute cela se fait au nom du principe du redressement des comptes publics. Continuez-vous à le faire vôtre ? Les premières victimes en sont les collectivités locales...

Enfin, que faites-vous de la réflexion du Conseil des prélèvements obligatoires sur l'avenir des taxes affectées ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Il n'y a pas de nouvelle ponction sur les agences de l'eau. Elle a eu lieu l'année dernière. Le plafond mordant contraint seulement les comités de bassin à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires au-delà d'un certain niveau. Sans plafond mordant, jusqu'où permettrait-on de lever l'impôt sur la facture d'eau ?

L'eau doit-elle payer l'eau ? C'est un beau débat qu'il faut avoir au Parlement. L'eau revêt désormais une acception plus large chez beaucoup d'élus locaux. Il est compliqué de considérer que l'eau ne paye que le petit cycle de l'eau. Si tel est le cas, on risque d'avoir des difficultés dans nos campagnes. Cela reviendrait à dire qu'on ne considère que l'urbain.

Quant aux opérateurs, il ne s'agit pas de l'ONF, mais de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, ainsi que de l'AFB, maître d'ouvrage des opérations du grand cycle et de la police de l'eau. D'ailleurs, les pêcheurs de France appellent à renforcer la police de l'eau le long des rivières et des fleuves. Tout cela est cohérent. Par solidarité gouvernementale, j'ai assumé les ponctions sur les agences de l'eau l'an dernier, mais j'ai fait en sorte qu'il n'y en ait plus.

Enfin, 2 milliards d'euros, c'est ce que la Caisse des dépôts met sur la table par le biais de produits financiers tout à fait innovants. Un tuyau d'eau qui transporte de l'eau claire que l'on va facturer à nos concitoyens, cela s'amortit. Pour le coup, la Caisse des dépôts et consignations a fait un effort considérable, notamment pour les communes rurales ou la montagne, là où les investissements sont les plus coûteux.

Je suis à votre disposition pour avancer sur ce sujet, que le réchauffement climatique rend encore plus important.

M. Didier Marie. - Nous aurons l'occasion, en séance, de revenir sur l'interprétation que l'on peut avoir quant aux trois piliers que vous avez présentés comme étant ceux du PLF.

La DSIL passe de 615 millions d'euros à 570 millions d'euros, soit une baisse de 45 millions d'euros correspondant aux crédits des contrats de ruralité. Ces derniers arrivant à leur terme, le Gouvernement décide de les supprimer. Considérez-vous pour autant qu'il n'y ait plus de besoins ? J'estime quant à moi que ces 45 millions d'euros seraient bien utiles pour poursuivre les investissements nécessaires dans nos campagnes.

Par ailleurs, s'agissant de la DPV, de nouveaux critères de population ont été introduits : sont éligibles les communes dont 19 % des habitants vivent dans les quartiers concernés par la politique de la ville. Or la comptabilisation des habitants desdits quartiers remonte à juin 2016, alors que la population totale est recensée chaque année. Le risque est que certaines communes deviennent inéligibles. Comment comptez-vous régler ce problème ?

Par ailleurs, il est prévu d'augmenter la dotation d'intercommunalité de 30 millions d'euros, somme reconductible chaque année. Mais cela va se faire à enveloppe constante, donc nécessairement au détriment d'autres bénéficiaires de la DGF. Envisagez-vous le cas échéant une augmentation de la DGF à due proportion ?

La DGE des départements serait transformée en une dotation de soutien à l'investissement départemental, distribuée à 77 % selon une procécure d'appel à projets. Autrement dit, l'on passe d'une dotation à des subventions. Est-ce conforme à l'esprit qui doit présider au soutien de l'État aux départements ?

Enfin, à Saint-Martin, la reconstruction doit être financée sur l'enveloppe de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Est-ce normal, alors que le Président de la République avait expliqué que cette aide relevait de la solidarité nationale ?

M. Philippe Bas, président. - Je me faisais la même observation : réduire les dotations aux collectivités territoriales pour financer la solidarité avec Saint-Martin, ce n'est pas exactement ce que j'appelle la solidarité nationale.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je veux vous rassurer : pour Saint-Martin, il s'agit bien d'argent budgétaire - pris sur la même ligne budgétaire que l'aide apportée à l'Aude.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas du tout la présentation qui en est faite dans votre budget. J'ai la même analyse que M. Marie. Ce que vous appelez « crédits budgétaires », c'est une enveloppe qui est limitée et qui est destinée aux collectivités territoriales.

Mme Catherine Troendlé. - Nous sommes nombreux à nous poser la question : qu'est-ce que de l'argent budgétaire ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Tout est de l'argent budgétaire, mais il y a de l'argent vraiment budgétaire, et de l'argent qui relève de redistributions dans les dotations de l'État. C'était d'ailleurs le sens de la question du sénateur Marie, qui dit que l'on fait appel pour Saint-Martin à une enveloppe destinée aux collectivités territoriales, ce qui n'est pas de la solidarité nationale. Nous referons un point précis, les montages entre l'année dernière et cette année n'étant pas tout à fait les mêmes. Je n'avais pas la responsabilité de cette mission budgétaire l'année dernière.

M. Philippe Bas, président. - Selon votre projet de loi de finances, ces crédits sont bien inscrits dans l'enveloppe normée des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales. Autrement dit, ces 50 millions d'euros, qui sont absolument indispensables pour Saint-Martin, seront prélevés sur les autres concours de l'État aux collectivités, sauf à ce que vous présentiez un amendement...

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Jacqueline Gourault complétera. J'ai dû manquer de clarté et vous demande de m'en excuser.

Quant à la DSIL, elle évoluera chaque année, les contrats de ruralité étant vivants par définition. C'est toute la différence entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement.

Sur la DPV, il y a un sujet majeur sur lequel nous avons dû avancer assez rapidement. En effet, le comptage des habitants des quartiers éligibles à la DPV se faisait tous les trois ans, alors que celui du nombre d'habitants de la ville était réalisé tous les ans. En conséquence, certaines villes pouvaient se retrouver inéligibles - Calais par exemple, qui connaît les mouvements de population que l'on sait, ce qui n'aurait pas manqué de sel !

Nous avons donc choisi de prendre la même année de référence pour les deux chiffres, ce qui permet d'éviter la sortie d'un certain nombre de communes et d'en rattraper quelques autres. J'en tiens la liste à votre disposition. Je l'ai lue à l'Assemblée nationale.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je reviens sur l'aide à Saint-Martin. En 2018, 50 millions d'euros ont été versés par prélèvement direct sur le budget, hors concours financiers de l'État aux collectivités territoriales. Pour 2019, vous avez raison, l'aide est comprise dans les concours financiers, ce qui conduira à diminuer les variables d'ajustement.

Mme Sophie Joissains. - Ma question porte sur deux territoires particuliers, la métropole du Grand Paris et celle d'Aix-Marseille-Provence. Quel est le calendrier des réformes ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je n'ai pas de calendrier à vous indiquer.

Mme Sophie Joissains. - La réforme du Grand Paris était prévue pour 2018. À Aix-Marseille, nous avons entamé une concertation avec le préfet, il y aura des conséquences budgétaires.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - J'attends avec impatience le rapport du préfet Dartout.

Mme Sophie Joissains. - Quand devrait-il le rendre ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - D'ici peu !

Mme Sophie Joissains. - Concernant la ville de Marseille, l'État aura-t-il une politique volontariste pour l'aider dans les difficultés qu'elle traverse aujourd'hui ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Oui, bien sûr. Avec Julien Denormandie, nous avons reçu hier le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, et avons pris quatre grandes mesures pour aider la ville.

Dans un premier temps, nous détachons sur le terrain des spécialistes du ministère du logement et de la cohésion des territoires. Il existe de très fortes angoisses, parfois à juste titre, parfois moins justifiées, mais lorsqu'il arrive des accidents aussi dramatiques, les gens ont peur, et il faut pouvoir répondre psychologiquement et matériellement à ces craintes.

Les autres mesures consistent à lutter contre les marchands de sommeil, grâce notamment aux dispositions de la loi ÉLAN. Nous attendons que le Conseil constitutionnel valide définitivement la loi. Nous allons également apporter notre aide à la mairie de Marseille en ce qui concerne les copropriétés.

M. Vincent Segouin. - Madame la ministre, monsieur le ministre, chaque fois qu'on vous pose des questions, on entend parler d'un fonds de péréquation par-ci, d'un fonds de péréquation par-là.

Il y a peu encore, j'étais à la tête d'une collectivité pour laquelle nous avions de grandes ambitions. Si l'on veut percevoir des recettes de DGF complémentaires, le nombre d'habitants doit augmenter. Pour ce faire, on doit réaliser des investissements. Comment peut-on y parvenir avec des fonds de péréquation qui relèvent chaque année de la loterie ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. - La question est légitime. Une fois de plus, ce sont des choix politiques qui ont été faits par les majorités parlementaires successives en matière de solidarité afin de tenir compte de l'évolution de la situation des collectivités territoriales. Je note que peu de parlementaires demandent d'ailleurs à figer les critères de péréquation.

M. Vincent Segouin. - Je me suis mal exprimé. Nous comprenons très bien la dynamique, mais réclamons qu'elle soit lisible et tenue dans le temps. Aujourd'hui, les fonds de péréquation ne présentent aucune visibilité.

M. Sébastien Lecornu, ministre. - Votre propos est frappé au coin du bon sens. Lorsque la DGF a été gelée pendant la dernière année du quinquennat de Nicolas Sarkozy, puis diminuée de manière très brutale sous le quinquennat de François Hollande, la péréquation servait à limiter la casse pour certaines communes. Si vous ajoutez à cela la loi NOTRe, qui a conduit à modifier le périmètre des intercommunalités, donc leur DGF, c'est à n'y plus rien comprendre.

C'est pourquoi Jacqueline Gourault et moi-même vous présentions ce budget sous l'angle de la stabilité et de la prévisibilité. Ce n'est pas qu'un slogan : nous avons le même sentiment que vous en la matière. C'est aussi la raison pour laquelle nous étions impatients de réaliser la réforme de la dotation d'intercommunalité. Je rappelle que la DSIL a été imaginée pour faire passer la baisse de la DGF. Nous ne diminuons donc pas les dotations globales, mais maintenons les dotations d'investissement, ce qui commencera normalement à produire son effet à la fin du mandat municipal en stabilisant globalement les comptes des collectivités territoriales.

M. Philippe Bas, président. - Merci. Nous nous donnons bientôt rendez-vous pour la discussion de votre budget en séance publique.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 55.