Jeudi 4 novembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Agriculture et pêche - Conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM(2021) 554 modifiant le règlement (UE) 2018-841 en ce qui concerne le champ d'application, la simplification des règles de conformité, la fixation des objectifs des États membres pour 2030 et l'engagement dans la réalisation collective de la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, et le règlement (UE) 2018-1999 en ce qui concerne l'amélioration de la surveillance, des rapports, du suivi des progrès et de la révision - Proposition de résolution européenne

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous débutons notre réunion par l'examen d'une proposition de résolution visant à analyser, au regard du principe de subsidiarité, une proposition de règlement soumise par la Commission européenne. En effet, lors de sa dernière réunion, le groupe de travail subsidiarité de notre commission a estimé que ce projet de texte européen pouvait ouvrir la voie à un empiètement de la Commission sur les compétences des États membres. Nous avons chargé notre collègue Pierre Louault d'étudier la question.

À l'issue de son travail, celui-ci nous a soumis une proposition de résolution européenne portant avis motivé. Notre collègue étant retenu à Bruxelles pour un entretien prévu de longue date, je vais vous donner lecture de son intervention :

« Le présent projet d'avis motivé porte sur la proposition de règlement désignée sous la référence COM/2021/554 final. Celle-ci tend à modifier un règlement existant : le règlement 2018/841 du 30 mai 2018.

« Il s'agit de l'une des premières déclinaisons se traduisant par des dispositions contraignantes du Pacte vert, ou Green Deal, au niveau des activités agricoles. En effet, l'agriculture des États membres sera sollicitée pour contribuer à l'objectif global de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne, par rapport au niveau de 1990 à l'horizon 2030.

« Pour la première période considérée, c'est-à-dire de 2021 à 2025, le nouveau règlement envisagé n'apporte que de légères modifications, non substantielles, au cadre réglementaire actuel.

« En revanche, pour la période 2026-2029, la proposition de règlement prévoit de donner à la Commission européenne le pouvoir d'adopter des actes d'exécution. Ceux-ci pourront assigner des objectifs annuels détaillés de gaz à effet de serre pour chaque État membre. Ce point mérite notre attention.

« On se souvient que la procédure des actes d'exécution est prévue par l'article 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tandis que celle, au demeurant assez proche, des actes délégués relève de l'article 290.

« La Commission peut prendre des actes d'exécution quand il apparaît nécessaire d'assurer des conditions d'exécution uniformes de directives ou de règlements européens. L'acte délégué, pour sa part, est un acte non législatif de portée générale que la Commission peut prendre, sur le fondement d'un acte législatif, pour en modifier des éléments non essentiels.

« Dans sa version actuelle, le règlement du 30 mai 2018 prévoit l'intervention d'actes délégués, car il s'agissait jusqu'à présent de modifier certains éléments non essentiels de ce règlement. La nouvelle rédaction proposée suppose manifestement le recours à des dispositions plus contraignantes, voire plus larges, d'où le recours aux actes d'exécution. Cependant, comme l'observait dès 2014 notre ancien collègue Simon Sutour : «La frontière entre actes d'exécution et actes délégués est encore bien floue.»

« L'une et l'autre méthode sont couramment utilisées par la Commission européenne. Il s'agit généralement d'édicter des mesures précises ou détaillées, comparables à celles que peut adopter l'exécutif en France au titre de son pouvoir réglementaire, et non pas d'introduire des normes de portée générale ayant un champ d'intervention potentiellement illimité.

« Il est certain que le Pacte vert repose sur une logique a priori difficilement contestable, à savoir que la lutte contre le réchauffement climatique ne saurait être efficace sans une action collective menée à l'échelon européen, sinon mondial. À défaut, le risque serait que les efforts collectifs des États vertueux soient ruinés par des comportements opportunistes de pays pratiquant une politique de cavalier seul.

« En ce sens, on peut estimer que la proposition de règlement satisfait, en première analyse, aux dispositions de l'article 5 du traité sur l'Union européenne (TUE), explicitant ainsi la notion de principe de subsidiarité : «Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'aux niveaux régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.»

« Toutefois, ce principe de subsidiarité est indissociable et s'entend au regard du principe de proportionnalité, comme le fait valoir en ces termes le même article 5 du TUE : «Le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités.»

« Or ce point précisément fait plus encore débat, particulièrement dans le contexte actuel : la publication tardive, le 28 juillet 2021, des travaux du Centre commun de recherche de la Commission européenne concernant l'impact du Green Deal sur l'agriculture européenne a récemment fait polémique et attisé les inquiétudes.

« En dépit des précautions prises, cette analyse prospective partielle met en avant des perspectives sombres de baisse de la production agricole, de 5 % à 15 % suivant les filières, à l'horizon 2030. Il apparaît pour ainsi dire sidérant qu'une telle évolution n'ait jamais fait l'objet d'un débat public au préalable. À tout le moins, une concertation avec les États membres, ainsi qu'avec les représentants des agriculteurs, aurait dû être menée en amont par la Commission européenne. Dans ces conditions, comment envisager sereinement la transposition à l'agriculture européenne des grandes orientations du Pacte vert par voie d'acte d'exécution ?

« Envisager de confier une telle prérogative à la Commission présenterait une portée d'autant plus considérable que la rédaction lapidaire retenue ne limite en rien son champ d'application. Là réside finalement le noeud d'incertitude qui nous conduit à vous soumettre cet avis motivé.

« En définitive, la présente proposition de règlement peut légitimement être dénoncée par les parlements nationaux comme ne respectant pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité, pour trois motifs. D'abord, le champ d'intervention des actes d'exécution apparaît potentiellement illimité. Ensuite, la proportionnalité des mesures que pourrait prendre la Commission n'est en rien garantie. Enfin, les parlementaires nationaux ne sont pas assurés de pouvoir contrôler les actes d'exécution que prendrait la Commission, puisque seuls les actes de portée législative leur sont transmis.

« S'y ajoute le rappel que les politiques en matière d'environnement, mais aussi, depuis le traité de Lisbonne, en matière d'agriculture relèvent des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, selon les modalités précisées, notamment par les articles 191 et 192, ainsi que 38 à 44 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

« Tels sont, mes chers collègues, les points clés de la proposition d'avis motivé que nous vous suggérons d'adopter. »

M. André Gattolin. - Nous nous sommes récemment interrogés sur le volume d'actes délégués dans le cadre du plan climat de l'Union européenne, qui a été adopté par les États membres et par le Parlement européen. Il y a effectivement des raisons de s'inquiéter.

Aujourd'hui, le débat porte sur l'interprétation de l'article 5 du traité, qui définit les notions de « subsidiarité » et de « proportionnalité ». En l'occurrence, il n'y a pas de problème de subsidiarité. J'ai bien compris que le sujet était surtout la proportionnalité.

Tous les États européens ne pourront malheureusement pas respecter l'objectif, adopté par les chefs d'État et de gouvernement, d'une réduction de 55 % des gaz à effet de serre. C'est ce qui explique la nécessité de fixer un cadre à l'échelon européen.

Il m'est parfois arrivé, par exemple lors de nos précédentes réunions, de juger les positions de la Commission européenne un peu à rebours de certains engagements internationaux. Mais, en l'espèce, ce n'est pas le cas.

Dans ce contexte, il ne nous paraît donc pas opportun d'adopter la présente proposition de résolution.

M. Jean-François Rapin, président. - Mon cher collègue, il est bien précisé dans l'avis motivé que l'aspect problématique de la proposition de règlement européen concerne le principe de proportionnalité. Nous voulons surtout alerter sur les conséquences du Pacte vert sur l'activité agricole, notamment en termes de baisse de la production.

M. André Gattolin. - Il faut demander des projections au Gouvernement. Au demeurant, la plupart des candidats à l'élection présidentielle ont une vision court-termiste. Ils se projettent à cinq ans - c'est la durée du mandat qu'ils convoitent -, alors que nous avons adopté des objectifs européens de plus long terme, parfois de trente ans. Les instruments de prospective dont nous sommes censés disposer, comme le Haut-Commissariat au plan, ne fonctionnent pas.

Le projet de texte européen n'est pas assorti d'une étude d'impact, ce qui est bien dommage. Il n'a pas non plus fait l'objet d'une consultation préalable.

D'une façon générale, peut-être devrions-nous signifier à la Commission européenne, par une adresse ou une résolution, notre lassitude s'agissant des actes délégués et des actes d'exécution. Mais il appartient en l'occurrence aux autorités nationales de produire des études d'impact.

M. Jean-François Rapin, président. - Tout cela pourrait faire l'objet de propositions dans un deuxième temps. Je rappelle que la position du groupe de travail subsidiarité avait été adoptée à l'unanimité. L'objectif recherché consiste, précisément, à éviter une vision trop court-termiste.

M. André Gattolin. -En France, le Gouvernement ne fait plus assez de prospective.

M. Jean-François Rapin, président. - Le cadre européen n'a peut-être pas suffisamment déterminé les moyens à se donner, pour tenir les engagements. Il ne s'agit pas de faire de la politique politicienne ; nous sommes dans un exercice réfléchi.

Mme Laurence Harribey. - La résolution qui nous est proposée aujourd'hui a tout d'un piège. En nous limitant à une analyse strictement juridique, nous pourrions être tentés de l'approuver. Ce qui est en cause, c'est effectivement le principe de proportionnalité. Mais nous voyons bien qu'il y a utilisation d'un argumentaire juridique pour éviter d'aller dans la bonne direction.

Sur la forme, la proposition de résolution pourrait sembler séduisante. Sur le fond, elle est problématique. Elle revient à donner raison aux États qui freinent des quatre fers pour éviter la transition vers une autre agriculture, conforme à nos objectifs.

Faisons preuve de pragmatisme. Certes, le groupe de travail subsidiarité s'est prononcé à l'unanimité, mais cela n'implique pas de condamner la proposition de règlement européen ou d'adopter une proposition de résolution à la tonalité aussi critique.

À mes yeux, le projet de texte européen respecte le principe de proportionnalité. Les dispositions ne s'appliquent qu'à compter de 2026, et le règlement actuel prévoit des dérogations en fonction des capacités de chacun.

Nous sommes donc réservés sur l'adoption de la présente proposition de résolution. Nous voyons bien le risque de défendre par ce biais une agriculture productiviste et de ne rien changer.

Je tiens également à souligner que la procédure des actes d'exécution peut faire l'objet d'un contrôle de la part des États membres, en vertu d'une décision à la majorité qualifiée, via un dispositif juridique qui a été créé en 2011 et renforcé à la suite de l'affaire du glyphosate. Il s'agit d'une garantie supplémentaire du respect par la Commission européenne du principe de subsidiarité.

Enfin, la proposition de règlement, en fixant à 2026 la date à partir de laquelle est ouverte à la Commission la faculté de recourir à des actes d'exécution, laisse le temps aux États membres de remplir leurs objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre. Cela me semble conforme au principe de proportionnalité.

En l'état, le groupe socialiste, écologiste et républicain s'abstiendra sur cette proposition de résolution européenne.

M. Jacques Fernique. - J'ai pris le temps de lire attentivement les contributions qui ont conduit à l'élaboration de cette proposition de résolution européenne.

On le sait depuis longtemps, la politique agricole commune (PAC) devra évoluer et ne sortira pas indemne des engagements pris par l'Union européenne, en particulier le Pacte vert et l'objectif de réduction dès 2030 des gaz à effet de serre à hauteur d'au moins 55 %.

Mais comment faire autrement pour progresser dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Admettons-le : il est nécessaire de mener des actions concertées au niveau européen. Il ne faudrait pas que tel ou tel État s'arroge le droit de faire cavalier seul. La PAC étant l'une des politiques communes les plus intégrées, il me semble que les États membres se doivent de rester unis.

Je suis pour ma part défavorable à cette proposition de résolution européenne, car le message envoyé serait perçu comme un désaccord politique de fond sur le Pacte vert.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons l'impression d'être pris dans un étau : l'accord de Paris sur le climat a défini des objectifs louables, mais les moyens que nous impose l'Union européenne pour y parvenir ne sont pas nécessairement adaptés, en particulier dans le cas de la France.

Je regrette également que nous n'ayons pas pris en considération, dans le cadre de l'accord de Paris, la baisse probable de la production agricole, de 5 à 15 % suivant les filières, à l'horizon 2030. Comment expliquer aux agriculteurs que leur production, autrement dit leur chiffre d'affaires, baissera dans les années à venir et leur demander, dans le même temps, de continuer à investir pour une agriculture plus verte ?

Il est temps de marquer le coup et de faire comprendre à l'Europe qu'il ne faut pas aller trop loin. Évitons de reproduire, avec l'agriculture, les erreurs commises dans le passé pour l'industrie.

M. Jean-Yves Leconte. - Ce n'est pas le premier message d'alerte que nous envoyons à la Commission européenne à propos de la procédure des actes d'exécution, qui ne constitue probablement pas le meilleur moyen de mobiliser les acteurs au sein des différents États membres.

Le champ d'application de la proposition de règlement est très vaste, puisque, au-delà de l'agriculture, il inclut les zones humides et les terres forestières, qui correspondent à de véritables puits de carbone. Aujourd'hui, ces espaces de stockage du CO2 sont utilisés par les États membres, d'une manière ou d'une autre, pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. L'évaluation de la Commission européenne en la matière doit reposer sur des objectifs précis, sauf à avantager un certain nombre de pays qui disposent de tels puits de carbone en quantité. Par souci d'équité, l'Union européenne doit fixer des objectifs communs en vue d'atteindre la neutralité carbone en 2050.

M. Franck Menonville. - Je suis favorable à cette proposition de résolution européenne. En entraînant l'agriculture et des pans entiers de notre économie dans la voie tracée par la Commission européenne, nous commettrions une erreur collective historique.

La stratégie de l'Union européenne repose sur la décroissance de notre agriculture, dans la mesure où elle ne prend pas suffisamment en compte les évolutions technologiques, les innovations et la capacité de stockage du CO2 des terres forestières.

Comme l'a dit le président de notre commission, il faut éviter de transposer à l'agriculture des solutions qui ont conduit à la désindustrialisation de notre pays. J'ajoute que la Commission européenne, au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique, doit tenir compte des réalités géopolitiques qui nous entourent.

M. André Reichardt. - Le texte de la proposition de résolution européenne me paraît raisonnable. En effet, la proposition de règlement est, en l'état actuel des choses, et alors que plusieurs États membres refusent d'appliquer certaines directives européennes, complètement « hors sol ».

M. Daniel Gremillet. - Je tiens à remercier Pierre Louault pour l'objectivité de son travail et voterai en faveur de sa proposition de résolution européenne.

Il ne faut pas oublier que notre responsabilité face au défi climatique ne nous dispense pas, bien au contraire, de tenir compte des enjeux liés aux terres agricoles et forestières. Il est plus que jamais nécessaire de concilier le principe de sécurité alimentaire avec l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

Je tiens aussi à rappeler que l'enjeu alimentaire, plus que toute autre préoccupation, se situe aujourd'hui au coeur de la plupart des conflits géopolitiques.

M. Victorin Lurel. - Le champ d'application de la proposition de règlement me semble trop large, d'autant que celle-ci ne respecte manifestement pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cela étant, la rejeter au nom de la subsidiarité n'est pas satisfaisant : que proposer comme alternative ? Ne pourrait-on pas améliorer le texte, l'adopter sous une forme plus équilibrée, qui prévoirait par exemple une consultation des États en amont d'éventuels actes d'exécution ? Quelle est la position des autorités françaises sur ce point ?

M. Jean-François Rapin, président. - La France s'est officiellement engagée à respecter l'accord de Paris. L'alternative à laquelle nous sommes confrontés est en effet insatisfaisante : adopter la proposition de résolution européenne reviendrait à mettre en exergue une difficulté, qui n'est pas tant de nature juridique, mais relève d'un problème de fond ; la rejeter équivaudrait à nous asseoir sur les problèmes sérieux que nous identifions.

On reproche suffisamment aux parlements nationaux leur inaction. Il est temps de dénoncer les moyens envisagés au niveau européen pour faire respecter l'accord de Paris. C'est pourquoi je soutiendrai le travail de Pierre Louault.

M. Dominique de Legge. - Ce débat est intéressant, car il pose la question de la relation de confiance entre l'Union européenne et ses États membres. Personnellement, je voterai cette proposition de résolution européenne, car je suis en désaccord avec la méthode de la Commission européenne, qui s'apparente à un acte de défiance par anticipation.

Il est aujourd'hui nécessaire d'envoyer un message politique à l'Union pour lui expliquer que nous avons une conception différente des relations qu'elle doit entretenir avec ses États membres.

La proposition de résolution portant avis motivé est adoptée dans la rédaction suivante :

La proposition de règlement COM (2021) 554 final tend à modifier, d'une part, le règlement (UE) 2018/841 en ce qui concerne le champ d'application, la simplification des règles de conformité, la fixation des objectifs des États membres pour 2030 et l'engagement dans la réalisation collective de la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, et, d'autre part, le règlement (UE) 2018/1999 en ce qui concerne l'amélioration de la surveillance, des rapports, du suivi des progrès et de la révision.

Cette proposition de règlement a pour objet de décliner au niveau des activités agricoles, par des dispositions contraignantes, l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre que s'est fixé l'UE : -55% à l'horizon 2030 par rapport au niveau de 1990.

Pour la première période considérée, c'est-à-dire de 2021 à 2025, le nouveau règlement envisagé n'apporte que de légères modifications, non substantielles, au cadre réglementaire actuel.

S'agissant, en revanche, de la période 2026-2029, la proposition de règlement prévoit de donner le pouvoir à la Commission européenne d'adopter des actes d'exécution assignant des objectifs annuels de gaz à effet de serre détaillés, pour chaque État membre.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- en application de l'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les politiques en matière d'environnement, dont la lutte contre le changement climatique, et d'énergie relèvent des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, selon les modalités précisées notamment par les articles 191 et 192 ;

- dans son principe, la fixation d'un objectif de neutralité climatique pour l'Union à l'horizon 2050 présente une valeur ajoutée européenne et apparaît justifiée au regard du principe de subsidiarité, pour assurer son effectivité et son application homogène et éviter des distorsions de concurrence ;

- cependant, pour la période 2026-2029, la Commission européenne serait habilitée à prendre des actes d'exécution ayant un champ d'application potentiellement illimité, pour imposer à chaque État membre des niveaux contraignants de CO2 applicables aux activités agricoles ;

- au surplus, les modalités de contrôle par les Parlements nationaux de ces actes pris par la Commission ne sont pas suffisamment définies par la proposition de règlement COM (2021) 554 final.

*

Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement COM(2021) 554 final ne respecte pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Présentation des résultats de la consultation sénatoriale en ligne des élus locaux sur l'avenir de l'Europe, en présence des associations d'élus locaux

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant prendre connaissance des résultats de la consultation en ligne que nous avons menée du 6 septembre au 8 octobre dernier auprès des élus locaux afin de connaître leur perception de l'Union européenne et leurs attentes concernant l'avenir de l'Europe.

Notre commission entend ainsi faire participer le Sénat au dialogue avec les citoyens sur le futur de l'Union européenne, dialogue auquel nous invitent les institutions européennes à travers la conférence sur l'avenir de l'Europe ouverte en mai dernier.

J'étais avec Gisèle Jourda il y a quelques jours à Strasbourg à ce sujet. Le processus est lancé et le Sénat compte bien y participer.

Chargé par la Constitution d'une mission spécifique de représentation des collectivités territoriales, le Sénat est naturellement attentif à la façon dont les territoires voient et vivent l'Europe. C'est pourquoi nous avons lancé cette consultation.

Elle a rencontré un certain succès, puisque près de 1 800 élus y ont répondu. Le cabinet Kantar nous a assistés dans l'exploitation de ces réponses, et je remercie MM. Guillaume Caline et Pierre Latrille d'être présents aujourd'hui pour nous présenter la synthèse de ce travail.

Nous avons tenu à inviter les associations d'élus à cette présentation, et je salue les représentants de l'Association des départements de France (ADF) et de l'Association des maires de France (AMF), qui ont répondu favorablement à cette invitation.

Je suis particulièrement heureux d'accueillir un élu breton, M. Thibaut Guignard, président de la commission affaires européennes de l'AMF et maire de Ploeuc l'Ermitage, commune rurale près de Saint-Brieuc, qui se retrouvera peut-être dans les résultats de notre consultation à laquelle beaucoup de maires ruraux ont contribué.

La parole est à MM. Caline et Latrille.

M. Guillaume Caline, responsable du pôle Enjeux publics et opinion de l'Institut Kantar. - Cette consultation a effectivement été un succès puisqu'environ 1 800 élus locaux se sont exprimés sur la manière dont ils perçoivent l'Union européenne, son rôle, son impact et son influence sur leur travail au quotidien, ainsi que sur les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer par rapport à l'Union européenne et leurs attentes par rapport à l'Europe.

Certaines questions de cette consultation ont pu être rapprochées des enquêtes Eurobaromètre afin de permettre de comparer les résultats : les élus locaux qui ont participé à la consultation ont une perception de l'Union européenne très proche de celle des Français.

Alors qu'il existe un certain soutien à l'idée de l'Union européenne, à ses principes et à son projet, les élus locaux ont en même temps une vision de celle-ci assez négative, d'où ressort l'idée de bureaucratie et de concurrence entre les États, ainsi que d'éloignement par rapport au quotidien, conviction partagée par les Français.

Pour autant, les élus locaux attendent de l'Europe davantage d'accompagnement dans leur travail quotidien.

Cette consultation a été lancée par le Sénat et 1 785 élus locaux, y ont répondu en ligne sur la plateforme du Sénat, du 8 septembre au 6 octobre dernier.

74 % des élus qui ont participé à la consultation sont des hommes. 99 % ont un mandat municipal. Quelques conseillers départementaux ou régionaux ont également participé à cette enquête.

Assez peu d'élus ont moins de 35 ans. Un quart des répondants a entre 35 et 49 ans, un peu moins de la moitié entre 50 et 64 ans. Un autre quart est âgé de 65 ans et plus. De manière assez logique, les personnes qui ont participé à cette étude sont en grande majorité des élus de zones rurales, surtout des communes de moins de 2 000 habitants pour 67 % d'entre eux et, pour 25 %, de communes de 2 000 à 10 000 habitants. Ceci reflète la configuration de nos territoires.

Les élus interrogés se montrent assez partagés dans leur vision de l'Union européenne. Il leur était demandé s'ils avaient de l'Union européenne une image assez positive, très positive, assez négative, très négative ou ni positive ni négative.

Un peu moins de la moitié des élus dit avoir une perception positive de l'Union européenne. Un tiers n'en a ni une vision positive ni une vision négative et un quart en a une perception négative. On remarque qu'un faible nombre en a une vision soit très négative, soit très positive. Il s'agit donc d'une perception assez éclatée même si, comme chez les Français, l'a priori est plutôt positif.

Un certain nombre d'élus a une vision un peu plus positive que la moyenne. Il s'agit plutôt d'élus de grandes communes, de territoires urbains et d'élus plus jeunes.

Les résultats sont extrêmement similaires à l'opinion des Français que l'on retrouve dans l'enquête Eurobaromètre réalisée pour la Commission européenne au printemps de cette année.

On a également soumis aux élus un certain nombre de mots en leur demandant lesquels caractérisaient le mieux à leur sens l'Union européenne, en mêlant des mots plutôt négatifs ou plutôt positifs.

71 % des répondants ont cité la bureaucratie, mot qui revient de manière assez transversale.

Malgré tout, les répondants sont nombreux à citer des mots négatifs tout autant que positifs, ce qui montre là aussi l'ambivalence des élus à l'égard de l'Union européenne. Les questions du déficit de légitimité, de l'opacité, du déficit démocratique de l'Union européenne ressortent également pour près de quatre élus sur dix, ainsi que les questions de concurrence entre États membres, que l'on retrouve aussi dans les propos des Français, faisant écho à la question des travailleurs détachés.

Du côté des termes positifs, on trouve en premier lieu la paix, l'union dans la diversité, l'attachement aux valeurs et aux principes qui fondent l'Union européenne : l'ouverture, les échanges, la mobilité sont ainsi des valeurs positives associées à l'Union européenne, comme le compromis.

La démocratie, la liberté, l'État de droit arrivent un peu en dessous, puisqu'ils sont cités par 25 % des élus, soit moins que le déficit de légitimité et l'opacité.

De manière assez marquante, les concepts relatifs à la puissance de l'Europe, à travers les questions de sécurité ou de prospérité et de relance arrivent en bas de ce classement.

De façon assez cohérente, les élus des territoires urbains sont un peu plus nombreux à citer des termes positifs quand ils évoquent l'Union européenne.

M. Pierre Latrille, chargé d'études de l'Institut Kantar. - S'agissant des interactions des élus locaux avec l'Union européenne, le premier élément qui ressort est le sentiment de la grande majorité des élus que l'Union européenne n'est pas présente dans leur action au quotidien. Seul un élu sur cinq estime que l'Union européenne est présente, et seulement 3 % estiment qu'elle est très présente.

On a cependant demandé à ceux qui ont le sentiment que l'Union européenne est présente dans quels domaines ils étaient en interaction avec l'Union européenne. Trois domaines se dégagent très clairement : développement économique, environnement et climat, pêche et agriculture. S'agissant d'élus au profil très rural, il n'est pas étonnant que l'agriculture soit beaucoup citée.

Ce sentiment que l'Union européenne n'est pas forcément très présente se retrouve quand on demande aux élus locaux de citer des exemples d'actions ou de réalisations que leur collectivité n'aurait pu réaliser sans l'Union européenne. 81 % ne peuvent ou ne souhaitent pas citer d'actions pour lesquelles l'Union européenne aurait été indispensable.

Le fait que l'Union européenne soit peu présente ne veut pas dire pour autant qu'elle soit considérée comme nuisible. Une très grande majorité des répondants estime ne pas avoir de difficultés imputables à l'Union européenne. Elle n'est donc pas présente pour 81 % des élus, mais la même proportion estime qu'elle n'est pas pour autant une gêne, un problème ou une source de soucis.

Néanmoins, ceux qui rencontrent des difficultés imputables à l'Union européenne citent plusieurs éléments. Ce qui ressort clairement, ce sont les difficultés liées au fonctionnement de l'Union européenne et aux contraintes réglementaires - normes, directives.

Les modalités d'obtention des aides sont souvent considérées comme très complexes. Il semble très difficile d'avoir une information sur les aides dont on peut disposer et la manière dont on peut les obtenir.

La complexité des dossiers de subventions revient à plusieurs reprises dans les verbatims, la bureaucratie allant de pair avec la lourdeur administrative de l'Union européenne.

La question des normes, qui ne prennent pas forcément en compte les spécificités du monde rural, s'impose encore une fois. Un élu évoque le programme « Liaisons entre actions de développement de l'économie rurale » (Leader) et la difficulté à monter un dossier pour finalement obtenir une subvention qu'il semble considérer comme peu importante. Il cite même l'exemple d'une association qui a renoncé du fait de la difficulté à constituer le dossier.

D'autres exemples de difficultés imputables à l'Union européenne sont cités, dans différents domaines où l'Union européenne peut intervenir - économie, énergie, gestion du territoire. Des critiques sur la politique agricole commune (PAC) et sur la gestion agricole de l'Union européenne reviennent à plusieurs reprises, ce qui n'est pas surprenant, beaucoup d'élus ruraux ayant participé à la consultation. Un élu accuse également l'Union européenne d'avoir participé à la désindustrialisation de son département.

Un sentiment d'être éloigné de l'Union européenne et d'être mal informé sur les aides dont le territoire de l'élu pourrait bénéficier de la part de l'Union européenne transparaît. Les élus ne se sentent pas bien informés. Seul 1 % se dit très bien informé. 16 % s'estiment bien informés au sujet des aides de l'Union européenne.

Néanmoins, le fait que l'Union européenne soit considérée comme peu présente par les répondants ne veut pas dire qu'ils considèrent que la question européenne ne les concerne pas. Ils se sentent en effet impliqués dans la question européenne, 69 % considérant que les collectivités territoriales ont un rôle à jouer pour développer le sentiment d'appartenance des citoyens français à l'Union européenne.

Pour eux, des actions sont à mettre en place à cet effet, en premier lieu en matière de communication et d'information afin de donner une image positive de l'Union européenne. L'idée qu'il faudrait communiquer sur ce qu'il y a de positif dans l'Union européenne, sans insister sur les aspects négatifs, revient régulièrement.

65 % des élus souhaitent que l'Union européenne soit plus présente dans leur action quotidienne, souhait partagé par les élus qui ont le sentiment que l'Union européenne est déjà présente et par ceux qui ont le sentiment que l'Union européenne n'est pas présente.

Deux domaines se dégagent très clairement, d'une part l'environnement et le climat et, d'autre part, le développement économique, l'énergie arrivant en troisième position.

M. Pierre Latrille. - Cette présence peut prendre plusieurs formes. Ce peut être une présence réglementaire, par exemple en instaurant une taxe carbone ou des droits de douane selon le niveau de pollution. Ce peut être une politique volontariste, des actions communes pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce peut être des aides, des subventions pour développer des programmes favorables à l'environnement ou permettre notamment d'atteindre les objectifs visés par l'accord de Paris.

On retrouve ces différents types d'action quand on parle de développement économique ou d'énergie. Quel que soit le sujet, l'idée d'action réglementaire ou volontariste de l'Union européenne revient, qu'il s'agisse d'aides pour les entreprises ou pour les citoyens.

Un élément se retrouve à plusieurs reprises, celui de l'harmonisation fiscale, sociale et environnementale de l'Union européenne pour éviter ce que beaucoup d'élus considèrent comme une concurrence déloyale.

Les élus locaux ont plus de mal à définir précisément des secteurs dans lesquels ils souhaiteraient voir l'Union européenne intervenir. 73 % ne répondent pas à cette question.

Enfin, s'agissant de l'avenir de l'Union européenne, les élus locaux ont une vision très partagée. 51 % sont optimistes, 48 % sont pessimistes. Très peu disent être très optimistes ou très pessimistes. Ils n'adoptent pas une position tranchée sur cette question.

C'est une opinion assez proche de l'opinion des Français tirée de l'enquête Eurobaromètre du printemps dernier. Certes, les Français sont un peu moins pessimistes parce qu'ils sont un peu plus nombreux à ne pas se prononcer, mais un nombre très faible de Français se dit très optimiste ou très pessimiste. On retrouve là encore ce refus d'adopter une position tranchée sur l'avenir de l'Union européenne.

M. Guillaume Caline. - Cette difficulté à se projeter dans l'avenir de l'Union européenne est le reflet de beaucoup de craintes actuelles et du sentiment d'éloignement de l'Union européenne par rapport au quotidien.

M. Pierre Latrille. - La conférence sur l'avenir de l'Europe, lancée en mai 2021, bénéficie aujourd'hui d'une notoriété plutôt mitigée. 33 % des élus en ont entendu parler, mais seuls 6 % voient bien de quoi il s'agit. La notoriété est meilleure chez ceux qui constatent que l'Union européenne est présente dans leur action au quotidien, ce qui n'est pas très surprenant.

En conséquence, seulement 1 % des élus ont déjà organisé un débat citoyen dans le cadre de cette conférence. 12 % envisagent d'en organiser un, soit un nombre plutôt faible, ce qui n'est pas étonnant, compte tenu du fait que seulement un tiers a entendu parler de cette conférence.

Enfin, nous avons interrogé les élus de manière spontanée sur leurs principales attentes concernant l'avenir de l'Union européenne. Plusieurs domaines sont cités, mais l'essentiel porte sur l'organisation et le fonctionnement de l'Union européenne : souhait d'un changement politique avec une plus grande unité européenne, recoupant les souhaits de cohésion et d'harmonisation, souhait d'une Europe qui ne soit pas uniquement portée sur les questions d'argent, mais plus sur le social, la cohésion, l'entraide entre les États membres et la proximité.

Mme Laurence Harribey. - Cette question a-t-elle été posée dans le cadre du panel général ?

M. Pierre Latrille. - Non.

En matière de fonctionnement, on retrouve un vrai souhait de proximité de l'Union européenne, et plus précisément des députés européens. Les élus déplorent ne jamais rencontrer leur député européen. Ils regrettent parfois cet éloignement de l'Union européenne.

Beaucoup souhaitent des actions concernant par exemple le contrôle des frontières ou une défense commune.

M. Guillaume Caline. - Dans les verbatims, les attentes des élus ne se distinguent pas vraiment des attentes des autres citoyens. C'est aussi en tant que citoyens qu'ils expriment l'attente d'une Union européenne plus présente et plus concrète.

Pour conclure, on a chez les élus locaux, à l'image de ce qu'on observe chez les Français, une perception assez partagée de l'Union européenne, source d'espoirs et de valeurs assez positives. Certains élus nous disent aimer l'idée d'Union européenne, ce que l'on retrouve chez les Français, mais avec souvent une déception par rapport à ce qui se fait aujourd'hui. On en perçoit souvent les lourdeurs et on regrette son manque de proximité au quotidien.

Cependant, deux tiers de nos répondants souhaitent que l'Union européenne soit davantage présente dans le quotidien et que cette présence se matérialise autour de questions liées à l'environnement, au climat, au développement économique et à l'accompagnement.

En revanche, les élus ont du mal à se projeter dans l'avenir de l'Union européenne. Leurs attentes concernent son organisation, son fonctionnement, une plus grande cohésion et davantage de proximité et d'attention aux territoires.

M. Jean-François Rapin, président. - Une enquête intéressante est aussi présentée ce matin à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Elle porte sur la vertu et les menaces autour de la démocratie municipale.

On y apprend que 19,6 % des maires sont aujourd'hui des femmes, alors que cette part est de 26 % parmi les répondants à notre consultation et que 18 % des maires ont moins de 49 ans, contre 32 % de nos répondants. Nous pouvons en conclure que, parmi les maires, ce sont les femmes et les jeunes qui ont souhaité s'exprimer sur l'Europe grâce à la consultation que nous avons lancée au nom du Sénat.

La parole est à M. Thibaut Guignard.

M. Thibaut Guignard, président de la commission des affaires européennes de l'Association des Maires de France. - Je suis très heureux de représenter ici l'AMF et le président Baroin.

Je suis également président de la Fédération française des programmes Leader, qui représente 339 territoires ruraux de France métropolitaine et d'outre-mer. Les sujets que nous avons vus ce matin sont des sujets particulièrement prégnants pour les collectivités et les élus. J'y ai retrouvé ce que j'entends au quotidien sur le terrain de la part des élus locaux.

Je remercie le Sénat et votre commission d'avoir lancé cette consultation parallèlement à la Conférence sur l'avenir de l'Europe. François Baroin a assisté au lancement de cette dernière par le Comité européen des régions, à Strasbourg, le 9 mai dernier. Il a eu l'occasion d'y rappeler un certain nombre de points chers à l'AMF, comme une meilleure définition du principe de subsidiarité de l'Union européenne jusqu'aux collectivités territoriales. On l'a vu durant la crise sanitaire : les collectivités locales sont l'échelon de proximité, de réactivité et d'efficacité. Ce principe de subsidiarité mérite d'être rappelé et renforcé.

Il existe également une demande récurrente de l'AMF pour territorialiser davantage les politiques d'investissement de l'Union européenne. Ceci est possible dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), à travers le programme Leader, mas également dans le cadre du Fonds européen pour le développement régional (Feder) dans la prochaine période de programmation, grâce à l'objectif stratégique 5, pour « une Europe plus proche des citoyens », qui permettra de territorialiser une partie de l'enveloppe consacrée au Feder.

L'AMF travaille sur deux domaines thématiques en lien avec les questions européennes, le déploiement du numérique et la santé, qui sont pour les élus locaux deux sujets de préoccupation qui doivent trouver toute leur place dans les politiques européennes.

La présentation de ce matin était particulièrement intéressante. Il me semble cependant qu'il y manquait un volet à propos de la connaissance qu'ont les élus locaux du mécanisme français de gestion des fonds européens. Quand on parle de bureaucratie européenne, on parle en effet surtout de bureaucratie franco-française.

J'aurais aimé savoir si les élus locaux connaissent le mode de gestion du Feder, dont l'autorité de gestion est le conseil régional. Les conseillers régionaux sont sur le terrain. Il existe une cellule Europe au conseil régional. Les élus locaux savent-ils qu'une partie du Fonds social européen (FSE) est gérée par le conseil départemental ? Connaissent-ils le programme Leader, appuyé sur le Feader et géré sur le terrain au plus près des acteurs locaux ?

En tant qu'européen convaincu et très investi, je m'insurge quand j'entends parler de bureaucratie européenne, car la bureaucratie est d'abord française. J'ai l'occasion, dans le cadre de mes responsabilités, de me rendre régulièrement dans d'autres États membres, pour parler de ces fonds européens. Ces fonds y sont gérés de manière beaucoup plus simple et fluide.

S'agissant du programme Leader, que je connais particulièrement, ce n'est pas l'Union européenne qui a décidé que la régionalisation des fonds serait réalisée au moment de la réforme territoriale des régions, des élections régionales et des changements d'exécutif, l'Agence de services et de paiement (ASP) étant incapable d'échanger et de coconstruire avec les régions. Je ne parle pas ici des responsabilités des uns et des autres, mais de la coresponsabilité dans la construction d'un système d'instruction satisfaisant pour les fonds Leader.

L'Union européenne n'y est pour rien, et sans doute la Commission européenne et certains États membres amis regardent-ils la France avec interrogation quand ils voient dans quelles difficultés on se retrouve par rapport à quelques programmes européens.

Aujourd'hui, s'agissant du programme Leader 2014-2020, nous sommes à moins de 50 % de dossiers instruits et à moins de 30 % de crédits versés. Cependant, 100 % des enveloppes sont fléchées. Les groupes d'action locale Leader ont donc fait leur travail.

Il existe des difficultés dans notre système d'instruction des fonds européens franco-français. Sans doute beaucoup de fluidité et de simplification relèvent-elles du niveau national, même si je n'écarte pas le fait que l'Union européenne porte une part de responsabilités en matière de complexité des fonds, sans parler de ses exigences.

L'AMF souhaite connecter l'Europe et les territoires. Nous sommes persuadés que l'Union européenne ne peut se construire sans les territoires et que les territoires ne peuvent déployer leur stratégie de développement sans l'Union européenne, en particulier les territoires ruraux. On l'a vu dans l'enquête : il existe une meilleure perception de l'Union européenne et de ses outils de la part des métropoles et des villes, qui comportent toutes un service Europe avec des dizaines d'agents et des élus investis.

Ce n'est pas le cas des communautés de communes rurales ni des petites communes rurales. Pour autant, je suis persuadé que toutes les communes, quelle que soit leur taille, peuvent avoir accès aux fonds européens et aux programmes de coopération transnationale, comme Erasmus +. Nous avons un effort de communication et de pédagogie très important à réaliser.

On l'a vu, huit élus locaux sur dix se considèrent comme mal informés. J'étais la semaine dernière dans l'Indre, à l'invitation de la sénatrice Nadine Bellurot pour intervenir devant les maires de ce département. Je leur ai présenté les différents fonds européens qui existent, des exemples de projets, les programmes de coopération transnationale, des exemples de coopérations menées par des communes de 600, 1 000, 1 200 habitants, avec des partenaires polonais, roumains, bulgares, espagnols.

Les maires sont toujours très intéressés de découvrir ces possibilités et de voir ce qu'il est possible de faire avec les outils de l'Union européenne.

Je suis, en tant que maire rural, persuadé qu'on ne peut laisser l'ouverture sur l'Union européenne uniquement aux grandes villes et aux métropoles. Il faut ouvrir cette possibilité à l'ensemble des communes et des communes rurales. Il y a manifestement beaucoup de travail de pédagogie à réaliser.

C'est ce qu'essaye de faire l'AMF avec la commission Europe. Notre congrès a lieu dans deux semaines. Il comportera un forum Europe, des points d'information et des coachings sur certains thèmes, dont les programmes leader. Les principales questions tournent toujours autour de la gestion, certaines communes n'ayant parfois pas la trésorerie suffisante pour réaliser d'autres projets tant qu'elles n'ont pas touché la subvention européenne.

Je tiens à rappeler que si l'Union européenne fixe une obligation de bonne utilisation et de transparence des fonds, ce sont bien les États membres qui sont désormais autorités de gestion, les conseils régionaux devenant pour la prochaine période de programmation autorités de gestion déléguée (AGD), sous l'autorité des États membres. Ce sont bien les États qui décident des procédures nationales et des circuits de gestion des fonds européens.

Or on voit qu'il existe de grosses différences entre États. Pour ce qui est du programme Leader, sachez qu'en termes de déploiement et de versement des fonds, la France est avant-dernière sur l'ensemble des États membres de l'Union européenne, alors même qu'elle a créé ce programme dans les années 1990 et a toujours été à la pointe, lors des négociations budgétaires, pour défendre cette part du développement rural dans le Feader et dans la PAC.

Je ne reviendrai pas sur les grands enjeux que les élus locaux ont pu pointer en tant que citoyens français et européens, mais j'insisterai davantage sur la connexion entre l'Union européenne et les territoires. L'étude montre à quel point nous avons tous un travail de pédagogie à mener pour que les élus locaux sachent comment l'Union européenne est présente dans leur quotidien. Peu d'entre eux peuvent citer concrètement ce que l'Union européenne fait dans leur quotidien.

Merci beaucoup pour cette initiative et pour la qualité de cette étude, qui vient conforter la perception que nous avons de la situation. Je suis à votre disposition pour prendre des initiatives communes en direction des élus locaux afin de les informer, via les sénateurs qui sont leurs représentants dans cette belle maison.

M. Jean-François Rapin, président. - L'objet de ce travail est en effet de contribuer à l'effort qui est mené par la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Il nous faut « booster » cet événement auprès des maires. S'ils n'en ont pas conscience, c'est encore pire pour nos concitoyens. Ce travail va donc se poursuivre en région.

Je présenterai aux élus des départements qui ont le plus participé, les résultats du travail qui a été fait afin d'avoir un retour qualitatif du terrain. Plusieurs déplacements sont d'ores et déjà prévus.

Au regard des résultats, du nombre de réponses émanant quasi exclusivement du milieu rural, peut-on considérer que cette enquête est représentative ?

M. Guillaume Caline. - On est ici sur une consultation et non sur un sondage, qui est une photographie représentative. Les personnes qui répondent le font volontairement, donc il existe toujours des biais de représentativité. On ne cherche pas ici la représentativité, mais à laisser s'exprimer les personnes sur ce qu'elles attendent.

Un certain nombre d'éléments sur les tranches d'âge attestent toutefois d'une bonne représentativité, même si les personnes qui ont répondu sont plutôt jeunes. En un sens, tant mieux pour l'avenir de l'Europe.

Certains résultats montrent que, pour beaucoup de répondants, l'Union européenne n'est pas présente dans leur quotidien. Ceci prouve sans doute que les personnes qui ont participé ne sont pas forcément les plus concernées par l'Union européenne dans la vie quotidienne, mais que le sujet les intéresse. Cela permet de dire que cette enquête n'est pas strictement représentative, mais constitue un bon reflet des attentes de la plupart des élus locaux.

M. André Reichardt. -Son taux de réponses est-il convenable pour une consultation en ligne ?

M. Guillaume Caline. - Le nombre de réponses à une telle enquête se situe entre 300 et 3 000. On compte ici 1785 répondants, ce qui est satisfaisant.

Mme Gisèle Jourda. - Quelle est la répartition géographique de cette consultation ?

M. Dominique de Legge. - Il y a une sorte de paradoxe à dire qu'on souhaite une plus grande présence de l'Europe sur le terrain et à déplorer une trop grande bureaucratie. J'en conclus que ce qu'attendent les élus locaux, c'est d'abord des financements, pour parler vulgairement.

Par ailleurs, on voit bien, à la faveur des réponses, que le coût de constitution d'un dossier par rapport à la subvention attendue fait que, comme pour les appels à projets des régions, les petites communes rurales sont de fait exclues.

M. Thibaut Guignard. - Selon Leader France, plus de 2 000 projets ont été abandonnés en France à cause des lourdeurs administratives ou des délais d'instruction depuis 2014, début de la précédente période de programmation budgétaire.

M. André Gattolin. - Des bilans et des travaux ont été réalisés, comme l'étude de l'université de Strasbourg sur la politique régionale de l'Union européenne, qui démontrent son recentrement sur les grands pôles urbains connectés. On arrive à réduire les disparités interrégionales au sein de l'Union, mais on crée des disparités au sein des régions entre les pôles qui disposent des administrations et des infrastructures pour conduire ces projets et les autres zones de ces régions.

On est passé d'une politique régionale de plus en plus « redistributive » à une logique de compétitivité. Les centres urbains en bénéficient le plus, et c'est là le véritable problème.

Le Bundesrat, en Allemagne, qui détient moins de compétences que nous en termes législatifs, joue un rôle relais majeur en tant que représentants des Länder et des districts en faisant remonter le point de vue des territoires.

On se vante d'être la chambre des territoires, mais on ne sait pas trop le faire, parce qu'on a une administration française et territoriale qui n'est pas formée à ces questions européennes. Les Polonais, paradoxalement, le sont mieux que nous.

Mme Laurence Harribey. - Je suis étonnée des résultats de cette consultation. Les élus ne voient pas l'Union européenne au quotidien, alors qu'il n'y a pas aujourd'hui un seul projet sur le territoire qui ne soit financé par l'Union européenne, que ce soit dans le numérique ou l'accès à la santé.

Dans la Gironde, les gens identifient le programme Leader sans savoir que l'Europe est derrière, parce que les choses sont de plus en plus gérées par les pôles d'équilibre territorial et rural (PETR). Il y a davantage qu'un problème de communication, alors que ce programme est exceptionnel pour le développement local et le développement rural.

Cependant, la question de l'ingénierie semble être négligée dans cette enquête. Or les dossiers ne fonctionnent que lorsque les élus locaux se sont dotés d'une ingénierie, en particulier avec les PETR. Les actions européennes sont un élément moteur et démultiplicateur du développement territorial.

Je suis également très étonnée que très peu d'élus régionaux aient répondu, alors que les régions gèrent aujourd'hui les fonds européens. Cela s'est fait dans une période de renouvellement, ce qui peut l'expliquer, mais il conviendrait d'affiner ce point.

M. Jean-François Rapin, président. - Des consultations régionales sur l'avenir de l'Europe ont été lancées parallèlement partout en France par le Gouvernement.

Mme Laurence Harribey. - Ce que vous avez dit confirme en tout cas ce que nous avions ressenti, avec Colette Mélot et tous ceux qui ont travaillé sur la mission d'information sur la gestion des fonds structurels.

M. Guillaume Caline. - L'enquête a été réalisée auprès de l'ensemble des élus, à l'exception de la Corse, où il n'y a eu aucun répondant. Le plus grand nombre de répondants se trouve en Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Grand Est, ce qui est assez logique puisque ces régions comportent le plus grand nombre de communes et d'élus.

M. Jean-François Rapin, président. - Ainsi que je le disais, nous allons organiser quatre réunions. Elles auront lieu à Strasbourg le 27 novembre, vraisemblablement au conseil régional, à Rennes le 4 décembre, à Bordeaux, a priori le 11 décembre, en Haute-Savoie, département qui a répondu, et à Saint-Germain-en-Laye, début 2022, avec l'espoir d'une intervention du Président Larcher.

Ces contributions départementales pourraient alimenter l'enquête qui a été diligentée. Un rapport pourra être rédigé in fine, pour alimenter la contribution du Sénat dans le cadre de la conférence sur l'avenir de l'Europe.

Questions diverses

Je voudrais simplement rappeler que le Président du Sénat, au vu de l'amélioration de la situation sanitaire, nous demande de mettre fin aux visioconférences et de renouer désormais avec les réunions en présentiel au Sénat, aussi bien dans l'hémicycle qu'en commission. Le recours à la visioconférence restera néanmoins possible en commission pour entendre des personnalités pouvant difficilement se rendre à Paris ou en substitution de certains déplacements, ce qui est précieux pour une commission comme la nôtre. Cette souplesse reste aussi admise pour les auditions de rapporteurs, afin de faciliter leur organisation.

Je vous remercie.

La réunion est close à 10 h 25.