Mardi 13 décembre 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Examen des amendements aux articles délégués au fond

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons les amendements de séance sur les articles du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture qui nous ont été délégués au fond.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 30

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - En l'état, la rédaction de l'article 30 empêcherait l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 6 de la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, que nous avons adoptées il y a moins d'un an. Mon amendement n°  50 apporte les coordinations nécessaires pour remédier à cette situation.

L'amendement n° 50 est adopté.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Nous avions prévu que les jeunes agriculteurs devraient disposer d'une capacité professionnelle minimale pour pouvoir bénéficier des aides à l'installation. L'amendement n°  76 du Gouvernement vise à supprimer le dispositif que nous avions adopté. Je ne peux qu'émettre un avis défavorable.

Les amendements identiques nos  58 et 69 visent à supprimer toute condition minimale de formation et à ce que l'activité professionnelle soit reconnue, elle aussi, comme une voie d'accès aux aides. Ces amendements sont satisfaits par notre rédaction. En effet, le dispositif que nous avons adopté consiste non pas en une condition minimale de formation, mais en une condition de « capacité professionnelle présentant un lien au moins indirect avec le projet d'installation ». Par conséquent, il ne sera pas nécessaire de disposer d'une formation initiale ou d'un diplôme. L'activité professionnelle constitue bien sûr une modalité d'acquisition des connaissances, parmi d'autres. Je demande donc le retrait de ces amendements et, à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 76.

La commission demande le retrait des amendements nos 58 et 69 et, à défaut, y sera défavorable.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - À partir de 2023, les régions deviendront autorités de gestion des aides de la politique agricole commune (PAC). L'amendement n°  64 apporte des simplifications bienvenues pour permettre aux préfets de région de déléguer leur signature aux présidents des conseils régionaux pour les actes relevant de la programmation 2014-2022 de la PAC. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 64.

La commission proposera à la commission des affaires sociales de déclarer l'amendement n°  75 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - L'amendement n°  65 vise à préciser le champ des compétences réglementaires du président de FranceAgriMer. Avis favorable, sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement n°  83 rédactionnel.

Le sous-amendement n° 83 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 65, sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 83.

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 14 décembre 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Relance du nucléaire - Audition de MM. Luc Rémont, président-directeur général d'EDF, Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de Réseau de transport d'électricité et Guillaume Dureau, président d'Orano Projets SAS, directeur Innovation - R&D - nucléaire médical

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui cinq intervenants majeurs de la filière française du nucléaire et de sa régulation : M. Luc Rémont, président-directeur général du groupe EDF ; M. Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; M. François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; M. Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de Réseau de transport d'électricité (RTE) ; et M. Guillaume Dureau, président d'Orano Projets SAS, directeur Innovation - R&D - nucléaire médical.

Notre commission, et le Sénat dans sa quasi-totalité, se réjouissent de la relance de la filière du nucléaire, annoncée - enfin ! - par le Président de la République, dans son discours de Belfort, le 16 février dernier, et présentée par le Gouvernement, dans le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui sera examiné par le Sénat début janvier 2023.

Notre commission s'est d'ailleurs prononcée, dans un rapport d'information de juillet dernier, intitulé Nucléaire et hydrogène : l'urgence d'agir, pour le maintien d'un mix majoritairement nucléaire à l'horizon de 2050, ce qui supposerait de construire au moins quatorze European Pressurized Reactors (EPR2), contre six annoncés actuellement. Pour réussir cette relance du nucléaire, il faut s'en donner les moyens politiques, financiers, mais aussi humains.

Naturellement, il ne faut surtout pas omettre les enjeux liés au cycle du combustible, de même que ceux liés à la sûreté et à la sécurité, que nous avons tenu à mêler, dans le choix même des intervenants ici présents. C'est l'approche retenue par notre commission depuis longtemps : une vision moderne, complexe et transparente du nucléaire. Débattons de tout, rationnellement et - j'ajouterais - scientifiquement.

Je vous propose de poser à chacun d'entre vous une question liminaire, puis notre collègue Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie » et rapporteur pour notre commission sur le projet de loi précité, vous interrogera à son tour.Je salue la présence à cette table ronde de M. Philippe Martin, rapporteur pour avis sur ce texte au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (CATDD). Ce sont autant de voix expertes et diverses du Sénat qui vous questionneront sur le devenir, crucial, du nucléaire.

Tout d'abord, je souhaiterais que le PDG d'EDF nous indique si le projet de loi lui paraît suffisant pour relancer la filière du nucléaire en France. Les souplesses administratives proposées sont-elles de nature à accélérer vraiment les délais de construction ? Ne manque-t-on pas encore de l'essentiel : la stratégie et le financement ? Où en est la sélection des sites : si Penly et Gravelines sont en lice, qu'en est-il du Bugey et du Tricastin ?

Plus encore, je voudrais que le président de l'ASN nous précise si le projet de loi lui semble bien intégrer les enjeux de sûreté et de sécurité. Les missions de l'ASN sont modifiées pour les prolongations ou les arrêts des réacteurs : est-ce pertinent ? Les modalités d'association du public sont elles aussi ajustées : ces évolutions garantissent-elles, tout de même, une participation et une information suffisantes ? Enfin, les moyens de coercition et de sanction dont disposent désormais l'ASN, récemment dotée d'une commission des sanctions, sont-ils adaptés à la relance de la filière du nucléaire ?

En outre, je proposerais que l'administrateur général du CEA nous précise la nature du rôle d'appui du CEA à la relance du nucléaire, indiquée par le Président de la République, dans son discours de Belfort du 16 février dernier. Comment intervenez-vous, à la fois dans le processus de conception et dans le contrôle des projets ?

Par ailleurs, j'aimerais que le président d'Orano Projets nous dise s'il considère le cycle du combustible comme le parent pauvre du projet de loi. En effet, ce texte se focalise surtout sur la construction des réacteurs. Une relance du nucléaire ne doit-elle pas également prendre en compte l'aval du cycle - la question des combustibles -, mais aussi l'amont - celle des déchets ? Si oui, comment ? Pourriez-vous nous dire un mot de la disponibilité, en France, des compétences nécessaires à ce cycle ? C'est l'un des enjeux relevés par notre commission, dans son rapport d'information sur la souveraineté économique, publié en juin dernier.

Enfin, je voudrais que le directeur exécutif de RTE nous indique si le projet loi lui paraît susceptible de garantir un mix électrique solide. Dans son étude intitulée Futurs énergétiques à l'horizon de 2050, RTE a relevé que la durée de construction des réacteurs est passée de six à huit ans dans les années 1980 à une période de douze à seize ans actuellement. Qu'est-ce qui explique cet allongement ? Est-il propre à la France ? Le projet de loi permettra-t-il de retrouver cette agilité des années 1980 ?

RTE a souligné qu'il était nécessaire de prendre des décisions dès 2022-2023 pour obtenir des réacteurs en service d'ici à 2035-2037. C'est crucial pour éviter l'« effet falaise » anticipé à l'horizon de 2040, c'est-à-dire l'arrêt concomitant des réacteurs actuels, arrivés en fin de vie. En renvoyant toute décision à la prochaine loi quinquennale sur l'énergie, qui ne sera pas examinée avant la fin de l'année 2023, le projet de loi ne manque-t-il pas sa cible ?

M. Luc Rémont, président-directeur général d'EDF. - L'accélération des procédures relatives au nucléaire est un sujet essentiel, sachant qu'en parallèle vous travaillez également à l'accélération des procédures relatives au renouvelable. Dans les deux cas, il s'agit de réduire le temps de développement des nouveaux moyens de production de l'électricité décarbonée. Vues d'EDF, ces deux ambitions sont nécessaires, voire indispensables.

Tout cela s'inscrit dans une politique énergétique définie par le Gouvernement et le Parlement. Le Président de la République a fixé un cap à l'occasion du discours de Belfort de 2février 022. Le Parlement définira à l'été 2023 le cadre plus général de la politique énergétique pour les dix ans à venir dans la loi de programmation énergie et climat, avec des objectifs précis pour la France.

Le groupe EDF, en tant qu'énergéticien, est présent dans la production et la fourniture de plusieurs technologies, dans plusieurs pays du monde. Il dispose d'une expérience et d'une vision industrielle pour faire face aux enjeux de décarbonation et de souveraineté. De ce point de vue, le nucléaire constitue une solution efficace et compétitive. Le défi consiste à remplacer la plus grande part possible de nos consommations de pétrole et de gaz par celle d'électricité décarbonée, ce qui passe par davantage d'efficacité et de sobriété. Je salue la mobilisation des Français à l'heure qui nous aide à passer la première vague de froid de l'hiver sans problème sur le système électrique. Au-delà, nous devons travailler à un niveau de production qui nous permette de soutenir les besoins en électricité décarbonée. Dans ce cadre, le nucléaire est une technologie indispensable, notamment dans les phases hivernales.

Quel est le facteur de compétitivité du futur parc nucléaire ? Principalement le temps que nous mettons à développer des réacteurs dans les délais de construction raisonnables. Les nouveaux réacteurs sont certes plus complexes, notamment parce que les exigences de sûreté sont très importantes. Nos procédures se sont aussi complexifiées par rapport aux années 1980. Le projet de loi que vous examinez visera à simplifier l'ensemble des procédures. EDF ne peut que s'en féliciter. Ce texte doit nous permettre de réaliser avec succès le programme du nouveau nucléaire, avec au minimum six EPR2. La première paire serait réalisée sur le site de Penly, en Seine-Maritime. Le débat public est en cours. Le deuxième site candidat pour accueillir une autre paire d'EPR2 est celui de Gravelines. Quant au troisième site, des études techniques sont en cours pour comparer les mérites propres de Bugey dans l'Ain et de Tricastin dans la Drôme.

Cette loi sera-t-elle suffisante ? Naturellement, énormément de travail ne relève pas du législatif. Je pense au travail sur la filière, sur les coordinations entre les différentes instances afin de rendre les phases de développement fluides. Pour ce qui relève du législatif, il serait utile dans un futur proche d'examiner la faculté de désigner des sites qui ne sont pas à proximité de sites existants, essentiellement pour avoir la chance de développer d'autres types de réacteurs en France lorsque les Small Modular Reactors (SMR) seront disponibles. Il serait utile notamment d'en installer sur des sites industriels, à proximité de leurs clients. Il serait également utile d'intégrer les besoins de l'amont et de l'aval du cycle, c'est-à-dire de l'ensemble du cycle du combustible.

EDF et l'ensemble de la filière doivent également réaliser un travail important. J'avais lors de mon audition eu l'occasion de mentionner le défi humain que représente la filière nucléaire : c'est bien là que se trouve le principal défi. Nous devons en effet être capables de régénérer et d'attirer des compétences dans la filière nucléaire. À titre d'exemple, une visite décennale ou un chantier lié au Grand carénage nécessite l'embauche de 4 000 salariés. Nous devons pouvoir les trouver dans le bassin d'emploi concerné. La construction d'un EPR2 nécessitera, quant à elle, entre 7 500 et 10 000 salariés. Cela appelle un travail fondamental sur les compétences, sur l'attractivité du métier, sur l'intégration de ces projets dans le territoire. C'est naturellement dans cet esprit que nous allons travailler avec l'ensemble des membres de la filière.

En ce qui concerne les souplesses administratives, il faudra sans doute en trouver beaucoup d'autres, mais cela ne relève pas forcément du niveau législatif. En tout état de cause, nous travaillerons avec les administrations de l'État pour simplifier au maximum nos processus et raccourcir les délais de construction.

M. Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire. - Vous m'avez questionné sur le projet de loi, puis vous m'avez posé des questions plus ciblées sur les moyens dont dispose l'ASN, notamment en matière de coercition ou de sanctions liées au nouveau projet nucléaire.

Le projet de loi concerne l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires de type EPR, notamment sur les sites nucléaires existants. Je rejoins la remarque du PDG d'EDF concernant l'extension éventuelle de ce projet à d'autres types de réacteurs, comme les SMR.

Ce texte vise à faciliter les procédures administratives - relatives à l'environnement et à la gestion du droit du sol - dans une phase préliminaire à la construction nucléaire elle-même. Il s'agit de gagner du temps sur les étapes non nucléaires. Ces premières étapes sont essentiellement composées de travaux permettant de préparer le site avant la pose du « premier béton nucléaire », soit le T0 à partir duquel on commence à décompter la durée du projet.

Le projet de loi ne modifiera absolument pas les exigences ni les procédures existantes en matière de sûreté nucléaire pour les nouveaux projets. Les enjeux de sûreté nucléaire sont essentiellement portés par l'autorisation de création de l'installation dont la demande sera instruite par l'ASN, suivant le processus actuel et avec les mêmes étapes de concertation et d'association du public. La délivrance de l'autorisation de création n'est pas sur le chemin critique des projets d'EPR2.

Si ce projet de loi est bien évidemment important, il n'est pas le seul élément qui permette d'accélérer un projet de construction d'installation nucléaire. Je rejoins également la remarque du président d'EDF : il y a un travail commun d'anticipation à réaliser pour pouvoir accélérer la partie industrielle de la construction nucléaire elle-même. Indépendamment des instructions, l'ASN n'attend pas que la demande d'autorisation de création soit déposée pour avancer sur ce projet avec EDF. Nous avons déjà commencé à travailler avec les équipes d'EDF sur une version préliminaire du rapport de sûreté. C'est une pièce essentielle dans le dépôt de la demande d'autorisation de création. Nous le faisons avec l'appui de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) afin d'identifier les points durs.

De la même manière, nous sommes sollicités par Framatome pour travailler sur la qualification des pièces forgées les plus importantes qui permettront la fabrication des cuves ou des générateurs de vapeur, et ce bien en amont de l'autorisation du projet. C'est un risque industriel pris par Framatome, car les délais industriels sont un élément fondamental dans la conduite du projet.

Ce projet de loi ne comporte pas qu'un titre I dont je viens de parler, qui est celui de l'accélération des procédures administratives relatives au droit du sol, mais comporte également un titre II dont l'ASN est à l'origine et qui concerne le parc existant. Il porte sur un point très particulier des dispositions législatives actuelles relatives aux décisions qui sont prises à l'issue des réexamens de sûreté, notamment à partir du quatrième réexamen de sûreté après trente-cinq années de fonctionnement. Il s'agit d'amener leur niveau de sûreté le plus près possible des réacteurs de dernière génération.

Ces améliorations de sûreté ont deux sources essentielles. Elles sont une première source qui vient de l'exploitant lui-même, qui mène le travail et qui propose un certain nombre de modifications pour améliorer la sûreté. Ces modifications doivent actuellement être soumises à enquête publique. Il existe en parallèle une procédure d'adoption par l'ASN de prescriptions techniques complémentaires qui résulte des débats et des discussions techniques que nous avons avec l'exploitant. Mais le droit en vigueur ne définit pas l'articulation entre ces deux procédures. Nous proposons donc, à travers le projet de loi, de corriger et de simplifier le dispositif actuel en reliant l'enquête publique à l'adoption par l'Autorité de sûreté nucléaire des prescriptions techniques complémentaires. Ce dispositif simplifiera le processus actuel et le rendra plus robuste.

Par ailleurs, une deuxième modification du titre II consistera à remplacer une disposition actuelle conduisant à l'arrêt définitif de plein droit d'une installation nucléaire qui n'a pas fonctionné pendant deux ans par un acte positif, éventuellement de fermeture, au regard des enjeux si ce délai est dépassé. La consultation du public se fera sur la base du projet de décret de fermeture. En ce qui concerne l'ASN, il s'agira donc de dispositions d'allégement n'ayant pas d'impact sur les projets de nouveau nucléaire puisqu'elles concernent les installations en service.

Vous m'avez ensuite questionné sur les moyens de coercition et de sanction dont dispose l'ASN. Effectivement, elle dispose d'une palette de pouvoirs à la fois d'injonctions et de sanctions. Ces pouvoirs importants ont été renforcés par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), avec une possibilité d'amendes administratives dès lors que nous avons l'accord du comité des sanctions. Ces moyens sont utilisés de manière adaptée au contexte nucléaire, qui est tout à fait différent de celui des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Il y a plusieurs dizaines de milliers d'installations classées, mais il n'y a en revanche que très peu d'exploitants nucléaires. Par ailleurs, les exploitants nucléaires disposent en général d'une forte structure d'ingénierie. Nous sommes aussi dans un dialogue technique permanent avec eux, afin de bien calibrer les dispositions réglementaires ou les prescriptions que nous imposons, ce qui est assez différent dans le domaine des installations classées.

Ces moyens de coercition sont donc mis en oeuvre de manière relativement modeste en nombre lorsqu'on les compare aux installations classées. L'ASN ne fait pas plus d'une dizaine de mises en demeure par an et il n'y a pas eu depuis 2014 d'exigence d'exécution de travaux d'office. La commission des sanctions, depuis sa mise en oeuvre, n'a ainsi jamais été sollicitée puisque nous avons toujours réussi à régler les problèmes en amont.

Je ne pense pas que les projets liés à la relance du nucléaire changent quoi que ce soit à cette situation. Depuis le début du chantier de l'EPR de Flamanville, par exemple, nous n'avons procédé qu'à deux mises en demeure : une pour des raisons de sûreté et une en termes d'inspection du travail.

M. François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. - Le CEA est un organisme de recherche intégré. Nous nous intéressons à l'énergie nucléaire, mais pas uniquement. Sans empiéter sur ce que dira mon collègue de RTE, il importe de mettre l'accent sur toutes les formes d'énergies décarbonées. Au-delà du nucléaire, nous travaillons aussi sur l'hydrogène, les batteries, les dispositifs de stockage et les réseaux intelligents, à savoir sur tout ce qui permettra un fonctionnement harmonieux du système énergétique dans des évolutions de paradigme. Nous défendons donc une vision intégrée.

Nous sommes par ailleurs un organisme de recherche : nous avons une vision d'ensemble sur toutes les questions nucléaires, de l'amont à l'aval. Cette compétence de recherche tangente l'ingénierie, mais ne va pas jusqu'à elle : nous ne sommes pas non plus des concepteurs de produits industriels.

Comme j'ai eu l'occasion de le souligner, nous ne sommes pas concernés au premier chef par ce projet de loi, je ne prétendrai donc pas juger de sa pertinence juridique. Pour autant, l'intention générale me paraît fondamentale : nous n'avons pas de temps à perdre et il convient d'actionner tous les leviers permettant de raccourcir les processus.

J'en viens au rôle du CEA dans ce process de reprise du nucléaire.

Premier aspect, nous apportons un soutien à la filière et à son développement. Nous disposons ainsi d'un socle de compétences et d'installation, qui constituent les voies de recours lorsque des difficultés surgissent dans l'exploitation industrielle. Nous l'avons fait encore récemment pour un réacteur de type EPR qui n'est pas installé en France, à la satisfaction des uns et des autres. Il s'agit là de notre coeur de métier et nous devons y être attentifs : quand certaines compétences ne servent pas, on dit qu'elles coûtent, mais quand elles manquent, on est bien ennuyé. C'est un message que je martèle d'audition en audition, mais c'est important. En matière d'ingénierie, nombre de difficultés rencontrées sur les projets nucléaires sont liées à un manque d'anticipation : peut-être faut-il instaurer un lien plus solide entre ingénierie et recherche ? Cela vaut pour le parc en fonctionnement comme pour les EPR2 à venir.

Deuxième aspect, nous préparons et nous ouvrons des voies différentes. Je pense, notamment, à tous les petits réacteurs innovants, mais il peut également s'agir du cycle. De ce point de vue, nos activités s'articulent totalement avec celles d'EDF, qui est le chef de file en ce qui concerne les SMR. Je rejoins les propos de M. Luc Rémont : dans les paradigmes énergétiques de demain, cela n'aura aucun sens d'installer ces petits réacteurs sur des sites déjà occupés par des installations nucléaires. Quant aux Advanced Modular Reactors (AMR), il s'agit de projets beaucoup plus futuristes et avancés : nucléaire de quatrième génération, réacteurs nucléaires à sels fondus, etc. Ce sont des projets qui devraient nous permettre de mieux traiter le cycle, à condition que l'on ne fasse pas de réacteur sans le cycle, ce qui est tout de même notre péché majeur en France !

Enfin, par rapport à l'usage du nucléaire, ne restons pas focalisés sur l'électrification et la seule électricité, car nous aurons des besoins en chaleur. Il y aura de la décarbonation de la chaleur qui ne sera pas facile à faire sur un certain nombre de grands process industriels, comme l'a souligné M. Rémont en évoquant la capacité à combiner. Je pense à l'hydrogène, mais pas uniquement. Le chimiste américain Dow Chemical commence, par exemple, à se poser la question de savoir s'il ne va pas installer un réacteur sur un de ses sites industriels pour obtenir la chaleur.

Quant au projet de loi, je ne peux que souscrire modestement aux remarques de M. Rémont : c'est certainement un ingrédient important, mais il va falloir en réunir beaucoup d'autres pour que nous puissions tenir les délais. Installer aussi bien des EPR ou des SMR au milieu de la décennie 2030 constitue des projets ambitieux, il faut le savoir.

M. Guillaume Dureau, président Orano Projets SAS, directeur Innovation - R&D - nucléaire médical. - Orano est une entreprise française qui propose des produits et services sur tout le cycle du combustible nucléaire. Nos activités démarrent au niveau de la mine - il n'y en a plus en France, mais nous en avons à l'étranger - et passent par tous les processus de transformation chimique pour arriver au processus de transformation physique et d'enrichissement de l'uranium utilisé dans les réacteurs. Nous nous occupons aussi de l'aval du cycle, qui consiste essentiellement à s'assurer du traitement et potentiellement du recyclage. C'est l'une des caractéristiques françaises, sur laquelle je reviendrai, du cycle. Orano compte environ 17 000 collaborateurs, dont 13 500 en France, pour 4,7 milliards de chiffre d'affaires.

Notre conviction profonde, c'est que le succès du nucléaire en France, pour les années à venir, ne pourra être assuré que si les constructeurs de nouveaux réacteurs s'inscrivent dans une stratégie d'ensemble du cycle, qui couvre à la fois l'approvisionnement en uranium enrichi - c'est-à-dire l'amont - et les solutions à retenir pour la gestion des combustibles - c'est-à-dire l'aval. Ce sont précisément les deux principaux métiers du groupe Orano. De de point de vue, la France est l'une des rares nations à disposer d'une maîtrise industrielle de l'intégralité de la chaîne de valeur du nucléaire, ce qui constitue l'un de ses éléments fondamentaux et essentiels en matière de souveraineté énergétique.

En ce qui concerne l'amont du cycle, Orano a fait le choix d'investir 5 milliards d'euros ces dix dernières années dans le renouvellement de son outil industriel sur la plateforme du Tricastin, qui dispose ainsi d'une des usines les plus modernes au monde à la fois pour la conversion et l'enrichissement. La tension observée sur les marchés, très directement reliée à la crise et à la guerre que pratique la Russie en Ukraine, entraîne une montée des cours, à la fois sur la conversion et sur l'enrichissement. C'est un véritable enjeu pour nous et pour l'indépendance énergétique de la France que d'être capables, au-delà de la maîtrise de ces étapes du cycle, non seulement de conserver, mais potentiellement d'étendre les capacités de production de nos usines d'enrichissement en France, à la fois en nous projetant sur le long terme et en étant certains d'assurer une capacité de réponse en matière d'approvisionnement pour l'ensemble du monde occidental, pas uniquement pour la France.

Dans ce contexte géopolitique, nous sommes bien évidemment attentifs à l'évolution du marché et aux attentes de nos clients. Sous réserve d'engagements de long terme de leur part, nous envisageons d'augmenter nos capacités d'enrichissement jusqu'à 30 % - ce qui est énorme - pour répondre aux besoins des clients qui souhaitent réduire leurs importations d'uranium naturel de Russie. Depuis le mois de mars, nos équipes travaillent sur différents scénarios en France, en Europe ou aux États-Unis.

Le scénario le plus rapide serait l'extension de notre usine actuelle d'enrichissement Georges-Besse II. Nous avons d'ailleurs d'ores et déjà lancé le processus de concertation en saisissant la Commission nationale du débat public (CNDP). Les choix qui seront retenus sont soumis aux enjeux de planning, de coûts et de contractualisation des clients. Autrement dit, comme l'a indiqué M. Bernard Doroszczuk, les temps industriels existent. Si l'on prend une décision en 2023, le premier module pourra fonctionner en 2028, et encore en avançant très rapidement !

Du côté de l'aval du cycle, l'industrie française est le leader mondial en matière de traitement et du recyclage des combustibles nucléaires usés. C'est une technologie qui permet d'économiser les ressources naturelles en recyclant la matière énergétique encore contenue dans le combustible nucléaire et en sortie de réacteur. De plus, cette technique réduit fortement la radiotoxicité et le volume des déchets nucléaires, et permet d'en assurer le confinement sous une forme sûre et stable à long terme.

Hormis les États-Unis, toutes les grandes puissances nucléaires civiles, comme le Japon, la Chine, l'Inde et la Russie, ont envisagé et mis en oeuvre à des niveaux de maturité différents le traitement-recyclage. Aucun autre pays n'a cependant maîtrisé son déploiement industriel complet.

Toutefois, à la différence des usines de l'amont, celles de l'aval du cycle - essentiellement les usines de La Hague et de Melox - ont démarré dans les années 1990. La question de leur renouvellement va devoir être décidée dans un futur proche.

Vous m'avez posé la question de la disponibilité en France des compétences nécessaires. En ce qui concerne le cycle, les enjeux de court terme sont directement traités pour pouvoir faire fonctionner en toute sécurité nos usines. Nous avons créé un campus MOX à proximité de l'usine de Melox ainsi qu'une école des métiers au Tricastin. Un certain nombre d'actions visent également à augmenter notre notoriété et à renforcer l'apprentissage. En tant que patron de l'ingénierie d'Orano, je dois recruter cette année un peu moins de 400 ingénieurs, ce qui n'est pas simple ! Il importe donc de garantir l'attractivité des métiers et de donner des perspectives aux jeunes.

Nous nous sommes également engagés dans un certain nombre de formations sur les métiers en tension. Au-delà des ingénieurs, nous avons besoin de cols bleus. Le pôle d'excellence de soudage à Cherbourg, où nous sommes impliqués aux côtés d'EDF, de Naval Group et des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), est une belle illustration.

En revanche, tout comme pour la construction d'EPR, il est évident qu'au moment du renouvellement des usines de l'aval du cycle la question des compétences, notamment en termes de main-d'oeuvre disponible, sur les deux sites, en particulier sur celui de La Hague, sera colossale. Il nous faudra trouver une réponse.

Pour en revenir plus spécifiquement au projet de loi, je ne peux que saluer l'ambition qui vise à accélérer les procédures en cas de décision de construction de nouveaux réacteurs. Je m'inscris complètement dans ce qui a été dit à la fois par MM. Rémont et Jacq : il ne saurait être simplement question des réacteurs électronucléaires et les nouveaux sites ne doivent pas forcément être implantés à côté des installations nucléaires de base (INB). Très clairement, il serait pertinent que les dispositions relatives à l'accélération des procédures liées à la construction appréhendent l'ensemble des nouveaux réacteurs. Je rappelle que France 2030 prévoit un appel à projets pour la construction de nouveaux types de réacteurs. Il faut donc aussi envisager une accélération des procédures pour pouvoir développer ce type de technologie. Cela vaut également pour l'ensemble des installations du cycle du combustible. L'objectif de l'extension et donc double : c'est à la fois une exigence d'intelligibilité du droit et en même temps une prise en compte de l'ensemble des besoins globaux de la filière nucléaire.

M. Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de Réseau de transport d'électricité. - RTE a trois rôles. Le premier, que l'on connaît bien en ce moment, est d'exploiter le système électrique, quel que soit son état. Le deuxième est de développer notre grand réseau national pour connecter, notamment, les réacteurs nucléaires, les centres de consommation, les renouvelables. Le troisième est de réaliser un certain nombre d'études de nature prospective ou prévisionnelle. J'ai l'impression, madame la présidente, que votre première question sur la solidité du mix se rattache plutôt à cette dernière mission.

Qu'est-ce qu'un mix solide ? C'est premièrement un mix qui nous permette d'atteindre nos objectifs climatiques. L'électricité concentre beaucoup de nos débats citoyens, pour autant elle représente 25 % de l'énergie que l'on consomme : elle est omniprésente, mais pas dominante dans notre mix. Quoi qu'il en soit, nous devons nous projeter dans un monde où l'on est sorti complètement des énergies fossiles. Or ces dernières représentent actuellement 60 % de la consommation énergétique en France. C'est dans ce contexte de consommation croissante de moyen et de long termes que nous devons intégrer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.

Un mix solide c'est aussi un mix qui garantisse la sécurité d'approvisionnement et qui soit compétitif d'un point de vue économique. RTE a rendu public fin 2021-début 2022 les résultats de ses scénarios à l'horizon de 2050. Ce travail a mobilisé tout notre écosystème pendant deux ans. Il existe deux grilles de lecture potentiellement différentes. La première consiste à essayer de voir ce qui oppose les filières. Ce n'est pas celle que je privilégie, car le nucléaire, le renouvelable, la rénovation thermique, la réindustrialisation, le réseau, le stockage ont une seule et même structure économique : elles demandent beaucoup d'investissement au départ, mais les coûts de fonctionnement sont plus faibles ensuite. Le facteur temps est également essentiel, comme l'ont souligné plusieurs intervenants avant moi. Entre le moment où l'on va appuyer sur l'accélérateur et le moment où notre mix énergétique va changer, il va se passer plusieurs années. Par ailleurs, il s'agit de solutions que nous allons devoir faire fonctionner ensemble.

En ce qui concerne les scénarios de réinvestissement dans le parc nucléaire, différents rythmes sont proposés. Un scénario où l'on construirait six nouveaux réacteurs nucléaires au rythme d'une paire tous les cinq ans - en 2035, en 2040 et en 2045 - nous conduit à terme à un mix majoritaire en énergies renouvelables pour atteindre nos objectifs climatiques. Pourquoi ? Tout simplement parce que nos installations - c'est vrai pour le nucléaire, mais c'est vrai également pour les autres filières - doivent être mises à l'arrêt pour des raisons d'âge. Les réacteurs nucléaires de deuxième génération ont été construits de manière très concentrée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. Mais cela vaut aussi pour les éoliennes, pour les panneaux solaires et pour toutes les installations industrielles : on peut certes prolonger leur durée de vie, mais c'est un problème auquel on est bien obligé d'être confronté lorsqu'on réalise une prospective énergétique.

En tout état de cause, même en construisant six réacteurs nucléaires de troisième génération, selon un scénario que nous avons appelé N1, il nous faudra recourir à beaucoup d'énergie renouvelable pour boucler nos trajectoires. À tel point que RTE ne considère pas qu'il y aurait, d'un côté, les scénarios avec du nouveau nucléaire et, de l'autre, les scénarios sans nouveau nucléaire. Au contraire, le scénario N1 doit nous conduire à réussir également tous les paris technologiques des scénarios à très hautes parts de renouvelables. C'est un travail que nous avons fait avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Ce n'est pas exactement le cas du scénario N2, qui inclut la construction de quatorze réacteurs. Avec un socle d'une quarantaine de gigawatts de centrales nucléaires maintenus durablement - à l'horizon de 2040, de 2050 et de 2060 -, une partie des besoins de flexibilité sont réellement traités par le nucléaire. Il faut donc moins de moyens de stockage. La différence entre le scénario N1 à six réacteurs et le scénario N2 à quatorze réacteurs n'est pas uniquement symbolique, elle est aussi technique. La numérotation des scénarios renvoie ainsi à des différences plus fondamentales dans la façon dont nous allons construire et faire fonctionner notre système électrique.

Le travail de concertation mené pendant deux ans avec les différents opérateurs industriels de la filière montre que l'accélération, dans le cas du scénario à quatorze réacteurs, ne sera pas visible sur la période 2030-2040, mais plutôt durant la décennie 2040-2050. On en revient donc au facteur temps.

De tels délais sont-ils propres à la France ? Un objectif de réacteurs nucléaires opérationnels en 2035-2037 me paraît raisonnablement ambitieux : ce n'est donc pas propre à la France. Vous avez souligné, madame la présidente, que la durée de construction des réacteurs est passée de six à huit ans dans les années 1980 à une période de douze à seize ans actuellement. En réalité, les délais de construction des réacteurs de deuxième génération du palier N4 étaient déjà beaucoup plus importants que ceux des réacteurs de 900 mégawatts des années 1970. Tout le programme de deuxième génération n'a donc pas été construit très rapidement et nous ne connaissons pas aujourd'hui un ralentissement : ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent. Le projet de loi permettra certes d'accélérer un certain nombre de procédures, mais il ne nous permettra pas d'en revenir au rythme de construction des années 1970.

Ce qui est plus propre à la France, en réalité, ce sont les délais de construction des énergies renouvelables, mais c'est un autre problème.

Ce texte intervient-il tard ? Je pense qu'il s'agit du bon moment. Quel que soit le scénario retenu, il convient d'enclencher la démarche industrielle. Cette table ronde montre que la situation a changé depuis notre publication d'octobre 2021. Nous ne nous attendions pas qu'un cap soit fixé aussi rapidement. Il faudra, bien évidemment, le traduire dans une loi de programme, mais j'ai le sentiment que la publication de nos scénarios a réussi à faire passer le message qu'il était nécessaire d'accélérer, ce dont je me félicite.

Ce projet de loi est-il utile ? Oui, ne serait-ce que pour tenir le timing annoncé par le Gouvernement. Pour que de nouveaux réacteurs soient en service en 2035-2037, ce projet de loi est absolument essentiel. Les documents publiés par l'État nécessitaient des saisines de la CNDP en 2021. Nous sommes en 2022, il convient donc d'accélérer sur le nucléaire, mais cela vaut également pour les énergies renouvelables ou pour le réseau, si nous voulons répondre aux enjeux énergétiques.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de ces précisions. Quelques points n'ont pas été abordés, je pense aux capacités ou aux perspectives de financement. Par ailleurs, nous sommes certes dans l'accélération des ouvertures de sites, mais les décrets prévoient toujours pour l'instant la fermeture de certains réacteurs.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je souhaite, à mon tour, remercier nos intervenants de leur participation à cette table ronde. De mémoire sénatoriale, c'est une première que de vous réunir tous aujourd'hui. Je remercie également le rapporteur pour avis Pascal Martin.

Comme vous le savez, nous préparons actuellement l'examen du très attendu projet de loi d'accélération du nucléaire ; nous avons largement entamé nos auditions et avons entendu, juste avant vous, devant le groupe d'études « Énergie », M. Michel Badré, président de la formation de la CNDP chargée du débat public sur la construction de nouveaux réacteurs, dont ceux de Penly.

S'agissant de la méthode retenue par le Gouvernement, je regrette qu'il légifère dans le désordre : pour bien faire, il aurait fallu soumettre à l'examen parlementaire la programmation, puis le nucléaire, puis le renouvelable. Je déplore également qu'il impose des délais d'examen très resserrés puisque ce texte serait examiné en séance publique mi-janvier : plus d'organisation, plus d'anticipation et plus de coconstruction auraient été nécessaires sur un sujet aussi important. Où est la nouvelle méthode promise par le Gouvernement ?

Concernant l'évolution proposée par le Gouvernement, nous ne pouvons que nous réjouir de la relance du nucléaire, tout en rappelant que cette relance intervient tardivement et partiellement : les annonces du Gouvernement font, pour l'instant, davantage office de « rattrapage » que de « relance ». Je rappelle que la commission des affaires économiques a alerté sur l'impact de la crise de la Covid-19 sur les prix des énergies et le décalage du programme d'arrêts de tranches, dès son rapport sur cette crise de juin 2020 ; elle a aussi alerté sur l'impact de la guerre russe en Ukraine et du phénomène de corrosion sous contrainte, dès son rapport sur le risque de black-out de février 2022.

Comme l'a indiqué notre présidente, nous avons aussi plaidé pour une relance complète du nucléaire, dans notre rapport de juillet 2022. La position de notre commission a donc été celle de la constance, avant et, bien souvent, contre celle du Gouvernement ! Ce ne fut pas simple de décaler de dix ans le calendrier de fermeture des réacteurs existants, dans la loi « Énergie-Climat » de 2019. Ce ne fut pas simple d'interdire toute fermeture de réacteur, dès lors qu'elle présente un risque sur la sécurité d'approvisionnement, la sûreté nucléaire ou les émissions de gaz à effet de serre (GES), dans la loi « Climat-Résilience » de 2021. Nous étions bien seuls à l'époque !

Mais cessons de remuer le passé pour évoquer l'avenir, celui de la filière nucléaire et, au-delà, de notre compétitivité économique et notre vie sociale. C'est pourquoi je compléterais brièvement les questions posées par notre présidente.

En premier lieu, je souhaiterais que le PDG d'EDF nous indique où en est la résolution du phénomène de corrosion sous contrainte : avez-vous une visibilité sur les indisponibilités prévisibles pour les prochains mois ?

Un mot sur l'application du programme Excell serait également précieux : sommes-nous prêts, sur le plan de la formation et des compétences, pour la construction annoncée de nouveaux réacteurs. C'est un sujet de préoccupation relevé par notre commission dans son rapport sur la filière nucléaire, de juillet dernier. Un mot aussi sur les modalités de financement : la Cour des comptes a clairement indiqué qu'EDF ne pouvait financer seul cette relance du nucléaire. Qu'en pensez-vous ? Faut-il préférer un financement par fonds propres, par emprunt, par prix régulé ou encore par participations de consommateurs électro-intensifs, comme pratiqué ailleurs en Europe ?

En second lieu, je voudrais que l'ASN nous indique son opinion sur les EPR2 et les SMR qui pourraient être construits ? Sont-ils plus sûrs que les réacteurs plus anciens ? Sont-ils moins producteurs de déchets ? Je m'interroge notamment sur les risques liés à la construction des nouveaux réacteurs. Les extensions de sites existants impliquent-elles des risques cumulés, dont la gestion par les collectivités territoriales ou les services déconcentrés concernés ne doit pas être simple ? Les implantations d'installations en bord de mer présentent-elles des risques spécifiques, liés par exemple à la submersion ou à l'érosion ? Si oui, comment les prévenir ?

Concernant le CEA, j'aimerais qu'il nous précise si la recherche nucléaire lui semble pouvoir être davantage prise en compte dans le projet de loi : au-delà de la construction d'EPR2, peut-on y développer les SMR ? Peut-on y promouvoir le couplage nucléaire-hydrogène ?

Pour ce qui est du groupe Orano, je souhaiterais qu'il fasse état de son opinion sur le devenir des usines de retraitement-recyclage. L'État ne devrait-il pas prendre une décision sur leur pérennisation, car on sait que ces installations arriveront à leur cinquantième année de fonctionnement dès 2040 ?

S'agissant enfin de RTE, je ne pourrais résister à la question que tous mes collègues et beaucoup de Français se posent : quelles sont vos prévisions sur la sécurité d'approvisionnement électrique ? Combien de délestages risquent de se produire cet hiver ? Pouvez-vous nous préciser les périodes et les régions les plus critiques ?

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Madame la présidente, mes chers collègues, je vous remercie pour l'invitation à cette table ronde. En tant que rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, je me concentrerai sur le contenu de ce texte et partagerai quelques observations et interrogations issues du cycle d'auditions que nous avons commencé la semaine passée dans un excellent climat avec mon collègue rapporteur Daniel Gremillet.

Le titre I ne concerne que les réacteurs électronucléaires. Par ailleurs, il ne vise que les projets situés à proximité de sites nucléaires existants. Enfin, les demandes d'autorisation ne concernent que celles déposées dans une durée de quinze ans à compter de la promulgation de ce texte. C'est donc une ambition mesurée.

Une observation tout d'abord : l'étude d'impact du projet de loi est, une nouvelle fois, lacunaire. Aucune estimation du gain de temps global pour la construction des nouveaux EPR n'est fournie par le Gouvernement. C'est très dommageable pour un texte dont l'ambition est justement de gagner du temps !

Ma première question est donc très simple : avez-vous une idée du gain de temps permis par ce texte ? Si oui, pouvez-vous préciser à quel stade de la construction de nouveaux réacteurs et pour quel type d'autorisations ces gains de temps interviennent ?

Ma deuxième question porte sur la notion qui fait débat de « proximité immédiate » des centrales existantes, utilisée à l'article 1er. Concrètement, à quelle distance maximale des centrales existantes les nouveaux EPR seront-ils construits ?

Pour éviter des contentieux, ne faudrait-il pas mieux définir cette notion de « proximité immédiate », par exemple en considérant que cette notion s'entend comme une zone d'implantation ne nécessitant pas de modification des plans particuliers d'intervention (PPI) ?

Enfin, l'article 4 du projet de loi reporte dans le temps la réalisation des bâtiments à plus forts enjeux de sûreté, car il faudra maintenant attendre l'octroi de l'autorisation de création par l'ASN pour commencer ces travaux.

Ma dernière question sera directe : s'agit-il de tirer les conséquences des difficultés initiales de Flamanville, en particulier de l'insuffisance des études d'avant-projet, comme l'a relevé la Cour des comptes en 2020 ?

M. Luc Rémont. - Je commencerai par faire un bref point sur le raccordement progressif au réseau de nos réacteurs après traitement des problèmes de corrosion sous contrainte.

À ce jour, quarante et un réacteurs sont connectés au réseau pour une puissance productive de 41,3 gigawatts, ce qui nous a permis, grâce au soutien des Français, de passer cette première phase de froid sans difficulté sur le réseau. Trois réacteurs supplémentaires seront connectés d'ici à Noël : Gravelines 3, Saint-Alban 2 et Dampierre 2. Nous travaillons également pour recoupler Gravelines 4 au réseau le plus rapidement possible en 2023.

En ce qui concerne les chantiers de corrosion sous contrainte, l'entreprise a identifié le problème en peu de temps et a travaillé sur des instruments de mesure permettant de le caractériser de façon non destructive. Nous avons mis en place un processus de réparation grâce à notre collaboration avec l'Autorité de sûreté. Nous allons le plus vite possible. Je peux témoigner de la mobilisation totale de toute la filière, qu'il s'agisse des salariés d'EDF ou de nos partenaires. Certains de nos réacteurs sont encore en réparation, mais pas forcément pour des questions de corrosion sous contrainte. Certains réacteurs, par exemple, sont en visite décennale, ce qui nécessite un arrêt de plusieurs mois. L'accélération de l'ensemble de ces processus est un élément-clé de la disponibilité du parc et de notre capacité à produire.

Vous m'avez interrogé sur Excell. C'est un plan très bien monté de professionnalisation, d'accélération et d'industrialisation des projets. Il nous aide notamment à tirer toutes les leçons de Flamanville 3. Il y a quelques semaines à peine, le patron du projet Excell a remis un rapport public sur le déroulement du plan. Mon ambition est d'en étendre la portée à toutes les dimensions de l'entreprise avec la même logique industrielle.

Nous devons encore travailler sur les modalités de financement. Mon souhait est naturellement de faire en sorte que la performance de l'entreprise contribue largement au financement de son futur, qui est de continuer à produire et donc de créer des instruments en faveur de sa production future. Notre capacité à recoupler les réacteurs actuels au réseau est une condition indispensable, mais pas suffisante, pour faciliter le financement du futur. Une partie de la réponse se trouve dans la régulation. J'ai souligné lors d'une audition précédente que l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) était à bout de souffle. Je le confirme ici. La crise énergétique européenne doit nous amener à revoir l'ensemble des modalités des règles de marché pour l'électricité. C'est indispensable pour qu'EDF puisse faire son travail et offrir aux Français une électricité à un prix compétitif, mais dans des conditions qui n'obligent pas EDF soit à vendre à un prix cassé, soit à vendre en étant l'objet des fluctuations excessives, tout en étant taxée ensuite. Un tel modèle économique permet à peine à EDF de soutenir son activité. Comment pourrait-il lui permettre de financer le futur ? Le Gouvernement est mobilisé sur ce sujet dans les discussions communautaires. Je souhaite travailler avec lui pour trouver un équilibre économique qui permette à EDF et à l'ensemble de la filière d'avoir suffisamment de visibilité économique à moyen terme. Nous travaillerons également avec les pouvoirs publics pour donner des perspectives financières de plus long terme.

Monsieur Martin, vous me posez la question du temps gagné grâce à ce projet de loi ; je serai honnête : je ne le sais pas. Le temps gagné me paraît significatif, il se compte probablement en années, mais je ne saurais être plus précis. Je tâcherai de l'estimer plus précisément et de vous fournir la réponse.

Vous me posez la question du périmètre concerné par les projets. Il s'agit d'emprises extrêmement proches, sur les sites. Je ne saurais pas vous donner une définition de la distance envisagée, je ne sais pas si c'est possible, mais on parle de sites ayant une capacité supplémentaire et pouvant accueillir une activité industrielle plus importante.

Sur la réalisation des bâtiments, un travail important a été accompli depuis plusieurs années, dans la définition même du projet EPR 2, afin de tirer toutes les leçons de Flamanville 3. Ces nombreuses leçons ont été tirées par EDF avec l'ASN.

M. Bernard Doroszczuk. - J'ai noté trois questions principales qui m'étaient adressées. Je reviendrai ensuite sur la question générale de l'anticipation et du respect des délais.

M. Gremillet pose d'abord la question du niveau de sûreté des EPR2 et des SMR.

Pour ce qui concerne le projet EPR2, l'ASN a émis deux avis - l'un en 2juillet 019 et l'autre en 2septembre 021 - sur l'option de sûreté de ce réacteur. Ces avis concluent de manière positive sur les options de sûreté retenues, après un débat sur les options envisagées lors de la construction de l'EPR de Flamanville, notamment la question de l'exclusion de rupture. Nous avons approfondi le sujet et nous avons élaboré une position donnant assez de visibilité pour poursuivre les études de conception.

Nous sommes encore en train de finaliser avec EDF les éléments d'entrée dans ces études de conception. J'ai demandé à EDF de faire un point complet des arbitrages à rendre avec l'ASN, afin de finaliser les études détaillées de conception. C'est important pour le respect du planning. Il faut achever ces études détaillées de conception avant de lancer les projets, afin de ne pas rencontrer les mêmes difficultés. Quand on étudie les évolutions de l'EPR2 par rapport à l'EPR de Flamanville, en intégrant le retour d'expérience tiré du fonctionnement des EPR de Taishan et de Olkiluoto, on peut considérer que la première paire de réacteurs à Penly sera une quasi-tête de série. D'où l'importance d'achever les études détaillées de conception, afin de maîtriser les délais. Du point de vue de la sûreté, le niveau de l'EPR2 sera équivalent à celui de Flamanville et, s'agissant d'un réacteur de troisième génération, il n'y aura pas d'évolution significative en matière de production de déchets.

Pour les SMR ou AMR, les petits réacteurs avancés, la situation pourrait être différente. Eu égard à leur taille, ces réacteurs pourraient permettre des progrès en matière de sûreté. En cas d'accident, la puissance résiduelle à évacuer serait plus faible ; on pourrait donc imaginer que ces réacteurs soient munis de dispositifs passifs permettant d'assurer, dans une situation accidentelle, leur refroidissement sans avoir besoin de recourir à des sources d'alimentation électrique ou à des capacités supplémentaires en eau. C'est un avantage important par rapport aux gros réacteurs, comme les EPR, dont il faut assurer en permanence le refroidissement, même à l'arrêt. C'est une différence fondamentale.

Les projets de ce type avancent en France et l'ASN est en relation avec quatre porteurs de projet, reposant chacun sur une technologie différente.

Le projet Nuward d'EDF, TechnicAtome et Naval Group, est le plus avancé et il repose sur une technologie maîtrisée : les réacteurs à eau sous pression. Il ne présente pas de différence, en matière de gestion de combustible et de déchets, avec le parc actuel. Nous avons pris l'initiative d'associer les autorités de sûreté tchèque et finlandaise - deux pays susceptibles d'être intéressés par ce projet -, pour définir ensemble une position sur les options de sûreté de ce réacteur. Cela donne une visibilité internationale au projet.

Les autres réacteurs envisagés reposent sur des technologies différentes : le refroidissement au plomb ou au sel fondu et un réacteur haute température. La maturité technologique de ces projets est très différente de Nuward ; ils nécessitent encore des travaux d'innovation et de recherche et ils arriveront à maturité plus tardivement. La compétition internationale est rude avec les compétiteurs américains, chinois ou russes, qui sont puissants. Ces pays développent des politiques agressives en matière de compétitivité prix, mais également en termes d'influence géopolitique pour imposer leurs projets, y compris en Europe de l'Est. Attention donc à ce que Nuward n'arrive trop tard...

Le réacteur Nuward ne présentera pas de différence en matière de gestion des déchets, mais il pourrait en aller différemment pour les réacteurs à neutrons rapides. La technologie de refroidissement au sodium pourrait en outre bénéficier des retours d'expérience de ce type de réacteurs développés en France voilà quelques années.

J'attire par ailleurs votre attention sur trois points de préoccupation de l'ASN.

D'abord, il faut porter une plus grande attention au cycle du combustible. En effet, parmi les 100 projets de SMR dans le monde, très peu y accordent une attention suffisante : ils ne précisent ni d'où vient le combustible ni ce que l'on fait des déchets en aval du cycle. Or il faut tout prendre en compte pour que les projets soient sincères, il faut avoir une vision intégrée. La France a un avantage sur le sujet, car elle maîtrise les technologies.

Ensuite, la possibilité d'implanter les réacteurs de petite taille en dehors des sites existants nucléaires soulève la question de la sécurité ; je le rappelle, la sûreté, dont s'occupe l'ASN, est relative au risque d'accident nucléaire et la sécurité consiste en la lutte contre les actes de malveillance : attaques criminelles, attentats, cybersécurité. Ce sujet est plus complexe, car un petit réacteur implanté dans une zone industrielle ou près d'une agglomération présente un risque plus important qu'un réacteur implanté sur un site nucléaire existant et déjà sécurisé ; de tels sites disposent en effet d'importants moyens d'intervention pour intervenir en attendant l'arrivée des forces de l'ordre en cas d'intrusion criminelle. C'est un sujet important pour les futurs exploitants des SMR. Il est justifié de s'interroger sur l'usage des petits réacteurs pour produire de la chaleur ou de l'hydrogène et pour accompagner la décarbonation de l'industrie, ce qui implique d'implanter ces réacteurs ailleurs que dans les gros sites, pour proposer des usages immédiats, locaux, sans transport, mais la sécurité peut devenir un sujet plus lourd que la sûreté.

Enfin, je veux aborder le niveau de sûreté des SMR à exiger. Dans la compétition internationale, ce niveau fait l'objet de beaucoup de débats. Certains estiment que le niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération doit être le standard d'exigence pour les SMR ; d'autres, comme l'ASN, considèrent qu'il faut fixer un niveau d'exigence permettant d'exploiter toutes les potentialités d'amélioration des SMR à un coût économiquement acceptable : si l'on peut aller plus loin que le niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération, il faut le faire ! En effet, il faut garder en tête que l'engouement pour les SMR est tel que, si tous les projets se réalisent, on trouvera des réacteurs nucléaires dans beaucoup de pays qui n'ont aujourd'hui aucune centrale, qui n'ont aucune expérience nucléaire, aucune autorité de sûreté ; une quarantaine de pays ont déjà fait part de leur intérêt à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Il y a donc un risque à implanter dans de tels pays des centrales pouvant poser problème. Or ne perdons pas de vue que la confiance dans la sûreté et l'engouement ou le rejet du nucléaire peuvent être liés à des évènements qui se produisent loin de chez nous. Ainsi, s'il est possible d'avoir des SMR plus sûrs, il ne faut pas s'en priver. Certains SMR peuvent aller plus loin en matière de gestion des déchets, comme les SMR à neutrons rapides, qui permettraient de réduire les déchets, voire d'utiliser des matières nucléaires n'ayant pas d'usage aujourd'hui.

Sur les risques liés à la construction de nouvelles centrales et à l'extension des sites, les risques d'agression naturelle - subversion marine, réchauffement climatique, tornades, séismes... - doivent être pris en compte sur toute la durée de vie des projets, qui peut s'étendre sur un siècle. Il faut s'appuyer sur les prévisions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), lesquelles peuvent du reste évoluer. En France, nous faisons un réexamen de sûreté tous les dix ans, et nous incluons les aléas climatiques, afin d'ajuster la sûreté par rapport aux risques extérieurs, y compris par rapport aux installations industrielles voisines. Lorsque nous avons fait cet exercice à Gravelines, par exemple, nous avons pris en compte les évolutions du terminal gazier situé à proximité, et nous avons prescrit des rehaussements de digue.

Dernier sujet : celui de l'anticipation et de la gestion du temps. Le parc nucléaire existant a été construit, à 75 %, dans les années 1980. En 2050, ces réacteurs auront donc 70 ans, soit plus que la durée de vie sur laquelle nous nous sommes prononcés, à savoir cinquante ans. Ainsi, au-delà du débat sur le nouveau nucléaire et sur le présent projet de loi, il faudra, l'année prochaine, s'interroger sur les mesures d'accompagnement permettant d'anticiper l'échéance de 2050 pour les réacteurs en service ; il faut le faire très en avance. Dans les années qui viennent, il faut mener une analyse de fond pour étudier la durée de vie du parc d'EDF, avec assez d'anticipation pour pouvoir ajuster, entre autres, le nombre de réacteurs à produire. Il faut lier les deux aspects ; on ne peut séparer les nouveaux réacteurs de la durée de vie des réacteurs en cours. En tant que président de l'ASN, je ne puis accepter que la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires soit la variable d'ajustement d'une politique énergétique mal calibrée.

Je termine en évoquant la capacité industrielle à faire, facteur crucial pour respecter le calendrier. Il y a deux enjeux fondamentaux dans la filière. D'une part, il faut renforcer substantiellement l'attractivité de la filière pour recruter et conserver les compétences, dans tous les métiers et à tous les niveaux, des cols blancs aux cols bleus. On observe aujourd'hui un déficit important dans tous les métiers. Si les compétences ne sont pas disponibles au bon moment dans tous les métiers, quels que soient les textes, les projets ne pourront être mis en oeuvre. D'autre part, il faut reconstituer la capacité à faire au bon standard. Dans les constructions récentes, ce standard n'a pas été atteint. Pour l'ASN, la qualité et la rigueur de la conception, de la fabrication et du contrôle sont les premières barrières de sûreté. En parallèle se pose la question de la gestion et du pilotage des projets : avoir les compétences ne suffit pas, il faut aussi savoir les articuler et gérer les projets.

M. François Jacq. - Je veux insister sur les apports de la recherche à la cohérence des trajectoires. Il y a diverses technologies, qui ne sont pas en compétition les unes contre les autres, mais qui doivent être articulées les unes avec les autres. Si l'on n'a pas une bonne maîtrise des feuilles de route de ces technologies, de leurs jalons, de leurs points de rendez-vous, on aura du mal à bâtir un mix solide. C'est donc bien en prenant en compte, à l'avance, les feuilles de route technologiques que l'on doit oeuvrer.

La recherche est parfois considérée comme une commodité, elle est tenue pour acquise. Ce n'est pas le cas. Sans doute, il faut souligner la mobilisation et le caractère exceptionnel des équipes du CEA qui ont maintenu à un niveau élevé, y compris dans des circonstances difficiles, leurs compétences au niveau mondial - si le Department of Energy (DOE) américain prend le temps de discuter avec nous, c'est parce que nous sommes compétents et que nous sommes un alter ego pertinent -, mais il faut être vigilant. Le projet de loi ne prend pas en compte la recherche, c'est normal, il a vocation à accélérer les projets industriels, à se focaliser sur l'industrie, mais il faudra bien garder en tête, lors des étapes ultérieures, le continuum entre la recherche et l'exploitation.

Sur les SMR, je suis d'accord avec le président de l'ASN. Il faut bien que l'on s'entende : les SMR ne sont pas la panacée et celui qui sait comment leur exploitation se passera, comment leurs modèles économiques se construiront est très fort. Néanmoins, et je le dis depuis 2018, c'est une voie qui doit être considérée, explorée avec attention. Il faut en étudier tous les aspects, y compris la sécurité, comme le dit le président de l'ASN. Il faudra être raisonnable, respecter le principe de proportionnalité par rapport aux enjeux. Si l'on applique à ces réacteurs des cadres qui ne sont pas adaptés à leur nature, en leur imposant toutes les contraintes maximales, on n'arrivera pas à les développer.

Un petit réacteur, pouvant produire un peu de chaleur et un peu d'électricité, pouvant être couplé en permanent et en continu avec une installation d'électrolyse haute température, sera plus simple à gérer. Ces réacteurs peuvent aussi avoir des usages de chaleur beaucoup plus importants. Les réacteurs avancés ont deux vocations principales : l'une concerne le cycle, le recyclage de la matière et, si l'on n'y réfléchit pas en avance, ces SMR seront plus chers ; l'autre concerne la production de chaleur à très haute température, qui ne peut sortir d'un réacteur à eau pressurisée.

Sur les déchets, je me méfie de toutes les démarches dites « zéro déchet ». Le « zéro déchet » n'existe pas : quand on fait des réactions de fission, il y a des produits de fission, donc des déchets, c'est inévitable. Si on ne le dit pas clairement, on aura de gros problèmes avec le public...

La recherche est solidaire de votre démarche, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs. Elle ne sera pas visée directement par le projet de loi, mais nous, les chercheurs, aurons vocation à revenir vous voir pour aborder la question du bon développement des petits réacteurs, comme l'a dit Bernard Doroszczuk.

M. Guillaume Dureau. - Je souhaite dire quelques mots sur le vieillissement et la prolongation de l'outil industriel en fin de cycle, notamment des usines qui arriveront à leur cinquantième année de fonctionnement en 2040. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028 confirme la stratégie française de traitement-recyclage jusqu'à l'horizon de 2040, mais laisse la question ouverte pour la suite.

La prochaine PPE doit donc y répondre : soit on s'oriente vers l'ouverture du cycle et vers l'entreposage, soit, et c'est souhaitable, la forte avance technologique française en la matière permet de réaffirmer la stratégie de traitement-recyclage au-delà de 2040. Dans ce cas, compte tenu du temps industriel - conception et construction -, il faut prendre des décisions très en amont ; pour être très direct, ces décisions doivent être prises dans le quinquennat en cours et avant 2025. En outre, au-delà de la question des compétences déjà abordée, il y a la question de l'expérience : nous sommes dans la dernière décennie pendant laquelle on peut encore bénéficier du retour d'expérience de ceux qui ont construit ces usines. Il ne faut pas le négliger...

Les SMR et les AMR ont besoin de combustible. On a tendance à penser que, une fois le réacteur conçu, il est facile d'y mettre du combustible et de le faire tourner, alors qu'ils ont besoin d'un combustible spécifique, le plutonium. Par conséquent, il faut penser l'outil industriel adéquat. C'est une raison supplémentaire pour se demander ce que l'on fera des usines actuelles, comment on les prolongera, comment on les renouvellera.

M. Thomas Veyrenc. - L'anticipation est en effet centrale. Notre ambition avec nos scénarios était de faire émerger des rétroplannings, afin d'intégrer l'effet de falaise et le renouvellement des infrastructures de retraitement-recyclage, et d'éviter de subir les variables d'ajustement.

Nos scénarios ne sont pas figés, ils ne s'imposent pas ; nous consacrons une partie de notre rapport d'activité aux incertitudes. La courbe de consommation d'électricité s'infléchira à la hausse, on le sait, mais on ne sait pas quand : cela peut être en 2023 ou en 2026. De même, l'accélération de la production issue des énergies renouvelables n'est pas immédiate, il faut du temps entre le lancement et la connexion des installations. Par ailleurs, la production du parc nucléaire actuel - post-Grand carénage et post-corrosion sous contrainte - présente des incertitudes en matière de volume. Bref, les incertitudes sont nombreuses et il faut que la stratégie énergétique permette de gérer les écarts par rapport aux hypothèses, avec un peu de jeu ; si nous n'avions plus de jeu du tout, les variables d'ajustement seraient alors subies.

En outre, on ne doit pas oublier la question du réseau et de la planification géographique : selon les sites, les périodes de construction et les types de réacteurs, on n'aura pas besoin du même réseau. Il faut prendre ces décisions très en amont.

Sur la sécurité de l'approvisionnement, les inquiétudes exprimées dans les médias portent beaucoup sur les volumes d'électricité, mais la dimension prix est au moins aussi importante, car, si on n'a jamais encore eu de réel problème de volume pour l'instant, même si on est en situation tendue, les conséquences sur les prix sont déjà manifestes et entraînent des tensions.

Cet hiver, nous subissons trois crises imbriquées : la crise de l'approvisionnement en gaz, qui durera plusieurs années, la crise de la production nucléaire, liée à la corrosion sous contrainte, et la crise de la production hydraulique, deuxième source de production d'électricité. On oublie souvent cette source de production, qui est renouvelable et qui est source de flexibilité.

Notre analyse globale de septembre présentait trois grands scénarios. On a d'ores et déjà écarté le pire. En effet, la consommation d'électricité publiée tous les mardis soirs, retraitée des aléas météorologiques, montre une diminution de 9 % sur les quatre dernières semaines par rapport à la moyenne, sur même période, de 2014-2019. C'est considérable et ce n'était pas gagné d'avance. Quelque chose s'est donc passé. Dans le secteur industriel, l'effet de prix a joué, mais aussi la sobriété, qui n'est plus une chimère, l'effet est très net. Vu les températures actuelles, sans cette sobriété, la situation serait tout autre.

Sur le nucléaire, on est revenu sur notre courbe prévisionnelle de septembre. La situation souhaitable pour passer l'hiver, c'était une disponibilité de 41 gigawatts de production nucléaire au 1er décembre et de 45 gigawatts début janvier. Notre production nucléaire disponible dépasse légèrement 41 gigawatts ; c'est sous les minima requis, mais c'est tout de même satisfaisant. Je remercie tous ceux qui se sont mobilisés sur la maintenance pour atteindre ce niveau. On sait quels réacteurs sont concernés. Des protocoles ont été mis en oeuvre. Il y a moins d'incertitude qu'au printemps et à l'été derniers. On n'est pas dans le bas du faisceau.

Sur l'hydraulique, la situation s'est améliorée. À la fin de l'été dernier, les niveaux de stock hydraulique étaient catastrophiques. Les stocks sont revenus à des niveaux historiques, grâce à une gestion prudente. C'est satisfaisant.

Dernier point qui fonctionne très bien : les interconnexions européennes. On nous demande souvent si les autres pays nous fourniront aussi de l'électricité. Je rappelle d'abord que ce ne sont pas les pays qui s'échangent de l'électricité, ce sont les producteurs et les fournisseurs qui s'en achètent. Par ailleurs, le système fonctionne bien, de manière très fluide, au-delà de nos prudences. On a encore exporté avant-hier de l'électricité au Royaume-Uni.

La situation exige toujours une grande vigilance, mais la période très risquée de la fin du mois de novembre, quand l'écart entre la disponibilité nucléaire projetée et la disponibilité nucléaire historique était le plus fort, est derrière nous. Il reste le mois de janvier, qui fait l'objet, comme tous les ans, d'une vigilance particulière. En matière de risque, nous avons les moyens d'éviter les coupures, les délestages, si nous maintenons les taux actuels d'économie d'énergie, qui sont importants, et si notre mobilisation est importante lors des signaux ÉcoWatt. La réaction des Français est à la hauteur de la situation, on le constate.

M. Franck Montaugé. - Monsieur Doroszczuk, vous ne souhaitez pas que le parc actuel soit la variable d'ajustement de la production électrique française. Je conclus de ces propos qu'il existe un risque que les six EPR2 projetés ne puissent être mis en service aux dates prévues, 2035 ou 2037. Dans cette situation, quelle serait la variable d'ajustement ?

Monsieur Rémont, quel est le montage financier des six ou huit EPR2 ? Créez-vous des sociétés de projet ? Qui a accès à leur capital ? Le législateur doit-il avoir sa place dans cette question ? Vous avez évoqué la révision des règles de marchés ; quelle réforme européenne serait nécessaire pour qu'EDF retrouve un modèle économique et financier équilibré à long terme ?

Sur le cycle, j'avais compris que le centre de stockage industriel en couches géologiques profondes des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue (Cigéo) avait été conçu pour le parc actuel et l'EPR de Flamanville. Sera-t-il disponible pour les EPR2 futurs ? Sinon, quelle serait la solution ?

Sur le risque géopolitique d'approvisionnement en uranium, quelles sont les solutions de couverture des risques, indépendamment de la « prolifération » des SMR ?

M. Jean-Claude Tissot. - La mine d'uranium de Saint-Priest-la-Prugne, dans mon département, a été exploitée pendant des années. Depuis la fin de l'exploitation, les déchets radioactifs sont recouverts d'une nappe d'eau, mais cette protection atteint ses limites et, durant l'été dernier, nos craintes se sont réalisées : l'eau contaminée est passée par-dessus la digue et la station de traitement n'a pas été efficace. Monsieur Rémont, comment imaginez-vous l'aménagement de ce site pour l'après-mine ?

M. Jean-Jacques Michau. - Si je vous ai bien compris, monsieur Rémont, il restera une dizaine de réacteurs à l'arrêt au début de l'année 2023. Combien de ces arrêts sont liés à l'entretien normal - Grand carénage ou autre ? Combien le sont aux problèmes de corrosion sous contrainte ?

Comment éviter ces problèmes de corrosion sous contrainte pour les 6 à 14 réacteurs à venir ?

M. Serge Mérillou. - Ma question s'adresse au PDG d'EDF. Durant la dernière décennie, EDF a regretté, à juste titre, le manque de cap du Gouvernement sur l'énergie nucléaire. Considérez-vous que la création des 6 réacteurs soit contradictoire avec l'arrêt d'autres réacteurs ? Comment analysez-vous ce double signal, qui peut sembler contradictoire ?

Cela m'amène à la question de la mobilisation de la ressource humaine : une filière sans avenir a du mal à mobiliser des jeunes.

Un certain nombre de résultats très intéressants sur la fusion nucléaire sont parus ces derniers jours. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Je crains que le prix de l'énergie électrique en 2023 ne crée une sobriété subie, avec un impact terrible sur l'agriculture, l'artisanat et l'industrie. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous pouvons avoir une pensée pour M. Bernard Bigot, qui nous avait présenté Iter lors d'une audition remarquée.

M. Daniel Salmon. - Je reviens sur la question de la crédibilité et de la sincérité de la programmation. Comment comptez-vous atteindre vos objectifs en termes de calendrier et de coûts ?

L'écart est immense avec la vitrine que devait constituer le nucléaire français grâce à l'EPR de Flamanville. Les évolutions espérées, très ambitieuses, n'ont jamais pu être constatées dans la filière industrielle nucléaire. Ne péchez-vous pas par excès d'optimisme ?

Nous savons que les cuves de l'EPR de Taishan posent des problèmes d'hydraulique. Cette question est-elle réglée ? L'EPR disposera-t-il de cuves de même type ? M. Doroszczuk a dit qu'on était plutôt là sur un prototype, une tête de série. Cela aussi doit être pris en compte dans le calendrier.

Sur la filière aval, qu'en est-il des saturations des piscines de La Hague à l'échéance de 2030, qui risquent de poser de sérieux problèmes de gestion des combustibles usés ?

Mme Amel Gacquerre. - Le coût de 3,3 milliards d'euros à 13 milliards d'euros pour le projet de Flamanville interroge. La production en série pour les 6 EPR2 annoncés est souvent évoquée pour rassurer sur une meilleure maîtrise des coûts à l'avenir. On parle notamment de 50 milliards d'euros pour trois nouvelles paires de réacteurs. Quelles seront les modalités exactes de financement ?

Il est impensable de parler de relance nucléaire sans évoquer la question des déchets ni celle du démantèlement d'installations actuelles.

S'agissant des déchets, je pense qu'un réel effort de pédagogie et de transparence est nécessaire pour rassurer nos concitoyens, très préoccupés par cette question.

Le démantèlement est une vraie question. Compte tenu du vieillissement de notre parc nucléaire, 9 réacteurs sont en cours de démantèlement. Confirmez-vous le coût de 400 millions d'euros par réacteur ? Concrètement, quel plan de déconstruction est envisagé ? À quelle échéance ?

M. Fabien Gay. - Comme pour les énergies renouvelables, on a du mal à voir avec quelles filières industrielles et avec quels métiers on va développer les choses. On sait que la filière nucléaire était peu attractive, puisqu'il n'y avait aucun projet. Quels que soient les aléas politiques qui ont conduit à cette situation, recruter et former prend du temps.

Les syndicalistes disent que, à EDF, on a des compétences, mais que la mise en oeuvre est difficile. Ils comparent EDF à un gros bateau avec beaucoup de barreurs, mais peu de rameurs. Il faut recruter de nombreuses personnes, notamment des ingénieurs - il n'y a pas que chez les soudeurs qu'il y a des difficultés. J'entends beaucoup parler d'université du nucléaire, mais cela reste pour l'instant largement hors sol, avec des formations « maison ». On est loin des écoles de métiers. Il faudra un vrai plan de formation pour mettre en oeuvre ce que nous aurons décidé.

N'est-il pas problématique de programmer la fermeture de 12 à 14 réacteurs et, dans le même temps, de se lancer dans un nouveau programme nucléaire ? Pensez-vous qu'il faudra revenir sur ces fermetures dans le projet de loi dont nous allons débattre ?

Au reste, qui va payer ? Nous devons le savoir avant l'ouverture du débat, le 17 janvier ! Quel sera précisément le montage financier ? EDF ne peut pas tout payer et, dans quinze ans, être obligée de vendre ses bijoux de famille aux acteurs privés. Si EDF paie à 100 %, il ne peut plus y avoir d'Arenh 2.0, surtout dans la situation actuelle. Ce discours était ultraminoritaire lorsque je le tenais il y a trois ans, mais la situation politique a évolué, et aujourd'hui tout le monde le dit. Je m'en réjouis, mais il faut réformer.

J'ai une vision de ce que doit être le marché européen, mais nous aurons l'occasion d'en discuter en janvier prochain.

Nous devons avoir, sur cette question, des réponses précises, qui devront figurer dans le projet de loi. Il ne faudrait pas que l'on nous reproche, dans quinze ans, de ne pas avoir été prévoyants au moment de notre vote.

Mme Sylviane Noël. - On mesure, à travers votre exposé, le travail colossal qui vous attend pour tenter de sortir notre pays de la grave crise énergétique que nous rencontrons après une série de renoncements, très emblématiques du passage d'un État stratège à un État très bavard et impotent.

Vous nous parlez de 2035 pour la mise en oeuvre de ces nouveaux réacteurs. Cela m'inquiète : comment satisfaire d'ici là nos besoins énergétiques, qui ne feront que croître ? Va-t-on devoir s'habituer à des périodes de délestage et à des coûts d'électricité difficilement supportables ?

Enfin, pouvez-vous nous expliquer pourquoi notre pays n'a pas encore réussi à obtenir la décorrélation des prix de l'électricité et du gaz, comme l'Espagne et le Portugal ont réussi à le faire ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur Veyrenc, vous avez évoqué la disponibilité aujourd'hui, qui, avec 41,3 gigawatts, est supérieure à celle que l'on pouvait espérer. Si les trois réacteurs que vous avez évoqués sont opérationnels d'ici à Noël, et si un autre l'est au début du mois de janvier, quelle sera la capacité disponible ?

Comment appréhendez-vous notre niveau actuel de dépendance aux compétences étrangères ? Nous avons entendu, voilà quelques jours, que des ingénieurs américains étaient mobilisés sur un certain nombre de nos sites.

Dans la même ligne, pensez-vous que le maillon des sous-traitants et des industriels de l'amont soit aujourd'hui solide et capable de répondre aux enjeux ? Sinon, que préconisez-vous ?

M. Patrick Chauvet. - Si l'on a souffert d'un manque de stratégie, je suis heureux que l'on ait maintenant une démarche prospective.

Je me réjouis également que l'on ait rappelé l'existence, en France, d'une production d'origine hydroélectrique - ce n'est pas rien.

Je suis surpris que vous n'ayez pas évoqué les nouvelles technologies, notamment le projet Iter, quand les États-Unis progressent sur le projet de fusion. Cela veut-il dire que vous n'y croyez pas ? Dans le cas contraire, nous serons très proches des échéances que vous évoquez, et, en cas de succès, cela changera la donne du programme.

M. Thomas Veyrenc. - Sur la disponibilité du nucléaire, nos prévisions ne sont pas construites réacteur par réacteur : nous estimons la disponibilité globale du parc, sur le fondement d'une vision probabiliste des aléas. Nos trajectoires ont été largement respectées au cours des trois derniers mois. On atteindra, je pense, une disponibilité de 41 ou 42 gigawatts au début du mois de janvier 2023. Bien sûr, je préférerais que l'on ait 55 gigawatts, comme c'était le cas naguère, mais notre adaptation à la situation actuelle - notre parc nucléaire qui produisait plus de 400 térawattheures n'en produira que 280 cette année - relève tout de même de la prouesse. Si nous atteignons 45 gigawatts en janvier, la situation sera meilleure que celle que nous projetions en septembre dernier.

Devrons-nous prévoir des délestages au cours des prochaines années ? Je ne crois pas, en tout cas, je ne l'espère pas. La France était un pays exportateur d'électricité et je pense qu'elle le redeviendra. Elle exportait beaucoup d'électricité, 80 térawattheures entre 2000 et 2010 et on pouvait encore exporter 50 ou 60 térawattheures il y a quelques années. Cette année, exceptionnellement, la France est importatrice d'électricité, mais elle ne devrait plus l'être en 2023 et devrait retrouver ensuite un solde positif.

Pour boucler notre trajectoire, il nous faut augmenter la production, notamment décarbonée, d'électricité, en actionnant plusieurs leviers : garder le parc nucléaire existant, donc ne pas fermer de réacteur ; permettre à notre parc de retrouver son niveau de production antérieur - je pense que l'on n'atteindra plus 400 térawattheures, mais une production de 350 térawattheures serait beaucoup plus confortable pour nous - ; et développer les énergies renouvelables. RTE a dit clairement dans son rapport sur Futurs énergétiques 2050 que, à l'horizon de 2030, le scénario le plus efficace du point de vue économique, des émissions de COet de la sécurité de l'approvisionnement sera celui qui combine le maintien du parc existant et le développement des énergies renouvelables, tout en faisant des efforts d'efficacité énergétique, voire de sobriété.

M. Guillaume Dureau. - Sur l'approvisionnement d'uranium, je rappelle que nous proposons de la fourniture d'uranium, mais qu'EDF décide ensuite souverainement de sa politique d'achat et il est de bonne politique de diversifier ses sources d'approvisionnement.

Orano a une politique volontaire de diversification des mines : nous avons des mines au Niger, au Canada, au Kazakhstan, nous mettons en place des pilotes en Mongolie et nous avons de projets miniers en Ouzbékistan. Cela couvre un spectre assez large de pays et de techniques. L'enjeu est de le développer l'outil industriel en France.

Sur le développement des métiers, tout ne se fait pas en un instant, mais il y a une volonté forte d'avancer dans la filière, au sein du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen), qui a constitué une université fédérant les formations dont les donneurs d'ordre et le tissu industriel ont besoin. Nous avons besoin de « cols bleus », les soudeurs en sont un exemple, mais ce n'est pas le seul métier. Nous devons faire évoluer ces métiers pour les adapter aux connaissances du XXIe siècle ; par exemple, la radioprotection ne se fait plus de la même manière qu'il y a vingt ans. Nous avons également besoin d'ingénieurs. On cite souvent les écoles d'ingénieurs, mais on forme aussi à l'université de très bons ingénieurs, qui n'en ont pas forcément le diplôme. Un master 2 peut avoir le niveau de compétences requis et nous y avons recours.

EDF a le plan Excell ; son pendant chez Orano est le plan Boost. En tant que sponsor de ce plan, j'échange très régulièrement avec le responsable du plan Excell chez EDF. Nous avons décidé ensemble de clore le plan pour passer à la phase de déploiement, qui comprend la maîtrise des projets et qui garantit que nous n'entrions pas dans une guerre de talents entre nous. Nous devons au contraire travailler dans une concertation intelligente.

Sur la saturation des piscines de La Hague, nous tâchons de résoudre ce problème avec EDF et sous l'oeil vigilant de l'ASN. C'est une menace d'engorgement pour la filière. La première piste consiste à étudier comment densifier ces piscines. La date de 2030 a été citée, la saturation peut intervenir un peu plus tard. Nous avons un peu de temps, mais nous n'ignorons pas le sujet.

Monsieur Tissot, vous me posez une question spécifique sur le site des Bois Noirs. Je n'ai pas tous les éléments de réponse. Je n'avais pas connaissance de la lame d'eau. La station de traitement mise en place avait une efficacité de 98 % et des améliorations du procédé ont été entreprises par filtration sur zéolithes dans les grands bassins, en septembre dernier. Le passage de débordement que vous évoquez semble postérieur à cette date. Je ne sais pas exactement vous répondre. Je vous communiquerai les éléments ultérieurement.

M. François Jacq. - En complément des propos de M. Guillaume Dureau sur l'approvisionnement en uranium et notre dépendance vis-à-vis de l'étranger, je souhaite rétablir quelques ordres de grandeur sur notre consommation et notre dépendance en uranium. Des dépendances vis-à-vis de l'étranger, nous en aurons toujours, il est illusoire de penser que l'on peut viser l'autarcie. L'essentiel est de cartographier et de savoir gérer ces dépendances, sur des métaux critiques, l'uranium ou autre. Sur l'approvisionnement en uranium, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) précise que, pour le parc mondial actuel, nous disposons de 135 années de stock, éventuellement 90 à 100 années si l'on accroît fortement le parc. Cela fixe l'horizon de temps du cycle et le moment auquel nous aurons besoin de réacteurs d'une autre nature, comme les protons rapides, qui permettrait une meilleure consommation de la matière et de ne plus dépendre de l'approvisionnement en uranium naturel. Cela n'exonère pas de s'en occuper dès maintenant, mais il faut savoir raison garder.

Je passe à la question des déchets. Vous avez raison, il faut faire de la pédagogie sur les déchets. Je suis étonné de ce point de fixation dans le public, alors que le traitement est extrêmement bien géré, avec beaucoup de rigueur, par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). On peut expliquer aux citoyens assez facilement que le risque lié aux déchets doit être relativisé. Il en va de même avec les questions liées à Cigéo. Ce centre a des flexibilités, des inventaires permettant de traiter les marges. Ce sujet n'est pas figé, il y aura toujours de la production de déchets, mais le fait d'avoir prouvé une faisabilité, d'en avoir évalué la sûreté nous met sur la voie du traitement des déchets. Ce point ne m'inquiète pas outre mesure.

Sur les formations, un chercheur, c'est cinq ans de formation : la thèse et le post-doctorat. Donc, ne rêvons pas : il ne sera pas évident de faire des milliers de recrutements. En revanche, le fait d'avoir une perspective, de l'innovation nous permet d'attirer les jeunes.

J'en viens aux annonces du DOE de mardi dernier. Il s'agit de fusion par confinement inertiel. Ce sont des lasers ; rien à voir avec la voie d'Iter. Le National Ignition Facility (NIF), au Lawrence Livermore National Laboratory, correspond, plus ou moins, en France, au programme Laser Mégajoule de la direction des applications militaires : il s'agit d'une installation permettant de conduire des expériences de simulation quand on ne peut plus faire d'essais d'armes nucléaires. Le NIF a obtenu un stade dit de break even : la quantité d'énergie renvoyée par une microbille de tritium deutérium a été supérieure à l'énergie envoyée. Cela ne veut pas dire que le processus est producteur d'énergie parce que, si l'on intègre toute l'énergie consommée, tout au long de la chaîne, ce n'est pas globalement positif. Ce n'est que comparé à l'énergie qui arrive sur la sphère que la production est positive. C'est une magnifique réalisation toutefois et nous en aurons des échos du côté de la direction des applications militaires, car le projet Laser Mégajoule est tout aussi excellent et devrait produire le même genre d'effets.

Je termine avec la voie dite par confinement magnétique. Il s'agit non de faire des microcibles avec des lasers, mais d'étudier des processus ayant vocation à devenir industriels plus rapidement. Il s'agit de confinement par des aimants - on rapproche les particules - dans un tokamak. Vous me demandez quand le projet Iter, ou son successeur, produira de l'énergie de fusion. Selon moi, au cours de la deuxième moitié de ce siècle, au plus tôt. M. Bernard Bigot était plus optimiste, j'ai une pensée émue pour lui, mais, pour ma part, je pense que ce sera à la fin du siècle.

M. Bernard Doroszczuk. - Monsieur Salmon, nous avons demandé à EDF de tenir compte, pour l'EPR2, du retour d'expérience de l'EPR de Taishan sur le combustible et l'hydraulique dans la cuve.

Sur la saturation des piscines d'entreposage de La Hague, tout passera par l'anticipation, c'est le mot clef. Ce phénomène était anticipé depuis plus de dix ans. La nécessité de prévoir un projet complémentaire développé par EDF, avec une piscine centralisée, était prescrite par voie réglementaire. Les échéances n'ont pas été respectées. Aujourd'hui, le projet connaît des difficultés et il ne sera pas disponible avant 2034, alors que les piscines seront saturées avant 2030, peut-être en 2029. Il faudra donc gérer la période 2029-2034. Nous travaillons donc sur les demandes d'Orano pour pouvoir densifier les piscines actuelles, afin de trouver une parade. Cela illustre parfaitement l'enjeu de l'anticipation.

Monsieur Montaugé, j'évoquais le risque d'avoir la prolongation des réacteurs actuels comme variable d'ajustement ; c'est, là encore, un défaut d'anticipation. Nous devons absolument programmer rapidement les opérations de toute nature requises pour passer la période 2022-2035 - l'augmentation des besoins en énergie électrique sans projet nucléaire nouveau - et la période au-delà de 2035, notamment l'effet falaise : les réacteurs actuels s'arrêteront bien un jour et 75 % d'entre eux ont été construits sur une période de dix ans. Aussi, sur une période de dix ans, ces 75 % s'arrêteront.

M. Franck Montaugé. - Sommes-nous certains de la disponibilité des EPR2 en 2035 ou 2037 ?

M. Bernard Doroszczuk. - On n'est sûr de rien. On n'a rien démontré à ce stade, mais je ne dis pas non plus qu'il est impossible de poursuivre l'exploitation des réacteurs actuels au-delà de cinquante ou soixante ans. Pour l'instant, nous nous sommes limités à autoriser une exploitation jusqu'à l'échéance de cinquante ans, car c'était ce qui nous était demandé. Toutefois, pour se projeter au-delà, il faut s'en préoccuper maintenant, car la hauteur de la marche est considérable. Il faut avoir une vision planifiée, qui n'inclut pas que le nucléaire, mais qui intègre aussi le renouvelable, l'efficacité énergétique, etc. C'est indispensable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Personne ne coordonne tout cela ?

M. Bernard Doroszczuk. - Monsieur Michau, vous soulevez la question des réacteurs souffrant de corrosion sous contrainte. La corrosion sous contrainte est un sujet sérieux, mais traité très sérieusement par EDF. Les décisions prises au premier semestre 2022 ont été lourdes de conséquences sur la disponibilité du parc, mais elles étaient indispensables. Il n'y avait aucun moyen de savoir où étaient les fissurations, quelle était la faille, ni la matière de les traiter. Il n'existait aucun retour d'expérience international permettant de faire autrement. Nous disposons maintenant d'une analyse étayée, sur le fondement de laquelle nous avons accepté la priorisation proposée. La priorité porte sur 16 réacteurs et certains d'entre eux ont déjà été mis à l'arrêt et réparés. Ce problème n'explique donc pas toute l'indisponibilité des réacteurs. Ces 16 réacteurs - les 4 réacteurs N4 et les 12 réacteurs du palier P'4 - doivent être réparés par EDF à l'occasion des arrêts programmés d'ici à fin 2023. Telle est la stratégie d'EDF.

Monsieur Tissot, je confirme les propos de François Jacq : on n'évitera jamais les déchets. Je confirme aussi que nous n'avons pas à rougir de notre gestion des déchets, nous ne souffrons pas de la comparaison avec le reste du monde. Nous nous attirons plutôt les louanges de l'AIEA sur notre gestion des déchets. Pour le projet Cigéo, nous sommes parmi les pays du monde les plus avancés pour trouver une solution à ce problème.

Cela illustre bien le fait que, dans vos discussions, vous devez avoir une approche systémique : nous sommes face à un système, on ne peut pas séparer la production électronucléaire de l'aval ni de l'amont du cycle, ni non plus de la gestion des déchets. C'est l'ensemble du système qui doit faire l'objet d'une vision intégrée et d'une programmation.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Personne n'en est chargé, c'est terrifiant...

M. Luc Rémont. - Sur le risque que les EPR 2 ne soient pas prêts à temps et que le parc actuel soit la variable d'ajustement, je vais répéter les propos du président Doroszczuk : nous devons aborder la prolongation de la durée de vie du parc avec un prisme industriel et une vision de la sûreté. Nous apprenons énormément en travaillant sur la corrosion sous contrainte, un phénomène inattendu, en examinant l'état des tuyauteries et des soudures. Nous aborderons donc les visites décennales suivantes forts de ces leçons. L'objectif est de convaincre d'abord nous-mêmes puis l'ASN de la possibilité de prolonger au-delà de cinquante ans l'exploitation des réacteurs existants, car c'est l'intérêt du pays. Je ne vois pas, à ce stade, de raison de ne pas pouvoir aller au-delà de cinquante ans, comme les Américains l'ont fait sur des réacteurs de conception proche, à condition d'étudier cela de façon systémique.

Néanmoins, il est indispensable d'aller le plus vite possible sur la construction d'un parc neuf, parce que la consommation électrique augmente et parce que, quand notre parc nucléaire n'est pas en mesure de produire au maximum de ses capacités, la stabilité de l'ensemble de notre production électrique ne suffit pas à assurer notre autosuffisance, ce qui nous contraint à importer.

Le législateur a-t-il une place dans la définition du montage financier ? Soyons clairs, à la fin, il n'y a que deux personnes qui peuvent payer : le client - ou usager, selon la terminologie que l'on choisit - et le contribuable.

M. Jean-Claude Tissot. - Ce sont les mêmes !

M. Luc Rémont. - Non : le client veut des mégwattheures en échange, il paie pour un service. Le contribuable vous délègue la faculté de décider à sa place l'usage des sommes collectées. EDF vend un service à ses clients et elle souhaite vendre un service au prix correspondant aux coûts engagés sur la durée, ce qui doit inclure les coûts complets du cycle et du renouvellement. Peut-elle le faire dans l'état actuel du droit ? Non.

M. Fabien Gay. - Alors, il faut le dire !

M. Luc Rémont. - Mais je le dis. C'est un des sujets sur lesquels nous devons travailler. J'ai commencé à le faire, mais je ne suis là que depuis trois semaines, il me faut encore un peu de temps pour faire évoluer les règles de marché dans cette voie, de concert avec les autorités gouvernementales et communautaires.

Du reste, cela peut ne pas suffire. Il y a d'autres industries énergétiques qui ne trouvent pas leur financement complet au travers de leurs ventes ; ils recourent donc au soutien public, comme les énergies renouvelables, mais également les centrales à gaz. Le fait d'avoir un modèle économique qui soit le plus proche possible du coût complet peut ne pas suffire dans le dispositif de financement, auquel cas, il faudra définir un dispositif qui permette de le compléter, par des garanties ou par des financements publics, comme cela existe dans d'autres pays.

Nous avons d'ailleurs récemment conclu un accord sur le projet Sizewell, avec un dispositif de financement accompagné par les autorités britanniques. C'est l'ensemble de ce dispositif qu'il nous faudra élaborer, mais il nous reste un peu de temps puisque nous sommes à plus d'une année de la décision finale d'investissement.

Quelles réformes de marché faut-il prévoir ? Le marché d'aujourd'hui a des qualités : il permet notamment l'équilibre de court terme. Mais il a aussi des défauts, mis en lumière par la situation de crise énergétique à l'échelle européenne. Tout d'abord, le couplage gaz-électricité induit une hyper volatilité des prix de l'électricité. Ensuite, dans la mesure où le marché est orienté vers le court terme, il ne donne pas de signal d'investissement et il ne permet pas d'établir un équilibre de long terme entre des producteurs et des clients finaux. Il revient aux autorités gouvernementales de définir les règles de marché à l'échelle communautaire - je sais que le gouvernement français y travaille très activement. Il faudrait, selon moi, mettre davantage l'accent sur la faculté de conclure des contrats de long terme à la place d'une régulation qui oblige l'exploitant nucléaire à vendre sa production à un prix fixé de façon administrative. C'est sur cet axe-là qu'il faudrait, à mon sens, forger les futures règles de marché.

Je ne reviens pas sur Cigéo, largement évoqué par François Jacq, ni sur le risque géopolitique puisque Guillaume Dureau vous a répondu. J'ajoute simplement que la stratégie d'approvisionnement d'EDF repose très fortement sur une collaboration étroite avec Orano, mais pas uniquement. Nous avons aussi une stratégie de contrats de long terme et de sources diversifiées d'approvisionnement afin de limiter nos risques, comme le ferait n'importe quel industriel.

M. Michau m'a demandé combien de réacteurs seraient à l'arrêt début 2023. Aujourd'hui, quinze réacteurs sont en arrêt pour travaux, dont huit en arrêt programmé au titre des visites décennales et des visites périodiques. Six réacteurs sont encore en travaux dans le cadre de la corrosion sous contrainte. Ces travaux vont se poursuivre dans les semaines et les mois qui viennent, même si nous essayons de faire le plus vite possible. Par ailleurs, le réacteur de Flamanville 1 fait encore l'objet de contrôles dans le cadre de la corrosion sous contrainte. En janvier, la vie du parc va continuer : un certain nombre de réacteurs vont être rattrapés par les besoins qu'il s'agisse de rechargement de combustible, de visites périodiques, de visites décennales, etc. Je ne suis donc pas en train de vous dire que nous allons raccorder tous les réacteurs au fur et à mesure. L'objectif est simplement d'atteindre en janvier une disponibilité de 45 gigawatts.

Vous m'avez questionné sur la sobriété. Le prix de l'électricité est certes un élément déterminant pour les clients, mais tous, selon leur catégorie, n'ont pas la même réaction face à l'augmentation des prix. Pour autant, les particuliers ont suivi de façon assez remarquable les différents appels à la sobriété qui ont été lancés. Ils ont ainsi massivement contribué au fait que nous soyons aujourd'hui en situation d'équilibre. S'agissant des entreprises, je suis extrêmement sensible - je l'avais déjà précisé lors de mon audition - à l'impact qu'ont les prix sur certaines d'entre elles. Nous avons exécuté le plus vite possible les dispositions décidées par le Gouvernement pour mettre en place des amortisseurs sur les prix. Quoi qu'il en soit, la logique de sobriété devra être respectée tout l'hiver même si nous sommes en train de discuter de règles de marché pour calmer la volatilité des prix.

Pour ce qui concerne EDF, si nous étions autorisés à conclure avec la plupart de nos clients des contrats de long terme compatibles avec le coût complet du renouvellement de notre parc, nous serions très en dessous des prix du marché actuel. Mais il faudrait que les règles de marché nous le permettent, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

En réponse à M. Salmon, je reprends à mon compte les propos de M. Bernard Doroszczuk sur les conclusions tirées de Taishan. J'ajoute que pour la partie combustible et assemblage, nous en avons tiré les conséquences dès Flamanville 3. Pour l'EPR2, cela se fera directement sur le circuit hydraulique.

En ce qui concerne l'aval et la saturation des piscines de La Hague, je souscris à la réponse de M. Guillaume Dureau. Nous travaillons main dans la main avec l'ASN et Orano pour trouver une solution. J'ajoute que je me suis rendu dès ma prise de fonction auprès des élus de la Manche pour discuter avec eux de ce sujet, après avoir visité Flamanville 3.

Mme Gacquerre a soulevé la question des modalités de financement. Il va falloir me laisser encore un peu de temps, mais je prends l'engagement de revenir devant vous dès qu'un dispositif sera complètement instruit. Sur la gestion des déchets, je partage les propos de mes collègues : il s'agit effectivement d'un élément clé de l'ensemble du cycle. L'économie du futur du nucléaire devra absolument intégrer l'aval du cycle. En ce qui concerne les démantèlements, neuf réacteurs sont en cours de démantèlement. Je ne peux pas vous confirmer le chiffre que vous citez de 400 millions d'euros par réacteur, car EDF révise régulièrement ses coûts. Nous commençons à démanteler les premiers réacteurs à eau pressurisée. Nous pouvons aussi tirer les leçons de ces premiers démantèlements pour optimiser les procédures et amener l'exercice au bon niveau de maîtrise industrielle.

J'espère avoir répondu à la question de savoir qui allait payer, posée par M. Gay. L'attractivité de la filière nucléaire est un sujet absolument essentiel. Pour m'être beaucoup déplacé sur le terrain, je ne suis pas inquiet en termes de qualité des compétences. Nous avons en revanche un problème de quantité, car la filière n'a pas construit depuis longtemps de façon industrielle. Notre pays s'est également un petit peu contracté sur les métiers techniques en général. Par ailleurs, nous allons avoir besoin de beaucoup de main-d'oeuvre. C'est le cas temporairement aujourd'hui à cause de la corrosion sous contrainte, mais ce sera aussi le cas demain où nous devrons cumuler à la fois la construction neuve et les travaux de maintenance du parc, qui sont aussi compliqués à mettre en oeuvre que la construction neuve. Nos besoins vont donc croître massivement, même par rapport à ce que nous avons connu lors de la construction neuve du premier parc. L'effet démographique se fera sentir sur tous les métiers techniques lesquels sont tous d'égale importance. Voilà ce qui nous attend pour les deux prochaines décennies. Nous le prenons comme un plan industriel, nous allons continuer à engager des initiatives. L'école des métiers, par exemple, que certains ont évoquée, est un concept dans lequel je crois.

Enfin, nous sommes un grand pays, mais notre population n'est pas non plus infinie. Lorsqu'EDF continue de faire des projets à l'étranger, c'est aussi pour étendre notre bassin d'emplois, notamment au moment des pics. Nous n'allons pas avoir affaire à un plateau uniforme pendant vingt ans et nous aurons besoin, sur des périodes limitées, à toutes les compétences possibles.

Mme Noël m'a demandé comment remplir les besoins énergétiques d'ici à l'arrivée des nouveaux réacteurs. Nous avons d'autres investissements que le nucléaire, comme l'a précisé Thomas Veyrenc. Peu importe de savoir quel sera modèle le plus exact à vingt ans, car si l'on procède ainsi on est sûr de se tromper ! Ce qui compte, c'est d'avoir une carte des possibilités, comme le propose RTE. À nous d'apprendre à naviguer au sein de cette carte en fonction de ce que nous parviendrons à faire dans toutes les technologies. Ma seule certitude à ce stade, compte tenu des besoins de décarbonation, c'est qu'il nous faut faire tout ce que nous pouvons le plus vite possible. Toutes les technologies n'ont pas le même temps. Le temps du nucléaire est le plus long, d'où l'objet de votre projet de loi qui permet de le comprimer le plus possible pour la partie autorisations et préchantiers. Nous essayons d'en faire autant pour la partie chantiers, mises en service, etc.

J'ai répondu à la question de Mme Loisier sur notre dépendance aux compétences étrangères. En ce qui concerne la qualité de la filière sous-traitance, ma réponse sur les compétences au sein d'EDF vaut pour toute la filière. Nous avons une filière de qualité, le problème porte plutôt, encore une fois, sur la quantité si nous voulons être capables de répondre aux enjeux d'avenir.

M. Chauvet a obtenu de mes collègues une réponse assez précise sur l'arrivée de nouvelles technologies. J'y crois moi-même beaucoup. Je viens d'une entreprise de technologie, il ne faut surtout pas que nous sous-estimions ce que la technologie peut continuer de nous apporter. François Jacq a parlé de stockage, de nouveaux types de réacteurs, de gestion intelligente des réseaux : ce sont autant d'éléments clés sur lesquels nous travaillons main dans la main avec le CEA.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il me reste à vous remercier tous les cinq de cette audition certes un peu longue, mais qui méritait le temps que nous lui avons consacré.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Dominique Estrosi Sassone rapporteur pour avis sur la proposition de loi n° 174 (2022-2023) visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.

La réunion est close à 12 h 30.