Musée universel

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation d'accords entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Émirats Arabes Unis relatifs au musée universel d'Abou Dabi.

Discussion générale

Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme.  - Le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord de coopération pour la création d'un musée universel à Abou Dabi. A l'automne 2005, les autorités de l'émirat d'Abou Dabi avaient en effet sollicité l'aide de la France et du Louvre en vue de concevoir un musée national du niveau des plus grandes institutions. Ils demandaient aussi la mise en place, pour la période intermédiaire, d'un musée universel, de renommée internationale : le Louvre Abou Dabi.

Les Émirats Arabes Unis, au carrefour du Moyen Orient et de l'Asie, à mi-chemin entre l'Asie et l'Europe, ont l'ambition de devenir la plaque tournante de l'art et de la culture dans cette partie du monde.

L'ampleur et la nature du projet, inédit en France comme à l'étranger, soulevaient un certain nombre de questions. Était-il judicieux de s'engager dans une région aussi sensible ? Était-il opportun d'apporter la prestigieuse caution culturelle du Louvre à un projet qui semblait s'inscrire dans un futur complexe touristique ? Enfin, avions-nous les moyens de répondre à une telle demande ?

La France a finalement choisi d'encourager la volonté d'ouverture des autorités émiriennes ; elle a vu là une chance exceptionnelle de dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident. Elle a été également sensible au concept de l'île de Saadiyat, qui certes a des visées touristiques, mais également des ambitions culturelles. Tandis que Dubaï propose une base de loisirs, Abou Dabi entend faire découvrir l'art classique, contemporain et islamique. Notre pays dispose en outre d'une expertise de premier plan, de grandes institutions patrimoniales, de conservateurs de haute compétence.

La négociation a porté essentiellement sur le rôle du musée au service du dialogue des cultures, sur la garantie de qualité scientifique et artistique de la future institution et sur la juste rémunération des musées français, fortement sollicités.

La France entendait que la création de ce musée apporte un message universel et humaniste et témoigne du rapprochement entre les civilisations, contre les violences du monde. Pour elle, le Louvre Abou Dabi, comme le musée qui lui fera suite, se devait de satisfaire des critères de qualité et de déontologie les plus exigeants.

Les contreparties financières, plus d'un milliard d'euros sur trente ans, bénéficieront dans leur totalité aux musées de France, le musée du Louvre en tête, pour des projets scientifiques nouveaux.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, la France a proposé une aide globale. Une agence a été créée, l'Agence France Muséums, émanation de douze établissements publics patrimoniaux, dont le Louvre, membre de droit. L'État y est représenté par deux censeurs, l'un du ministère de la culture, l'autre du ministère des affaires étrangères, garant de la bonne exécution des obligations prévues et des intérêts de la France. L'agence accompagnera le projet jusqu'à sa réalisation.

Pour une période de dix ans, dans l'attente de la constitution de la collection du musée d'Abou Dabi, seront prêtées, pour des durées allant de six mois à deux ans, des oeuvres issues des collections du Louvre, d'autres musées nationaux et de tous les musées français qui le souhaiteront. Pendant quinze ans, la France programmera des expositions temporaires. Pour la constitution de la collection émirienne, des experts français proposeront une stratégie d'acquisition.

Enfin, la France conseillera Abou Dabi pour la future structure de gestion du musée, participera à la formation des cadres et accompagnera pendant vingt ans le musée afin de conforter sa place parmi les institutions culturelles internationales.

Des inquiétudes se sont exprimées face à une coopération aussi novatrice : la violation de l'inaliénabilité des collections publiques, la perte de leurs oeuvres majeures par les musées français, la censure et les risques de marchandisation. Il n'en est rien. Et la présence ici de Mme Albanel, pour répondre à toutes vos interrogations, témoigne de l'attachement du ministère de la culture à ce projet.

Au delà de la controverse, le Louvre Abou Dabi constitue un formidable vecteur de rayonnement de la culture. Il représente un défi que la France, au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations, se devait de relever. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Je concentrerai mon propos sur la controverse suscitée par ce projet, dès le stade des négociations. Les critiques ont émané notamment des conservateurs de musée. Déjà en 1962, le prêt de la Joconde aux États-Unis avait provoqué l'opposition des conservateurs au ministre André Malraux. Mais la tâche des conservateurs est plutôt de conserver que d'accepter l'aventure...

Je regrette que le précédent gouvernement n'ait pas pris la peine d'informer le Parlement du lancement et du déroulement des négociations, ce qui aurait sans doute désamorcé certaines critiques. Je salue à cet égard l'initiative de notre commission des affaires culturelles qui, dès le mois de janvier dernier, a auditionné les protagonistes de ce débat. Ses travaux m'ont fourni une aide précieuse dans l'élaboration de mon rapport !

Trois principaux reproches ont été formulés à l'encontre de ce projet.

Le premier a porté sur l'emplacement du musée, certains y voyant un choix plus politiques que culturel, et n'hésitant pas à comparer Abou Dabi à une cité pour milliardaires, une sorte de Las Vegas -ville horrible...

M. Pierre Fauchon. - Allons ! C'est amusant !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Quoi qu'il en soit, le reproche ne me semble pas fondé. Pour préparer l'après-pétrole, les Émirats Arabes Unis s'engagent dans une diversification de leur économie et l'ouverture de leur société. Dubaï a fait le choix du commerce et de la finance ; il est devenu la première plateforme aéroportuaire de la région. Pour sa part, Abou Dabi a l'ambition de devenir le coeur de la région couvrant le Golfe, l'Asie, l'Australie, l'Inde -voire, un jour, l'Irak et l'Iran- pour l'enseignement supérieur et la culture. Autrement dit, le lieu de rencontres et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents.

L'émirat a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendrait plusieurs musées, dont un maritime et un d'art moderne. Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française avec l'installation, à l'automne 2006, d'une antenne de la Sorbonne, il a à nouveau demandé l'aide de la France, cette fois pour un musée.

Ce musée sera universel, avec des collections couvrant toute les périodes et l'ensemble des aires géographiques, le tout présenté en faisant appel aux techniques les plus modernes. Sa conception a été confiée à M. Jean Nouvel, qui a déjà réalisé le musée du quai Branly. Il s'agira donc non d'une antenne du Louvre, mais d'un musée émirien bénéficiant de l'expertise française.

Cette coopération culturelle d'une ampleur inédite s'inscrit dans les relations entre civilisations d'Orient et Occident, dans une région où les échanges culturels et artistiques participent à la lutte contre Les identités meurtrières, pour reprendre le titre prémonitoire d'un livre publié par Amine Maalouf il y a sept ou huit ans et dont je ne saurais trop recommander la lecture. Or, ces identités meurtrières font des ravages dans le monde arabe, mais aussi chez nous. Les fermetures culturelles face à la mondialisation doivent nous inquiéter, et ce projet contribue à y faire obstacle.

La deuxième source de préoccupation concernait le nombre élevé d'oeuvres d'art prêtées, mais il faut relativiser l'ampleur de ces prêts. Je pense notamment au précédent d'Atlanta. Concrètement, il est envisagé de prêter des oeuvres au cours des dix premières années. Une partie proviendra du Louvre, mais d'autres musées comme celui d'Orsay participeront au dispositif. Pendant cette période, les Émirats Arabes Unis devront acquérir leurs collections permanentes. Ainsi, les trois premières années, la France prêtera 300 objets, puis 250 au cours des quatre années suivantes, enfin 200 les quatre dernières. Chaque pièce sera prêtée pour une durée allant de six mois à deux ans. Je rappelle que 35 000 sont exposées au musée du Louvre, sur les 445 000 que celui-ci possède. Chaque année, il en acquiert 200 à 300, prête plus de 4.400 pièces en France ou à l'étranger et en reçoit un millier. Les galeries de nos musées ne seront donc pas dégarnies. En outre, chaque prêt sera concédé sur la base du volontariat, sous le contrôle d'une commission scientifique et en respectant les règles applicables aux musées nationaux.

Enfin, ce sont les conditions financières qui ont suscité le plus grand nombre de critiques dans les milieux artistiques, certains conservateurs dénonçant la fin de la gratuité des prêts entre musées. La marchandisation de la société justifie certes que l'on s'inquiète de la voir gagner les musées de la République, mais ceux qui ont le plus critiqué la contrepartie financière les ont pratiquées lorsqu'ils dirigeaient de grands musées, sans que le fonctionnement du musée d'Orsay, par exemple, en ait été bouleversé. (M. le président de la commission approuve) En outre, la contrepartie financière existe réellement depuis le milieu des années 1990. Il faut distinguer deux cas. Les musées disposant de riches collections échangent gratuitement leurs oeuvres, mais cette pratique ne concerne guère les musées disposant des collections réduites, ni même de nombreux musées américains, japonais ou canadiens, qui n'ont pas d'oeuvres à offrir en échange et qui doivent recourir au mécénat. Le prêt gratuit entre partenaires équivalents ne disparaîtra donc pas -fort heureusement !- mais le prêt avec compensation permet d'offrir à de nouveaux publics l'accès à des oeuvres de premier plan.

Enfin, le réalisme impose de mesurer l'intérêt pour nos musées du milliard d'euros versés en trente ans. Cette somme permettra de créer un grand centre accueillant les réserves du Louvre, celles du musée d'Orsay et d'autres musées de la capitale, menacées par la crue centennale de la Seine ; elle permettra d'achever le projet du Grand Louvre alors que le nombre annuel de visiteurs est passé de quatre à huit millions en vingt ans ; elle permettra d'aménager d'autres espaces, comme le pavillon de Flore. Enfin, certains musées pourront acquérir de nouvelles oeuvres, mais nous risquons là un conflit d'intérêts avec le musée d'Abou Dabi... Bien sûr, tout cela n'a de sens que si la subvention de l'État aux musées nationaux ne subit pas de réduction. Pouvez-vous, madame la ministre, confirmer l'engagement pris en ce sens à votre prédécesseur ?

Qu'on le veuille ou non, il y a aujourd'hui un marché de l'art, comme il y a un marché des universités. Ainsi, le Louvre est en concurrence avec le Metropolitan Museum de New York, le British Museum et les grands musées européens. Notre pays dispose de formidables atouts grâce à un patrimoine exceptionnel et à son expertise reconnue. Il faudra certes se garder des dérives commerciales, comme dans le cadre de la fondation Guggenheim, mais pourquoi le musée du Louvre ne pourrait-il pas bénéficier de ses atouts dans la dure compétition culturelle mondiale ? Cette interrogation s'inscrit dans la perspective du rapport sur la mondialisation que M. Védrine vient de rédiger.

Je souhaite que le gouvernement informe la représentation nationale de l'avancement du projet, qu'il communique l'utilisation des sommes versées par les autorités émiriennes et qu'il rende publics les choix faits par l'Agence France muséums, dont j'estime qu'elle devrait adresser chaque année un rapport au Parlement. Nos commissions des affaires culturelles, des finances et des affaires étrangères pourraient organiser des auditions communes et veiller en particulier à l'utilisation des compensations recueillies.

L'accord entre le Louvre et Abou Dabi est novateur, donc risqué. Des sommes très importantes sont en jeu et il faudra être vigilant sur les aspects déontologiques. Un contrôle parlementaire régulier est donc nécessaire. Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères recommande d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements)

M. Philippe Nachbar, rapporteur, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.  - Il n'est pas courant que notre commission demande à se saisir pour avis d'un accord international, mais les accords passés entre la France et les Émirats Arabes Unis justifient pleinement que nous nous départions de notre habituelle réserve.

Leur dimension culturelle est attestée par le rôle déterminant joué dans la négociation par le précédent ministre chargé de la culture -M. Donnedieu de Vabres-, la directrice des musées, le président du Grand Louvre ainsi que plusieurs responsables de musées français. Cet exceptionnel projet illustre l'ouverture au monde de notre politique culturelle et notre souci de permettre à des visiteurs de découvrir l'art ailleurs que dans les grands musées. Dès le début de l'année 2007, notre commission a entendu la directrice générale des musées de France et le président du Grand Louvre.

Cet accord a suscité des inquiétudes. La première concernait les oeuvres prêtées, mais les chiffres montrent que cette préoccupation était excessive puisque, en réalité, les prêts s'étaleront sur dix années afin que le nouveau musée puisse acquérir des collections. Au cours des trois premières années, la France prêtera 300 oeuvres, puis 250 pendant les quatre années suivantes, enfin 200 les quatre dernières années. Chaque prêt durera six mois à deux ans. Au terme de ce processus, le nouveau musée aura acquis la totalité de ses collections.

Par ailleurs, la partie française choisira les oeuvres prêtées, après intervention d'une commission scientifique.

Ces règles s'appliqueront également aux quatre expositions temporaires que la France organisera chaque année pendant quinze ans.

Tous les musées inclus dans le périmètre de l'agence France Museum - par exemple Orsay, Versailles ou Chambord- seront mis à contribution pour le prêt d'oeuvres. Actuellement, les musées français prêtent entre 8 000 et 10 000 oeuvres chaque année, 1 500 pour le Louvre seul : cela relativise les chiffres annoncés pour Abou Dabi.

La deuxième critique concerne la sécurité des oeuvres. En fait, Abou Dabi est parfaitement équipé pour assurer la sécurité des oeuvres prêtées. De plus, les Français seront étroitement associés à la construction du nouveau musée ; la maîtrise d'oeuvre en est confiée à Jean Nouvel, l'établissement respectera les règlementations les plus modernes, assurant une sécurité supérieure à celle d'autres musées, plus anciens, auxquels nous prêtons des oeuvres. Du reste, l'accord prévoit des mesures conservatoires en cas de menaces pour la sécurité des oeuvres, jusqu'au rapatriement des oeuvres et la suspension de l'accord.

Troisième critique : les contreparties financières représenteraient une « marchandisation de l'art ». Or, le milliard d'euros sur trente ans servira à la restauration des oeuvres, à la rénovation des musées et à la formation des personnels. L'autorisation d'inclure le mot « Louvre » est strictement encadrée et sa compensation financière importante de 400 millions témoigne de la reconnaissance de notre premier musée national !

Ce projet contribue au rayonnement culturel de la France. Ce sont les autorités d'Abou Dabi qui, il y a deux ans, sont venues chercher le Louvre, pour son expertise muséographique, pour son prestige : nous devons être fiers de ces atouts ! Le Louvre mène déjà une politique internationale très active, comme en témoigne l'exposition qu'il a organisée au Japon en 2005 sur la peinture française du XIXème siècle, fréquentée par plus d'un million de visiteurs. D'autres grands musées font de même ; j'en veux pour preuve l'accord de partenariat entre le British Museum et le musée d'art islamique du Qatar.

Les sommes considérables apportées par ce projet, exonérées de tout prélèvement fiscal, iront à la rénovation des musées, à la restauration et à l'enrichissement des collections, elles accélèreront l'avancée du Grand Louvre ou encore la réalisation d'un centre de réserves commun au Louvre et au Musée d'Orsay. Dans une mission d'information, nous avions constaté il y a trois ans combien la conservation de nos oeuvres laissait encore à désirer.

Ce projet, enfin, contribuera au dialogue entre les cultures : le musée d'Abou Dabi a vocation universelle, il présentera des oeuvres de toutes les périodes et de toutes les régions du monde. Cette universalité est celle même dont rêvait André Malraux ; ne boudons pas notre plaisir d'associer la France à cette grande oeuvre ! Abou Dabi et les Emirats Arabes Unis ont décidé d'accorder une place prioritaire à la culture ; deux alliances françaises et une antenne de la Sorbonne y sont implantées depuis deux ans. Ce projet renforce le dialogue entre l'Orient et l'Occident : la commission des affaires culturelles vous invite à adopter ces trois conventions ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le projet du Louvre à Abou Dabi a suscité la polémique ; je regrette que les parlementaires n'aient eu à en débattre qu'une fois les accords signés : une véritable concertation était certainement requise pour un tel projet, où la coopération culturelle change d'échelle.

Cependant, comme le note le rapporteur, ces accords apportent des garanties juridiques sur le projet culturel et scientifique du musée, la conservation des collections, la qualité et la sécurité des oeuvres ou encore l'utilisation du nom du Louvre, et ils donnent lieu à des contreparties financières substantielles. Les musées en bénéficieront, pour autant que ces moyens nouveaux ne soient pas compensés par un retrait de l'Etat. Quant aux musées régionaux, dont les collections seront mobilisées, on regrettera que les collectivités locales, qui en ont la tutelle, n'aient pas été consultées.

Nous ne contestons pas l'intérêt d'un projet utile pour le rayonnement de la France, mais nous nous interrogeons sur les conséquences de la localisation du Musée d'Abou Dabi sur « l'île du bonheur », spécialement créée avec quatre musées, vingt-neuf hôtels, un parc d'attraction, trois marinas et deux terrains de golf. Le musée sera-t-il réservé aux seuls touristes riches ? Quid des populations locales ? Les accords ne disent rien sur la politique des publics, alors que le rôle des musées est de faire accéder aux oeuvres de l'esprit le plus grand nombre de citoyens.

Nous devons également nous assurer que nos musées ne se voient dépossédés des oeuvres majeures de leurs collections, qui seraient prêtées pour plusieurs mois au musée d'Abou Dabi. On sait que plusieurs chefs d'oeuvre déposés au High Museum d'Atlanta sont restés absents des collections françaises pendant de longs mois. Le public français se sentirait lésé mais aussi les touristes étrangers qui s'attendent en venant visiter le Louvre à y admirer La Joconde, Le Radeau de la Méduse ou la Vénus de Milo ; et quelle serait la déception de touristes qui ne trouveraient pas au Musée d'Orsay, Le déjeuner sur l'herbe de Manet !

Le Louvre et les autres grands musées français perdraient leur réputation et un nombre conséquent de visiteurs. Or ce sont trois cents oeuvres « d'une qualité comparable à celle du Louvre et des grands musées français » issues des collections publiques françaises -dont une « proportion raisonnable » issue des collections du Louvre- qui seront prêtées au cours des trois premières années par les musées français. A la lecture de ces conditions, nous avons besoin d'avoir des garanties quant à la présence des oeuvres qui font l'originalité, la notoriété et la cohérence des collections des grands musées français.

Face aux inquiétudes exprimées par certains collègues en commission des affaires culturelles nous avions évoqué, alors que les échanges internationaux d'oeuvres d'art entre les grands musées vont se multiplier dans les années à venir, la nécessité d'une charte déontologique sur les pratiques de gestion et d'entretien des collections en s'inspirant des principes posés par l'Unesco et l'International Council of Museums (ICOM). Cette charte de bonne conduite a-t-elle été élaborée ou est-elle en cours de rédaction au ministère de la culture ? En fixant des règles claires, nous rassurerons les professionnels des musées et la France anticiperait un phénomène qui va s'amplifier.

Le monde évolue, les échanges se développent. II ne s'agit aucunement de se replier sur soi, les partenariats avec les institutions étrangères doivent se diversifier ; ce n'est pas moi qui dirai le contraire. Mme la directrice des musées de France le sait, puisque la ville de Rouen est très active au sein du réseau des musées franco-américains -. Nous inaugurons d'ailleurs dans deux jours une magnifique exposition sur la « Mythologie de l'Ouest dans l'art américain », soutenue par le ministère, dont bénéficiera par la suite Rennes puis Marseille. Mais il faut que ce développement international soit maîtrisé et respectueux de l'esprit des Lumières qui a inspiré la vocation de nos musées. Ceux-ci ne sont pas reproductibles à l'infini et prêts à poser n'importe où. Ne perdons pas de vue que c'est leur caractère unique qui en fait, aussi, l'attrait et le rayonnement.

Madame la ministre, vous héritez d'un dossier sensible. Votre parcours professionnel vous rend particulièrement attentive à ces enjeux et je ne doute pas que vous saurez rassurer les professionnels des musées, en apportant les garanties culturelles et scientifiques nécessaires. Le groupe centriste votera ce projet de loi (Applaudissements à droite et au centre).

Mme Catherine Tasca- La Commission des affaires culturelles a eu bien raison de demander à se saisir pour avis de ce projet de loi car, même si on n'en sous-estime pas la portée diplomatique, cet accord international a surtout une portée considérable sur l'évolution de notre politique culturelle tant il innove dans la marche de nos musées nationaux, et dans leurs pratiques scientifiques et culturelles.

Levons ici quelques faux procès. Les échanges internationaux des musées sont nécessaires et fructueux sur le plan scientifique et culturel. On ne peut que se réjouir qu'ils sortent des frontières classiques du monde occidental. Les Emirats Arabes Unis, le public potentiel d'Abou-Dabi méritent notre coopération tout autant que New-York, Berlin, Londres ou Madrid. On ne saurait ignorer les enjeux de notre présence culturelle dans cette région du monde De même, nous savons bien que l'argent public se fait rare ; et il le sera de plus en plus du fait de la politique économique et budgétaire de ce gouvernement. Nous savons que le principe des prêts gratuits a connu depuis longtemps des accommodements par nécessité et que bien des expositions bénéficient du mécénat privé.

Mais avec ce projet d'Abou Dabi l'exception devient la règle et le concours financier devient le moteur, le donneur d'ordre. Ce n'est donc pas une simple évolution, un petit changement. Cette affaire nous oblige à ouvrir un vrai débat sur le sens et l'avenir des politiques culturelles publiques, notamment muséales.

Je vais droit au but. Personnellement je m'abstiendrai, car j'ai trois réserves majeures sur la manière dont ce projet est conduit. Premièrement, il a été élaboré dans des conditions de non-transparence, presque de secret, très contestables qui devaient inévitablement faire polémique -et ça n'a pas manqué- et créer le soupçon, la crainte d'une marchandisation des collections nationales. Deuxièmement, le sens de l'opération reste peu clair et l'habillage séduisant du « dialogue des civilisations » est un alibi qui ne peut faire illusion : la vraie nature de cette opération est d'abord financière. Troisièmement, cet accord hors du commun opère de fait, par le changement d'échelle et la durée du projet, un tournant préoccupant de notre politique muséale.

La négociation a été menée dans une parfaite opacité et avec une rarissime vélocité...Ainsi, au lieu d'associer les acteurs compétents, Parlement compris, on a réussi à éveiller tous les soupçons et à susciter toutes les résistances.

J'insisterai davantage sur la vraie nature de cette opération. On ne peut qu'applaudir à la vaste ambition du futur Musée, cornaqué par nos spécialistes français : confrontation et dialogue des cultures à travers les temps et les continents. On doit souhaiter qu'il y réussisse. Mais le plus clair c'est qu'il s'agit pour la France d'un vaste projet financier, avec des partenaires qui en ont les moyens. Tel qu'il est présenté le projet devrait être lucratif donc bénéfique pour les musées de France si l'Etat respecte son engagement d'en retourner tous les gains aux musées, dont les besoins sont vastes, sans amputer d'autant son propre financement. A suivre donc... Ce n'est évidemment jouable que pour les grands musées dont les activités sont rentabilisables grâce à leur excellence, grâce à leur notoriété. C'est le cas du Louvre au point qu'on peut entendre parler de la « marque » Louvre et de la « griffe » Louvre. C'est ce qui a permis à un ardent supporter du projet de déclarer : « Soyons clairs, la société du spectacle et l'ordre marchand dirigent le monde dans lequel nous évoluons depuis des décennies... Si nous refusons cette réalité, d'autres s'empresseront alors d'augmenter leur assise culturelle et scientifique dans le monde à notre place ». Voilà un argument typique de la compétition internationale commerciale. On est bien loin du « dialogue des cultures ». Le rôle de l'argent privé ou étranger dans les politiques publiques est un sujet sérieux. On ne peut le laisser sans garde-fou, il faut trouver la juste mesure entre une pruderie dont l'Etat n'a plus les moyens et une dépendance incompatible avec l'intérêt général.

J'en arrive à ma troisième critique, la plus fondamentale : avec l'accord d'Abou Dabi, il y a bien plus qu'un changement d'échelle, il y a changement de nature de notre politique d'échanges culturels internationaux. Et partant de là, un tournant dont je ne pense pas qu'il soit positif pour nos musées. Ne nous laissons pas éblouir par ce milliard d'euros annoncé. Il faut s'interroger sur les termes de la contribution française à la réalisation du Musée d'Abou-Dabi et sur le prix à payer, sans jeu de mots, par nos musées, leurs publics, leurs conservateurs et leurs chercheurs. Le marché est peut-être financièrement équitable mais est-il culturellement juste ? Je ne le crois pas.

Le ministre et le Président-Directeur du Louvre ont préempté pour une très longue durée, trente ans, les moyens des principaux musées dont on ne voit pas très bien comment leurs responsables garderont la maîtrise culturelle et scientifique de leurs établissements. Pourquoi ne pas avoir étudié un engagement de moins longue durée ? En vertu de l'échéancier de l'accord, ce sont des oeuvres majeures qui sortiront pour des durées bien plus importantes que dans la pratique des prêts temporaires et, de ce fait, ne pourront être ni exposées, ni prêtées aux musées en région, ni échangées avec d'autres partenaires à l'étranger. Mais ce sont aussi les spécialistes français engagés dans l'opération dont la compétence sera durablement soustraite à leurs équipes d'origine.

Je relève d'ailleurs une contradiction dans la politique de l'Etat. D'une part depuis quelques années on prône à tout va l'autonomisation des musées transformés en établissements publics qui se considèrent de plus en plus comme des entreprises autonomes et leurs présidents comme des PDG du privé. Est-ce bien là le service public ? Parallèlement on n'a pas cessé de rogner le rôle de la Réunion des musées nationaux (RMN) qui fut le pivot de la mutualisation et de la cohérence du réseau. D'autre part, dans le même temps, on lance cette opération d'Abou-Dabi en y impliquant avec le Louvre les principaux musées nationaux, de la façon la plus autoritaire, la plus directive, la moins concertée. Et on invente une structure ad hoc dont on sait à vrai dire peu de choses, l'Agence internationale des musées de France, « France Museums », qui associe douze établissements appelés à apporter leur concours -on devrait dire à louer leurs oeuvres et leurs services- au futur musée universel. C'est donc le meilleur de nos richesses et compétences en la matière qui est ainsi mobilisé. On souhaiterait que ce souci de synergie, de convergence inspire la politique hexagonale des musées. Ma foi, si l'expérience d'Abou-Dabi peut servir d'émulation, on s'en félicitera. La nouvelle agence, c'est donc un pilote, Le Louvre, qui détient un gros tiers des actions et onze petits soldats, avec chacun vingt actions symboliques, sommés de suivre le mouvement. Dans le choix de la forme juridique d'une société par actions simplifiée, on reconnaît bien ce mirage permanent du privé et l'obsession d'échapper aux règles du service public.

Cela pose bien des questions : quel sera le statut des fonctionnaires des musées lorsqu'ils apporteront leur concours, quel sera le mode de leur rémunération, quelle sera leur responsabilité dans la définition des orientations du futur Musée ? Tout ceci semble s'installer dans le flou. On ne peut que sourire lorsqu'on affirme sans rire que « pour éviter tout risque de conflits d'intérêts, les conservateurs français fixeront les orientations et la politique d'achat du futur musée... mais ne participeront pas à la politique d'acquisition des oeuvres ». La frontière est bien mince et l'étroitesse du marché de l'art lorsqu'il s'agit d'oeuvres majeures du patrimoine mondial rend ce distinguo bien fragile. Alors les opérateurs sauront-ils préserver l'intérêt de nos propres musées et continuer d'en enrichir les collections ? Comment admettre que, pour avoir soulevé ces questions, deux des plus éminents spécialistes des musées, Françoise Cachin et Michel Laclotte, aient été brutalement congédiés par le ministre de la culture, votre prédécesseur ? Cela prouve qu'il était à court d'arguments.

Je comprends tout à fait la demande des Emirats Arabes Unis qui cherchent à acquérir le meilleur appui à leur projet. Mais j'ai le sentiment que le ministère et le Louvre sont allés au-delà de ce que nécessitait une juste coopération. Dans un pays champion de « l'exception culturelle » il y a là une concession à l'air du temps, celui de l'argent-roi. Pour ma part, je ne peux y souscrire et je m'abstiendrai donc, ainsi que certains de mes collègues, dont Louis Mermaz qui m'a demandé d'en faire part.. (Applaudissements à gauche)

M. Jack Ralite. - Comme tout le monde ici, je suis pour la circulation des oeuvres. Mais comme le dit si bien Octavio Paz, « le marché est efficace, mais il n'a ni conscience, ni miséricorde ».

La tradition du travail muséal en France, c'est précisément la conscience et la miséricorde. Or voici inscrite précipitamment -en pleine session extraordinaire, excusez du peu !- la ratification du projet de Louvre à Abou Dabi, préparée sans concertation, en grand secret. Si ne s'étaient pas exposés les 5 500 signataires de la pétition du monde de l'art, on se serait cru dans le secret défense ! Pourquoi ce secret, si c'est si beau, si bien, si bon ? C'est que ça ne l'est pas !

Le fond des choses se résume à ceci : les Émirats Arabes Unis sont bourrés de pétrole, friands d'armements et acheteurs d'Airbus. Son Louvre sera construit sur une île réservée à la gentry internationale et inaccessible au petit peuple.

Voix à droite. Il n'y en a pas, là-bas !

M. Jack Ralite. - Un rapport a été remis le 23 novembre 2006 à M. Breton, ministre des finances ; ses signataires sont inspecteurs des fiances ou industriels, un seul d'entre eux appartient au monde de l'art.

M. Jacques Valade, président de la commission. - L'un d'eux est devenu ministre !

M. Jack Ralite. - Pas celui qui appartient au monde de l'art !

Dans ce rapport Lévy-Jouyet, tout l'accord du 6 mars est développé, y compris ce en quoi il viole le code de déontologie des musées. On y lit, à la page 123, une recommandation incitant les musées à classer leurs oeuvres en deux catégories, les trésors nationaux et les oeuvres susceptibles d'être aliénées, et à vendre certaines de celles-ci. Classer ainsi les oeuvres d'art, c'est les réifier.

Le 5 mars, je disais à M. Donnedieu de Vabres : « Puissiez-vous ne jamais regretter la signature que vous allez apposer demain. » Il m'a répondu qu'il n'avait pas mis dans le contrat l'application de ce passage sur la vente des oeuvres. Je lui ai rétorqué : « Pour combien de temps ? » Eh bien, nous y sommes ! Dans sa lettre de mission à Mme la ministre de la culture -dont je salue l'action à Versailles-, le Président de la République lui demande d'engager une réflexion sur « la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections ».

Je suis certain que nombreux sont parmi vous ceux que de telles idées choquent, comme lorsqu'on a tenté de supprimer le ministère de la culture, sauvé in extremis ce printemps par l'action des artistes.

Cette idée d'inaliénabilité des oeuvres d'art a été imposée au XIIe siècle par les juristes royaux, contre la volonté des rois, pour protéger le patrimoine. Celui-ci, cette création de l'Histoire, est en danger, tout comme la création contemporaine.

J'étais samedi à Avignon pour fêter le soixantenaire de la création des semaines théâtrales par René Char et Jean Vilar. Celui-ci avait raison quand il parlait, dans une lettre à Malraux du 17 mai 1971, du « mariage cruel » entre les créateurs et le pouvoir. Pensons à René Char -« Comment vivre sans inconnu devant soi ? »-, à Braque, à Apollinaire rappelant l'invention de la roue, « qui ne ressemble pas à une jambe ». C'est cela la création !

A ce journal qui titre « Comment les musées ont appris à gagner de l'argent », j'oppose Saint-John Perse, selon qui « la poésie, c'est le luxe de l'inaccoutumance. »

Les musées n'ont pas à gagner de l'argent mais à amener le plus grand nombre à la contemplation des oeuvres de l'esprit. L'autre jour, j'assistais à l'inauguration de la cité de l'architecture. Un fort beau musée, mais en d'autres temps, on aurait mis en avant le ministère ; aujourd'hui, on parle des « partenaires fondateurs » : Bouygues, Vitra... Cette présence obsédante n'est pas sans conséquence.

M. Pierre Fauchon. - Les Médicis étaient des banquiers !

M. Jack Ralite. - Et que dire de la nomination de l'ancien directeur de cabinet de M. Aillagon à la direction de Sotheby France, où l'on vend aux enchères le patrimoine ! Est-cela la création ? Non !

Comme le dit Boulez, « toute oeuvre nouvelle est faite d'une confrontation entre le passé et l'avenir ». Les artistes connaissent la souffrance qu'il y a à sortir de soi la tradition. Mais ce n'est pas la création qui intéresse les marchands, c'est la vente !

M. Pierre Fauchon. - Il faut bien des mécènes, comme à la Renaissance !

M. Jack Ralite. - Mais ils n'ont pas à devenir rois !

M. Pierre Fauchon. - Les Médicis !

M. Jack Ralite. - Les paroles des artistes se dressent contre le nouvel esprit des lois présenté par le Président de la République. À la cité de l'architecture, il a dit n'être pas porteur d'une conception utilitariste de la culture. Celle-ci, a-t-il ajouté, vaut pour elle-même et n'est pas une simple marchandise. Elle n'est « pas un supplément d'âme mais l'âme même de la civilisation ». Je suis d'accord mais pourquoi alors imposer le contraire à son ministre de la culture ? Pourquoi dire une chose et son contraire ?

Je pense à ce propos d'un professeur à l'université La Sapienza de Rome : « nous avons un héritage, nous devons le défendre et nous en défendre ; autrement, nous aurions des retards d'avenir et nous serions inaccomplis ». Je ne veux pas que la France soit en retard d'avenir et je ne veux pas de citoyens inaccomplis ! Un jour, Char a lancé « l'inaccompli bourdonne d'essentiel ». Quel beau programme !

Voter ce projet reviendrait à accepter une logique commerciale qui a été initiée sans concertation pour justifier au nom de la démocratisation un désengagement de l'Etat et faire de l'art un atelier de l'occasion. Invoquer Malraux en la circonstance, c'est renier celui qui voyait dans le musée la plus haute idée de l'homme. (Applaudissements à gauche)

M. Louis de Broissia. - Jack Ralite ne m'en voudra pas si en gaulliste et en disciple de Malraux, je ne vois dans la lettre à la ministre que le rappel du discours de 1959 : rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité et assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel. Voilà l'esprit dans lequel le groupe UMP va voter le projet. Celui-ci répond à une demande des Emirats Arabes Unis : comment dire non à des hommes d'une autre culture qui veulent avoir accès à la nôtre ?

Je n'ai pas de l'expertise la vision fermée de Mme Tasca. En réponse à une demande de démocratisation universelle, il s'agit ici d'une honnête diplomatie culturelle, affichée de manière moderne. Permettre au plus grand nombre de découvrir notre patrimoine sous toutes ses formes, le permettre à d'autres cultures, c'est affirmer des exigences et apporter des garanties, notamment un contrôle parlementaire.

Le gouvernement des Emirats Arabes Unis a fait appel à la France pour la conception et la réalisation du musée. Pour une fois, nous pouvons faire cocorico ! C'est la dimension universelle du musée qui a ainsi évolué sous l'influence de nos conservateurs et historiens de l'art.

Pendant dix ans, des oeuvres du Louvre et d'autres musées, prêtées pour deux ans, seront exposées par rotation. Aujourd'hui, 10 à 15 % des oeuvres seulement sont exposées, les autres étant conservées dans les réserves. Les prêts ne concerneront que trois cents oeuvres.

Des échanges, il y en a déjà et dans les deux sens. Le musée de Dijon, le deuxième de France après le Louvre, a ainsi accueilli des peintures de l'Ermitage que les Bourguignons n'avaient pu aller voir en Russie. Or toute oeuvre d'art, cher Jack Ralite, marque la rencontre d'un créateur et d'un public, qui doit donc être le plus large possible.

Les critiques portent essentiellement sur les contreparties, sur la marchandisation -certains parlent même de chosification. Des experts s'inquiètent d'une mise en vente déguisée et font le cauchemar d'une diminution des aides publiques. Mais lorsque les Emirats Arabes Unis ont fait appel à notre collaboration, lorsqu'ils l'ont rémunérée, ils ont reconnu le génie français, terme que je préfère à celui de savoir-faire, traduction de l'anglais know how. Evitons une vision par trop hexagonale : un expert en mission à l'étranger n'affaiblit pas la culture française, mais enrichit son expertise et la culture française !

La diplomatie culturelle est de tous les temps. Songeons à la manière dont les Etats-Unis ont fait de la culture le bras armé de leur puissance dans le monde. Une véritable politique de diplomatie culturelle voit le jour maintenant ; elle concerne aujourd'hui un Etat particulièrement intéressant, au modèle économique exceptionnel, sur le sol duquel est mort l'un de nos collègues, un pays enfin, dans lequel la marque du Louvre pourra s'épanouir.

Faut-il dénoncer une instrumentalisation de la culture ? Négliger la dimension culturelle des échanges serait contreproductif. Ne prenons pas le risque de laisser la place au Prado, à l'Ermitage, au Getty. Voici un enjeu dont il faut se saisir, un pont qu'il faut franchir ensemble. Le groupe UMP l'empruntera avec enthousiasme. (Applaudissements à droite)

M. Yves Dauge. - L'accord n'aurait pas été rédigé en ces termes si le débat avait eu lieu avant sa signature. Même si nos analyses divergent, nous apprécions que la France manifeste son génie et son savoir-faire mais il est frustrant que le débat s'engage ainsi, alors que l'on parle de revaloriser les droits du Parlement.

Le contexte ne facilite certes pas les choses. Des inquiétudes se font jour, des suspicions s'expriment, on parle de franchisation. L'établissement d'un cahier des charges aurait été utile.

Selon quelles règles développer de grands projets culturels dans le monde ? C'est une question que l'on ne peut pas éluder. J'ai regretté que cette affaire soit conduite sans qu'à sa gestation soient associés parlementaires et professionnels. C'est la presse qui a poussé, après coup, à le faire. Nous aurions tout à gagner à développer d'autres types de démarches sur la gestion de ce projet : on pourra y revenir, car il ne fait que débuter.

La France, c'est vrai, sait conduire de grands projets. Les exemples ne manquent pas, depuis le centre Georges Pompidou jusqu'au musée du quai Branly. Ce qui a fait leur qualité, c'est le projet scientifique et culturel autour duquel ils ont été bâtis. Où est-il, ici ? C'est là le fond de l'affaire. Où sont, dans ce texte, les articles qui parlent des principes ? On voit apparaître le terme à l'article 2, relatif aux principes de mise en oeuvre. Seul objectif : préciser que l'on utilisera le nom Louvre et le cas échéant la marque. C'est une provocation ! Où est le principe ? Dans la vente de la marque ? Il ne devrait pas en être question !

Viennent ensuite, à l'article 5, les principes pour la conception. On y apprend que la maîtrise d'oeuvre sera confiée à un architecte de renommée internationale. Quelle révélation ! Le projet, nous dit-on, requiert un « haut niveau de qualité » ! Franchement ! Quelles désolantes lapalissades ! Ce n'est pas avec cela que l'on fera honneur au savoir-faire français. J'aurais, quant à moi, construit cet accord sur un article fondamental, l'écriture du projet scientifique et technique. M. Loyrette, à qui l'on a posé la question, n'a pas dit autre chose : l'accord doit être fondé sur un projet culturel et scientifique. Il faudra bien se mettre d'accord là-dessus. Mais cela demande des mois.

Deuxième étape, deuxième article : décrire la programmation qui traduit ce projet. Exercice difficile. J'aurais imaginé un accord-cadre à plusieurs étages, avec clause de rendez-vous pour s'assurer que l'on s'achemine bien dans la bonne direction. Troisième article : le cahier des charges pour le choix de la maîtrise d'oeuvre. Ce n'est pas une petite affaire. Or, quelle ne fut pas la surprise de la commission de découvrir, dans Le Monde, la maquette de l'« architecte de renommée internationale », qui avait déjà bouclé le projet. De qui se moque-t-on ?

C'est une caricature de la démarche professionnelle sur laquelle nous avons fondé notre réputation. Rendez, madame la ministre, son sérieux à cette démarche. Vous avez des marges de manoeuvre pour recadrer ce texte. Vous pouvez prévoir une clause de revoyure.

Je passe sur ce qui concerne la gestion. La malheureuse histoire du prêt au High Museum d'Atlanta de trois oeuvres pour cinq millions d'euros a écorné le principe du prêt gratuit. Et l'on continue allègrement dans cette voie. Vous m'opposerez qu'il s'agit de prêts de longue durée. Cela n'est pas fait pour me rassurer.

Comprenez que mes interrogations ne sont pas une condamnation sans appel mais un appel à remettre l'ouvrage sur le métier avec l'ambition professionnelle qui est la nôtre dans la conduite de telles affaires. (Applaudissements à gauche.)

Mme Nathalie Goulet. - Difficile exercice mais aussi témoignage, émotion et symbole, comment voir autrement la programmation de ce texte à sept mois jour pour jour de la mort de mon mari, terrassé par une attaque quelques heures seulement après que nous ayons été conviés à visiter le site du futur musée du Louvre à Abou Dabi. Nous nous y rendions, au cours de cette année, au moins une fois par mois. C'est dire l'importance du sujet.

Au soutien que j'apporte sans hésitation à ce projet, j'associe Joël Bourdin, président délégué du groupe d'amitié France-Pays du Golfe. Voila des années que nous militions pour un renforcement des relations culturelles et universitaires dans cette région du monde, tant il est vrai qu'aucune relation commerciale pérenne ne peut exister sans relations culturelles. Après la Sorbonne, voilà le Louvre dans la péninsule Arabique.

Abou Dabi sera emblématique comme l'ont été les opérations itinérantes, notamment en Oman, et l'inauguration en grande pompe de l'exposition d'art islamique au Louvre par son altesse l'émir du Qatar, l'an dernier.

Ce musée sera un pont entre les cultures. Et sur un pont, on passe dans les deux sens. Nous apprendrons à connaître, en France, les trésors des musées de Sharjah. Je rends hommage à Son Altesse Cheikh Qassimi dont la famille a beaucoup oeuvré pour l'émirat et qui contribue chaque année aux travaux de l'Unesco en dotant généreusement le prix de la culture arabe.

Promouvoir la compréhension entre les peuples par le dialogue des cultures, telle sera aussi la mission du Louvre d'Abou Dabi. Je salue l'effort de Zaki Nosseibeh, conseiller de Cheikh Zayed Al Nayane, et aujourd'hui conseiller du président des Émirats Arabes Unis dont l'action, reflet de la volonté de Cheikh Khalifa a été, dans ce dossier du Louvre, comme pour la Sorbonne, déterminante. Je rends également hommage à notre ambassadeur Patrice Paoli et à son homologue émirien, le sultan Al Aryani.

Nos musées entrent dans l'ère de la modernité, dans une zone géographique essentiellement anglophone. Quelle aurait été la réaction de notre Haute Assemblée si l'île de Sa'adiyat avait constitué son pôle sans musée français, sans le plus prestigieux d'entre eux ? (M. Fauchon renchérit.) Non, il n'y a pas de Belphégor caché dans ce texte, et je ne doute pas que le succès sera au rendez-vous.

J'en profite pour vous engager à veiller, madame la ministre, au recrutement de nos attachés culturels dans la région. Les postes y semblent destinés aux volontaires internationaux, ce qui interdit tout travail de long terme.

Le poste d'attaché culturel est un vrai poste et pas une entreprise de recyclage ou de réinsertion pour des amis désoeuvrés en mal d'exotisme, surtout dans cette région si exigeante et si riche.

Le projet Focus est constitué d'une exposition, mais aussi d'un livre comprenant des photos inédites des six pays du Golfe. Il entre dans la ligne générale de notre coopération avec la péninsule arabique, y compris avec le Yémen.

Lorsque vous viendrez à Abou Dabi, ne faites pas, madame la ministre, comme vos prédécesseurs qui n'y passaient que quelques heures. Visitez comme il le mérite cet important émirat. Allez à la rencontre des étudiantes de l'Université Zayed, ce qu'aucun ministre français n'a encore fait, alors que Tony Blair et Bill Clinton y ont tenu des séminaires.

L'Orient est compliqué, polymorphe et d'une richesse inégalée : pensons au Sultanat d'Oman, pays de la myrrhe et de l'encens, à l'Arabie Saoudite, centre du monde pour les Musulmans, où les ruines nabatéennes de Maiden Saleh attestent d'un passé glorieux.

N'oublions pas Bahreïn, le Royaume des deux Mers, dont l'histoire est liée à la récolte des perles : le premier navire français y accosta en 1842. Comment oublier le Koweït qui accueillit Alexandre le Grand sur ses rives et le merveilleux Yémen dont l'histoire ancienne raconte la visite légendaire de Balquis, reine du Royaume de Saba au roi Salomon ? Non, nous n'apportons pas le Louvre dans un désert culturel ! Il s'agit certes d'une importante opération française, mais qui nous permettra aussi d'apprendre et d'échanger.

Puisque le Président de la République projette, me dit-on, une visite d'État en janvier au Qatar, pourquoi ne pas prévoir, comme le souhaitait mon mari, une année du Qatar en France ? Sans froisser les susceptibilités des pays voisins, ce serait un bon moyen de mettre le Qatar, qui est le plus francophone et francophile de la région, à l'honneur.

Je voterai, sans réserve, ce texte. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.  - Merci pour tout ce qui a été dit sur cette belle aventure de musée à Abou Dabi. Comme l'a dit Mme Goulet à l'instant, c'est une occasion extraordinaire de tisser des liens avec cette région si mal connue et dont nous avons parfois une image caricaturale. Or la richesse culturelle de ces États est immense et nous lançons, grâce à ce musée, une passerelle entre nos cultures.

Tout a été dit, mais l'essentiel est bien que nous ayons été sollicités par cette région du monde, qui est anglophone, pour y implanter un musée. L'Émirat d'Abou Dabi a choisi la culture comme vecteur de rayonnement et s'est tourné vers notre culture pour faire rayonner la sienne. Il va y avoir cinq musées édifiés sur cette île et en choisissant le Louvre, c'est un bel hommage qui est fait à l'extrême richesse de nos oeuvres et de nos collections. Nous apporterons notre aide à la conception de ce musée, nous allons définir son projet scientifique, présider à la constitution de ses collections, mais ensuite, il sera totalement indépendant. Nos relations seront d'égal à égal.

Cette collaboration est de première importance pour le Grand Louvre qui est en constant devenir. Cette manne financière permettra de mener à bien le projet Pyramide car nous devons faire face au doublement de la fréquentation du musée depuis 1989. De même, elle devrait nous aider à réaliser un centre commun de réserves pour accueillir les réserves du Louvre et de quelques autres grands musées de la capitale, pour les protéger de la fameuse crue que nous craignons tous.

J'espère aussi que d'autres musées seront sollicités par la suite par l'Agence. Le musée Toulouse-Lautrec d'Albi pourrait ainsi participer à une belle exposition et enrichir, en retour, ses propres collections. Comme je l'ai déjà dit, tous les fonds recueillis profiteront aux oeuvres et au public.

Plusieurs orateurs sont revenus sur l'extrême discrétion dont a été entouré ce projet. C'était la volonté de l'Émirat de ne pas ébruiter ses intentions et de ne donner que des ordres de grandeur. Cette période a pris fin en janvier, avec l'audition de mon prédécesseur par la commission des affaires culturelles. A l'avenir, tout se fera dans la plus totale transparence : l'Agence internationale des musées de France et mon ministère répondront à toutes les questions qui leur seront posées.

Mme Cerisier-ben Guiga craint, avec d'autres orateurs, que l'État ne se désengage : il n'en est pas question et l'accord est très clair sur ce point. Il ne s'agit en aucune manière de pallier une quelconque défaillance de l'État.

M. Nachbar a évoqué le nom du Louvre. Nous ne bradons pas une marque mais ce nom est le symbole même de notre coopération et un hommage rendu au rayonnement de notre musée. Il ne s'agit en aucune manière de créer une antenne du Louvre à Abou Dabi.

Mme Morin-Desailly a regretté que les collectivités locales n'aient pas été associées à ce projet. Jusqu'à présent, cela n'avait pas été possible puisque la discrétion était de mise, mais je souhaite que les musées locaux aient à l'avenir toute liberté pour entrer dans l'Agence internationale.

Ce projet est également entouré de toutes les garanties : le comité scientifique est présidé par M. Loyrette et il comprend les plus hauts responsables des différents musées qui sont partie prenante. Le public de ce futur musée sera bien sûr composé des 150 millions de personnes qui habitent les pays du Golfe, mais il y aura aussi les touristes. Ne sommes-nous pas contents d'en accueillir à Versailles ?

M. Pierre Fauchon. - Vive le tourisme culturel !

Mme Christine Albanel, ministre. - Mme Morin-Desailly m'a également interrogé sur la charte déontologique : elle a été élaborée par la Direction des musées de France et transmise aux DRAC et aux conservateurs. Enfin, elle est disponible sur Internet.

Mme Tasca a été très sévère et je ne partage pas sa vision quelque peu caricaturale : non, nous n'allons pas perdre nos meilleurs talents et nos oeuvres les plus importantes ! Savez-vous que 30 000 oeuvres sont prêtées chaque année ? Pour Abou Dabi, ce seront 300 oeuvres la première année, puis 200 ensuite. Il est en outre précisé que les oeuvres les plus emblématiques ou les plus fragiles de nos collections ne seront pas prêtées ; le comité scientifique et les conservateurs veilleront à ce que cette règle soit scrupuleusement respectée. Les collections du Louvre ne vont donc pas soudainement s'évaporer ! Je ne crois pas que nous vivions un changement d'époque aussi radical. Ainsi, le principe du prêt gratuit demeure et il s'applique dans 90 % des cas.

En revanche, il existe depuis longtemps des expositions « clé en mains » qui donnent lieu à une contrepartie financière. M. Jack Lang a rappelé en janvier dernier, dans un entretien au journal Libération, que les travaux de l'Orangerie avaient été en partie financés -à hauteur de 7 millions d'euros- par des prêts de collections à l'Australie. De même l'exposition Mélancolie a bénéficié de 700.000 euros grâce au prêt d'oeuvres de Picasso au musée de Berlin. Je peux moi-même témoigner que les expositions que nous avons montées, « Les fastes de Versailles » et « Napoléon », ont financé des restaurations du château et des acquisitions. On ne saurait donc parler de changement d'époque ; et nous serons attentifs à prévenir les dérives. La durée des prêts sera au maximum de deux ans, contre cinq parfois actuellement.

M. Ralite déplore la place de l'argent dans la culture. Mais il est normal que les ressources privées et publiques se conjuguent et tant que l'État ne se désengage pas, les soutiens privés ne causent aucun souci.

Ce projet concrétise une politique de contractualisation dont les objectifs sont clairs. Je me réjouis que le grand rêve de Jean Vilar, rendre les oeuvres populaires, qui fut aussi le rêve de Malraux, M. de Broissia a eu raison de le mentionner, devienne réalité. Il s'agit d'un projet au long cours, qui relève de la diplomatie culturelle, notion prometteuse.

M. Dauge regrette l'absence de débat la première année. Mais nous ne sommes qu'au début de l'aventure. Un changement de statut juridique a fait de l'agence une société par actions simplifiée, dont les missions ont été recentrées ; le conseil d'administration comprend des musées, l'État étant un observateur, un censeur, un régulateur. Le projet scientifique et culturel est en cours d'élaboration. Il sera achevé en décembre et présenté à votre commission des affaires culturelles. Jean Nouvel n'en est qu'aux esquisses, le projet scientifique enrichira sa réflexion.

Je crois beaucoup en ce projet ; les interrogations du début sont loin ! Les accords ont été appliqués dès leur signature. Au sein de l'agence, deux conseils d'administration se sont tenus, une délégation s'est rendue dans les émirats et ce geste a été fort apprécié. Abou Dabi et la France ont beaucoup d'avantages à cet échange. (Applaudissements à droite)

Les articles 1er, 2 et 3 sont successivement adoptés, le groupe CRC s'abstenant.

Interventions sur l'ensemble

M. Pierre Fauchon. - Ce cortège de lamentations me désole, moi qui considère avec confiance et enthousiasme ce projet novateur. On évoque toujours la mondialisation à propos d'échanges de biens matériels. Or, il est question d'oeuvres d'art et de culture... et c'est la France qui est invitée à jouer un rôle actif : soyons-en fiers ! Ce ne sont ni les Américains ni les Anglais qui ont été sollicités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP) Allons-y, et vaillamment, avec toute notre intelligence ! Et si le prêt des oeuvres nous rapporte quelque argent, dont nous avons grand besoin, réjouissons-nous : c'est notre pétrole !

M. Ralite oublie que les Médicis étaient d'abord des banquiers, des marchands de laine ; et qu'ils se sont ruinés pour Botticelli, Alberti et d'autres grands artistes. Et comment peut-on critiquer Calouste Gulbenkian, qui a créé de si beaux musées ? Songez aussi à la Philips collection de Washington, à la Morgan Library de New-York, aux musées Jacquemart-André ou Cernuschi à Paris, Thyssen-Bornemisza à Madrid... A l'origine de chacun d'eux, il y a des hommes d'affaires qui auraient pu garder leurs acquisitions pour eux et leurs intimes, mais qui ont préféré les présenter au public dans des musées. Ce sont des bienfaiteurs de l'humanité ! Où en serions-nous en effet si seuls les pouvoirs publics intervenaient ? Qui a acheté des Cézanne, monsieur Ralite : les pouvoirs publics ou des collectionneurs ? Merci à ces créateurs, à ces émirs, qui au lieu de perdre leur argent à la roulette ou dans les courses de chevaux, au lieu de faire de la spéculation foncière...

M. Ivan Renar. - L'un n'empêche pas l'autre !

M. Gérard Le Cam. - A qui ont-ils volé l'argent ?

M. Pierre Fauchon. - ...créent de nouveaux musées, car enfin, ce nouvel ensemble, ce sera les mille et une nuits ! Comment imaginer que seuls les riches le fréquenteront ? Quel besoin aurait-on de créer un musée si seul un petit cercle de gens riches devait y avoir accès ?

Certes, monsieur Dauge, nous n'avons pas tous les détails. Vous n'avez pas vu le projet artistique, moi non plus : mais nous sommes des législateurs, pas des directeurs artistiques ! Avons-nous été consultés sur le projet artistique du musée du quai Branly, du musée des monuments français enfin réouvert ? Ne confondons pas les missions du Parlement et du gouvernement, faisons confiance aux professionnels chargés du projet et veillons à ne pas trop abaisser le niveau de nos débats...

Un pôle d'attraction culturel va émerger, qui sera le meilleur antidote aux troubles, au terrorisme. Il est émouvant de penser que c'est dans l'une des régions les plus dangereuses du monde que sera créé ce pôle de paix.

Je voterai ce texte, d'autant que je m'intéresse depuis longtemps à la diffusion des oeuvres d'art. Nous avions, en accord avec M. Loyrette, fait une loi pour promouvoir le prêt de grandes oeuvres du Louvre à nos musées de province. Après quelques années, quel bilan peut-on tirer de l'application de ce texte ?

Enfin, certains craignent de priver les visiteurs du Louvre de tableaux précieux. Il y a quelque temps, je me suis rendu au Louvre pour revoir encore les Bergers d'Arcadie : j'ai appris qu'il se trouvait à Atlanta, j'en ai été enchanté. Quant au Louvre, on vante le nombre de visiteurs, mais la plupart ne regardent que la Joconde ! Ce sont plutôt les oeuvres qui voient sept millions de personnes ! (Rires et applaudissements à droite)

Mme Catherine Tasca. - L'intervention de notre collègue me conduit à reprendre brièvement la parole. Il est dangereux de nous caricaturer mutuellement et mon intervention n'avait rien de caricatural.

Les parlementaires ont pour devoir de discuter les textes qui leur sont soumis. Parmi les orateurs ayant exprimé des réserves, aucun n'a présenté le mécénat comme le diable. Nous savons qu'additionner les efforts est nécessaire, car l'État n'est plus en mesure d'assumer seul des projets d'une telle ampleur. Toutefois, cette opération, largement financée par un État étranger, est déséquilibrée. Comment se conciliera-t-elle avec la politique des musées nationaux ?

Contrairement à ce qui vient d'être dit, nous ne sommes pas stupides : Sans considérer les mécènes comme des incultes vils et dangereux, nous estimons qu'il y a place la République pour l'initiative privée et la responsabilité publique, singulièrement dans un domaine qui ne peut être assimilé à un marché ordinaire.

Nous attendons des réponses concrètes montrant que la politique publique culturelle demeurera.

M. Charles Pasqua. - Inch'Allah !

M. Yves Dauge. - Mon intervention a surpris ? Je me suis pourtant limité au bon sens : la base de l'accord est constituée par le projet culturel et scientifique. Malheureusement, nous signons un accord avant l'élaboration du projet. Nous venons d'apprendre qu'il serait achevé en fin d'année. Fort bien, mais il eût été sage de commencer par là, puis d'élaborer un cahier des charges et de choisir le maître d'oeuvre, conformément au processus normal d'un grand projet. Il ne s'agit là ni d'une remarque protestataire ni d'une exigence révolutionnaire.

L'ensemble du projet de loi est adopté.