Pouvoirs publics

M. le président. - Le Sénat va maintenant examiner les crédits de la mission « Pouvoirs publics » (et article 45 ter).

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial de la commission des finances. - Rapporteur d'une mission ne donnant pas lieu à des évaluations de performances, je suis néanmoins attaché à ce que la Lolf permette, selon une expression qui nous est chère, de « mettre de la lumière dans toutes les pièces ». Nous devons donc nous réjouir que l'Assemblée nationale ait apporté cette lumière au palais de l'Elysée.

Je me félicite de la présentation des documents budgétaires, qui s'étoffent, particulièrement pour ce qui concerne les assemblées parlementaires. Les crédits de la mission regroupant les dotations de fonctionnement des pouvoirs publics progressent raisonnablement de 2,23 %, plus que les prévisions d'inflation de 1,6 % pour 2008.

Compte tenu de la diversité et de la pondération de chacune des dotations, cette évolution recouvre plusieurs tendances, qui traduisent toutes une volonté affirmée de maîtrise des dépenses. Certaines dotations contiennent leur évolution en-deçà de l'inflation prévue. Ainsi de la dotation de la Cour de justice de la République, qui baisse de 1,38 % grâce à une évaluation moindre des dépenses de frais de justice à venir et malgré le poids excessif des loyers et des charges des locaux de la rue de Constantine. La dotation destinée à couvrir les indemnités des représentants français au Parlement européen n'augmente que de 0,15 % et celle de l'Assemblée nationale de 0,75 %, du fait d'une forte baisse des investissements et d'un important prélèvement sur ses disponibilités.

Une deuxième catégorie regroupe les dotations qui s'accroissent davantage que les prévisions d'inflation, dont la dotation du Conseil constitutionnel, pour laquelle le document « bleu » remis au Parlement ne m'a pas permis d'établir de comparaison ou d'analyse. Je m'en entretiendrai prochainement avec le président du Conseil. La progression des crédits liés à la mission institutionnelle du Sénat, qui s'élève à 4,51 %, est justifiée par l'impact du prochain renouvellement triennal en septembre 2008 et par l'arrivée de douze nouveaux sénateurs, dont deux pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. A périmètre constant, la dotation du Sénat ne progresse que de 1,6 % sous l'effet conjugué de la diminution des effectifs et de sa contribution sur ses ressources propres au financement des travaux lourds. Les crédits sollicités pour le musée du Luxembourg régressent de plus d'un tiers grâce à une baisse des charges de fonctionnement et à une stabilisation des investissements. La forte progression, de 8,54 %, de la dotation de La Chaîne parlementaire est liée à la diffusion de la TNT : l'élargissement de l'audience et l'extension de la couverture du territoire obligent à renforcer des moyens d'exploitation tels que les régies de production, le site Internet, les captations d'événements et les tournages extérieurs.

Deux dotations « hors catégorie » figurent dans la mission. Comme les années précédentes, aucun crédit n'a été sollicité pour la Haute cour. Quant à la dotation de la Présidence de la République, je dirai avec Lawrence Sterne « si la cause est bonne, c'est de la persévérance, si la cause est mauvaise, c'est de l'obstination ». Nous avons bien fait de persévérer car la cause était bonne. Depuis de nombreuses années, le Sénat et l'Assemblée nationale demandaient une clarification. Le volontarisme du Président de la République a permis à l'Assemblée nationale, sur la proposition du Gouvernement, d'avancer sur cette voie. La consolidation des crédits destinés au fonctionnement et à la rémunération des personnels mis à la disposition de la présidence de la République assure une plus grande transparence. Plus de 68 millions d'euros lui sont transférés par les ministères concernés. La directrice de cabinet du Président de la République, ordonnateur et comptable des dépenses de l'Elysée, m'a confirmé que se mettent en place des procédures conformes à la Lolf. L'alignement des conditions de rémunération du Président de la République sur celles du Premier ministre, introduit par l'article 45 ter, se fera par redéploiement au sein de la dotation dans le cadre de la fongibilité asymétrique prévue par la Lolf.

Lors de l'examen du projet de loi de règlement définitif du budget de 2008, nous pourrons vérifier que les engagements d'aujourd'hui ont été tenus. Je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Pouvoirs publics » et l'article 45 ter rattaché. (Applaudissements à droite et au centre.)

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Les dotations du Conseil constitutionnel, de la Haute cour de justice et de la Cour de justice de la République évoluent peu et n'appellent guère de commentaires. Je ne soulignerai que le caractère très partiel des réponses du Conseil constitutionnel.

Je vous parlerai de deux institutions qui relèvent de la mission « Justice », la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont la spécificité justifierait qu'on les intègre à la mission « Pouvoirs publics ». Le CSM -qui n'est pas une juridiction mais un élément essentiel de garantie et de contrôle de l'indépendance de la justice- ne peut se satisfaire que ses crédits correspondent à une simple action du programme « Justice judiciaire ». A la suite des propositions du comité Balladur, le CSM doit voir son rôle spécifique reconnu par la nomenclature budgétaire, comme c'est le cas pour le Conseil constitutionnel, la Haute cour de justice et la Cour de justice de la République. Une telle institution doit être indépendante et ses crédits sanctuarisés.

Si les moyens de la Cnil augmentent en 2008, ils sont encore loin de ceux de ses homologues étrangers. Son budget n'a rien à faire dans le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », mais doit rejoindre celui d'autres autorités administratives indépendantes, comme la Halde, le médiateur de la République ou le CSA dans une mission spécifique. La Cnil ne saurait être assimilée à un simple démembrement d'un ministère, sauf à nier son indépendance réelle et sa spécificité d'action.

Nous venons d'adopter un amendement de la commission des finances qui regroupe au sein d'un même programme les crédits de plusieurs autorités administratives indépendantes concourant à la défense et à la protection des droits et des libertés fondamentales.

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Excellent amendement -qui aura sans doute du mal à survivre à la CMP... (Sourires)

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.  - Si cet amendement devait revenir l'an prochain, nous souhaiterions y voir intégrer la Cnil.

La commission des lois a donné un avis favorable sur les crédits de la mission « Pouvoirs publics », avec l'espoir d'être entendue l'an prochain. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Très bien.

M. Robert del Picchia. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je veux dire ma satisfaction de parlementaire, mais aussi de citoyen, à voir progresser la transparence des documents budgétaires soumis à notre contrôle. Cette dotation est sensible, et toute opacité susciterait l'incompréhension, voire la méfiance de nos concitoyens.

S'agissant des crédits de l'Élysée, nous pouvons nous féliciter du bouleversement introduit par l'Assemblée nationale. Il ne faut pas céder aux sirènes de la démagogie. Selon un nouveau principe de réalité, le Chef de l'État va être payé au même niveau que le Premier ministre, ce qui paraît naturel. Nous saurons exactement combien, mais aussi par qui, et comment. Les objections sur le montant de la rémunération ne tiennent pas : comment pousser des cris d'orfraie quand on sait ce que gagne un chef d'entreprise dans le privé ?

Mais la France n'est pas une entreprise, et la rémunération du Chef de l'État n'a pas les mêmes fondements idéologiques. Le principe d'une rémunération des charges électives est né avec la démocratie : Périclès avait instauré la mistophorie afin de permettre à chacun de participer aux travaux de la Cité, quels que soient ses revenus. (M. le président de la commission approuve)

M. Ivan Renar. - Ah, les Grecs ! Timeo Danaos... (Sourires)

M. Robert del Picchia. - L'indemnisation des élus est nécessaire tant pour garantir une égalité d'accès aux fonctions électives que pour lutter contre la corruption.

Homme d'information, je juge la transparence indispensable au bon fonctionnement d'une démocratie. Français de l'étranger, je note que ce n'est pas tant le montant des rémunérations qui change d'un pays à l'autre, que la manière d'en rendre compte.

Dans le même esprit de clarification, j'ai déposé une proposition de loi proposant d'inscrire dans la loi l'indemnité mensuelle complémentaire des conseillers élus à l'Assemblée des Français de l'étranger, par souci de transparence et afin d'en assurer la pérennité.

Réalité, transparence, donc contrôle, et par conséquent pérennité : on ne peut concevoir dans une démocratie moderne que la rémunération du Chef de l'État et les moyens alloués pour son action soient fonction de sa personnalité. Je voterai ce budget avec enthousiasme. (Applaudissements à droite)

M. Bernard Vera. - La mission « Pouvoirs publics » fait l'objet de conditions particulières d'exécution et de contrôle, qui vont d'ailleurs évoluer. Ainsi, les comptes des deux Assemblées parlementaires seront désormais certifiés par audit externe, dans des conditions qui restent à définir. La Cour des comptes nous paraît être la mieux à même de répondre à cette mission.

Je me félicite de la refonte de la présentation du programme de la Présidence de la République, et je salue l'effort de clarification concernant les postes budgétaires mis à disposition de l'Élysée et la rémunération du Chef de l'État. Je comprends toutefois l'émotion légitime que le triplement de la rémunération officielle du Président a pu créer dans l'opinion, deux mois après le refus d'accorder le moindre coup de pouce au Smic et aux retraites, et alors que le pouvoir d'achat des Français stagne. Les explications embarrassées des porte-paroles du Gouvernement et de l'Élysée n'ont pas dissipé les interrogations.

L'article 45 ter, qui porte la rémunération du Président de la République au niveau de celle du Premier ministre, a le mérite de la clarté. Mais même si cette augmentation est financée par redéploiement au sein de la dotation, elle reste néanmoins choquante pour bien des Français confrontés aux fins de mois difficiles.

M. Jean Arthuis, président de la commission.  - Il faut leur expliquer.

M. Bernard Vera. - Comptez sur nous ! Notre groupe sera très vigilant sur la transparence des frais de fonctionnement des pouvoirs publics. Puisque, pour l'heure, seul le pouvoir d'achat du Président de la République semble pris en compte, nous ne voterons pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État.  - Je salue la remarquable qualité du travail réalisé par les rapporteurs.

La mission « Pouvoirs publics » regroupe les organes constitutionnels de la République. En vertu de la séparation des pouvoirs, il n'est pas de coutume que le représentant du Gouvernement évoque les budgets de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le programme « Cour de justice de la République » n'appelle pas de remarque particulière.

Le programme « Conseil constitutionnel » augmente de 7 % pour trois raisons : les charges supplémentaires représentées par ses deux nouveaux membres, l'application d'une contribution employeur nouvelle prévue par la loi et le transfert de la charge budgétaire des frais de garde de gendarmerie.

Mais, bien sûr, c'est le programme « Présidence de la République » qui est au coeur du débat cette année. Je salue à ce propos la connaissance sans défaut que M. del Picchia manifeste de la Grèce ancienne.

Je complimente M. Vera pour sa modération, sans évidemment partager sa vision. Le budget du programme « Présidence de la République », par la volonté du Président de la République et conformément aux conclusions du Comité de modernisation et de rééquilibrage des institutions, est à un tournant fondamental. Afin de conférer enfin au budget de la Présidence de la République toute la transparence et la cohérence souhaitables, dans le respect des prérogatives particulières de cette mission, le budget 2008 réintègre dans le budget officiel de l'Elysée l'ensemble des dépenses qui contribuent à son fonctionnement. Cela comprend les collaborateurs directs du Président qui, lorsqu'ils sont issus de la fonction publique, ne doivent plus être rémunérés par leur administration d'origine. La rémunération du Président de la République, qui était jusqu'à présent fixée par l'intéressé lui-même, sera désormais fixée par la loi, votée chaque année. Elle sera au même niveau que celle du Premier ministre, qui est aussi celui des homologues étrangers du Président de la République française. Cette rémunération sera exclusive de tout autre traitement ou pension.

De nouvelles mesures de contrôle viendront renforcer encore la mise en cohérence et la clarification du budget de la Présidence de la République. La Cour des comptes vérifiera désormais chaque année la nature des dépenses effectuées et certifiera l'exactitude et la sincérité du rapport d'activité de la Présidence et des documents communiqués au Parlement. Les observations et recommandations formulées lors de ce contrôle seront évidemment publiques. J'ajoute que le Parlement sera destinataire de documents explicatifs concernant ce budget. En outre, la Présidence de la République s'engage à publier chaque année, à compter de 2008, un rapport d'activité retraçant l'utilisation des fonds alloués à son fonctionnement.

La conséquence immédiate de cette nouvelle présentation clarifiée est une augmentation purement comptable, sans effet sur le montant réel des dépenses, de la dotation qui doit être allouée à la Présidence, puisque celle-ci prend désormais en charge des dépenses autrefois supportées par les ministères.

Bref, cette mission est de plus en plus transparente, de plus en plus contrôlée, à l'image de la dignité que l'on peut attendre de cette fonction.

Les crédits de la mission sont adoptés, ainsi que l'article 45 ter.