Formation professionnelle (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle en France.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question. - Le Président de la République veut faire de la réforme de la formation professionnelle l'un des grands chantiers de 2008, estimant que notre système est « à bout de souffle », tant dans son organisation que dans son financement, et que la formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin.

La mission d'information du Sénat que j'ai présidée, et dont le rapport, signé par M. Seillier, a été publié en juillet, au terme de six mois d'auditions et d'investigations, fait le même constat. A l'évidence, les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés.

Le budget de la formation initiale, qui a doublé en quinze ans, atteindra cette année 59 milliards pour l'enseignement scolaire et 23 milliards pour l'enseignement supérieur et la recherche. Cependant, cent cinquante mille jeunes, soit 20 % d'une génération, sortent chaque année sans qualification, 9 % de la population est illettrée, quatre vingt dix mille étudiants quittent l'université en première année. La première porte que pousse un jeune sur cinq est celle de l'ANPE. Le taux de chômage des jeunes représente 20 % d'une classe d'âge, contre 7 % en Allemagne. Un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur, et quatre fois plus de risques d'échec scolaire.

La formation continue représente près de 26 milliards, mais ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin : 44 % des titulaires d'un BTS ou d'un diplôme de l'enseignement supérieur suivent une formation dans leur parcours professionnel, mais seulement 23 % des titulaires d'un CAP ou d'un BEP et à peine 12 % des non diplômés et non qualifiés. La formation professionnelle reproduit les inégalités de la formation initiale : la formation va à la formation.

Les TPE et PME consacrent dix fois moins à la formation professionnelle que les grandes entreprises. L'effort moyen est de 791 euros par salarié dans les entreprises de plus de dix salariés, contre soixante quatorze dans celles de moins de dix salariés ! La formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin, aux petites entreprises qui créent l'emploi et dont les salariés ont les parcours les moins sécurisés.

Si nous en sommes arrivés là, c'est que notre système repose depuis des décennies sur une logique de dépense. Or l'inflation budgétaire continue n'est pas une réponse, monsieur le ministre !

La formation professionnelle initiale est considérée comme une voie d'orientation par défaut pour les jeunes en échec dans la filière générale. La formation professionnelle continue, quant à elle, est chargée du traitement social du chômage. Comment s'étonner qu'avec de tels objectifs, on arrive aux résultats évoqués ?

Enfin, le système de formation professionnelle français est opaque, éclaté et trop complexe pour assurer efficacement l'adaptation de la main-d'oeuvre et la promotion sociale. Ce sont les 3 C que dénonce notre rapport : complexité, cloisonnements, corporatismes.

Complexité tout d'abord, à tous les niveaux. Complexité dans les organismes de formation déclarés : il en existe quarante cinq mille, dont seulement cinq mille sont réellement actifs, avec une majorité de petits prestataires soumis à un simple régime déclaratif. La mission propose d'instituer une garantie de solidité financière, sous la forme d'un dépôt obligatoire lors de la déclaration. Un agrément pourrait également être délivré par le Conseil économique et social régional.

Complexité des diplômes : plus de mille deux cents diplômes ou titres professionnels sont délivrés par sept ministères certificateurs. On décompte cent quatre vingt dix huit CAP, trente-cinq BEP, soixante-treize baccalauréats professionnels, cent neuf BTS. Près de mille quatre cent cinquante licences professionnelles ont été créées pour seulement vingt mille étudiants, dont une licence professionnelle « Clown », à l'université de Lyon ! (Sourires)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il y a beaucoup de postulants !

M. Jean-Claude Carle.  - L'offre de certification n'est pas en phase avec les besoins. La spécialisation des diplômes s'accorde mal avec la polyvalence requise par le marché du travail.

Complexité des financements : on décompte quatre-vingt-dix-huit organismes paritaires collecteurs agréés, auxquels s'ajoutent les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage.

Complexité enfin au niveau des pouvoirs publics et des administrations d'État ou territoriales : j'y reviendrai.

Deuxième C : cette complexité fait le lit des corporatismes, voire des féodalités : chacun est soucieux de son pré carré mais en oublie les besoins des salariés et des entreprises, ce qui induit le troisième C, celui du cloisonnement.

C'est la politique de la patate chaude, chacun se refilant le bébé. Je me réjouis par conséquent de la fusion ANPE-Unedic ; le candidat Sarkozy s'était engagé à créer un service public de l'emploi universel, parce que, soulignait-il, « le devoir d'un chômeur, c'est de rechercher un emploi, pas de supporter le fardeau de la complexité administrative. Et le devoir de la collectivité nationale, c'est de mobiliser ses moyens au service du retour du chômeur à l'emploi ». Lors du débat au Sénat, j'ai proposé que les services d'orientation de l'Afpa soient intégrés à la nouvelle institution, au nom de la simplification et de l'efficacité. J'ai retiré cet amendement dans l'attente du prochain texte de loi sur la formation et notre commission a demandé un rapport sur les modalités de cet éventuel transfert.

Pour la mission, il faut passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement, fixer d'autres objectifs à la formation et changer de méthode. Aux trois C, nous opposons les trois P et les deux E. D'abord, la personne, physique ou morale, doit être replacée au centre du système car elle en constitue la finalité ; ensuite, le partenariat, qui regroupe l'État, les intervenants socio-économiques, la région et les autres collectivités ; enfin, la proximité, nécessaire pour mieux prendre en compte la diversité des situations et mieux gérer les dépenses. Le bon niveau paraît être le bassin de formation.

Ces deux E, ce sont l'expérimentation et l'évaluation. L'expérimentation est inscrite dans la Constitution. Elle lève la crainte des effets pervers non maîtrisés. Tout ministre, quand il prend ses fonctions, est convaincu qu'il est urgent d'agir. Six mois plus tard, le voilà convaincu qu'il est urgent d'attendre : les corporatismes l'ont persuadé qu'une modification allait mettre la France à feu et à sang. L'évaluation est indispensable. Aujourd'hui, notre système de formation professionnelle souffre d'un manque d'évaluation. Le contrôle de l'État porte plus sur les moyens que sur les résultats et l'examen est parcellaire. En outre, les évaluateurs sont juges et parties, et les outils ne sont pas suffisants. Créons donc une autorité indépendante chargée d'évaluer l'ensemble du système -formation initiale et continue- en s'appuyant sur les compétences existantes.

La mission a fait une quarantaine de propositions, dont trois sont essentielles. Premièrement, il est nécessaire d'harmoniser la loi du 4 mai 2004, qui consacre les accords de l'AMI, et celle du 13 août 2004, relative à la décentralisation. Le plan régional doit avoir valeur d'engagement pour l'ensemble des partenaires. Ainsi nous passerons de compétences séparées à des compétences véritablement partagées. Aujourd'hui, ce plan consiste plus souvent en un catalogue de mesures limitées aux rectorats et aux régions. Pourtant, le monde socio-économique comme les élus locaux sont concernés !

Deuxièmement, nous proposons la création d'un compte épargne formation, à partir d'un nouveau droit individuel à la formation. Je me réjouis d'ailleurs que l'accord sur la modernisation du travail, qui vient d'être validé, prévoie la portabilité du droit individuel à la formation en cas de licenciement. On peut aller plus loin, si les partenaires sociaux le décident, en évitant une transférabilité totale, qui ne serait pas supportable pour les entreprises. Le nouveau DIF transférable impliquera la suppression de l'obligation légale, peu incitative. Les entreprises pourront recourir plus librement à des solutions moins coûteuses que les stages. Le droit individuel à la formation permet une convergence entre les souhaits du salarié et les besoins de l'entreprise. Si le plan de formation, lui, est à l'initiative de l'entreprise, le congé individuel à la formation (CIF) dépend du salarié. C'est la raison qui nous a conduit à faire du nouveau DIF, qui pourrait d'ailleurs être rebaptisé en « devoir indispensable de formation », un pivot du compte épargne formation. Il importe aussi d'attacher le droit à la personne plus qu'à son statut. Ce compte ne pourrait en aucun cas faire l'objet d'un versement en monnaie sonnante et trébuchante : nous irions à l'inverse de l'objectif recherché.

La troisième proposition concerne l'ingénierie. L'orientation est un enjeu central. Or, aujourd'hui, elle se fait par échecs successifs ! Il faut au contraire mettre en place une orientation positive, qui concilie le projet du jeune, les besoins de l'économie et ceux des territoires. Il faut notamment encourager l'intelligence du geste. La connaissance des conseillers d'orientation psychologues en matière d'environnement économique est insuffisante. Nous proposons de les anoblir en « conseillers d'orientation professionnelle et psychologues ». Rattachons-les à la région, chargée de la formation professionnelle.

En ce qui concerne la formation continue, les PME et TPE préfèrent payer l'obligation légale plutôt que de former, pour cause de complexité. Il faut soulager les chefs d'entreprise des tracasseries administratives. Nous proposons que les OPCA les soulagent de ce parcours du combattant. Pourquoi ne pas nous inspirer des agriculteurs qui ont mis en place un service de remplacement, ou favoriser des groupements d'employeurs ? Les préretraités et retraités pourraient être sollicités pour effectuer des remplacements comme pour apporter leur savoir-faire aux jeunes. Ces mesures, pour être pleinement efficaces, exigent à chaque niveau un chef de file, pour assurer la cohérence.

« Il n'y a plus de pilote dans l'avion » nous a dit Jacques Delors à propos de la formation professionnelle. Il faut, aux côtés du Premier Ministre, un chef de file ayant une vision transversale : entre trois et sept ministères s'occupent généralement de ce sujet ! De même à l'Assemblée nationale et au Sénat, la formation est éclatée entre plusieurs commissions et ne figure dans le titre d'aucune. Il s'agit pourtant de la première ligne du budget de la Nation.

Le pilotage revient légitimement à la région, dans la logique même de la décentralisation. Mais pour jouer pleinement son rôle et affirmer son autorité, cette collectivité a besoin d'un instrument stratégique adapté et puissant, le PRDF, qui doit engager tous les partenaires. Le bassin de formation est le lieu privilégié de l'action, afin de traiter les besoins spécifiques et mener des expérimentations. Notre mission recommande, à titre expérimental, des conseils locaux de la formation, chargés de trouver des solutions concrètes à des difficultés locales.

On ne pourra rien faire sans la volonté politique forte exprimée à plusieurs reprises par le Président de la République. Aujourd'hui, le moteur fournit l'énergie ; que l'embrayage enclenche le mouvement ! Il est inacceptable qu'un jeune ayant trouvé une entreprise d'accueil se voie refuser une place dans un établissement, ou qu'un salarié se voie fermer l'accès à une formation indispensable sur le plan professionnel parce quel tel ou tel organisme aurait décidé qu'elle n'était plus prioritaire pour la branche.

Monsieur le ministre, j'attends maintenant de connaître la suite qui sera réservée aux souhaits exprimés par le Président de la République, et le calendrier correspondant.

Je regrette que Mme la ministre chargée de l'économie, des finances et de l'emploi ne participe pas à ce débat. Ses obligations sont sans doute impératives, mais le débat parlementaire et la formation passent une fois de plus au second plan. Cela dit, je sais votre implication au service de l'emploi et de la formation, prouvée autrefois comme parlementaire et aujourd'hui comme ministre.

La formation est le meilleur investissement de la nation. Il y a 25 siècles Socrate avait déjà observé : « Le savoir est la seule matière qui augmente quand on la partage ». Je souhaite que l'année 2008 soit celle du partage du savoir, pour augmenter les richesses de la Nation et assurer l'avenir de nos enfants ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Annie David. - Je suis bien sûr d'accord avec notre collègue M. Carle lorsqu'il constate que la formation professionnelle bénéficie principalement aux salariés les plus diplômés, avec de grosses disparités selon la taille des entreprises. Ainsi, chaque année, 60 % des salariés ne profitent pas de leur droit à formation. Environ 25 % des titulaires d'un CAP y ont accès, contre 45 % des diplômés de l'enseignement supérieur. Selon la direction de l'animation, de la recherche, des études et statistiques (Dares), seuls 8,1 % de chômeurs suivaient une formation professionnelle fin 2005 et 8,7 % un an plus tard.

Notre collègue a également raison lorsqu'il mentionne la complexité de l'offre et son manque de visibilité : en cas de perte d'emploi ou de reconversion, l'existence de 45 000 organismes de formation ne peut que dérouter le salarié, parfois insuffisamment conseillé. Les quatre-vingt dix-huit organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ne font qu'ajouter à cette lourdeur. Notre mission a constaté ces difficultés, que son rapporteur vient de rappeler.

Je ne conteste pas non plus l'aspiration des salariés au droit individuel à la formation, attaché à la personne, transférable tout au long de sa vie et destiné à satisfaire ses besoins en matière de développement professionnel et personnel. Oui, il faut réformer la formation professionnelle pour donner le même droit à tous les salariés et à tous les demandeurs d'emploi, quels que soient leur âge, leur niveau de formation initiale et la taille de l'entreprise où ils travaillent. Comme vous le savez, je pense toujours aux territoires ruraux, très étendus dans mon département, l'Isère. C'est pourquoi j'insiste sur le droit à la formation quel que soit le lieu de résidence.

Mais mon accord avec M. Carle s'arrête à ces constats.

M. Guy Fischer. - Heureusement !

M. Jean-Claude Carle. - Ce n'est déjà pas mal.

Mme Annie David. - En effet, j'estime que la formation est considérée comme un investissement par le patronat, qui souhaite un noyau dur de personnel très qualifié et un bataillon de salariés non qualifiés destinés à faire de la productivité. Ce n'est pas une vision simpliste, mais une réalité que l'on constate en fréquentant la sortie des usines.

En ce moment, on prépare un ou plusieurs textes de loi sur cette question fondamentale après que le Président de la République a déclaré vouloir économiser des milliards d'euros en recentrant la formation professionnelle sur ceux qui en ont le plus besoin : « les chômeurs et salariés les moins qualifiés ». Dans ce contexte, le rapport de M. Carle appelle des réponses du patronat et du Gouvernement. Je me propose de résumer brièvement les enjeux en pointant les menaces qui apparaissent à l'horizon.

En effet, Mme Lagarde a déclaré ici que le Gouvernement avancerait en associant régions et partenaires sociaux, un groupe de travail devant clarifier les priorités stratégiques de la formation professionnelle en distinguant ce qui relève de la négociation collective et de la législation. Or, je suis profondément attachée à la solidarité de la formation professionnelle, tout comme de l'Unedic ainsi que je l'ai rappelé ici même dans le débat sur le service public de l'emploi. La formation initiale, la formation continue et la protection contre le chômage sont étroitement liées. L'État ne doit donc se désengager ni de la formation, ni de la protection contre le chômage. Le paritarisme a certes fait ses preuves dans la gestion de l'assurance-chômage, mais il ne faut pas renvoyer dos à dos les branches et les entreprises pour que chacune finance « sa » formation professionnelle. M. Carle propose de créer des chefs de file. Qui jouera ce rôle ? Les régions ? Les bassins d'emploi ? Les branches ? Notre débat devrait clarifier le rôle des régions, compétentes pour la formation des personnes âgées de moins de 26 ans, des publics les plus éloignés de l'emploi et, désormais, des adultes non salariés.

Dans ma région, Rhône-Alpes, les transferts de compétences n'ont pas été accompagnés de moyens supplémentaires. Ainsi, soixante deux écoles d'infirmières sont désormais à la charge de la région. En outre, le déficit des centres de formation d'apprentis (CFA) devrait excéder 10 millions d'euros à cause de la réforme qui a réduit la collecte de la taxe d'apprentissage. Enfin, le transfert des douze centres de l'Afpa, qui accueillent vingt mille stagiaires par an, est également d'un coût élevé.

Bien que notre collègue n'ait pas mentionné l'Afpa, je tiens à rappeler notre opposition à l'amendement de la commission voté lors du débat sur la réforme du service public de l'emploi, où nous voyons une première étape du démantèlement de l'Afpa au détriment des demandeurs d'emploi. Cet article nouveau, qui démontre la méconnaissance du rôle de cet organisme, a été proposé sans discussion préalable avec les partenaires sociaux, juste quelques semaines avant l'adoption de nouveaux textes sur ce sujet. Il n'y avait donc pas urgence et je souhaite vivement que l'Assemblée nationale revienne sur cette disposition.

Mais j'en viens à la mesure phare préconisée par M. Carle : remplacer l'obligation légale d'élaborer un plan de formation par le financement d'un compte épargne formation. Certes, la création de ce compte est une idée intéressante, mais la suppression parallèle de la contribution de 0,9 % risque de compromettre l'un des fondements de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2003 qui tend à développer les compétences collectives via les plans de formation et qui sert de fondement au droit individuel à la formation.

En définitive, qui payera ? L'État, les régions, les OPCA, l'ANPE voire les individus avec leurs indemnités de licenciement ou leur compte épargne temps ?

Je crains un affaiblissement de la responsabilité des employeurs, qui doivent permettre aux salariés d'acquérir de nouvelles compétences. Par ailleurs, certaines organisations syndicales soulignent que beaucoup de petites entreprises se limitent au minimum légal. La mutualisation des fonds est subordonnée à l'obligation de payer. Qu'adviendrait-il sans cette mutualisation, qui finance des actions largement supérieures à la contribution annuelle de l'entreprise concernée ? Ce serait sans doute la fin d'une équité déjà mise à mal !

Si le plancher de collecte des OPCA est porté de 15 à 50 millions d'euros, les plus petits disparaîtront. À terme, une seule collecte, un seul collecteur, un seul contrat : tel est le credo de notre collègue. Il serait alors honnête de mettre en évidence l'enjeu du paritarisme, dont le financement pérenne est indispensable pour garantir la démocratie. On peut l'assurer par d'autres voies, mais la transparence est indispensable. Au demeurant, je conteste la pertinence du nouveau plancher, car certains organismes font du bon travail avec une collecte modeste, alors que d'autres n'assurent pas leurs missions de proximité malgré une large surface financière.

M. Jean-Claude Carle. - C'est vrai.

Mme Annie David. - Mais il convient surtout de nous interroger sur le contenu des formations. Je suis d'accord avec la CFE-CGC, lorsqu'elle voit dans la formation un outil de promotion sociale. Gardons-nous de la considérer par le petit bout de la lorgnette, le seul objectif du patronat : un retour sur investissement !

Actuellement, le droit individuel à la formation est de vingt heures par an, cumulables sur cinq ans, soit environ quinze jours pendant cette période. C'est notoirement insuffisant pour obtenir une meilleure qualification. Quid des grosses entreprises qui assurent leur propre formation ? Seront-elles exonérées des contributions ? Leurs formations seront-elles prises en compte pour la validation des acquis de l'expérience ?

Enfin, pourquoi cette hâte ? L'ANI signé le 5 décembre 2003 par toutes les organisations syndicales peine à se mettre en place. Un groupe de travail constitué au sein du Comité paritaire national pour la formation professionnelle doit rendre ses premières conclusions en ce début d'année. Pourquoi ne pas les attendre avant de proposer de nouveaux mécanismes ?

En conclusion, je rappelle que le groupe CRC est attaché une vision humaniste et à long terme de la formation tout au long de la vie, avec un droit individuel attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, garanti collectivement, transférable et opposable. Avec un statut progressiste du salariat, ce droit permettrait à chaque salarié ayant suivi une formation d'obtenir une promotion professionnelle et sociale, reconnue en termes de qualification, de rémunération et de conditions de travail. À cette fin, des maisons de la formation et de l'emploi, auxquelles participeraient bien sûr les associations oeuvrant en faveur des salariés handicapés, devraient promouvoir l'insertion professionnelle durable de tous.

Fort de cette ambition, notre groupe tiendra toute sa place dans les débats à venir sur la formation professionnelle. (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou. - Le monde économique et salarial ressent les graves insuffisances de la formation professionnelle comme un handicap grevant notre économie. Une profonde refonte du dispositif actuel apparaît nécessaire à tous.

M. Carle a brillamment mis en évidence les trois maux dont souffre la formation professionnelle : complexité, corporatisme et cloisonnement.

L'accès à la formation professionnelle est très inégalitaire, puisque 60 % des salariés n'y accèdent jamais, en particulier les personnes payées au Smic. L'enchevêtrement des responsabilités des régions, de l'Unedic, des branches professionnelles et de l'État le rend peu lisible. Il est en outre peu ouvert, puisque seulement 1 % des salariés suivent une formation en vue d'obtenir un diplôme, contre 13 % en Suède et 9 % au Royaume-Uni, ce qui prive notre pays d'un potentiel de développement dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

L'apprentissage connaît pourtant un engouement certain auprès des jeunes, mais il s'adresse principalement aux niveaux V (CAP, BEP) et IV (baccalauréat), alors qu'il devrait aussi toucher les niveaux supérieurs. Il faut donc revaloriser l'apprentissage professionnel, en assurant un véritable partenariat formation/entreprise.

Le contrat d'apprentissage est un bon outil car il répond à la fois aux besoins des jeunes et à ceux des entreprises. Son développement sur le territoire national étant très inégal, l'État doit assurer un rôle de régulateur et garantir un socle commun pour prendre en charge les coûts de formation, les primes aux maîtres d'apprentissage, le financement des conditions de vie de l'apprenti. Il est également indispensable de rétablir les exonérations fiscales pour le contrat de professionnalisation qui viennent d'être supprimées, on ne peut comprendre pourquoi.

S'agissant de la formation continue, une rationalisation s'impose : on ne peut que déplorer la multitude des acteurs (État, régions, établissements privés et publics, associations, organisations professionnelles) pour un public de plus en plus classifié en multiples catégories. Les chambres consulaires sont au coeur des dispositifs de création, de reprise ou de développement des entreprises. À ce titre, elles devraient être mieux reconnues dans le dispositif de la formation continue.

Si la formation professionnelle connaît beaucoup de difficultés, je me félicite de l'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier sur la modernisation du marché du travail, qui installe la transférabilité du droit individuel à la formation. Les salariés pourront ainsi conserver ce droit et l'utiliser au cours de la première moitié de leur période d'indemnisation s'ils sont au chômage, ou pendant les deux années suivant leur embauche en cas de nouvel emploi. C'est une avancée majeure.

M. Carle a cité Socrate. Plus modestement, je citerai Gustave Thibon : « Rien ne prédispose plus au conformisme que le manque de formation ». Notre économie doit demeurer riche de ses multiples facettes. Il est donc urgent de mettre en place une véritable réforme de la formation professionnelle, de conjuguer au présent et pour l'avenir les préoccupations des hommes et des entreprises. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Muguette Dini. - L'avenir de la formation professionnelle passe nécessairement par la refonte en profondeur de l'ensemble du dispositif actuellement en place, par un véritable repositionnement de tous les acteurs concernés. C'est le constat qui ressort des travaux de la mission sénatoriale d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, présidée par M. Carle.

La formation professionnelle continue, conformément à ses objectifs initiaux, doit avoir une politique d'adaptation professionnelle des salariés aux évolutions de leur métier, une politique de mobilité et de sécurité professionnelles. Ainsi, elle permet au salarié d'être performant et à l'employeur de gagner en compétitivité et en productivité.

Toutefois, formation professionnelle initiale et formation continue ne remplissent pas ou pas totalement leurs objectifs. Chaque année, cent soixante mille jeunes, soit 20 % d'une génération, sortent du second degré sans qualification professionnelle, sans diplôme. Trois ans après leur sortie du circuit scolaire, le taux de chômage de ces jeunes non qualifiés atteint 40 %. Selon les dernières statistiques, seulement 8 % des demandeurs d'emploi suivent une formation professionnelle. Les formations profitent davantage aux jeunes chômeurs qu'à leurs aînés : en 2005, 14 % des demandeurs d'emploi de moins de 26 ans étaient en formation contre 6 % des chômeurs de 26 ans et plus.

Au sein des entreprises, le taux de départ en formation des salariés est trois fois plus élevé dans les grands groupes que dans les petites et très petites entreprises. Parmi les salariés, ce sont les plus jeunes et les plus qualifiés qui accèdent à la formation professionnelle continue.

Bref, la formation professionnelle initiale enregistre un cuisant échec pour ce qui est de l'entrée sur le marché du travail de nombre de jeunes ; et la formation professionnelle continue ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. C'est d'autant plus regrettable que 25 milliards y sont consacrés chaque année.

Les principales raisons de cette situation, mises en évidence par la mission d'information sénatoriale, sont la complexité du système, le manque de passerelles entre les différents dispositifs, la déconnexion avec le marché de l'emploi, la multiplicité des acteurs, avec une absence de coordination et de gouvernance, le foisonnement des financeurs. Plus de 1 200 diplômes ou titres professionnels délivrés par sept ministères, soit 198 CAP, 35 BEP, 73 bac pro et 109 BTS ; auxquels s'ajoutent 1 450 licences professionnelles, 45 000 organismes de formation déclarés et 98 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Ajoutons qu'à chaque catégorie d'individus pouvant prétendre à des sessions de formation correspondent des conditions d'accès particulières.

Que faire ? Les propositions de la mission d'information sénatoriale sont nombreuses et concrètes ; elles ont d'ailleurs été saluées par nombre d'observateurs pour leur pertinence et leur audace. Pour ma part, je considère qu'il est fondamental de remettre du sens, du liant, de la cohérence et de la simplicité.

Il convient notamment de simplifier en regroupant contrat d'apprentissage et contrat de professionnalisation au sein d'un contrat d'insertion en alternance pour optimiser les capacités d'accueil en entreprise et en centre de formation et de rationaliser les financements. Il convient d'insister sur le regroupement interprofessionnel des OPCA et la suppression de l'obligation légale faite aux entreprises de verser 0,9 % de leur masse salariale brute pour le financement du plan de formation. Les sommes ainsi libérées abonderaient en partie un compte d'épargne de formation individualisé dont le champ d'application serait plus large que celui du droit individuel à la formation qui, même transférable, reste circonscrit aux salariés en activité, laissant ainsi plusieurs catégories de population en marge du système.

Attaché à la personne tout au long de sa vie professionnelle, ce compte d'épargne de formation couvrirait les individus indépendamment de leur statut : les primo-entrants dans le monde du travail, les salariés en activité, les demandeurs d'emploi, les personnes en reconversion et les retraités. Un seul outil répondrait alors à une grande variété de situations.

Une gouvernance territoriale articulant des niveaux de compétences clairement définies permettrait de remettre du sens et du liant. L'État doit demeurer dans son rôle de cadrage normatif mais également se poser en tant que garant de l'équité. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est légitime pour devenir l'instance de concertation nationale, garante des objectifs nationaux de la formation professionnelle.

La mise en cohérence des politiques de formation doit revenir à la région. Élaboré sous l'autorité du président du conseil régional, le plan régional de développement des formations professionnelles est l'instrument adapté pour assurer la coopération régionale des acteurs publics, associatifs, professionnels et privés autour d'un même projet. Enfin, c'est à l'échelon du bassin d'emploi que doit se faire l'articulation entre les besoins en emplois et les formations à mettre en place.

Bref, la réforme de la formation professionnelle est un défi capital à relever sans attendre. Les sénateurs du groupe UC-UDF sont prêts à y concourir efficacement. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Christiane Demontès. - Quelques jours après avoir débattu d'un texte sur la fusion entre l'ANPE et les Assedic, quelques jours après que les partenaires sociaux ont conclu de difficiles négociations sur la modernisation du marché du travail et des contrats de travail, quelques jours après une déclaration du Gouvernement au sujet du Grenelle de l'insertion et l'annonce par le Président de la République d'un prochain texte sur la formation professionnelle, quelques mois après la remise du rapport de la mission d'information commune sur les dispositifs de ce secteur que présidait notre collègue Carle, nous débattons de cette question essentielle qu'est l'avenir de la formation professionnelle. C'est heureux et indispensable. Certes nous aurions préféré que ces débats et projets multiples, parfois inscrits dans l'urgence alors que rien ne le justifie réellement, soient plus et mieux associés. L'action gouvernementale y aurait certainement gagné en cohésion et en lisibilité.

« Savoir pour prévoir, afin de pouvoir » disait Auguste Comte. La mise en perspective de la formation au savoir, en l'occurrence professionnelle, est donc d'importance. Chaque année, 20 % d'une génération, soit plus de cent cinquante mille personnes quittent le système scolaire sans qualification suffisante pour intégrer dans de bonnes conditions la vie active. Les jeunes sont inégaux devant cette situation qui frappe particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers populaires et connaissent un taux de chômage voisin de 40 %.

Dans une société de la connaissance, où les technologies évoluent très rapidement et conditionnent l'exercice professionnel, l'accès au savoir et à la compétence est une donnée essentielle. Débattre de la formation professionnelle renvoie ainsi à deux dimensions ; l'une, collective, est liée à notre avenir économique et social ; la seconde, individuelle, conditionne la possibilité pour chacun de progresser, de s'accomplir, de trouver sa place dans la société et de contribuer à son amélioration.

La seconde dimension, individuelle, conditionne la possibilité pour chacun de progresser, de s'accomplir, de trouver sa place dans la société.

Débattre de la formation professionnelle, c'est également avoir à l'esprit les 30 milliards qui lui consacrés chaque année et la responsabilité de chacun des acteurs qui y concourt : l'État, les régions, les départements et les partenaires sociaux.

J'ai également participé à la mission commune d'information présidée par M. Carle. Le rapport, issu de ses travaux, dressant un état des lieux très exhaustif de la question, je soulignerai la complexité et le cloisonnement d'un système de formation professionnelle composé d'une multitude de dispositifs allant de la formation initiale scolaire à la formation professionnelle continue en passant par l'apprentissage, la formation des demandeurs d'emploi et la validation des acquis de l'expérience.

Tout d'abord, que chaque élève sorte avec une qualification de l'éducation nationale est un préalable. En effet, trop souvent encore, l'orientation, faute d'avoir été bien préparée, est subie, ce qui est source d'échecs et de renoncements. Il conviendrait donc de généraliser à tous les élèves de troisième des modules de découverte professionnelle afin de leur faire mieux connaître les métiers, et de prévoir des stages de connaissance de l'entreprise durant la formation initiale et continue des acteurs de l'orientation, enseignants, conseillers, psychologues, afin de les professionnaliser davantage.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question.  - Tout à fait !

Mme Christiane Demontès.  - Reste que rien ne pourra se débloquer si nous ne généralisons pas l'orientation concertée qui, par la mobilisation de l'ensemble de la communauté éducative, permet aux élèves et à leurs familles d'être mieux informés sur les métiers et les filières. A cet égard, les menaces, momentanément levées, qui pèsent sur l'existence de certains lycées professionnels et sections, ne vont pas dans le bon sens. Tout se passe comme si on voulait envoyer tous les élèves vers l'apprentissage, ce qui n'est ni possible, ni souhaitable pour les jeunes et les entreprises.

Diversifier la formation professionnelle est aussi une priorité. Il faut favoriser l'accès au contrat d'apprentissage pour tous, indépendamment du milieu social et des origines -j'y insiste-, en veillant à ce qu'aucun jeune ne renonce à un contrat d'apprentissage, faute de place en centre de formation d'apprentis. Dans la même logique, il faut absolument poursuivre la mise en oeuvre des lycées des métiers, qui offrent un parcours de qualification professionnelle du CAP-BEP au BTS. En outre, il faut simplifier les cursus ; modifier, voire supprimer, les diplômes devenus obsolètes ; mieux conjuguer périodes d'étude et d'activité jusqu'au diplôme ; et, enfin, revoir le statut du lycéen professionnel.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Juste !

Mme Christiane Demontès.  - L'économiste John Maurice Clark écrivait « le savoir est le seul outil de production qui ne soit pas sujet aux rendements décroissants ». La difficulté qu'éprouvent les personnes peu qualifiées à retrouver un emploi le montre bien. C'est en leur direction que nous devons orienter l'offre de formation, et non vers les plus diplômés qui en bénéficient aujourd'hui majoritairement. Ce sera une manière de lutter contre le « descendeur social » et le déterminisme social, hélas !, encore si forts dans notre société ; une façon d'inscrire la formation professionnelle dans une logique de justice sociale. L'accès permanent à la formation pour tous sera garanti avec la portabilité du droit individuel à la formation. Celui-ci devra constituer une véritable modalité de formation négociée. A cet égard, le dispositif de validation des acquis de l'expérience doit être renforcé par une plus grande implication du service public de l'emploi, des organismes paritaires collecteurs agrées - OPCA-, des missions locales et des centres d'information et d'orientation - CIO- dans l'accompagnement des candidats.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Très bien !

Mme Christiane Demontès.  - Au-delà, les régions devront assurer une véritable coordination entre les structures, coordination aujourd'hui renforcée par les maisons de l'emploi et la fusion de l'ANPE et de l'Unedic. L'accès à la formation professionnelle tout au long de la vie participe de la sécurisation des parcours professionnels que demandent légitimement nos concitoyens. Enfin, pourquoi ne pas ouvrir la validation des acquis de l'expérience aux élus locaux, associatifs et syndicaux ? Cela favoriserait leur reconversion en fin de mandat.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Bonne idée !

Mme Christiane Demontès.  - Dans le cadre du paritarisme -dont le financement doit, par parenthèse, être revu-, nous devons rationaliser l'usage des 30 milliards consacrés chaque année à la formation professionnelle. Il faut distinguer les « 0,75 % » versés aux organisations professionnelles, membres des OPCA, des « 0,75 % » versés au Fongefor, financés sur le budget de l'État au titre de la démocratie sociale.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - C'est vrai !

Mme Christiane Demontès.  - Alors que se développent les services rendus par les OPCA aux entreprises, ne faudrait-il pas relever le plafond de 0,75 % à 1 % ? Enfin, ne faut-il pas favoriser le regroupement des OPCA, relever le plancher de collecte, qui conditionne la délivrance de l'agrément administratif, de 15 à 50 millions, créer des OPCA régionaux, mutualiser les fonds perçus par eux au bénéfice des très petites et moyennes entreprises ?

S'agissant de l'ingénierie de formation, notre pays dispose d'une structure de première qualité, le Conservatoire national des arts et métiers dont le savoir-faire pourrait être utilement diffusé auprès des organismes qui ne peuvent financer eux-mêmes des recherches en ingénierie de formation ou de certains établissements universitaires, qui ont besoin d'une impulsion pour adopter des pratiques pédagogiques mieux adaptées.

Dans ce cadre rénové, la gouvernance et l'évaluation de la formation professionnelle sont essentielles. A l'État de garantir l'équité au plan national pour combattre les éventuelles inégalités territoriales que la régionalisation pourrait créer. Les axes de réforme de la politique de formation devront être le lien avec l'emploi et la formation, l'accès à la formation, l'efficacité de l'appareil de formation et la rationalisation des circuits financiers. Pourquoi ne pas organiser des états généraux de la formation avec tous les acteurs concernés ? Enfin, il serait bon de placer sous l'autorité du Premier ministre un secrétaire d'État ou un Haut-commissaire chargé de coordonner les politiques de la formation professionnelle, le pilotage de celles-ci étant confié aux régions, au plus près des réalités économiques et sociales. Le plan régional de développement des formations professionnelles -le PRDFP- devrait avoir une valeur prescriptive ; cela permettrait à l'éducation nationale et au monde économique de s'engager enfin dans une stratégie de partenariat. Tous les acteurs seraient associés à son élaboration : les services de l'État comme le rectorat, les partenaires sociaux, les conseils généraux, les organismes consulaires, les prestataires de formation, la communauté éducative et les associations familiales.

L'amélioration de la gouvernance exige encore de structurer le dialogue social au niveau régional, grâce à des pôles paritaires régionaux, des conférences des financeurs, des groupements d'intérêt public et des comités de coordination.

L'évaluation des politiques de formation est indispensable, nous proposons d'en confier la responsabilité à une mission parlementaire. Elle porterait sur la qualité des formations, leur adéquation avec le marché du travail, le respect du principe constitutionnel d'égalité.

La formation professionnelle est une chance pour notre pays, nous devons renforcer son efficacité : c'est un défi urgent, il en va de notre avenir même et de la justice sociale ! (Applaudissements à droite)

M. Georges Mouly.  - La formation professionnelle sert l'objectif du plein emploi et la compétitivité même de notre économie, nous en connaissons les maux, en particulier l'insuffisante articulation avec les besoins des entreprises, la complexité de son organisation, l'éclatement des responsabilités, le décalage des diplômes et des titres avec les métiers.

Le préapprentissage est appelé, semble-t-il, à disparaître en juin prochain, alors que son utilité est démontrée. Dans mon département, seuls 5 % de ses bénéficiaires rompent leur contrat d'apprentissage, contre 10 à 15 % de ceux qui ne sont pas passés par les classes préparatoires à l'apprentissage. L'accès à la formation demeure difficile, surtout pour les moins qualifiés : 16 % des demandeurs d'emploi non qualifiés en font la demande à l'ANPE lors de leur premier entretien, contre 24 % des chômeurs les plus diplômés. La réforme de l'ANPE doit contribuer à simplifier le système de formation pour les chômeurs, c'est une bonne chose. Quant au droit individuel à la formation (DIF), créé après l'accord interprofessionnel de décembre 2003 et la loi de 2004, il a pour défaut de s'éteindre à la fin du contrat de travail.

L'offre de formation est diverse et hétéroclite, les efforts de restructuration accomplis par l'Afpa vont dans le bon sens, le secteur public peut aller plus loin. Il serait probablement utile de conforter la solidité financière des organismes.

La réforme de l'apprentissage de 2005 se traduit par des prélèvements en hausse et théoriquement mieux ciblés, mais le système demeure complexe. Peut-être simplifierait-on la vie des entreprises en leur donnant le libre choix d'un collecteur délégataire unique et en leur proposant les services qu'elles attendent, ce qui supposerait notamment une certaine concentration des quatre-vingt dix-huit OPCA ?

La décentralisation a fait émerger la région comme acteur essentiel de la formation, les pratiques ont largement évolué, au point qu'on peut se demander, à l'instar de M. Delors, s'il y a encore un pilote dans l'avion. Les régions négocient directement avec l'éducation nationale, leurs périmètres d'intervention ne coïncident pas toujours. Il faut également mieux articuler les logiques territoriales et les logiques des branches professionnelles, en structurant le dialogue social au niveau régional et en y associant les départements. L'État, de son côté, doit veiller à l'égalité entre les territoires, les régions assurant la mise en cohérence des formations : le plan régional de développement des formations professionnelles est l'outil stratégique le mieux adapté.

La réforme de la formation professionnelle doit permettre à chaque Français de suivre une formation suffisamment longue pour changer de métier voire de filière dans sa carrière professionnelle. La refonte de la politique de formation professionnelle sera un chantier important de l'année 2008, la réforme du droit du travail et la sécurisation des parcours professionnels étant pleinement prises en compte. Puissent ces paroles, devenir réalités ! (Applaudissements à droite)

M. Jean Boyer. - Je remercie M. Carle pour ce débat : la vie n'est-elle pas une formation permanente, toujours inachevée ? La formation est déterminante pour l'identité de notre pays, pour notre capacité à préparer l'innovation, elle est au coeur de notre croissance. Comme le disait Albert Camus, « la meilleure générosité envers l'avenir n'est-elle pas de donner beaucoup au présent » ? La formation professionnelle n'a pas d'âge, de couleur, d'étiquette, ni de sexe, elle a son importance tout au long de la vie : elle est l'oxygène de la vie, le poumon de la réussite !

Avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication, elle est devenue un véritable placement pour demain. L'annonce d'une suppression à terme du brevet d'études professionnelles (BEP) ne va pas sans inquiéter : ne faut-il pas maintenir une relation, des passerelles entre l'apprentissage professionnel de base et le bac pro ? Sinon comment les jeunes, avec seulement un CAP, pourront-ils espérer progresser ?

Pour l'apprentissage, il est capital de maintenir le partenariat entre établissements d'enseignement supérieur et entreprises, qui permet la construction de véritables projets professionnels. Oui, l'apprentissage est un remarquable outil d'insertion professionnelle, particulièrement adapté aux jeunes en recherche d'une pédagogie différente puisqu'il permet une confrontation permanente entre les acquisitions théoriques et leur application dans l'entreprise. De plus, la formation en général et les formations par alternance peuvent jouer un rôle dans la recherche et l'innovation, les apprenants pouvant faire appel aux laboratoires des écoles pour les problèmes technologiques et scientifiques mais aussi organisationnels.

Le financement de l'apprentissage est assuré par les régions qui ont tendance à privilégier les formations de niveau inférieur, par la taxe d'apprentissage et, enfin, par l'établissement de formation lui-même. Pour permettre à plus de jeunes et d'entreprises de bénéficier de cet outil remarquable, il serait bon de mieux aider les établissements, et de faire en sorte que les enseignants échangent davantage avec le monde de l'entreprise. Pour les territoires, il est essentiel d'aider les PME à innover, ce qui impose aux établissements d'enseignement supérieur de mettre en place une démarche proche du terrain, structurée, s'appuyant sur les réseaux de ces entreprises -clubs d'entreprises, pôles de compétitivité, pôles d'excellence rurale.

Votre écoute permanente, monsieur le ministre, permettra d'éclairer l'avenir de notre formation professionnelle, indispensable à la construction et à l'identité de chaque homme. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur.  - J'ai apprécié l'ensemble des interventions, d'autant que pas une seule voix ne s'est élevée pour contester le diagnostic posé par la mission d'information présidée par M. Carle. Tout n'est pas réglé pour autant puisque je me souviens d'un rapport sur le même sujet déposé dans les années quatre-vingt-dix à l'Assemblée nationale, et qui dénonçait les mêmes maux que ceux que nous constatons aujourd'hui. Le diagnostic ne suffit donc pas, il faut aussi avoir une claire vision des propositions à mettre en oeuvre. C'est pourquoi j'ai particulièrement apprécié la conclusion de M. Carle sur le volontarisme politique qui doit faire de notre formation professionnelle, initiale et continue, un facteur efficace d'adaptation de notre pays et de ses salariés à la mondialisation.

Atteindre le plein emploi d'ici 2012, c'est l'une des principales priorités de la mandature, conformément aux engagements du Président de la République. Avec Mme Lagarde, qui défend aujourd'hui devant l'Assemblée nationale le projet de loi sur la fusion de l'ANPE et des Assedic, nous visons cet objectif, qui semble réaliste puisque la baisse du chômage, continue depuis deux ans, s'est accélérée au troisième trimestre 2007, passant sous les seuils symboliques des 8 %,au sens du BIT, et des deux millions de chômeurs inscrits en catégorie 1 à l'ANPE. Ce mouvement va se poursuivre, d'autant que les transformations en cours du marché du travail nous offrent une chance historique de sortir de trois décennies de chômage de masse.

Selon les chiffres provisoires de l'Agence pour la création d'entreprises, nous avons battu en 2007 un record avec trois cent vingt deux mille créations d'entreprise, après celui, déjà historique, de deux cent quatre-vingt-deux mille créations en 2006. La vitalité entrepreneuriale s'accélère donc et nous travaillons à un projet de loi sur l'entreprise et l'entrepreneur qui complètera les deux lois déjà adoptées sur l'initiative économique. Ce texte visera à faciliter non pas tant la création d'entreprise que la création d'activité ; il instituera un statut d'autoentrepreneur -déclaration sur papier simple, charges sociales simplifiées- et comprendra des dispositions spécifiques à la transmission et aux délais de paiement.

Dans les années à venir, il faut en effet s'attendre à de profondes modifications du marché de l'emploi. Déjà, chaque jour quelque trente mille emplois sont créés ou détruits en France. L'économie va poursuivre sa tertiarisation aux deux extrêmes de l'échelle des qualifications. Il y aura davantage d'emplois qualifiés dans l'informatique, le commerce, et les services aux entreprises, mais aussi, avec le vieillissement de la population, davantage d'emplois, souvent moins qualifiés, dans les services à la personne. En ajoutant les emplois libérés par les départs en retraite aux créations nettes, on peut estimer les besoins de main-d'oeuvre à environ sept cent cinquante mille par an jusqu'en 2015, alors que la population active devrait se stabiliser d'ici quelques années. Ces besoins vont renforcer les tensions actuellement observées en matière de recrutement. On parle de cinq cent mille offres non pourvues, en particulier dans l'hôtellerie-restauration, les services financiers et informatiques, la santé et l'action sociale. En dépit du nombre d'actifs disponibles sur le marché du travail, ces déséquilibres ne se résorberont pas tout seuls, parce que les profils recherchés ne correspondent pas aux profils disponibles, parce que les métiers en tension sont souvent perçus, à tort ou à raison, comme peu attractifs. Le risque est donc grand de voir coexister durablement chômage et tensions dans certains secteurs ou territoires.

L'enjeu sera donc, dans les années à venir, de prolonger ce flux important de créations d'emplois, de préférence durables et de qualité -ce qui suppose une croissance dynamique et des réformes structurelles- et d'être en mesure de pourvoir à ces emplois, grâce à un système de formation capable de répondre aux nouveaux besoins, et à la sécurisation des parcours professionnels pendant les transitions. C'est parce que ce défi est considérable que le Gouvernement entend réformer profondément le marché du travail, autour de trois piliers dont le premier est l'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier. Le pari du Gouvernement, qui leur a confié, dans des délais très courts, les difficiles dossiers du contrat de travail et de la formation, est en passe d'être gagné.

Deuxième pilier, la réforme du service public de l'emploi, avec la fusion ANPE-Unedic, qui ne met pas en cause, ainsi que Mme Lagarde l'a réaffirmé devant vous, les maisons de l'emploi, créées à l'initiative de M. Gérard Larcher afin d'assurer une intermédiation plus efficiente.

Troisième pilier, la réforme de la formation professionnelle. Après l'accord de janvier entre les partenaires sociaux, et la fusion ANPE-Unedic de février, une nouvelle étape importante sera franchie, j'en ai la conviction, dès le mois de mars, date à laquelle Mme Lagarde, conformément à l'agenda social défini par le Président de la République, doit mettre en place un groupe de travail sur la formation professionnelle continue réunissant l'État, les partenaires sociaux et les régions. Il sera chargé de clarifier les priorités stratégiques de la formation professionnelle et d'établir un partage clair entre les sujets à traiter par la négociation collective et ceux qui doivent faire l'objet, avant la fin de l'année, d'une réforme législative. Ses travaux permettront de fixer des objectifs et de dégager de premières orientations. Il ne s'agit en aucun cas de poser un nouveau diagnostic puisque l'excellent rapport de la mission d'information présidée par M. Carle l'a déjà dressé. Ses propositions nourriront les réflexions du Gouvernement et j'en profite pour adresser, en son nom, un satisfecit à la Haute assemblée pour la qualité de ses rapports.

Mme Lagarde et moi-même en avons d'ores et déjà tiré plusieurs convictions.

La formation professionnelle continue est aujourd'hui au coeur des préoccupations de nombreux salariés et demandeurs d'emploi, dont les attentes en ce domaine sont immenses. Ceux qui entrent sur le marché doivent pouvoir bénéficier d'une qualification solide et adaptée à l'offre, tandis que ceux qui sont déjà sur le marché doivent avoir accès à des formations d'adaptation à une organisation du travail en rapide évolution. Car c'est par l'adaptation, qui passe par la formation initiale et continue, que l'on répondra à la mondialisation.

L'efficacité du système de formation professionnelle continue est centrale dans la sécurisation des parcours. C'est un enjeu prioritaire tant pour les salariés que pour les entreprises, en termes de productivité et de gestion des compétences, et un facteur déterminant pour notre compétitivité. J'ai admiré, monsieur Carle, votre synthèse sémantique des « 3 C », qui résume les critiques adressées à notre système : complexité, cloisonnement, corporatisme.

Les dépenses engagées au titre de la formation professionnelle étaient de 26 milliards en 2005, dont 3,7 milliards seulement bénéficient aux demandeurs d'emploi. Ce chiffre aide à comprendre l'indignation du Président de la République relevant que les sommes consacrées à la formation professionnelle ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin.

Les facteurs explicatifs sont nombreux : déconnexion entre le segment « salariés » et le segment « actifs inoccupés » du système ; cloisonnement des financements ; complexité de la gouvernance et enchevêtrement des responsabilités ; insuffisance de la coordination, notamment entre les financeurs ; logiques sectorielle et territoriale potentiellement concurrentes.

Le système est à bout de souffle. Il faut sans tarder s'atteler à lui rendre ses vertus. Le Gouvernement entend engager la réforme autour de quatre axes, qui reprennent largement, monsieur Carle, la logique de vos propositions.

Premier axe, la construction et l'actualisation des compétences tout au long de la vie professionnelle. Avec le droit individuel à formation, tous les salariés qui souhaitent s'engager dans une évolution professionnelle devraient pouvoir bénéficier de formations de courte durée offrant des garanties de qualité. Dans le prolongement de la réforme de 2004, le Gouvernement entend mettre en oeuvre le compte épargne formation ; l'accord interprofessionnel de janvier, qui assure la portabilité du droit à la formation, va dans ce sens. Mais il faut aller plus loin et, pour reprendre les mots de votre rapport, passer d'une logique de statut à une logique d'individu. La responsabilisation de chacun passe par l'individualisation des démarches. Se posent alors deux questions : comment assurer à tous un conseil ? Comment garantir, par l'évaluation, la qualité de l'offre de formation ? Nous ne pouvons continuer à dépenser 25 milliards sans aucune évaluation ! Il conviendra également de réfléchir aux moyens de compléter la capitalisation des droits par la mutualisation des ressources et un abondement supplémentaire, au profit des publics prioritaires.

Deuxième axe, optimiser les circuits de financement ; il reviendra au groupe de travail de réfléchir aux moyens de les décloisonner. Votre rapport s'interroge également à bon droit sur la pertinence de l'obligation légale de dépense pour le plan de formation. Se pose enfin la question de la réorganisation de la collecte des fonds, qui passe sans doute, comme le préconise M. Mouly, par le regroupement des OPCA.

Troisième axe, le renforcement de la logique territoriale du système. Trop d'institutions interviennent, sans coordination, auprès des individus comme des entreprises. Le consensus est aujourd'hui acquis sur la nécessité d'une articulation régionale, l'État continuant bien sûr de jouer tout son rôle, comme l'a souhaité Mme Demontès, pour assurer équité et péréquation. Des règles de gouvernance devront être tracées pour définir des objectifs communs et régler la programmation des moyens.

Comment articuler, enfin, logiques sectorielles de branche et logiques territoriales ? Il conviendra de développer nos outils de prospective pour mieux ajuster la formation professionnelle aux besoins des territoires, dans un contexte de tension croissante, en même temps que de réfléchir à la création d'un fonds régional de mutualisation des financements.

Quatrième et dernier axe, auquel ma charge me rend particulièrement sensible, favoriser l'accès des très petites entreprises et de leurs salariés à la formation. Les disparités sont aujourd'hui choquantes, et il n'est pas normal que ceux qui ont le plus besoin de formation, parmi lesquels les salariés de ces entreprises, soient les moins bien pourvus. Les réformes engagées n'ont pas permis de lever les difficultés récurrentes d'accès auxquels ils se heurtent. La complexité de l'organisation de la formation et le peu de transparence du marché appellent l'émergence d'une fonction de conseil et d'intermédiation ; les modalités spécifiques de l'organisation du travail dans ces entreprises requièrent en outre des formes différentes d'acquisition des compétences. La création de services de conseil de proximité constitue une première piste.

Je salue la contribution de tous à ce débat. Notre tâche est considérable. L'enjeu est bien de faire de notre appareil de formation initiale et continue un atout majeur pour adapter notre pays à une mondialisation qui, si nous savons la saisir, peut être une opportunité pour notre pays. (Applaudissements à droite)