Abrogation de la loi instituant un droit d'accueil à l'école

Discussion générale

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi  - La loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire, votée en urgence cet été, a été source de problèmes non négligeables. Son application a suscité de nombreuses interrogations, laissées sans réponse par le ministère de l'éducation nationale. Les recours juridiques se sont multipliés, puisque les préfets ont assigné devant la justice les maires récalcitrants.

De nombreuses communes ont refusé d'organiser ce service minimum ou rencontré des difficultés pour le faire, ce qui s'explique par plusieurs raisons. Certaines considèrent que l'accueil des élèves ne relève pas de leurs compétences, ou qu'elles n'ont pas à subir les conséquences des différends entre l'État et ses agents. D'autres se heurtent à des problèmes de préparation, de logistique, de sécurité et de responsabilité.

Ces difficultés étaient prévisibles : nous les avions prédites lors du débat de l'été dernier. Dès le 27 novembre, devant le congrès des maires de France, le Président de la République évoquait un aménagement de la loi.

M. le rapporteur a conclu à l'absence de vice législatif. Mais je ne suis pas de cet avis.

M. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles.  - Hélas !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi  - Les difficultés d'application ont leur source dans le texte de la loi.

Les maires se heurtent d'abord au problème de la qualification du personnel. La loi dispose que « le maire établit une liste des personnes susceptibles d'assurer le service d'accueil prévu à l'article L. 133-4 du code de l'éducation en veillant à ce qu'elles possèdent les qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants ». Cette notion vague -les « qualités nécessaires »- se révèle un véritable casse-tête. Comment établir ces listes en l'absence de toute recommandation ? Comment en assurer la pérennité ?

L'émoi des maires est d'autant plus grand qu'il s'agit d'enfants très jeunes, de 2 à 10 ans, et que l'éducation nationale soumet normalement le personnel travaillant auprès des enfants à des obligations de qualification très strictes : les enseignants et autres employés des établissements scolaires doivent avoir reçu un enseignement concernant les règles générales de sécurité ainsi qu'une formation relative à la prévention des risques et aux missions des services de secours ; les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles doivent être titulaires du CAP « Petite enfance » et les animateurs des centres aérés du Bafa ; les assistantes maternelles doivent obtenir un agrément de la DDASS et suivre une formation sur les règles d'hygiène et de sécurité. Lors des déplacements de groupes d'enfants organisés par les écoles, il convient de respecter des conditions relatives au taux d'encadrement et à la qualification professionnelle des intervenants. Comment demander aux maires d'oublier soudain ces règles ?

Le Président de la République, devant le congrès des maires de France, a lui-même implicitement reconnu que le Bafa était le minimum requis. Mais il n'en est pas question dans la loi. Il revient au maire et à lui seul d'apprécier quelles sont les « qualités nécessaires » des intervenants : la circulaire du ministère datée du 26 août dernier l'a confirmé.

Or, si le maire a recours à quelqu'un qui se révèle incompétent et provoque un accident, il est seul pénalement responsable. L'article L. 133-9 du code de l'éducation prévoit certes que l'État lui accordera sa protection mais cela ne couvre que les frais de justice et n'empêche pas les poursuites.

La question du taux d'encadrement suscite également l'inquiétude. L'argument de M. le rapporteur, selon lequel aucune condition de qualification ou d'encadrement n'est requise pour l'accueil des mineurs sur une période de moins de quatorze jours, n'est pas de nature à rassurer. J'observe que, si le Gouvernement a refusé de fixer un taux minimum d'encadrement dans la loi, garantie indispensable de la sécurité des enfants, il a fixé par décret ce taux à un adulte pour quinze enfants, à titre indicatif, pour le calcul de la contribution financière.

La prétendue latitude laissée au maire est un prétexte habile pour faire croire aux parents que le Gouvernement leur a donné un nouveau droit, alors qu'il ne cesse de réduire les moyens de l'école.

La loi prévoit que le maire est seul compétent pour identifier les personnes susceptibles d'accueillir les élèves. Il peut faire appel au personnel de la commune ; encore faut-il que celui-ci soit en nombre suffisant. Dans les petites communes, notamment à la campagne, il suffit qu'un enseignant soit en grève pour que soit atteint le seuil de 25 % de grévistes, au-delà duquel le service minimum est obligatoire. Mais faute de personnel, il est impossible pour les communes de remplir cette obligation.

Le problème est le même dans les grandes villes : à Lyon, le tribunal administratif, saisi par le préfet, a donné raison à la commune qui n'avait pu assurer ce service en estimant qu'elle avait fait « le nécessaire pour s'acquitter de ses obligations légales ». A Paris, le tribunal administratif saisi en référé a sommé le maire d'appliquer la loi, mais le jugement au fond pourrait être différent : selon Le Parisien, lors d'une audience vendredi dernier, la commissaire du Gouvernement a énuméré les failles de la loi et conclu qu'elle était « inapplicable dans de bonnes conditions dans les grandes et les petites communes ». La réaction des maires est donc légitime.

Affecter des personnels communaux au service minimum d'accueil ne risque-t-il pas de privilégier un service public au détriment d'un autre ? Sans compter que ces personnels, qui jouissent également du droit de grève, ne peuvent être réquisitionnés. Les maires, au premier rang desquels les maires ruraux, sont donc contraints de se tourner vers d'autres solutions. Mais comment recruter ? Faut-il, comme en a pris l'initiative le maire de Champs-sur-Marne pour démontrer par l'absurde l'inapplicabilité de cette loi, afficher devant les écoles un courrier invitant les parents d'élèves à se porter candidats ? M. le rapporteur évoque, quant à lui, la possibilité d'impliquer les services de l'éducation nationale ; manière de faire écho à un courrier de l'inspecteur de l'académie de Loire-Atlantique invitant les professeurs partis à la retraite ces trois dernières années à alimenter le vivier. Quel paradoxe !

Ensuite, le délai de 48 heures, dont le maire dispose pour organiser le service public, est trop bref. Comment vérifier, en ce temps très court, la disponibilité des personnes portées sur la liste ainsi que leur situation personnelle et professionnelle ? La loi étant muette sur ce point, M. le rapporteur conseille aux maires de mettre au point leur liste de personnels « bien avant le déclenchement des conflits sociaux » mais ces personnels seront-ils encore disponibles et qualifiés à la date de la grève ?

Ces imprécisions justifieraient à elles seules l'abrogation. Plus important encore, ce service d'accueil, dont l'ambition est de constituer un nouveau service public selon la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2008, n'assure pas l'égal accès des élèves sur le territoire puisque rien n'est prévu pour les élèves nécessitant un encadrement renforcé tels que les enfants handicapés et les élèves des zones prioritaires. Un véritable service public ne saurait dépendre de moyens locaux, il doit se fonder sur la mise en commun des moyens.

Enfin, cette loi, en ce qu'elle n'assure pas la sécurité des élèves, contrevient au principe de la primauté de « l'intérêt supérieur de l'enfant » posé à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, entrée en vigueur en France en septembre 1990. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'abroger cette loi. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG et socialistes)

M. Philippe Richert, rapporteur de la commission des affaires culturelles.  - L'ordre du jour nous réserve parfois des surprises... Six mois après l'adoption de la loi instituant un droit d'accueil, nous sommes aujourd'hui invités à l'abroger ! (Murmures réprobateurs sur les bancs CRC-SPG) Imaginons que l'opposition remette en question chacune des lois adoptées par la majorité. Ce n'est pas de cette façon que nous règlerons le problème de l'encombrement de l'ordre du jour...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Entre-temps, la situation a changé !

M. Jean-Claude Carle.  - Ah oui ? En quoi ?

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Selon l'opposition, les grèves de l'automne dernier auraient démontré l'impossibilité de mettre en oeuvre la loi du 20 août 2008. Les communes rencontrent-elles de si grandes difficultés à mettre en oeuvre le service d'accueil ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi.  - Oui !

M. Jean-Luc Fichet.  - Oui, absolument.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Ces difficultés sont-elles liées à la loi ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi  - Sans aucun doute !

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Je pose la question...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi.  - Nous avons la réponse ! (On le confirme sur les bancs socialistes)

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Les grèves de l'automne dernier ont surtout démontré que les familles appréciaient ce nouveau service, notamment les moins favorisées comme l'avait souligné le ministre dès l'examen de cette loi. Si ce service n'existait pas, comment les parents se seraient-ils organisés lors des grèves répétés du dernier trimestre ? (Protestations à gauche) La question est importante pour les familles, il n'est donc pas illégitime que le Parlement s'en préoccupe.

M. Jean-Claude Carle.  - Très juste !

M. Philippe Richert, rapporteur.  - L'intérêt du service d'accueil étant indiscutable -le Conseil constitutionnel l'a confirmé dans sa décision du 7 août dernier-, nous débattrons plutôt de la capacité des communes à le mettre en place.

Pour commencer, rappelons que celui-ci n'est pas toujours de la compétence des communes ; quand un professeur s'absente d'une école publique, son remplacement est organisé par l'État.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Quel exploit !

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Mais quand plus de 25 % des professeurs d'une école publique ont déclaré leur intention de faire grève, l'État ne peut plus assurer lui-même le service d'accueil. D'où notre choix pragmatique d'en confier l'organisation à la commune. Malgré les difficultés, les maires sont capables d'offrir ce service. Nous en étions convaincus et les faits ne nous ont pas démentis : le 20 novembre dernier, lorsqu'un professeur sur deux était en grève dans le primaire, 80 % des communes sont parvenues à proposer un tel service d'accueil, voire 95 % dans les académies de Rouen, Poitiers, Nice ou Versailles. Reste des exceptions notables : l'académie de Montpellier et les départements de l'Ariège, de la Haute-Saône et de la Seine-Saint-Denis. Cela prouve que la tâche n'est pas insurmontable...

M. Philippe Richert, rapporteur.  - ...et, partant, que la présente proposition de loi doit être rejetée. Mais, compte tenu du retentissement médiatique donné à la décision de certains maires de ne pas organiser le service d'accueil, la commission a souhaité approfondir l'analyse en distinguant les quelques communes qui, confrontées à de réelles difficultés, n'ont pu, malgré leurs efforts, appliquer la loi de celles qui ont pris délibérément la décision, par principe, de s'en écarter.

Que la loi n'ait pas été appliquée partout ne signifie pas qu'elle est inapplicable.

Parmi les 20 % de communes n'ayant pas mis en oeuvre le service, celles qui ont tenté de le proposer sont minoritaires. Là encore, l'effet dément l'impression. Une commune qui n'applique pas la loi n'est donc pas nécessairement dans l'impossibilité de le faire. Ainsi, la Ville de Paris est parvenue en octobre à organiser le service d'accueil. Elle regrettait même d'avoir mobilisé trop de personnel. Quelques jours plus tard, elle s'est déclarée incapable de recommencer en utilisant les nombreux animateurs dont elle dispose. Une attitude aussi fluctuante signifie qu'au-delà des moyens nécessités par la loi, il faut vouloir l'appliquer. Ce ne fut pas le cas partout.

Il reste que certaines communes ne sont pas parvenues à organiser le service. La question légitime est donc la suivante : pourquoi des difficultés insurmontables sont-elles parfois apparues ?

A mes yeux, la réponse est simple : ces communes n'ont pas obtenu toute l'information, ni toute l'aide nécessaire, car l'État n'a pas su les accompagner dans cette nouvelle compétence. Je formulerai à ce propos trois observations.

Tout d'abord, le service d'accueil doit être organisé exclusivement dans les écoles où le taux de grévistes déclarés dépasse 25 %, ce qui limite le nombre d'enfants à accueillir.

Ensuite, tous les élèves qui pourraient bénéficier du service n'en ont pas nécessairement besoin, car certains parents peuvent prendre leurs enfants en charge. Ainsi, le fait qu'une commune urbaine accueille 18 000 écoliers ne signifie pas qu'il faudra en prendre 18 000 en charge le jour de la grève. Cela simplifie grandement la charge pesant sur les communes, puisque l'on peut demander à l'avance aux familles ce qu'elles souhaitent. Certaines changeront peut-être d'avis, mais on connaîtra l'ordre de grandeur plusieurs jours avant la grève. En effet, le nombre de grévistes déclarés n'est connu que 48 heures à l'avance, mais la loi que nous avons votée en juillet impose une négociation préalable, ce qui laisse le temps d'informer les communes, avec un délai supérieur à dix jours. Jusqu'ici, cette disposition était restée inappliquée faute de décret. Celui-ci ayant été publié, les communes auront plus de temps pour évaluer le nombre d'enfants à accueillir.

Enfin, aucune disposition n'oblige à utiliser du personnel communal, bien que cette solution puisse simplifier la tâche. Au demeurant, les agents territoriaux spécialisés d'école maternelle (Atsem) suffisent généralement, lorsqu'ils existent. Mais la loi autorise explicitement les maires à solliciter toute personne capable à leurs yeux d'accueillir et d'encadrer des enfants. Encore faut-il les trouver. C'est pourquoi j'avais proposé, lors de l'examen du projet de loi, que les communes tiennent à jour une liste des personnes pouvant organiser le service. L'expérience montre que la constitution préalable d'un vivier d'intervenants a permis de surmonter l'essentiel des obstacles.

Les difficultés constatées sont donc imputables non à la loi, mais à l'accompagnement insuffisant engagé par l'État. Car chaque point que je viens d'aborder aurait dû être clairement expliqué aux communes. En effet, les associations familiales, les organisations de parents d'élèves, les professeurs contractuels et les assistants d'éducation pourraient constituer la base du vivier, si les intéressés en sont d'accord. C'est pourquoi, lorsque nous avons examiné le projet de loi, j'avais souhaité que les communes et les services de l'éducation nationale aient conjointement la responsabilité de constituer ce vivier. Ma proposition avait éveillé des inquiétudes, mais je constate aujourd'hui qu'elle était fondée.

C'est pourquoi je souhaite que les services ministériels déconcentrés participent à l'organisation du service d'accueil. A mes yeux, les maires pourraient rencontrer régulièrement les représentants de l'État : les sous-préfets pourraient participer aux réunions des associations locales de maires, afin de répondre aux interrogations des communes. (Marques d'improbation à gauche) Je remercie les collègues qui commentent cette intervention.

M. Jean-Claude Carle.  - Cela prouve qu'elle est intéressante.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Dans mon département, certains maires souhaitent des précisions.

Je prendrai un exemple : le statut et la rémunération des personnes assurant l'accueil. De nombreux élus ignorent ce qu'il en est. Il serait simple de leur présenter le statut de contractuel, en expliquant les formalités nécessaires. De même, l'État verse 110 euros par groupes de quinze élèves accueillis, ce qui précise la rémunération susceptible d'être versée. Ces soucis pratiques suscitent bien des inquiétudes pour de nombreuses petites communes.

Je me réjouis donc des initiatives prises après le discours prononcé par le Président de la République devant le congrès des maires.

En effet, il est bon d'abandonner les poursuites engagées contre les communes de bonne foi ayant échoué à organiser le service d'accueil, car la célérité des recours contrastait avec l'inertie de l'État face aux questions posées. A l'inverse, il est souhaitable de maintenir les actions engagées contre les maires ayant délibérément refusé d'appliquer la loi, car ils ne peuvent s'émanciper d'obligations légales qui ne leur conviendraient pas. A cet égard, je salue l'esprit républicain dont ont fait preuve les auteurs de la proposition de loi, puisqu'ils reconnaissent que le texte voté par le Parlement et déclaré conforme à la Constitution par le juge constitutionnel doit s'appliquer sur le territoire de la République.

Je me réjouis également, monsieur le ministre, des propositions que vous avez récemment transmises aux associations représentant les maires, notamment à l'AMF. En effet, il a été clairement précisé le 2 décembre que les services de l'État allaient communiquer sans délai le nombre de grévistes aux communes, afin qu'il soit possible d'évaluer, plusieurs jours à l'avance, les effectifs d'élèves à accueillir. De même, les services de l'éducation nationale demanderont aux familles d'indiquer quelques jours à l'avance si elles souhaitent bénéficier du service. Enfin, le ministère proposera aux communes de recourir aux intervenants habituels de l'école -comme les associations familiales ou les parents d'élèves- pour constituer leur vivier, à condition que les personnes concernées l'acceptent. Tous ces points figurent dans votre note du 15 janvier, adressée aux inspecteurs d'académie. C'est une excellente chose, en espérant que vos services auront perçu l'urgence d'une véritable implication de l'État dans l'organisation du service d'accueil.

Je crois également nécessaire de mettre en place au plus vite le comité de suivi et d'évaluation de la loi, dont la création a été annoncée il y a quelques jours. Il faut recenser et donner une réponse rapide à toutes les difficultés pratiques rencontrées, car il serait incompréhensible que la carence de l'État sur ce sujet perdure encore.

J'en viens aux réponses de la commission aux trois questions que j'ai posées au début de mon intervention.

Oui, les communes ont rencontré des difficultés dans la mise en oeuvre du service, faute d'une aide suffisante de l'État, mais certaines les invoquent aujourd'hui, alors qu'elles ont sciemment refusé d'appliquer la loi.

Non, ces difficultés ne sont pas insurmontables, puisque 80 % des communes ont proposé le service. Pour que toutes y parviennent, il suffirait que les unes en aient la volonté et que les autres reçoivent l'aide nécessaire.

Non, ces difficultés ne sont pas imputables à la loi, bien que sa mise en oeuvre soit plus ou moins complexe selon les communes. Toutes peuvent y parvenir.

La commission a donc rejeté la proposition de loi, tout en appelant solennellement les ministères concernés à accompagner les communes. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. Jean-Claude Carle.  - Excellent !

M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale.  - La mise en place du droit d'accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques représente une avancée considérable pour les familles. C'est donc un progrès social. Or, voici qu'une proposition de loi tend à l'abroger.

Votre rapporteur vient d'exposer excellemment les raisons des conclusions négatives de votre commission des affaires culturelles, auxquelles je souscris.

Je ne conteste pas que la mise en oeuvre du droit d'accueil n'ait constitué un défi nouveau pour les communes, avec son lot de contraintes parfois difficiles à surmonter. Beaucoup y sont parvenues ; d'autres non, certaines de bonne foi.

Certains souhaitent distinguer les obligations imposées aux communes rurales de celles que l'on pourrait exiger des communes urbaines. Cela créerait une inégalité entre les enfants des champs et les enfants des ville, qui ont tous besoin de ce service.

Il faudra du temps pour concilier le droit de grève des enseignants et le droit des familles à travailler librement, car le temps fait émerger des solutions à des problèmes qui paraissaient insolubles. L'abrogation proposée d'une loi n'ayant fait l'objet que de deux applications en six mois d'existence nous priverait précisément de ce temps.

De nombreuses avancées ont été menées ces derniers mois. Tout d'abord, le décret instaurant une négociation préalable, paru le 2 décembre 2008, améliorera l'anticipation de la conflictualité et permettra aux inspecteurs d'académie d'évaluer avec précision la portée du conflit, parfois aussi de l'apaiser, voire d'y mettre fin. Avec ce dispositif d'alarme sociale, nous allons passer de la culture du conflit à celle de la négociation. Les agents seront informés des résultats de la négociation et pourront décider en connaissance de cause de faire ou non la grève.

Conscient des difficultés de certaines communes, et notamment les plus petites, j'ai rencontré le président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, afin d'identifier les évolutions nécessaires à la bonne réalisation de ce droit pour les familles. Suite à nos discussions, j'ai demandé aux inspecteurs d'académie de transmettre un comptage fin des grévistes aux communes et d'aider celles qui auraient des difficultés à constituer un vivier de personnes susceptibles de participer à l'accueil des élèves. Cette question tient à coeur à votre rapporteur qui souligne que beaucoup de communes n'ont pas mis en place le service d'accueil faute d'explications ou d'informations. J'ai encouragé les inspecteurs d'académie à ouvrir un dialogue permanent avec les maires.

Dans un esprit d'apaisement, Michèle Alliot-Marie et moi-même avons demandé aux préfets de se désister des actions contentieuses dirigées contre les municipalités qui n'auraient pas fait connaître d'opposition de principe à l'application de la loi. En revanche, les poursuites seront bien entendu maintenues à l'encontre des municipalités qui auraient délibérément refusé de mettre en oeuvre ce service pour des raisons politiques ou idéologiques, bafouant ainsi la volonté du législateur. Ce sera vrai de Paris aussi : le commissaire du Gouvernement a conclu à l'annulation de la décision de la mairie de Paris de ne pas appliquer cette loi.

Ces aménagements ont pour but d'améliorer la mise en oeuvre du service d'accueil sans esprit partisan ni stigmatisation. Je crois à l'esprit républicain de l'ensemble de nos élus et je veux leur donner toutes les clés pour mettre en oeuvre la loi. Je suis à leur écoute : j'ai rencontré récemment l'Association des grandes villes de France, ainsi que l'Association des élus de montagne. Je rencontrerai demain la Fédération des maires des villes moyennes et la semaine prochaine l'Association des maires ruraux. A leur demande, je vais mettre en place un comité de suivi de la loi.

La loi est nouvelle, son application récente. Nous devons faire confiance au temps pour que les choses se mettent en place entre les communes, les parents et les professeurs. 12 000 communes qui devaient mettre en place ce service l'ont effectivement appliqué lors des dernières grèves, ce qui montre que cette loi est parfaitement applicable. Je vous demande donc de voter les conclusions négatives de votre rapporteur et de laisser en l'état cette loi qui lui doit beaucoup et dont les vertus ne cesseront de s'affiner au fil du temps. (Applaudissements sur les bancs UMP ; M. Yves Detraigne applaudit aussi)

M. Jean-François Voguet.  - Vous ne serez pas étonnés qu'au nom de mon groupe, je soutienne cette proposition de loi ! Ce débat est conforme à une de nos missions : contrôler l'application des lois. Le fait est que l'application de celle-ci pose problème. Outre la grande difficulté de sa mise en oeuvre, nous ne saurions oublier le sourire ironique du Président Sarkozy déclarant devant les cadres de son parti que personne ne se rend compte des grèves. Pas plus dans l'éducation que dans les transports, il n'a atteint son but, les mobilisations sociales sont là, malgré toutes vos tentatives de les réduire.

Sous couvert de répondre à une hypothétique demande des familles d'assurer une permanence d'accueil les jours de grèves, votre objectif était de mettre en cause le droit de grève des enseignants (on le conteste à droite), de réduire les mobilisations sociales et de diviser la communauté éducative en tentant d'opposer les enseignants aux parents, pour mieux faire passer les remises en cause de notre système éducatif. C'est donc avec une certaine fierté que les élus communistes ont dénoncé ce mauvais coup contre le droit de grève et participent aux mobilisations contre votre politique de régression éducative et les suppressions de postes.

Votre objectif principal de briser le droit de grève s'appuyait aussi, s'épaulait même, sur une tentative tout aussi grave de mettre sur le même plan la continuité de l'enseignement et une garderie. D'ailleurs, cette loi vous permet de remplacer des enseignants absents par du personnel de garderie.

Vous avez décidé d'obliger les maires à mettre en place ces garderies en cas de grève alors qu'il est de votre responsabilité d'assumer vos choix et vos méthodes qui mettent régulièrement le personnel enseignant dans l'obligation de se mobiliser. Il s'agit de mettre au pas ces maires récalcitrants qui gèrent leur ville sur de tout autres bases que vous. Avec cette loi, vous tentez de les mettre au premier rang de la gestion des conflits scolaires, ce qui n'est pas leur place. Ce faisant, vous transformez la mission première d'un maire qui est de favoriser le vivre ensemble, les bonnes relations entre tous les habitants et tous les intervenants publics et privés. Un maire est, par définition, un conciliateur. Vous espérez faire porter aux maires la responsabilité de la gêne occasionnée par les mouvements de grève, dont vous êtes seul responsable, pour déstabiliser leur relation avec leur population et avec les enseignants de leur territoire. Et s'ils ne tombent pas dans ce piège, vous les traînerez devant les tribunaux. S'ils étaient condamnés, ce serait pour vous la cerise sur le gâteau !

Cette loi participe d'une vaste opération politique qui vise à remodeler notre République dans le cadre d'obligations toujours plus contraignantes et qui centralise tous les pouvoirs autour du Président. Vous avez fait adopter cette loi dans l'urgence, sans aucune concertation, en prévision des mouvements que vos réformes à venir ne manqueraient pas de faire grandir. Comment, en effet, ne pas être inquiet quand vous supprimez 25 000 postes d'enseignants et que vous prenez toute une série de mesures touchant tous les secteurs de notre service public d'éducation, que vous vous en prenez aux pratiques pédagogiques qui ont fait leur preuve. Vous êtes un pyromane qui crie au feu (Protestations sur les bancs UMP) et vous obligez les maires à devenir des pompiers. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Carle.  - Je m'étonne que nous examinions un texte abrogeant une loi que nous avons votée le 23 juillet dernier, il y a six mois à peine.

M. Michel Charasse.  - Ce ne serait pas la première fois !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Et le CPE ?

M. Jean-Claude Carle.  - C'est sans doute ainsi que nos collègues du groupe conçoivent l'opposition constructive... Cela dit, je conçois aisément que nos collègues aient rejeté le principe même de cette loi : ils ne pouvaient approuver que soit épargnée aux parents la double peine qui leur était jusqu'alors infligée : non seulement les enfants n'avaient pas cours, mais en plus les parents étaient obligés de renoncer à une journée de travail, ou même de salaire lorsqu'ils ne pouvaient plus poser de congé. (Exclamations et rires sur les bancs CRC)

La grève est légitime, mais pas au point d'empêcher celles et ceux qui le souhaitent de travailler. Le droit de travailler est aussi important que le droit de grève, surtout dans le contexte actuel. C'est pour mettre un terme à l'injustice liée à cette double peine que nous avons voté cette loi voulue par le Président de la République. Elle concilie deux libertés d'égale importance : celle de faire grève et celle de travailler. Nous avons ainsi garanti une égalité de traitement entre les parents qui avaient les moyens de faire garder leurs enfants en cas de grève et ceux qui n'avaient pas des revenus suffisants. Nous avons ainsi assuré l'égal accès de tous au service public, ce qui est un des devoirs fondamentaux de l'État.

Nous avons adopté ce texte d'autant plus volontiers qu'il avait été amélioré par plusieurs amendements. Ainsi, grâce à la commission et au travail effectué par notre rapporteur, Philippe Richert, les craintes des élus locaux quant aux questions de responsabilité ont été dissipées et la confidentialité garantie pour les personnels enseignants. L'amendement que j'ai déposé avec plusieurs de nos collègues a prévu un forfait minimum revalorisant la compensation accordée aux communes. Vous avez su, monsieur le ministre, prendre en compte les préoccupations des élus ruraux, et notamment de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). Le forfait minimum de 200 euros et la compensation de 110 euros au lieu de 90 sont équitables.

Selon le groupe CRC, il n'est pas nécessaire de légiférer pour quatre jours de grève par an. Nous pensons au contraire que la loi devait permettre l'application effective du droit d'accueil afin que l'accès des familles au service public ne dépende pas des positionnements idéologiques de certains élus ou de calculs politiciens. D'autre part, il serait impossible pour les communes de s'organiser. Ne généralisons pas : certains maires de petites communes, de bonne foi, ne peuvent appliquer la loi faute de personnel, alors que d'autres, par pure idéologie, refusent de l'appliquer alors qu'ils en auraient les moyens.

Monsieur le ministre, vous avez rencontré le mois dernier le président de l'Association des maires de France (AMF) afin de lever les obstacles que connaissent les petites communes dans l'organisation du droit d'accueil. Ainsi, l'État les aidera à constituer des listes de personnes susceptibles d'assurer ce service et à évaluer les besoins liés au nombre d'enseignants présents et au nombre d'enfants à accueillir. Nous saluons tout particulièrement l'abandon des actions contentieuses contre les petites communes qui n'avaient pas pu assurer leurs obligations le 20 novembre dernier. Annoncée par le Président de la République devant le dernier congrès des maires, cette mesure illustre l'esprit de dialogue qui anime le Gouvernement : il aurait été inconcevable de traiter ces communes de la même façon que celles dont les représentants ont publiquement manifesté leur intention de bafouer la loi.

Cette loi correspond à l'intérêt de tous : des parents, des enfants, qui prennent conscience que l'obligation scolaire doit être respectée tous les jours -j'insiste sur la nécessaire exemplarité des institutions publiques sur la formation de ces jeunes consciences- et des enseignants, dont les mouvements de grève seront d'autant mieux compris qu'ils n'auront pas de conséquences pénibles pour les familles. Si elle était adoptée, cette proposition d'abrogation compromettrait le droit au travail des parents... (Protestation sur les bancs CRC-SPG)

Mme Annie David.  - Et les licenciements ?

M. Jean-Claude Carle.  - ...la formation civique des enfants et les intérêts bien compris des enseignants. Le groupe UMP suivra les conclusions de notre rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Nous l'avons tous constaté sur le terrain et beaucoup d'entre nous l'avaient prédit lors de son examen : la loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires s'est révélée inapplicable, surtout dans les petites communes. Il est impossible d'organiser cet accueil en 48 heures et de disposer d'un vivier suffisant de personnes capables de participer à ce service. Où les trouver ? Sur quel critère les choisir ? Qui les formera et comment ? On ne peut recenser les compétences professionnelles des bénévoles requis par les maires et s'assurer du respect de la réglementation, très stricte en matière d'éducation. Combien, dans nos villages, possèdent les diplômes et agréments requis ? Ne faisons pas de cet accueil une mauvaise garderie, pour laquelle il est impossible d'assurer un service de restauration. Toutes ces difficultés expliquent pourquoi ce texte a rencontré l'opposition des syndicats et des fédérations de parents d'élèves et suscité la résistance des élus.

Si l'instauration d'un droit d'accueil dans les écoles, les jours de grève, était une idée intéressante, sa mise en place a constitué une sorte de supercherie : on a promis aux familles une aide qu'il était impossible de mettre en oeuvre. Cela n'est convenable ni dans le fond ni dans la forme car l'État ne saurait avoir plusieurs paroles ni offrir plusieurs visages. Si « gouverner, c'est prévoir », c'est aussi proposer des solutions aux problèmes et non croire qu'une question est réglée par le vote d'un texte, sans se préoccuper de son application. On ne peut mettre en doute, à ce sujet, la capacité des fonctionnaires -préfets, sous-préfets, inspecteurs d'académie- à informer et conseiller les élus.

A trop charger la barque des communes, celle-ci finira par sombrer. L'État se défausse plus ou moins systématiquement sur les collectivités locales sans se demander comment ces dernières pourront appliquer des mesures qu'elles n'ont souvent pas demandées. (Marques d'approbation sur les bancs CRC-SPG) En témoigne le nombre important de communes qui, lors des dernières grèves, n'ont pas appliqué le service minimum d'accueil. Je pense autant à des petites collectivités qu'à des villes moyennes ou à des métropoles telles Toulouse, Saint-Etienne ou même Paris. En témoignent aussi les décisions de justice qui, dans de nombreux cas, ont donné raison aux maires réfractaires. Ainsi, le jugement du tribunal administratif de Bobigny qui a estimé qu'« aucune mesure ne peut plus être utilement ordonnée aujourd'hui pour contraindre le maire à assurer l'accueil des enfants scolarisés » fera sans doute jurisprudence. Nul ne peut donc être contraint de faire ce qu'il ne peut objectivement mettre en oeuvre, comme l'a estimé le Conseil d'État à propos de la recevabilité des recours en référé. (Marques d'approbation sur les bancs du RDSE)

Une loi insuffisamment pensée n'a pas d'avenir ; c'est pourquoi la majorité des membres du groupe RDSE a déposé un amendement visant à autoriser les petites communes à ne pas assurer cette charge. Nous pourrions ainsi éteindre l'incendie malencontreusement allumé dans le milieu scolaire et dans les communes de France. C'est la voix de la sagesse qui, si j'en crois certaines déclarations récentes, semble être écoutée en haut lieu ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

M. Jean-Luc Fichet.  - Le droit d'accueil, ou plutôt l'obligation d'accueil, fait partie des multiples annonces relatives à l'éducation nationale imposées aux communes sans concertation. Par la loi du 21 août 2008, qui impose aux communes d'organiser l'accueil en cas de grève des enseignants, l'État semble chercher à déstabiliser les communes et les liens que les élus locaux ont tissés avec leurs concitoyens. Comme le rappelle le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'école, celle-ci est financée à 40 % par les communes.

Les élus nous alertent quotidiennement sur les difficultés rencontrées sur le terrain. J'ai récemment reçu un voeu, adopté par le conseil municipal de Moëlan-sur-Mer, dans le Finistère, sur les difficultés d'application de cette loi. Les petites communes ne sont pas les seules concernées et il est inadmissible que le Président de la République oppose, sciemment ou non, les communes entre elles.

M. Guy Fischer.  - Sciemment !

M. Jean-Luc Fichet.  - Bernard Poignant, le maire de Quimper -une ville qui n'est pas une commune rurale-, m'a fait part lui aussi de ses difficultés : « sans revenir sur l'esprit de cette loi mais en s'attachant aux seules modalités techniques, il est tout bonnement impossible de la mettre en oeuvre ». Ces revendications sont relayées par le président de l'Association des maires de France. Dans un courrier adressé à M. le Ministre, Jacques Pélissard écrit : « Il ressort globalement des remontées du terrain un sentiment de pagaille que j'ai le devoir de vous rapporter ». Les huées qui ont accueilli le Gouvernement au dernier congrès des maires témoignent du ras-le-bol et de la colère des élus locaux.

Le service minimum d'accueil est une remise en cause du droit de grève, pourtant fondamental et garanti depuis 1864. C'est un droit constitutionnel au même titre que le service public : vous ne pouvez pas les opposer ainsi, en faisant fi de l'un au profit de l'autre.

Vous en avez pourtant décidé autrement : les communes doivent courber le dos, et qu'importent les complications ! Vous leur faites subir les conséquences d'un dialogue social défaillant dans l'éducation nationale, alors qu'elles n'ont été pas consultées sur la pertinence du dispositif et encore moins associées à son élaboration. De grâce, ne leur demandez pas d'assumer vos manquements ! Vous devriez mettre tout en oeuvre pour éviter les grèves, dialoguer, cesser de décréter l'état d'urgence permanent à légiférer. Le temps est notre maître, si nécessaire pour prendre les bonnes mesures et éviter les conflits.

La loi sur le SMA signe une fois de plus le désengagement de l?État, à un double titre. Désengagement par rapport aux missions de service public, d'abord. Il est paradoxal qu'un système mis en oeuvre au nom de la continuité du service public mette à mal celui-ci. On parle d'accueil, et non d'éducation ; mais l'école n'est pas une gare et les élèves ne sont pas des usagers. La continuité que vend le Gouvernement, ce n'est pas celle du service public de l'enseignement ! Il est indigne de faire croire aux parents que leurs enfants continuent à apprendre, alors que les enseignants sont remplacés par des personnels qui n'ont ni la vocation ni les capacités pour enseigner. De là à ce que le ministère de l'éducation nationale devienne celui de la garderie communale, il n'y a qu'un pas... que je ne franchirai pas.

L'autre désengagement est financier. La loi est floue sur la compensation des charges et la contribution de l'État insuffisante, qui ne permet pas l'encadrement adéquat des élèves. Faut-il y voir une conséquence des difficultés budgétaires actuelles ? Le Gouvernement se défausse sur les communes auxquelles des charges sont transférées sans prise en compte des réalités juridiques, et sans que le coût réel du dispositif ait été apprécié. Les collectivités locales ne peuvent assumer seules les conséquences d'une politique budgétaire irresponsable.

Cette loi est ainsi démagogique et inapplicable. La diversité des situations locales est oubliée. Selon l'AMF, 20 000 des 22 500 communes possédant une école publique ne peuvent assurer le SMA. Elles n'ont pas le personnel nécessaire. Et la loi est muette sur les qualifications requises et le taux d'encadrement. Le cas est rare d'une législation aussi peu rigoureuse lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des enfants ! Sans compter que les besoins d'une enfant de 4 ans ne sont pas les mêmes que ceux d'un enfant de 10 ans...

Comment faire en outre en cas de grève conjointe des enseignants et des personnels communaux ? Un recrutement au petit bonheur la chance n'est ni concevable, ni responsable. Comment anticiper et informer correctement les parents ? Et s'il faut emmener les enfants ailleurs, qui paiera le transport ? Les communes, bien sûr... Il n'est pas possible de légiférer au mépris de la responsabilité des élus et des réalités du terrain.

Mon argumentation démontre l'absurdité du SMA, que vous connaissez, monsieur le ministre ; sans doute est-ce pourquoi vous vous êtes laissé aller à répondre aux élus qui vous interrogeaient : « Débrouillez-vous ! » Quant aux poursuites pénales qui menacent les maires, elles sont honteuses mais bien dans l'esprit de la loi.

M. Guy Fischer.  - Inacceptables !

M. Jean-Luc Fichet.  - En mettant un terme à certaines d'entre elles, vous avez pris tardivement conscience des effets collatéraux de la loi et sans doute de son absurdité ; alors allez jusqu'au bout, soyez responsable et reconnaissez votre erreur !

Nous voulons l'annulation de la loi, non son évaluation ; le geste serait apprécié par les communes qui traversent une période difficile. Le groupe socialiste soutient la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du groupe CRC-SPG et sur plusieurs bancs du groupe RDSE)

M. Yves Détraigne.  - Je ne reviens pas sur les propos que j'ai tenus lors de l'examen des crédits de l'enseignement scolaire, encore qu'il y aurait beaucoup à dire... J'avais alors estimé qu'il était nécessaire que les élus locaux fussent écoutés et consultés avant toute réforme touchant l'école, qu'il était temps que le Gouvernement se rendît compte que les maires sont des acteurs à part entière de l'école et non de simples exécutants, comme ils en ont parfois le sentiment. Selon L'état de l'école 2007, les collectivités assurent 23 % des dépenses nationales d'éducation, et 40 % du financement du premier degré. Que serait l'école si elles ne finançaient pas les classes transplantées, les projets d'école, les équipements informatiques, les transports scolaires ?

Décidé d'en haut, ce texte que les familles ne réclamaient pas, contrairement à ce qu'on a dit, ce texte inapplicable dans de nombreuses communes et qui crée plus de problèmes qu'il n'en résout, ce texte, dis-je, fait l'unanimité contre lui ; il serait tentant de voter son abrogation. Mais le débat a eu lieu il y a six mois. Nous sommes tous des républicains, comme l'a rappelé le président de l'Association des grandes villes de France ; ne remettons pas en cause un texte dont les parents sont en droit de demander l'application.

Depuis son adoption, le ministre a su évoluer et a accepté que soient mieux conciliés les intérêts des familles et les contraintes qui pèsent sur les communes. La création d'un comité de suivi et d'évaluation a été annoncée début janvier et les inspecteurs d'académie ont été priés d'aider les communes ; en tant que président de l'Association des maires de la Marne, j'ai moi-même rencontré l'inspectrice d'académie pour voir comment faciliter la mise en oeuvre du dispositif. Quelques pistes pourraient être explorées au-delà de celles, d'application malaisée, qui figurent dans l'instruction du 14 janvier. Pourquoi ne pas demander aux enseignants qui envisagent de faire grève de le signaler dans le cahier de correspondance des enfants ? Il faudrait surtout simplifier les procédures d'embauche par les communes ; l'Élysée et le ministère savent-ils qu'elle est identique, et démesurée, qu'on recrute un vacataire pour une journée ou pour six mois ?

Les élus demandent de la souplesse. Je crois que vous l'avez compris, monsieur le ministre. Nous pouvons encore avancer. Le groupe Union centriste votera les conclusions de la commission.

Mme Annie David.  - Dommage !

M. Yves Détraigne.  - Mais il souhaite qu'on ne reprenne plus le Gouvernement à imposer de nouvelles contraintes aux collectivités sans une véritable concertation avec leurs associations représentatives. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Françoise Cartron.  - Le Président de la République se plaît à dire que le SMA est une rupture, une réforme à mettre à l'actif de son bilan. Il s'agit bien d'une rupture mais d'une rupture grave dans l'exercice du droit de grève, d'une rupture grave dans les relations entre l'État et les collectivités.

Samedi dernier, 60 000 personnes, dont de nombreux parents d'élèves, ont défilé pour la sauvegarde de l'école publique. Aucun manifestant ne soutenait le SMA. Et pour cause ! Il n'est une avancée ni pour les parents, ni pour les enseignants, ni pour les collectivités, ni même pour les élèves : c'est une rupture inutile.

En faisant obligation aux communes d'accueillir les élèves à partir d'un seuil de 25 % de grévistes, la loi du 21 août 2008 porte gravement atteinte à l'exercice du droit de grève par les enseignants. Avec cette loi, monsieur le ministre, vous stigmatisez les désagréments liés à cet exercice, et refusez de vous interroger sur les causes qui l'ont provoqué.

La responsabilité vous en incombe, avec les suppressions massives de postes, les menaces sur l'école maternelle, la réforme des programmes. Vous prétendez vouloir garantir la continuité du service public : c'est votre choix ; alors assumez-le, mais ne le faites pas assumer par les communes qui n'ont rien demandé !

Le SMA est une mesure d'affichage démagogique et inutile, comme nombre de réformes de ce Gouvernement. Inutile, parce qu'il traduit une réelle méconnaissance des réalités du terrain. Les élus locaux n'ont pas besoin de loi pour assumer leurs responsabilités. Comme beaucoup de prétendues réformes, cette loi a pour conséquence d'opposer entre elles différentes catégories. En stigmatisant les enseignants grévistes, vous avez tenté de leur opposer les parents d'élèves. En confiant le SMA aux communes, vous avez essayé d'opposer les parents à leurs élus locaux. En imposant à ces derniers cette nouvelle charge, vous les avez opposés à leur personnel. Votre méthode de gouvernement, c'est de décrédibiliser sans cesse le service public et d'opposer les uns aux autres. Ce n'est pas ce dont a besoin notre société en crise.

L'expérience nous a montré qu'en plus d'être inutile, cette mesure est également inapplicable. L'État s'est défaussé sur les communes pour organiser ce non-sens éducatif. On demande aux élus de recourir, dans un délai de 48 heures à des personnels non formés, voire à des associations ou à des retraités, et de les substituer aux enseignants ! Or, dans de nombreuses petites communes, le seuil de 25 % est systématiquement atteint dès lors qu'un instituteur se met en grève. C'est notamment le cas en zone rurale, là où les élus ont le plus de difficultés pour organiser un accueil satisfaisant en termes de sécurité et de responsabilité. Je m'associe donc pleinement à l'amendement de repli déposé par Pierre-Yves Collombat, qui restreint l'application du dispositif aux communes de plus de 3 500 habitants. Mais ne nous leurrons pas, le SMA n'est pas plus applicable dans les villes plus grandes et de nombreux maires de grandes villes s'avouent dans l'incapacité d'appliquer la loi dans tous leurs établissements. C'est le cas notamment du maire de Bordeaux, un de vos amis, qui n'est pourtant pas un opposant notoire.

Et que dire de l'acharnement judiciaire à l'encontre de ces maires ? Le premier devoir d'un maire est d'appliquer les lois de la République et s'il ne le fait pas, il encourt une sanction. Mais comment appliquer la loi lorsqu'elle est inapplicable ? Pour ma part, je n'ai pu que constater l'impossibilité d'appliquer le SMA dans ma commune : après une réunion du comité technique paritaire, les personnels ont unanimement refusé de se prêter au jeu de la garderie. Qu'aurais-je dû faire ? Réquisitionner les secrétaires, les policiers municipaux, les jardiniers pour les transformer, l'espace d'une journée en animateurs pour enfants, avec toutes les responsabilités que cela entraîne ?

M. Michel Charasse.  - Oui, c'est la loi. La réquisition, ça existe.

Mme Françoise Cartron.  - Par ailleurs, avant les appels au calme, tout relatifs, du Président de la République et du ministre de l'éducation -à la suite, d'ailleurs, de la grogne des maires de France lors de leur congrès- la non-application du SMA a donné lieu à une cacophonie juridique des plus ridicules. En France, la loi est censée être la même pour tous. Comment expliquer alors de si grandes disparités dans les condamnations ? Ici, certaines communes qui avaient émis un simple voeu ont été condamnées en première instance -alors même que les voeux ne sont pas un acte entrant dans le cadre du contrôle de légalité. Là, certaines ont été condamnées à 500 euros d'astreinte par jour de non-application.

M. Michel Charasse.  - Continuez donc à défendre les juges...

Mme Françoise Cartron.  - D'autres encore encourraient 10 000 euros par jour -en Gironde- ou encore 10 000 euros par heure dans le Var ! Et que dire de cet empressement à traduire les maires en justice alors que l'on a connu moins de célérité par le passé pour faire appliquer certaines lois. Je pense en particulier à la loi SRU qui n'a jamais été respectée à Neuilly et pour laquelle son célèbre maire n'a jamais été déféré devant un tribunal ! (Protestations à droite)

Alors, oui, je reste résolument opposée au service minimum d'accueil mais farouchement attachée à un service maximum d'éducation. Non au SMA, oui au SME ! (Sourires) Le groupe socialiste soutient ce projet de loi : il est plus que temps d'en finir avec ce SMA qui pèse inutilement sur nos collectivités, et qui, surtout, oppose les uns aux autres, alors que nous devrions au contraire nous rassembler autour du service public de l'éducation afin de préparer l'avenir de nos enfants. (Vifs applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Je vais mettre aux voix les conclusions de la commission des affaires culturelles. Y a-t-il des explications de vote ?

M. Pierre-Yves Collombat.  - Oui ! (Protestations exaspérées à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous discuterons après d'une proposition de loi de la majorité avec 52 articles et trente amendements ! Alors laissez-nous parler !

Mme Annie David.  - On est au Parlement !

Interventions sur l'ensemble

M. Pierre-Yves Collombat.  - J'ai fait 800 kilomètres pour m'exprimer et je parlerai.

Les maires sont naturellement respectueux des représentants de l'État et du Gouvernement. Il fallait que la coupe fût bien pleine pour que, fait sans précédent, le Premier ministre se fasse siffler par un congrès des maires de France à l'évocation du service minimum d'accueil et pour que l'arrivée de votre représentant, monsieur le ministre, vide la salle. La coupe débordait en effet : la loi sur le financement de l'enseignement privé, la semaine de quatre jours, la sclérose des réseaux d'aide éducative mobiles et, cerise sur le gâteau, ce service minimum d'accueil !

Avec lui, ce n'est plus à l'État de se substituer aux communes défaillantes, mais à elles de remédier à l'incapacité du Gouvernement à régler ses conflits avec ses fonctionnaires. En faisant condamner les communes qui ne l'acceptaient pas, vous avez pris, monsieur le ministre, une lourde responsabilité. D'autant que les décisions de certains tribunaux administratifs, je pense à celui de Toulon, n'ont fait qu'alimenter le sentiment des élus que ce qu'ils pouvaient penser vous importait peu. Ainsi, quatre communes du Var, dont deux rurales, ont-elles été contraintes d'organiser le service sous astreinte de 10 000 euros par heure de retard ! Record de France !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Et la loi SRU ?

M. Pierre-Yves Collombat.  - Au point que le Président de la République lui-même, devant le Congrès des maires de France, s'en est ému : « Je comprends parfaitement le sentiment d'injustice que peut avoir un maire traîné devant le tribunal administratif par son préfet parce qu'il a peu de moyens, qu'il a fait son possible et qu'il n'y est pas arrivé. Je suis tout à fait prêt à revoir cela. ». Sauf que ce qui est jugé est jugé et que le Président de la République n'a pas -pas encore- le pouvoir de réformer la chose jugée.

M. Michel Charasse.  - Faites revenir Saint-Louis !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Les décisions prises, notamment les astreintes, demeurent applicables.

Comme nous l'avons fait en décembre 2008 pour l'article 89, l'heure est donc venue de « revoir cela », comme nous invite à le faire le Président de la République. La loi d'août 2008 pose des problèmes de principe qui, à eux seuls, justifient qu'on l'abroge. En plus, elle est inapplicable, quelle que soit la taille de la commune, comme le montre le jugement du tribunal administratif de Lyon déboutant le préfet du Rhône. Mais, évidemment, ce qui vaut pour les villes vaut encore plus pour les communes rurales, comme le reconnaît le Président de la République lui-même. Ce n'est apparemment pas votre cas, monsieur le ministre, puisqu'en refusant l'examen de la présente proposition, vous ne nous permettez pas d'adopter l'amendement qui visait au moins à sécuriser les communes rurales. Ne vous faites pas d'illusions : le nombre limité de communes ayant clairement dit qu'elles ne voulaient ou ne pouvaient pas appliquer la loi cache mal la foule des résistants passifs qui se sont arrangés, avec la complicité des parents, pour n'avoir pas à mettre en oeuvre le service minimum, faute d'élèves, ou pour n'avoir qu'une poignée d'enfants à accueillir. Tant que vous ne vous déciderez pas à modifier la loi, le conflit avec les maires restera ouvert. Nous serons donc appelés à nous revoir ! (Applaudissements à gauche)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi.  - Je trouve scandaleux l'anathème prononcé envers les maires qui, parce qu'ils sont soucieux des conditions d'accueil des élèves, ont été traités d' « idéologues ».

M. Philippe Richert.  - Ne provoquez pas !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de loi.  - Dans mon département, dix-sept communes de droite ne respectent pas la loi SRU. Impunément ! En revanche, les maires qui, soucieux des conditions d'accueil des élèves, ont refusé d'organiser le SMA, ont été déférés par le préfet devant le tribunal administratif. Deux poids, deux mesures !

Nous regrettons que la décision de la majorité de la commission des affaires culturelles interdise d'examiner les amendements qui traitent des communes de moins de 3 500 habitants. Notre collègue Jean-Louis Masson, auteur d'une proposition de loi tendant à modifier cette présente loi, a, quant à lui, fixé ce seuil dérogatoire à 1 500 habitants. C'est la position que défend depuis le début l'Association des maires ruraux de France, dont le nouveau président, Yannick Berberian, dans un communiqué du 2 décembre dernier, rappelait à juste titre « qu'il ne suffit pas de décider d'une loi pour qu'elle soit appliquée ; encore faut-il qu'elle soit applicable ». Les différents référés déposés par les préfets à l'encontre des communes qui n'avaient pas appliqué le service minimum ont d'ailleurs connu des issues diverses, ajoutant un peu plus de confusion à la pagaille. Toutes ces tentatives de limiter les pots cassés pour les petites communes montrent bien que cette loi n'est tout simplement pas applicable de manière égale sur tout le territoire.

Le Gouvernement a présenté ce service d'accueil aux parents comme un nouveau droit relevant du service public et c'est ainsi que l'a analysé le Conseil constitutionnel dans sa décision d'août 2008. Il y a pourtant inégalité de traitement entre les enfants auxquels la loi ne garantit pas d'être accueillis par un personnel qualifié : elle laisse le maire apprécier les qualités nécessaires et celui-ci aura tendance à faire avec les moyens du bord.

On ne peut pas dire que le Gouvernement n'en avait pas conscience quand il a fait voter cette loi en urgence. J'avais alors attiré son attention mais il ne m'a pas plus écoutée qu'il n'a tenu compte de l'échec des deux expérimentations.

Les lois de la République doivent s'appliquer également sur tout le territoire, et surtout quand il s'agit d'un nouveau service public pour les écoliers. Ce n'est pas le cas et je regrette l'opposition de la commission. Nous aurons demain à vous le rappeler. (Applaudissements à gauche)

Mme Virginie Klès.  - Je rends hommage à l'habileté dialectique de M. Richert qui nous a montré finalement que cette loi était très mal ficelée et inaboutie. Ce texte exprime surtout un formidable mépris. A l'égard des maires d'abord, conduits à intervenir dans un conflit entre le ministère de l'éducation et des fonctionnaires confrontés aux refus du ministre. Demandera-t-on bientôt aux fonctionnaires de Bercy de se substituer aux employés communaux en grève pour la délivrance des cartes d'identité et des passeports ? Mépris envers les familles, ensuite, auxquelles on ne dit pas dans quelles conditions leurs enfants seront accueillis et quels personnels leur proposeront quelles activités. Mépris, enfin, envers les professionnels de la petite enfance comme envers les enfants.

Vous brandissez le nombre de communes qui ne se sont pas opposées ouvertement à la loi et vous ignorez les difficultés qu'elles rencontrent pour l'appliquer. L'État prendra ma défense, dites-vous, en cas d'accident, mais, si l'irréparable arrive, ma responsabilité morale demeurerait engagée et ma conscience me hanterait, pour avoir voulu appliquer une loi mal faite.

On ne peut défaire une loi qui n'a que six mois, assurez-vous. Mais le Gouvernement ne cesse de légiférer en fonction de l'actualité et des faits-divers. D'ailleurs, n'étant pas encore sénateur cet été, je n'ai aucun scrupule à demander l'abrogation de la loi. (Applaudissements)

M. Yannick Bodin.  - Il est tout à l'honneur du Sénat et de la démocratie de réserver une séance pour débattre de ce sujet à l'initiative de l'opposition. Je veux cependant exprimer un regret et même une protestation car, s'il est tout à fait bien de se tourner vers nous dans un mouvement généreux, il est regrettable de constater que ce n'est pas pour longtemps et que l'on n'ira jamais jusqu'au bout du débat car, régulièrement, les conclusions de la commission nous obligent à cesser toute forme de débat, quand la majorité ne vote pas une motion d'irrecevabilité. Quand on empêche l'opposition de s'exprimer librement par la procédure qu'elle a choisie, cela s'appelle aussi de l'obstruction. (Mouvements divers à droite) Il y a plusieurs formes d'obstruction et personne n'a de leçon à donner en la matière ! Nous constatons une réalité fort désagréable et, puisque nous sommes en train de discuter sous la présidence de M. Larcher d'une réforme de notre Règlement, j'espère que nous recevrons quelques apaisements et que chacun aura les mêmes droits.

J'ai entendu dire qu'on ne peut pas changer une loi qui n'a que six mois. Mais avant même qu'elle n'ait 24 heures, je savais déjà qu'elle était mauvaise. La supprimer ne me gênerait donc pas. Et quel est le Gouvernement qui présente tous les ans une nouvelle loi sur la sécurité ? Avant d'entendre le rapporteur, j'avais déjà le sentiment que la loi était inapplicable ; après l'avoir entendu, j'ai la conviction que c'est une usine à gaz. Elle a suscité des contentieux et, en Seine-et-Marne, où le préfet a déposé des recours contre les maires qui ne voulaient pas appliquer la loi, le tribunal administratif les a tous rejetés. Pourquoi ? Parce qu'il s'est déclaré incapable de distinguer les maires qui ne veulent pas appliquer la loi de ceux qui ne le peuvent pas.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Ce n'est pas du tout ce qu'il a dit.

M. Yannick Bodin.  - Nous allons donc continuer à traiter cette question et comme les tribunaux administratifs vont continuer à se prononcer, je vous donne rendez-vous dans six mois ou moins, plus tôt en tout cas que vous ne le pensez. (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David.  - Le service minimum à l'école est dommageable pour les enfants et porte atteinte au droit de grève des fonctionnaires. Il est contraire à l'intérêt et à la sécurité des enfants et oblige les élus à combler les manquements de l'État : l'éducation nationale est seule responsable des enfants. On porte gravement atteinte à la libre administration des collectivités locales et les communes rurales manquent souvent de personnel qualifié à mobiliser dans des délais très brefs. Le 20 novembre, dans mon département de l'Isère, de nombreuses petites communes ont renoncé à assurer le service minimum, mais de plus grandes collectivités ont également préféré faire prévaloir la sécurité des enfants. Le préfet a assigné sept communes devant le tribunal administratif. Je me réjouis d'entendre ce qui s'est passé en Seine-et-Marne car, chez nous, si le juge administratif n'a pas prononcé d'astreinte, comme dans le Var, il a néanmoins enjoint à ces communes de revoir dans les trois mois les modalités d'application de la loi : le problème reste entier. De quels moyens humains et financiers les communes disposent-elles pour respecter cette injonction ? On ne déploie pas le même zèle pour la loi SRU : il y a deux poids, deux mesures.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Permettez-moi quelques réflexions simples. Quand on est dans l'opposition, monsieur Bodin, on peut faire inscrire un texte à l'ordre du jour, mais cela ne signifie pas que la majorité doive le voter. (Applaudissements à droite) Il n'y a pas refus de débat mais nous avons voté... (Exclamations à gauche) Je ne vous ai pas interrompus : écouter fait partie du débat. (Applaudissements sur plusieurs bancs de l'UMP) Il y a débat puis chacun vote : s'il est important d'écouter la minorité, il l'est tout autant de respecter la décision de la majorité.

Vous avez parlé de mise en cause des élus. Mais lorsqu'un élu ou un magistrat, comme l'a signalé M. Charasse, dit qu'il n'appliquera pas la loi, je ne peux l'accepter. Si un maire dit que la loi ne lui convient pas, je ne peux l'accepter. (A gauche : « Et la loi SRU ? »)

La loi a été votée, et nous voulons qu'elle soit appliquée. Nous ne prétendons pas que ce soit facile, mais qui a dit que toutes les réformes étaient faciles ? Rappelons-nous l'objet de ce projet de loi : c'est d'offrir aux familles un service minimum d'accueil pour leurs enfants, qui ne se substitue pas aux enseignements, qui ne constitue en aucune manière une atteinte au droit de grève -finissons-en avec cette polémique, le Conseil constitutionnel a tranché-, mais qui dispense les parents de trouver un mode de garde par leurs propres moyens ou de laisser leurs enfants seuls plusieurs jours d'affilée. (Protestations à gauche)

La commission ne souhaite donc pas l'abrogation de cette loi, même si elle reconnaît que son application doit être améliorée. La majorité respecte l'opinion de l'opposition, qu'on veuille bien qu'elle ait la sienne ! (Applaudissements à droite)

M. Michel Charasse.  - Ce débat se déroule dans un climat très désagréable. Dans le feu des passions, nous perdons de vue l'essentiel. Une loi a été votée ; elle plaît à certains et non à d'autres. Mais nous sommes en République, et quoi que l'on pense de cette loi -quoi que j'en pense moi-même- on ne peut soutenir ceux qui affichent leur volonté de ne pas l'appliquer. (Marques d'approbation à droite) Il est inadmissible de piétiner ainsi la République et la loi, expression de la volonté générale.

Mme Christiane Hummel.  - Très bien !

M. Michel Charasse.  - J'entends certains de nos collègues dire qu'il n'est pas possible de réquisitionner le personnel nécessaire pour accueillir les élèves. Mais c'est tout à fait possible : la continuité du service public est un principe de valeur constitutionnelle ! (Protestations à gauche, marques d'approbation à droite)

Toutefois, il n'est pas interdit de se demander si cette loi est réaliste et applicable. (Marques d'approbations sur quelques bancs à droite) Il arrive souvent que l'on abroge une loi quelques mois après son adoption parce qu'elle s'est révélée impossible à mettre en oeuvre : en 40 ans de vie politique, j'ai vu cela des dizaines de fois !

Mme Annie David.  - Eh bien abrogeons celle-ci !

M. Michel Charasse.  - Il est même arrivé, il n'y a pas très longtemps, que l'on annonce qu'une loi ne sera pas appliquée le jour même de sa promulgation, ce qui n'était pas très glorieux... Il y a d'autres exemples : les dispositions sur le minitel rose ou sur la taxe conjoncturelle appelée « serisette » d'après le nom d'un conseiller de M. Giscard d'Estaing se sont révélées inapplicables et ont été abrogées.

C'est sans doute outrager la loi que de se refuser à l'appliquer, mais non de réfléchir à son bien-fondé.

Mme Annie David.  - Votez donc l'abrogation !

M. Michel Charasse.  - Ce n'est pas l'outrager que de constater que cette loi est mal fichue et doit être revue : le Président de la République l'a reconnu lui-même devant le congrès des maires de France, sans que personne ne crie au scandale ou ne considère qu'il portait atteinte au caractère sacré et à l'autorité des lois ! (Marques d'approbation sur divers bancs) Il a dit clairement qu'il fallait distinguer entre les grandes et les petites communes, c'est-à-dire entre celles où l'école, malheureusement, est trop souvent considérée comme une garderie, et celles où l'on trouve d'autres moyens de faire garder les gamins. Monsieur le ministre, je croyais naïvement qu'après le discours de M. Sarkozy, le Gouvernement réfléchirait à la modulation indispensable entre les villes et les campagnes. Vous avez déclaré que cela constituerait une infraction au principe d'égalité. Mais ce n'est nullement le cas ! Le Conseil constitutionnel a adopté depuis les années 1960 une jurisprudence très claire : ce principe impose de traiter de la même manière les gens qui se trouvent exactement dans la même situation. Vivre dans une métropole de deux ou trois millions habitants, ou dans un bled de 300 habitants, ce n'est pas tout à fait la même chose ! Ceux parmi nous qui assistaient au congrès des maires, comme M. Collombat et moi-même, ont eu l'espoir de voir bientôt une solution à leurs problèmes. Mais il n'y a pas trace d'une modulation dans les instructions que vous avez adressées aux inspecteurs d'académies et aux préfets, et dont vous avez fait part la semaine dernière à l'Association des maires de mon département.

Ce n'est pas un problème de théorie, de conception du service public, de gauche ou de droite : c'est un problème pratique d'applicabilité de la loi ! Dans une commune de deux ou trois cents habitants qui ne dispose que d'un secrétaire de mairie et d'un garde champêtre, à qui voulez-vous confier la charge d'accueillir les enfants ?

M. Guy Fischer.  - Aux instituteurs en retraite !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Votez donc notre proposition de loi !

M. Michel Charasse.  - Devant le manque d'ouverture du Gouvernement, je ne peux que soutenir la proposition de nos collègues communistes. J'ajoute à l'intention de mon collègue et ami M. Richert que je regrette les conclusions expéditives de la commission des affaires culturelles. Certes, la majorité peut faire ce qu'elle veut. Mais nous ne sommes pas des cosmonautes ! Nous vivons sur terre, où nous pouvons entendre les plaintes des maires ! C'est la raison pour laquelle je souhaitais aller dans le sens du Président de la République et modifier cette loi. La commission, en cette affaire, a manqué à son devoir de représentation des collectivités locales.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - C'est faux !

M. Michel Charasse.  - Je voterai donc cette proposition de loi. Rien n'interdit d'ailleurs, si elle est rejetée, d'examiner les amendements déposés par nos collègues socialistes et moi-même, qui proposent d'instaurer une exception pour les petites communes. J'ai fixé le seuil à 3 500 habitants, mais il pourrait être révisé.

Je rappelle en outre que les directeurs d'établissements ont l'obligation depuis la loi de Jules Ferry d'être présents dans les écoles et d'y accueillir les élèves même s'ils sont grévistes, quitte à porter un brassard indiquant qu'ils font grève. Que devient cette disposition ? Je vous en avertis, monsieur le ministre : au cours des prochaines grèves, je recommanderai aux maires de mon département de ne pas chercher à mettre en place le service minimum si les directeurs d'établissements ne sont pas sur place, car les patrons des écoles, ce sont eux et pas nous ! (Applaudissements sur certains bancs à gauche et à droite)

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Nous poursuivrons ce débat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Un mot sur la procédure. Certes la majorité a toujours raison, mais je déplore qu'il y ait deux poids, deux mesures : la commission veut clore le débat avant même que les propositions de l'opposition aient pu être examinées sérieusement. (Protestations à droite) Je ne dirai rien des pressions exercées sur l'opposition pour qu'elle dépose des propositions de loi brèves et consensuelles... (M. Philippe Richert, rapporteur, le conteste)

En mettant fin au débat, la majorité empêche que nous examinions les amendements déposés sur ce texte.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - C'est normal, puisque les conclusions de la commission invitent à ne pas adopter la proposition de loi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ces amendements proposaient pourtant un assouplissement du dispositif, à défaut de son abrogation. Peut-être certains sénateurs de la majorité y auraient-ils été favorables.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Il fallait déposer deux textes différents.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous sommes parlementaires, et nous sommes libres de nos actes !

M. Charasse a dit qu'une loi votée devait être appliquée. Pour ma part je suis partisane de l'objection de conscience... (vives protestations sur les bancs de l'UMP) mais nous n'en sommes pas là. Quoi qu'il en soit, le Parlement a parfaitement le droit d'abroger une loi, même vieille de trois mois ou de six jours, si elle se révèle inappropriée ou inapplicable !

M. Philippe Richert, rapporteur.  - C'est juste.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Plusieurs dispositions législatives ont ainsi été abrogées, comme votre article 89 sur le financement des écoles privées qui a suscité le malaise des élus de droite comme de gauche, ou le texte sur le CPE qui a été voté, promulgué et abrogé avant même d'avoir été appliqué.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Très juste !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Pourquoi ? Parce qu'elle était très difficile à appliquer. Or il en va de même de cette loi : tous les maires la disent impossible à mettre en oeuvre !

Plusieurs voix à droite.  - Pas tous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Je regrette que la commission prenne notre proposition par dessus la jambe en disant : nous avons voté cette loi, nous la maintenons, basta ! S'il vous plait, faites preuve de responsabilité en respectant la loi elle-même ! (Applaudissements à gauche ; protestations sur les bancs UMP)

M. Philippe Richert, rapporteur.  - N'importe quoi !

A la demande de la commission des affaires culturelles et du groupe CRC-SPG, les conclusions de la commission sont mises aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 181
Contre 156

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite)