Proposition de résolution européenne (Services d'intérêt général)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de résolution européenne sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes  - Nous appliquons pour la première fois cet après midi aux questions européennes les nouvelles possibilités de contrôle issues de la révision constitutionnelle. Elles comportent deux facettes. La première, c'est l'adoption de résolutions dans lesquelles le Sénat fait connaître au Gouvernement ses positions sur des sujets d'actualité européens. Aujourd'hui, l'initiative revient à Mme Tasca, qui a déposé une proposition de résolution sur le sujet particulièrement important des services d'intérêt général. Mme Tasca, que je tiens à remercier, avait fait un rapport sur ce sujet devant notre commission. Il était donc tout naturel qu'elle poursuive sa démarche, ce qui permettra, grâce aussi aux travaux de la commission des affaires économiques, au Sénat dans son ensemble de se prononcer sur une question qui préoccupe nos concitoyens.

La deuxième facette du contrôle parlementaire, c'est le suivi des résolutions. Ne sachant pas bien, jusqu'ici, ce qu'il advenait des prises de position du Sénat, on avait un peu l'impression de travailler pour le roi de Prusse... Désormais, grâce aux débats de contrôle, le Gouvernement sera amené à nous dire comment il a donné suite à nos prises de position, ou pourquoi il n'a pas pu ou pas souhaité les suivre.

Aujourd'hui, nous débattrons des suites données aux positions que nous avons exprimées, à plusieurs reprises, sur quatre sujets : l'évolution du système d'information Schengen ; l'association des parlements nationaux au contrôle d'Europol ; la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement ; les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Pour la première fois, le Gouvernement va répondre publiquement à nos questions sur ces points. Cela ne pourra que nous inciter à intervenir de plus en plus, en amont, sur les questions qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens.

M. le président.  - Le ministre étant, ainsi que l'on vient de me l'apprendre, bloqué dans des embarras de circulation, je vais suspendre la séance quelques instants.

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.

M. le président.  - La discussion de ce projet de résolution demandée par le groupe socialiste pour la journée mensuelle réservée a été avancée à aujourd'hui pour des raisons de calendrier. Je rappelle que, conformément à un accord des présidents de groupe et de commission, les propositions de loi ou de résolution inscrites à l'ordre du jour réservé sont examinées dans leur texte initial, sauf accord du groupe politique déposant.

Discussion générale

Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de résolution européenne  - La proposition de résolution que j'ai l'honneur de présenter au nom de notre groupe répond à la volonté, toujours réaffirmée par les parlementaires socialistes français et européens, de promouvoir les services d'intérêt général dans l'Union. La discussion de cette proposition, à cinq semaines du renouvellement du Parlement, offre à notre groupe l'opportunité de présenter l'orientation nouvelle que nous souhaitons pour l'Europe et ses citoyens.

Au cours de la présidence française, nous avions déposé, à l'automne 2008, une proposition de résolution demandant à la Commission de conforter le statut des services d'intérêt général, et notamment d'inscrire dans sa stratégie politique annuelle pour 2009 l'élaboration d'une législation cadre. En parallèle, nous demandions au chef de l'État, dans l'exercice de sa présidence de l'Union, d'impulser l'adoption d'un agenda européen pour l'élaboration d'un outil juridique. Cette présidence offrait à la France l'opportunité politique d'agir en ce sens et bénéficiait aussi d'une légitimité juridique puisque le traité de Lisbonne, par son nouvel article 14 et le protocole additionnel sur les services d'intérêt général, conforte la base juridique qui permet d'élaborer un cadre législatif général. Le Président de la République s'est souvent déclaré favorable à une application par anticipation du nouveau traité. L'élaboration d'une législation cadre sur les services d'intérêt général pouvait concrétiser cet aspect du traité de Lisbonne et donner un contenu au souhait de la France de faire de 2008 l'année du « redémarrage social de l'Europe ».

Notre proposition de résolution constituait un rappel de ces objectifs et une invitation à agir. Notre commission des affaires économiques, compétente pour l'examen de cette proposition, avait préféré ne pas s'en saisir. Au niveau européen, la présidence française s'est achevée sans qu'aucune initiative n'ait été prise en faveur des services d'intérêt général.

C'est pourquoi nous présentons aujourd'hui une proposition de résolution rectifiée. Les services d'intérêt général, un des piliers du modèle social européen, essentiels à la qualité de vie des Européens, sont gage d'égalité entre les citoyens. Ils ont aussi un rôle clé à jouer dans la bataille que veut livrer l'Union pour créer l'économie la plus dynamique et durable du monde. De bons services publics peuvent aider à surmonter la crise économique, à renforcer la cohésion sociale et territoriale, à améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l'Europe et sa compétitivité extérieure. Les forces du marché ne peuvent pas, à elles seules, garantir les services publics dont nous avons besoin pour bâtir une Europe qui ne soit pas exclusivement un marché mais une société telle que nous la souhaitons.

Aujourd'hui, les services d'intérêt général et les services économiques d'intérêt général n'ont pas leur juste place dans l'ordre juridique communautaire et la législation européenne actuelle, confuse, est source d'incertitudes. Le traité de Lisbonne, qui pose les principes généraux régissant les services publics, constitue une avancée en leur faveur mais, pour être effectif, cet apport doit bénéficier d'une traduction législative. A défaut, reste la législation actuelle, sectorielle, qui ne permet pas de dire clairement si les services d'intérêt général relèvent du droit de la concurrence, de la législation du marché intérieur ou des règles conçues pour les subventions ou les marchés publics.

Cette confusion fait le lit d'un double déséquilibre. Le premier est d'ordre juridique. En l'absence d'un cadre législatif propre aux services publics, ce sont souvent les règles de la concurrence et du marché intérieur qui régissent les services d'intérêt général, lesquels se trouvent ainsi détournés de leurs missions. En outre, les enjeux sociaux, environnementaux et d'aménagement du territoire, que portent les services d'intérêt général, sont oubliés.

Le second déséquilibre est institutionnel. En l'absence d'un cadre juridique pour les services d'intérêt général, leur définition, leur financement et leur gestion sont aujourd'hui tributaires de la jurisprudence. Plusieurs arrêts de la Cour de justice des communautés européennes ont mis en cause les modes d'organisation et de financement choisis par des collectivités. Ce fut notamment le cas pour une desserte de bus dans un canton allemand, pour des services d'énergie ou encore de chauffage municipal dans des communes italiennes. La Commission, de son côté, a lancé des procédures à l'encontre de plusieurs États membres pour contester la gestion, par leur administration ou leurs collectivités, de services locaux aussi différents que des musées en Allemagne, des services d'ambulance en Toscane ou de traitement des eaux à Hambourg. Au fil de sa jurisprudence, dans le vide laissé par le législateur européen, la Cour de justice fixe ainsi les règles de financement et de délégation des services publics, de partenariat public-privé, d'organisation des sociétés d'économie mixte, au détriment des choix faits par des autorités locales élues. Cette dépossession des autorités nationales ou locales est la négation de notre projet d'Europe politique pour lequel votre gouvernement dit plaider, et elle contredit le principe de subsidiarité et d'autonomie des autorités locales. Celles-ci considèrent que l'exercice de leur mission est menacé et que le devenir des services publics locaux est désormais en jeu. Ces autorités, profondément impliquées dans l'organisation et le financement des services d'intérêt général, sont en pratique de plus en plus confrontées à l'intervention de la Commission européenne ou de la Cour de justice, qui évaluent leurs activités à la seule lumière des règles du marché intérieur. Les élus locaux savent que le principe de subsidiarité, pour qu'il préserve de façon effective leur autonomie, doit être inscrit dans un cadre légal de niveau européen, garantissant une réelle sécurité juridique. S'en tenir au simple rappel d'un principe de subsidiarité déjà mis à mal, comme semble vouloir le faire l'UMP dans sa campagne électorale, témoigne de la volonté de freiner toute consolidation juridique qui permettrait de mettre un terme au recul des services publics en Europe. Où est la cohérence avec les discours du chef de l'État sur la régulation et la nécessité d'édifier une Europe politique ? La construction européenne s'est accélérée, sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, sur la base de trois piliers : le marché intérieur, la solidarité et la coopération. La droite européenne a choisi de bâtir l'Europe sur le seul pilier du marché intérieur, abandonnant ainsi les objectifs de solidarité et de coopération. Cela n'est plus défendable face à la crise.

Pour nous, la sécurisation des services publics est un impératif majeur. Il faut prendre en compte les services d'intérêt général autant que les autres politiques de l'Union, en finir avec la primauté du droit de la concurrence qui surdétermine tous les autres en Europe. C'est pourquoi le cadre juridique nouveau devra définir les relations entre les règles du marché unique et la poursuite des objectifs d'intérêt général. Il devra introduire des critères distinguant les services à caractère économique et non économique, les uns et les autres étant régis par des dispositions légales distinctes. C'est à un réel rééquilibrage entre les politiques de l'Union que nous appelons. Cette base juridique protectrice des services d'intérêt général devra préserver le principe de subsidiarité et clairement délimiter les responsabilités des États membres d'une part et de l'Union d'autre part.

Enfin, nous souhaitons compléter cette évolution juridique par une garantie institutionnelle avec la création, lors du renouvellement de la Commission à l'automne prochain, d'un commissaire en charge des services publics. Il aura pour mission de faire prendre en compte ces services dans toutes les politiques communautaires. Alors que la Commission confirme que les services régaliens de police et de justice restent exclus des règles du marché intérieur, elle n'accorde pas la même garantie aux services sociaux et de santé, qui sont, pour 80 % d'entre eux, considérés comme des services économiques et peuvent donc être régis par les règles de la concurrence et du contrôle des aides d'État.

Une protection s'impose.

La Commission européenne n'a pas rempli son rôle. Elle s'est toujours évertuée à bloquer toutes les demandes qui lui ont été faites d'évolutions législatives sur les services d'intérêt général, jusqu'à sa communication du 22 novembre 2007 sur le marché intérieur dans laquelle elle dit renoncer à l'élaboration d'une législation qu'elle ne juge pas utile. Dans cette logique, sa stratégie politique pour 2009 ne prévoit rien contre la remise en cause dont les services publics européens sont victimes. L'agenda social 2010-2015 est tout aussi discret sur les services d'intérêt général. La Commission affirmait que le sujet était trop compliqué et qu'un cadre juridique général ne pouvait pas aborder les nombreux problèmes qui se posent aux services publics. Ce disant, elle soulignait l'urgence de les faire bénéficier d'une garantie légale.

Une réponse à la remise en cause des services d'intérêt général est possible, pour peu qu'on veuille bien sortir du carcan idéologique libéral. Nous en avons dressé les lignes de force : clarification de la définition et du statut des services d'intérêt général ; consolidation du principe de subsidiarité et de l'autonomie des autorités locales dans l'exercice de leur mission ; volonté de mettre un terme à la primauté du droit de la concurrence ; reconquête du politique. Les parlementaires socialistes européens, décidés à démontrer qu'il est possible d'élaborer un instrument juridique cohérent ont rédigé le projet de législation cadre que la commission refuse. Le travail de formulation juridique est réalisé, reste à le mettre en oeuvre. Cela demande une volonté politique. C'est l'un des enjeux des élections européennes. Au moment de donner de bonnes raisons aux citoyens de voter et de se déterminer sur un choix européen, la mise en route de l'élaboration d'un instrument juridique propre aux services d'intérêt général serait un gage supplémentaire vers l'Europe sociale.

Cette proposition de résolution donne une perspective pour l'Europe politique de demain. La droite française et européenne s'est toujours opposée à offrir aux services publics le cadre juridique protecteur qui leur fait défaut. La présidence française s'est contentée, sur le terrain des services d'intérêt général, d'un forum auquel il ne fut donné aucune suite. Les eurodéputés de droite ont voté contre l'exclusion des services sociaux et des services d'intérêt économique général de la directive Services. Ils se sont opposés à l'élaboration d'une législation cadre. Soutenir la reconduction de José Manuel Barroso, c'est soutenir la reconduction d'une commission qui use de son droit d'initiative pour bloquer l'édification d'une Europe politique et sociale. Si, le 7 juin, les Européens font le choix d'une majorité de gauche, le Parlement européen sera en capacité de pousser la commission renouvelée à faire avancer le dossier des services d'intérêt général.

La crise économique et financière rend la protection des services d'intérêt général encore plus nécessaire. Même les pays européens les plus marqués par l'idéologie libérale ont reconnu le rôle stabilisateur des services publics, tant par le maintien de l'emploi que par l'offre égalitaire de services aux citoyens. Comment les peuples pourraient-ils comprendre que, pour contrer les effets désastreux de la crise, l'Europe ne se donne pas les moyens de conforter leurs services publics ?

Sur le fond, cette analyse fait ici largement consensus et la commission des affaires économiques s'inscrit dans cette approche. Reste à la traduire dans une législation contraignante si l'on veut vraiment protéger les services d'intérêt général. En adoptant cette résolution, notre Assemblée y contribuerait. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques - Cette proposition de résolution a été examinée par notre commission, qui n'a pas présenté de texte afin que le Sénat puisse discuter la rédaction retenue par les auteurs de la proposition ; elle a toutefois approuvé certains amendements.

Il faut voir dans l'examen de ce texte en séance publique une occasion pour le Sénat de s'exprimer sur le sujet des services d'intérêt général, dont nul ne saurait nier l'importance en temps de crise économique.

Tout d'abord, un mot sur cette « stratégie politique de la Commission pour 2009 ». Ce n'est qu'une communication sans valeur législative qui indique les priorités de la Commission présidée par M. Barroso pour sa dernière année de mandat.

Ce document souligne l'insuffisance de l'action de la Commission sur un sujet qui a pourtant fait l'objet de demandes répétées depuis des années : les services d'intérêt général. Cette notion n'est pas toujours bien comprise dans notre pays, où nous sommes plus habitués à celle de service public. A l'évidence, certaines missions présentent un caractère d'intérêt général qui légitime une intervention des autorités publiques. Celles-ci peuvent fournir le service elles-mêmes ou le faire fournir par un tiers, auquel cas, elles peuvent apporter une subvention correspondant aux charges particulières qui résultent pour l'opérateur de l'exécution de la mission assignée. Le soutien aux services d'intérêt général est donc une manière de préserver et de conforter les services publics, ou au public, auxquels nous sommes tous attachés.

Cette proposition de résolution vient à point nommé. L'effondrement du système financier et la récession qui touche de nombreux pays ont mis fin à nombre de dogmes : à la volonté de laisser les marchés décider seuls de l'allocation des biens et des ressources entre les acteurs économiques s'est substitué le constat qu'une intervention des acteurs publics, par la régulation mais aussi par les aides directes, est nécessaire pour assurer la continuité du tissu économique et la cohésion sociale et territoriale.

Les services publics réduisent les inégalités de fait en apportant à chacun la possibilité d'obtenir des soins, d'éduquer ses enfants, de se déplacer pour un coût raisonnable. Une société pourvue de services publics efficaces bénéficie d'un point d'accroche lors des crises économiques. J'ajouterai, j'y suis particulièrement sensible en tant que président de l'Observatoire national de la présence postale, que seule l'intervention des pouvoirs publics et notamment la péréquation peuvent assurer à chacun un accès aux services de poste et de télécommunications, même s'il se trouve dans un territoire isolé ou socialement défavorisé.

Cette proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de prendre des initiatives en vue de conforter le statut des services d'intérêt général. Ceux-ci sont couverts par des règles comme celles du paquet Monti-Kroes de 2005, qui apparaissent insuffisantes et mal appréhendées par les acteurs locaux, qui craignent pour la sécurité juridique des services qu'ils fournissent ou subventionnent. Les grands services de réseau -poste et télécommunications, énergie, transports- ont déjà fait l'objet de directives sectorielles. Le problème se pose d'une manière plus aiguë pour les services sociaux d'intérêt général concernant la santé, l'éducation, l'aide aux personnes vulnérables, l'insertion économique, le logement social. Dans ces secteurs, qui couvrent un public important en période de crise, les opérateurs sont souvent de petite taille et s'interrogent sur la possibilité de bénéficier d'un soutien public : quelle activité peut être qualifiée de marchande ? Comment calculer la compensation pour service public ? On est au coeur de la notion d'intérêt général, dans un domaine où le marché ne peut à lui seul satisfaire les besoins de la collectivité.

La présidence française a été marquée par de nombreuses initiatives, telles que le deuxième forum sur les services sociaux d'intérêt général ou la constitution du groupe de travail mené par M. Michel Thierry sur la sécurisation juridique des SIEG. La commission des affaires économiques a donc adopté des amendements qui retirent les alinéas remettant en cause le bilan de la présidence française, dans une proposition de loi qui concerne d'abord et avant tout la stratégie politique de la Commission européenne.

L'outil juridique proposé est celui de la directive cadre. D'autres instruments juridiques sont possibles, par exemple le règlement prévu par le traité de Lisbonne -traité qui marque une avancée importante en faveur des services d'intérêt général, comme l'a remarqué l'an dernier Mme Tasca dans un rapport réalisé au nom de la délégation à l'Union européenne. Une directive sur les services sociaux serait également la bienvenue, s'agissant du secteur qui, aujourd'hui, suscite le plus d'interrogations. C'est pourquoi la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui reprend la notion d'« instrument juridique communautaire », déjà présente dans une résolution adoptée par le Sénat le 23 mars 2005.

Nos partenaires divergent fortement sur la question des services publics. Certains craignent un état Léviathan qui prendrait le contrôle de l'économie et briderait les initiatives individuelles. Nous devrons fournir un gros effort de réflexion au niveau national et de concertation au niveau européen pour dégager un modèle de service d'intérêt général pour l'Europe. L'heure se prête à un tel débat, en raison de la crise mais aussi en prévision des élections européennes de juin et du renouvellement de la Commission européenne qui aura lieu à l'automne. Cela m'amène au dernier point de la proposition de résolution, qui souhaite qu'un commissaire européen soit chargé de garantir la prise en compte des services publics dans la politique communautaire. Il serait plus efficace de donner cette compétence à un commissaire déjà existant, par exemple celui qui est en charge du marché intérieur -d'autant que les règles du traité de Nice, qui s'appliqueront si le traité de Lisbonne n'entre pas en vigueur, impliquent une réduction du nombre des commissaires.

Au final, je souhaite un très large accord autour de la notion de service d'intérêt général. Je vous propose d'adopter cette proposition de résolution avec les amendements acceptés par la commission et je remercie le président Emorine de son action efficace. (Applaudissements à droite)

Mme Annie David.  - Ce débat nous interroge sur les objectifs d'une construction européenne qui se réalise depuis cinquante ans autour de libre-échange, où seule compte la concurrence et où toute aide publique est prohibée, ce qui met en danger les services publics. Quand la meilleure politique est l'absence d'intervention publique, l'initiative privée est censée répondre à tous les besoins, ce qui légitime la marchandisation. L'Europe encadre ou soutient le marché -il n'est que de voir le plan de soutien aux banques.

Vous mettez en concurrence les hommes et les territoires, comme avec la directive Bolkestein et le fameux principe du pays d'origine. Nous sommes stupéfaits et en colère d'en retrouver l'esprit dans le règlement sur les sociétés privées européennes ; le texte de Mme Bachelot-Narquin sur l'hôpital en est également imprégné. Nous le dénonçons avec force : il faut que le gouvernement français s'y oppose.

Les services d'intérêt général n'ont jamais été exclus du droit européen, ils y font figure d'exception à la règle de la plénitude du marché. Nos grands services publics en réseau ont été les premiers reconnus par les traités, mais les directives ont organisé leur mise en concurrence. La notion de service d'intérêt général, ce service public au rabais, a abouti à une réduction des ambitions et, dans notre pays, à des reculs importants. L'Union européenne, si elle n'impose pas leur privatisation, les soumet aux critères généraux des entreprises privées, d'où une augmentation des tarifs de l'énergie et une dégradation particulièrement sensible pour le service public postal, des bureaux étant transformés en agences, voire en points Poste. Voilà des années que nous demandons en vain un bilan de la libéralisation.

On n'a pas garanti aux citoyens des services publics modernes et efficaces ; au contraire, on a démantelé et cassé la notion de service d'intérêt général. Le constat est indiscutable, libéralisme et garantie des services publics sont irréconciliables. La Commission souhaite classer les services d'intérêt général en deux catégories selon qu'ils sont ou non économiques. Cette tentative est vouée à l'échec puisque tous les services publics, à l'exception des services régaliens, finiront par apparaître d'intérêt économique, y compris les services sociaux. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes est claire : toute activité étant économique peut être soumise aux lois de la concurrence, y compris l'école, la culture, le logement, la santé, ainsi que le montre le texte de Mme Bachelot-Narquin.

L'adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt général est souvent considérée comme une garantie mais il n'y a pas le service public d'un côté et le marché de l'autre car on ne peut poser la question du premier indépendamment du modèle libéral imposé par l'Union européenne et l'OMC. On ne peut assigner d'objectif ambitieux au service public dans le cadre du pacte de stabilité et du traité de Lisbonne, qui conduit à la déconnexion entre économies financière et réelle et au déséquilibre entre revenus du travail et du capital. Les peuples d'Europe ont besoin de service public pour que l'Union soit un espace de protection. Quelle est la volonté du Conseil européen à cet égard ?

L'Europe doit porter un projet fondé sur les besoins du peuple et substituer la solidarité à la concurrence. Son promoteur l'a avoué, le traité de Lisbonne ne présente que des changements cosmétiques par rapport à la constitution européenne qui faisait de la concurrence libre et non faussée le principe de la construction européenne. Rien ne permet d'affirmer que cela consolide les services publics ; au contraire, le service d'intérêt général est un outil du démantèlement des services publics. Nous ne pouvons donc souscrire à l'affirmation contenue dans la proposition de résolution, que les amendements de la commission transformeraient en une simple déclaration de bonnes intentions. Nous avons d'autres exigences pour les services publics et pour l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du CRC-SPG)

M. Robert del Picchia.  - Cette proposition de résolution n'ouvre pas un débat d'une grande nouveauté : voilà plus de dix ans que la question est posée (marques d'étonnement sur les bancs socialistes) sans qu'on puisse aboutir à une réponse satisfaisante. Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur et éminemment politique pour la cohésion sociale et l'efficacité économique, et il y a urgence à le traiter.

Je ne reviens pas sur la genèse du débat, sinon pour constater que la position de la France est isolée et que si tout le monde est d'accord sur la nécessité d'une clarification juridique, il n'y a pas de convergence sur les moyens d'y parvenir.

La France a découvert l'expression « services d'intérêt général » en 2004-2006 avec la directive Services. Elle s'efforce depuis de définir une doctrine. Le droit communautaire reconnaît la délégation de service public en cas de mandatement, mais notre droit ignore cette dernière notion ; nous devons donc adapter notre législation tout en militant pour que l'Union adopte d'autres règles.

Le texte de Lisbonne comporte un nouveau dispositif sur les services d'intérêt général ; il faudra en tirer des règles communes. De nombreux services sociaux sont locaux. Du logement social au service de la petite enfance, il y a des marges de manoeuvre, à condition d'adapter notre système aux règles européennes. Le Gouvernement doit y travailler avec les collectivités territoriales.

L'échec du projet de constitution européenne, que ses détracteurs taxaient d'ultralibéralisme, et les difficultés du traité de Lisbonne pourraient sonner le glas d'une définition unifiée du service public européen. Le traité de Lisbonne réalise une nouvelle donne en définissant une base légale qui améliore le traité instituant l'Union européenne. Le Parlement et le Conseil définiront les principes, des valeurs communes sont énoncées et le principe de subsidiarité laisse aux États membres une marge d'appréciation.

Grâce à cette marge d'appréciation, il sera possible de mettre fin à l'insécurité juridique actuelle. Actuellement, les entreprises et les citoyens sont privés de toute visibilité et de toute certitude. Cette situation est contraire aux voeux de la France et à l'intérêt général européen. La question des services publics appelle une réponse politique, et non uniquement des solutions juridiques établies au cas par cas par la Cour de justice.

Loin du constat de départ selon lequel le droit communautaire n'envisagerait les services publics que comme une exception au marché, un véritable corpus législatif et jurisprudentiel du service public européen s'est dégagé. Qu'attendre, alors, d'une directive horizontale de l'ordre de celle proposée par Catherine Tasca ? Certes, sans modifier les principes existants, un tel instrument dissiperait les malentendus sur la place du service public dans la construction communautaire. Il aurait en outre le mérite de la clarté juridique. Mais les inconvénients de cette proposition sont tout aussi évidents que ses avantages. Une directive cadre générale cristalliserait le consensus minimal existant sur la question entre les États membres, gommerait les différences naturelles entre les secteurs et risquerait de priver les gestionnaires de services publics de la souplesse d'adaptation nécessaire.

Une démarche raisonnable consisterait à concilier les contraires, de manière empirique et pragmatique. De grands principes communs précisant les lignes directrices fixées par le protocole n°9 annexé au traité de Lisbonne seraient alors déclinés par trois ou quatre directives sectorielles. Cela éviterait de se contenter du plus petit dénominateur commun, avec, pour conséquence, un nivellement par le bas. L'opportunité de l'action ne fait pas débat. La solution envisagée par la commission des affaires économiques nous paraît être un bon compromis.

La place des services publics en Europe est un enjeu éminemment politique dans la perspective des prochaines élections européennes. Le modèle social européen, l'équilibre entre les exigences d'une économie compétitive et l'intérêt général protecteur sont au centre du débat. Si l'Union européenne assure aux services d'intérêt général les moyens de fonctionner, elle sera perçue positivement. La France a, dans ce contexte, un rôle très particulier à jouer. C'est l'un des États membres -sinon le seul- les plus soucieux de promouvoir les services publics en Europe : dans ce domaine, notre pays a une tradition juridique solide, et qui ne se limite pas aux services publics nationaux à statut.

Les Français peuvent s'enorgueillir des succès rencontrés par leurs entreprises chargées de services publics sur le marché européen. Notre pays doit, cependant, éviter toute morgue : le service public « à la française » a sans doute ses qualités propres, mais il ne peut prétendre à l'exemplarité. Les contraintes communautaires ont même suscité des améliorations et nous avons aussi à apprendre des pratiques d'autres États membres.

Nous sommes favorables à la mise en place d'un cadre juridique capable de fournir aux services publics une nécessaire pérennité. A défaut, ces derniers demeureront sous le feu de la guérilla de la Commission européenne et de la Cour de justice, sans aucune perspective de visibilité à long terme. Il est donc urgent de donner un contenu au marché intérieur social en s'inspirant des principes de loyauté, de transparence, d'universalité et d'égalité qui forment l'essence de nos services publics. Avec ces réserves, nous voterons cette proposition de résolution modifiée par les amendements de la commission des affaires économiques. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - La crise financière actuelle nous oblige à porter un regard différent sur les services publics et sur l'action des pouvoirs publics au sein de notre économie. Ni le marché ni la concurrence ne peuvent répondre, en toute circonstance, aux besoins d'intérêt général. Même les plus libéraux parmi nos partenaires de l'Union européenne sont en train de redécouvrir les vertus de la régulation, et le dernier G20 confirme cette tendance.

La question des services publics doit à nouveau se placer au coeur de la construction européenne. Pour beaucoup, et ils n'ont pas totalement tort, l'Europe est celle de technocrates qui ouvrent les services publics aux vents de la mondialisation. Le débat est toujours vif sur l'équilibre nécessaire entre cette déréglementation et la persistance d'une spécificité française : toute redéfinition des missions du secteur public par l'Union européenne est généralement perçue comme contestant davantage le rôle social de celui-ci que son efficacité économique. L'ouverture à la concurrence à travers le marché unique, qui constitue la raison d'être historique de l'Europe, est donc devenue le vecteur d'une autre évolution touchant à la racine même du modèle politique français.

Si la question ne se pose pas en France de la même façon qu'en Grande-Bretagne ou en Italie, il existe un très large consensus en faveur de services d'intérêt général de qualité pour tous les citoyens et toutes les entreprises de l'Union européenne. Cette conception commune se fonde notamment sur le service universel, la continuité et la qualité, l'accessibilité financière et la protection des usagers et des consommateurs. Le droit communautaire a reconnu la spécificité de la gestion de services d'intérêt économique général, ainsi que la compatibilité de ces derniers avec les objectifs d'un marché intérieur ouvert et concurrentiel.

Les services d'intérêt général sont reconnus par les institutions européennes et notamment, depuis le Livre blanc de la Commission de 2004, comme une composante essentielle du modèle européen de société.

M. Hubert Haenel.  - Très bien.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Jusqu'à présent, l'approche sectorielle, concernant surtout les grandes industries de réseau, était privilégiée. C'est regrettable. La Commission n'a pas prévu de proposer cette année un instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général. Sa stratégie pour 2010 ne le laisse pas non plus supposer, même si elle prévoit d'utiliser les leviers dont dispose l'Union européenne pour soutenir la lutte contre le chômage et préserver la cohésion sociale.

Pour réconcilier les peuples européens avec l'Europe, il est indispensable de ne pas négliger la vocation sociale de cette dernière, et notamment les services publics. Le statut des services d'intérêt général doit être renforcé par un cadre juridique. Dans une économie européenne soucieuse à la fois d'efficacité et de justice sociale, les rapports entre acteurs concurrentiels et services publics doivent être équilibrés. Le groupe RDSE partage la préoccupation des auteurs de cette proposition de résolution et la soutiendra, avec les modifications apportées par notre commission des affaires économiques. (M. Jean-Paul Emorine, président de la commission, et M. Pierre Hérisson, rapporteur, applaudissent)

M. Roland Ries.  - L'article 3 du traité de Lisbonne précise que l'Union européenne « combat l'exclusion sociale et les discriminations, promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et les droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion sociale, économique et territoriale et la solidarité entre les États membres ». Ces principes ne doivent pas être de simples mots conservés dans un écrin, mais un guide pour la conduite de la politique sociale de l'Union.

Les services d'intérêt général constituent les instruments essentiels de la cohésion sociale, économique et territoriale de l'Union européenne. Avec la crise économique et financière, ils le deviennent chaque jour davantage. Or, dans ce domaine, la Commission a fait preuve d'une grande timidité.

Certes, du traité d'Amsterdam au traité de Lisbonne, un cadre juridique a été peu à peu posé. Mais, hors ces articles et des déclarations d'intention, rarement suivies d'effet, la Commission, qui a le monopole de l'initiative législative, s'est contentée du minimum minimorum.

Pour exemple, la définition des services sociaux d'intérêt général ayant été laissée à la Cour de justice des communautés européennes, 80 % de ces services, notamment le logement social, la protection sociale ou encore les soins de santé, sont considérés comme des services sociaux d'intérêt économique général au motif qu'ils sont rendus dans le cadre d'un marché, moyennant rémunération. Mais faut-il appliquer les règles du marché et de la concurrence quand il s'agit d'aider les plus vulnérables et lorsque ces services sont rendus par de petits prestataires, qui interviennent souvent seuls dans un secteur donné ? Le statut d'entreprise, que le droit européen leur confère systématiquement, leur est-il vraiment adapté ? La Commission a même envisagé de les assimiler à des services marchands en les intégrant dans la fameuse directive Services. Elle a reculé devant l'opposition pugnace des eurodéputés, notamment socialistes...

M. Hubert Haenel.  - Ils n'étaient pas les seuls !

M. Roland Ries.  - ...et exclu les services sociaux sous certaines conditions, Parmi ces conditions, figure l'obligation de mandatement du prestataire social par la puissance publique, ce qui est source de difficultés considérables. Tout d'abord, ce sont souvent les associations qui créent la demande, proposent un service, notamment s'agissant des soins aux SDF, à la petite enfance, aux personnes âgées ; service parfois repris par l'État ou les collectivités territoriales. La notion de mandatement va donc à rebours de la réalité sociale. Ensuite se pose la question du contrôle des fonds publics engagés. Les règles de financement, précisées par la Cour de justice dans son arrêt Altmark de 2003 et la Commission dans le paquet Monti-Kroes, sont si complexes qu'il est impossible au prestataire d'être exempté de l'obligation de notification pour aide d'État. En effet, le prestataire doit démontrer -c'est kafkaïen !- que la compensation reçue n'affecte en rien l'équilibre du marché et qu'elle correspond strictement au coût moyen du service, tel qu'il serait rendu, pour reprendre les termes poétiques de la Cour, par « une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée ». Qu'est-ce à dire ?

En définitive, nous avons, d'un côté, ceux qui veulent libéraliser globalement les services ; de l'autre, ceux qui veulent maintenir ce secteur dans un flou juridique préjudiciable à son bon fonctionnement, à commencer par M. Barroso, président de la Commission, qui, associant systématiquement depuis cinq ans l'idée européenne à la dérégulation -je pense à la directive Bolkestein mais aussi au projet avorté de la directive Temps de travail-, a renoncé à présenter une directive sur les services publics en novembre 2007. Nous, socialistes, condamnons fermement cette position. Et la présidence française, qui constituait, selon M. Toubon, une « fenêtre de tir à ne pas manquer », a déçu sur ce terrain. Bref, la future Commission, que l'on espère renouvelée, devra se saisir d'urgence de ce dossier, comme le rappelle le PSE dans son Manifeste pour les élections européennes de juin. Puisse le renouvellement du Parlement européen contribuer à débloquer la situation !

Nous ne pouvons que souscrire à la proposition de résolution de Mme Tasca. Il y va de l'impérieuse nécessité de sécuriser les victimes de cette crise économique profonde qui ne pourra être résolue dans le cadre étroit des nations qui composent l'Union ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Teston.  - En l'absence d'une législation cadre qui réaffirme le principe de subsidiarité, sont appliquées aux services d'intérêt général les règles de la concurrence ou de la libre circulation. Résultat : la Commission, qui évalue ces services sous le seul angle du marché intérieur, intervient de plus en plus auprès des autorités nationales, régionales et locales, sur les services sociaux d'intérêt général, que M. Ries vient d'évoquer, mais aussi sur les services d'intérêt économique général. Ceux-ci, relatifs aux réseaux de transports, d'énergie, des postes et des télécommunications, font l'objet de directives sectorielles, dont la Commission donne une interprétation de plus en plus libérale malgré la jurisprudence constante de la Cour de justice des communautés européennes, depuis 1993, selon laquelle des restrictions à la concurrence sont autorisées si elles sont nécessaires à l'accomplissement d'une mission d'intérêt général.

Prenons les services postaux qui, en 2004, représentaient 1 % du PIB communautaire et 1,6 million d'emplois. La levée, le tri et la distribution du courrier est régi par les directives 97/67/CE et 2008/6/CE, qui prévoient la suppression du monopole résiduel au 1er janvier 2011 des opérateurs historiques sur les plis de moins de 50 grammes, soit le secteur réservé, et définissent le service postal universel de manière moins précise que les obligations de service public imposées à la Poste française. Une législation cadre aurait probablement permis de maintenir ce secteur réservé qui, même s'il ne représente plus que 30 % de l'activité, finance le service postal universel, de même qu'elle aurait empêché la Commission, comme son rapport de 2008 le montre, de faire pression sur les États membres pour aller plus vite et plus loin que les directives. Selon le commissaire européen McCreevy, « les marchés ne vont pas s'ouvrir de manière automatique. Les réformes nécessaires au niveau national doivent être rigoureusement poursuivies ». Bref, comme elle l'a fait pour la directive Services, la Commission veut orienter la transposition de la directive en cherchant à imposer des dispositions qui rendent plus difficiles encore les conditions d'exercice du service public, notamment en matière de maillage du territoire.

En outre, la Commission n'hésite pas à faire maintes remarques aux États membres, à huit d'entre eux notamment : ainsi le gouvernement allemand a, lors de l'ouverture de son marché postal, décidé d'instaurer un salaire minimal pour les postiers. Cette mesure de bon sens vise à éviter tout dumping social. Or la Commission y voit une atteinte inacceptable à la concurrence... N'est-ce pas sidérant ?

Pour contrer de telles pressions, un texte cadre doit définir clairement les services publics, établir la liste des obligations communes et préciser strictement la répartition des compétences entre le niveau communautaire et le niveau national. Les opérateurs postaux historiques de 11 États membres ont accepté l'ouverture complète du secteur postal, tout en réclamant un financement garanti pour le service universel et des règles du jeu équitables. Cette position est très compréhensible. Mais la Commission exprime son mécontentement dans son rapport de décembre 2008 !

Une législation cadre devrait laisser chaque État membre choisir le meilleur mode de financement du service universel. Cette position est défendue par le groupe PSE du Parlement européen. C'est aussi celle que nous soutenions en 2007, lors de la discussion sur l'ouverture des marchés postaux à la concurrence. J'avais proposé de maintenir un monopole résiduel. La résolution mentionne seulement le maintien du monopole tant qu'un mode de financement équivalent n'est pas trouvé... Cette formulation est insuffisante. Le fonds de compensation du service universel prévu dans la loi de 2005 ne constitue pas un moyen de financement équivalent. Voyez comment fonctionne le fonds de compensation pour le téléphone fixe !

Les services d'intérêt général ont des spécificités et la Confédération européenne des syndicats a bien raison de souligner que « des dispositions devraient être prises avant de décider de libéraliser des secteurs essentiels comme le secteur postal, afin de préserver la cohésion économique et sociale de l'Union européenne ». Nous partageons ce jugement et demandons l'adoption d'une législation cadre. (Applaudissements à gauche)

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Il y a consensus pour défendre les services d'intérêt général et le modèle du service public à la française. Nous sommes tous convaincus que certains services doivent échapper à la logique de la concurrence. Et c'est ce qui est prévu dans la directive Services, grâce à l'intervention du Parlement européen -ce qui, soit dit en passant, montre combien les élections au Parlement européen sont importantes et illustre bien le rôle des parlements européen et nationaux.

M. Hubert Haenel.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Reste à savoir quelle est la démarche la plus efficace pour défendre ces services. Je comprends la motivation qui anime Mme Tasca, mais la voie qu'elle préconise pose deux difficultés : le risque de couvrir des secteurs qui n'en ont pas besoin et la nécessité d'obtenir l'accord des autres États. Or les résistances sont bien réelles ! La définition d'un cadre juridique solide pourrait ainsi être repoussée à une échéance lointaine.

Nous préférons le pragmatisme. Durant la présidence française, une feuille de route comportant nombre d'éléments très positifs a été élaborée ; il reste à mener à bien un travail d'évaluation. Nous sommes favorables à une législation européenne, mais par voie de règlement, traitant au cas par cas les différents sujets, par exemple le logement social, sur lequel il y a urgence à définir un cadre juridique plus clair. Nous voulons avancer rapidement et ne voyons aucun intérêt à demander la nomination d'un nouveau commissaire européen !

Quelle Europe voulons-nous ? Certes pas une Europe du libéralisme absolu, mais un espace où des règles claires garantissent la liberté de tous et l'intérêt général. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion du texte de la proposition de résolution

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE

sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 2 du Traité sur l'Union européenne sur les objectifs de cohésion économique et sociale,

Vu l'article 16 du Traité sur l'Union européenne,

Vu les deuxième et troisième alinéas de l'article 86 du Traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le protocole n°9 du TRAITÉ de Lisbonne,

Vu l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la résolution européenne du Sénat n°89 (2004-2005) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (E 2520) adoptée le 23 mars 2005,

Vu la Communication de la Commission européenne du 20 novembre 2007 « Un marché unique pour l'Europe du 21e siècle » accompagnant la communication intitulée « Les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt général : un nouvel engagement européen » (COM(2007) 725 final),

Vu la Communication de la Commission européenne du 23 octobre 2007 « Programme législatif et de travail de la Commission pour 2008 » (COM (2007) 640 final - E 3692),

Vu la Communication de la Commission européenne du 13 février 2008 « Stratégie annuelle pour 2009 » (COM (2008) 72 final),

Considérant que l'article 16 du Traité sur l'Union européenne souligne le rôle joué par les services d'intérêt économique général dans la « promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union » et invite la Communauté et les États membres à veiller « à ce que ces services fonctionnent sur la base des principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions »,

Considérant que selon la déclaration du Conseil « Marché intérieur » du 28 septembre 2000, « l'application des règles du marché intérieur et de la concurrence doit permettre aux services d'intérêt économique général d'exercer leurs missions dans des conditions de sécurité juridique et de viabilité économique qui assurent entre autres les principes d'égalité de traitement, de qualité et de continuité des services »,

Considérant que l'Union européenne, par l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général pour promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union,

Considérant les conclusions des Conseils européens de Barcelone et de Laeken par lesquels les États membres de l'Union européenne se sont engagés à adopter une directive-cadre sur les services d'intérêt général,

Considérant que ces conclusions constituent une base légale suffisante pour mener à bien ce projet essentiel qui participe pleinement à la réalisation des objectifs de solidarité mais aussi de cohésion économique et sociale,

Considérant que l'article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le protocole n°9 du Traité de Lisbonne sur les services publics offrent désormais une base juridique claire pour l'adoption d'une législation cadre,

Considérant que le Sénat par sa résolution n°89 (2004-2005), adoptée le 23 mars 2005, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, a appelé la Commission européenne « à formuler une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt économique général »,

Considérant que le rapport du Conseil économique et social du 17 avril 2008 insiste sur la nécessité de préserver les spécificités des services sociaux d'intérêt général,

Considérant que la Présidence française n'a pas retenu cette initiative comme un élément essentiel pour la défense d'une Europe sociale dont elle avait pourtant affirmé qu'elle devait être la priorité de l'année 2008,

Considérant l'insuffisance des mesures proposées par les États membres au nom de l'Union européenne pour répondre aux conséquences des crises économique et sociale qui frappent aujourd'hui de plein fouet les citoyens européens,

Considérant qu'une garantie accrue des services d'intérêt général contribuerait à renforcer la solidarité et la cohésion sociale dont les citoyens européens ont aujourd'hui besoin,

Considérant que toutes les incertitudes juridiques européennes concernant les services d'intérêt général doivent être levées,

Regrette l'absence de proposition de directive-cadre sur les services d'intérêt général :

- dans la stratégie politique de la Commission européenne pour l'année 2009 ;

- dans l'« Agenda social renouvelé » 2010-2015 ;

- dans le bilan de la présidence française,

Demande à la Commission européenne de prendre des initiatives en vue de conforter le statut des services d'intérêt général ;

Demande l'inscription dans la stratégie politique la Commission européenne pour l'année 2009 de l'examen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ;

Demande que, dans la perspective du renouvellement de la Commission européenne au 1er novembre 2009, soit créé un poste de Commissaire européen chargé des services publics qui serait le garant de leur prise en compte dans toutes les politiques communautaires, de leur niveau de qualité et de leur bon fonctionnement.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Aux quatrième, cinquième et treizième alinéas de la proposition de résolution, remplacer les mots :

Traité sur l'Union européenne

par les mots :

Traité instituant la Communauté européenne

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Nous corrigeons des erreurs matérielles.

L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Billout et les membres du groupe CRC-SPG.

Supprimer les septième et dix-huitième alinéas de la proposition de résolution.

Mme Annie David.  - Nous proposons de supprimer la référence au traité de Lisbonne, qui ne constitue nullement un pas décisif pour la reconnaissance des services publics. Parmi les services d'intérêt général, il ne retient en effet que les services économiques et oublie les services sociaux d'intérêt général.

Comme les autres traités européens, celui de Lisbonne fait de la libre concurrence l'alpha et l'oméga de la construction européenne. La délégation européenne du Sénat notait que « la libre concurrence n'est plus placée au même niveau que des objectifs généraux comme le développement durable ou la cohésion économique, sociale et territoriale » mais estimait prudemment que la portée de ce changement dépendrait « de la manière dont il sera pris en compte par (...) la Commission européenne et la Cour de justice ». Or nous connaissons bien leur position : toutes les activités peuvent être considérées comme économiques, et en particulier les services dans le domaine social. Les services d'intérêt général doivent être réservés aux plus démunis. Ils ne sont plus considérés comme des outils d'aménagement du territoire, de cohésion nationale et de réduction des inégalités mais comme une réponse spécifique à toutes les formes d'exclusion engendrées par le libéralisme. Bref, la puissance publique gère les externalités négatives d'un système économique sur lequel elle n'a pas prise... Les principes libéraux, et notamment la libre circulation des capitaux, ont précipité l'Europe dans l'une des crises les plus graves de ce siècle en déconnectant économie réelle et marché financier.

J'ajoute que le traité n'est pas, à ce jour, adopté par tous les États membres.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Hérisson, au nom de la Commission.

A la fin du dix-huitième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

législation cadre

par le mot :

législation

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Amendement de précision.

Défavorable à l'amendement n°1. Le traité de Lisbonne est le premier à consacrer, dans son protocole n°9, la défense des services d'intérêt général. Au moment où le vote du Sénat tchèque va peut-être permettre la poursuite de sa ratification, nous devons rappeler notre attachement à ce traité.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Sagesse sur l'amendement n°4.

C'est une grave erreur politique que de refuser le traité de Lisbonne, car c'est refuser l'Europe politique. Le protocole n°9 renvoie aux services d'intérêt économique général mais aussi, pour la première fois, aux services d'intérêt général non économiques. C'est un réel progrès. Par ailleurs, l'article 14 prévoit un encadrement des services d'intérêt général, ce que demande Mme Tasca.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

Mme Catherine Tasca.  - Je remercie le rapporteur de l'attention qu'il a portée à notre texte, mais il n'est pas anodin de passer d'une législation cadre à une simple législation, qui peut être sectorielle. Nous voulons une législation générale qui mette de l'ordre dans le monstre communautaire, définisse et encadre les services publics dans ce marché concurrentiel qui semble être le seul horizon de la Commission Barroso, et mette un terme à l'étouffement provoqué par la superposition de directives sectorielles, jouets d'une libéralisation agressive. A la France de convaincre ses partenaires par une position claire. La commission et le Gouvernement disent partager notre analyse sur les services d'intérêt général : faites donc encore un petit effort pour nous rejoindre ! Nous ne pouvons accepter la rédaction du rapporteur.

L'amendement n°4 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Rédiger comme suit le seizième alinéa de la proposition de résolution :

Considérant les conclusions du Conseil européen de Barcelone par lesquelles les États membres de l'Union européenne ont demandé à la Commission de proposer une directive cadre sur les principes relatifs aux services d'intérêt économique général,

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Amendement de précision. Nous supprimons la référence au Conseil européen de Laeken. D'autre part, les États ont demandé à la Commission de proposer une directive cadre ; ils ne se sont pas engagés à adopter une telle directive.

L'amendement n°3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Hérisson, au nom de la Commission.

Remplacer le vingt-et-unième, le vingt-deuxième et le vingt-troisième alinéas de la proposition de résolution par un alinéa ainsi rédigé :

Considérant qu'une garantie accrue des services d'intérêt général contribuerait à renforcer la solidarité et la cohésion sociale dont les citoyens européens ont aujourd'hui besoin, notamment pour répondre aux conséquences des crises économique et sociale qui frappent aujourd'hui de plein fouet les citoyens européens,

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La référence à la présidence française de l'Union européenne et à la supposée « insuffisance » des mesures proposées par les États membres au nom de l'Union est injuste et ne correspond pas à l'objet de la proposition de résolution. La présidence française a largement oeuvré pour sécuriser les services sociaux d'intérêt général, et la proposition de résolution portant sur un document de la Commission, il est préférable de s'en tenir à des observations sur la politique de cette dernière. Par ailleurs, je propose de déplacer la formulation appelant « une réponse aux conséquences des crises économique et sociale » dans le considérant suivant.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Avis favorable.

M. Michel Teston.  - La France s'était targuée de faire de 2008 l'année de l'Europe sociale ; les six mois passés à la tête de l'Union auraient dû être l'occasion de progresser en ce sens. La crise a certes bousculé le programme de la présidence mais une initiative législative pour les services publics ou, simplement, l'adoption d'un calendrier auraient eu toute leur place dans un plan de relance européen.

Le Président de la République veut faire du bilan de la présidence française le coeur de la campagne européenne. L'UMP a beau revendiquer une « Europe qui protège », une « Europe rempart », pas un mot dans son programme sur la protection des services publics ! On s'en tient au principe de subsidiarité, pourtant malmené par les mesures libérales et l'absence de législation cadre.

Contrairement à ce qu'affirme le rapport, une présidence en exercice dispose d'une grande latitude pour faire adopter ou progresser un texte législatif, comme l'ont montré les premières réponses à la crise. La défense des services d'intérêt général aurait mérité un effort équivalent. Aucune leçon n'a été tirée sur le rôle des services publics dans la gestion de la crise.

Le rapport souligne l'importance de la sécurisation des services publics pour affronter la crise. Mieux vaut tard que jamais, alors que le programme de l'UMP ne comporte pas une ligne sur le sujet... Nous maintenons que les plans de relance européens sont insuffisants parce qu'ils ne prévoient aucune action pour protéger et valoriser les services publics. Il faut une action commune ! Nos entreprises publiques -EDF, RATP, SNCF, La Poste- financent le plan de relance, à hauteur de 4 milliards ! Heureusement qu'elles n'ont pas encore été privatisées... Pourtant, pas un mot de la présidence française ou du Président de la République sur le sujet.

Les futures instances européennes devront s'engager à élaborer à court terme une proposition de législation cadre visant à mieux protéger les services publics, garants de la cohésion économique, sociale et territoriale.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Michel Teston.  - Le rapporteur ne fait aucune proposition de nature à garantir que les services publics qu'il dit défendre seront préservés. Nous voterons contre l'amendement n°5.

L'amendement n°5 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Au vingt-cinquième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

Regrette l'absence de proposition de directive cadre

par les mots :

Regrette l'insuffisance des propositions faites

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La directive cadre n'est pas le seul instrument dont disposent la Commission et les institutions européennes. Il est donc préférable de regretter, d'une manière générale, l'insuffisance des propositions faites par la Commission aussi bien dans sa stratégie politique pour 2009 que dans son agenda social 2010-2015.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable.

Mme Catherine Tasca.  - Notre groupe n'approuve pas cet amendement, qui fait l'impasse sur l'absence de texte législatif, juridiquement contraignant, et de toute initiative de la Commission, en coopération étroite avec les États membres, en vue de rééquilibrer le corpus juridique communautaire en faveur des services publics.

La Commission a décidé, fin 2007, qu'il n'était pas utile de légiférer plus avant. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir été incitée à le faire, à de multiples reprises. La nécessité d'une législation cadre a été reconnue par les États membres réunis en Conseil européen, à deux reprises au moins. Au Conseil européen de Nice, d'abord, en décembre 2000, les États membres ont invité le Conseil et la Commission à poursuivre leurs travaux en vue d'assurer une plus grande prévisibilité et une sécurité juridique accrue dans l'application du droit de concurrence relatif aux services d'intérêt général et demandé qu'un rapport leur soit transmis, pour le Conseil européen de décembre 2001, sur la mise en oeuvre de ces orientations. A la demande de la France, le Conseil européen des 15 et 16 mars 2002 a reconnu explicitement la nécessité d'une directive cadre qui précise « les principes relatifs aux services d'intérêt économique général qui sous-tendent l'article 16 du traité dans le respect des spécificités des différents secteurs concernés et compte tenu des dispositions de l'article 86 du traité ». La base juridique pour l'adoption d'un tel texte était ainsi créée.

Pas plus que ces deux déclarations, la démonstration, apportée en mai 2006 par les socialistes européens, qu'il était possible d'élaborer un projet cohérent de directive cadre pour les services publics, n'a incité la Commission européenne à relever le défi.

Et la perspective du traité de Lisbonne ne semble pas non plus avoir ébranlé la foi néolibérale de la Commission, relayée par des commissaires européens dont la ligne de conduite est le « laisser faire » et l'application pure et simple du principe de subsidiarité.

On ne peut donc pas dire que les propositions sont insuffisantes : il n'y en a tout simplement pas. Le groupe socialiste votera ainsi contre cet amendement.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Supprimer le vingt-huitième alinéa de la proposition de résolution.

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La mise en cause de la présidence française n'est ni adaptée à l'objet de la proposition, ni justifiée sur le fond.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable.

M. Roland Ries.  - Il ne s'agit pas de dénigrer globalement le bilan de la présidence française mais, sur la question des services d'intérêt général, nous en sommes restés au statu quo. M. Hérisson, dans son rapport, rappelle combien le gouvernement français a mis l'accent sur les services sociaux d'intérêt général. C'est reconnaître implicitement, puisqu'ils ne représentent qu'une partie des services d'intérêt général, que le Gouvernement a délibérément choisi de limiter son champ d'action à ces seuls services sociaux. C'est une façon bien commode de se libérer du problème général des services publics en Europe, et de se donner bonne consciente à bas prix.

Pour nous, la présidence française se devait de mettre tous les services d'intérêt général à l'ordre du jour de son programme. Les socialistes que nous sommes ne sauraient se contenter du service minimum sur cette question.

S'agissant des services sociaux, nous ne pouvons que nous interroger sur l'opportunisme du Gouvernement et l'efficacité de son action. Sachant qu'il doit transposer la directive Services d'ici à décembre, il n'y a rien de bien original à mettre en place un groupe de travail sur cette épineuse question... Il se devait également, comme chaque État membre, de remettre un rapport à la Commission européenne, en décembre 2008, sur les règles de financement de ces services. Il est donc particulièrement malhonnête de présenter ce rapport comme une initiative du gouvernement français durant sa présidence.

Sur le fond, rien n'a vraiment avancé. L'organisation de forums est-elle propre à répondre aux interrogations et aux inquiétudes des milliers de prestataires de services sociaux qui voient aujourd'hui leur financement, comme leur mission, mis en péril par des règles communautaires incompréhensibles, voire injustes ? Dans la même logique politique, la Commission européenne se contente de promouvoir le « site internet interactif » sur les services sociaux qu'elle a créé. Il est extrêmement choquant, en ces temps de crise, de s'en remettre à de tels gadgets.

Le temps n'est plus à la réflexion mais à l'action. Tant que ces questions ne seront pas intégrées au programme de travail de la Commission européenne, ou, à défaut, à l'ordre du jour d'un Conseil européen, l'insécurité juridique restera entière. Les groupes de travail, les forums, les sites internet n'y changeront rien. Il ne suffit pas d'organiser une conférence pour faire avancer un dossier. Il est temps d'aller à l'essentiel : la mise en place d'un vrai statut juridique pour préserver les services publics. Nous voterons contre cet amendement.

L'amendement n°7 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Au trentième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

de l'examen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général

par les mots :

d'une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Cet amendement reprend une formulation déjà présente dans une résolution adoptée par le Sénat le 23 mars 2005 et demande à la Commission de proposer un « instrument juridique communautaire », sans se limiter au seul outil de la directive cadre. La rédaction proposée concernerait l'ensemble des services d'intérêt général, qu'ils soient ou non économiques.

Il s'agit d'ouvrir l'éventail des possibilités au règlement, dans le respect des prérogatives des États. Un texte pourrait par exemple être adopté sur les services sociaux d'intérêt général, aujourd'hui les plus menacés.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable. C'est là un point essentiel, dont dépend la crédibilité de cette résolution. Si l'on veut lui donner le maximum de chances d'être opérationnelle, il est bon d'élargir ainsi le cadre.

Mme Catherine Tasca.  - Nous touchons en effet là un point crucial. Nous allons décevoir le rapporteur, mais pas autant qu'il ne nous a lui-même déçus.

Lors de l'examen par le Sénat de la première version dite Bolkestein de la directive relative aux services, en mars 2005, la commission des affaires économiques avait accepté de demander à la Commission européenne de « formuler une proposition d'instrument juridique communautaire relative aux services d'intérêt économique général ». Cela ne remplissait d'ailleurs pas nos souhaits puisque nous demandions alors déjà une proposition englobant tout les services publics.

Depuis, avec les incertitudes juridiques engendrées par la superposition des directives sectorielles et le développement de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, avec le refus de la Commission européenne d'aller plus loin dans la sécurisation des services publics, il est devenu indispensable de demander une législation cadre pour les services d'intérêt général dans leur ensemble. Nous souhaitons qu'il soit bien clair que nous demandons une proposition législative qui soit soumise, comme cela est prévu par le traité de Lisbonne, à la procédure de codécision, et non un objet juridique non identifié, comme une charte. La proposition du rapporteur ne répond pas à cette ambition : nous ne pouvons y souscrire.

L'amendement n°8 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Rédiger comme suit le dernier alinéa de la proposition de résolution :

Demande que, dans la perspective du renouvellement de la Commission européenne au 1er novembre 2009, soit confiée à un Commissaire européen la charge de garantir la prise en compte dans toutes les politiques communautaires des services publics, de leur niveau de qualité et de leur bon fonctionnement.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Tout en partageant l'objectif de cet alinéa de confier explicitement à un commissaire européen la charge de défendre les services publics, nous proposons d'en assouplir la rédaction en prévoyant que la compétence en question pourrait être confiée à un poste de commissaire déjà existant et non nécessairement à un poste de commissaire nouveau qui n'aurait que cette attribution. C'est d'autant plus nécessaire que l'application du traité de Nice imposera de diminuer le nombre de commissaires.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État  - J'ai déjà dit mon avis favorable.

M. Michel Teston.  - C'est inacceptable : les services publics seraient définitivement sous la coupe de la Direction générale du marché intérieur ou, pire, de celle de la concurrence. Le rapporteur objecte que la prise en compte des services publics dans les politiques communautaires est dévolue au secrétaire général du Conseil. Soyons sérieux ! Ce secrétariat général a pesé peu de poids, ces dernières années, face au volontarisme ultralibéral de Charlie McCreevy ou de Nelly Kroes. Ce sont eux qui ont fait la pluie et le beau temps dans l'interprétation des missions des services publics et qui sont parvenus à instaurer la primauté du droit de la concurrence sur ces services publics. En raison de la complexité de leur mission et de leur rôle pour la cohésion économique et sociale, un commissaire à part entière ne serait pas de trop pour engager une politique volontariste de développement des services d'intérêt général, qui sont les garants de la cohésion sociale et économique européenne. Nous voterons contre cet amendement, qui dénature notre proposition et serait une régression.

L'amendement n°9 est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution amendée.

Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition  - Cette proposition de résolution est la première à être débattue dans le cadre de la semaine d'initiative sénatoriale. La réforme constitutionnelle s'avère difficile à évaluer dans ses effets. L'articulation entre la portée du droit d'amendement en commission et l'instauration d'une semaine d'initiative sénatoriale n'est à l'évidence pas aisée.

Reste que notre assemblée a pu débattre ce jour des services d'intérêt général en Europe et des instruments législatifs permettant de leur apporter la protection juridique qui leur fait défaut. Je me félicite de l'initiative des sénateurs socialistes. Les services d'intérêt général sont un des piliers de l'Europe sociale que nous voulons ; pourtant, leur reconnaissance juridique, minimale, les expose aux règles de la concurrence et du marché intérieur. Leur rôle stabilisateur a été reconnu, y compris par les pays les plus marqués par l'idéologie libérale.

Cette analyse, ici, fait consensus : les travaux de la commission des affaires économiques en ont fait la preuve. De l'analyse il faut désormais passer à la mise en oeuvre et c'est l'objet de notre proposition de résolution. Ce pas supplémentaire, la droite le refuse, défendant un statu quo qui n'est plus défendable en période de crise. Vos amendements, loin d'être anodins, ont modifié en profondeur l'esprit même de notre proposition de résolution. J'ai le sentiment d'un rendez-vous manqué. En vous faisant les partisans du statu quo, vous vous rangez aux cotés de la Commission européenne et de son président, qui n'ont cessé de s'opposer à toute protection des services publics. Vous soutenez une commission qui use de son droit d'initiative comme d'une force de blocage à l'édification d'une Europe qui protège. Les socialistes veulent garantir de façon efficace les services publics en Europe. Vous dites partager cette volonté mais, en réalité, vous vous payez de mots car vous refusez de franchir ce pas supplémentaire qui donnerait à cette analyse partagée.

Ainsi, sur deux points cruciaux, vous refusez le passage à l'acte. Vous refusez la législation cadre, pourtant seul rempart efficace à la remise en cause des services publics. De même, vous écartez la perspective d'un commissaire en charge des services d'intérêt général. Or, vous le savez fort bien, confier cette politique à un commissaire en charge du marché ou de la concurrence, c'est condamner d'avance ces services à l'effacement.

Nous voterons contre la proposition de résolution que vous avez amendée.

M. Michel Billout.  - La conception communautaire des services d'intérêt général ne permet pas une ambition de service public à la hauteur des besoins des citoyens européens. Avec la directive Services, les services d'intérêt général ne sont plus considérés que comme des facteurs de compétitivité économique, selon les termes du rapport Rapkai, voté par le Parlement européen en septembre 2006. Le droit souverain des États membres à définir l'intérêt général et à organiser leurs services publics se trouve par conséquent limité par les traités au nom de la libre concurrence et de la liberté d'établissement. Les techniques de passation de marchés publics sont modifiées, les aides d'État prohibées, la puissance publique ne peut remplir une mission de service public que si elle est mise en concurrence avec d'autres opérateurs, dans les conditions strictes fixées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union. Le choix de substituer à la notion française de service public celle, communautaire, de service d'intérêt général, a permis aux gouvernements successifs d'exclure progressivement toute maîtrise publique de secteurs clefs de l'économie. Les citoyens, usagers des services publics sont cantonnés à un rôle de client-consommateur, sans pouvoir exprimer démocratiquement leurs choix sur les services nécessaires à la société entière. Les législations des États membres sont mises sous tutelle : en matière de services publics, ils devront justifier toute initiative législative ou réglementaire, ainsi que tous les régimes d'autorisation ; c'est ce qu'on appelle le« mandatement ».

Certes, on nous dit qu'en cas de conflit entre les règles de la concurrence et les missions d'intérêt général, ces dernières priment. Les textes reconnaissent également que les États ont le droit de définir l'intérêt général. Mais c'est la Commission et, en dernier ressort, la Cour de justice européenne qui décident des limites de cette « dérogation ».

Pourtant, les auteurs la proposition de résolution tout comme le rapporteur affirment que le traité de Lisbonne permettra une reconnaissance des services d'intérêt général. Nous ne sommes pas du tout d'accord ! Une récente recommandation de la Commission rappelle que, en tout état de cause, les règles de la concurrence prévaudront pour nos services publics. Et des débats récents ont bien montré que même la protection sociale était en jeu, puisqu'on passe d'une conception assurantielle à une conception assistantielle, comme nous vous l'exposions dans notre amendement.

Pour nous, l'Europe doit au contraire nourrir de grandes ambitions pour ses services publics, qui ont à couvrir le champ des droits fondamentaux du XXIsiècle : l'éducation, la santé, le logement, l'information, la culture, les transports, les télécommunications, les services postaux, l'eau, le traitement des déchets, ainsi que... l'accès au crédit. Ces secteurs doivent obéir à des règles d'efficacité sociale sans être soumis aux pressions de la concurrence et au diktat des marchés financiers. Certes les expériences varient d'un pays à l'autre et les choix relèvent de la souveraineté de chacun. Mais dans l'urgence de la crise, une directive cadre fixant les principes et les champs d'intervention des services publics est indispensable pour, au moins, garantir une sécurité juridique au secteur social et public. Les institutions européennes doivent respecter les services publics de chaque pays ; ceux-ci doivent être soustraits à la concurrence et considérablement développés. L'Europe doit favoriser la coopération bi ou multilatérale entre services publics et sociaux nationaux ou locaux, sur tout l'espace européen ; elle doit également contribuer à la création de véritables services publics européens, d'abord dans les domaines du fret ferroviaire ou de l'énergie. La constitution progressive d'un pôle de services publics européens leur permettrait de devenir les agents principaux d'une coopération internationale axée sur le développement économique et social. C'est le contraire de ce que permettent les traités actuels et, évidemment, celui de Lisbonne.

Nous voterons contre cette proposition de résolution qui ne propose en aucune façon de sortir les services d'intérêt général d'une logique ultralibérale dont la crise nous montre chaque jour combien elle a failli.

A la demande de la commission des affaires économiques, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 187
Contre 139

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - En application de l'article 73 bis du règlement, la proposition de résolution adoptée par le Sénat sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.