Débat sur le service civil volontaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le service civil volontaire. Les membres du groupe UMP, retenus à l'Élysée, vous prient de les excuser de leur retard.

M. Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen  - Le 22 février 1996, le Président Chirac annonçait sa décision de professionnaliser les armées et de suspendre le service national.

M. Daniel Raoul.  - Quelle erreur !

M. Yvon Collin, président du RDSE   - La loi du 28 octobre 1997 a suspendu le service militaire obligatoire pour les jeunes gens nés après le 31 décembre 1978 et l'a remplacé par un appel de préparation à la défense étendu aux jeunes filles. Ainsi disparaissait une pratique vieille de deux siècles, sur laquelle reposait jusqu'alors l'organisation de notre défense.

C'est en 1798, pendant la Révolution française, que fut instaurée pour la première fois en France par la loi Jourdan une conscription obligatoire : tous les Français de 20 à 25 ans non mariés étaient désormais astreints au service militaire. Celui-ci, dont la forme varia au cours du XIXe siècle au gré des guerres et des menaces, fut d'emblée impopulaire en raison de son coût pour les contribuables et de son caractère inégalitaire. Grâce aux efforts de la gauche et après de longs débats parlementaires, la loi Berteaux de 1905 institua enfin le service militaire universel, personnel et obligatoire. Ces principes ne furent pas remis en cause au XXe siècle, même si la durée du service et les modalités de son exécution firent l'objet d'adaptations législatives.

C'est alors que commencèrent à se faire sentir le rôle social du service militaire et son apport à la construction de la Nation grâce au brassage des citoyens. On prit conscience des bénéfices de tous ordres qu'il apportait aux jeunes Français : détection et rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, progrès sanitaire, intégration professionnelle... Mais la diversification des modalités du service en fonction des besoins des armées et des évolutions de la société affaiblit par la suite son rôle social. Devenu obsolète et très inégalitaire, il était de plus en plus souvent considéré comme une contrainte inutile, voire traumatisante. C'est pourquoi l'idée de professionnaliser les armées revint avec insistance au cours des années 1990, jusqu'à la décision de 1996.

Si cette professionnalisation n'a jamais été contestée, la suspension de l'appel sous les drapeaux a presque immédiatement suscité des regrets. Dans l'esprit de nombreux Français, la conscription universelle contribuait à la cohésion nationale et au brassage social et culturel, à l'apprentissage de la vie en commun et à la prise de conscience chez les jeunes adultes de leur appartenance à une Nation, à une communauté politique de citoyens partageant un destin commun mais aussi des droits et des devoirs. Selon l'historien Raoul Girardet, la disparition du service militaire explique en partie la fracture sociale. (M. Daniel Raoul approuve)

C'est pourquoi le débat sur l'instauration d'un service civil ne cesse de ressurgir. Ses promoteurs sont de plus en plus nombreux, y compris au sein de la classe politique et de la jeunesse. Tout le monde s'accorde sur le principe d'un service civil, mais non pas sur les modalités et conditions de celui-ci. C'est de cela qu'il nous faut débattre. Malheureusement ce sujet ne semble pas faire recette... (L'orateur désigne la partie droite de l'hémicycle)

Tout reste à faire pour que le service civil trouve une forme satisfaisante. Loin de moi l'idée de faire l'apologie nostalgique de l'ancien service militaire. J'ai souhaité ce débat afin de connaître les intentions précises du Gouvernement et d'évoquer avec tous les groupes de la Haute assemblée des pistes de réforme.

M. Jean-Michel Baylet.  - Mais les sénateurs de l'UMP sont absents !

M. Yvon Collin, président du RDSE.  - Je sais, monsieur le haut-commissaire, que vous avez-vous-même rouvert ce dossier. Pouvez-vous nous donner des détails sur le calendrier et le budget de votre projet ? Il semble que vous soyez plutôt favorable au volontariat ; nombre de parlementaires, au contraire, ont défendu l'idée d'un service civil obligatoire -je ne dresserai pas un inventaire à la Prévert des nombreuses propositions de loi et questions déposées à ce sujet dans les deux assemblées. Une proposition de loi socialiste, examinée en séance publique à l'Assemblée nationale fin 2003, fut rejetée faute d'accord sur les modalités du service. Celui-ci doit-il être volontaire ou obligatoire, long ou court ? Quelles possibilités doit-on offrir aux jeunes ? Comment renforcer leur sentiment de citoyenneté et faire de ce service un creuset républicain ?

A la suite des émeutes survenues dans les banlieues en 2005, qui traduisaient l'échec de notre politique en faveur de la jeunesse, un service civil volontaire fut instauré par la loi relative à l'égalité des chances du 31 mars 2006. Ce dispositif a minima permet aux jeunes âgés de 16 à 25 ans de s'engager dans une association, une collectivité locale ou un établissement public pendant une période de six à douze mois pour y remplir une mission d'intérêt général. L'idée est recréer du lien social, d'offrir à des jeunes en perte de repères une éducation civique et citoyenne en même temps que des perspectives d'insertion. Car il faut combattre l'individualisme qui engendre incivilité et violence et dilue le sentiment d'appartenance à une collectivité nationale. Mais ce service ne doit pas devenir une voie de recours ou de secours réservée aux jeunes en situation d'échec scolaire ou connaissant des difficultés d'insertion ! Il doit être valorisant.

Le bilan, près de trois ans après, est décevant. Nous attendons de vous, monsieur le haut-commissaire, une lecture objective et un bilan qualitatif et quantitatif du service civil volontaire, mais aussi des pistes concrètes pour l'avenir. Les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience la jugent unanimement enrichissante du point de vue professionnel, personnel et citoyen. Pour certains, ce service civil constitue une première expérience professionnelle qui leur apporte un savoir-faire et, pour tous, elle est une ouverture sur la société avec l'acquisition d'un savoir-vivre, notamment grâce à la rencontre de personnes de divers horizons et à l'apprentissage du civisme.

Ce dispositif devait concerner progressivement jusqu'à 50 000 jeunes en 2007. Or seulement 3 134 volontaires ont été recrutés depuis sa création. Actuellement, seulement 2 800 jeunes effectuent un service civil volontaire. Il semble que ce service civil souffre d'un déficit d'information et de la complexité de ses procédures. Son actuel manque de souplesse rendra difficile un élargissement, réclamé par le RDSE et les Radicaux de gauche, et indispensable à son adaptation aux besoins de notre société.

Alors, puisqu'il nous faudra sans doute créer un nouveau dispositif plus conforme aux attentes des jeunes, il convient de nous interroger sur les caractéristiques que devra revêtir ce service civil. Avant tout, son appellation même peut faire l'objet d'un débat. Le terme de « service civique », pourrait être préféré car il traduit mieux le lien avec la notion de citoyenneté et avec celle, chère à mon groupe, de « civisme ».

Il faut aussi définir qui sera concerné par ce nouveau service. Les hommes et les femmes, cela ne semble pas être remis en question, mais de quel âge et à quel moment de leur vie ? Il conviendra aussi de préciser quelles seront les dispenses.

La question de la durée de ce service fait ensuite débat. Pour certains il pourrait être scindé en plusieurs périodes, fractionnement qui pourrait s'avérer plus aisé à mettre en place, surtout d'un point de vue budgétaire. Mais une durée de six mois consécutifs au moins assoirait plus solidement la crédibilité du dispositif. Certains pourraient le prolonger par un semestre supplémentaire.

Par ailleurs, il convient de réfléchir sérieusement à la nature des tâches effectuées pendant ce service que nous souhaitons civique, et de préciser les structures d'accueil où il pourrait se dérouler. Cela permettra de définir qui l'encadrera et de connaître plus précisément les crédits nécessaires. Cela aura un coût pour I'État, mais la formation de la jeunesse est le meilleur investissement qui soit pour un pays ! On pourrait aussi imaginer un service civique qui se déroulerait tout entier ou en partie à l'étranger. A l'époque du service militaire, c'était souvent les fils des classes aisées qui partaient en coopération. Il faudrait au contraire ouvrir cette possibilité aux jeunes des couches populaires. Le succès du volontariat international en entreprise ou en administration doit nous encourager dans cette voie.

La nature de ce service devra être clairement définie : s'agira-t-il d'un nouveau droit comparable au droit à l'éducation par l'école, ou bien d'un devoir, autrement dit d'une obligation dans l'intérêt de la Nation, comme l'était le service militaire ? De la réponse à cette question découle la nature des contreparties que les citoyens seront en droit d'attendre ou pas de ce service. On pourrait imaginer, au-delà d'une rémunération financière nécessaire -car tout travail mérite salaire-, un système de validation des acquis de l'expérience et différents avantages : le permis de conduire, une formation professionnelle, et pour la carrière future : un bonus de points dans la fonction publique, une priorité pour les choix des postes, des facilités dans les évolutions de carrière. Cette étape doit s'avérer gratifiante, elle pourrait aussi créer des droits en matière de cotisations d'assurance maladie et retraite. Le succès du dispositif repose sur son attractivité : il doit être un atout pour les jeunes et non un handicap.

Pour finir, la principale question, et la plus complexe : celle du caractère obligatoire ou volontaire de ce service civique. L'actuel service civil est basé sur le volontariat. Pourtant, beaucoup de voix s'élèvent sur tous les bancs en faveur d'un service obligatoire. J'en fais partie.

M. Jean-Michel Baylet.  - Pas moi !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Il a tort !

M. Yvon Collin, président du RDSE  - Je sais ce point de vue partagé par plusieurs de nos collègues de l'opposition comme de la majorité. Je pense par exemple à Alain Chatillon qui connait très bien ce sujet. Pousser les jeunes peut parfois les aider à murir leurs projets. Un service obligatoire doit être attractif et valorisant et, idéalement, tout le monde devrait pouvoir en tirer bénéfice. Car c'est l'occasion de sortir de chez soi, d'apprendre la solidarité, d'aller à la rencontre des autres pour mieux se connaître soi-même. Cette aventure peut s'avérer déterminante pour la suite de sa carrière et de sa vie. Les jeunes sortent parfois transformés par ce type d'expérience. Mais, ne faut-il pas mieux les encourager à s'impliquer plutôt que les contraindre à une mission, qu'ils risquent de vivre comme une corvée ? C'est là tout l'enjeu pour la réussite d'un service civique.

Je ne prétends pas apporter aujourd'hui des réponses à toutes ces questions. De nombreux spécialistes se sont penchés sur la question et il est temps de passer à l'action. Le rapport de Luc Ferry au Président de la République, s'il prône un « service civique volontaire plutôt qu'obligatoire », admet néanmoins que les deux modèles se défendent. Quoiqu'il arrive, il faudra passer par une phase de service volontaire qui donnera l'occasion de mieux évaluer les besoins en termes d'organisation pratique et de tester des formules pilotes. Nombreux sont les jeunes qui depuis des années s'engagent ou voudraient s'engager pour trouver leur place dans une société parfois dure envers eux ou pour mieux préparer leur entrée sur le marché du travail. Pourtant on ne leur offre rien d'adapté. Mais le risque de conflit ouvert avec la jeunesse est réel si l'on opte pour l'option d'un service obligatoire. Les sondages montrent qu'ils n'y sont pas tous favorables. Les jeunes radicaux de gauche, pour ne citer qu'eux, adhèrent pleinement à cette idée d'un service civique obligatoire d'au moins six mois. A l'instar de l'ancien service militaire, le service civique élargi inculquerait les valeurs républicaines à tous les jeunes, en particulier à ceux des milieux défavorisés. Ainsi, pourraient-ils se retrouver autour du principe de fraternité, dont le sens a été oublié ces dernières années.

Et pourquoi ne pas envisager un jour de relier ce service civique à la réalité européenne, en imaginant une formule commune à l'ensemble des jeunes citoyens européens ? C'est ce genre d'initiatives concrètes qui relancera la construction européenne. Car si un jour les jeunes Français profitaient massivement d'un service civique européen, le chiffre de l'abstention du week-end dernier ne serait qu'un mauvais souvenir. Le civisme en sortirait renforcé. (Applaudissements)

M. François Zocchetto.  - La situation des 16-25 ans est difficile. Pas question, cependant, de refaire notre débat du 27 mai sur les travaux de notre mission commune d'information relative à la politique des jeunes. Force est de constater que vous affichez, monsieur le haut-commissaire, un volontarisme que nous ne pouvons que saluer. Je pense, bien sûr, au fonds d'expérimentation pour la jeunesse et à la commission de concertation. Parmi les actions engagées en faveur des jeunes, le service civil volontaire devrait occuper une place de premier plan. Moment d'insertion civique autant que d'insertion sur le marché du travail, temps du don de soi à la collectivité et du brassage social, un tel service pourrait être un vecteur irremplaçable de cohésion nationale. Mais à une condition : d'être obligatoire. Depuis sa création dans la loi d'avril 2006, la position du groupe de l'Union centriste n'a pas changé : nous sommes favorables à un service de remplacement de la conscription, mais nous considérons qu'un tel service n'aura de sens que s'il concerne tous les jeunes d'une même tranche d'âge. Autrement dit, de « civil », le service doit devenir « civique » et de « volontaire », nous souhaitons qu'il devienne « universel ». Nous avions d'ailleurs, à l'époque, déposé un amendement en ce sens, qui, malheureusement, n'avait pas été adopté.

Près de trois ans après sa mise en oeuvre, le service civil volontaire apparaît comme un rendez-vous manqué, une mesure potentiellement bonne mais qui n'a pas porté ses fruits. Il n'a jusqu'ici concerné qu'un petit nombre de jeunes, et principalement de jeunes en difficulté. Dans ces conditions, pas de brassage possible entre individus de toutes origines et conditions sociales. Plus grave : au lieu d'être un intégrateur social, le service civil volontaire apparaît comme un facteur supplémentaire de stigmatisation. Exactement le contraire de l'objectif poursuivi. C'est pourquoi, nous ne souscrivons que partiellement aux conclusions du rapport Ferry. Certes, avec lui nous souhaitons que le service civil monte en puissance pour concerner beaucoup plus de jeunes. Mais, lorsque l'auteur se rallie à l'idée qu'il peut demeurer facultatif, nous divergeons. En réalité, l'avenir du service civil nous semble incertain. Mais peut-être nous rassurerez-vous sur ce point, monsieur le haut-commissaire... L'expérience ayant mis en exergue les insuffisances du dispositif, sera-t-on tenté de l'abandonner plutôt que de le renforcer ?

La principale de ses insuffisances, c'est son caractère facultatif. Mais, le statut mis en place apparaît aussi d'une grande faiblesse. Une faiblesse dénoncée par les associations qui mettent en oeuvre le dispositif et qui réclament, par exemple, un horaire de dix à quinze heures par semaine et un assouplissement des contraintes administratives.

Un véritable service civique universel aurait un coût, entre 3 et 5 milliards. Mais, si on le veut vraiment, ces 5 milliards peuvent se dégager par ventilation de crédits entre le soutien à la vie associative ou à l'éducation.

L'autre argument invoqué contre le service civique obligatoire est la difficulté de trouver chaque année 700 000 postes. II pourrait s'agir là d'un faux argument si l'on met en balance le nombre de jeunes d'une tranche d'âge avec les immenses besoins collectifs non satisfaits dans notre société.

Avant d'être d'ordre financier ou économique, le problème du service civique universel est de savoir si nous sommes prêts à nous donner les moyens d'arrêter le délitement du lien social. Tel est l'enjeu ; je ne doute pas, monsieur le haut-commissaire, que vous aurez à coeur de nous apporter des réponses. (Applaudissements au centre)

Mme Éliane Assassi.  - La loi du 31 mars 2006 et le décret du 12 juillet 2006 ont, après une dizaine d'année de débats, créé le service civil volontaire promis par Jacques Chirac. Alors qu'il devait concerner 50 000 jeunes, ils ne sont que 3 000 sur une tranche d'âge de 800 000 à s'engager. Une telle situation est peu satisfaisante : le champ d'application reste très limité. Surtout, les moyens financiers et humains ne sont pas à la hauteur des ambitions proclamées. Pour qu'une tranche d'âge puisse en bénéficier, il faudrait y consacrer 3 à 5 milliards. L'idée qu'il faut le renforcer semble faire son chemin et la mission commune du Sénat sur la politique en faveur des jeunes propose de relancer le dispositif pour toucher 50 000 jeunes -nous revoici à la case départ.

Il est urgent que la jeunesse accède à de nouveaux droits qui répondent à ses aspirations. Les nouvelles générations vivent plus mal que celles qui les ont précédées : confrontées au chômage et à la précarité, elles ont plus de mal à se former, à se loger, à se soigner, à se déplacer, ainsi que le montrent les chiffres réunis par la mission commune d'information. Quand ils travaillent, ils sont très nombreux à faire partie des travailleurs pauvres, dont le salaire suffit à peine pour subsister.

Bien que les 8,2 millions des 16-25 ans forment l'avenir de la France et de l'Europe, l'État investit trop peu pour eux et quand les pouvoirs publics parlent d'eux, c'est pour évoquer la racaille ou la fouille des cartables : comment s'étonner que 51 % des Français aient une opinion négative de la jeunesse ? Il est urgent de changer le regard de la société sur les jeunes. Les pouvoirs publics ont le devoir de construire avec eux des réponses adaptées. Nous nous prononçons pour de nouveaux droits en matière d'éducation, de formation, de transports, de santé ou encore de culture car c'est à partir des aspirations et des difficultés des jeunes que nous réfléchissons à une relance du service national de solidarité.

Selon nous, ce nouveau service devrait être généralisé pour être équitable. Basé sur la citoyenneté, l'égalité des droits, la solidarité et l'attention à porter aux jeunes, il serait construit démocratiquement avec eux, pour être proposé à tous les 18-25 ans, y compris les résidants de nationalité étrangère, sur la base d'un projet élaboré avec chacun dans sa dernière année de scolarité ou dans les deux ans qui suivent l'obtention d'un diplôme universitaire. Il marquerait un engagement fort de l'État pour ceux qui ont l'âge d'entrer dans la vie active. Ouvert sur la société et le monde, ce service doit répondre au goût de l'engagement solidaire et de la paix dans les domaines de la défense, de la coopération, de la prévention, de l'éducation, de l'environnement, dans un cadre institutionnel ou associatif. D'une durée de six mois fractionnables, il serait valorisé dans les diplômes d'État et la validation des acquis de l'expérience, rémunéré à 50 % du Smic et assorti d'une couverture sociale, d'un suivi et d'une aide à l'insertion.

Cela a un coût. Le financement est fondamental, et il revient à l'État d'engager un effort inégalé. Ainsi renouvelé, il serait mis en oeuvre par un délégué interministériel sous la responsabilité du Premier ministre, chargé d'installer un Fonds national de soutien abondé par l'État, les collectivités locales et les associations agréées, ainsi que d'établir les coopérations nécessaires à l'accueil et au suivi des jeunes. Un comité de suivi regrouperait aux niveaux national et départemental les services de l'État, des élus, des syndicats, des conseils départementaux de la jeunesse, le Conseil national de la jeunesse, la Conférence permanente des coordinations associatives, l'Association des maires de France et celle des départements de France. Il s'agit en effet de veiller au respect des droits des jeunes gens, à leur sécurité ainsi qu'au caractère pluraliste et républicain des contenus qu'on leur transmet.

Ce service doit-il être obligatoire ou volontaire ? Cela fait débat. Nous considérons qu'après une phase d'expérimentation sur la base d'un volontariat fortement valorisé et encouragé, il pourrait devenir obligatoire mais différencié en fonction de chaque jeune. Cela pourrait se faire après un référendum qui donnerait lieu à un vaste débat national impliquant chaque citoyen et en particulier les jeunes. Nous ne concevons en effet l'obligation que de façon individualisée et adaptée à l'époque. Entrer dans la vie active représente aujourd'hui une course d'obstacles et le service national de solidarité ne doit pas en rajouter un. Il s'agit d'obliger l'institution à être utile aux jeunes et non l'inverse. La généralisation ne doit pas se faire au rabais ni sur les ruines de l'éducation nationale ou de la fonction publique. Le service national de solidarité n'est pas une période occupationnelle -il doit avoir un sens-, ni un sous-salariat affranchi du code du travail. Constitue-t-il la panacée contre le chômage ou les troubles sociaux ? Non, il n'est ni une brimade, ni le rétablissement du service miliaire : il doit être égalitaire pour ne pas reproduire les tensions qui traversent la société. Convaincre vaut mieux que contraindre. (Applaudissements à gauche)

M. René Vestri.  - La République accueille et protège les citoyens ; elle porte leur avenir mais elle a ses exigences, dont le service militaire représentait l'illustration la plus éclatante. Mais il a vécu et loin de toute nostalgie, il faut aller de l'avant et imaginer d'autres solutions pour renforcer le lien entre les Français et la Nation.

Le service civil volontaire constitue un excellent moyen de faire comprendre qu'un don de soi peut renforcer la cohésion sociale et être porteur d'avenir. L'État doit avoir un rôle incitatif ; c'est la raison pour laquelle je souhaite l'instauration d'un service civil volontaire de la citoyenneté obligatoirement proposé aux jeunes de 16 à 25 ans. Chaque mot a un sens : « service » traduit une volonté d'engagement au service du plus grand nombre ; « civil » parce que ce service s'adresse à tous ceux qui vivent sur notre territoire ou profitent de la générosité de la communauté nationale, y compris les jeunes étrangers ; « volontaire », car la générosité n'existe que si elle est voulue ; « citoyenneté », parce que chaque citoyen doit être l'ambassadeur des valeurs de la République auprès de ceux qui s'interrogent parfois sur leur bien-fondé ; « obligatoirement proposé », parce que l'État doit faire oeuvre d'incitation et de pédagogie.

Cela passe par une politique de communication active, un panel d'activités plus étendu et adapté par régions, un effort financier et des moyens matériels plus adaptés.

Les 475 structures agréées aujourd'hui accueillent 2 131 jeunes sous convention. Faute de crédits, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances n'a pu créer que 10 000 postes. C'est le paradoxe de cet appel au peuple lancé par des pouvoirs publics incapables d'accueillir plus de jeunes, faute de structures d'accueil et de lieux propices à leur formation.

Pourquoi ne pas créer dans chaque département un centre de coordination et de formation de tous les volontaires, pour une formation d'une durée équivalente à l'année scolaire et prise en charge par la collectivité ?

Enfin, toute peine mérite considération. Il faudrait peut-être octroyer un petit avantage à ces volontaires. Autrefois, les jeunes gens ayant satisfait aux obligations militaires bénéficiaient d'un accès privilégié aux emplois publics. Pourquoi ne pas instaurer un bonus de citoyenneté pour certains emplois, pas nécessairement au sein de l'administration ? On pourrait aussi envisager un taux particulier pour emprunter.

L'universalité d'une institution tient à son attrait pour ceux qui l'intègrent. A qui m'objecterait un aspect discriminant, je réponds que telle est ma conception de la « discrimination positive », légitime parce qu'elle renforce le socle républicain.

Il faudrait aussi fixer des objectifs ambitieux, car il ne suffit pas d'attirer quelques dizaines de milliers de jeunes vers ce nouveau creuset républicain : l'ambition doit au moins être analogue à la partie de la jeunesse qui passe chaque année son baccalauréat. En effet, le sentiment d'appartenance triomphe par le nombre. C'est ce que l'on a dénommé « la Nation », le jour où l'on s'est aperçu que des millions de gens habitant un territoire et parlant la même langue partageaient les mêmes valeurs. Pour améliorer les choses, il faut résolument changer d'échelle, sans transiger sur les moyens.

Dans le cadre de l'Europe, qu'est-ce qui empêcherait le département des Alpes-Maritimes de créer des structures franco-italiennes ou franco-allemandes pour mieux étudier les langues, mettre l'accent sur les métiers du tourisme et former des marins pour la plaisance ou les croisières ?

C'est une affaire de bon sens et de cohérence ; c'est une affaire d'intérêt national majeur à une période où la République a parfois donné le sentiment de vaciller sur ses principes fondateurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

J'adresse au Gouvernement cette supplique pour que son esprit de réforme s'incarne dans une politique permettant à la jeunesse de donner à l'intégration et au progrès toute l'ampleur qu'ils méritent.

Raymond Cartier a déclaré : « Quand on n'a pas les moyens de sa politique, il faut avoir la politique de ses moyens ». Nous devons nous donner les moyens de notre politique en faveur de la jeunesse française. Comment ? En redonnant à nos jeunes les codes de la société, car aider et former la jeunesse, ce n'est pas dépenser, c'est investir dans notre avenir ! Nous devons choisir l'audace et la volonté : l'enjeu pour la République et la Nation impose de ne pas se contenter du plus petit dénominateur commun. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Plancade.  - L'avenir des jeunes, le développement de leur sens civique et leur insertion sociale nous préoccupent tous. L'exemple de certains pays peut nous aider dans cette recherche d'une alternative utile, efficace et citoyenne au service militaire suspendu à la fin des années 90.

Aucun de nos voisins européens ayant supprimé la conscription obligatoire n'a institué de service civil obligatoire en remplacement. Le cas de l'Allemagne est particulier, puisque le service civil y est obligatoire pour ceux qui ne souhaitent pas effectuer le service militaire, toujours en vigueur.

Après la disparition du service militaire, certains pays essayent, comme la France, d'offrir à leurs jeunes des possibilités de service civil. Après avoir été envisagé en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie notamment, le service obligatoire a été repoussé au profit d'une version volontaire.

L'exemple italien est particulièrement instructif, puisque le service civil volontaire y est rapidement et significativement monté en puissance à la place du service militaire obligatoire. Instauré dès 2001 pour les femmes, puis étendu aux hommes à la suppression du service militaire, ce dispositif est couronné de succès. En 2004, quelque 30 000 jeunes filles étaient volontaires. Aujourd'hui, tous les jeunes Italiens de 18 à 28 ans peuvent effectuer un service civil de douze mois consacré à un projet collectivement utile au sein de structures agréées. Il peut s'agir d'une association, d'une collectivité territoriale, voire d'universités. Les projets doivent s'inscrire dans six grands secteurs : l'assistance à personnes, la protection civile, l'environnement, le patrimoine, l'éducation et les services à l'étranger. En 2006, 2 800 structures avaient proposé plus de 57 000 postes de volontaires et en avaient retenu 45 890 parmi les 112 457 jeunes candidats. En raison des disponibilités budgétaires, ce dispositif concerne donc 10 % d'une classe d'âge. Je précise ces chiffres, car je sais l'attention portée par le président de la commission des finances à tout facteur de déficit public.

Comment expliquer ce succès ? Comment s'en inspirer pour développer notre service civil volontaire, qui, ne rencontre toujours pas de franc succès ?

Le principe d'un service civil volontaire substitué au service militaire a été posé en France dès la suspension de ce dernier. Je me réjouis que l'on ait rapidement écarté toute nouvelle obligation, mais il a malheureusement fallu attendre la crise des banlieues pour que le service civil volontaire devienne plus lisible et plus accessible. Néanmoins, le succès n'est toujours pas au rendez-vous.

Nous avons le devoir d'améliorer ce dispositif au moment où la crise frappe sans pitié une jeunesse à la recherche de repères et en mal de citoyenneté. Les jeunes doivent bénéficier de l'extraordinaire expérience apportée par un service que l'on devrait appeler « civique », moment privilégié pour sensibiliser les jeunes à la Nation et à la citoyenneté.

La lourdeur des procédures, la complexité du financement et l'absence de toute visibilité auprès des jeunes et de leur entourage -même professionnel- paraissent empêcher tout développement.

Il faut rendre le service volontaire plus attractif, c'est-à-dire reconnaître et valoriser l'expérience qu'il apporte. C'est indispensable !

Il semble que les modalités pratiques actuelles expliquent cet échec. Monsieur le haut-commissaire, qu'envisagez-vous pour inciter notre jeunesse à s'engager au service de la société ? J'attends avec impatience vos propositions en faveur d'un service civil volontaire renouvelé, réhabilité et renforcé.

Nous n'entendrons guère aujourd'hui de désaccord de principe, car nous estimons tous bons que les jeunes de ce pays se réunissent pour rendre à la République ce qu'elle leur a offert.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Je sais que vos réponses seront positives...

M. Yvon Collin.  - ...et de qualité ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Pourquoi n'avançons-nous pas malgré la quasi-unanimité sur le sujet ?

Je me souviens qu'il y a quelques années, des milliards d'euros ont été trouvés pour un grand projet industriel. Pourquoi ne pas agir de façon analogue pour ce projet en faveur de notre jeunesse ?

Pour avoir participé à la mission Schwartz et à la fondation des missions locales, que j'ai présidées, je suis très attaché à l'insertion des jeunes ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Raymonde Le Texier.  - Treize ans après la fin de la conscription, qu'en est-il du service civil volontaire censé remplacer le service militaire comme pierre angulaire de l'engagement citoyen ? Pas grand-chose...

Après maintes réflexions, études et tribunes, après les louanges chantées par tous les gouvernements à la gloire de cette magnifique idée, on l'a oublié avant de s'en souvenir précipitamment lorsque les banlieues brûlaient. Alors que la loi sur l'égalité des chances a doté le service civil volontaire d'un statut officiel, nous n'atteignons pas 10 000 volontaires par an, loin des 50 000 personnes à brève échéance envisagées par le plan Villepin !

Du simple point de vue quantitatif, c'est un échec.

Les raisons en sont parfaitement identifiées tant par le rapport de Luc Ferry que par celui de la mission d'information sur la politique en faveur des jeunes que je préside.

Premier élément de réponse : le budget attribué au service civil volontaire est ridiculement sous-doté au regard des enjeux et des objectifs. Un jeune volontaire reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros, dont 90 % sont à la charge de l'État. Avec les cotisations sociales, il coûte donc 14 000 euros par an. A ce compte, le budget actuel ne permet même pas le recrutement de 10 000 volontaires, bien loin des 50 000 initialement souhaités. En 2008, il manquait dès le premier trimestre 7 millions à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) pour boucler son budget. Celle-ci était donc contrainte de demander aux structures d'accueil des volontaires de cesser le recrutement de volontaires associatifs.

S'agissant d'un projet au confluent de la formation, de l'orientation, de l'enrichissement personnel de la solidarité, du vivre ensemble et de la citoyenneté, le facteur déterminant ne doit pas être celui des moyens mais celui de l'ambition, de la volonté politique. Le Gouvernement a-t-il vraiment l'ambition de refonder le lien citoyen entre l'individu et la collectivité, d'organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d'âge, ce que certains nomment la mixité sociale ? S'il a cette ambition, la question des moyens ne doit plus se poser.

La seconde raison qui explique le faible développement du service civil volontaire, c'est le défaut de communication. Ne le connaissent que les jeunes qui font une démarche en ce sens ou qui ont demandé aux missions locales une aide à l'insertion professionnelle. Les recrutements s'effectuent grâce au bouche-à-oreille ou à la suite d'actions comme les cafés civiques temporaires organisés à Cergy-Pontoise par Unicité. La première urgence est donc de faire connaître le service civil volontaire, et c'est à l'État d'agir. On parle, avec le service civil volontaire, d'une politique nationale essentielle avec des objectifs quantitatifs devant se chiffrer en dizaine de milliers, voire en centaines de milliers, d'individus, mais qui est promue uniquement par le bouche-à-oreille et pour laquelle les caisses sont vides au premier trimestre de l'année !

En 2007, le rapport Kouchner, fait au nom des socialistes car M. Kouchner était alors socialiste, défendait la mise en place progressive d'un service civique -et pas seulement civil-, mixte et universel, qui serait obligatoirement proposé à tout jeune entre 18 et 20 ans, à l'occasion de la journée d'appel de préparation à la défense. Tout le sens du service civique est d'organiser la rencontre entre l'engagement personnel et le service solidaire à la collectivité. L'individu doit donc être libre de s'engager ou non, mais l'État doit être dans l'obligation de fournir les moyens de cet engagement. En plaçant l'obligation du côté de l'État et non plus du côté de l'individu comme c'était le cas avec le service militaire, on rompt également avec la tradition séculaire qui veut que l'engagement citoyen soit une chose subie.

Le rapport proposait également que ce service civique mixte et universel puisse être fractionné dans le temps et s'inscrire dans un parcours citoyen en trois temps commencé dès l'âge de 16 ans, et qu'il soit accessible à plus de structures. Il faudrait aussi un service civil volontaire européen afin que les jeunes Européens prennent l'habitude de se rencontrer, de partager projets et valeurs. Cette ambition va bien au-delà du petit cercle des 475 structures agréées pour le service civil volontaire au 1er juin 2008.

MM. Yvon Collin et Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

Mme Raymonde Le Texier.  - Cette proposition reste la nôtre : même quand les hommes changent, les bonnes idées qu'ils ont pu avoir à un moment perdurent.

Après une mise en place progressive sur cinq ans, notre but est d'aboutir à 500 000 volontaires par an. Utopie ? Il suffirait que les entreprises abandonnent leur obsession du diplôme et reconnaissent ce parcours personnel comme une plus-value, à l'instar de nombre de pays du nord de l'Europe. Cela a un coût : 2 milliards d'euros, voire plus en tenant compte des suggestions de Mme Assassi ou de M. Vestri ; c'est toujours moins cher que le service militaire ! Si vous vous inquiétez de savoir où trouver l'argent, je vous parlerai exonérations sur les heures supplémentaires, niches fiscales, bouclier fiscal, super-profits des grandes entreprises... (Sourires)

M. Yannick Bodin.  - On a l'embarras du choix !

Mme Raymonde Le Texier.  - En termes qualitatifs, le bilan du service civil volontaire, quoique meilleur, n'en est pas moins problématique.

Leurs témoignages montrent que ceux et celles qui effectuent ou ont effectué un service civil volontaire en ressortent plus mûrs, plus riches d'une expérience qui a transformé leur regard sur les autres et sur la société. Et leur action a amélioré le quotidien des plus fragiles. La société dans son ensemble y gagne.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

Mme Raymonde Le Texier.  - Pour autant, il ne faudrait pas que ces jeunes constituent une main-d'oeuvre bon marché ni un dérivatif aux mauvaises statistiques du chômage.

Bien que toutes les classes sociales soient représentées parmi les volontaires, elles ne sont pas mélangées. Les jeunes sont, en l'état, trop isolés dans des dispositifs séparés. Ceux issus de familles aisées s'engagent plutôt dans le volontariat international alors que les jeunes venant de milieux défavorisés sont orientés dans des structures locales. Des jeunes totalement différents ne peuvent ni échanger ni s'enrichir mutuellement du vécu de chacun. C'est l'échec de la mixité sociale, qui est pourtant l'un des principaux enjeux du service civil.

Enfin, je voudrais vous parler des jeunes volontaires effectuant un service civil au sein de l'association Unicité du Val-d'Oise. Je les reçois régulièrement et je suis toujours frappée de la passion qu'ils mettent à décrire leur action. Certains d'entre eux font partie de ces 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Avec le service civil volontaire, ils ont découvert des aptitudes à agir avec et pour d'autres, ce qui valorise leur image d'eux-mêmes. Beaucoup m'ont dit avoir ainsi des acquis que leurs camarades plus favorisés ne découvriront pas sur les bancs de la fac. Je pense à ce jeune « mort de trouille » à l'idée de devoir travailler auprès de SDF, qui concluait le récit de son expérience en disant qu'il avait découvert que ces gens-là avaient été, un jour, des gens comme nous et que, finalement, ils n'en étaient pas si éloignés.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.  - Bien sûr.

Mme Raymonde Le Texier.  - Les auditions auxquelles nous avons assisté dans le cadre de la mission d'information allaient dans le même sens, ce qui a amené la mission à proposer la prise en compte du service civil volontaire dans la validation des acquis de l'expérience. Il s'agit de passer d'une société qui vivait dans l'attente de la prochaine guerre à une société qui peut fonder son optimum citoyen sur autre chose que le sacrifice, d'une « citoyenneté de sacrifice » à une « citoyenneté de participation ». Cela ne nous fait pas oublier le lourd tribut payé par les générations précédentes : c'est parce que, de Monnet à Mitterrand, nous avons construit l'Europe, que ce changement est possible.

Si, depuis la fin de la conscription, nous sommes au terme d'un cycle dans lequel une part importante de notre jeunesse a du mal à trouver sa place citoyenne, c'est que nous, responsables politiques, nous tardons trop à franchir le pas vers ce nouveau modèle de société que le service civil volontaire symbolise. Ce débat relativement consensuel devrait nous permettre si les parlementaires sont encore un tout petit peu écoutés par ce Gouvernement...

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Je n'ai cessé de vous écouter !

M. Gérard Longuet. - Nous souhaitons être entendus...(Sourires)

Mme Raymonde Le Texier.  - ...de passer rapidement du décret Borloo à une loi cadre sur la jeunesse dans laquelle le service civil aurait toute sa place. (Applaudissements à gauche)

M. Antoine Lefèvre.  - Lors de la suppression du service militaire, l'idée du service civil volontaire avait été présentée comme une voie possible. Regroupant des dispositifs dispersés entre plusieurs ministères, avec des statuts divers et des ressources budgétaires non consolidées, le service civil volontaire français ne s'est peut-être pas suffisamment inspiré de celui de nos voisins, italien par exemple. Dans ce pays, il est vrai, son origine est liée au statut de l'objection de conscience du temps de la conscription, et on a toujours affecté les intéressés à des tâches d'intérêt général. Ces jeunes gens et jeunes filles engagés dans tous les domaines d'activités ne sont pas moins de 60 000 pour l'Italie et de 100 000 pour les États-Unis.

La France, hélas, n'a su mobiliser ni ses structures, ni ses jeunes dans la promotion de son service civil volontaire. Ce dispositif aux objectifs louables, que tout le monde réclame, n'a pas su trouver son public. C'est pourtant un investissement dans l'avenir de la jeunesse, un facteur de cohésion sociale et de transmission des valeurs républicaines. On n'a guère compté que 3 000 recrutements en 2008, et quasiment aucun cette année. L'effectif en poste est d'environ 2 200, dont à peine une trentaine en région Picardie -et trois pour mon département de l'Aisne. Nous ne pouvons donc que nous améliorer.

Les jeunes sont demandeurs. Ils sont nombreux qui s'investissent dans le bénévolat sportif ou humanitaire ou dans les mouvements de jeunesse tels que le scoutisme. Il faut réussir la promotion de ce grand projet, d'autant qu'en cette période de crise et de chômage, il importe, comme l'ont relevé le rapport de M. Ferry et le vôtre, monsieur le haut-commissaire, de renforcer le lien social et la transmission des valeurs de citoyenneté. Il nous faut donner un nouvel élan, pour permettre à notre jeunesse de vivre des expériences citoyennes en complément de l'apport de l'école.

Il serait dommage, pour des raisons financières, de se contenter d'une remise en ordre de l'existant. Certains ont évoqué un service civil obligatoire ; en 2005, une pétition lancée par un hebdomadaire a même recueilli 440 signatures de parlementaires... Cette piste n'est cependant pas celle qu'ont suivie nos partenaires de l'Union Européenne ; le volontariat semble le plus fédérateur, surtout auprès des jeunes. C'est à nous de trouver ensemble les modalités les plus appropriées à sa mise en place. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Yvon Collin applaudit aussi)

M. Christian Demuynck.  - Je m'exprimerai à la fois en mon nom et en tant que rapporteur de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes de 16 à 25 ans, qui a rendu ses conclusions fin mai. Le sujet du service civil y a été évoqué assez longuement.

La mission a fait un constat partagé : il existe chez les jeunes un désir d'aider, une aspiration à l'engagement. Ils ne veulent pas seulement travailler, consommer, profiter, ils veulent surtout s'engager, participer, s'impliquer.

M. Jean-Pierre Plancade.  - C'est bien de le rappeler.

M. Christian Demuynck.  - Alors que la moitié des Français a une image négative des jeunes et les trouvent individualistes, il faut savoir qu'ils s'engagent tout autant que les autres dans la vie associative et souhaitent souvent s'y investir davantage. Témoignages et visites nous en ont convaincus. Or ce désir d'engagement n'est satisfait par aucun mécanisme étatique, tandis que le manque de moyens et de notoriété des associations ne leur permet pas d'y répondre. Il existe bien un service civil volontaire, d'une durée de trois, six ou neuf mois, mais seulement 2 800 personnes en ont bénéficié et peu le connaissent. Là est la marque de son échec.

Nous nous sommes interrogés : faut-il revoir toute la législation ou s'appuyer sur l'existant ? A-t-on besoin d'une simple rénovation ou d'une véritable reconstruction du service civil volontaire ? Nous avons tranché en faveur du maintien du service dispositif en l'état, qui rassemble plusieurs dispositifs tels que le volontariat associatif, le volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité, le volontariat à l'aide technique ou encore le volontariat de solidarité internationale. Il assure une réelle mixité sociale, satisfait une jeunesse désireuse de servir des causes justes et lui permet d'acquérir formation et expériences utiles pour la vie professionnelle ; la société de son côté a tout à y gagner.

Sa montée en puissance est une nécessité : 2 800 volontaires, ce n'est pas digne du souhait exprimé par le législateur en 2006, ce n'est pas suffisant pour les ambitions que l'on peut avoir pour le successeur du service militaire. Nous avons fixé un objectif de 50 000 jeunes dès 2012, ce qui impose un investissement de près de 335 millions d'euros, somme proche de ce que dépense l'État italien pour son propre service civil -jeunes et associations en sont là-bas très satisfaits. L'un de ses atouts majeurs est de réunir des jeunes de tous les milieux sur des projets associatifs motivants.

Afin de parvenir à ce chiffre de 50 000 et d'assurer la mixité sociale, l'État, au-delà des moyens nécessaires, doit mettre en place une communication spécifique, par exemple à la télévision et sur internet. Le dispositif est aujourd'hui trop méconnu. Il importe également que les associations lancent des projets susceptibles d'accueillir plusieurs volontaires. Le pilotage de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances garantira que la mixité sociale soit assurée dans chacune d'entre elles.

La mission a également préconisé que le renforcement du service civil s'accompagne de l'intégration progressive en son sein des programmes alternatifs existants. Elle a souhaité, comme le préconise le Conseil national de la jeunesse dans son rapport d'activité de 2007, que le service civil soit valorisé au travers de la validation des acquis de l'expérience.

De nombreux jeunes veulent s'engager dans des actions internationales. Le volontariat international administratif permet en partie de répondre à cette demande, ainsi que le service volontaire européen ; ce dernier, qui pourrait utilement être développé en coordonnant les dispositifs existants dans les différents pays, favoriserait l'émergence d'une citoyenneté européenne. Au vu de l'abstention massive des jeunes aux élections européennes, il y a urgence ! Le renouvellement du Parlement européen sera sans doute l'occasion de lancer ce débat.

Notre jeunesse est une chance, il nous appartient de lui donner les moyens de son épanouissement. Chaque génération doit préparer l'avenir de la suivante. Le service civil peut contribuer à cet épanouissement, pourvu que nous le soutenions sans faillir. Il peut permettre aux jeunes en difficulté de trouver leur voie, et même un sens à une vie qui en manque parfois. Il est de notre responsabilité collective de redonner espoir à cette jeunesse qui s'interroge mais qui est pleine d'énergie, d'ambition et de rêves.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

M. Christian Demuynck.  - Nous avons besoin, chaque année, d'états généraux de la jeunesse, qui nous permettent de faire le point des mesures engagées et de travailler sur celles à mener. Avec pour objectif de construire une société où chaque jeune trouve sa place. (Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs du RDSE)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.  - Merci d'avoir organisé ce débat. Les interventions montrent que nous pouvons dépasser nos clivages et aller tous dans le même sens : répondre au besoin d'engagement des jeunes.

En me nommant, le Président de la République ne m'a dit qu'une chose : n'oubliez pas le service civil. Nous avons travaillé sur plusieurs scénarios, dont un service obligatoire de quelques mois d'un seul tenant ou de quelques jours ou semaines par an. Le dossier a été remis sur le chantier par la commission « jeunesse ». Je souhaite que nous aboutissions rapidement.

Le service civil volontaire, c'est un peu l'inverse du Cid : partis à 50 000, ils ne furent que 3 000 en arrivant au port... (Sourires) Il est quasiment exclusivement associatif, plus de la moitié des missions durent neuf mois ; certaines régions l'ont pratiqué, d'autres beaucoup moins ; il concerne des jeunes de 18 à 25 ans ; il est socialement discriminant, mais pas dans le sens évoqué par certains : malgré les efforts des associations, il est peu attractif pour les jeunes de milieu modeste. Le bilan quantitatif est insuffisant, le bilan qualitatif est peu acceptable ; mais le taux de satisfaction est inouï : 93 % ! Ils sont encore 90 % qui se disent prêts à le recommander à des amis.

Nous avions peu de crédits pour le faire vivre. Nous avons utilisé le Fonds d'expérimentation créé par le Sénat pour le maintenir et faire en sorte que les recrutements arrêtés depuis quelques mois puissent reprendre en 2009.

Il est préférable que le service civique soit volontaire plutôt qu'obligatoire. Il serait en effet difficile d'imposer une obligation supplémentaire aux jeunes alors que la société n'est pas capable de répondre à leurs aspirations. Une telle politique de la jeunesse enverrait un signal contre-productif. Je souhaite donc qu'il soit dans un premier temps volontaire, puis débordé par son succès, attendu, étendu et, finalement, systématique.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Il faut à terme envisager l'extension de l'engagement civique des jeunes, mais sous une forme un peu plus souple. Ainsi, nous pourrions reconnaître très tôt les compétences des jeunes, en utilisant d'autres marqueurs que les notes obtenues à l'école : les jeunes élèves pourraient dès lors s'engager au service des autres, par exemple en aidant les élèves à la traîne, en participant aux diverses manifestations collectives ou à la vie des associations et des clubs. Il faudrait que ces activités figurent sur leur carnet ou leur passeport civique. Ces engagements iraient bien au-delà de la simple éducation civique que nous dispensons aujourd'hui.

Il faut donc que cet engagement civique, qui durerait de six à douze mois, puisse s'adresser à tous les jeunes, qu'il soit souple dans son application et, surtout, indemnisé. Les jeunes l'ayant accompli pourraient venir en parler durant la journée d'appel à la défense afin que tous les jeunes connaissent son existence.

Récemment, des élus me disaient qu'ils aimeraient bien faire appel à des jeunes voulant effectuer un service civique, mais qu'ils ne savaient pas à qui s'adresser, qu'il n'existait même pas un site internet pour trouver des volontaires.

M. Yvon Collin.  - C'est une étape !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Et puis, il serait dommage que nous n'ayons pas de débat sur le service civique des seniors. J'entends beaucoup parler de tutorat et de transmission intergénérationnelle. Certes, les jeunes peuvent aider les plus âgés, mais l'inverse est également vrai et doit être mis en oeuvre, avec sérieux. (M. Jean-Jacques Mirassou se montre dubitatif)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous sommes bien d'accord !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Celles et ceux qui ont bénéficié des Trente glorieuses devraient pouvoir aider les jeunes à s'insérer.

Le service civique doit remplir plusieurs missions : tout d'abord, permettre de mobiliser les jeunes sur des questions ponctuelles et urgentes, par exemple lors de catastrophes ou de crises majeures. Dès le lendemain d'une tempête, on devrait voir des jeunes accomplissant leur service civique aux côtés des professionnels sur le terrain.

Ensuite, nous devrions demander aux jeunes eux-mêmes, qui souvent jugent notre société injuste, quelles sont les trois ou quatre causes majeures qu'ils souhaitent voir prises en compte par le service civique : les SDF, les centres d'hébergement, les personnes âgées, les handicapés, l'environnement ? Il est ainsi inconcevable qu'aujourd'hui seuls 185 jeunes en service civique soient mobilisés en faveur de l'environnement. Et il ne faut pas se borner au nettoyage des rivières, mais voir aussi ce qu'il est possible de faire en matière d'économie d'énergie, par exemple.

Le service civique volontaire, indemnisé et servant un certain nombre de causes devra être valorisé : ainsi, ce service serait reconnu par l'université, faciliterait l'insertion professionnelle et compterait pour la retraite. On répondrait ainsi aux aspirations des jeunes et à notre projet de société.

Certains d'entre vous ont dit que s'il y avait une réelle volonté politique, la question des moyens ne se posait pas. Soyons réalistes : c'est aussi une question d'argent ! Si toutes les causes sur lesquelles je travaille, et je pense en particulier à la pauvreté, l'autonomie des jeunes, à l'alternance ne dépendaient pas de moyens, nous aurions rapidement réglé ces questions. La volonté politique est donc nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Je vous assure que je me bats pour avoir les crédits nécessaires, mais c'est une bataille à l'arme blanche, quelle que soit la volonté politique qui l'anime ! Nous n'avons plus le droit de décevoir et c'est pour cette raison que je me refuse à faire des annonces qui ne seraient pas suivies d'une mise en oeuvre effective.

M. Yannick Bodin.  - C'est honnête !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Pour l'instant, il est préférable de dire que les crédits sont rares, mais que l'on progresse : une fois le dispositif saturé, nous disposerons de plus de moyens. Si plusieurs dizaines de milliers de jeunes pouvaient accomplir un service civique volontaire, ce serait un bon départ. Mais pour que ce service s'installe durablement dans le paysage national, il faut parvenir à 10 % d'une classe d'âge, ce qui ne se fera pas l'année prochaine.

Comme nous l'avons dit avec M. Demuynck il y a quinze jours, il faudra sans doute prévoir une montée en charge progressive du dispositif sur plusieurs années tout en évitant qu'il ne cannibalise d'autres programmes en faveur de la jeunesse. Nous devrons donc programmer l'effort que la Nation est prête à consacrer aux jeunes. Le service civique est sans doute une des pierres angulaires d'une nouvelle politique de la jeunesse. Il faut qu'il soit perçu comme une opportunité et non comme une obligation ou une sanction.

Alors que nous en sommes à un tournant démographique, notre société doit reconnaître qu'elle a besoin des jeunes pour assurer la cohésion sociale et qu'elle est prête à rétribuer leurs efforts, quels que soient leurs origines, leurs catégories sociales et leurs niveaux d'étude.

J'espère qu'ensemble nous nous retrouverons pour passer à l'acte, qu'il s'agisse de dispositions législatives nécessaires ou de la consécration des crédits pour donner corps à cette aspiration fondamentale. (Applaudissements à droite, au centre et sur divers bancs socialistes)

Le débat est clos.