Repos dominical (Proposition de loi - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires.

Je profite de l'occasion pour adresser mes meilleurs voeux de réussite à Mme Muguette Dini dans ses nouvelles fonctions de présidente de la commission des affaires sociales.

Discussion générale

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.  - Après m'être associé aux voeux adressés par le Président à Mme Dini, je veux rappeler combien cette proposition de loi, fruit d'un patient travail d'élaboration, a rassemblé parlementaires, partenaires sociaux et élus locaux autour d'une préoccupation commune : faire progresser notre droit sans faire régresser nos valeurs. (Mme Gisèle Printz en doute) Au terme d'un débat constructif à l'Assemblée nationale, nous sommes parvenus à un équilibre sur le texte présenté par le député Richard Mallié. Je veux saluer le travail exemplaire de votre rapporteur, Mme Debré, et sa parfaite collaboration avec M. Mallié ainsi que le dynamisme de votre commission sous la présidence de Mme Dini.

La discussion qui s'engage au Sénat est d'autant plus importante que le texte de l'Assemblée nationale accorde légitimement un rôle très important aux élus locaux, que vous représentez, les mieux à même d'identifier les besoins dans les 36 000 communes de notre pays.

Ce texte réaffirme, d'abord, un principe fondamental du vivre-ensemble auquel nous sommes tous attachés, celui du repos dominical. (On le conteste à gauche) Cette demande légitime des salariés est une conquête sociale...

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Xavier Darcos, ministre. - ...que ce texte ne remet nullement en cause, et réaffirme au contraire en son actuel article 2. (Même mouvement ; M. Dominique Braye applaudit)

M. Xavier Darcos, ministre.  - Il prend acte du fait que le principe du repos dominical a toujours été appliqué avec pragmatisme depuis 1906, pour répondre aux besoins ; souplesse qui a sans doute permis sa préservation. Pour autant, il ne s'agit pas de dicter le droit d'après le fait, mais de mieux encadrer les dérogations administratives prévues dans le code du travail en renforçant la cohérence du système et en conférant de nouveaux droits à 200 000 des 6,5 millions de salariés qui travaillent le dimanche. C'est le cas, notamment, des commerces d'alimentation qui fermeront leurs portes à 13 heures, au lieu de midi selon la réglementation.

M. André Dulait.  - Eh oui ! (Mme Annie David le conteste ; M. Alain Gournac s'agace)

M. Xavier Darcos, ministre.  - Le texte, conformément aux propositions du Conseil économique, social et environnemental, entérine cette évolution. C'est le cas, également, des zones d'intérêt touristique. Désormais, à partir du moment où la commune justifie d'une activité touristique régulière et à partir du moment où le maire le demande, le préfet pourra autoriser, sous le contrôle du juge, tous les commerces de cette commune à employer des salariés le dimanche. C'est le cas, enfin, des périmètres d'usage de consommation exceptionnel, les Puce, où les salariés qui travaillaient le dimanche sans contrepartie et dans un flou juridique total bénéficieront, en contrepartie, du paiement double du travail effectué le dimanche et d'un repos compensateur équivalent, à défaut d'accord collectif. Le texte répond ainsi aux attentes des consommateurs, des touristes, et des entreprises...

M. Jean-Pierre Caffet.  - Et du Gouvernement !

M. Xavier Darcos, ministre.  - ...tout en offrant des contreparties sérieuses et des garanties juridiques aux salariés concernés.

Certains ont insidieusement tenté d'introduire de la confusion (murmures à gauche) dans les débats en affectant de redouter la généralisation progressive de la disposition relative aux communes d'intérêt touristique.

M. Jacques Mahéas.  - Avons-nous le droit de nous exprimer ?

M. Xavier Darcos, ministre.  - Prétendre cela, c'est d'abord méconnaître les conditions de classement en commune ou zone touristique très strictes prévues par le code du travail, conditions que ce texte ne modifie en rien, mais clarifie en rebaptisant les communes touristiques en « communes d'intérêt touristique ».

Mme Annie David.  - C'est déjà dans le code du tourisme !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Ensuite, c'est ignorer les faits : seules 500 communes sur 36 000 sont concernées et, surtout, le rythme moyen de progression du nombre de communes touristiques est d'environ cinq par an depuis dix ans, preuve que les critères sont suffisamment clairs pour éviter toute généralisation. C'est, enfin, tenir pour quantité négligeable le pouvoir de décision absolument fondamental du maire.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Qui mieux que le maire sait s'il est de l'intérêt de sa commune d'ouvrir les commerces le dimanche ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Sauf le maire de Paris !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Qui est mieux placé que le maire pour évaluer l'opportunité de demander le classement ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Sauf le maire de Paris !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Il n'y a donc pas lieu de craindre une transformation de toutes les communes en communes touristiques. Si la mairie ne demande rien, rien ne changera. Et peut-on envisager sérieusement qu'un maire prenne des décisions néfastes pour sa commune et le commerce ? J'ai trop longtemps occupé ces fonctions pour ne pas être convaincu, comme vous, du contraire.

J'ai conscience des interrogations des élus parisiens puisque le préfet, et non le maire, y aurait la responsabilité de demander le classement. (M. Jean Desessard s'exclame) Mais n'est-ce pas le préfet qui y fixe chaque année, cinq fois par an, les dérogations au repos dominical ?

A Paris, la réglementation en matière de police administrative est de la responsabilité du représentant de l'État. La dérogation au repos dominical accordée cinq dimanches par an relève d'une mesure de police économique qui s'accompagne en général de mesures de police particulières liées à la période de l'année. Il est donc logique et pertinent que cette compétence soit exercée à Paris par le représentant de l'État.

J'ai toutefois demandé que l'avis du Conseil de Paris, et le cas échéant des conseils d'arrondissements concernés par la demande de classement d'une zone touristique, soit prévu dans le décret en Conseil d'État qui sera pris en application de la proposition de loi, afin de préciser les modalités de la consultation relative à l'établissement des listes des communes d'intérêt touristique et à la délimitation des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. Messieurs les sénateurs de Paris, il n'est donc pas nécessaire de le préciser dans la loi.

Enfin, j'entends dire que ce texte créerait des inégalités entre les salariés. (On le confirme à gauche) Tout au contraire, ce texte clarifie une situation aujourd'hui marquée par la confusion, voire l'injustice. Cette proposition apporte des nouvelles garanties et permet à tous les salariés qui travaillent le dimanche dans le cadre de dérogations administratives individuelles de bénéficier de contreparties négociées. Le fil directeur de ce texte est bien la négociation collective qui prend désormais toute sa place dans les dérogations au repos dominical.

La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a posé de nouvelles bases pour la négociation collective. C'est dans ce cadre et en prenant en compte l'audience électorale des syndicats et des représentants du personnel que nous allons négocier. Il y aura des négociations au niveau de la branche comme de l'entreprise pour tous les commerces bénéficiant de dérogations administratives au repos dominical, afin de parvenir à des accords relatifs aux contreparties accordées aux salariés.

S'agissant des contreparties au travail du dimanche, la proposition de loi distingue deux types de situations : il existe, d'une part, celles dans lesquelles le travail du dimanche constitue une dérogation de plein droit et découle des caractéristiques de l'activité même -comme, par exemple, les restaurants, les hôpitaux, les pompes à essence, le cinéma-, ou du territoire dans lequel se situe le commerce, ce qui est le cas dans les communes ou les zones touristiques et thermales au sens du code du travail.

Dans cette première situation, le travail dominical constitue une caractéristique intrinsèque des emplois concernés : pour ces salariés, le travail du dimanche est une composante normale, anticipée et certaine au moment de l'embauche. Il revient alors aux dispositions conventionnelles de fixer les conditions particulières d'exécution du contrat de travail assujetti à une activité dominicale.

Mais il existe aussi une autre situation pour laquelle une autorisation administrative temporaire et individuelle conditionne l'emploi de salariés le dimanche. Dans ce cas, ce travail revêt un caractère personnel et spécifique. Il est donc normal que les salariés concernés bénéficient de contreparties, au regard de cette situation particulière, tout en préservant la liberté de négociation des partenaires sociaux s'ils se saisissent de la question. Dans ce cas, la loi offrira des garanties qui, aujourd'hui, n'existent pas. C'est le cas également en matière de volontariat lorsque le travail dominical résulte d'une dérogation administrative individuelle.

Les opposants à ce texte craignent des pressions sur le salarié afin qu'il renonce à son droit au repos dominical, notamment dans les Puce. Le volontariat n'était mentionné nulle part dans le code du travail en matière de travail du dimanche, alors qu'il sera désormais inscrit noir sur blanc dans cette proposition de loi. Enfin, le salarié pourra revenir sur son choix au terme d'une période donnée. (Exclamations sur les bancs CRC)

Ce texte conforte le principe de notre droit...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Pas du droit des salariés !

M. Xavier Darcos, ministre.  - ...le principe du repos dominical et adapte les dérogations à ce principe en tenant compte de la diversité de notre territoire, des spécificités locales et des attentes de la grande majorité des Français. (Mme Borvo Cohen-Seat le conteste) Il appartiendra aux maires et aux présidents des communautés de communes de se saisir, s'ils le souhaitent, de la faculté qui leur est donnée.

Comme l'a prévu l'amendement Méhaignerie, un comité de parlementaires de l'opposition et de la majorité évaluera d'ici un an la bonne application de ce texte, en veillant tout particulièrement au respect du principe du repos dominical.

Votre commission des affaires sociales a jugé satisfaisant l'équilibre qui a été trouvé après de nombreux mois de discussions. Le Gouvernement se félicite de cet avis et souhaite que la discussion enrichisse encore le débat sans remettre en cause les équilibres auxquels nous sommes parvenus. (Applaudissements à droite)

Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - (Applaudissements à droite) Cette proposition de loi est le fruit d'une longue réflexion et de débats animés parfaitement légitimes. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Le repos dominical est un principe affirmé en droit français depuis 1906 et, de toute évidence, dans notre culture, le dimanche n'est pas un jour comme les autres. (On le confirme à gauche) Il est, par tradition, un jour consacré, en priorité, à la vie familiale et aux activités associatives, culturelles sportives ou cultuelles.

Le principe du repos dominical a cependant toujours été assorti de nombreuses dérogations. A l'heure actuelle, près de 7,5 millions de nos concitoyens travaillent régulièrement ou occasionnellement le dimanche. Certains dans nos services publics, d'autres dans les entreprises relevant de l'un des 180 cas de dérogations énumérés par le code du travail, d'autres encore dans un établissement titulaire d'une autorisation préfectorale.

Certaines dérogations au repos dominical sont propres au commerce de détail, qui est le seul secteur d'activité visé par ce texte. Ils peuvent cependant ouvrir sur autorisation du maire cinq dimanches par an, et les commerces alimentaires peuvent, quant à eux, ouvrir tous les dimanches jusqu'à midi.

Les règles relatives au repos dominical, qui protègent les salariés, n'empêchent nullement un commerçant d'ouvrir tous les dimanches s'il le souhaite, à condition de ne pas employer de salarié ce jour-là. Il peut en revanche se faire aider de membres de sa famille.

Certains redoutent que l'adoption de ce texte n'aboutisse à une généralisation du travail dominical. L'auteur de la proposition de loi a entendu ces craintes et a fait évoluer son texte de façon substantielle en réaffirmant le principe du repos dominical tout en l'assortissant de trois dérogations d'ampleur limitée qui poursuivent deux buts principaux : permettre à la France de mieux répondre aux besoins particuliers de la clientèle touristique et adapter notre réglementation aux changements des habitudes de consommation des habitants des grandes agglomérations.

Concernant le premier volet du texte, la réglementation applicable aujourd'hui dans les communes et les zones touristiques est d'application complexe et aboutit parfois à des situations paradoxales. Sur une même avenue, un commerce peut être autorisé à ouvrir, tandis que son voisin est obligé de fermer. La solution proposée par le texte a le mérite de la simplicité : les commerces de détail situés dans les communes et les zones touristiques pourraient ouvrir, de plein droit, tous les dimanches. Ainsi, les touristes qui ne passeraient qu'un week-end dans notre pays pourraient consommer plus facilement et ces recettes supplémentaires soutiendraient la croissance et l'emploi dans les territoires concernés. Si la France est la première destination touristique mondiale par le nombre des visiteurs accueillis, elle n'arrive qu'en troisième position, derrière les États-Unis et l'Espagne, pour les recettes produites par l'activité touristique. Sans même augmenter le nombre de visiteurs, nous pouvons donc développer le chiffre d'affaires et les emplois liés au secteur touristique.

L'Assemblée nationale s'est interrogée sur le nombre de communes concernées par ces nouvelles règles. Le groupe socialiste a affirmé qu'elles s'appliqueraient dans les 6 000 communes classées touristiques au sens du code du tourisme. En réalité, dans la mesure où la réforme porte sur le code du travail, c'est seulement dans les communes classées touristiques au sens de ce code qu'elle s'appliquera : on en dénombre près de 500, auxquelles s'ajoutent une vingtaine de zones touristiques.

A l'avenir, de nouvelles communes pourront demander à être classées communes touristiques (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) mais, comme la demande émanera du maire, nos élus locaux utiliseront sans aucun doute cette faculté à bon escient. (On en doute à gauche) Pour toutes ces raisons, le risque de généralisation du travail dominical, qui est parfois allégué, ne me parait pas avéré.

M. Yves Dauge.  - Et la messe ? (Sourires)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Pour mieux protéger les salariés, le texte prévoit que, dans toutes les branches du commerce où des contreparties ne sont pas déjà prévues, des négociations devront être engagées entre les partenaires sociaux. Il est certain qu'ils trouveront les compensations les plus adaptées et qu'ils éviteront que ne se développent des situations inéquitables.

Le deuxième volet de la réforme concerne les périmètres d'usage de consommation exceptionnel, les Puce, qui seront délimités dans les agglomérations de plus d'un million d'habitants, sur demande du conseil municipal, là où existe un usage de consommation dominicale. La création des Puce inquiète certains petits commerçants qui craignent d'être pénalisés par l'ouverture dominicale des grandes enseignes situées en périphérie des villes.

M. Jean-Pierre Caffet.  - Eh oui !

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Le texte prévoit cependant deux garde-fous : les grandes surfaces alimentaires ne sont pas concernées par la nouvelle réglementation. Les petites épiceries de centre-ville ne sont donc pas menacées. Ensuite, la création d'un Puce ne sera possible que si un usage de consommation dominicale est constaté : à Plan-de-campagne, dans les Bouches-du-Rhône, ou à Éragny, dans le Val-d'Oise, les magasins ouvrent le dimanche depuis des décennies. La clarification juridique de leur situation ne changera donc rien à la concurrence qu'ils font subir au petit commerce.

Une vingtaine de Puce pourraient être constitués, mais aucun dans la région lyonnaise, dans la mesure où il n'y a pas dans cette ville d'usage de consommation dominicale. Dans l'agglomération lilloise, la création de Puce pourrait, en revanche, aider les commerces à faire face, le dimanche, à la concurrence des magasins belges.

La création des Puce répond aux nouvelles habitudes de consommation des habitants des grandes agglomérations. Comme les zones commerciales y sont situées en périphérie, les clients n'ont pas toujours le temps de s'y rendre en semaine et les magasins sont saturés le samedi, ce qui n'est attrayant ni pour les clients, ni pour les salariés, dont les conditions de travail sont fortement dégradées.

L'ouverture dominicale permet d'étaler les achats dans le temps et facilite la vie de chacun. Les salariés travaillant le dimanche dans les Puce devront être volontaires et bénéficieront de contreparties, définies en priorité par voie d'accord collectif. L'Assemblée nationale a utilement précisé la possibilité de réversibilité, car si le travail dominical convient à un étudiant qui recherche un emploi à temps partiel, il est contraignant pour un jeune couple avec des enfants en bas âge.

Le texte comprend une mesure plus ponctuelle, qui autorise les commerces de détail alimentaire à ouvrir jusqu'à 13 heures au lieu de midi. Cet ajustement me semble conforme à l'évolution des modes de vie des Français. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ironise)

La commission a estimé que le texte élaboré par l'Assemblée nationale était équilibré et l'a adopté sans modification, à l'issue d'un débat de qualité, où chacun a exprimé ses convictions. Un comité de suivi sera composé de six parlementaires, issus pour moitié de la majorité et pour moitié de l'opposition ; dans un an, il dressera un premier bilan dont nous devrons éventuellement tirer les conséquences par des corrections.

On ne se trompe jamais à donner plus de liberté à nos concitoyens, (exclamations à gauche) à condition que la loi fixe un cadre précis qui évite les dérives et les abus. (Applaudissements à droite)

M. Dominique Braye.  - Bravo !

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Ce texte a été mûrement réfléchi et je vous propose donc de l'adopter afin de répondre aux attentes de beaucoup de consommateurs et de certains salariés ; et afin de soutenir le secteur du commerce malmené par la crise. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - La commission demandera la disjonction de l'amendement n°9 de suppression partielle de l'article 2, qui place en discussion commune 85 amendements ; et la disjonction de l'examen des amendements n°s25 et 99, qui placent en discussion commune 53 amendements. Le débat sera plus compréhensible si nous examinons de petites séries...

M. Xavier Darcos, ministre.  - J'y suis favorable.

M. le président.  - En application de l'article 49-2 de notre nouveau Règlement, je vais demander au Sénat de se prononcer.

La disjonction est ordonnée.

M. Nicolas About.  - Que de précautions dans l'intitulé de cette proposition ! On peut le comprendre, quand on songe combien passionné a été le débat jusqu'à aujourd'hui. Mais elles ne se justifient plus, tant la grogne de certains apparaît en décalage par rapport à la nature technique, bien peu révolutionnaire, de ce texte. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe socialiste s'exclament)

Dépassionnons le débat, regardons en face ce qui nous est proposé : ni panacée, ni poison ! Il s'agit d'assouplir l'octroi des dérogations dans les zones touristiques et thermales et d'autoriser les dérogations dans les unités urbaines de plus d'un million d'habitants. Il faut soutenir la croissance et l'emploi dans le secteur du tourisme, où incontestablement des gains sont possibles...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous verrons...

M. Nicolas About.  - Quant aux Puce, ils visent à régulariser des anomalies...

M. Dominique Braye.  - Tout à fait !

MM. Jean-Pierre Michel et David Assouline.  - Des infractions !

M. Nicolas About.  - J'y reviendrai. La disposition visant les commerces alimentaires, qui pourront rester ouverts jusqu'à 13 heures au lieu de midi, prend simplement en compte la façon dont vivent les Français.

Le texte réaffirme le repos dominical, mais cela n'est pas indispensable car chacun a bien conscience du droit positif. Il tend à simplifier, régulariser, aplanir certaines situations. Des questions se posent. Le champ d'application évoluera-t-il ? C'est l'argument, invoqué par certains, de la pente glissante, de la brèche, de l'exception devenant principe. Cette peur est irrationnelle.

M. Jean-Pierre Michel.  - Il y a des précédents !

M. Nicolas About.  - Non ! Les Puce concernent un nombre de secteurs bien identifié ; et le Gouvernement nous a donné de sérieux gages d'une application restreinte de l'article L 31.32.25, non pas à toutes les communes touristiques visées dans le code du tourisme mais à celles qualifiées, dans le code du travail, de « communes d'intérêt touristique ». La différence est de taille, l'effet de contagion improbable.

Autre interrogation, celle de la compensation du travail dominical. Le code du travail ne pose aucun principe et, dans le vide des dispositions législatives, la compensation est aujourd'hui très disparate, fonction de la dérogation de l'employeur et des accords collectifs. Le texte améliore le régime des compensations sans le chambouler. Après la lecture par l'Assemblée nationale, la compensation est meilleure qu'elle ne l'est actuellement pour les cinq dimanches autorisés par an. Dans les Puce, la compensation s'exprimera par un salaire doublé et un repos compensateur. L'Assemblée nationale a posé le principe d'une compensation minimale et transversale ; les partenaires sociaux seront obligés de négocier partout où il y aura des dérogations.

Les avancées sont réelles. Reste un enjeu pour le Gouvernement : l'administration se donnera-t-elle les moyens d'une bonne application du texte ? Le Gouvernement s'engage-t-il à agir contre les contrevenants ? Si l'on régularise ce qui est aujourd'hui toléré, nous ne saurions laisser se reconstituer de nouvelles poches d'illégalité ! (« C'est ce qui se passera ! » sur les bancs socialistes) Cette régularisation doit être la dernière. Elle implique des contrôles de l'inspection du travail... le dimanche. (On ironise à gauche)

Sous réserve des assurances que nous donnera le ministre sur la bonne application des règles et parce que cette proposition atteint un point d'équilibre entre l'ordre et la liberté, la majorité des membres de l'Union centriste est prête à soutenir ce texte. (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs centristes)

Mme Raymonde Le Texier.  - Parfois, l'impact d'une loi sur le quotidien est si fort qu'il change des aspects fondamentaux de la vie. En voici un exemple frappant. Adopté à l'Assemblée nationale à une courte majorité, ce texte n'est hélas pas un simple toilettage technique. En France, le travail dominical est déjà une réalité. Toutes dérogations confondues, 7,5 millions de Français sont touchés, près d'un salarié sur trois. En Europe, nous sommes au troisième rang pour le travail le week-end, au premier rang pour le travail le samedi. Nous sommes loin des idées reçues !

Par ces temps de crise, le Gouvernement avance un argument qui résonne dans les esprits : l'extension du travail le dimanche produirait de la croissance et des emplois.

En changeant les conditions de l'offre, la systématisation du travail le dimanche devrait, dit-on, orienter vers la consommation l'épargne jusqu'ici bloquée et produire ainsi de la richesse et des emplois. Ce raisonnement est séduisant mais il ne tient pas.

Pour que l'ouverture des magasins le dimanche entraîne un accroissement de la consommation il faudrait d'abord qu'il y ait actuellement des goulets d'étranglement qui réduiraient notre capacité à consommer. Ce n'est pas le cas : les conditions de l'offre sont excellentes et trois Français sur quatre considèrent que le temps d'ouverture des magasins est suffisant.

Ensuite, le Crédoc a fait apparaître que l'ouverture le dimanche ne produit pas d'activité économique supplémentaire mais uniquement un transfert d'activité. Au lieu de consommer en semaine, on consommera le dimanche.

Enfin, on ne peut consommer davantage sans avoir plus d'argent disponible. Quand on a un reste à vivre hebdomadaire de 50 euros, qu'on le dépense en semaine ou le dimanche, on n'a toujours que 50 euros pour boucler la semaine. De plus, en période de crise, l'épargne se contracte, non pour consommer mais pour tenir en cas de coup dur. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait HEC pour comprendre qu'en pleine crise, alors que le chômage explose, les Français ne vont pas casser leur épargne pour aller s'acheter une nouvelle télévision parce que Darty sera ouvert le dimanche. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

On nous fait miroiter une création d'emplois dans les centres commerciaux ; ils seront moins nombreux que les emplois détruits dans le petit commerce. Il y a quelques mois, une soixantaine de députés de la majorité écrivaient que, pour un emploi créé dans la grande distribution, trois emplois sont détruits dans le commerce de détail. Une étude évaluait à 200 000 le nombre d'emplois détruits en cas de généralisation de l'ouverture des magasins le dimanche !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Celle loi ne généralise pas le travail dominical !

Mme Raymonde Le Texier.  - Ce chiffre sans appel de 200 000 emplois détruits, il provient d'une étude commandée en 2006 par le ministre du commerce d'alors, Renaud Dutreil.

Puisqu'il n'y a aucun bénéfice à attendre de l'extension de l'ouverture le dimanche, comment expliquer que ce Gouvernement ne cesse d'y pousser ? Serait-ce parce qu'il s'agit d'une promesse de campagne du candidat Sarkozy et que le Président refuse de lâcher prise, envers tout et contre tout bon sens ? Serait-ce pour légaliser des pratiques illégales et pérennes dans le seul but de satisfaire des intérêts particuliers ? S'agit-il purement et simplement d'une loi d'amnistie pour les commerces qui ouvrent le dimanche depuis des années, au mépris de l'interdiction ? Sans doute, un peu de tout cela.

Ce texte va aggraver la situation des salariés. Pour nombre d'entre eux, le travail dominical va devenir obligatoire, sans contrepartie. L'ouverture dominicale deviendra de droit. A preuve l'arrêt de la Cour de cassation de juin dernier déboutant un salarié travaillant le dimanche qui demandait une compensation, avec cet argument que, son travail dominical étant « habituel », il ne devait pas donner lieu à compensation. Ne pas dire cela clairement au salarié qui compte sur le travail dominical pour boucler un budget impossible, c'est une malhonnêteté sans nom.

Certes, dans les grands complexes commerciaux à la périphérie de Paris, Marseille et Lille, les salariés seront en droit de refuser de travailler le dimanche. Mais, dans les faits, qui peut croire qu'ils auront le choix, connaissant les rapports de subordination qui régissent le monde du salariat ? Qui peut croire que ces travailleurs prendront le risque d'aller rejoindre les millions de chômeurs en refusant de travailler le dimanche ?

Le Gouvernement présente ce texte comme uniquement technique car il sait bien que si ce texte apparaissait pour ce qu'il est, il n'aurait aucune chance de passer. Ce n'est pas un hasard si nous en examinons la quatrième version présentée au Parlement en un an. Ce n'est pas un hasard s'il est débattu fin juillet : vous savez pertinemment que, si les Français n'étaient pas à la plage, ils seraient dans la rue ! C'est à raison que nombre de nos collègues de la majorité osent rejeter ce texte publiquement, et que plus nombreux encore sont ceux qui le condamnent en coulisse. Vous manipulez un bâton de dynamite dont la mèche est allumée...

Avec ces nouvelles dérogations au repos dominical, le travail le dimanche sera banalisé. Vous voulez transformer le dimanche en un jour comme les autres pour changer de modèle de société. Les Français sont contre ce recul, ils n'en veulent pas, de votre société de la consommation totale et du travail non stop. Des pans entiers de notre façon de vivre reposent sur ce temps disponible que nous offre le dimanche. Depuis la loi de 1906, le dimanche est au coeur du pacte social national. Le dimanche, c'est ce que les Français ont en commun. Ce n'est pas non plus un hasard si 85 % des Français estiment aujourd'hui que le dimanche est un jour fondamental pour la vie de famille, sportive, culturelle ou spirituelle et doit, à ce titre, rester un jour de repos pour le plus grand nombre. Pour 85 % des Français, de droite ou de gauche, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, croyants ou athées, vivant en couple ou célibataire, le dimanche, c'est la famille, les amis, les loisirs, les activités culturelles, l'engagement associatif, l'épanouissement personnel, le lien social, la transmission entre les générations. Priver les Français de ce moment commun, c'est organiser le délitement de notre société dans son ensemble et de la cellule familiale en particulier. Aucun de nous, aucun de vous, ne peut laisser faire cela.

A Versailles, le Président Sarkozy a tenu à s'inscrire dans l'héritage du programme du Conseil national de la Résistance. Alors que celui-ci défendait le droit au repos, vous faites disparaître le repos commun des travailleurs. Alors que le Conseil national de la Résistance prônait « un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine », vous nous dites que les Français doivent travailler le dimanche pour compenser leur trop faible salaire. AIors que le Conseil national de la Résistance demandait « la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauche et de licenciement », ce texte précarise des salariés qui ne pourront refuser de travailler le dimanche.

Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, déclarait voici quelque temps au magazine Challenge : « La liste des réformes du Gouvernement peut donner une impression de patchwork, personne n'arrive à voir la logique. Mais, à y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ».

A force de casser le droit du travail, ce sont les fondements de notre société que l'on détruit. (Applaudissements à gauche)

M. Dominique Braye.  - Tout en nuances !

Mme Raymonde Le Texier.  - Le repos du dimanche, comme moment commun de tous les Français, est le plus visible de ces fondements. Améliorer les conditions de vie de nos concitoyens est au centre de notre engagement politique. Précariser toujours plus les travailleurs ne peut être notre projet de société.

M. Dominique Braye.  - C'est les travailleurs qui le demandent !

Mme Raymonde Le Texier.  - La loi doit défendre l'intérêt général. Ce texte en est l'antithèse parfaite. Les socialistes s'y opposeront de toutes leurs forces. (Applaudissements à gauche)

M. Dominique Braye.  - C'est bon signe ! On comprend pourquoi vous allez aussi mal ; continuez ainsi, vous travaillez pour nous !

Mme Isabelle Pasquet.  - Je le sais, qui ne le saurait pas après une telle campagne de promotion : le seul et unique objectif du Gouvernement, en faisant passer ce texte en plein été, avec la procédure accélérée, c'est de réaffirmer le principe du repos dominical ! C'est le titre même du texte déposé par M. Mallié. De son deuxième texte puisque le premier avait paru tellement abouti que même au sein de l'UMP, il s'en était trouvé, et pas des moindres, pour bouder le texte. Si nous nous sommes réjouis que cette première mouture soit retoquée, nous n'avions pas d'illusions sur l'acharnement du Gouvernement à réaffirmer le principe du repos dominical -pour mieux le contourner.

Il s'agit là d'un enjeu sociétal, un enjeu de classes, un enjeu pour le modèle social de notre pays et son droit du travail, dont M. Sarkozy vante les mérites modérateurs sur les effets de la crise mais qu'il nous demande de démanteler au nom du libéralisme débridé, de la liberté du renard dans le poulailler, alors que la crise dans laquelle nous a entraînés l'incroyable cécité dont vous avez fait preuve vis-à-vis de la financiarisation de l'économie se traduit par des dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires tous les mois ; alors que la consommation des ménages a fortement chuté par la conjonction d'une bulle spéculative de l'immobilier et de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée ; alors que les perspectives offertes à notre jeunesse, au sortir du baccalauréat ou même de filières universitaires, se ferment au point que les « stages rémunérés » promus par M. Frédéric Lefebvre deviennent la norme, contrairement à la loi qui stipulait que les stages ne devaient être utilisés que pour les besoins de la formation des jeunes, non pour en faire de faux salariés payés moins que le Smic.

Il faut donc réserver les stages aux cursus pédagogiques et les interdire en dehors de ce cadre. En effet, dans les autres situations, il pourra être recouru à la formation professionnelle ou à un contrat de travail.

L'urgence serait donc au travail du dimanche pour rendre du charme à nos villes, de l'attractivité à nos zones commerciales, du droit dans les zones de non-droit, de la compétitivité à nos entreprises et de l'appétit aux consommateurs -à défaut de pouvoir d'achat. Première destination touristique du monde, la France serait-elle acculée à user des mêmes expédients que Bahreïn, Cancun ou Las Vegas ? Son patrimoine architectural, culturel, historique et géographique, son patrimoine industriel, oenologique et gastronomique sont pourtant les premières raisons invoquées par les touristes qui séjournent dans notre pays -ils peuvent aussi en profiter, et d'autres jours que le dimanche, pour fréquenter les artères commerçantes. Et il existe déjà des dispositions autorisant l'ouverture dominicale pour les touristes en transit.

Je m'interroge d'ailleurs sur un des arguments employés par le Président de la République pour illustrer ce qu'il appelle l'anachronisme de la fermeture dominicale des commerces dans un pays moderne. Il a dû prendre lui-même son téléphone pour faire ouvrir les magasins afin de permettre à Mme Obama et sa fille de faire des emplettes pendant leur visite à Paris. Si on peut s'interroger sur la pertinence de notre arsenal législatif dans ce domaine comme dans d'autres, il est inconcevable que le chef de l'État, en charge plus que tout autre du respect de nos institutions, s'autorise à demander à des personnes privées d'enfreindre la loi... Il faut relever en outre que cette ouverture des commerces par la grâce présidentielle résulte d'abord d'impératifs de sécurité. On n'imagine pas les Obama faisant leurs courses pendant les soldes, sauf à fermer les commerces le temps nécessaire... Argument irrecevable, donc.

Pour conserver l'illusion que le repos dominical reste la règle et le travail ce jour exceptionnel, on nous dit que seules 500 zones environ seront concernées et que l'hypothèse d'une généralisation ultérieure n'est qu'une interprétation farfelue, une invention bassement politicienne. Mais on sait que les zones désignées comme touristiques capteront de la clientèle : les communes voisines, sous la pression des acteurs économiques, souhaiteront à leur tour bénéficier du dispositif. Et on verra s'étendre ces zones au nom de la concurrence ; une fois encore les salariés en feront les frais.

J'en viens aux périmètres d'usage et de consommation exceptionnelle, les Puce. On nous propose une nouvelle usine à gaz, sans autre raison que l'intérêt bien compris de quelques-uns. Lyon, agglomération de 2 millions d'habitants, paraît concernée à double titre, pour le tourisme et les Puce ; mais la ville est exclue du dispositif parce qu'on n'y constate pas d'usage de consommation le dimanche...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Bizarre !

Mme Isabelle Pasquet.  - Nous ne critiquerons pas les élus qui ont choisi de ne pas être demandeurs ; mais il est parmi eux des partisans de la loi, pourvu qu'elle s'applique aux autres. Voilà qui démontre que l'égalité des citoyens, que l'égalité des salariés d'une même branche professionnelle ou d'une même enseigne n'est pas respectée.

Je ne peux pas parler des Puce sans évoquer l'affaire de Plan-de-Campagne, puisque c'est de là que tout est parti. Je ne reviendrai pas sur ce qui en a fait une des plus grandes zones commerciales d'Europe, ni sur les 43 ans de dérogations, d'ouvertures illégales, de conflits et de procédures. Mais je veux rappeler que les partenaires sociaux se sont réunis le 24 janvier 2007, sous l'égide du préfet de région, pour trouver un accord de méthode, qualifié à l'époque de positif, permettant un retour progressif au droit commun -accord qui faisait suite à un conflit déclenché par le jugement du tribunal administratif de Marseille dénonçant l'arrêté préfectoral autorisant l'ouverture dominicale de certaines enseignes. Cet accord envisageait la modernisation de la zone, sa sécurisation et l'amélioration de son accessibilité ; il prévoyait aussi la négociation de contreparties de sorte que ni l'activité et ni l'emploi ne soient pénalisés.

Seule la communauté du pays d'Aix s'y est déclarée favorable. Les partenaires sociaux ayant constaté le défaut d'engagement de l'État et des collectivités locales sur un programme précis garantissant la pérennité de la zone de Plan-de-Campagne aux plans social et économique ont mis fin à l'accord de méthode du 24 janvier 2007, et convenu le 19 juillet 2007 d'un retour au droit commun au plus tard le 30 juin 2008. Rien n'a bougé depuis, sinon la proposition de loi Mallié, qui enterre tout espoir de trouver un consensus sur place entre tous les acteurs concernés. Précision : il ne reste que 700 salariés à régulariser sur 7 000, dont 100 étudiants suite à l'amendement de Mme Debré. Le problème de la majorité est ailleurs.

M. Mallié a mené une campagne acharnée contre les organisations syndicales qui voulaient faire respecter la loi, ce qui lui a d'ailleurs valu de perdre son canton au bénéfice d'un élu communiste ; il nous demande en réalité de légiférer pour légaliser une zone de non-droit, où l'État a complètement démissionné. De grandes enseignes se sont installées sans déposer de permis de construire, d'autres ont déclaré des entrepôts vite transformés sans autorisation en surfaces de vente. (M. Jean Desessard approuve) Pour ce qui est de la sécurité, aucun plan d'évacuation ni de secours ne peut être mis en oeuvre un jour de grande affluence -il faut 1 h 30 pour traverser la zone et aucun hélicoptère ne peut y atterrir...

A l'heure où même la majorité semble découvrir que le développement durable impose autre chose que des slogans, encourager le développement de telles zones -même les États-Unis en reviennent- c'est aller à l'encontre des réponses collectives que nous devrions apporter aux menaces qui pèsent sur la planète. Avec le développement de l'activité commerciale, viennent la logistique, des heures d'embouteillages, des hectares de parkings, des tonnes d'emballages, des travailleurs sous-payés : que de gaspillages et de contresens ! (Applaudissements à gauche) Et ce au nom de nouvelles habitudes de consommation qui changent très vite -et pour en finir avec la conquête sociale du repos hebdomadaire, que le patronat n'avait pas encore réussi à contourner.

Après la Commission européenne et sa semaine de travail de 48 heures, après le Gouvernement qui estime raisonnable de retarder l'âge de départ à la retraite jusqu'à 67 ans, nous devrions accepter la mise à mort du repos hebdomadaire. Pour nous, ce sera « non » et nous continuerons à ferrailler contre ce texte, jusqu'au Conseil constitutionnel s'il le faut. (Applaudissements à gauche)

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

M. François Fortassin.  - C'est la loi Sarrien du 13 juillet 1906 qui a définitivement instauré le repos hebdomadaire du dimanche.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. François Fortassin.  - C'était une loi progressiste, qui a permis au gouvernement de l'époque d'apaiser les tensions sociales mais aussi religieuses, un an après la séparation de l'Église et de l'État. Ce fut une loi républicaine, humaniste et laïque. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Et c'est tout cela que le présent texte foule aux pieds ! (Applaudissements à gauche) Comme d'autres lois fondatrices, elle est toujours en vigueur, même si de très nombreuses dérogations ont été acceptées au fil du temps. Et voilà que le Président de la République et son Gouvernement veulent passer en force au coeur de l'été, alors que les Français ont sans doute d'autres préoccupations que le travail législatif. Mais ne vous inquiétez pas, nous sommes là pour les réveiller à l'heure de la sieste !

C'est un des piliers de notre vivre-ensemble qui se trouve remis en cause. Le dimanche, jour de repos, c'est le jour que chacun peut consacrer aux activités de son choix, familiales, sportives, associatives, culturelles ou religieuses.

M. Dominique Braye.  - Sauf les achats !

M. François Fortassin.  - La majorité des travailleurs du commerce ont des salaires modestes (marques d'approbation à gauche), mais ils ont l'avantage sur d'autres salariés de pouvoir se consacrer à une vie familiale harmonieuse.

M. Dominique Braye.  - C'est faux ! Demandez aux caissières !

M. François Fortassin.  - Vous êtes libre de votre analyse, cher collègue.

M. Dominique Braye.  - C'est la leur ! N'avez-vous jamais entendu parler du temps partiel imposé ?

M. François Fortassin.  - Faire croire qu'en supprimant le repos du dimanche on dopera le commerce, c'est se moquer du monde. On n'augmentera pas le pouvoir d'achat des Français par un coup de baguette magique ! (Mmes Annie Jarraud-Vergnolle et Patricia Schillinger le confirment)

Ironie du sort, vous défendiez il y a quelques semaines, monsieur le ministre, la fermeture des écoles le samedi sous prétexte de donner aux enfants un jour de repos supplémentaire... (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David.  - Avec leur famille !

M. François Fortassin.  - Vous avez changé de casquette, mais vous n'étiez pas obligé de changer de conviction ! (Même mouvement ; M. Jean Desessard s'esclaffe)

Cette proposition de loi est extrêmement confuse et crée des disparités entre les territoires et les salariés. Elle risque de rallumer des guerres inutiles. Croyez-vous donc que les employés du commerce aient le choix de leurs horaires ?

Voix à gauche.  - Non !

M. François Fortassin.  - Je vous invite à aller travailler dans les grandes surfaces, comme je l'ai fait l'été dernier : vous pourrez constater que la liberté des salariés est beaucoup moins grande qu'on ne le dit !

M. Dominique Braye.  - Vous venez de dire qu'ils avaient du temps pour leur vie familiale !

M. le président.  - Poursuivez, monsieur Fortassin. 

M. François Fortassin.  - Je ne me laisserai pas impressionner par la voix tonitruante de M. Braye, monsieur le président ! La société doit-elle être seulement fondée sur la valeur travail et l'activité marchande ?

M. Jean Desessard.  - Non !

M. François Fortassin.  - L'économie, aujourd'hui, est-elle vraiment au service de l'homme ?

Plusieurs sénateurs socialistes  - Non !

M. François Fortassin.  - Ce texte démontre le contraire. La société doit reposer sur des valeurs partagées. Si la France est aujourd'hui dans le monde un modèle de démocratie, c'est parce que nos prédécesseurs ne se sont pas laissés guider par des nécessités techniques, mais par des valeurs fondamentales, dont le repos hebdomadaire fait partie !

En outre l'extension du travail le dimanche portera atteinte au petit commerce : c'est la grande distribution qui en retirera tout le profit.

M. Jacques Mahéas.  - Bien sûr !

M. François Fortassin.  - Du point de vue de l'aménagement du territoire, cette loi créera le plus grand désordre à cause des disparités entre territoires.

Parler d'ajustement technique est une duperie. (MM. Roland Courteau et Jacky Le Menn le confirment) Bien entendu, si l'on demande à un consommateur qui a besoin d'une baguette à deux heures de l'après-midi s'il accepte que son boulanger soit ouvert jusqu'à trois heures, il répondra oui. Mais ce n'est pas ainsi que l'on crée une société harmonieuse !

En une dizaine d'années, d'immenses fortunes se sont constituées dans la grande distribution, alors qu'il faut trois ou quatre générations dans l'industrie pour parvenir au même résultat. Et l'on va encore accentuer ce phénomène !

Ce texte est profondément nocif. C'est pourquoi les sénateurs radicaux et la plus grande partie du groupe RDSE le rejetteront. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du groupe RDSE)

M. Bruno Retailleau.  - Il y a des débats qui dépassent les clivages traditionnels, parce que l'on n'y prend pas position en fonction d'une logique partisane mais par conviction personnelle. Celui-ci en fait partie. Ce texte, intitulé par une habileté sémantique « proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical », créera beaucoup plus de problèmes qu'il n'en résoudra.

Tout d'abord, il instaure des différences de traitement contraires à toute logique entre les territoires -l'Alsace-Moselle et le reste du pays, Lyon et les trois autres grandes métropoles, les communes touristiques au sens du code du tourisme et au sens du code du travail...- mais aussi entre les salariés : ceux qui travaillent dans les périmètres d'usage de consommation exceptionnel (Puce) seront payés le double et bénéficieront d'un jour de repos compensatoire supplémentaire, contrairement à ceux qui travaillent dans les communes touristiques. On écorne ainsi le principe selon lequel à travail égal, le salaire doit être égal, et l'on verse ainsi dans une sorte de relativisme juridique. (M. Roland Courteau le confirme)

Sous couvert de régularisation, on risque de banaliser le travail du dimanche, notamment dans les communes touristiques. Les verrous qui le limitaient jusqu'à présent à certaines saisons et à certaines communes sautent. Les Puce, même limités à trois grandes agglomérations, regroupent près d'un quart de la population.

En outre il existe un risque de contagion : des services périphériques devront fonctionner pour pourvoir à l'absence des salariés du foyer, et pour subvenir aux besoins des magasins ouverts.

Les bénéfices économiques de l'opération sont incertains : aucune étude ne montre que l'extension du travail du dimanche créera de la croissance ou de l'emploi.

M. Jean-Pierre Caffet.  - C'est vrai !

M. Bruno Retailleau.  - En termes d'aménagement du territoire, il y a un grave risque d'aspiration vers les zones de chalandise au détriment de l'arrière-pays. (M. Roland Courteau le confirme) Surtout, quel bénéfice en retirerons-nous au plan de la cohésion sociale ? Quel prix sommes-nous prêts à payer pour régulariser des situations particulières ?

Nous sommes nombreux à partager le même diagnostic sur la crise économique, qui résulte d'une logique financière poussée à l'excès. Sans doute le marché est-il un modèle économique, mais il ne peut être un modèle de société. Ce n'est pas au marché de réguler les activités humaines, c'est aux hommes de réguler le marché. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et RDSE) Ne prenons pas le risque d'abîmer le lien social pour un profit aléatoire.

Ce débat se ramène à une question : dans quelle cité voulons-nous vivre ? Dans un État marchand, une communauté de producteurs et de consommateurs, ou bien dans une communauté politique de citoyens, regroupés autour d'un projet collectif ? (Même mouvement ; Mme Anne-Marie Payet applaudit également)

M. Jean Desessard.  - Parfois l'action du Sénat va dans le bon sens : je me félicite que nous ayons élu pour la première fois une femme à la présidence d'une commission. (On applaudit Mme la présidente de la commission à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite) D'autres fois elle va dans le mauvais sens. Il est inadmissible que nous examinions la plupart des textes de loi dans l'urgence. (Mme Annie David renchérit)

M. Nicolas About.  - C'est dans la logique de la réforme !

M. Jean Desessard.  - Cette fois, il s'agit de satisfaire les demandes de la grande distribution...

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Mais non !

M. Jean Desessard.  - ...celle-là même qui étrangle le commerce de proximité et les petits producteurs que le Gouvernement prétend défendre. Et c'est un beau cadeau qu'on lui fait !

En outre, la commission n'a déposé aucun amendement. (On s'en émeut à gauche) A quoi servons-nous ?

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Nous avons travaillé en amont avec l'Assemblée nationale.

M. Jean Desessard.  - L'opposition est de toute façon impuissante. Rassurez-vous, son tour viendra... (M. Jean-Pierre Michel s'amuse et applaudit)

M. Dominique Braye.  - Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir !

M. Jean Desessard.  - Mais la majorité elle-même accepte de se bâillonner alors qu'elle est divisée sur ce sujet. Le Sénat montre aujourd'hui qu'il ne sert à rien ! La majorité est aux ordres (Mme le rapporteur le conteste) et veut faire adopter ce texte le plus vite possible, sans débat. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Cela fait deux ans que nous y travaillons ! (M. Nicolas About le confirme)

M. Jean Desessard.  - Le Gouvernement a choisi de passer par la voie d'une proposition de loi parlementaire, ce qui offre de nombreux avantages : il n'a pas à consulter les partenaires sociaux, ni à saisir le Conseil d'État ou le Conseil économique, social et environnemental.

M. Dominique Braye.  - Il n'est pas interdit aux parlementaires d'avoir des idées !

M. Jean Desessard.  - Ce texte été inscrit à l'ordre du jour au mois de juillet, pendant que les Français sont en vacances. Quand ils découvriront à la rentrée la banalisation du travail du dimanche, il sera trop tard.

Richard Mallié est député des Bouches-du-Rhône, département où se trouve le pôle commercial de Plan-de-Campagne, dont les commerces sont depuis longtemps ouverts le dimanche, en toute illégalité ! (Huées à gauche) Cette proposition de loi est destinée à régler une situation particulière, favorisant des intérêts privés ?

M. Jean-Pierre Michel.  - Tout mandat impératif est nul !

M. Jean Desessard.  - Les patrons prendront ce qu'on leur donne, et recommenceront ! (On ironise sur la lutte des classes à droite ; applaudissements à gauche)

L'ouverture dominicale représenterait un jour de croissance en plus, dites-vous ; les consommateurs et les salariés l'attendraient pour consommer plus et gagner plus... Faut-il rappeler que nous sommes en pleine crise ? Comment nos concitoyens feront-ils pour dépenser le dimanche, quand l'argent manque le reste de la semaine ? (Applaudissements à gauche)

L'ouverture dominicale ne favorisera pas la consommation car il n'existe pas de réserves de consommation. Au mieux, les achats seront reportés. L'expérience européenne montre également que le chiffre d'affaires des commerces ouverts le dimanche n'augmente pas. Sans effet sur la croissance, cette disposition n'entraînera pas de création d'emplois.

La banalisation du travail dominical entraînera la diminution des échanges familiaux, l'abandon des activités sportives et associatives et la baisse des activités culturelles. Comment pouvez-vous accepter un tel changement de civilisation, où tout est axé sur la production et la consommation ? Que faites-vous des valeurs ? J'espère bien que vous voterez nos amendements !

M. Dominique Braye.  - Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir...

M. Jean Desessard.  - Les salariés les plus précaires seront volontaires pour travailler le dimanche : ils sacrifieront leur vie de famille parce qu'ils n'auront pas d'autre choix financier.

N'en déplaise au Gouvernement, les Français ne sont pourtant pas des feignants : avec 7 % de salariés travaillant habituellement le dimanche, la France se situe dans la moyenne européenne.

Venons-en à « l'embrouille » autour des dénominations des villes touristiques. Vous différenciez communes d'intérêt touristique ou thermales et zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente, l'une relevant du code du tourisme, l'autre du code du travail. Je vous croyais pourtant attachés à la simplification du droit ! Il y aurait donc des communes touristiques sans affluence touristique. (Sourires à gauche)

Selon le Conseil national du tourisme, entre cinq et six mille communes pourraient recevoir l'appellation « commune touristique » : les salariés travailleront le dimanche sans contrepartie financière, sans repos compensateur et sans volontariat !

Enfin, l'instauration des Puce dans les unités urbaines de plus d'un million d'habitants est clairement destinée à valider les pratiques illégales de Plan-de-Campagne et d'autres. Cette proposition de loi est une loi d'amnistie ! (M. Jean-Jacques Mirassou le confirme) Les « patrons voyous », que le Président de la République ne cesse pourtant de dénoncer, sont récompensés, voire choyés : l'ouverture le dimanche ne leur coûtera pas plus cher que les autres jours ! (Applaudissements à gauche)

Avec ce texte, le travail dominical devient la norme. Quel modèle voulons-nous pour la France ? Au moment où la crise s'installe, on ne peut penser que la dérégulation dynamisera l'emploi, pas plus que le bouclier fiscal ! Voyez les courbes du chômage... (On invoque la crise à droite) C'est la réduction et le partage du temps de travail qui peuvent être créateurs d'emplois ! Là, on va recourir à des travailleurs précaires. Pour remédier à la saturation des magasins le samedi, il suffirait de donner un jour de congé supplémentaire ! (Sourires à gauche ; exclamations à droite)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - La liberté est inscrite sur le fronton de nos mairies.

M. Jean Desessard.  - La crise devrait être l'occasion d'analyser nos modes de surconsommation. Il y mieux à faire le dimanche que des achats !

Mme Raymonde Le Texier.  - Très bien.

M. Nicolas About.  - C'est gentil de penser aux autres !

M. Jean Desessard.  - La possibilité de consommer sans cesse n'est pas une liberté supplémentaire, mais un assujettissement aux biens de consommation. Nous ne sommes pas obligés d'accompagner l'individualisation de la société, le désir toujours inassouvi de consommer...

M. Roland Courteau.  - Vous avez raison !

M. Jean Desessard.  - Et quid de l'impact de l'ouverture dominicale sur l'environnement ? Certains consomment déjà beaucoup trop pour ce que peut supporter notre planète !

Ce texte est un non-sens économique, social et écologique. J'espère que la majorité luttera contre une réforme qui bafoue des valeurs fondamentales. (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Maurey.  - Cette proposition de loi est dotée d'un titre bien long pour une réforme finalement a minima. Face à la polémique et à l'hostilité soulevées par son texte, son auteur a revu par trois fois sa copie ! J'avais moi-même déposé des amendements au projet de loi Tourisme visant à modifier le régime de l'ouverture dominicale des magasins situés en zone touristique, M. Pozzo di Borgo s'intéressant pour sa part aux zones de plus d'un million d'habitants. Seul M. Dominati m'avait apporté son soutien, ce dont je le remercie. N'en déplaise au Gouvernement, j'estime que ces dispositions avaient toute leur place dans un texte sur le tourisme -au moins autant que la baisse de la TVA dans la restauration !

Je suis stupéfait que notre commission de l'économie n'ait pas jugé nécessaire de se saisir de cette proposition de loi, contrairement à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale -au motif que le texte n'aurait pas de dimension économique ! (Exclamations à gauche) Si c'est le cas, que faisons-nous ici ? Ce texte a bien une dimension économique : c'est pourquoi je le soutiens. J'adhère pleinement aux propos tenus par le Président de la République le 23 octobre 2008 : « La possibilité de travailler sur la base du volontariat le dimanche, c'est un jour de croissance et de travail en plus. C'est une occasion en plus de vendre ses produits, sur la base du volontariat et par les salariés qui veulent travailler le dimanche, une occasion d'être payés davantage. Cela sera bon pour le pouvoir d'achat ».

M. Dominique Braye.  - Très bien.

M. Hervé Maurey.  - Après la loi de programmation militaire et le projet de loi Tourisme, le Gouvernement nous demande -encore !- un vote conforme. Dans ces conditions, à quoi sert le Sénat ? Réjouissons-nous encore que l'on ne nous soumette pas une réforme déjà rentrée en application... Je regrette ces méthodes, d'autant que l'apport du Sénat a toujours été positif.

Mme Isabelle Debré.  - Nous avons travaillé en amont !

M. Hervé Maurey.  - Sur le fond, il est temps de démystifier l'impact de ce texte. Il ne met pas en cause le repos dominical, créé par la loi de 1906. Au contraire, il le réaffirme. Mais chacun sait que ce principe souffre déjà plus de 180 dérogations. Chacun sait que tous les gouvernements, de droite comme de gauche, et y compris Mme Aubry quand elle était ministre du travail, en ont institué. Chacun sait qu'un tiers des Français travaillent déjà le dimanche, de manière régulière ou occasionnelle. Arrêtons donc de jouer à se faire peur. Arrêtons de poussez les hauts cris sur un texte qui ne fait que proposer de porter la fermeture des magasins de détail à 13 heures au lieu de midi...

M. Alain Gournac.  - Quelle horreur !

M. Hervé Maurey.  - ...de permettre aux commerces de détail situés dans les communes et les zones touristiques d'ouvrir de plein droit les dimanches, d'autoriser la création de périmètres d'usage de consommation exceptionnels dans les grandes agglomérations.

On ne peut pas être le pays du monde qui reçoit le plus de touristes en même temps que le seul où les magasins n'ouvrent pas le dimanche. (Exclamations sur les bancs socialistes)

M. Hervé Maurey.  - J'ai eu l'occasion de souligner le caractère absurde de ce régime. Je ne reviendrai pas sur la distinction byzantine entre lunettes de vue et lunettes de soleil, entre vêtements de création et vêtements de prêt-à-porter : tout le monde connaît ces exemples fameux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous achetez souvent des lunettes de vue le dimanche ?

M. Hervé Maurey.  - Et je ferai observer à mes collègues de l'opposition que Paris n'attire pas seulement les visiteurs pour ses monuments, mais aussi pour ses magasins. Leur offrir un tourisme de qualité, c'est leur permettre de faire des courses le dimanche. (Applaudissements sur de nombreux bancs UMP) Il ne faut pas se voiler la face. L'ouverture le dimanche, notamment à Paris, aura un impact très positif sur l'emploi et le commerce extérieur.

Autoriser l'ouverture du dimanche dans les périmètres d'usage de consommation exceptionnel, dans les grandes agglomérations, permettra de sécuriser des situations qui existent depuis de nombreuses années, l'autoriser dans les zones frontalières évitera de voir les consommateurs aller faire leurs courses de l'autre côté de la frontière, où la législation est moins conservatrice. Je suis de ceux qui pensent, n'en déplaise à la commission dont je fais partie, que ce texte a un impact économique en termes d'emploi et de pouvoir d'achat.

Et puis, effectuer certains achats le dimanche n'est pas antinomique avec la vie de famille : il existe des achats importants pour la vie de famille. (Rires et exclamations à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Vous voulez parler des achats que ne peuvent pas faire les salariés qui travaillent le dimanche ?

M. Roland Courteau.  - C'est travailler le dimanche qui est incompatible avec la vie de famille !

M. Hervé Maurey.  - Dans la vie moderne, en milieu urbain, quand on travaille et que l'on a deux enfants, on est souvent occupé le samedi par leurs activités périscolaires : il ne reste que le dimanche pour faire ses achats. (Nouvelles exclamations à gauche)

Mme Annie David.  - Que restera-t-il à ceux qui travaillent le dimanche ?

M. Roland Courteau.  - La semaine des quatre jeudis !

M. Hervé Maurey.  - Le texte est entouré de garanties : le salarié devra être volontaire. (Nouvelles exclamations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous croyez au Père Noël !

M. Hervé Maurey.  - Ce principe a été réaffirmé à l'Assemblée nationale. La réponse devra être formulée par écrit et un refus ne pourra pas entraîner une radiation des listes pour les demandeurs d'emploi.

Le salarié bénéficiera de contreparties salariales. L'Assemblée nationale, à la demande du Nouveau Centre, a fait inscrire l'obligation d'une négociation collective. C'est un point très positif.

On ne peut que regretter que le principe du doublement de salaire ne s'applique qu'aux Puce et ne soit pas généralisé, au risque d'entraîner des inégalités entre travailleurs du dimanche. C'est pourquoi je me suis permis, bien que sachant que les amendements ne sont pas bienvenus, d'en déposer un, modeste, à l'article 4, pour demander que le rapport du comité d'évaluation examine les différences dans la compensation et propose des mesures d'harmonisation.

Ce texte n'est certainement pas parfait. (Exclamations à gauche) Mais il ne ressemble en rien à la caricature qu'en présentent nos amis de l'opposition. Il ne fait rien d'autre que modifier un régime dérogatoire existant sur la base du volontariat. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs) C'est un texte de bon sens. Il est nécessaire de s'adapter aux réalités, aux évolutions de la société en confortant tout à la fois l'attractivité économique de notre pays, mais il est vrai que c'est une notion qui échappe à certains. (Exclamations à gauche, applaudissements à droite)

M. Alain Gournac.  - (Exclamations à gauche) Cette proposition de loi est le fruit de plusieurs années de travail et de réflexion. (Exclamations à gauche, où l'on manifeste son doute par gestes)

M. Alain Gournac.  - La réflexion n'a pas commencé hier. C'est faux. Moi aussi, je peux faire ça, (M. Alain Gournac esquisse des moulinets) mais ça ne nous fait pas avancer !

Le texte a suscité de vifs débats à l'Assemblée nationale et au sein de notre commission. Sur un sujet aussi passionnel, évitons la caricature !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Un connaisseur nous conseille !

M. Alain Gournac.  - A en croire certains, ce texte porte atteinte aux droits des salariés (« Oui », « oui », « oui » entend-on scander sur les bancs socialistes) et banalise le travail le dimanche. Au contraire, l'article 2 réaffirme le principe du repos dominical, dans l'intérêt des salariés. (Vives exclamations à gauche) Il ne s'agit pas d'étendre le travail du dimanche à l'ensemble du territoire. II ne s'agit pas de révolutionner le droit existant. Il s'agit simplement d'apporter des réponses ciblées à des questions spécifiques.

Trois cas sont visés : l'ouverture du commerce le dimanche dans les communes et zones touristiques ; l'ouverture dans des « périmètres d'usage de consommation exceptionnel », les Puce ; le droit, enfin, pour les commerces alimentaires, de fermer à 13 heures au lieu de midi le dimanche : pas de quoi crier au scandale !

Dans ces trois cas, le droit ne répond pas aux réalités du commerce. Inutile de s'étendre sur la prolongation de l'ouverture des commerces alimentaires jusqu'à 13 heures, pratique déjà entrée dans les faits.

M. Alain Gournac.  - Eh oui, sortez donc de temps en temps le dimanche !

Dans les communes touristiques, un commerce ne peut aujourd'hui ouvrir que s'il met à disposition du public des biens et services destinés à « faciliter son accueil ou ses activités de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel ». Est-il normal qu'un magasin situé dans une commune touristique puisse ouvrir le dimanche s'il vend des lunettes de soleil, alors qu'une boutique voisine qui vend des lunettes de vue ne le peut pas ? (Exclamations à gauche) Qu'un vendeur de chaussures de sport puisse ouvrir mais pas un vendeur de chaussures de ville ? (Nouvelles exclamations)

M. Jacques Mahéas.  - Encore cette scie !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Vous connaissez beaucoup de touristes qui achètent des lunettes de vue le dimanche ?

M. Alain Gournac.  - Parfaitement ! Les Italiens ! (Éclats de rire à gauche)

De nombreux contentieux sont nés de ces incohérences. Il est évident que la réglementation en vigueur est imparfaite et d'application complexe. La situation paraît injuste aux commerçants et invraisemblable aux touristes.

Alors que la France est la première destination touristique mondiale, elle n'est que troisième pour le montant des recettes issues du tourisme. II y a beaucoup de touristes qui passent un week-end à Paris, pourquoi ne pas leur donner la possibilité de consommer le dimanche ? Et de consommer des produits français. (On ironise à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Des lunettes de vue ?

M. Alain Gournac.  - Vous avez raison, mieux vaut qu'ils partent acheter en Angleterre !

Et je ne parle pas des zones frontalières, où il suffit de faire quelques kilomètres pour faire ses courses le dimanche alors que nos commerces sont obligés de rester fermés, contre toute logique.

Pour les Puce, les Français souhaitent faire leurs achats le week-end, surtout quand ils concernent certains secteurs, comme par exemple l'équipement de la maison ou la décoration.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ceux qui travaillent le dimanche ne le peuvent pas.

M. Alain Gournac.  - Les Français, dans un pays de plus en plus urbain, passent beaucoup de temps dans les transports. Ce n'est pas le soir en rentrant du travail qu'ils peuvent faire leurs achats, mais bien le week-end, pourvu que les magasins soient ouverts. Pour le moment, ils sont obligés de faire leurs achats...

Mme Annie David.  - Ceux qui peuvent encore faire les achats dont vous parlez...

M. Alain Gournac.  - ...le samedi, lorsque les magasins sont bondés, ou sur internet.

M. Nicolas About.  - Quelle vie, quel enfer !

M. Alain Gournac.  - Là est le vrai danger pour les commerces de proximité. Le Conseil économique et social a mis l'accent à plusieurs reprises sur les nouveaux rythmes de vie et les nouveaux comportements de consommation. II a précisé que de nombreux salariés sont prêts à travailler le dimanche. C'est d'ailleurs déjà le cas pour de nombreux Français. Les chiffres de l'Insee montrent que 3,4 millions de Français travaillent habituellement le dimanche, 4 millions occasionnellement.

Dans les hôpitaux, les commissariats, les services de secours...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Les services publics, en somme.

M. Alain Gournac.  - Et les restaurants ? Et les transports ? Et je ne parle pas des magasins qui sont attaqués en justice aujourd'hui : si on ne légalisait pas l'ouverture le dimanche pour ces commerces souvent ouverts de longue date, ils se verraient contraints de supprimer des emplois. (Exclamations à gauche)

Nombreux sont les salariés intéressés pour travailler le dimanche, parce que cela leur permet d'être mieux payés. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs)

Le texte prévoit des contreparties aux salariés des Puce : à défaut d'accord collectif, ils percevront au moins le double de leur salaire. Pour ceux des communes et zones touristiques, un amendement adopté par l'Assemblée nationale impose le lancement de négociations dans toutes les branches où des contreparties ne sont pas déjà prévues.

Notre pays traverse l'une des plus graves crises économiques de son histoire ; je le rappelle à un orateur précédent qui feint de l'oublier !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Mais non ! Pour le chômage, vous êtes des champions !

M. Alain Gournac.  - Le travail dominical est une solution pour créer de l'emploi. (Vives protestations à gauche)

M. Jean-Pierre Caffet.  - Au contraire, il en détruit !

M. Alain Gournac.  - Pourquoi interdire aux salariés de travailler le dimanche s'ils sont volontaires ? Chacun doit être libre de travailler le dimanche ou non selon son mode de vie.

M. Jean-Pierre Michel.  - Mais bien sûr !

M. Alain Gournac.  - Il n'a jamais été question de généraliser le travail dominical. Je suis autant attaché que vous, chers collègues...

Voix à gauche.  - ...à la messe !

M. Alain Gournac.  - ...au repos dominical. Notre groupe est attaché à l'idée du dimanche partagé en famille, pourquoi pas dans un magasin de meubles ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat se gausse) Le dimanche est un jour différent, nous ne souhaitons pas en modifier le visage (exclamations et sarcasmes à gauche), mais nous refusons que le respect des traditions fasse le lit de l'archaïsme, qu'une vision conservatrice du repos dominical nous empêche d'adapter notre droit à la réalité. Reconnaître des dérogations au principe du repos dominical n'est pas scandaleux, il en existe déjà 180 introduites par des gouvernements de tous les bords !

Je reviens sur les nombreuses garanties entourant le travail dominical. Concernant les communes et zones touristiques, la décision sera prise par les maires, avec l'accord du préfet.

Mme Annie David.  - Insuffisant !

M. Alain Gournac.  - Contrairement à ce que certains ont tenté de faire croire à l'Assemblée nationale, seules 500 communes sont concernées. De fait, le classement des communes touristiques selon le code du travail et celui qui est opéré selon le code du tourisme sont deux procédures distinctes et il n'a jamais été question d'appliquer le code du tourisme. Pour éviter toute confusion, les députés ont qualifié de communes d'intérêt touristique, celles qui relèvent du code du travail. Ensuite, le texte apporte également plusieurs garanties relatives à la procédure : initiative du conseil municipal, consultation du conseil de communauté et fixation du périmètre de la zone par le préfet. Les élus sont les plus légitimes pour évaluer les besoins et, moi, je leur fais confiance ! Il prévoit également des contreparties aux salariés : à défaut d'accord collectif, la décision unilatérale de l'employeur sera soumise à référendum et le salarié bénéficiera au moins d'un doublement de salaire et d'un repos compensateur. A cela s'ajoutent les garanties introduites par les députés : une entreprise ne pourra refuser d'embaucher une personne qui ne souhaite pas travailler le dimanche...

Mme Annie David.  - Impossible à appliquer !

M. Alain Gournac.  - ...et le droit du salarié de revenir sur son choix est reconnu. Tout le mécanisme institué par la proposition de loi repose sur le volontariat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Bla bla bla !

M. Alain Gournac.  - Le texte, amélioré par les députés, présente toutes les garanties possibles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Bla bla bla !

M. Alain Gournac.  - Aussi le groupe UMP suivra-t-il l'avis de notre rapporteur qui n'a pas souhaité le modifier. Il votera ce texte équilibré entre le respect du repos dominical et la reconnaissance d'exceptions très encadrées ! (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous ne voyons pas très bien comment !

M. le président.  - La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jean Desessard.  - Enfin, une intervention sérieuse !

M. Jacques Mézard.  - Oui, les radicaux ont été et continuent à être les apôtres du repos dominical ! Ajourné en décembre dernier, faute de majorité dans votre majorité (sourires), le texte sur le travail dominical nous reviendrait dans une version édulcorée. Permettez-nous d'en douter... Si le travail dominical était un remède à la crise, nous le saurions ! Ce texte est un cheval de Troie introduit en plein jour dans le droit du travail...

M. Roland Courteau.  - Bien dit ! (Approbations sur les bancs socialistes)

M. Jacques Mézard.  - Ce n'est, certes, pas le grand soir mais une expérimentation dont la suite est connue d'autant que le tourisme lui sert de paravent... (Même mouvement) M. Fortassin a démontré les dangers de ce texte qui, sous couvert de réaffirmer le principe du repos dominical, le sape. Est-il opportun d'ajouter de nouvelles dérogations, sources de contentieux, à ce maquis juridique qu'est notre code du travail ? Est-il opportun de diversifier davantage l'application de la loi selon les territoires au risque de la rendre inapplicable et illisible ? Est-ce un progrès ?

Plusieurs millions de Français travaillant le dimanche, notamment dans le secteur de la santé, une évolution est justifiée mais à condition qu'elle soit transparente et réduise les inégalités au lieu de les aggraver. En dépit des effets d'annonce, ce texte est loin de garantir que les salariés seront volontaires et payés double. Nous assisterons à beaucoup de nominations de volontaires désignés, malgré la règle affirmée du volontariat ! Dans les zones et communes d'intérêt touristique ou thermales, tout emploi est, rappelle l'exposé des motifs, « susceptible d'impliquer pour un salarié un travail le dimanche puisque cela découle de facteurs structurels ». Autrement dit, dans ces communes, il n'y aura ni volontariat, ni majorations de salaire, ni repos compensateur. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) De plus, le ministre du travail n'a pas fourni la liste des communes concernées dont les préfets devraient pourtant disposer, a regretté le rapporteur. Ce n'est pas rassurant, non plus que de prendre pour seul exemple le magasin Vuitton des Champs Elysées !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ça rapporte !

M. Jacques Mézard.  - Certes, un amendement a été adopté par les députés qui impose le lancement de négociations dans les branches où aucune contrepartie n'est prévue, mais sans obligation de résultat... Ce texte crée, de fait, un système à deux vitesses selon le lieu de travail et, donc, une inacceptable rupture d'égalité entre les salariés.

En outre, penser que les salariés travaillant dans les Puce auront réellement la possibilité de refuser de travailler le dimanche est illusoire et procède d'une totale méconnaissance du fonctionnement de l'entreprise. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) Ne nous voilons pas la face, le choix deviendra vite obligation car les employeurs imposent plus facilement leurs conditions de travail en période de crise. Comment croire que le refus du travail dominical n'aura aucune incidence sur la carrière et la rémunération du salarié et qu'il ne motivera pas un refus d'embauche ? Que se passera-t-il lorsque le nombre de volontaires sera insuffisant ?

M. Roland Courteau.  - Bonne question !

M. Jacques Mézard.  - Les puces ont toujours eu le don de se reproduire facilement et de transmettre des germes pathogènes... (Sourires)

M. Gérard Cornu.  - Ça gratte ! (Sourires)

M. Jacques Mézard.  - Ce texte d'opportunité élargit inopportunément une brèche dans notre droit du travail, la majorité de notre groupe ne le votera pas ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et à gauche)

Mme Gisèle Printz.  - La loi de modernisation du dialogue social, dont nous avons débattue en janvier 2007, voulait réconcilier le Gouvernement d'alors avec des partenaires sociaux qu'il avait systématiquement ignorés. Hélas !, les mauvaises habitudes reviennent vite... Alors que le travail dominical constituait une des promesses de campagne du candidat Sarkozy, que les déclarations tonitruantes sur la liberté de consommer et le droit de travailler plus se multipliaient, on pouvait s'attendre à d'âpres négociations avec des partenaires sociaux. Le Gouvernement n'a finalement déposé aucun projet de loi, et nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui aurait pour seul but de régler quelques situations urgentes.

Mais personne n'est dupe, l'intention de libéraliser le travail du dimanche est omniprésente dans ce texte...

M. Roland Courteau.  - C'est exact !

Mme Gisèle Printz.  - ...qui élargit les possibilités de dérogations aux zones et communes d'intérêt touristique ou thermales : au moins 6 000 communes sont concernées. Pourquoi réaffirmer le principe du repos dominical alors qu'il figure à l'article L. 3132-3 du code du travail ?

Historiquement, le repos du dimanche vient de la Bible mais la Révolution l'a aboli en 1789. Il fut réintroduit lors de la Restauration puis annulé une nouvelle fois le 12 juillet 1880 : le patron décidait alors du jour chômé. Sa réintroduction date de 1906 : elle fut votée sous le gouvernement de Ferdinand Sarrien afin d'apaiser de vives tensions sociales, après la tragédie de la mine de Courrières, mais aussi religieuses, moins d'un an après la séparation de l'Église et de l'État. La loi Sarrien est toujours d'actualité, même si de nombreuses dérogations sont venues progressivement la compléter.

C'est d'un vrai choix de société dont nous débattons aujourd'hui, un choix entre le dimanche et le « jour du patron ». Défendre le repos dominical, ce n'est pas défendre un simple jour de repos, c'est défendre une conception de la famille...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Gisèle Printz.  - qui doit pouvoir se retrouver ailleurs qu'au supermarché, au moins une fois par semaine, autour d'un repas ou d'une activité commune. C'est aussi l'occasion de se promener, de rendre visite aux parents, aux grands-parents. Pour les enfants, le rendez-vous du dimanche en famille est un facteur de stabilité. Il n'y a pas si longtemps, monsieur le ministre, vous déclariez que « l'école le samedi matin n'est pas favorable à la vie familiale ». Pensez-vous que le travail du dimanche le soit davantage ? D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas : près de 55 % de nos concitoyens sont hostiles au travail dominical et pour 80 % d'entre eux, le dimanche doit rester un jour non travaillé.

Défendre le repos dominical, c'est aussi protéger la vie associative et sportive. Chaque semaine, des milliers de bénévoles s'activent aux quatre coins du pays pour partager leur passion. Pourtant, le bénévolat est en crise. Croyez-vous, monsieur le ministre, que celles et ceux qui travailleront le dimanche vont continuer à s'engager ?

Enfin, nos concitoyens ont le droit de pratiquer leur culte le dimanche. S'ils travaillent, ils ne pourront pas le faire. Et même pour les non pratiquants, les mariages, les baptêmes, les communions sont des moments importants.

Il convient également de se livrer à une petite chasse à la désinformation : on nous dit que les salariés seront payés double le dimanche. Ce n'est pas exact ! D'ailleurs, le président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée a parlé de « grosse bourde ». Bien évidemment, tous les salariés qui travailleront le dimanche ne seront pas payés double, puisque ceux des zones touristiques et thermales sont d'ores et déjà exclus du dispositif. Pour ceux des zones commerciales autour de Paris, Lille et Marseille, les fameuses Puce, l'accord collectif de branche s'appliquera. Si cet accord ne prévoit pas de double rémunération, rien ne changera pour les salariés. Le doublement n'interviendra que pour une toute petite minorité de métiers, car beaucoup d'accords de branche ne prévoient pas de doublement de salaire. Il y a fort à parier que la surprime éventuelle liée au travail du dimanche dans les Puce disparaîtra en proportion de la banalisation du travail du dimanche. C'est ce qui s'est passé en Angleterre et en Irlande...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est leur modèle !

Mme Gisèle Printz.  - ...et c'est déjà ce qui se passe en France, ou l'amendement ConfoKea dispose que le travail du dimanche des salariés du secteur du meuble ne donne lieu à aucune compensation salariale.

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Mais si !

Mme Gisèle Printz.  - On nous dit que les salariés auront le choix de ne pas travailler le dimanche. Mais c'est méconnaître le lien de subordination entre l'employeur et le salarié, les rapports de force et les pressions qui règnent dans la grande distribution ! D'ailleurs l'actualité récente confirme cette analyse : trois salariés ont été licenciés pour avoir refusé de travailler le dimanche dans un magasin Ed dans l'Ain. On leur avait pourtant dit que le travail dominical se ferait sur la base du volontariat ! L'une des trois salariés, après cinq années de bons et loyaux services, a renoncé à une prime de 5 euros pour consacrer son dimanche à sa famille.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Ce qui prouve qu'elle avait le choix !

Mme Gisèle Printz.  - Résultat : la direction l'a licenciée pour « Insubordination et non-respect des horaires planifiés ». Combien de cas similaires passent inaperçus, n'étant pas motivés !

Nous ne pensons pas non plus que ce texte créera des emplois, contrairement à vos affirmations.

J'en viens à la question des femmes : 63 % d'entre elles travaillent dans le commerce. Elles seront donc particulièrement touchées par le travail dominical. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat le confirme) Leur situation est difficile sur le marché du travail : leur taux de chômage est supérieur à celui des hommes et les écarts de salaire restent significatifs. Elles sont plus souvent employées sous contrats à durée déterminée et à temps partiel. C'est particulièrement vrai dans la grande distribution : les horaires sont discontinus et les amplitudes d'ouvertures de plus en plus grandes. Ainsi, quand un magasin ferme à 22 heures, il faut encore faire la caisse, puis prendre les transports en commun. Le matin, il faut se lever tôt pour préparer les enfants avant de les conduire à l'école. En outre, ces femmes sont souvent mères célibataires. Quand bien même elles seraient payées double, il faudrait encore qu'elles paient la garde d'enfant le dimanche, si bien qu'au final, il ne resterait pas grand-chose.

Mme Raymonde Le Texier.  - C'est tout à fait exact !

Mme Gisèle Printz.  - En définitive, ce texte porte un coup sévère à l'égalité entre les hommes et les femmes. Il a été rédigé sans concertation avec les partenaires sociaux ni avec les associations d'élus locaux. Sous prétexte de régler quelques situations urgentes, vous allez provoquer un changement de société majeur aux conséquences désastreuses sur la vie familiale de nos concitoyens. Beaucoup l'ont compris, même au sein de la majorité, j'en veux pour preuve ce vote sans enthousiasme à l'Assemblée Nationale. Nous ne voterons bien évidemment pas ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Cornu.  - (Applaudissements à droite) A titre personnel, je ne suis pas favorable au travail dominical (on s'en félicite à gauche), non pas uniquement par conviction religieuse mais pour des raisons sociales et familiales. En outre, s'il se généralisait, le travail dominical nuirait à la vie associative. Étant par nature pragmatique (exclamations sur les mêmes bancs), cette proposition de loi me semble juste et équilibrée. Je tiens à remercier les rapporteurs de l'Assemblée et du Sénat qui ont travaillé bien en amont et qui nous proposent un texte raisonnable.

M. Nicolas About.  - C'est vrai !

M. Gérard Cornu.  - L'objectif poursuivi n'est en effet nullement, comme on l'a trop souvent prétendu, d'ouvrir les vannes au travail dominical dans tous les commerces et tous les services, en tous points du territoire. (On le conteste à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Ah bon ?

M. Gérard Cornu.  - Bien au contraire, ce texte permet de stabiliser le cadre existant et de protéger le commerce de proximité. Il permet aussi de garantir les équilibres sociaux et familiaux que nul ne songe à remettre en cause en cette période de crise. (On en disconvient sur les mêmes bancs) Si tel n'avait pas été le cas, je n'aurais pas voté cette proposition de loi. (Nouvelles exclamations à gauche)

Ce texte vise surtout à simplifier des situations trop complexes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - C'est le leitmotiv de la droite !

M. Gérard Cornu.  - Le régime d'autorisation actuel est à l'origine d'un abondant contentieux. L'introduction d'un régime simplifié d'autorisations de plein droit permettra de réduire considérablement les situations floues, sources de contentieux toujours néfastes à l'activité commerciale.

Le critère de la zone ou de la commune « d'intérêt touristique » n'ouvrira nullement la boîte de Pandore puisque le classement sera exclusivement réalisé sur le fondement du code du travail, qui repose sur des critères précis. Ces ouvertures ne devraient concerner que 500 communes et 200 000 salariés qui s'ajouteraient aux 7,5 millions de Français qui travaillent déjà le dimanche régulièrement ou occasionnellement.

Ce texte tient donc davantage de la simplification que de la révolution sociétale !

M. Roland Courteau.  - C'est ça !

M. Gérard Cornu.  - En posant enfin le principe du volontariat des salariés et en consacrant le droit au refus, ce texte réaffirme le principe de la liberté du travail voulu par le Président de la République et auquel on ne peut que souscrire, surtout en période de crise.

L'introduction par les députés du principe du volontariat réversible a opportunément parachevé le dispositif. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat le conteste)

Je souhaite vous poser une question, monsieur le ministre : les grandes surfaces alimentaires, jusqu'à présent autorisées à ouvrir jusqu'à midi le dimanche, pourront désormais rester ouvertes jusqu'à 13 heures, ce qui ne peut pas nuire au commerce de proximité. Qu'en est-il en revanche du régime des grandes surfaces alimentaires qui réalisent un chiffre d'affaires important en non-alimentaire ? La distinction entre alimentaire et non-alimentaire continuera-t-elle d'être effectuée sur la base des critères posés par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt Continent du 2 février 1989, à savoir le chiffre d'affaires réalisé dans les différents rayons, les surfaces occupées et l'effectif employé dans ces rayons ?

La grande surface alimentaire située dans le périmètre du Puce ou en zone touristique ne pourra-t-elle ouvrir tout le dimanche que ses seuls rayons blancs et bruns, c'est-à-dire l'électroménager, la hi-fi et la télévision ?

Bref, a-t-on raison ou non de craindre le contournement de la loi par la grande distribution ?

La procédure concernant les dérogations accordées par les maires cinq dimanches par an doit être simplifiée. Réaffirmons l'autorité du maire en cette matière ; la concertation préalable est inutile car les réponses sont connues à l'avance et le maire n'en tient donc pas compte. Que celui-ci prenne son arrêté et qu'après contrôle par les services de I'État, il avertisse les syndicats et les organisations patronales.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Mais bien sûr ! C'est plus simple ! Vous supprimez les syndicats !

M. Gérard Cornu.  - Leur réponse est toujours la même !

Mme Isabelle Pasquet.  - Celle des patrons aussi !

M. Gérard Cornu.  - Exactement et c'est la raison pour laquelle elle n'a pas d'intérêt.

Cette proposition de loi est parvenue à un point d'équilibre qui emporte l'adhésion, d'autant que les étudiants devraient en être les principaux bénéficiaires. (Applaudissements à droite)

M. Alain Fouché.  - Je me pose un certain nombre de questions. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'en réjouit) Chaque année, la France reçoit 85 millions de touristes étrangers et 70 millions de visiteurs fréquentent les parcs de loisirs, parcs animaliers, parcs technologiques, parcs aquatiques... J'ajoute que 80 % de ces parcs sont situés en province.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Les visiteurs ne sont pas ceux qui achètent des sacs Vuitton...

M. Alain Fouché.  - Le dimanche est considéré par les Français comme le jour du repos et des loisirs, où l'on se divertit et se promène entre amis ou en famille. L'industrie du tourisme représentait 7,5 % du PNB en 1995, mais seulement 6,3 % aujourd'hui : elle est fragilisée, elle perd des parts de marché. Elle a pourtant, grâce à l'action des collectivités locales, contribué à l'aménagement et au rééquilibrage des territoires. Depuis l'avènement d'internet, le mode de consommation touristique connaît une profonde mutation : moins de longues vacances en juillet ou en août, plus de courts séjours toute l'année, en fin de semaine.

Les grandes surfaces vont ouvrir le dimanche : dans combien de communes, 500 ou 6 000 ? Combien de salariés et de professions indépendantes seront touchés par ces mesures ? De nombreux professionnels du tourisme m'ont fait part de leur profonde inquiétude. Les grandes chaînes, par des politiques commerciales agressives, des spectacles et des animations gratuites -comme aux États-Unis- auront pour unique souci de happer les populations au détriment des sites touristiques ou des parcs de loisirs. Monsieur le ministre, vous avez l'opposition de l'Association française des parcs zoologiques qui accueille 25 millions de visiteurs par an. Dans la Vienne, la fréquentation des sites le dimanche représente 30 % de la fréquentation hebdomadaire ! Ne reviendrons-nous pas 25 ans en arrière ? Ne risque-t-on pas une recentralisation commerciale ? Les petits commerces, eux, n'auront pas les moyens financiers et humains de suivre. L'ouverture des grandes surfaces dans les grandes métropoles va aussi entraîner une distorsion de la concurrence. Lille doit faire face à la concurrence belge. Soit. Mais les grandes surfaces de Lille attireront une clientèle située plus au sud.

Mme Annie David.  - Eh oui.

M. Alain Fouché.  - Sur quel motif refusera-t-on aux grandes surfaces d'Arras, de Valenciennes, d'Amiens, d'ouvrir également ?

Mme Annie David.  - Eh oui.

M. Alain Fouché.  - Les pressions seront telles que la loi sera très rapidement généralisée.

M. Claude Jeannerot.  - Tout est fait pour cela.

M. Alain Fouché.  - C'est le modèle anglo-saxon. Pour ma part je ne considèrerais pas déshonorant de visiter le Louvre, la Tour Eiffel et les magnifiques sites culturels de notre capitale plutôt que les grandes surfaces... (MM. Jean-Pierre Caffet et Jean Desessard approuvent) La France doit garder son exception culturelle et son identité propre. Je souhaite que le ministre me réponde sur ce point. (Applaudissements sur certains bancs à droite et à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Il ne vous répondra pas.

M. André Lardeux.  - La France est un pays formidable, où le vice vaut souvent mieux que la vertu, où le premier est mieux récompensé que la seconde. On bafoue la loi en ouvrant des magasins le dimanche, puis on modifie la loi pour éviter la sanction du juge. C'est la loi de la jungle... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Je ne crois pas que le législateur s'honorerait à voter un texte qui récompense la délinquance économique -et qui, même amélioré, exprime toujours la même philosophie, sinon il n'aurait pas de sens.

La proposition ouvre la porte à la généralisation du travail le dimanche.

M. Daniel Raoul.  - Et voilà !

M. André Lardeux.  - Il suffira de multiplier les cas particuliers ou, comme maintenant, de violer la loi. Je voterai résolument contre ce texte, d'autant que le Sénat a interdiction de le modifier. C'est une question de principe. Ce qui est en jeu, c'est notre conception de la vie en société. Il y a ici un changement sociétal qui ne veut pas dire son nom.

M. Roland Courteau.  - Bien !

M. André Lardeux.  - Faut-il, au prétexte d'être moderne, tout regarder par le petit bout de la lorgnette économique? (MM. Jacky Le Menn et Roland Courteau approuvent) Étendre le travail le dimanche a des avantages hypothétiques et des inconvénients certains. Les termes de l'échange sont déséquilibrés. Et ce n'est pas parce que 7 millions de Français travaillent régulièrement ou occasionnellement le dimanche qu'il faut en rajouter !

Je suis hostile à cette proposition qui n'est pas de bon sens et qui méconnaît la dignité des personnes.

M. Yves Daudigny.  - Oui !

M. André Lardeux.  - Le dimanche n'est pas un jour comme les autres : j'ai au moins dix raisons pour l'affirmer.

Première raison : C'est un acquis social apprécié depuis cent ans. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) La loi de 1906 sur le repos dominical mettait fin à des décennies de régression sociale.

Deuxième raison : Le dimanche est le jour de la famille, le jour où deux ou trois générations se retrouvent : comme rapporteur de la branche famille, j'y suis sensible. Et les parents de jeunes enfants devront-ils payer double ce jour-là leur assistante maternelle ? (« Bravo ! » et applaudissements à gauche) Les aides de la CAF devront-elles doubler aussi ? Chacun désormais vivra à son rythme, les familles seront un peu plus déstabilisées. Déjà tant de parents et d'enfants passent peu de temps ensemble !

Troisième raison : Le régime actuel favorise le jeu, le sport, la vie en société ; hors la présence des parents, les activités sportives ou culturelles sont plus difficiles à organiser et nombre d'enfants en seront donc exclus. Beau progrès !

Quatrième raison : Le travail le dimanche est un leurre économique, le gâteau divisé en sept n'est pas plus gros que divisé en six. Ouvrir plus longtemps n'augmente pas les achats des clients, sauf si les concurrents sont, eux, fermés... Les budgets des consommateurs ne sont pas extensibles, surtout en ce moment. En Allemagne, l'assouplissement des règles pour le commerce de détail en 2003 n'a pas modifié d'un iota les taux de l'épargne et de la consommation. Les créations d'emplois sont incertaines, les destructions garanties. (On renchérit à gauche)

M. Daniel Raoul.  - Quatre à zéro !

M. André Lardeux.  - Les petits commerces seront définitivement écrasés par la grande distribution.

Cinquième raison : Le travail le dimanche est un piège pour les salariés. La banalisation du travail le dimanche aboutira à une déréglementation totale. Celui qui ne voudra pas travailler le dimanche sera prioritaire en cas de licenciement. Il subira de très fortes pressions. La sur-rémunération est alléchante : mais elle sera instaurée au détriment des autres salariés. Il est curieux du reste que l'on puisse payer double le salarié le dimanche, alors que la grande distribution refuse la moindre augmentation sur le reste de la semaine ! (Vifs applaudissements à gauche)

Il est donc hypocrite de nous dire que ce serait une réponse aux difficultés des travailleurs pauvres. Ce sera une bonne base de revendication salariale pour ceux qui travaillent déjà le dimanche pour nécessité de service public !

On nous dit que travailler le dimanche est le souhait des femmes seules avec enfants ; j'entends que l'on vise les plus pauvres. On nous parle aussi des jeunes célibataires, oubliant qu'ils se marieront un jour et auront des enfants. On nous dit encore que des étudiants financeraient ainsi leurs études, comme si le commerce ne fonctionnait qu'avec des étudiants. Et d'ailleurs est-ce ainsi qu'on réglera le problème du financement des études ?

L'argument de la sur-rémunération risque d'être mis à mal par la Cour de cassation, selon qui un salarié qui travaille « habituellement » le dimanche ne peut prétendre à une majoration de salaire.

Sixième raison : il ne faut pas tomber dans l'addiction à la consommation. N'en faisons pas une nouvelle idole : elle doit participer à l'épanouissement de l'homme, non à son assujettissement. (M. Jean Desessard manifeste vigoureusement son approbation) Avons-nous besoin d'acheter sept jours sur sept, au risque, pour les plus pauvres, du surendettement ? La consommation doit-elle être l'horizon indépassable de notre société ? Il n'y a pas besoin d'être un pousseur de chariot pour être un bon citoyen !

Des temps de repos sont indispensables ; la société doit s'autoriser un relâchement de la cadence de travail et octroyer à ses membres un temps libre de l'économique. Passer du temps sur un terrain de sport ou dans la nature serait plus profitable que de déambuler dans une galerie marchande. Doit-on, pour gagner honnêtement son pain, renoncer à la qualité de la vie ? On ne peut impunément remplacer « je pense donc je suis » par « je bouge donc j'existe ». (Applaudissements à gauche) Il semble d'ailleurs que les probabilités de maladie soient plus grandes de 30 % dans les entreprises où les salariés travaillent le samedi et le dimanche. On peut enfin s'interroger sur le bilan carbone du travail dominical.

Huitième raison : Le repos dominical est un repère pour l'homme, inscrit dans toutes ses dimensions, de l'horloge biologique à la spiritualité. Qu'est une société sans rythme commun ? Une jungle abandonnée à l'individualisme. La culture du gain doit-elle passer avant celle de la personne ? En faisant de celle-ci un moyen, on ne regarde pas si les âmes se perdent mais si les affaires se font. L'argent dévore les individus et réifie les salariés. (Applaudissements à gauche) C'est un appauvrissement spirituel sans enrichissement économique. Le Président de la République n'a pas dit autre chose au Latran quand il a dénoncé la frénésie de consommation (on ironise à gauche) ni quand, recevant le pape à l'Élysée, il a déclaré que la croissance économique n'avait pas de sens si elle était sa propre finalité.

Neuvième raison : le repos dominical fait partie de nos racines ; le mettre en cause, c'est amoindrir la cohérence de notre société.

Enfin, et c'est ma dernière et dixième raison, en tant que catholique, je ne peux pas ne pas évoquer le caractère sacré de ce jour, jour différent, jour du repos prescrit par Dieu. Je préfère les amateurs de vie spirituelle aux théologiens du marché ! (Mme Anne-Marie Payet applaudit vivement) Le chrétien se fait le promoteur de ce qui ne sert à rien, de ce que l'on croit à tort inutile, il montre les limites d'un monde où tout s'achète et se vend, il souligne le sens du gratuit et la culture du don. Certains objecteront qu'en permettant la messe le samedi soir le concile aurait ouvert la brèche puisque le jour liturgique va de minuit à minuit. Il s'agit en fait d'une extension de la vigile en souvenir du sabbat juif. (M. Dominique Braye s'esclaffe)

L'extension du travail le dimanche n'est pas une affaire d'efficacité économique mais un choix de société. Aucun économiste ne peut dire que l'on aurait besoin d'ouvrir partout le dimanche. Le travail dominical n'est pas une liberté mais un leurre. Il y a mieux à proposer à nos concitoyens que « métro, boulot, conso ». (Applaudissements sur les bancs socialistes ainsi que sur plusieurs bancs CRC, RDSE et centristes)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Je tiens à faire une mise au point. En 2007, le Sénat a voté à mon instigation un amendement permettant aux commerces de meubles d'ouvrir le dimanche. J'aurais volontiers étendu cette disposition aux équipements de la maison et au bricolage mais je ne l'ai pas proposé parce que la fédération du meuble était la seule des trois à disposer d'une convention protectrice pour ses salariés.

Après le vote de cet amendement, les syndicats se sont inquiétés que les dimanches ne soient plus payés double. Dès le 6 mai 2008, la fédération du meuble a proposé le paiement double pour tous les dimanches. Les syndicats n'ont pas signé ce texte, non qu'ils l'auraient désapprouvé mais dans l'attente de celui que nous étudions aujourd'hui.

Mme Raymonde Le Texier.  - Cela ne change rien à l'arrêt de la Cour de cassation...

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Reste que, dans les magasins de meubles, tous les salariés sont payés double le dimanche. (Applaudissements sur certains bancs UMP)

M. Xavier Darcos, ministre.  - D'aucuns ont dit que la procédure de la proposition de loi ne permettait pas un débat préalable avec les partenaires sociaux. Je rappelle simplement que le Conseil économique, social et environnemental a examiné deux fois ce sujet et n'a pas émis de vote hostile.

On ne peut à la fois dénoncer le désordre actuel en la matière et regretter l'ordre que ce texte y apporte. Désormais, on y verra clair, sachant que le classement des communes reste inchangé.

Plusieurs d'entre vous ont parlé d'un changement de civilisation. Ce serait vrai s'il s'agissait vraiment de renoncer au repos dominical, mais ce n'est pas du tout l'objet de ce texte. Si cela l'était, je ne l'aurais pas défendu.

M. Dominique Braye.  - Nous non plus ! (Rires à gauche)

M. Xavier Darcos, ministre.  - Les salariés recevront des garanties nouvelles, que fera respecter une inspection du travail modernisée par la volonté du Gouvernement. Les inspecteurs du travail contrôleront aussi le travail dominical !

M. Jean-Pierre Michel.  - Écoutez les syndicats !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Écoutez aussi les inspecteurs du travail !

Je veux aussi qu'il soit clair que plusieurs dérogations parmi les 180 constatées aujourd'hui ont été décidées par un gouvernement de gauche, je pense notamment à celles de 1982. Je n'ai pas souvenir qu'on ait alors crié au scandale ou au naufrage de la civilisation de la culture. Mme Le Texier a convoqué des études que nous connaissons bien, du Credoc ou de l'OCDE, pour souligner les dangers potentiels d'une ouverture des commerces le dimanche ; elle a oublié de préciser que ces analyses portaient uniquement sur une ouverture généralisée, ce qui n'est en rien le propos du texte.

Je dis à M. Desessard, après son intervention plutôt spectaculaire...

M. Dominique Braye.  - Théâtrale !

M. Xavier Darcos, ministre.  - ...ce que j'ai déjà souligné : le Cese s'est prononcé par deux fois sur la question et les partenaires sociaux ont été consultés à cette occasion. Qui en outre a relancé la négociation collective, sinon cette majorité ? Les leçons en la matière ne sont pas de mise. (Applaudissements à droite) Il y a en outre une bonne raison pour que Lyon ne soit pas classée en Puce : il n'y a pas d'usage de consommation le dimanche. Une zone touristique y existe néanmoins.

Je rappelle deux chiffres à M. Fortassin, qui a énergiquement défendu des valeurs auxquelles je peux moi aussi adhérer : les salariés concernés sont aujourd'hui 7 millions, la loi en concernera 200 000 supplémentaires... Rien ici qui justifie qu'on évoque un basculement de la société française dans une logique de consommation à l'américaine, ou qu'on convoque les philosophes de l'hyperconsommation... Correction à la marge, 500 communes et trois Puce concernées, régulation de l'existant : voilà ce qu'est ce texte. Je n'y vois pas de mise en cause des règles du droit du travail.

M. Retailleau s'est interrogé sur la possible inconstitutionnalité de la différence de traitement faite aux salariés. Il y a deux situations, celle où le travail du dimanche est intrinsèque au métier, par exemple des employés d'une station de ski l'hiver...

M. Dominique Braye.  - Des sacristains ! (Sourires)

M. Xavier Darcos, ministre.  - ...et celle où il est temporaire et exceptionnel. D'où la nécessité d'apprécier les cas individuellement, commerce par commerce, et l'obligation de négocier. M. Mézard et d'autres ont jugé la loi illisible et source d'inégalités ; c'est la situation actuelle qui est ainsi, la loi apporte clarté et garanties.

M. Cornu a posé deux questions importantes et d'abord celle des grandes surfaces qui ne sont pas qu'alimentaires. Sera considérée comme alimentaire une surface dans le chiffre d'affaires de laquelle l'alimentaire est majoritaire -ce qui est plutôt rare dans la grande distribution. Je suis d'autre part d'accord avec lui, si on peut simplifier le maquis des arrêtés municipaux qui autorisent l'ouverture cinq dimanches dans l'année, je n'y verrais aucun inconvénient...

Je ne reproche à aucun d'entre vous d'avoir sur cette question du travail du dimanche des convictions personnelles, sociales, politiques, intimes ou religieuses. Mais les enjeux ne sont pas là. Il n'est pas question de généralisation. (On en doute vivement sur les bancs socialistes) Je le redis, la loi concerne 500 communes, régule l'activité autour de trois grandes agglomérations, protège les salariés qui travailleront le dimanche. Tout le reste est procès d'intention. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Commissions (Démissions - Candidatures)

M. le président.  - J'ai reçu avis de la démission de Mme Bernardette Dupont comme membre de la commission des affaires sociales ; de M. Jean-Paul Alduy comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; de M. Henri de Raincourt comme membre de la commission des finances.

Le groupe intéressé a fait connaître à la Présidence le nom des candidats proposés en remplacement. Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

J'ai reçu avis de la démission de M. Jean-Pierre Bel comme membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

La séance est suspendue à 18 h 5.

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente

La séance reprend à 21 h 35.