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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Organisme extraparlementaire

Mission d'information sur les déchets (Candidatures)

Victimes des essais nucléaires français (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mission d'information sur les déchets (Nominations)

Victimes des essais nucléaires français (Suite)

Discussion des articles

Article premier

Article 2

Article 3

Article 4

Article additionnel

Article 7

Articles additionnels

Vote sur l'ensemble

Formation professionnelle (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Discussion du texte élaboré par la CMP

Article 13

Vote sur l'ensemble




SÉANCE

du mercredi 14 octobre 2009

6e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de M. Roger Romani,vice-président

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, Mme Christiane Demontès.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Organisme extraparlementaire

M. le président.  - J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire à présenter une candidature. La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du Règlement.

Mission d'information sur les déchets (Candidatures)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la mission commune d'information sur le traitement des déchets. Je vous rappelle que cette mission a été créée à l'initiative du groupe de l'Union centriste, en application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat qui prévoit pour chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées. Elles seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Victimes des essais nucléaires français (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Discussion générale

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Il y a treize ans, la France mettait fin à ses essais nucléaires et ratifiait le traité d'interdiction. Le présent projet de loi vise à clore sereinement ce chapitre de notre histoire, en s'adressant aux victimes qui trouvent profondément injuste que l'État ne réponde pas à leurs requêtes. La plupart ont pourtant répondu avec enthousiasme quand la France a décidé de se doter d'une force de dissuasion indépendante afin de lui permettre de retrouver sa place dans le concert des nations. C'était au temps de la guerre froide et il fallait relever un immense défi scientifique -210 essais ont été nécessaires en Algérie et en Polynésie-, national -toutes les majorités, sous la IVe comme sous la Ve République, ont adhéré à ce projet- et stratégique puisqu'il s'agissait de protéger les intérêts vitaux de notre pays et de lui rendre un rôle international de premier plan aux côtés des autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies.

La communauté nationale s'est engagée tout entière pour mener à bien ce projet, qu'il s'agisse de la population des atolls polynésiens ou des 150 000 travailleurs militaires et civils métropolitains, Polynésiens et Algériens. L'immense majorité d'entre eux n'ont subi aucun dommage. Mais pour répondre à ceux qui ont été exposés aux rayonnements ionisants, j'ai voulu, dès mon arrivée à l'Hôtel de Brienne, faire en sorte que la France assume ses responsabilités.

Ce projet de loi repose sur trois principes. Le premier, c'est la justice. Le régime d'indemnisation actuel est lourd, injuste et coûteux, puisqu'il introduit des différences selon le statut des victimes -personnels civils et militaires de la défense, personnels du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et des entreprises présentes sur les sites, populations civiles- et selon les organes saisis. Désormais, toutes les victimes auront accès à un guichet unique -le comité d'indemnisation- et seront indemnisées pour la totalité du préjudice subi, y compris le préjudice moral ou esthétique, selon le même régime d'indemnisation.

Les ayants droit pourront présenter une demande de réparation par subrogation en cas de décès de la victime. Ils disposeront même, pour ce faire, d'un délai de cinq ans si la victime est décédée avant la promulgation de la loi. En revanche, il ne saurait être question d'indemniser le préjudice propre des ayants droit : ce serait contraire à l'esprit d'un texte qui vise à indemniser les conséquences sanitaires des essais. Cela ne créerait d'ailleurs aucun droit nouveau...

M. Daniel Raoul.  - Justement !

M. Hervé Morin, ministre.  - ...puisque les ayants droit peuvent déjà demander la réparation d'un préjudice personnel devant les juridictions de droit commun. Des amendements en ce sens ont donc été déclarés irrecevables par l'Assemblée nationale et votre commission.

Les demandeurs pourront se faire assister par une personne de leur choix tout au long de la procédure, qui sera écrite. Enfin la procédure sera contradictoire, les demandeurs ayant le droit d'accéder à tout moment à leur dossier.

Le deuxième principe qui nous a guidés, c'est la rigueur. Il n'est légitime d'indemniser que les personnes dont l'affection est liée à l'exposition, ce qui ne peut être déterminé qu'au cas par cas. Nous avons décidé d'introduire la notion de présomption simple, au lieu de la présomption irréfragable, ce qui a pour corollaire le renversement de la charge de la preuve : jusqu'à présent, il appartenait au requérant de prouver que sa maladie était due à l'exposition aux rayonnements ionisants ; désormais, il reviendra à l'État de prouver le contraire.

M. Marc Daunis.  - C'est heureux !

M. Hervé Morin, ministre.  - Le demandeur devra seulement justifier qu'il est atteint de l'une des maladies radio-induites figurant sur une liste établie par décret en Conseil d'État, qui reproduira celle du Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR), et qu'il a séjourné dans les zones concernées pendant les périodes des essais.

Les demandes seront examinées par un comité scientifique indépendant, présidé par un magistrat. Conformément au souhait de votre rapporteur, ses membres seront désignés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé, sur proposition du Haut conseil de la santé publique -il paraît que cela apporte des garanties supplémentaires.

Mais il ne saurait être question d'y faire siéger des représentants des associations...

M. Guy Fischer.  - C'est regrettable !

M. Hervé Morin, ministre.  - ...d'abord parce que ce comité est composé d'experts, ensuite parce qu'il examine des dossiers individuels et médicaux, enfin parce que les associations, qui sont autorisées à accompagner les demandeurs, ne sauraient être à la fois juges et parties.

M. Guy Fischer.  - C'est l'État qui le sera !

M. Hervé Morin, ministre.  - Le comité présentera au ministre de la défense une recommandation portant à la fois sur le principe et le montant de l'indemnisation. La décision du ministre sera naturellement motivée, notamment en cas de rejet, sur le fondement de cette recommandation. Monsieur Fischer, vous êtes républicain. Pourquoi soupçonnez-vous l'État de ne pas vouloir respecter la volonté du législateur, alors qu'il a lui-même décidé d'indemniser les victimes ?

Mme Michelle Demessine.  - Il a nié si longtemps ses responsabilités !

M. Hervé Morin, ministre.  - Il ne les reconnaissait pas davantage quand vous étiez ministre, madame.

Mme Michelle Demessine.  - Cela ne change rien au problème !

M. Hervé Morin, ministre.  - Notre troisième principe, c'est l'équilibre. Les députés ont décidé de créer une commission de suivi réunissant les représentants des associations et des élus, qui aura un rôle consultatif et sera chargée de faire des propositions sur l'évolution de la liste des maladies. Mais son rôle ne sera pas élargi aux conséquences environnementales des essais ni au suivi médical des populations : des dispositifs sont déjà prévus à cet effet, et il n'est envisageable de modifier ni les périodes -elles ont été définies aussi largement que possible, depuis les premiers essais jusqu'à la fin du démantèlement- ni les zones concernées -elles ont été délimitées sur le fondement d'analyses scientifiques approfondies et exhaustives.

Nous avons agi dans le souci de la concertation : le texte qui vous est proposé est le fruit d'un travail collectif de plusieurs mois, qui a associé des parlementaires de tous les groupes politiques, des représentants d'associations, des juristes, des experts médicaux et des industriels du nucléaire. Les six sénateurs qui ont participé à ces réunions -MM. Dériot, Fischer, Pintat, Vantomme, Flosse et Tuheiava- peuvent témoigner du fait que nous avons recherché le consensus le plus large possible.

Je vous rends également hommage, mesdames et messieurs les sénateurs, pour les améliorations que vous avez introduites à chaque étape du texte. Je remercie chaleureusement le rapporteur, M. Marcel-Pierre Cléach, pour sa coopération avec le ministère de la Défense, ainsi que le président de la commission, M. Josselin de Rohan, grâce auquel le texte a été examiné en commission dans des conditions très satisfaisantes.

Notre seconde exigence, c'est la simplicité, gage d'efficacité et de rapidité dans la mise en oeuvre. C'est pourquoi nous sommes fermement opposés à la création d'un fonds d'indemnisation. Il a fallu plus de deux ans après la promulgation de la loi pour que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante soit opérationnel. En outre, un fonds spécifique n'est pas un outil juridique adapté. Pour cette aventure nucléaire, qui visait à doter notre pays de sa force de frappe et de dissuasion, il est normal que l'indemnisation soit supportée par le budget de la Défense. 10 millions d'euros avaient déjà été provisionnés pour les premières indemnisations susceptibles d'intervenir en 2009. Le reste sera prévu dans le budget 2010. Nous sommes donc prêts à agir dans les meilleurs délais.

Ce texte nous dote d'un dispositif juste, rigoureux et équilibré. Soyons à la hauteur des attentes des victimes, soyons au rendez-vous de la modernité pour permettre à notre pays de tourner la page et rejoindre les autres grandes démocraties qui nous ont précédés dans cette voie. Je suis fier, deux ans et demi après mon arrivée à ce ministère, de présenter, enfin, un texte qui met fin à un trop long vide juridique. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Si nous sommes ici cet après midi, c'est qu'il y a cinquante ans, des hommes se sont engagés dans l'aventure nucléaire française pour construire notre force de dissuasion. Grâce à eux, nous avons la garantie qu'en toutes circonstances, la France, son territoire, son peuple, ses institutions républicaines sont à l'abri d'une agression les mettant directement en péril, comme ce fut le cas en 1940. Grâce à eux, notre pays peut jouer le rôle qui est le sien dans le cercle très restreint des puissances nucléaires. Ce texte est, de la part de notre République, un texte de reconnaissance des souffrances que supportent aujourd'hui ceux qui l'ont servie hier et du travail accompli par ces hommes et ces femmes qui ont contribué à assurer sa sécurité et sa grandeur. A ce titre, monsieur le ministre, je vous demanderais de bien vouloir réfléchir à une ouverture des règles d'attribution de la médaille « de la reconnaissance de la nation » afin de pouvoir y inclure les vétérans des essais, auxquels on doit non seulement une juste réparation mais également une légitime gratitude.

Mais, si nous sommes ici cet après-midi, c'est aussi parce que l'État a sa part de responsabilité dans les préjudices subis non seulement par ses serviteurs mais également par les populations civiles de Polynésie et du Sahara qui vivaient à proximité des expérimentations et nous avons une dette à leur égard. Même si elle a indéniablement trop tardé, c'est l'honneur de la République de reconnaître sa responsabilité et de l'assumer.

Si nous sommes ici, c'est aussi parce que la loi ne permet pas aujourd'hui aux victimes des essais nucléaires d'être décemment indemnisées, les dispositions en vigueur étant différentes selon le statut des victimes, inadaptées aux maladies en cause et, en définitive, injustes.

Si nous sommes ici, c'est aussi grâce au travail et à la conviction des associations de victimes et je salue la pugnacité et la compétence de l'Aven, de Moruroa e tatou, de l'Anven et d'autres encore : je ne peux les citer toutes.

Nous ne serions pas ici non plus sans les 18 propositions de loi et de résolutions ainsi que les nombreux rapports parlementaires -je pense à celui de l'Office des choix scientifiques et technologiques de notre collègue Revol- qui ont préparé le chemin pour ce texte.

Si nous sommes ici cet après-midi, c'est enfin grâce à vous, monsieur le ministre, grâce à la détermination et au courage avec lesquels vous avez imposé ce texte, et cela n'avait rien d'évident.

Les maladies provoquées par les rayonnements ionisants dus aux essais sont essentiellement des cancers. Ce sont, comme le disent les médecins, des maladies sans signature et sans étiquette : autrement dit, en l'état des connaissances scientifiques, aucune analyse biologique ne permet aujourd'hui de déterminer de façon certaine l'origine de ces cancers. De plus, rien ne les distingue de cancers qui proviendraient d'autres causes. Nous touchons là du doigt les difficultés rencontrées par les victimes lorsque les tribunaux des pensions militaires leur demandaient d'apporter la preuve impossible que leur maladie avait pour cause les essais nucléaires. C'est ce qui explique que, sur 355 demandes d'indemnisation de militaires, 21 seulement aient été accordées. C'est à cette situation que ce texte va mettre fin.

Nous touchons également du doigt la difficulté du Gouvernement et du législateur qui doivent définir un dispositif qui, d'un côté, n'exclut aucune victime des essais nucléaires et, de l'autre, n'engage la responsabilité de l'État que pour ces seules victimes. Si tous les cancers survenus dans les zones concernées ont vocation à être pris en charge par les régimes de sécurité sociale, seuls ceux qui sont attribuables aux essais nucléaires engagent la responsabilité du ministère de la Défense. Avec le mécanisme de présomption de causalité, nous avons surmonté cette difficulté pour aboutir à un texte d'équilibre, réponse concrète aux difficultés rencontrées par les victimes pour faire valoir leurs droits.

Un système d'indemnisation efficace et juste est fondé sur des critères clairs et objectifs ; il instaure une procédure rigoureuse et transparente et définit une indemnisation juste et proportionnée aux préjudices subis. Clarté, objectivité, transparence, proportionnalité : j'ajouterai à ces critères traditionnels en matière de droit de la responsabilité deux critères propres aux victimes des essais nucléaires : le système doit être efficace et inattaquable.

Un dispositif efficace doit pouvoir rapidement être mis en oeuvre. Le premier essai nucléaire français a eu lieu il y a près de cinquante ans. Ce texte est, pour certains, la dernière chance d'obtenir réparation de leur vivant. Faisons bien, mais faisons vite. Les États-Unis ont adopté un dispositif comparable, il y a près de vingt ans...

Le système doit être inattaquable pour permettre à la France de tourner la page des essais nucléaires, et le faire de façon incontestable. Pour mettre fin aux contentieux, aussi bien pour les victimes que pour l'État, le dispositif doit reposer sur des bases juridiques indiscutables.

Le projet de loi propose un régime d'indemnisation unifié, un régime unique, un guichet unique, un comité d'indemnisation pour l'ensemble des victimes. Ce comité instruira les demandes, émettra une recommandation au ministre et celui-ci notifiera son offre aux demandeurs.

Le projet de loi instaure une procédure simplifiée. Contrairement à la situation actuelle où les militaires doivent apporter des preuves du lien entre les maladies et les essais, il leur suffira d'attester de deux conditions : avoir résidé ou séjourné dans des zones potentiellement contaminées pendant les périodes d'expérimentation ; avoir contracté une maladie radio-induite inscrite dans une liste établie par le Conseil d'État.

Le projet de loi prévoit une spécialisation du comité d'indemnisation. Le Gouvernement a choisi de ne pas intégrer ce dispositif dans un mécanisme existant, comme celui de l'Oniam ou du Fiva, mais de créer un comité spécialisé, composé principalement de médecins, spécialisés en radiothérapie et habilités à connaître des informations classifiées.

Le projet de loi prévoit enfin une réparation intégrale des préjudices, patrimoniaux ou économiques, extrapatrimoniaux ou personnels, moraux ou physiques. Il constitue, par rapport au droit existant, un progrès indéniable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Considérable !

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Les députés ont apporté à ce texte des modifications utiles et je salue ici le travail de leur rapporteur, M. Calméjane -un fils de sénateur... L'Assemblée a mieux encadré la procédure et a instauré un suivi de l'application du projet de loi. Nos apports sont complémentaires.

Votre commission des affaires étrangères et des forces armées a auditionné, par le biais de son rapporteur, pendant plusieurs semaines, les associations de victimes, les services de l'État évidemment, des juristes, des scientifiques, des médecins et de simples vétérans. Elle a reçu de nombreuses contributions de Polynésie, de Bretagne et d'ailleurs. J'ai tiré de ces auditions le sentiment qu'il restait encore des ambiguïtés et des équivoques qu'il convenait de lever.

Votre commission a d'abord introduit clairement dans le dispositif un système de présomption de causalité parce que le texte qui nous était transmis comportait des ambiguïtés. D'un côté, le dispositif semblait organiser un système de présomption de causalité : on ne demandait plus aux victimes de prouver que leur maladie provenait des essais nucléaires. D'un autre côté, une fois les conditions remplies, on ne présumait rien. Le terme de « présomption » ne figurait pas dans le projet de loi. On était, selon une expression utilisée lors des débats à l'Assemblée nationale, dans une « quasi-présomption » : une catégorie juridique nouvelle, inconnue des livres de droit où existent la présomption simple, la présomption irréfragable mais non la quasi-présomption.

En outre, le texte prévoyait que le comité examinait si, « compte tenu de la nature de la maladie et des conditions d'exposition de l'intéressé, le lien de causalité entre la maladie et les essais pouvait être regardé comme possible ». Autrement dit, quand vous remplissiez les conditions, vous aviez droit à ce que votre dossier soit étudié par un comité qui décidait souverainement du caractère possible ou non de la causalité.

A l'article 3, on était encore dans la logique d'une présomption de causalité, dans l'article 4, on n'y était plus. Votre commission a adopté une rédaction qui réconcilie l'article 3 et l'article 4, associant un principe de présomption à une étude au cas par cas, c'est-à-dire, d'une certaine façon, la générosité avec la rigueur. Aux termes de notre texte, si vous remplissez les conditions, vous bénéficiez d'une présomption de causalité, sauf si le comité, compte tenu des caractéristiques de la maladie et des conditions d'exposition, évalue que le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable. C'est une clarification importante. Si on remplit les deux conditions -souffrir d'un cancer, avoir été dans des zones de retombées radioactives aux dates précisées par le texte-, le doute doit bénéficier aux victimes. C'est là la vraie rupture avec le système actuel.

Mais il me semblait juste de définir les modalités de la preuve contraire de façon à ce que celle-ci soit possible. L'introduction de la notion de risque attribuable correspond à la volonté de coller au plus près de la réalité de l'examen des dossiers et de fonder l'élaboration de la preuve contraire sur une analyse scientifique afin d'éviter tout arbitraire. La démarche à laquelle invite le texte de la commission consiste à évaluer, au regard des connaissances épidémiologiques, dans quelle mesure l'exposition de la victime a accru son risque de cancer. Lorsque ce risque attribuable à l'exposition aux rayonnements ionisants est tellement faible que le lien entre la maladie et l'exposition n'est plus vraisemblable, la présomption pourra être écartée. A l'inverse, si ce risque n'est pas négligeable ou s'il y a un doute, la victime bénéficiera d'une présomption et sera indemnisée.

Sur l'organisation du comité d'indemnisation, votre commission n'a pas bouleversé l'architecture du texte et elle n'a pas souhaité transformer le comité en un établissement public autonome. On a créé un fonds pour l'amiante parce qu'il y avait des responsabilités partagées, des ressources financières venant du privé comme du public.

Il n'y a dans ce dossier qu'un responsable, le ministère de la défense ; qu'un budget, celui de la défense. La création d'un fonds n'est donc pas nécessaire, qui risquerait en outre de retarder la mise en place du dispositif. Souvenons-nous que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a mis deux ans à voir le jour. Le texte, lui, sera opérationnel dès janvier prochain.

La commission a été saisie d'une demande des associations qui souhaitent faire partie du comité d'indemnisation, qui fonctionnerait ainsi en quelque sorte sous la surveillance des demandeurs et bénéficierait de leur connaissance des réalités du terrain. Mais le texte a une vraie cohérence : le rôle des associations est de soutenir les victimes et d'assurer le suivi, non de se substituer aux experts pour instruire les dossiers.

La commission a en revanche été sensible à la nécessité d'accroître l'indépendance du comité vis-à-vis du ministère. Il n'y a ici aucun procès d'intention, mais un certain passif... Nous avons ainsi prévu que les experts médicaux seront nommés conjointement par les ministres de la défense et de la santé sur proposition du Haut conseil de la santé publique et non plus par le seul ministère de la défense. Pour conforter le rôle de soutien aux victimes des associations, la commission a prévu que les demandeurs puissent être assistés par la personne de leur choix et que le comité de suivi, dont les associations sont membres, puisse s'autosaisir sur demande de la majorité de ses membres. Ainsi chacun est-il dans son rôle.

La commission s'est d'autre part attachée à asseoir le dispositif sur des bases juridiques indiscutables. Si l'on veut que le texte mette fin aux soupçons et aux contentieux, il doit s'inscrire dans le droit commun de la responsabilité. Dans cette perspective, la commission aurait souhaité que l'article premier prévoie l'indemnisation du préjudice propre des ayants droit -celui de la femme qui doit s'occuper de son mari handicapé par la maladie ou encore la douleur d'un enfant qui a perdu son père à l'adolescence. Ce sont de vrais préjudices, des situations de détresse qui trouvent leur origine dans le même fait générateur, l'exposition à des rayonnements ionisants. Notre amendement a malheureusement été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. Il me semblait pourtant régler un problème moral et un problème d'équité. Comment justifier que l'on indemnise les victimes par ricochet de l'amiante et pas celles des essais nucléaires ? (M. Daniel Raoul approuve) Je veux toutefois rassurer les familles des victimes qui pourront, sur le fondement de l'indemnisation obtenue, requérir devant le juge, dans un deuxième temps, la réparation de leurs préjudices propres. Ce texte, qui permet un examen plus rapide et plus juste du préjudice des victimes directes, leur facilitera la tâche.

Quelques inquiétudes subsistaient après les débats à l'Assemblée nationale, sur les recours juridictionnels, les délais de réponse et les droits de la défense. Certaines peuvent être apaisées par le rappel du droit commun, d'autres ont conduit la commission à adopter quelques modifications pour faciliter le travail du comité ou renforcer les droits de la défense. Elle a en particulier prévu que le décret d'application devra préciser les modalités assurant le respect du contradictoire et des droits de la défense. Elle a également souhaité que la décision de rejet du ministre soit motivée.

Au total, nous avons consolidé le texte, nous avons préservé l'équilibre et l'efficacité du dispositif et nous en avons assuré la sécurité juridique. Mettre fin aux contentieux pour les victimes comme pour l'État : voilà la ligne de crête sur laquelle nous avons essayé de tracer notre chemin.

Il vous reviendra, monsieur le ministre, de publier les décrets d'application. Dois-je insister sur le pluralisme qui doit présider au choix des cinq sièges dédiés aux associations de victimes dans la commission de suivi ? Pour établir la liste des cancers susceptibles d'être radio-induits, la loi vous invite à vous appuyer sur les travaux de l'Unscear ; je relève que le groupe 3 de la liste de l'Unscear comporte le myélome et le lymphome, que retient le système américain. Qu'en sera-t-il de la liste française ?

Cette loi peut faire date et tourner la page des essais nucléaires dans l'honneur. La France a été grande dans le défi scientifique, technologique et humain. Elle a été grande dans le défi politique et stratégique, elle doit désormais être grande dans sa volonté de réparer ses erreurs. Le Sénat peut et doit y contribuer.

Je remercie les représentants des associations, les services de l'État ainsi que le président de la commission et les membres de celle-ci. Je remercie tous ceux qui, tout à l'heure, voteront un texte très attendu, qui est à l'honneur de notre pays. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Ce texte traite d'un sujet complexe qui mêle santé, science et défense. Il doit permettre de réparer les erreurs d'hier et de prévoir les évolutions qui pourraient survenir demain. C'est un texte délicat car il a à voir avec la construction de la puissance française, avec le progrès technique, avec des drames humains. C'est un texte important pour la France, qui s'honore en reconnaissant sa responsabilité dans les souffrances que subissent aujourd'hui ceux qui l'ont servie hier ; important vis-à-vis des autres puissances nucléaires qui se sont déjà dotées d'un dispositif d'indemnisation efficace ; important surtout pour les victimes. Après des années d'opacité et de tabou, c'est un texte de reconnaissance des conséquences sanitaires des essais, de reconnaissance aussi à l'égard de ceux qui ont contribué à assurer la sécurité du pays. La France leur doit juste réparation et gratitude. L'insertion par l'Assemblée nationale du mot « reconnaissance » est lourde de sens.

Texte de portée symbolique, il apporte aussi une réponse concrète aux difficultés rencontrées par les victimes pour faire reconnaître leurs droits. Le système actuel de prise en charge est long et complexe ; plus grave, il laisse peu de chances aux victimes de voir leurs demandes aboutir. Militaires et personnels civils sont d'ailleurs traités différemment : je sais, monsieur le ministre, que vous voulez mettre un terme à cette situation inique. Les démarches aujourd'hui sont difficiles ; la plupart des demandeurs sont déboutés, qui ne peuvent établir un lien de causalité inattaquable entre leur maladie et l'exposition à des rayonnements ionisants. Il est insupportable que seules 21 pensions soient versées sur les 355 demandes de pensions militaires d'invalidité au titre de maladies liées aux essais nucléaires ; 134 demandeurs vivent actuellement un recours contentieux épuisant et douloureux.

Ce texte est l'aboutissement de très nombreux travaux, des initiatives des associations de vétérans, des propositions de loi, des efforts du Médiateur de la République et surtout de la volonté de l'État. Il unifie les procédures quels que soient la nationalité, le rôle ou la profession du demandeur. C'est un grand progrès. Il crée un seul comité d'indemnisation spécifique et indépendant pour l'ensemble des victimes. Surtout, innovation majeure, il inverse la charge de la preuve : les demandeurs devront seulement attester de leur présence dans les zones potentiellement contaminées et de l'existence d'une maladie radio-induite. Le dispositif permet enfin une réparation intégrale.

La déclaration d'urgence était nécessaire pour les victimes, qui n'est cependant pas précipitation. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale renforcent la portée du texte : modification de la liste des pathologies visées et des zones susceptibles d'avoir été exposées, meilleur encadrement de la procédure, renforcement des droits des demandeurs -notamment le respect du principe du contradictoire. La participation des associations de victimes au comité de suivi est en outre très opportune.

Certains points ont fait débat en commission. Il me semble d'abord qu'on ne doit pas renoncer à la création d'un comité composé de personnalités indépendantes et financé au sein d'un programme du ministère de la défense. Contrairement à l'indemnisation des victimes de l'amiante, il n'y a ici qu'un seul responsable, le ministère ; le nombre de demandeurs est en outre limité. Le dispositif proposé devrait permettre de répondre efficacement et rapidement aux demandes sans passer par la création d'un fonds spécifique.

La nomination conjointe des experts médicaux par les ministres de la Défense et de la Santé, sur proposition du Haut conseil de la santé publique, apportera une garantie satisfaisante d'indépendance.

La commission des affaires étrangères a apporté au texte des modifications bienvenues, notamment le droit pour tout demandeur d'être accompagné par la personne de son choix. J'approuve également la rédaction de l'article 4 créant une présomption de causalité pour toutes les victimes remplissant les conditions de l'indemnisation, sauf lorsque le comité estime négligeable le risque lié aux essais nucléaires. Cette rédaction claire et équilibrée est cohérente avec les articles 1 et 3.

Ce texte comporte un dispositif d'indemnisation efficace et rapide.

Pour conclure, je salue la mobilisation des associations de vétérans et de victimes, les initiatives parlementaires et le travail du Médiateur de la République, sans méconnaître votre engagement, monsieur le ministre. Avant même d'occuper vos fonctions, vous vous étiez investi pour réparer l'inacceptable oubli longtemps réservé aux victimes. Avec ce projet de loi, la Grande Muette reconnaît solennellement qu'en agissant pour la France, elle a meurtri ceux qui l'ont servie ainsi que les populations civiles. La publication en 2006, par le ministère de la défense, de l'ouvrage intitulé La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie a brisé un tabou et mis fin à une opacité qui avait trop duré. Le discours sur la prétendue innocuité des essais a ulcéré les victimes, qui exigent une juste réparation mais aussi la vérité.

Ce geste de reconnaissance, qui honore le ministère, est le signe d'une évolution pérenne vers une défense professionnalisée, ouverte et transparente, donc soutenue par la population.

Le groupe de l'Union centriste soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. André Vantomme.  - La France a trop longtemps nié les conséquences graves pour la santé humaine et pour l'environnement des essais nucléaires...

M. Hervé Morin, ministre.  - Pas de tous !

M. André Vantomme.  - ...réalisés pendant la seconde moitié du XXe siècle. Ainsi, la République a méconnu le prix de la force de dissuasion nucléaire. Pourtant, les femmes et les hommes ayant participé -directement ou non, volontairement ou non- aux évolutions de cette force ont risqué gros. Certains ont contracté une maladie radio-induite.

Nous connaissons tous l'histoire commencée le 13 février 1960 avec l'explosion de Gerboise bleue, qui a permis à la France d'intégrer le groupe des puissances nucléaires. C'était le premier d'une série de 45 essais atmosphériques. Entre 1960 et 1996, la France a réalisé 210 essais atomiques, d'abord sur des sites sahariens, puis en Polynésie française. En 1992, le président Mitterrand a décidé un moratoire, puis le président Chirac a ordonné une dernière campagne d'essais souterrains en 1995. Depuis son adhésion, en 1996, au traité d'interdiction complète des essais nucléaires, la France s'est limitée à des simulations informatiques.

Pendant toutes ces années, les conséquences sanitaires et environnementales des essais ont été un sujet tabou. Après de longues années de déni, la vérité est aujourd'hui mieux connue. Les associations de victimes, les populations polynésiennes et les élus ont réclamé avec force que l'État change d'attitude. Le temps de la reconnaissance et de la réparation est venu. Collectivement, nous aurions dû agir plus tôt.

Aujourd'hui, la République ne doit plus fuir la réalité : elle doit dire la vérité, assumer les douleurs endurées par les victimes et leur rendre justice. Le moment est venu d'en finir avec le silence sur cette douloureuse question.

Je suis d'accord avec le rapporteur lorsqu'il se prononce pour un système d'indemnisation efficace et juste, fondé sur des critères clairs et objectifs permettant à une procédure rigoureuse et transparente de déterminer une indemnisation proportionnée au préjudice subi.

Le projet de loi remplit-il ces conditions ? Pas totalement car le ministre n'a malheureusement pas accepté toutes les bonnes orientations du rapporteur, notamment l'indemnisation du préjudice propre des ayants droit, que nous voudrions formellement reconnaître.

Je vous proposerai aujourd'hui des amendements qui tendent à corriger certaines carences flagrantes du projet pour affirmer non seulement une reconnaissance symbolique mais aussi le droit à l'indemnisation.

Il ne me semble ni étrange ni déplacé qu'après tant d'années, les associations éprouvent une méfiance certaine envers notre État, qui a si souvent méconnu leurs souffrances. Les États-Unis et le Royaume-Uni disposent de procédures d'indemnisation. En France, tous les gouvernements sont restés sourds sur ce dossier si bien que nous devons le débat d'aujourd'hui à deux associations : Aven, en métropole ; Mururoa e tatou, en Polynésie. Ce texte a déjà parcouru un long chemin jalonné par de nombreuses propositions émanant des associations, de parlementaires, d'élus polynésiens et même du Médiateur de la République. Quatre propositions de loi ont été déposées au Sénat depuis 2002, outre une demande de création de commissions d'enquête parlementaire.

Je dois aussi reconnaître la contribution du ministre de la défense.

M. Hervé Morin, ministre.  - Merci.

M. André Vantomme.  - Je m'associe aux propos tenus par le rapporteur sur ce point car vous avez levé, au sein du ministère, les obstacles qui avaient paralysé vos prédécesseurs. Aujourd'hui, je vous demande encore un effort pour apporter enfin justice et vérité aux victimes.

En effet, l'attribution d'une pension aux personnes souffrant d'une maladie radio-induite est par trop complexe. S'ajoute une sensible différence de traitement entre militaires et civils.

Cette loi doit créer un droit à réparation intégrale des préjudices subis par les participants aux essais mais aussi par les populations victimes de maladies radio-induites ; plusieurs milliers de personnes pourraient être concernés.

Les vétérans et leurs descendants doivent être indemnisés. Il faut donc en finir avec les obstacles que les victimes doivent surmonter pour faire valoir leurs droits. Lourd, coûteux, injuste et aléatoire, le système actuel introduit des différences selon le statut des victimes et les juridictions saisies.

Nous voulons instaurer un régime d'indemnisation juste, rapide et facile à mettre en oeuvre. Or, le mécanisme proposé est par trop ministériel. Les associations de victimes doivent intégrer le comité d'indemnisation. Pendant trop d'années, elles ont eu l'impression que l'État leur tournait le dos, qu'au lieu de les protéger, il tendait à les enserrer dans un labyrinthe de procédures longues, pénibles et injustes. Il faut comprendre ce sentiment né d'une pratique affligeante. Doit-on s'étonner qu'elles dénoncent un schéma qui persiste à les exclure ? Il faut écarter les doutes pouvant planer sur le comité chargé d'instruire les demandes, donc garantir l'indépendance de leurs membres envers les ministères concernés. Le Médiateur de la République l'a réclamé.

M. Hervé Morin, ministre.  - Ce n'est pas une référence absolue...

M. André Vantomme.  - C'est pourquoi je souhaite rééquilibrer la composition du comité. De son côté, la commission de suivi devrait s'intéresser, avec la participation de représentants des associations, aux conséquences médicales et environnementales des essais nucléaires.

En outre, je suis favorable à la présomption du lien de causalité entre la maladie et les essais nucléaires. Ainsi, nous proposons d'inscrire clairement dans la loi la présomption de lien de causalité entre la pathologie et la présence dans des zones de retombées radioactives, comme l'ont décidé les pays anglo-saxons.

Nous demandons aussi la création d'un fonds d'indemnisation doté de la personnalité juridique.

Pour que ce projet de loi apporte une réponse concrète aux victimes, il doit mettre à leur disposition un dispositif efficace et simple que le ministère de la Défense ne pourra utiliser pour contenir le nombre des demandes acceptées. Pour les victimes, être indemnisé est un droit, non une possibilité !

Nous approuvons que la commission créée à l'article 7 suive les modifications apportées à la liste des maladies radio-induites.

Il est nécessaire de vérifier régulièrement que le dispositif tienne compte de l'évolution des données scientifiques et médicales afin d'adapter en conséquence la liste des maladies radio-induites. Cette commission devrait également assurer un contrôle continu des conséquences environnementales sur les lieux concernés et veiller à la mise à jour des zones et des périodes visées par la loi.

Les ayants droit doivent obtenir réparation en tant que victimes d'un préjudice propre. Nous déplorons que cette disposition ait été écartée en commission en vertu de l'article 40. Monsieur le ministre, comment allez-vous prendre en compte le droit à réparation pour les préjudices personnels et économiques éprouvés par les proches des victimes ? Par un amendement, je souhaite que soit créé un titre de reconnaissance de la Nation pour les personnels militaires et civils ayant participé aux essais nucléaires.

Pour ce qui est de la délimitation des zones et des périodes, nous désirons éviter tout effet réducteur excluant certaines victimes du dispositif d'indemnisation. Grâce aux amendements proposés par le rapporteur, le texte a été amélioré en commission. Toutefois, la démarche du ministre de la Défense et du Gouvernement au sujet de la présomption ne nous satisfait pas. J'espère que nos propositions et celles des associations, souvent concordantes, seront entendues afin que nous aboutissions à une procédure efficace au service des victimes. Ce sera justice. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Yvon Collin.  - La politique géostratégique de la France d'après-guerre a justifié un programme d'essais nucléaires au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996, au cours duquel 210 tirs ont été réalisés. II ne s'agit pas aujourd'hui de remettre en question cette politique de défense dans le contexte particulier de la guerre froide. Elle a été confirmée par tous les présidents de la République jusqu'à la décision prise par Jacques Chirac d'interrompre les essais après une dernière campagne en 1995 et 1996. Ce partage des responsabilités présente au moins l'avantage de n'exonérer personne du devoir de reconnaissance et d'indemnisation.

En revanche, nous pouvons nous interroger sur la légèreté de la protection des personnes. Nul n'ignorait les risques que ces essais pouvaient faire peser sur les militaires et les civils. En 1958, le ministère de la Défense a créé une commission consultative de sécurité et des normes d'exposition ont été définies dès 1954. Ces dispositifs témoignent bien d'une conscience des risques sanitaires encourus par les populations. II est difficile de concevoir que l'État ne savait pas. Le rapport sur les essais nucléaires de la commission d'enquête de l'Assemblée de Polynésie fait pourtant état de témoignages édifiants sur le caractère dérisoire des abris antiradiations conçus pour la population civile -parfois de simples hangars agricoles !

Des incidents et des accidents se sont produits : le 1er mai 1962, un nuage radioactif s'est échappé de la galerie de tir ; entre 1961 et 1966, 4 tirs en galerie n'ont pas été totalement confinés. Les retombées radioactives sur les archipels habités de la Polynésie française ont forcément eu des répercussions sanitaires. Mais il aura fallu attendre treize ans après le dernier essai pour que le Parlement soit enfin saisi d'un projet de loi. Ce projet était très attendu par les parlementaires de tous les bancs, et notamment les radicaux de gauche, et par les victimes des essais, dont beaucoup se sont engagées dans des procédures judiciaires longues et coûteuses.

La jurisprudence est de plus en plus convaincue du lien de causalité entre l'exposition aux rayonnements et les pathologies radio-induites. Les victimes ont-elles d'autres choix que celui d'aller devant les tribunaux ? La lourdeur et la complexité des dispositifs d'indemnisation sont décourageantes. Plusieurs systèmes coexistent : celui du personnel civil relevant du régime général de la sécurité sociale, celui des agents relevant du régime de sécurité sociale de la Polynésie française ou celui des militaires. Ainsi se crée une ligne de fracture entre des catégories de victimes qui partagent pourtant la même souffrance.

II est plus que temps d'instaurer un dispositif d'indemnisation unique et de confirmer le lien de causalité entre les essais et les maladies radio-induites. Ce projet de loi reconnaît la responsabilité de l'État, ce que d'autres pays ont fait bien avant nous -l'Australie, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Et on ne peut que regretter que ce texte soit, une fois de plus, l'aboutissement de la combativité des victimes, de la pugnacité des associations et de la mobilisation des élus. Longtemps, le Gouvernement a prétexté le manque de données scientifiques sur ce lien de causalité, mais il existe aujourd'hui un consensus en faveur de la création d'un système d'indemnisation.

A l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, le texte a évolué favorablement, notamment sur le principe du débat contradictoire, l'encadrement des délais d'instruction des dossiers et la création de la commission consultative. Au Sénat, la légendaire sagesse des membres de notre assemblée devrait nous permettre d'aller encore plus loin. La commission des affaires étrangères a fait quelques pas, mais des petits pas, en posant le principe de présomption de causalité. Nous en sommes satisfaits.

En revanche, de nombreux amendements déclarés irrecevables seraient allés au bout de la reconnaissance et de l'indemnisation des victimes. L'équité serait mieux assurée si vous teniez compte des ayants droit et des personnes qui ont séjourné ou travaillé sur les sites après les essais. La justice serait plus certaine si vous amélioriez la délimitation des zones géographiques concernées, tel l'atoll de Hao, que vous morcelez. L'indépendance serait mieux garantie si vous acceptiez l'idée d'un fonds spécifiquement dédié à l'indemnisation des victimes plutôt qu'une structure étatique dans laquelle le décisionnaire est le payeur.

Nous n'aurons malheureusement pas la possibilité de discuter de tous ces points. C'est bien dommage car il est question ici d'humanité, de souffrances, de douleurs, de drames ayant affecté les populations civiles et les vétérans, qui ne pourront jamais être réparés. Nous ne pourrons pas non plus revenir sur la détresse des veuves, des enfants et de tous ceux qui perdu un proche ou un ami. Nous ne pouvons pas refaire l'Histoire, mais nous pourrions au moins apporter une juste réparation et une véritable reconnaissance des conséquences des essais nucléaires. C'est pourquoi, si nous devons en rester là, mon groupe, dans sa très grande majorité, s'abstiendra sur un texte qui ne va pas aussi loin que nous l'aurions souhaité. (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

M. Guy Fischer.  - Le temps me manque pour rappeler l'ampleur de la mobilisation qui a abouti, presque cinquante ans après le premier essai nucléaire, à la présentation par le Gouvernement d'un projet de loi a minima. Il aura fallu le regroupement des victimes au sein d'associations telles que l'Association des vétérans des essais nucléaires, l'Aven, le travail des parlementaires, la création, en juin 2008, du comité « Vérité et justice » avec Hélène Luc, des personnalités comme Raymond Aubrac, Mgr. Gaillot, le professeur Parmentier, Simone de la Bollardière, Abraham Béhar, le soutien d'organismes comme l'Union française des associations de combattants et de victimes de guerre (Ufac), l'Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre (Arac), Handicap International, l'investissement du Médiateur de la République pour qu'éclate la vérité. Il aura fallu que la presse, les artistes, les cinéastes s'en emparent pour que votre Gouvernement accepte de considérer les souffrances des 150 000 travailleurs présents sur les sites d'expérimentation. Notre pensée va aussi aux populations polynésiennes et du Sahara.

Vous êtes cependant, monsieur le ministre, resté dans le déni, y compris en présentant votre projet de loi.

A l'Assemblée nationale, vous affirmiez que la plupart des personnels n'avaient souffert d'aucune exposition. N'est-ce pas là ajouter aux souffrances physiques et psychiques vécues par ces vétérans, une sorte de culpabilité engendrée par le déni ? De telles souffrances ne peuvent être atténuées que par la reconnaissance et la réparation. Car c'est un véritable droit à réparation qu'exige la situation des victimes des essais nucléaires.

J'ai eu de multiples occasions de m'en entretenir avec ces victimes, avec des veuves, des orphelins. J'ai connu l'Aven, association née à Lyon en 2001, à ses débuts, et je tiens à saluer ici la ténacité de son actuel président, Michel Verger, qui a succédé au président Jean-Louis Valatx, malheureusement décédé d'un cancer radio-induit, de Bruno Barillot, qui a participé activement à la commission d'enquête décidée par le président Témaru et Maître Jean-Paul Teissonnière, leur avocat. Je voudrais également souligner le rôle important joué par Mururoa e Tatou, seule association représentative de la population polynésienne, son président, Roland Holdham, et le Pasteur John Doom. Je me suis investi à leurs côtés, avec les collègues de mon groupe. Je salue le travail précurseur de ma collègue Marie-Claude Beaudeau et l'action exemplaire d'Hélène Luc, présente dans notre tribune. Elles eurent l'initiative, dès 2003, des premières propositions de loi. D'autres ont suivi, émanant de toutes les familles politiques. Elles déboucheront, chose rare, sur une proposition de loi commune. Nous avons même travaillé avec le ministère et les échanges, parfois, furent vifs...

Hélas, monsieur le ministre, dès la présentation de votre texte, les intéressés ont vite compris que ce projet de loi n'était pas à la hauteur. Certes, il avait le mérite d'inverser la charge de la preuve mais ne créait pas pour autant un véritable droit à réparation. Certes, les travaux de l'Assemblé nationale l'ont amélioré -dates, périodes et conditions d'indemnisation, délimitation des zones concernées, possibilité donnée aux ayants droit de déposer un dossier, liste des maladies, création d'un comité de suivi dont feraient partie les associations.

Quant aux travaux de notre commission, outre quelques avancées mineures, ils auront essentiellement permis la suppression du terme « directement » concernant l'exposition aux radiations et l'introduction d'une présomption de lien de causalité entre certaines maladies et les essais. Mais les questions essentielles ne sont pas prises en compte. La présomption d'un lien de causalité ne sera pas inscrite formellement dans la loi, au risque d'une multiplication des recours. Vous persistez à refuser la création d'un véritable fonds d'indemnisation autonome doté d'une capacité juridique propre et incluant en son sein les associations de victimes. Vous avez opposé l'article 40 aux amendements concernant la réparation des préjudices propres pour les veuves et les ayants droit et la création d'un dispositif de retraite anticipée. Vous rejetez tout élargissement des compétences de la commission de suivi aux conséquences épidémiologiques et environnementales des essais. Quel mépris pour les victimes ! Et la somme inscrite au projet de loi de finances -10 millions d'euros- laisse présager que le nombre de dossiers estimés recevables sera limité.

Ce texte, prétendez-vous, assure réparation intégrale des préjudices. Toutes les victimes seront prises en considération sans discrimination. Je le conteste. Que faites-vous des souffrances des populations sahariennes et polynésiennes. Ces dernières méritaient un article spécifique. Comment ces personnes, sans même parfois d'acte de naissance, pourraient-elles prouver avoir séjourné sur les territoires visés ? Où sont les moyens pour établir un bilan de santé d'une population restée en contact avec le matériel contaminé laissé sur place. Même leur barrière de corail a été fragilisée par les essais sous-marins. Et dire que les Polynésiens n'ont pas été reçus par notre commission ! Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour réparer les dommages à l'environnement ?

En opposant l'article 40 aux amendements relatifs aux préjudices propres des ayants droit, que faites-vous sinon renvoyer les familles au droit commun, autrement dit devant les tribunaux dont les rares décisions favorables aux plaignants faisaient l'objet, jusque très récemment, d'appels systématiques du ministère dé la défense, ainsi que l'a rappelé Yvon Collin ?

Réparation intégrale, dites-vous ? Mais pourquoi donc ne pas donner au comité la charge d'organiser un suivi médical indépendant des victimes ?

Selon notre rapporteur, c'est « l'honneur de la République de reconnaître la responsabilité de l'État dans la souffrance que supportent aujourd'hui ceux qui l'ont servie hier ». Las, l'honneur est bien entaché, depuis cinquante ans que dure le mensonge d'État. Alors que le 13 février prochain marquera l'anniversaire de l'opération Gerboise bleue, premier essai nucléaire français dans le Sahara, que de temps perdu pour les victimes et leurs ayants droit, qui se sont sentis abandonnés après avoir accompli leur devoir et dont un grand nombre est déjà décédé. Car nul n'a pu ignorer les conséquences des essais sur la santé des vétérans et des populations alentour. On ne sert jamais la grandeur de l'État au mépris des victimes.

Si ce texte était adopté tel quel, l'État demeurerait juge et partie, procédant, avec ses experts, à un examen au cas par cas des dossiers. Cela serait inacceptable et c'est pourquoi, en notre âme et conscience, nous ne pourrions pas l'adopter. (Applaudissements à gauche)

M. Richard Tuheiava.  - Reconnaître que les essais nucléaires français réalisés en Algérie et en Polynésie, trop longtemps qualifiés d'« essais propres », ont eu des conséquences sanitaires sur les populations locales et les travailleurs des sites est heureux et je vous remercie, monsieur le ministre, de nous permettre de débattre de ce grave sujet.

Je suis né à Tahiti quelques mois seulement avant l'avant-dernier essai thermonucléaire en milieu atmosphérique, dit Centaure, en 1974, qui a eu des retombées jusqu'à Tahiti, j'appartiens à cette jeune génération de ceux que l'on appelle les « enfants de la bombe », qui a vécu la transition d'une société traditionnelle à une modernité marquée par l'arrivée massive de flux financiers en provenance de ce qu'on appelait encore la métropole. Vous comprendrez donc la passion qui anime mes propos.

A partir de la création du centre d'expérimentation du Pacifique, en 1963, et de l'ouverture concomitante de l'aéroport international de Tahiti Faa'a, la Polynésie a connu des bouleversements économiques et sociaux sans précédent, qui n'ont du reste été possibles qu'après que les autorités de l'époque eurent prématurément écarté, dans des conditions infâmes, une figure emblématique du paysage politique polynésien de ces années-là, je veux parler de Pouvanaa Oopa qui avait siégé dans cet hémicycle de 1971 à 1977. Voilà une première vérité.

Entre 1966 et 1996, la France a procédé, en Polynésie, à 193 tirs, soit 46 essais aériens et 147 essais souterrains en trente ans.

Ce sont donc 46 déflagrations thermonucléaires atmosphériques suivies de champignons qui se sont élevés à plusieurs centaines de mètres d'altitude entre 1966 et 1974, alors même que la Grande-Bretagne et les États-Unis avaient cessé ce type d'essais dès 1963, auxquelles s'ajouteront 147 puissantes secousses géologiques qui ont écumé les magnifiques lagons de Mururoa et Fangataufa pendant trente longues années.

Certains haut personnages politiques de l'époque n'hésitèrent pas à qualifier de « magnifique » un spectacle qu'ils étaient venus admirer sur place avant de plier bagages dès après le premier tir, qui devait, hélas, inaugurer une longue série. Et de Papeete, l'on entendait, venant de plusieurs milliers de kilomètres, un amiral assurer, à la télévision, que toute insinuation sur les retombées nocives des essais nucléaires n'était que « faribole, voire propagande, ce qui serait plus grave ». De qui se moquait-on ? Voilà une deuxième vérité.

Notre débat d'aujourd'hui marque bien évidemment un progrès, c'est un beau jour pour l'association Moruroa e Tatou et l'Église protestante M àhi qui l'appuie, pour l'association des vétérans des essais nucléaires, pour le comité de soutien Vérité et Justice, pour toutes les associations qui oeuvrent depuis des années et dont la persévérance et le courage méritent d'être saluées.

Votre texte, monsieur le ministre, vise à mettre fin à un système procédural long, donnant lieu à des jurisprudences différentes, dans lesquelles la faute de l'État n'est parfois même pas reconnue.

Il est louable de vouloir parvenir à un système équitable mais, dans sa rédaction actuelle, le texte n'y parvient pas. Il ne faut pas non plus oublier les hommes, les femmes et les enfants, tous blessés dans leur éthique et meurtris dans leur chair au nom d'une grande Nation dont ils attendaient qu'elle puisse un jour leur reconnaître leur attachement, leur loyauté, mais aussi leur silence. A la veille de présenter votre projet de loi, vous avez estimé, monsieur le ministre que 150 000 travailleurs civils et militaires, sans compter les populations, avaient été victimes de ces essais.

Il est impossible de recenser les travailleurs civils des sites d'expérimentations sans une liste des salariés ayant travaillé à Moruroa, Fangataufa et Hao de 1966 à 1998. Par une question écrite du 23 juillet, j'en ai demandé la communication mais ma demande est restée à ce jour sans réponse.

Quant aux populations touchées, je me refuse à croire que les retombées radioactives s'arrêtent là où l'on prétend qu'elles se sont arrêtées. Il faut en finir avec l'idée que les particules radioactives ont volé d'un endroit à l'autre, en choisissant de ne pas se poser sur telle ou telle île en chemin. Deux rapports publics du ministère de la défense et du Commissariat à l'énergie atomique, de 2007, démontrent d'ailleurs que des retombées radioactives ont été enregistrées sur l'ensemble du territoire de la Polynésie française.

Durant les huit années d'essais nucléaires atmosphériques en Polynésie, la population a inhalé des particules radioactives durant plus de 230 jours ! Dès lors, ce projet de loi, qui détermine des zones géographiques restrictives sur Mururoa, Fangataufa, certaines zones sur Hao et sur Tahiti, relève de l'aberration la plus absolue et de l'injure intellectuelle à l'égard des victimes que l'État est censé reconnaître et indemniser.

Nous demandons aussi l'équité entre les citoyens français, qu'ils soient de métropole ou de Polynésie française. En matière d'assurance maladie, la caisse de prévoyance sociale de Polynésie supporte aujourd'hui les soins des victimes des essais nucléaires. Les dépenses de santé comprenant des prestations en nature et en espèces très onéreuses participent pourtant bien de la réparation intégrale des conséquences sanitaires de ces essais. Ces dépenses sont supportées par la caisse des Polynésiens et par la solidarité des cotisants polynésiens. Dans un courrier adressé au président de l'Assemblée de la Polynésie française, vous aviez confirmé, monsieur le ministre, « qu'il sera possible de rembourser les dépenses effectuées par la Caisse de prévoyance sociale au profit de personnes pour lesquelles le comité d'indemnisation aura reconnu le caractère radio-induit de leur maladie ». Malheureusement, nos amendements en ce sens ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Mais la Polynésie attend que vous confirmiez cet engagement.

Il est de notre devoir de parlementaires de proposer une solution simple pour les victimes. Les essais nucléaires ont laissé des séquelles sur les populations, sur leur mode de vie, mais aussi sur leur environnement. La vérité, c'est que la Polynésie française a été victime des essais nucléaires. C'est la troisième vérité.

Outre la menace de pollution radioactive directe, l'existence de failles dans le sous-sol de Mururoa représente une menace pour l'existence de l'atoll. Quel sera l'impact sur l'éco-système des cavités creusées pour les essais souterrains ? Dans les rapports de surveillance de l'atoll de Mururoa, publiés par le CEA, on peut y lire « qu'une déformation lente de la pente externe [de l'atoll] a été mise en évidence dès la fin des années 70 ».

Dans les stations de surveillance radiologiques des deux atolls de Mururoa et Fangataufa, on a frôlé la panique lors de l'alerte donnée à la suite du tremblement de terre au large des îles Samoa il y a une semaine, non pas à cause du tsunami qu'il a causé mais des risques géologiques encourus par une secousse qui a atteint 8,5 sur l'échelle de Richter. Qui était au courant ? Allons-nous attendre patiemment un nouveau désastre sanitaire à grande échelle à partir de ces deux atolls dans les prochaines décennies en cas de secousse sismique ? Ne serait-il pas temps, monsieur le ministre, de traiter cette question de manière préventive avec la même détermination dont vous avez fait preuve sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires ? Voilà la quatrième vérité.

Dans les prochaines semaines, je soumettrai à la commission de l'économie une proposition de résolution tendant à créer une mission d'information sur les conséquences environnementales des essais nucléaires français sur les atolls de Polynésie et j'espère que le Sénat me soutiendra.

Grâce aux essais réalisés en Algérie et en Polynésie française, la France a gagné le statut de puissance nucléaire et disposé des moyens d'assumer un rôle influent dans le concert des Nations. En partie grâce au Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), la France a aussi développé un complexe militaro-industriel de première importance, ce qui lui a permis de vendre des centrales nucléaires dans le monde entier. Le CEP a donc permis à la France de récolter des centaines de millions de commandes de toutes sortes. Il s'agit de la cinquième vérité.

Pourtant, j'attends toujours une réponse à ma question écrite du 23 juillet 2009 sur une analyse chiffrée des retombées financières et économiques des essais nucléaires français. La France ne s'est-elle jamais penchée sur ces chiffres ? Nous ne le pensons pas. La France ayant gagné beaucoup d'argent grâce à ses essais nucléaires, les victimes de ces essais n'ont donc pas à rougir de solliciter la réparation de leur préjudice ! Les autres grandes puissances nucléaires ont déjà reconnu leur responsabilité envers leurs victimes. Il est grand temps aujourd'hui que cesse ce mythe entretenu pendant quarante ans d'essais « propres » et que la France rende justice aux travailleurs mais aussi aux populations qui en ont subi les conséquences. Georges Pompidou, alors Premier ministre, a déclaré le 25 juillet 1964 devant l'Assemblée territoriale de Polynésie : « Il est bien entendu que la France n'entreprendra jamais, nulle part, et notamment pas dans ses territoires de Polynésie, la moindre expérience nucléaire si elle devait présenter un danger quelconque pour la santé des populations de ces territoires ». L'histoire a montré qu'il n'en a rien été. Les Algériens et les Polynésiens ont été mis en danger en toute connaissance de cause. Voilà la sixième vérité !

Cela fait beaucoup de vérités enfouies. Mais nous savions qu'aborder un tel sujet, c'était ouvrir la boîte de Pandore. Chantre des droits de l'Homme dans le monde, notre Nation admet aujourd'hui que ces essais ont fait des victimes. Elle doit donc indemniser les vétérans civils et militaires et les populations voisines de ces anciens sites. Des considérations budgétaires ne seraient pas de mise, du fait des retombées économiques de ces essais.

Il reste une septième vérité : tiendrez-vous, monsieur le ministre, les engagements qui figurent dans le décret d'application que vous annoncez ? L'honnêteté intellectuelle et le sens des responsabilités économiques de mes collègues du groupe socialiste militent pour que je ne conteste pas le mérite de ce projet de loi. Mais certaines insatisfactions en matière de délimitation de zones géographiques et l'absence de reconnaissance des préjudices propres des ayants droit, deux points fondamentaux, me poussent à m'abstenir. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

M. André Dulait.  - (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite) Comme l'a dit notre rapporteur, après une longue période d'attente, ce texte honore le Parlement, le Gouvernement, mais aussi vous-même, monsieur le ministre...

M. Hervé Morin, ministre.  - Merci !

M. André Dulait.  - ...qui avez eu le courage d'aller jusqu'au bout de cette démarche qui n'avait, jusqu'à présent, jamais abouti.

M. Robert del Picchia.  - Très bien !

M. André Dulait.  - Il est important de rappeler les nécessités et les impératifs stratégiques qui ont conduit la France à adopter une politique de défense fondée sur le développement de son arsenal nucléaire. Il y a quarante ans, notre pays a forgé sa stratégie de défense sur une volonté d'indépendance. Dans un contexte géopolitique aussi complexe et mouvant que celui que nous connaissions à l'époque, le choix de se doter de l'arme nucléaire était le bon.

Cette politique de défense nous a permis d'occuper une place reconnue sur la scène internationale, notamment au sein des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle nous a garanti également la préservation des intérêts vitaux de notre pays. Pour y parvenir, la France a procédé à des essais nucléaires dans le Sahara algérien et en Polynésie française. En tout, 210 essais atmosphériques ou souterrains ont été réalisés. Ils ont participé à l'élaboration d'une véritable force de dissuasion nucléaire, pilier de la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.

Cependant, dès que cela a été techniquement possible, la France a eu recours aux simulations informatiques. Parallèlement à ce programme de simulation, la France s'est investie dans le désarmement en adhérant au traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Depuis, elle a arrêté sa production de matière fissile et a engagé le démantèlement des installations du Centre d'expérimentation du Pacifique.

Cette page de l'histoire nucléaire française ne doit pas être appréhendée à la légère. Un simple raccourci entre essais et indemnisation ne correspondrait pas à la réalité. Notre pays n'a pas joué à l'apprenti sorcier. A l'époque, des relevés radiologiques ont été effectués après chacun des essais, des précautions ont été prises et les effets ont été mesurés, recensés et archivés. Des protocoles de protection des personnels ont été mis en place, mais en fonction des données scientifiques disponibles et de l'état d'avancement des connaissances de l'époque.

Des protocoles de protection du personnel ont été mis en place mais les données relatives aux rayonnements ionisants étaient alors loin d'atteindre le niveau des connaissances dont disposent les experts onusiens aujourd'hui. Dès la fin des essais, le Gouvernement a entrepris une évaluation de leurs effets en Polynésie et a lancé de lourds travaux de dépollution des sites d'expérimentation.

En janvier 2004, le Président de la République a souhaité, à la suite de la décision conjointe des ministères de la Défense et de la Santé, la création du Comité de liaison pour le Suivi Sanitaire des Essais Nucléaires (le CSSEN), chargé de dresser le bilan des données disponibles sur les expositions aux rayonnements ionisants durant les essais ; de caractériser les pathologies susceptibles d'être radio-induites ; de définir les catégories des personnes ayant pu être exposées aux rayonnements ionisants.

La Polynésie a connu deux grandes campagnes de réhabilitation des installations de l'ex-direction des expérimentations nucléaires. Ces sujets sont graves et ne doivent pas être abordés sous le prisme réducteur des relations de la métropole avec une collectivité territoriale ultramarine. La première tranche de travaux concernait les atolls de Réao, Tureia et les îles Gambiers, situés à proximité des sites de Fangataufa et de Mururoa. Engagés en mai 2007, les travaux ont duré deux ans pour un coût global de 5 millions prélevés sur le budget de la défense. Les travaux sur l'atoll d'Hao, qui doivent durer sept ans, ont débuté en avril dernier et coûteront 63 millions. Ce grand chantier bénéficiera de la logistique des armées en vue de valoriser les potentialités de l'atoll ; un accompagnement médical sera assuré par la Marine nationale.

En janvier 2009, un comité de suivi du chantier de réhabilitation a été installé par le Haut-commissaire de la République en Polynésie française, le commandant supérieur des forces armées et le vice-président de la Polynésie française. Cinq groupes de travail sont mis en place. Cette opération phare est totalement intégrée au débat engagé en Polynésie française dans le cadre des états généraux de l'outre-mer. Le Gouvernement franchit aujourd'hui un pas supplémentaire, un pas attendu et légitime, en posant le principe du droit à la reconnaissance pour les victimes.

Il ne s'agit pour l'État ni de se dédouaner ni de nier sa responsabilité mais de regarder le passé en face. L'heure est à une reconnaissance officielle, accompagnée par la mise en place d'un mécanisme d'indemnisation des victimes aussi juste que rigoureux. Le chemin aura été long et difficile, tant pour les militaires en poste à l'époque -dont certains ne sont plus des nôtres- que pour les civils. Contrairement aux nombreuses propositions de lois déposées par différents groupes politiques de l'Assemblée nationale ou du Sénat, ce projet de loi concerne les fonctionnaires militaires ou civils ainsi que toute personne ayant séjourné dans ces zones, qui souffrent de pathologies dues à une exposition aux rayonnements ionisants.

Ce texte répond aussi aux difficultés de procédure que pouvaient rencontrer les victimes. A ce titre, je me réjouis du travail du rapporteur de notre commission et du ministre de la Défense, qui ont souhaité traduire dans notre droit commun cette reconnaissance légitime des victimes et rendre plus efficace la procédure d'indemnisation en instaurant un comité d'indemnisation spécialisé dont les membres seront des experts nommés par les ministres de la Défense et de la Santé.

Contrairement à ce qui s'est fait à propos de l'amiante, aucun fonds d'indemnisation ne sera créé. Cela évitera aux victimes, pour qui le temps est déjà assez long, les lenteurs inhérentes à ce type de structure. Il a fallu deux ans pour que le Fiva se mette en place ! L'installation d'une commission consultative de suivi démontre l'implication des associations et des élus à l'origine du texte.

Le groupe UMP votera donc ce projet de loi. Il y va de l'honneur de la République envers ceux qui l'ont servie. Voilà un acte assumé, juste et rigoureux, qui met fin à un tabou. Aussi permettez-moi de vous féliciter, monsieur le ministre, pour votre méthode : vous avez entrepris une véritable coproduction législative, comme en témoignent les réunions de travail organisées depuis décembre 2008 avec les parlementaires de la majorité et de l'opposition ainsi qu'avec les associations et le gouvernement de Polynésie. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Dominique Voynet.  - Nous sommes ici pour établir une vérité et honorer une dette. La vérité, ce sont des faits trop longtemps dissimulés sur les conséquences des choix militaires de notre pays et sur les expérimentations inspirées par ces choix -que je ne partage pas mais là n'est pas la question aujourd'hui. Il me paraît hasardeux d'affirmer que la grandeur de la France serait proportionnelle à son arsenal nucléaire. Son image a même été sérieusement écornée quand le Président Chirac a repris les essais en 1995.

Il y a eu des essais nucléaires au Sahara et en Polynésie, dont ont été victimes des hommes et des femmes. Après trente ans de déni et dix ans supplémentaires d'atermoiements, voici qu'un projet de loi reconnaît ces faits. C'est son premier et principal mérite, même si son titre eût plutôt dû parler de « certaines des » victimes.

Plus de cinquante ans après les faits, la France doit reconnaître la réalité, toute la réalité de son action, et assumer totalement ses responsabilités. Reconnaître que ces essais ont été conduits sans prêter attention à leurs conséquences sur la santé et sur l'environnement, à une époque, il est vrai, où les ministres ne dédaignaient pas de poser virilement devant un champignon nucléaire. Reconnaître que l'armée française a exposé aux radiations trop de ses soldats, sacrifiant leur intégrité physique sous couvert d'intérêt national. Reconnaître qu'avec les retombées radioactives dans l'environnement, ce sont aussi les populations civiles qui ont été sacrifiées, même si l'on fait mine de croire qu'elles étaient informées et consentantes. Reconnaître que la France s'est comportée au Sahara et en Polynésie comme une puissance coloniale, faisant peu de cas du sort de ceux qui avaient le tort de vivre là, et même comme une puissance corruptrice déversant des sommes considérables pour étouffer les scrupules de ceux qui en avaient et trouver en Polynésie même des alliés, qui ont ainsi assuré leur mainmise sur le territoire.

M. Didier Boulaud.  - Des noms !

Mme Dominique Voynet.  - Je mesure la portée de ce texte et combien le rappel de ces fautes est douloureux à entendre. M. Morin l'a rappelé à juste titre : tous les gouvernements successifs ont buté sur ce point. Cela a été objecté à Mme Demessine. J'appartenais au même gouvernement qu'elle et je puis vous parler de la brutalité avec laquelle le ministère de la Défense d'alors refusait même de communiquer les dossiers médicaux des personnes touchées.

J'ai compris qu'on aurait aimé un vote tranquille, sobre et consensuel, qui s'en tienne à traiter presque cliniquement le sujet, avec la retenue qui convient pour donner le sentiment de racheter la faute sans avoir à évoquer les agissements du fautif. Mais une part de la dette que notre pays doit honorer tient aux mots que nous saurons trouver ici pour dire ce qui s'est passé durant ces décennies, de la mise en danger des victimes à la dénégation, au mépris des malades, au refus de reconnaître la réalité, armé par la puissance du secret défense. Chacun doit mesurer ce qu'il a fallu de temps, d'énergie et de ténacité pour que les victimes voient enfin ce jour. Certains de ceux qui vont voter ce texte considéraient, il n'y a guère, les victimes avec l'indifférence polie qu'on réserve aux affabulateurs, aux hypocondriaques et tenaient ceux qui les défendaient pour des manipulateurs et des procéduriers. Ces affabulateurs et ces manipulateurs, je les salue, ils sont là aujourd'hui, dans les tribunes, ils sont médecins, avocats, syndicalistes, journalistes, représentants des églises polynésiennes.

Certains refusent une législation mémorielle. Leurs préventions sont légitimes : le Parlement ne légifère pas pour la mémoire mais pour la justice. Cela requiert d'abord de reconnaître la vérité. Ce n'est pas Jacques Chirac qui a décidé de mettre fin aux essais nucléaires, comme nous l'avons entendu dire, mais François Mitterrand. (M. Didier Boulaud le confirme et applaudit) M. Chirac a recommencé les essais, avant des les arrêter devant l'ampleur des protestations en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe. Il faut aussi reconnaître le préjudice moral, sanitaire et environnemental subi par la population polynésienne et par le personnel civil et militaire des sites et répondre favorablement à la demande des victimes de se voir témoigner la reconnaissance de la Nation : un amendement en ce sens a été accueilli avec sympathie par M. le rapporteur ; souhaitons qu'il soit unanimement approuvé.

Il faudrait également élargir le champ de ce projet de loi et passer, comme le demande avec insistance le Médiateur de la République, d'une logique d'indemnisation financière à une logique de réparation. Le Gouvernement et la majorité s'y refusent et s'en tiennent aux mesures qui relèvent strictement de la responsabilité de l'État employeur.

Je regrette que ce texte ne prenne pas suffisamment en compte la situation des ayants droit et fais miennes les remarques de M. le rapporteur sur la détresse et la solitude des veuves, des orphelins et des parents qui donnent naissance à un enfant présentant une déficience immunitaire ou une poly-malformation. Il avait déposé en commission un amendement qui visait à combler ces lacunes et avait recueilli l'assentiment de tous les groupes ; mais cet amendement a été déclaré irrecevable en vertu de l'article 40, au motif qu'il créait une nouvelle charge pour l'État. Cette décision fut prise sans donner lieu à aucun débat ni être susceptible d'appel, alors même que la commission des finances ne siège pas ! Il suffit donc qu'un fonctionnaire invoque l'article 40 pour que l'on abandonne une mesure souhaitée par tous les parlementaires ! Mais l'objet même de ce projet de loi n'est-il pas d'augmenter les charges de l'État en l'obligeant à indemniser toutes les victimes des essais ? M. le ministre dit que les ayants droit pourront saisir le tribunal administratif. Croit-il que cela ne coûte rien à l'État ? Faisons donc une étude d'impact : mettons en place pendant quelques années deux procédures d'indemnisation, l'une devant les tribunaux administratifs, l'autre devant le comité d'indemnisation, et nous retiendrons le dispositif le plus efficace et le moins coûteux !

M. Didier Boulaud.  - Bravo !

Mme Dominique Voynet.  - Les associations de victimes partagent cette analyse, ainsi que le Médiateur de la République.

Il faudrait également assurer un suivi médical régulier du personnel civil et militaire des sites -qui comprend, dit-on, 150 000 personnes- et de la population exposée afin de diagnostiquer le plus tôt possible les pathologies et de préserver les chances de survie, voire de guérison des malades. Nous avons aussi besoin d'études épidémiologiques prenant en compte non seulement la radioactivité observée à tel moment et dans tel milieu mais aussi le mode de vie et les habitudes alimentaires des habitants, ou encore certains événements : des matériaux radioactifs ont parfois été réutilisés. Cela permettrait d'en finir avec les caricatures ou les fausses évidences, comme celle qui veut qu'il y ait moins de radioactivité à Mururoa qu'en Bretagne...

Les implantations militaires échappent aux règles régissant les sites nucléaires civils. Souhaitons que cela n'autorise pas une nouvelle fois l'État à nier ses responsabilités puis à indemniser les victimes dans dix ou quinze ans, quand elles auront pris de l'âge. Car il faudra bien un jour reconnaître que des appelés jeunes et peu avertis ont été incités à manipuler du matériel radioactif ! Mais pour l'heure, nous ne savons pas ce qui est stocké dans ces sites.

Cette loi est un tout premier pas. Souhaitons qu'elle soit bientôt suivie d'avancées plus significatives. (Applaudissements à gauche)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Permettez-moi de relire, à l'intention de Mme Voynet, l'article 45 de notre Règlement : « La commission des finances contrôle la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution. Les amendements déclarés irrecevables ne sont pas mis en distribution. » Je ne peux pas laisser dire qu'un simple fonctionnaire décide de l'application de l'article 40 : c'est le président de la commission des finances qui en porte la responsabilité, conformément à la Constitution. Vous êtes libre de vouloir changer de Constitution mais tant que celle-ci sera en vigueur, nous l'appliquerons ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean Desessard.  - Vous ne l'appliquez pas pour le vote public !

Mme Dominique Voynet.  - Le président de la commission des finances n'est même pas là !

M. Robert Laufoaulu.  - Aujourd'hui nous apportons notre pierre à l'édification d'une grande loi : la reconnaissance du préjudice causé par les essais nucléaires et sa réparation sont une décision qui nous honore et correspond à l'idée que nous avons de la France. Certains diront que notre pays a tardé à regarder en face les conséquences des essais mais aujourd'hui, nous allons par un acte solennel réparer de profondes injustices et sceller, je l'espère, une réconciliation nationale qui nous permettra d'aller de l'avant.

Nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir mené à bien ce projet malgré les obstacles. L'Assemblée nationale a apporté au texte initial des améliorations et notre rapporteur, après avoir entendu les associations de victimes et les élus polynésiens, a proposé d'autres avancées. Elles paraîtront insuffisantes aux yeux de certains, mais les attentes des associations, dont je salue la persévérance, ont réellement été prises en compte.

Notre commission, dans le souci de permettre une juste réparation des préjudices subis, est parvenue à un consensus. Elle a rejeté les mesures susceptibles de retarder l'indemnisation.

C'est une loi majeure qui manifeste la noblesse des intentions de ceux qui l'ont élaborée et la grandeur de notre pays, qui sait tourner une page difficile de son histoire. C'est une profonde satisfaction de savoir que nos soldats et de nombreux civils exposés pourront être indemnisés. Mais je pense qu'ils seront surtout satisfaits de voir la Nation leur manifester sa reconnaissance. Je suis sûr que de très nombreuses victimes souffraient tout autant du sentiment de culpabilité d'avoir participé à des actions néfastes aux personnes et à l'environnement que de leur maladie. Rendons hommage à tous ceux, militaires ou civils, qui ont assuré à notre pays une place prépondérante dans le concert des puissances mondiales. (M. André Dulait se joint à cet hommage)

Nous devons tout particulièrement témoigner notre reconnaissance à la Polynésie française, qui a accueilli les expériences nucléaires. Après le général de Gaulle et le Président Mitterrand, j'ai entendu le Président Chirac déclarer, le 23 juillet 2003 à Papeete, lors du Sommet France-Océanie : « La France ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est sans la Polynésie française. »

Ces essais ont été dommageables aux personnes et à l'environnement. Le préjudice sanitaire est en voie de réparation mais la question du préjudice environnemental demeure pendante. Outre la résurgence possible d'émanations toxiques ou nuisibles provenant des déchets nucléaires enfouis dans les puits d'expérimentation, il faut penser aux dégâts causés par la décontamination et les grands travaux connexes à la construction du centre d'expérimentation.

L'immense zone économique exclusive de la Polynésie française -5 millions de kilomètres carrés, près de la moitié de l'ensemble du domaine maritime de la France- est un patrimoine important pour notre pays et un sujet de fierté pour nous tous. Les habitants de Polynésie française, surtout les plus modestes, tirent une grande part de leur nourriture de la mer. Au cours d'un bref séjour aux îles Gambier en 1988, j'ai eu la tristesse de constater, à Mangareva, Taravai, Aukena comme à Akamaru, que les principaux poissons entrant dans la consommation habituelle des ménages étaient empoisonnés. J'ai entendu pour la première fois des récriminations contre les essais et contre la France : je me souviendrai toujours de cette vieille femme, digne dans son port mais violente dans ses propos, qui accusait la France d'avoir empoisonné les poissons des platiers de son île.

Notre dette à l'égard de ces hommes et de ces femmes qui souffrent dans leur chair est immense : ils paient cher le prix de la grandeur de la France. « II n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance », écrivait La Bruyère. Soyons donc reconnaissants à l'excès envers les victimes afin que nous puissions, une fois le passé assumé, regarder tous ensemble vers l'avenir. (Applaudissements au centre et à droite)

La discussion générale est close.

Mission d'information sur les déchets (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la mission commune d'information sur le traitement des déchets. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame MM. Pierre André, Jean-Etienne Antoinette, Bertrand Auban, Mme Brigitte Bout, M. Dominique Braye, Mmes Béatrice Descamps, Evelyne Didier, MM. Daniel Dubois, Charles Guené, Pierre Hérisson, Jean Milhau, Gérard Miquel, Jacques Muller, Jean-Marc Pastor, Daniel Raoul, Mme Esther Sittler, MM. Daniel Soulage et Alain Vasselle membres de la mission commune d'information sur le traitement des déchets.

Victimes des essais nucléaires français (Suite)

Discussion des articles

Article premier

Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi.

Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit.

Mme Michelle Demessine.  - Cet article premier pose le principe de la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires et établit un droit à réparation au profit des personnes irradiées. Mais il ignore la situation des victimes indirectes et l'indemnisation de leurs préjudices propres, excluant ainsi totalement -ce qui ressort pourtant du droit commun en matière de responsabilité administrative ou de responsabilité civile- que certains ayants droit puissent réclamer pour eux-mêmes une indemnisation du préjudice lié à la perte ou au handicap d'un parent décédé des suites d'une maladie radio-induite. Certes, la douleur d'une veuve, d'un orphelin ou la charge d'un mari invalide, ou bien encore la compensation des pertes de revenus d'un conjoint sont difficiles à évaluer. Mais tout cela est prévu dans notre droit et il n'est donc pas acceptable que l'ensemble des victimes des essais nucléaires, puisqu'elles sont maintenant reconnues, ne soient pas indemnisées. C'est d'autant moins acceptable que certains tribunaux, notamment ceux de la sécurité sociale, ont déjà accordé l'indemnisation du préjudice propre de ces ayants droit. Ce projet de loi créerait un dispositif inférieur à celui, pourtant déjà insuffisant, qui indemnise les travailleurs victimes de l'amiante.

Nous avions donc, par un amendement, permis l'indemnisation des préjudices propres des ayants droit. Mais au prétexte de l'irrecevabilité financière et du refus du Gouvernement de l'accepter, la disposition que nous proposions n'a pas pu être introduite dans la loi. Cela prouve bien que, contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, ces indemnisations ne seront pas totales et elles laisseront du monde sur le côté car vous voulez, en fait, indemniser les victimes que le ministère de la défense reconnaitra lui-même. Cela révèle bien qu'avant même que le nombre exact de victimes soit établi, vous aviez déjà verrouillé le budget d'indemnisation. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)

M. Philippe Madrelle  - Cinquante ans après les premiers essais nucléaires français, il était grand temps d'apporter enfin reconnaissance et justice aux victimes. Comme nombre de mes collègues, j'ai depuis longtemps été attentif au travail effectué par les associations de défense, dont je salue la ténacité. Il était temps d'agir, comme l'ont fait le Royaume-Uni et les États-Unis.

Mais il faut modifier le texte pour affirmer plus fermement la présomption du lien de causalité entre le travail effectué dans les zones d'essai et la maladie contractée. Ce principe doit être inscrit noir sur blanc dans la loi.

Nous nous interrogeons également sur la composition du Comité d'indemnisation : avec les différents représentants des ministres concernés, l'État y est majoritaire et devient ainsi juge et partie. Ce verrouillage est inacceptable. Un fonds d'indemnisation doté d'une personnalité morale et d'une autonomie financière aurait rendu ses décisions dans une plus grande indépendance qu'un comité directement rattaché au ministère. A quelques semaines de l'examen de la loi de finances, et dans le contexte qu'on sait, nous souhaitons que les sommes prévues suffisent pour toutes les victimes que nous avons le devoir d'indemniser.

M. le président.  - Amendement n°31, présenté par Mmes Voynet, Boumediene-Thiery, M. Desessard, Mme Blandin et M. Muller.

Alinéa 1 

Remplacer les mots :

peut obtenir

par les mots :

a droit à

Mme Dominique Voynet.  - Les deux conditions requises -la maladie et le séjour sur les lieux- ne donnent que le droit de déposer une demande d'indemnisation, non le droit d'être indemnisé. Ces deux conditions doivent être non seulement nécessaires mais aussi suffisantes pour avoir droit à réparation.

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Alinéa 1

Remplacer les mots :

peut obtenir

par les mots :

peut bénéficier d'un droit à

M. Richard Tuheiava.  - Amendement de repli : à défaut de « a droit à... ».

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - L'article premier donne un droit mais un droit conditionnel. Avis défavorable au n°31.

Je n'ai pas saisi la nuance introduite par l'amendement n°14. Il dit autrement la même chose que l'article premier. Je préfère la rédaction initiale, plus économe en mots. Avis défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Mêmes avis.

M. Guy Fischer.  - Le ministre ne prend même pas la peine d'argumenter ! Nous devons un peu plus aux vétérans et aux populations sahariennes et polynésiennes et c'est pourquoi nous voterons ces deux amendements. Les scientifiques poursuivent leur recherche et, si la liste de l'UNSCEAR est à ce jour l'instrument le plus approprié, elle a été établie à partir de conditions d'exposition différentes. Des scientifiques et des associations de victimes font valoir qu'il faut aussi inclure dans cette liste des maladies non cancéreuses, et le rapporteur lui-même remarque que certaines pathologies induites par ces essais n'y figurent pas. Nous ne pouvons pas voter tel quel cet article premier.

L'amendement n°31 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°14.

L'article premier est adopté.

Article 2

La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :

1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;

2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans les atolls de Mururoa et Fangataufa ou entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1974 dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire ;

3° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 dans certaines zones de l'atoll de Hao ;

4° Soit entre le 19 juillet 1974 et le 31 décembre 1974 dans certaines zones de l'île de Tahiti.

Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1°, les zones inscrites dans le secteur angulaire mentionné au 2°, ainsi que les zones mentionnées au 3° et au 4°.

M. le président.  - Amendement n°18, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

défini en concertation avec les institutions de la Polynésie française

M. Richard Tuheiava.  - J'avais proposé beaucoup d'amendements auxquels on a opposé l'article 40. Même sur l'élargissement des zones géographiques exposées, on me l'a opposé ! A croire qu'un risque éventuel grèverait le budget de l'État, c'est insensé ! Cet amendement est le seul, sur le zonage, à avoir été retenu. Il demande d'associer le Gouvernement, l'Assemblée et le Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française à la définition des zones exposées pendant la période des tirs atmosphériques.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur  - La définition des zones exposées répond à des critères scientifiques et le ministère de la défense a défini ces zones à partir des relevés dosimétriques. Les décrets d'application seront donc établis à partir des zones décrites à l'article 2 du projet de loi et des relevés dosimétriques. Il n'y a donc pas matière à concertation avec les institutions de la Polynésie française parce qu'il s'agit de données scientifiques dans lesquelles aucune considération politique ne doit interférer. Autant il paraît naturel que ces institutions fassent partie de la commission de suivi, autant leur association à la définition des zones parait inutile.

M. Hervé Morin, ministre.  - J'aurai mot pour mot la même argumentation.

M. Richard Tuheiava.  - Ces propos m'étonnent. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de scientifiques en Polynésie française ? Qu'on ne peut prendre en considération le rapport dont j'ai tout à l'heure fait état à la tribune ? Qu'un zonage plus équitable n'est pas possible ?

L'amendement n°18 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

Le demandeur justifie que la personne visée à l'article 1er a résidé ou séjourné dans les zones et durant les périodes visées à l'article 2 et qu'elle est atteinte de l'une des maladies figurant sur la liste établie en application de l'article 1er.

Mme Michelle Demessine.  - La preuve d'un séjour dans les zones et aux périodes définies par l'article 2 risque d'être, pour certains, difficile à apporter. C'est la raison pour laquelle nous avions voulu ouvrir le droit à réparation aux personnes atteintes d'une maladie radio-induite postérieurement aux dates indiquées, étant entendu que les demandeurs devraient alors prouver que leur maladie est imputable aux retombées des essais. L'article 40 nous a été opposé. Si le Gouvernement reprenait notre proposition, il ferait la démonstration qu'il n'a pas fait le choix d'une indemnisation réduite au minimum budgétairement acceptable.

M. le président.  - Amendement n°19, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Après le mot :

justifie

insérer les mots :

, avec le concours du ministère de la défense,

M. Richard Tuheiava.  - Les enjeux sont tels qu'il faut impérativement faciliter l'accès à la procédure. Certaines victimes ont renoncé à l'engager pendant plusieurs décennies, éprouvant des difficultés psychologiques à agir du fait du secret défense et de la mauvaise perception, par l'armée ou le CEA, des procédures contentieuses à leur encontre.

A la lecture de l'article 3, on comprend que la victime doit justifier par ses propres moyens des conditions de recevabilité de son dossier d'indemnisation. Mais les documents professionnels sont souvent mal conservés ou ont disparu ; pour nombre de vétérans des atolls, il fallait avant tout obéir et faire silence.

J'ai demandé, le 23 juillet 2009, par question écrite au ministre de la défense, de bien vouloir me communiquer la liste des travailleurs salariés ressortissants du régime de prévoyance sociale de la Polynésie française, afin de permettre à la Caisse de prévoyance sociale (CPS) d'évaluer le coût des remboursements de frais médicaux en faveur des ressortissants ayant travaillé sur les sites d'expérimentation. Je n'ai reçu aucune réponse. Or, seuls le ministère de la défense et le CEA sont en possession des éléments qui permettraient aux travailleurs salariés victimes de justifier de leur présence sur les sites et aux périodes prévus par le texte. Le concours du ministère de la Défense n'aurait en l'espèce aucun coût pour le budget de l'État. J'espère que je serai entendu.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Il est vrai que toutes les personnes potentiellement concernées n'ont pas conservé les documents nécessaires. L'amendement est donc opportun, à ceci près qu'il ne concerne pas tout le monde. L'avis de la commission sera favorable si M. Tuheiava accepte de rectifier son amendement pour écrire : « avec le concours, le cas échéant, du ministère de la Défense ». (M. Richard Tuheiava accepte)

M. le président.  - Il s'agira de l'amendement n°19 rectifié.

M. Hervé Morin, ministre.  - Pour bien montrer que le ministère ne cherche pas à réduire le champ de l'indemnisation, je serai favorable à cet amendement. Me demandez-vous cependant de publier une liste de 100 000 noms ? Je sais pourquoi vous me la demandez : pour que la CPS soit au final indemnisée des frais qu'elle a engagés. Mais j'ai déjà indiqué qu'elle le serait. Encore faut-il qu'elle fournisse les éléments nécessaires, que j'attends depuis des mois...

Mme Dominique Voynet.  - M. Tuheiava ne demande pas que des données personnelles soient rendues publiques. La CPS est aujourd'hui incapable de dire, pour chacun de ses affiliés, s'il a séjourné dans les zones et aux dates considérées. Seul le ministère détient ces éléments. Là est le problème.

Sur le fond, deux démarches sont possibles : soit on attend que les demandes se manifestent, qui seront, les années passant, en nombre limité ; soit on fait un travail scientifique pour étudier l'ensemble des populations qui ont été exposées. Dans certains territoires, 90 % à 95 % de la population sont concernés. Pourquoi refuser un véritable dispositif de suivi ? Parce que cela coûte cher ? N'y a-t-il pas là une question de santé publique ?

Il faut aussi considérer que certains parcours de vie sont chaotiques et que la culture du papier n'est pas là-bas ce qu'elle est ici. Certaines personnes auront de grandes difficultés à fournir les documents demandés -documents dont dispose, elle, l'administration en ordre qu'est le ministère de la Défense.

M. Hervé Morin, ministre.  - Nous demandez-vous d'instruire 100 000 dossiers même en l'absence de demandes ? Le texte a fait l'objet d'un large écho médiatique, les personnes concernées sauront qu'elles peuvent engager une procédure -les associations les y aideront, et c'est tant mieux.

Vous réclamez aussi un travail scientifique ; nous avons financé une étude qui a concerné 32 000 vétérans et qui sera bientôt publiée. Je n'imagine pas qu'une personne qui estime devoir être aidée ne se tourne pas vers le comité, pas plus que je n'imagine qu'elle ne puisse s'adresser au ministère si elle éprouve des difficultés à fournir les pièces qu'on lui demande. Vous faites un procès d'intention.

M. Michel Charasse.  - La rectification suggérée par la commission est opportune. J'observe cependant que d'autres administrations que la défense peuvent détenir des éléments utiles. Il vaudrait mieux écrire : « notamment avec le concours du ministère de la Défense et des autres administrations concernées. »

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - L'hypothèse est plausible.

M. Hervé Morin, ministre.  - Si c'est pour être agréable à M. Charasse...

Mme Marie-France Beaufils.  - L'appel au ministère de la Défense n'a malheureusement pas toujours été suivi d'effet, surtout envers les victimes des essais réalisés au Sahara, dont beaucoup n'ont pas été indemnisées. J'approuve l'amendement.

M. Richard Tuheiava.  - J'accepte la rectification proposée par M. Charasse mais je souhaite remplacer « le cas échéant » par « en tant que de besoin ».

M. le président.  - La formulation suggérée par M. Charasse supprime les mots « le cas échéant ».

M. Richard Tuheiava.  - Je rectifie l'amendement en ce sens.

M. le président.  - C'est l'amendement n°19 rectifié bis, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Après le mot :

justifie

insérer les mots :

, notamment avec le concours du ministère de la défense et des autres administrations concernées,

M. Hervé Morin, ministre.  - Je suis toujours disposé à faire preuve de bonne volonté, mais l'article 4, alinéa 5, satisfait l'amendement. Voulez-vous des dispositions redondantes ?

M. Bernard Frimat.  - (Marques d'impatience à droite) Il serait dommage d'interrompre un concours de bonne volonté... L'article 4 porte sur les comités d'indemnisation.

M. Hervé Morin, ministre.  - Je le sais !

M. Bernard Frimat.  - M. le ministre ayant dit que l'État n'avait pas l'intention de restreindre l'indemnisation, ce que ne manquera pas de retenir la juridiction administrative, nous pourrions mettre aux voix la rédaction suggérée par M. Charasse.

L'amendement n°19 rectifié bis, accepté par la commission, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Demessine et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Il bénéficie alors de la présomption d'un lien de causalité entre la maladie et les essais nucléaires, sauf pour la partie défenderesse de rapporter la preuve contraire.

Mme Marie-France Beaufils.  - Les victimes des essais nucléaires ne comprennent pas l'entêtement à ne pas inscrire dans ce projet de loi un lien de causalité entre les maladies radio-induites et les essais.

L'article 3 exige des victimes qu'elles prouvent leur présence dans les zones contaminées lors des retombées radioactives, ainsi que l'existence d'une maladie radio-induite, mais l'article 4 écarte la présomption de causalité lorsque le risque attribuable aux essais nucléaires peut être « considéré comme négligeable ». Cette restriction fait perdre sa substance au principe de présomption, en fonction d'un critère particulièrement flou.

Les victimes de risques professionnels sont indemnisées en raison de la présence sur un site exposé lorsqu'elle s'accompagne de la maladie correspondante. Pour les victimes de l'amiante aussi, on prend en compte la présence sur un site exposé à condition d'avoir contracté une maladie figurant sur un tableau. Pourquoi imposer une régression aux victimes des essais nucléaires ?

Dans cette affaire, le Gouvernement veut être juge et partie. Ce sera au détriment des victimes, qui subissent déjà les appels systématiquement interjetés par le ministère de la Défense à tout jugement qui leur serait favorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Je n'ai pas fait appel !

Mme Marie-France Beaufils.  - L'exemple de M. Mézières est révélateur : il est décédé il y a un peu plus d'un an, très affecté par les durs combats menés aussi pour tous ceux qui avaient connu des souffrances analogues aux siennes. Le tribunal des pensions militaires d'Indre-et-Loire avait reconnu en 2005 une invalidité à 70 %, par un jugement favorable dont le ministère a fait appel. La dernière expertise a mis sa maladie sur les comptes de certains médicaments. Venant après de multiples tracasseries judiciaires et administratives, cette annonce lui a porté un coup fatal.

Monsieur le ministre, je vous ai écrit pour déplorer que vous fassiez systématiquement appel des décisions de justice fondées sur une présomption d'origine des maladies. Interviewé par France 3, M. Mézières a déclaré : « La montre tourne, le temps passe... pour obtenir quoi ? Que faut-il faire ? Est-ce qu'il faut être au cimetière pour être reconnu ? »

Il est temps que la Nation applique aux militaires malades, à l'instar de ce qu'elle fait envers les travailleurs civils, une reconnaissance fondée sur leur présence lors des essais nucléaires : c'est ce que je vous ai écrit au lendemain des obsèques de M. Mézières.

Si la décision vous appartient en dernier ressort, nous sommes inquiets. C'est pourquoi la présomption du lien de causalité doit figurer dans la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC-SPG)

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Nous avons consacré beaucoup de temps à définir cette présomption. La rédaction de la commission satisfait l'amendement.

M. Hervé Morin, ministre.  - Même avis.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cet amendement essentiel reviendra sous d'autres formes.

Comme beaucoup d'entre vous, je suis en contact avec les associations de victimes. Ce qui est en cause, c'est l'effectivité de la présomption de causalité, sur laquelle se joue la crédibilité de cette loi. Les intéressés n'auront pas satisfaction si les associations ne sont pas suffisamment représentées, ni si le texte exige des victimes qu'elles apportent des preuves difficiles à réunir.

Atténuer la présomption de causalité réduirait grandement le nombre de personnes indemnisées, donc le coût total.

Nous donnons acte au Gouvernement du dépôt de ce projet -que de batailles avons-nous dû livrer pour obtenir quelque chose de semblable en faveur des victimes de l'amiante ! Mais il faut que ce débat soit véritablement positif pour les victimes. Je soutiens l'amendement n°1, indispensable à la crédibilité du texte.

M. Guy Fischer.  - Le rapporteur et la commission ont fait un pas mais des interrogations demeurent. Ce qui ne passe pas ? Le qualificatif « négligeable », que les victimes trouvent méprisant.

L'interprétation qui pourra être faite de cet article pose problème. Nous aurions dû le prendre en compte et tirer les leçons du long débat qui a précédé la reconnaissance de la présomption de causalité dans le cas de l'amiante. Attendons-nous à ce que ce problème ressorte dans le futur, notamment par le biais de la jurisprudence.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

Article 4

I.  -  Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation, présidé par un conseiller d'État ou un conseiller à la Cour de cassation et composé notamment d'experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique.

Les ayants droit des personnes visées à l'article 1 décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le comité d'indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation.

II.  -  Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsque celles-ci sont réunies, le demandeur bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition de l'intéressé, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable.

Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

Il peut requérir de tout service de l'État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur, communication de tous renseignements nécessaires à l'instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d'autres fins que cette dernière.

Les membres du comité et les agents désignés pour les assister doivent être habilités, dans les conditions définies pour l'application de l'article 413-9 du code pénal, à connaître des informations visées aux alinéas précédents.

Dans le cadre de l'examen des demandes, le comité respecte le principe du contradictoire. Le demandeur peut être assisté par une personne de son choix.

III.  -  Dans les quatre mois suivant l'enregistrement de la demande, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de lui donner. Ce délai peut être porté à six mois lorsque le comité recourt à des expertises médicales. Dans un délai de deux mois, le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d'indemnisation à l'intéressé ou le rejet motivé de sa demande. Il joint la recommandation du comité à la notification.

Dans l'année suivant la promulgation de la présente loi, les délais d'instruction par le comité d'indemnisation sont portés à huit mois à compter de l'enregistrement de la demande.

IV.  -  La composition du comité d'indemnisation, son organisation, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur, ainsi que les modalités d'instruction des demandes et notamment les modalités permettant le respect du contradictoire et des droits de la défense sont fixées par décret en Conseil d'État.

Mme Michelle Demessine.  - Avec cet article, qui crée un comité d'indemnisation et détermine la procédure d'instruction des demandes, nous sommes toujours au coeur du projet de loi. Or ces dispositions n'assurent pas un droit intégral à indemnisation.

Tout d'abord, les neuf membres qui composent le comité sont, pour l'essentiel, des experts et des membres de l'administration. Ils seront tentés de faire valoir en priorité les intérêts de l'État, comme en témoigne le cas cité par Marie-France Beaufils. Selon le Médiateur de la République, il aurait été nécessaire, pour assurer la crédibilité et l'impartialité du dispositif, de garantir l'indépendance des membres du comité vis-à-vis des ministères qui les ont désignés. La représentation des associations de victimes n'est pas prévue : il y a là un manque préjudiciable à un fonctionnement équitable et à la défense des droits des seules victimes. En outre, ces organismes auraient pu faire valoir leur connaissance des réalités du terrain. La présence d'associations de victimes est pourtant la règle quand existe un fonds d'indemnisation spécifique, tel celui créé pour les victimes de l'amiante.

Ensuite, la décision finale d'indemnisation appartient, sans aucun encadrement, au ministre de la Défense : le comité ne dispose donc pas d'une pleine responsabilité. Afin d'améliorer la procédure, nous avions présenté un amendement qui instituait un fonds d'indemnisation spécifique, doté d'une personnalité juridique propre et d'un budget, et où les représentants des associations de victimes seraient représentés. Une fois encore, l'irrecevabilité financière a été invoquée.

M. Jean Louis Masson.  - L'expérience prouve que, lorsque l'on crée des droits, les commissions et les circuits administratifs tentent de vider la loi de sa substance en limitant le nombre de personnes susceptibles d'en bénéficier. En témoignaient les délais de traitements dissuasifs pratiqués par les Cotorep : dix-huit mois en moyenne, comme cela me l'avait été confirmé par une réponse ministérielle à une question écrite. Pendant ce temps, certains handicapés ne disposaient d'aucunes ressources. Les irradiés connaîtront les mêmes difficultés : ils se heurteront aux barrières administratives et à l'arbitraire ministériel.

En tant que député de la Moselle, j'ai siégé pendant dix ans aux côtés de Pierre Messmer. Ce dernier avait, lorsqu'il était ministre de la Défense, assisté à un essai nucléaire souterrain au Sahara pour lequel on avait mal rebouché le tunnel : la montagne avait explosé et tous les rejets radioactifs s'étaient répandus dans l'air. Ce secret a été gardé pendant vingt cinq ans et pendant trente ans, l'administration a nié l'existence du problème. Certes, il fut un temps où personne n'avait conscience des risques encourus. Ce qui est condamnable, c'est l'attitude de ceux qui ont continué, jusqu'à ces dernières années, à prétendre, contre l'évidence, qu'il n'y avait ni problème ni irradiés. (Marques d'impatience sur le banc de la commission)

Si nous ne prenons pas les précautions suffisantes, on continuera à inventer des prétextes pour nier le lien de causalité entre les cancers et les irradiations, et on viendra dire aux malades : « Un cancer ? Vous l'auriez eu de toute façon autrement » ou bien « C'est statistique, il y en a un pour x habitants ». Cette loi est tout à fait positive mais son application me laisse sceptique. Je crains que l'administration, par son inertie, ne respecte pas le souhait du pouvoir législatif et continue à opposer aux irradiés une mauvaise foi manifeste. Il faut mieux bétonner ce texte afin d'empêcher ces dérives et lutter contre les combats d'arrière-garde.

M. Bernard Piras.  - Très bien !

Mme Dominique Voynet.  - J'ai eu envie d'applaudir ! Si, à gauche, nous avions dit la moitié de ce que Jean-Louis Masson vient d'exprimer, nous aurions été sévèrement critiqués !

M. le ministre estime étrange et injuste la méfiance des victimes envers le ministère. Si nous saluons le travail accompli pour la présentation de ce texte, cette défiance s'explique par l'historique et la complexité du dispositif d'indemnisation. Comprenez leur réticence à confier au responsable de leurs souffrances le soin de fixer, unilatéralement, le périmètre concerné. Vous avez refusé que l'assemblée de Polynésie y soit associée, au prétexte qu'il ne faut pas politiser cette décision. Certes, l'État se doit d'être impartial mais, dans 99 % des cas, la délimitation du périmètre n'aurait pas causé de problème et certaines données risquent de manquer.

Il faut restaurer la confiance en donnant des gages, dont cet article peut poser les bases en affirmant la présomption de causalité. Vous craignez que cette dernière ne devienne irréfragable, mais il y a des maladies sans signature. Ainsi du grand fumeur, irradié, qui ne peut prouver que son cancer n'est pas dû à la cigarette -sans oublier que l'État a longtemps fourni du tabac de troupe à son personnel... Cette présomption est nécessaire car on ne pourra prouver le lien de causalité entre les essais et ces maladies sans signature. C'est le seul moyen d'éviter des chicaneries. Si nous transformons la demande d'indemnisation, et la reconnaissance d'un nouveau droit, en parcours du combattant, nous aurons raté notre cible.

M. le président.  - Certains collègues ont l'impression que les temps de parole ne sont pas respectés mais je vous rappelle les dispositions de notre nouveau Règlement : cinq minutes pour la prise de parole sur l'article, trois minutes pour la présentation d'un amendement et cinq minutes pour l'explication de vote. Cela peut sembler long mais c'est le Règlement, et je le fais respecter ! (M. Guy Fischer approuve)

Amendement n°6, présenté par M. Vantomme et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

, il comprend aussi des membres des associations représentatives des victimes des essais nucléaires

M. Jacques Berthou.  - Le rôle des associations, solidaires des victimes et qui ont porté leur combat, mérite d'être reconnu. Il serait bon de s'appuyer sur leur bonne connaissance des situations vécues par les demandeurs. Le comité d'indemnisation ne doit pas être seulement composé de juristes et de scientifiques. La présence en son sein de représentants des associations, outre qu'elle éclairerait l'examen des dossiers, lui assurerait plus d'indépendance, gage d'impartialité, à l'égard des ministères concernés.

M. Guy Fischer.  - Très bien !

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je comprends les intentions des auteurs de l'amendement. La présence des associations au sein du comité d'indemnisation placerait celui-ci sous la surveillance bienveillante des victimes... Mais le texte adopté par l'Assemblée nationale reconnaît déjà un large rôle à ces associations puisqu'elles peuvent assister les victimes lors de la procédure contradictoire et sont membres de droit du comité de suivi de la loi. J'ajoute que le comité est une instance d'expertise au sein de laquelle des associations n'ont, par conséquent, pas leur place. Outre qu'elles ne sauraient se substituer aux experts, on ne peut les mettre en position d'être juges et parties, membres du comité et représentantes des demandeurs. Quant à l'indépendance du comité, le texte adopté par votre commission la conforte. Défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Ce sujet important méritait réflexion. Si j'ai écarté cette option, c'est que les amendements adoptés à l'Assemblée nationale et au Sénat confortent le rôle des associations, ainsi que vient de le rappeler le rapporteur.

Au sein du comité d'indemnisation, l'analyse doit être menée par les hommes de l'art. D'autant qu'elle s'appuie sur des dossiers médicaux individuels : il est logique que leur contenu ne soit partagé qu'entre personnes tenues par la même obligation de confidentialité.

Se pose, de surcroît, le problème de la représentativité de ces associations, que l'on pourrait voir fleurir à mesure qu'avancera la procédure. Souhaitons-nous que chaque dossier soit préempté par un défenseur mandaté, représentant d'une association chargé de plaider pour l'un de ses membres ?

Mme Dominique Voynet.  - Ce que vous venez de dire, monsieur le ministre, est grave. Vous jetez le discrédit sur la loyauté, l'équité et la représentativité des associations. Croyez-vous donc qu'aux Prud'hommes, les représentants du personnel jugent en fonction de leur appartenance syndicale ? Qu'au sein de la commission d'indemnisation des victimes de l'amiante, les représentants des associations ne s'emploient qu'à défendre leurs membres à jour de cotisation ? Un peu de respect, que diable !

M. Guy Fischer.  - Nous voterons cet amendement. Cet article est déterminant et nous demanderons un scrutin public. Depuis le début des années 2000, quand ont commencé les recours en indemnisation, les deux principales associations concernées ont eu une attitude très responsable. C'est pourquoi nous souhaitons leur présence au sein du comité, sachant qu'un débat contradictoire permet souvent d'approcher la vérité de plus près. Rappelez-vous l'époque fâcheuse où les Cours des pensions rejetaient systématiquement les demandes de pensions, après appel du ministère. Vous avez déjà fait un pas, mais vous pourriez aller plus loin.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°32, présenté par Mme Voynet, MM. Muller, Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery.

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsque celles-ci sont réunies, le demandeur bénéficie d'une présomption de causalité entre les essais nucléaires et sa maladie. Il revient au comité d'indemnisation de faire la preuve, le cas échéant, de l'absence de lien de causalité entre les essais nucléaires et la maladie du demandeur.

Mme Dominique Voynet.  - La question de la présomption de causalité a fait l'objet de nombreux débats. Dans la rédaction initiale, le comité d'indemnisation devait décider si le lien de causalité pouvait « être regardé comme existant ». L'Assemblée nationale l'a tempéré, en remplaçant cet « existant » par un « possible ». Grâce au travail de notre rapporteur, la rédaction s'est encore améliorée : le comité examine si les conditions d'indemnisations sont réunies -lieu de résidence et inscription de l'affection sur la liste-, auquel cas le demandeur bénéficie de la présomption de causalité. Si l'on s'en était tenu là, tout serait parfait. Mais vient la suite de la phrase : à moins qu'au regard de ces deux conditions, « le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ». Voilà un tour de passe-passe grammatical que je comprends mal. La présomption de causalité ne saurait être récusée que s'il est établi, par exemple, que l'une des deux conditions posées par la loi n'est pas remplie.

L'amendement n°23 est retiré.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - L'avis de la commission est le même que sur l'amendement n°1 à l'article 3. D'accord sur l'introduction d'un principe de précaution mais il faut bien préciser les modalités de la preuve a contrario. Votre amendement est partiellement, si ce n'est entièrement, satisfait. Défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Même avis. Une présomption de causalité irréfragable interdirait l'analyse au cas par cas.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est clair que des progrès ont été accomplis depuis la première version. Mais je persiste à penser que ce n'est pas une simple nuance qui sépare la rédaction de Mme Voynet de celle du rapporteur. L'une et l'autre procèdent d'un choix profondément différent. La rédaction de la commission laisse la porte ouverte à bien des arbitraires. Il est vrai que la rédaction de Mme Voynet laisse la possibilité de voir indemnisé quelqu'un dont la maladie procède d'autres causes. Mais le doute ne doit-il pas bénéficier au demandeur ?

La différence est considérable puisque la charge de la preuve est renversée.

A la demande du groupe socialiste, l'amendement n°32 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 152
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Guy Fischer.  - Le coup n'est pas passé loin !

M. le président.  - Amendement n°29, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Réunissent de plein droit les conditions d'indemnisation les personnes qui ont obtenu la reconnaissance irrévocable d'une maladie professionnelle radio induite inscrite sur la liste prévue à l'article 3, occasionnée par les essais nucléaires français, au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation des pensions civiles et militaires d'invalidité.

M. Richard Tuheiava.  - Il faut prévoir l'indemnisation complémentaire des personnes qui auront bénéficié d'un droit à indemnisation irrévocable et éviter une éventuelle contradiction entre les décisions administratives ou judiciaires et celles du Comité d'indemnisation.

Certaines autorités administratives mais aussi des décisions de justice ont qualifié de maladie professionnelle les maux dont soufrent diverses victimes civiles et militaires. En cas de demande d'une indemnisation complémentaire des intéressés, le Comité ne devra pas remettre en cause ces décisions. Son instruction serait alors limitée à l'indemnisation complémentaire.

Cet amendement permettrait d'accélérer la procédure.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Dans le dispositif que nous avons adopté, rien n'interdit à une personne qui a déjà été indemnisée au titre des essais nucléaires de demander à l'être par le Comité. C'est même une des vertus de cette loi de remettre les compteurs à zéro, surtout pour les demandeurs déboutés par les tribunaux.

Si une personne a déjà été indemnisée, elle ne le sera pas deux fois. Les sommes déjà reçues seront retranchées du montant de l'indemnisation décidé par le Comité. Le Comité doit prendre sa décision en toute indépendance, en fonction des dossiers qui lui seraient soumis et des éléments statistiques en sa possession.

Il n'apparaît donc pas souhaitable de prévoir que ces personnes pourront obtenir ce complément sans passer par l'examen au cas pas cas. Le lien de causalité ayant été retenu par des tribunaux, ce sera sans doute une formalité. Il serait curieux que le Comité adopte une position différente. L'avis est donc défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Même avis pour les mêmes raisons.

L'amendement n°29 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°24, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Alinéa 7, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

, y compris lors des investigations scientifiques ou médicales

M. Richard Tuheiava.  - Il faut conforter le principe du contradictoire lors de l'instruction de la demande individuelle d'indemnisation.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Vous souhaitez que le contradictoire s'impose même lors des expertises. La commission n'a pas souhaité préciser dans quelles circonstances ce principe s'imposera car il devra être respecté tout au long de la procédure.

C'est également pourquoi nous avons prévu que le demandeur serait assisté par toute personne de son choix. Cet amendement est donc satisfait. Avis défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Avec cette rédaction, vous risquez de limiter le principe du contradictoire qui est plus global : avis défavorable.

L'amendement n°24 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°25, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

I. - Alinéa 8, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Il en adresse également copie au demandeur.

II. - En conséquence, supprimer la dernière phrase du même alinéa.

M. Richard Tuheiava.  - L'impartialité du dispositif aurait pu être garantie si le Comité transmettait directement l'offre au demandeur, sans intervention du ministère concerné. La mise en place d'un Comité placé sous l'autorité du ministre de la défense ne permet pas de conclure au respect des règles élémentaires de procédure, tel que le respect du contradictoire, la garantie des droits de la défense ou encore l'assurance d'un accès effectif aux voies de recours.

Il ne s'agit pas d'un procès d'intention de ma part mais il convient de tenir compte du passif entre les victimes et le ministère.

Afin de respecter le droit du contradictoire, le Comité doit permettre au demandeur de consulter son dossier à l'issue de l'instruction, au moment où il est adressé au ministère.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je suis tout à fait d'accord avec l'esprit de cet amendement mais nous sommes là dans le domaine du droit commun. La Cour de cassation a déjà défini le principe du contradictoire dans de telles procédures. De plus, on est là clairement dans le domaine du réglementaire. Avis défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°25 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°26, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Alinéa 10

Compléter cet alinéa par les mots :

, rédigé en concertation avec les institutions de la Polynésie française pour tenir compte des spécificités de cette collectivité

M. Richard Tuheiava.  - Compte tenu des spécificités de la Polynésie française, notamment en ce qui concerne l'organisation familiale, le contexte linguistique et culturel, les distances géographiques et le coût des déplacements, il importe de prévoir, en concertation avec les institutions polynésiennes, certaines dispositions pour l'application de la loi. Je ne fais pas de mauvais esprit, je cherche à rendre ce texte applicable.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je comprends bien que vous évoquiez des spécificités comme le coût des voyages mais je ne puis qu'être défavorable à cet amendement car un décret en Conseil d'État ne se rédige pas en concertation avec quelque collectivité territoriale que ce soit.

M. Hervé Morin, ministre.  - Une disposition législative ne peut pas encadrer le pouvoir réglementaire du Premier ministre. Bien entendu, le Gouvernement tiendra compte des débats parlementaires ; bien entendu, nous nous concerterons avec les institutions polynésiennes.

M. Richard Tuheiava.  - Il me semblait pourtant que l'avis des institutions polynésiennes avait été demandé pour l'élaboration de ce projet de loi...

M. Hervé Morin, ministre.  - Vous avez entendu parler de la Constitution ?

M. Richard Tuheiava.  - Il m'est arrivé de lire quelques livres de droit...

M. Hervé Morin, ministre.  - Vous savez peut-être que tout projet de loi concernant la Polynésie doit être soumis aux institutions de celle-ci. Mais il s'agit ici d'un décret !

M. Richard Tuheiava.  - Je ne vois vraiment pas en quoi mon amendement violerait la Constitution du fait qu'il propose de prévoir dans la loi dans quel sens doit se faire le règlement.

M. Hervé Morin, ministre.  - Lisez l'article 37 !

L'amendement n°26 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté, ainsi que les articles 5 et 6.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°27, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le recours juridictionnel du demandeur, en cas de refus d'indemnisation ou de contestation du montant de l'indemnisation proposée, est intenté devant le tribunal administratif de Papeete lorsque le demandeur réside en Polynésie française, ou devant le tribunal administratif de Paris pour les autres demandeurs.

M. Richard Tuheiava.  - Je conserve mon calme.

Les recours contre les décisions d'un ministre relèvent du tribunal administratif de Paris. Nous souhaitons qu'ils puissent se faire devant le tribunal administratif de Papeete, du fait de l'éloignement.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je suis désolé de devoir encore vous opposer un avis défavorable, d'autant que j'avais déposé un amendement comparable devant la commission. J'ai dû le retirer parce que cela relevait du règlement mais le ministre s'est engagé à ce que cette disposition figure dans le décret. Il va vous confirmer son engagement.

M. Hervé Morin, ministre.  - Défavorable à l'amendement. Cela figure à l'article 11 de l'avant-projet de décret.

L'amendement n°27 est retiré.

Article 7

Le ministre de la défense réunit au moins deux fois par an une commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. Cette dernière peut également se réunir à la demande de la majorité de ses membres. La commission comprend des représentants des ministres chargés de la défense, de la santé, de l'outre-mer et des affaires étrangères, le président du gouvernement de la Polynésie française ou son représentant, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou son représentant, deux députés, deux sénateurs, cinq représentants des associations représentatives de victimes des essais nucléaires ainsi que quatre personnalités scientifiques qualifiées dans ce domaine.

La commission est consultée sur le suivi de l'application de la présente loi ainsi que sur les modifications éventuelles de la liste des maladies radio-induites. A ce titre, elle peut adresser des recommandations au ministre de la défense et au Parlement.

Un décret en Conseil d'État fixe la liste des membres, leurs modalités de désignation et les principes de fonctionnement de la commission.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Demessine et les membres du groupe CRC-SPG.

Rédiger comme suit cet article :

Il est créé auprès du Premier ministre une commission nationale de suivi des essais nucléaires.

Elle comprend notamment les ministres chargés de la défense, de la santé, de l'environnement et des affaires étrangères ou leurs représentants, le  président du gouvernement de la Polynésie française ou son représentant, deux députés et deux sénateurs, des représentants des associations représentatives des victimes des essais nucléaires, de leurs veuves et de leurs descendants, des représentants des organisations syndicales patronales et de salariés ainsi que des personnalités scientifiques qualifiées dans ce domaine.

La commission a pour  mission de participer à l'élaboration et aux modifications ultérieures de la liste des maladies radio-induites mentionnée à l'article 3.

Elle assure le suivi des questions relatives à l'épidémiologie et à l'environnement jusqu'ici dévolues au département du suivi des centres d'expérimentations nucléaires.

Elle organise le suivi médical des personnels civils et militaires présents lors des essais nucléaires ainsi que des populations vivant ou ayant vécu à proximité des sites visés à l'article 2.

Un décret en Conseil d'État fixe la liste des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, ses principes de fonctionnement et son financement.

Mme Michelle Demessine.  - Cette commission de suivi des conséquences des essais nucléaires nous semble être amenée à jouer un rôle minime, en tout cas pas à la hauteur des problèmes. Elle est purement consultative et sa vocation est floue et limitée : elle se bornera à donner des avis sur l'application de cette loi et sur les modifications à apporter à la liste des maladies radio-induites.

Nous voulons la rattacher directement au Premier ministre pour souligner l'ampleur et la transversalité de problèmes qui ne devraient plus être pilotés par le ministre de la Défense. Il faudrait aussi la doter de compétences dans le domaine du suivi médical afin qu'elle puisse susciter par elle-même les études épidémiologiques qui restent à faire auprès des populations exposées à des rayonnements ionisants. Je pense à nos compatriotes de Polynésie, qui ont aussi subi une dégradation de leur environnement. Atmosphériques ou souterrains, nos essais ont sans doute eu des conséquences négatives sur la faune, la flore, les récifs coralliens. Je dis « sans doute » car aucune étude n'a encore été faite là-dessus.

Trop longtemps, les autorités de notre pays ont nié toute conséquence négative des essais nucléaires. Cette absence de transparence a suscité la méfiance des Polynésiens envers les différents gouvernements. Étendre les missions et les compétences de cette commission de suivi serait le signe fort donné par le Gouvernement qu'il veut vraiment une ambitieuse loi d'indemnisation.

L'amendement n°13 rectifié n'est pas défendu.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Avec l'accord de nos collègues concernés, je souhaite que nous discutions de cet amendement en même temps que les suivants.

M. le président.  - Amendement n°34, présenté par Mme Voynet, MM. Muller, Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery.

Alinéa 2, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et des zones mentionnées à l'article 2

Mme Dominique Voynet.  - Il s'agit là d'un amendement de repli par rapport à celui de Mme Demessine. La commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires doit être consultée sur les modifications potentielles des zones mentionnées à l'article 2 et ainsi pouvoir émettre des recommandations. C'est une question de responsabilité pour la France et pour nous, même si un toilettage des zonages peut élargir le champ des bénéficiaires.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Vantomme et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Alinéa 2, après la première phrase

Insérer deux phrases ainsi rédigées :

La commission mettra en place un contrôle continu des conséquences environnementales sur les lieux définis à l'article 2 concernés par les essais nucléaires. La commission veillera à la mise à jour régulière des zones et des périodes définies à l'article 2.

M. André Vantomme.  - La commission doit exercer un rôle de veille afin d'apporter si nécessaire des améliorations au dispositif d'indemnisation. Elle doit aussi mettre à jour régulièrement les zones et périodes définies à l'article 2.

Il faut aussi se préoccuper des conséquences environnementales des essais, tant à l'époque des tirs qu'aujourd'hui. Il serait utile de rassembler les informations disponibles sur les effets sur la faune et la flore des essais atmosphériques, mais aussi des essais souterrains ; je pense aux retombées constatées sur les massifs coralliens des atolls polynésiens.

M. le président.  - Amendement n°33, présenté par Mme Voynet, MM. Muller, Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La commission consultative de suivi a également pour mission de participer à l'évaluation des conséquences environnementales des essais nucléaires français dans les zones mentionnées à l'article 2. Elle s'appuie notamment sur les apports scientifiques disponibles en la matière.

Mme Dominique Voynet.  - L'inconvénient de la nouvelle procédure législative, c'est qu'elle nous conduit à répéter en séance des arguments déjà avancés en commission mais qui méritent d'être portés à la connaissance du public.

Le comité d'indemnisation, principalement composé d'experts médicaux, statuera sur la base d'éléments objectifs définis par la loi. Mais la commission de suivi, dont le rôle sera consultatif, aura plus de liberté : il serait raisonnable de lui permettre d'aborder des sujets qui doivent être débattus et sur lesquels les connaissances doivent être actualisées. Cet amendement vise à lui confier le soin d'évaluer les conséquences environnementales des essais nucléaires français dans les zones définies à l'article 2. Un essai manqué au Sahara a eu par exemple des effets désastreux ! Les retombées environnementales -pollution des pluies et des sols, atteintes à l'écosystème- sont inséparables des conséquences sanitaires. Ce n'est pas seulement aux ayants droit des victimes qu'il faut penser mais aux générations futures qui continueront de subir les effets de l'exposition aux radiations : malformations, déficiences immunitaires, etc.

M. le président.  - Amendement n°28, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, Serge Larcher et Lise.

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La commission assure un suivi épidémiologique des conséquences des essais nucléaires français à partir des données agrégées fournies par le comité d'indemnisation mentionné à l'article 3 et par le centre médical de suivi (CMS) en Polynésie française.

M. Richard Tuheiava.  - La procédure d'indemnisation permettra de rassembler des renseignements sur les personnes qui ont été exposées dans des conditions de protection variables selon les époques et les modes d'organisation des essais. Il serait intéressant, d'un point de vue épidémiologique, que la commission puisse émettre des recommandations sur la manière de garder trace de ces informations ou en organiser elle-même la conservation.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Les amendements nos4, 13 et 8 placent la commission de suivi après du Premier ministre : pourquoi pas ? Ils intègrent l'environnement parmi ses domaines de compétence : il est vrai que les essais ont eu des retombées sur la faune et la flore, qui persistent même si elles se sont atténuées avec le temps. Le problème se pose aussi des déchets radioactifs immergés dans les lagons de Mururoa et de Hao. Mais je ne crois pas que la commission de suivi soit le lieu adapté pour en discuter. Ce dossier relève des ministères de l'environnement et de la défense et des collectivités territoriales concernées. La vocation de la commission est de suivre l'application de la loi.

Ces amendements chargent également la commission d'organiser le suivi médical du personnel civil et militaire ainsi que des populations qui ont séjourné dans les zones de retombées radioactives. Certes, une politique de prévention et de dépistage est nécessaire. Mais ce n'est pas le rôle de la commission de suivi : il existe pour cela des administrations compétentes. Je rappelle qu'une convention relative au suivi sanitaire des anciens travailleurs civils et militaires du Centre d'expérimentation du Pacifique et des populations vivant ou ayant vécu à proximité de sites d'expérimentation nucléaire a été conclue entre l'État et la Polynésie française le 30 août 2007. (M. le ministre le confirme) Cette convention a créé un centre de suivi médical qui assure des consultations individuelles pour les anciens travailleurs du CEP, les personnes justifiant avoir résidé habituellement dans les communes de Tureia, Reao, Pukarua et Gambier entre 1966 et 1974 et celles qui ont leur résidence principale dans ces communes.

La commission de suivi doit se réunir deux fois par an, peut-être davantage si l'amendement voté par la commission est définitivement adopté, mais ce n'est pas suffisant pour organiser le suivi de plusieurs dizaines de milliers de personnes. En outre, parmi les personnes qui ont séjourné dans les zones définies à l'article 2, il y a les populations nomades du sud de l'Algérie.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à ces amendements ainsi qu'à l'amendement n°33.

Même avis sur l'amendement n°34 : en prévoyant que la commission pourra recommander de modifier les zones définies à l'article 2, nous jetterions le doute sur le bien-fondé de leur délimitation avant même que le dispositif ne commence à fonctionner.

Quant à l'amendement n°28, il est judicieux de se servir des données examinées par le comité pour affiner les études épidémiologiques sur les conséquences des essais nucléaires. Mais cette disposition ne relève pas de la loi ; on peut même se demander si elle relève du règlement ou d'un programme de recherche. En outre, je doute que la commission de suivi qui se réunira deux fois par an soit l'organe adapté pour piloter des études épidémiologiques. Avis défavorable.

M. Hervé Morin, ministre.  - Même avis. Nous avons beaucoup discuté de ces amendements en commission.

M. Bernard Frimat.  - La révision constitutionnelle n'a pas abouti à ce que la loi soit votée en commission ! Nous sommes sénateurs avant d'être membres de telle ou telle commission et puisque nous sommes présents dans cet hémicycle, il serait bon que l'on nous fasse l'aumône de quelques explications. En l'espèce, M. le rapporteur s'est largement expliqué sur les raisons qui le conduisent à rejeter ces amendements. Mais il ne faudrait pas que l'habitude se prenne de renvoyer les intervenants aux débats en commission ! Je félicite d'ailleurs les nombreux membres de l'UMP ici présents qui n'appartiennent pas à la commission des affaires étrangères et se montrent convaincus par les explications du Gouvernement...

M. Didier Boulaud.  - C'est la garde montante !

M. Bernard Frimat.  - Pour que la séance publique soit fréquentée, comme le souhaite, si j'ai bien compris sa pensée, M. le Président Larcher, il ne faut pas qu'on nous réponde à chaque fois que les problèmes soulevés ont été abordés en commission ! Si cette tendance se perpétue, les membres de l'opposition réserveront tous leurs amendements pour la séance publique, où ils ne pourront plus se voir opposer cet argument ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La révision constitutionnelle, je l'ai souvent dit, a abaissé les pouvoirs du Parlement. Tous les textes sont désormais examinés selon la procédure accélérée, et la navette parlementaire ne sera bientôt plus qu'un souvenir dont seuls les plus anciens d'entre nous pourront faire part à leurs proches à la veillée... Gardons-nous d'une nouvelle dérive, par fidélité à l'esprit d'une révision dont je me réjouis chaque jour de ne pas l'avoir votée... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marie-France Beaufils.  - Je partage entièrement l'avis de M. Frimat. Pas plus que Mme Demessine en commission, je n'ai été convaincue par les arguments de M. le rapporteur. Nous manquons une belle occasion d'envisager l'ensemble des conséquences des effets nucléaires, afin que les générations futures puissent les affronter sans trop de mal. M. le rapporteur a rappelé que les populations du Sahara sont nomades : c'est justement pourquoi il faut intensifier nos recherches. Les retombées des essais se font sentir bien au-delà des zones où ceux-ci ont eu lieu !

M. Marc Laménie.  - Je n'appartiens pas à la commission mais il faut reconnaître la qualité du travail accompli. On peut comprendre les propositions et les réactions de nos collègues de l'opposition.

Il faut faire confiance aux membres de la commission qui ont fait un travail de fond : je voterai cet article.

L'amendement n°4 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos34, 8, 33 et 28.

L'article 7 est adopté.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Vantomme et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un décret en Conseil d'État formule un titre de reconnaissance de la Nation qui sera accordé aux personnels militaires et civils ayant participé aux essais nucléaires français qui en feront la demande.

M. Bernard Piras.  - Les vétérans des essais nucléaires n'ont certes pas combattu mais ils ont contribué à un outil de sécurité et de dissuasion qui bénéficie à la communauté nationale. Ils méritent le titre de reconnaissance de la Nation, comme l'indique déjà le titre du projet de loi.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Les vétérans des essais nucléaires méritent non seulement une juste réparation mais aussi une légitime gratitude parce qu'ils ont construit notre force de dissuasion nucléaire et, ainsi, ils ont contribué à notre sécurité collective autant que ceux qui se sont battus sur des théâtres extérieurs. La commission est favorable à cet amendement sous réserve que le ministre, lors de l'élaboration de ce décret, consulte la Chancellerie ainsi que les associations d'anciens combattants.

M. Hervé Morin, ministre.  - Je comprends le souci des auteurs de l'amendement mais le titre de reconnaissance de la Nation obéit à des règles précises. Pour l'obtenir, il faut ainsi avoir participé à des opérations de guerre ou à des opérations extérieures au moins pendant 90 jours. Je suis d'accord pour examiner la question avec la Chancellerie mais pas pour l'introduire dans la loi.

M. Jacques Gautier.  - Je suis d'accord avec le ministre. Nous sommes tous solidaires des vétérans et des populations qui ont été exposées mais la reconnaissance de la Nation est un titre militaire qui récompense des combattants. Il faut trouver une solution avec la Chancellerie, mais sans utiliser ce titre. Le groupe UMP ne votera pas cet amendement.

M. Gaston Flosse.  - Je propose à M. Piras de modifier son amendement pour accorder ce titre de reconnaissance de la Nation à l'ensemble de la population de la Polynésie française qui a supporté ces essais nucléaires sur son territoire pendant trente trois ans et qui, de ce fait, a droit à notre reconnaissance.

M. Bernard Piras.  - Monsieur Flosse, l'amendement concerne les militaires et les civils polynésiens...

Monsieur le ministre, dans le passé, la France n'a pas toujours fait preuve de dignité lorsqu'il s'est agi de prouver sa reconnaissance, envers les harkis par exemple. Quant aux anciens combattants de nos ex-colonies, il a fallu un film pour faire reconnaître leurs droits... J'aimerais que le ministre prenne un engagement ferme.

M. Richard Tuheiava.  - J'appartiens à un groupe politique de Polynésie qui ne pourrait pas accepter cet amendement tel qu'il est rédigé et, personnellement, je m'abstiendrai. Le titre de reconnaissance de la Nation ne peut être attribué seulement à ceux qui ont travaillé aux essais nucléaires sans l'être aussi à la population qui, sans y avoir travaillé, les ont subis.

Mme Dominique Voynet.  - Nous sommes tous mal à l'aise car si nous comprenons la nécessité d'un geste symbolique en plus de la réparation financière, il serait déraisonnable de ne le faire qu'en faveur des civils et militaires ayant travaillé aux essais. Aucune excuse n'est présentée aux populations environnantes qui ont été flouées. Beaucoup de Polynésiens ont subi ces essais sans les avoir demandés et sans avoir la moindre idée de ce qui se passait, tandis que d'autres en tiraient sans vergogne d'énormes profits. Cela me choque que cela ne soit pas dit ici.

M. René Garrec.  - Comme tous les gens de mon âge, j'ai servi en Algérie. Certains ne se sont pas battus mais on a reconnu le préjudice que tous avaient subi du fait de passer deux ans et demi loin de chez eux dans des conditions toujours difficiles. Cela me dérange qu'on assimile les deux situations. Je voterai contre cet amendement.

M. Bernard Piras.  - Ayant entendu tous ces arguments, je retire mon amendement. Mais je prends acte de l'engagement du ministre à trouver une solution. (Applaudissements à droite et au centre et sur certains bancs socialistes)

L'amendement n°9 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°36, présenté par Mmes Voynet, Boumediene-Thiery, MM. Muller, Desessard et Mme Blandin.

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement mènera des études d'impact sur la santé des personnels civils et militaires présents sur les sites ayant accueilli des essais et des activités nucléaires, afin d'informer et de protéger les populations.

Mme Dominique Voynet.  - Je suis obligée de modifier cet amendement en faisant référence aux « activités nucléaires militaires » parce que celles-ci ne sont pas soumises aux mêmes obligations que les activités nucléaires civiles ; ce qui n'aurait pas été accepté sur des sites civils l'a été sur des sites militaires.

Certes, il s'agit d'un problème périphérique, mais je ne veux pas qu'on se retrouve dans dix ou quinze dans la situation que connaît aujourd'hui la Polynésie. Nous disposons des témoignages d'appelés racontant comment, à Valduc par exemple, on a brûlé à l'air libre des matières contaminées et, cela, à proximité de cours d'eau. A Marcoule, on a entreposé des quantités considérables de déchets de catégorie B, à l'air libre, hors conteneurs. Ils sont toujours là... Les commissions locales d'information mises en place sur les sites civils n'existaient pas sur les sites militaires. Ce serait à l'honneur de l'État de faire en sorte que les élus locaux sachent ce qui s'y passe...

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Vous l'avez dit vous-même, cet amendement est hors sujet. Le problème que vous soulevez est réel, cependant.

M. Hervé Morin, ministre.  - L'amendement n'a en effet aucun lien avec le texte. J'ajoute que la Haute autorité assure un suivi sur toutes les installations. Une étude a été menée par un organisme indépendant sur plus de 30 000 personnes et j'ai ouvert, en 2007, en Polynésie française, un suivi médical permanent. Toute personne qui a participé aux essais peut demander une consultation et un suivi médical dans les hôpitaux du service de santé des armées.

L'amendement n°36 n'est pas adopté.

L'article 8 est adopté.

L'amendement n°35 rectifié n'est pas soutenu.

Vote sur l'ensemble

M. Jacques Gautier.  - La portée de ce texte dépasse celle du symbole, qui est pourtant très grande. Il s'agit de mettre enfin un terme à un tabou de l'histoire de notre défense et de tourner dans la justice et la dignité une page de celle de la France. Ce texte était très attendu par les vétérans, les personnels civils et tous ceux qui ont développé des pathologies cancéreuses à la suite d'une exposition aux rayonnements ionisants des essais nucléaires. Il apporte des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les demandeurs pour obtenir une juste indemnisation. Je salue l'engagement et l'excellent travail du rapporteur. (Applaudissements à droite)

Il n'était pas aisé d'inscrire dans notre droit un mécanisme d'indemnisation fondé sur le lien de causalité alors que les pathologies constatées n'ont pas de signature ; à la reconnaissance est jointe la rigueur avec un examen au cas par cas des dossiers par un comité d'experts qui devra fonder ses avis sur les recherches les plus avancées, dont celles menées par les Nations unies. Les associations participeront au suivi de l'application de la loi.

Je remercie le Gouvernement et le ministre de la Défense qui ont eu le courage d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Parlement. Le groupe UMP le votera. (Applaudissements à droite)

Mme Dominique Voynet.  - Les principaux mérites de ce texte sont son existence et son titre. Sa portée, après l'affirmation de principes non contestables, est cependant amoindrie par l'usage répété du conditionnel et de multiples précautions oratoires. Que se passera-t-il lorsqu'un demandeur âgé, malade, peu familier de la parole ou de l'écrit, viendra déposer son dossier ? Que de temps perdu, de douleurs et de désarroi lorsqu'il lui sera demandé de prouver que c'est bien aux essais nucléaires qu'il doit la pathologie dont il souffre !

Je salue à mon tour la bonne volonté du Gouvernement ainsi que l'engagement et la courtoisie du rapporteur. Les cinq sénateurs Verts ne voteront pas ce texte.

Mme Michelle Demessine.  - Tout en reconnaissant la portée du geste, nous sommes, après ce débat, déçus et mécontents. Nous ne nous faisions guère d'illusion : les travaux en commission, malgré la bonne volonté du rapporteur, avaient montré que le Gouvernement n'était pas prêt à un dispositif d'indemnisation à la mesure de la souffrance des victimes. L'irrecevabilité financière a été opposée à nos amendements ainsi qu'à ceux du groupe socialiste qui tendaient à étendre le dispositif. Je proteste une nouvelle fois contre cette méthode mesquine qui interdit à la représentation nationale de proposer des dispositions ayant un impact financier pour l'État.

Si le texte reconnaît enfin que les essais nucléaires ont fait des victimes, si la charge de la preuve est opportunément inversée, la juste réparation n'est pas au rendez-vous. Nous avons voté les améliorations proposées par le rapporteur, la suppression de l'adjectif « directe » qualifiant l'exposition aux radiations, l'accompagnement des demandeurs, le respect du contradictoire, la possibilité de réunir la commission de suivi à la demande de la majorité de ses membres ; mais l'équilibre n'est pas rétabli, le ministère de la Défense reste juge et partie ; et des mesures importantes ont été repoussées par le Gouvernement et la majorité, comme la création d'un fonds spécifique d'indemnisation, la réparation du préjudice des ayants droit ou encore la mise en place d'un dispositif de retraite anticipée.

La loi est restée à mi-chemin. Nous avons la désagréable impression, comme les associations, que le Gouvernement n'a pas voulu régler dignement la question pour de médiocres raisons financières, qui ne sont rien au regard des dépenses militaires du pays. C'est manquer de considération pour ces femmes et ces hommes qui ont hier contribué à la grandeur de la France. La reconnaissance est enfin là et l'opinion s'y retrouvera, c'est important ; mais nombre de victimes subiront une double peine, la souffrance due à la maladie et celle de se voir exclues du dispositif d'indemnisation. Le groupe CRC votera contre.

M. André Vantomme.  - Le groupe socialiste s'abstiendra. Nous saluons le travail rigoureux et ouvert du rapporteur et nous reconnaissons que ce texte est un acte positif en direction des victimes. Mais nous regrettons les réticences du Gouvernement, l'utilisation paradoxale de l'article 40, le rôle réduit des associations ou encore l'absence de prise en compte des conséquences environnementales passées et à venir des essais. Le texte est perfectible. Nous serons au côté des associations pour plus de justice et d'équité. Le combat continue. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Richard Tuheiava.  - Avec l'accord de mes collègues, je voterai personnellement contre ce texte. N'étant pas membre de la commission des affaires étrangères, j'ai suivi attentivement les débats de l'après-midi et j'ai bien noté les améliorations apportées grâce au travail rigoureux et objectif du rapporteur. Le dispositif reste insuffisant, qui ne reconnaît pas comme il le faudrait la présomption de causalité entre l'exposition aux radiations et la maladie et qui ne répond pas aux revendications des Polynésiens relatives à la délimitation des zones concernées.

En fait, toute la Polynésie française a été exposée de 1966 à 1974 aux retombées radioactives des essais nucléaires atmosphériques. Le préjudice spécifique aux ayants droits n'est toujours pas reconnu.

Nous attendons encore la création d'une caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, car nous n'avons que des engagements verbaux. Vous demandez aujourd'hui un vote à l'aveuglette.

Je pensais m'abstenir, comme le reste de mon groupe. (M. le ministre échange quelques mots à voix basse avec M. le rapporteur) Je regrette que lorsque les parlementaires s'adressent au Gouvernement, ils ne voient le ministre que de dos. C'est une question de symbole, mais il faudrait au moins que nous ayons l'impression d'être écoutés... Cette considération n'est pour rien dans ma décision de voter contre ce texte.

En fait, mon vote négatif est largement dû à une application de l'article 40 qui travestit nos débats. Je connais très bien cette disposition constitutionnelle mais son application conduit en l'espèce à considérer l'indemnisation de populations irradiées comme dangereuse pour les finances publiques, alors que tel est précisément l'objet du projet de loi que nous discutons. Nous sommes véritablement aux confins d'une interprétation surprenante de l'article !

Ce texte est censé dédouaner la France de sa responsabilité (M. le ministre ne partage pas cette opinion) en apurant le passif des essais nucléaires. Je ne suis pas sûr que l'objectif soit atteint, que les populations des atolls exclus acceptent ses dispositions ni que les ayants droits dont l'ADN a été altéré par les radiations approuvent des dispositions que je ne voterai pas. (Applaudissements à gauche)

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur.  - Je remercie mes collègues pour leur soutien et la qualité de leurs interventions. Je pense bien sûr aux orateurs de la majorité sénatoriale, mais aussi à Mmes Demessine et Voynet, ainsi qu'à M. Vantomme pour leur participation active à l'élaboration du texte. Nous n'avons pas toujours été d'accord mais le dialogue est resté constructif.

Je me félicite du quasi-consensus dont bénéficie ce projet de loi dont le sujet ne se prête pas aux réflexes partisans.

Ma gratitude s'adresse particulièrement à nos collègues ultramarins. Le dispositif s'appliquera aux personnes ayant participé aux essais nucléaires, quelle que soit leur origine, mais les Polynésiens ont été plus particulièrement affectés par les conséquences sanitaires des essais. Il était donc important que leurs élus expriment leur sentiment.

Je remercie les associations pour leur patience et pour leur disponibilité à nous éclairer. Je n'oublie pas le ministre, qui a défendu ce projet avec détermination, ni ses services, dont la bonne volonté ne s'est pas démentie lorsque la commission a modifié un texte qui les avait occupés pendant des mois.

Une commission mixte paritaire se réunira prochainement. J'ai bon espoir d'aboutir à un accord avec nos collègues députés car nos travaux se complètent utilement. Ainsi, la loi pourra sans doute être promulguée à la fin de l'année, permettant au nouveau dispositif d'entrer en vigueur début 2010 ; toutes les personnes concernées pourront alors déposer une demande d'indemnisation.

Le cancer est une maladie lourde. Ses traitements éprouvants ne sont pas toujours couronnés de succès. Le texte est dédié à ses victimes. (Applaudissements à droite)

M. Hervé Morin, ministre.  - Je remercie à mon tour les parlementaires qui ont amélioré le projet initial.

Nous étions animés par une volonté de concertation car des propositions de loi avaient été déposées depuis des années sur tous les bancs, sans parvenir jusqu'à l'ordre du jour prioritaire.

J'éprouve aujourd'hui un sentiment de joie, et même de fierté : comme président du groupe UDF de l'Assemblée nationale, j'avais reçu les associations de victimes et j'avais même suggéré au candidat à l'élection présidentielle que je soutenais d'inscrire leur indemnisation dans son programme électoral. Je n'ai pas été suivi mais j'ai persévéré dans l'idée que la France devait faire comme les autres démocraties et indemniser les victimes des essais nucléaires. Lorsque je suis arrivé au ministère, mes services ont expliqué que tout était parfait... Lorsque je quitterai mes fonctions actuelles, cette réalisation figurera haut dans mon coeur.

Mais j'éprouve aussi de la tristesse car j'avais la naïveté de croire que chacun reconnaîtrait les avancées plutôt que les lacunes d'un texte que des membres de tous les groupes politiques avaient souhaité, sans qu'aucune majorité ne les a satisfaits. J'ai vécu cette déception à l'Assemblée nationale. J'espérais que la sagesse de la Haute assemblée lui réserverait un autre sort. Ce ne sera pas le cas.

Nous ferons en sorte que la commission mixte paritaire se réunisse le plus vite possible et nous allons élaborer dès maintenant, en concertation avec les institutions polynésiennes, le décret d'application afin qu'il soit publié quelques jours après la promulgation de la loi, pour commencer à travailler dès le début de l'année 2010, ce que nous attendons tous. (Applaudissements au centre et à droite)

L'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public à la demande du groupe socialiste et du Gouvernement.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 216
Majorité absolue des suffrages exprimés 109
Pour l'adoption 187
Contre 29

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs UMP)

Formation professionnelle (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Discussion générale

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Avant de vous présenter les principaux éléments du texte adopté par la CMP qui s'est réunie mardi 6 octobre, je formulerai deux remarques d'ordre général. Tout d'abord, deux lectures dans chaque assemblée auraient été utiles. Cela n'était pas envisageable parce que le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels doit être mis en place très rapidement mais à l'avenir, monsieur le ministre, il nous faudra plus de temps pour examiner un texte aussi important. Les deux lectures dans chaque assemblée, prévues par la procédure législative de droit commun, ne servent pas à occuper le Sénat et l'Assemblée nationale mais se justifient par le fait que le dialogue améliore les textes.

Ensuite, le dialogue social doit être encouragé par tous les moyens et j'ai été parmi les premiers à saluer l'accord du 7 janvier dernier, signé par l'ensemble des partenaires sociaux. Pour autant, cela ne justifie pas de priver le Parlement de son rôle de législateur. L'accord national interprofessionnel est un élément important du débat législatif, il ne s'agit pas pour autant de le recopier. Évitons à l'avenir de nous reprocher mutuellement, par voie de presse, de nous en écarter. Tout d'abord, ceux qui s'en éloignent le plus ne sont pas forcément ceux que l'on croit. Ensuite, la loi reste l'oeuvre du Parlement et, pour reprendre la phrase du général de Gaulle, la politique de la France ne se décide pas à la corbeille.

Monsieur le ministre, la presse s'est faite l'écho des félicitations que vous ont adressées les partenaires sociaux pour votre intervention afin que la CMP revienne sur certaines dispositions adoptées par le Sénat. Notre assemblée a cherché les équilibres les plus conformes à l'intérêt général et elle donnera une nouvelle preuve de sa loyauté en adoptant l'amendement que vous nous présenterez. Elle a apporté de nombreuses améliorations à ce texte, particulièrement pour les jeunes, les publics les plus éloignés de l'emploi ou ceux dont les parcours sont les moins sécurisés. Elle a posé les bases d'une orientation rénovée, dans laquelle les services d'information et d'orientation seront mieux coordonnés. Dans cet esprit, le Président de la République a réaffirmé hier sa volonté de mettre en place une orientation progressive et réversible, fondée sur un meilleur accès à l'information et sur des stages passerelles permettant aux élèves de mûrir leurs choix.

Le Sénat a adopté des dispositions destinées aux jeunes en situation de décrochage scolaire afin de mettre un terme à cette année de carence qui devient trop souvent une année d'errance. Il a amélioré le dispositif de portabilité du droit individuel à la formation alors même qu'on nous disait que nos propositions ne respectaient pas l'accord des partenaires sociaux. Il a pris des mesures pour assurer la transparence et l'efficacité des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), qui signeront des conventions triennales d'objectifs avec l'État. Ces dispositions s'appuient sur le contrat et la confiance, et non sur la contrainte. Le Sénat a réécrit le dispositif relatif au plan régional de développement des formations professionnelles, contrat conclu entre la région, l'État et les partenaires sociaux. Il a créé des dispositifs novateurs, prévu de faciliter le remplacement des salariés des très petites entreprises partis en formation et ouvert la voie au renforcement de l'apprentissage au sein du secteur public. Ces avancées ont été conservées par la commission mixte paritaire.

La CMP a rétabli la mention du service dématérialisé d'orientation, dont le Sénat avait considéré qu'il ne relevait pas du domaine législatif. Elle a précisé l'article relatif à la formation des conseillers d'orientation-psychologues et a supprimé l'article introduit par le Sénat prévoyant que les professeurs principaux participent à l'orientation des élèves. Je le regrette car les enseignants ont un rôle à jouer dans ce domaine. Nous en reparlerons à propos de la réforme des lycées.

Le Sénat avait souhaité que les sommes alimentant le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels soient prélevées à parts égales sur les cotisations des entreprises consacrées à la professionnalisation et au plan de formation. La CMP a rétabli le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui renvoie cette répartition à la négociation de branche. La solution adoptée par le Sénat avait pour but de préserver les contrats de professionnalisation, particulièrement utiles en période de crise et dont le Président de la République souhaite le développement. Avant la CMP, j'ai pu dialoguer avec les parties concernées et nous avons choisi de faire confiance aux partenaires sociaux pour qu'ils trouvent les meilleures répartitions possibles des sommes versées au fonds paritaire. Nous veillerons à ce que les contrats de professionnalisation ne soient pas remis en cause.

La CMP a supprimé, contre l'avis de ses rapporteurs, un dispositif introduit au Sénat à l'initiative du ministre, destiné à permettre à des jeunes de commencer leur scolarité en centre de formation d'apprentis avant d'avoir trouvé un contrat d'apprentissage. Cette suppression me laisse perplexe et je suis favorable à l'amendement, adopté hier par l'Assemblée nationale, que vous nous proposerez, monsieur le ministre, pour rétablir cette disposition en l'ajustant quelque peu. La CMP a également supprimé un dispositif introduit au Sénat et réservant une part de taxe d'apprentissage à l'enseignement agricole. Cette solution n'était peut-être pas la plus opérationnelle mais il faudra cesser de manquer aux engagements pris vis-à-vis de l'enseignement agricole. Enfin, la CMP a supprimé la présence de personnalités extérieures au sein des OPCA, prévue par le Sénat. J'en prends acte, mais ce principe ne présente que des effets positifs. Ainsi, les entreprises font siéger des personnalités extérieures dans leur conseil d'administration ou leur conseil de surveillance.

Pour le reste, la CMP a accepté le texte voté par notre assemblée il y a quelques semaines, après l'adoption de 98 amendements en commission et en séance publique et dont la plupart ont été conservés. Contrairement à ce qu'on a pu été écrire ici ou là, la CMP n'est pas revenue au texte de l'Assemblée nationale. Ne comptez pas sur moi pour enfoncer le coin entre nos amis députés, le Gouvernement et les partenaires sociaux. La stratégie du contournement trouve toujours et très rapidement ses limites.

Je remercie nos collègues qui se sont impliqués dans l'étude de ce texte. Je vous remercie également, monsieur le ministre, d'avoir dialogué avec notre assemblée tout au long de cette procédure, ainsi que vos collaborateurs, qui ont fait preuve d'une grande disponibilité et d'une aussi grande écoute.

C'est au Gouvernement et aux partenaires sociaux qu'il revient maintenant de mettre en oeuvre ce texte. Nous serons particulièrement attentifs à la publication des mesures réglementaires et au fonctionnement du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Nous attendons également beaucoup du plan de coordination des organismes d'information et d'orientation, que le délégué interministériel présentera en juillet prochain, et en suivrons la préparation. Je reprends la proposition de Pierre Méhaignerie, président de la CMP, de faire le point d'ici un an.

Ce texte, que je vous propose d'adopter, contient de nombreux instruments susceptibles de moderniser en profondeur notre système de formation professionnelle. Il faut maintenant que les acteurs de la formation professionnelle se l'approprient et le fassent vivre. (Applaudissements à droite et au centre)

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.  - Je suis heureux que s'ouvre aujourd'hui la dernière étape sur un texte lourd, tant au plan budgétaire qu'au regard de ses enjeux qui vont à faire de la formation une arme contre les crises et un outil de la politique de l'emploi.

L'objet de la réforme est clair : donner un coup de jeune à notre formation professionnelle qui a mal vieilli, qui devenue inégalitaire et injuste, trop cloisonnée (M. Jean-Pierre Plancade approuve), mal adaptée aux nouvelles logiques du marché de l'emploi et peu transparente.

Armés de ce diagnostic partagé, nous avons engagé une réforme sur trois fronts. Celui de la justice tout d'abord, et c'est pour moi un point fondamental, en redéployant, via le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, jusqu'à 13 % -jusqu'à 900 millions- des fonds de la formation afin de mieux répondre aux besoins des salariés faiblement qualifiés, des PME, des demandeurs d'emploi. Celui de l'emploi, ensuite, qui doit être le seul objet de la formation professionnelle afin que celui qui a un emploi le conserve, que celui qui veut progresser vers un meilleur emploi puisse le faire, que celui qui a perdu son emploi en retrouve un. C'est ainsi que nous posons les jalons d'une sécurité sociale professionnelle. Le droit individuel à formation, salué sur tous les bancs comme une avancée, bénéficiera à ceux qui ont un emploi tandis que nous mettons en place, pour ceux qui en recherchent un, la préparation opérationnelle à l'emploi. Troisième front, enfin, celui de la transparence. Dans un univers peu lisible, où s'est perdu le sens de l'efficacité et de l'évaluation et qui prête le flanc, M. le rapporteur ne me contredira pas, à tous les lobbies, il était temps de procéder à un rappel à l'ordre. Nous le faisons à trois niveaux. En premier lieu, de 100 qui existent aujourd'hui, nous ramenons à 15 les organismes collecteurs agréés (M. Jean-Pierre Plancade approuve) qui devront offrir un meilleur service de proximité, rendre des comptes tous les trois ans et se soumettre aux règles communes de la concurrence et des délais de paiement. En deuxième lieu, nous assurons un meilleur contrôle de l'offre. Est-ce manquer de lucidité ? Nous avons laissé prospérer des officines ouvrant sur toutes les dérives sectaires. Nous mettons en place un dispositif pénal pour y remédier, et je remercie le président About de sa vigilance, qui a permis d'améliorer ce volet du texte. C'est un objectif fondamental que d'éradiquer les sectes du domaine de la formation.

En troisième lieu, nous remédions au défaut de pilotage et d'évaluation en assurant une meilleure coordination des acteurs tant au niveau national, via une convention-cadre qui définit les priorités, qu'au niveau régional -c'est là l'apport de votre rapporteur- par une méthode originale de contractualisation des plans régionaux de formation, étant entendu qu'il ne s'agit nullement de revenir sur la décentralisation mais bien de mieux coordonner les acteurs.

Ce texte, comme beaucoup dans le champ social, pose le problème de la bonne articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire. L'enjeu est d'importance tant pour les partenaires sociaux, et je sais combien le président Larcher y est attentif, que pour la représentation nationale, et vous savez combien l'ancien député que je suis y attache de prix. Je remercie M. Carle, car chacun sait combien un rapporteur peu exigeant peut être le pire des pièges pour un ministre. Sa parfaite connaissance des enjeux nous ont permis d'avoir de vrais débats, qui ont profondément enrichi le texte. Je rends hommage à l'homme de conviction et à l'expert. J'ai apprécié sa vigilance quant à la mise en oeuvre opérationnelle, son attention aux PME. Nous avons travaillé dans un climat de confiance mutuelle qui nous a permis de tenir nos engagements réciproques. Je salue Mme Procaccia, qui a su présider nos travaux avec le talent et le sens de l'écoute que tous lui reconnaissent.

Plusieurs avancées concrètes sont issues d'amendements d'origine parlementaire. Au Sénat, nous devons la simplification du système, avec la portabilité du DIF; les mesures en faveur de la formation dans les PME ; la meilleure articulation entre formation initiale et continue au travers du délégué à la formation et à l'orientation ; la mise sous tension des OPCA au travers des conventions triennales d'objectifs ; pour les jeunes, les apports de l'Assemblée nationale ont été ici complétés grâce à la simplification de l'enregistrement des contrats d'apprentissage et une meilleure prise en compte des « décrocheurs ».

Merci aux sénateurs qui, sur tous les bancs, ont fait vivre ce débat. Il faut se réjouir que certains amendements et certains articles aient été adoptés dans le consensus le plus large.

Je veux vous proposer une séance de travail réunissant les partenaires sociaux et la représentation parlementaire pour réfléchir ensemble à la jurisprudence progressive que nous devons construire, dans le respect à la fois du dialogue social et de la décision finale, qui appartient au législateur. Je sais le président Larcher très attaché à ces questions.

Comment la loi sera-t-elle transcrite en acte ? Quand verra-t-on les changements sur le terrain ? Sont à venir 25 décrets. Nous ciblerons par priorité la mise en place du Fonds, au 1er janvier, car là est l'urgence pour les demandeurs d'emplois et les PME. A partir du 1er janvier, nous surveillerons la mise sous tension progressive des OPCA. Je souhaite enfin que l'année 2010 soit consacrée à la traque implacable des dérives sectaires car une purge rapide s'impose. Le Gouvernement vous rendra compte, au travers de votre rapporteur, de la mise en application de ce texte.

Le but de la réforme est double, je l'ai dit. Faire de la formation professionnelle une arme anticrise et lui donner une nouvelle jeunesse pour plus de justice, de transparence, de réactivité vers les nouveaux emplois, et je pense en particulier aux emplois verts. Il s'agit de rompre avec une formation parking. L'unique objectif, désormais, est l'emploi. (Applaudissements à droite, au centre et au banc des commissions)

Mme Christiane Demontès.  - De la formation professionnelle dépendent la qualité de l'emploi, le niveau des salaires, la compétitivité des entreprises, le développement économique. Au cours de leur vie professionnelle, nos concitoyens sont de plus en plus souvent amenés à changer d'emploi, voire de métier. Face à une mobilité et à une flexibilité qui vont même bien souvent de paire, la sécurisation doit être un outil pour faire face aux changements imposés.

Hélas, le déroulement de nos travaux a confirmé les insuffisances de ce texte. Nous avions besoin de travaux préparatoires, de confrontation des points de vue. Au lieu de cela, nous avons eu la procédure accélérée. Notre rapporteur lui-même a rappelé combien deux lectures eussent été nécessaires.

Face à ce texte patchwork, je ne suis pas sûre que les citoyens, qu'ils soient salariés, chômeurs ou chefs d'entreprise, s'y retrouvent. Nos contacts avec les partenaires sociaux -représentants des employeurs comme des salariés- confirment le mécontentement.

L'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, qui contenait des éléments positifs, se trouve presque trahi, pour le plus grand dommage de plus de trois millions et demi de chômeurs. Certes, la portabilité du DIF, la création d'un fonds paritaire, l'extension des contrats de professionnalisation aux titulaires de minima sociaux ou aux bénéficiaires de contrats aidés constituent des avancées.

Mais bien des éléments manquent à l'appel. Rien sur la formation initiale, alors que des dizaines de milliers de jeunes sortent du système scolaire sans qualification -et l'on sait que ce sont eux qui connaîtront les plus grandes difficultés et grossiront les rangs des chômeurs de longue durée. Rien sur l'articulation entre formation initiale et continue, sinon à l'article 2 qui n'a qu'une simple portée déclarative. Pas d'avancée sur l'apprentissage, dont la réglementation mériterait simplification et transparence. Pas plus sur la validation des acquis de l'expérience, qui reste trop confidentielle. Seule note positive : la proposition de la présidente de la commission des affaires sociales qui, à la suite de nos travaux, propose la mise en place d'une mission d'information sur le sujet afin de tirer profit des expériences de terrain.

Aujourd'hui, la validation des acquis de l'expérience reste trop confidentielle, et vous avez manqué de détermination pour améliorer la formation des salariés à temps partiel et, plus généralement, des populations fragilisées.

Nous sommes totalement opposés au deuxième volet du projet de loi. Ainsi, les dispositions concernant le droit à l'orientation n'apportent aucune réponse aux besoins des jeunes et des adultes qui doivent être accompagnés dans leur parcours d'orientation. En outre, le Gouvernement a ajouté de la confusion à la complexité en ce qui concerne les compétences du délégué interministériel à l'information et à l'orientation, qui existe déjà. Les contacts que nous avons eus avec les acteurs de l'orientation prouvent qu'ils ne sont guère rassurés.

La remise en cause de l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans a été effectuée grâce à un « petit » amendement. Des jeunes de 15 ans pourront donc intégrer un CFA pour y suivre une formation sous statut scolaire. Nous voulions instaurer une obligation de formation jusqu'à 18 ans, mais vous l'avez rejetée. Or, n'est-ce pas ce que vient de demander le Président de la République, à l'initiative du Haut-commissaire à la jeunesse ? Quelle cohérence !

Ce texte marque aussi une nouvelle étape dans l'entreprise de destruction du service public et, plus spécifiquement, de celui de l'emploi. Sur la forme, vous n'avez procédé à aucune concertation sérieuse. Sur le fond, l'introduction d'opérateurs privés dans la préparation de l'accès à l'emploi, qui n'obtiennent d'ailleurs pas de meilleurs résultats que les opérateurs publics ; le transfert des psychologues de l'Afpa au Pôle emploi, dans un climat bien peu propice, participe de cette entreprise de destruction.

En dépit des améliorations apportées à l'article 20, il convient également de mentionner la recentralisation du pilotage de la formation professionnelle contre l'avis des partenaires sociaux qui estiment que les conseils régionaux n'ont pas démérité, loin de là.

Enfin, comment ne pas terminer par cet ultime coup de poignard dans le dos ? L'État a décidé tardivement de transférer à l'Afpa son patrimoine immobilier vétuste, sans aucune expertise préalable. Une fois encore, vous procédez à un transfert, sans vous soucier des conséquences. Est-ce vraiment responsable, ne serait-ce qu'au regard de l'intérêt général ?

Ce texte, s'il consacre quelques progrès notables, pèche aussi par les mauvaises réponses apportées aux préoccupations de nos concitoyens, touchés de plein fouet par la crise et par le chômage. Je pense en particulier aux jeunes, de plus en plus nombreux à rencontrer les plus grandes difficultés pour accéder à l'emploi. Ce projet de loi n'y changera rien. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Puisque nous arrivons au bout de ce long cheminement, même s'il a été trop rapide, je remercie toutes celles et tous ceux qui y ont participé : j'ai vraiment eu plaisir à siéger dans cette commission spéciale car je n'y ai rencontré que des gens compétents et convaincus, même si nous n'avons pas toujours été d'accord.

Nous voici donc arrivés à la dernière étape d'un processus engagé par les partenaires sociaux il y a un an, officialisé par un accord national interprofessionnel signé par toutes les organisations. Cet accord doit prendre maintenant sa forme législative à la suite d'un travail approfondi des deux chambres. Le résultat qui nous est présenté aujourd'hui marque, malgré tout, une avancée. Ainsi en est-il de la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, de la réduction du nombre d'organismes collecteurs agréés pour plus de transparence, du droit individuel à la formation, de l'extension du contrat de professionnalisation aux bénéficiaires des minima sociaux et aux titulaires du contrat aidé. Ce dernier point n'a d'ailleurs pas été assez souligné.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - C'est vrai !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Mais cette énième réforme d'un processus engagé par la loi sur la formation professionnelle de 1971 démontre que l'on est arrivé au bout d'un système devenu incompréhensible par sa complexité même, injuste, car incapable de lutter contre les inégalités, révoltant, car laissant tant de jeunes incapables de s'insérer dans le monde du travail et toujours inaccessible aux plus fragiles, malgré les 27 milliards dépensés chaque année !

C'est pourquoi cette loi était nécessaire pour remettre de l'ordre et fixer des objectifs : je vous remercie de l'avoir faite. Elle me laisse cependant une curieuse impression...

M. Yvon Collin.  - D'inachevé !

M. Jean-Pierre Plancade.  - ...qui pourrait se résumer de la sorte : nous allons voter un texte qui est censé préparer nos jeunes et les salariés au XXIe siècle mais nous le faisons encore avec l'état d'esprit, les critères et les analyses du XXe siècle. C'est pourquoi je reste persuadé qu'il nous reste à inventer une loi sur la formation professionnelle pour ceux qui auront 35 ans ou plus en 2050 car aujourd'hui, personne ne peut dire ce que sera le marché du travail à ce moment-là. II nous faut donc inventer -je dis bien inventer- la prochaine loi, celle qui permettra à chacun de s'approprier son avenir professionnel et d'en devenir responsable, celle qui va associer souplesse et réactivité pour s'adapter très vite aux situations nouvelles, celle qui autorisera la créativité en affirmant le droit à l'expérimentation, celle qui acceptera que les solutions puissent également venir du terrain, celle qui affirmera que le rôle du management dans les organisations est de faire grandir et non pas d'asservir.

André Gide disait : « En ce bas monde, tout a été dit mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer ». (Rires) Je vais donc recommencer : je suis convaincu que seule une augmentation massive des qualifications et des compétences permettra de maintenir notre niveau de vie et de protection sociale et que nous ne pourrons le faire qu'avec un individu responsabilisé dans une entreprise responsable et, elle aussi, responsabilisée. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, cette loi était nécessaire mais elle n'est pas suffisante pour affronter les défis qui se présentent et face à l'accélération inouï de notre monde. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)

Mme Annie David.  - Nous nous retrouvons aujourd'hui pour conclure nos travaux sur le projet de loi relatif à l'orientation et la formation professionnelle, travaux menés au pas de charge, mais je ne reviendrai pas sur cette procédure qui dénature le rôle de notre Parlement.

Ce texte a suscité de vifs espoirs pour de très nombreuses et nombreux salariés, qui pensaient voir se concrétiser enfin la réforme de la formation professionnelle tant annoncée et dont l'ambition était de permettre au plus grand nombre, en particulier à celles et ceux qui en ont le plus besoin, de bénéficier des formations adéquates pour retrouver un emploi ou envisager une complète reconversion.

Malheureusement, tel ne sera pas le cas : les modifications apportées par la commission mixte paritaire n'y changeront rien, bien au contraire. D'ailleurs, cette commission a procédé à une véritable seconde lecture du projet de loi, à ceci près que le débat n'était pas public. Les quelque 80 amendements déposés, les nombreux échanges de paroles, y compris entre membres de la majorité, ont donné l'impression que nous refaisions à quelques-uns, et à huis clos, un débat qui aurait mérité un meilleur traitement. Cette longue et âpre commission mixte paritaire, qui a eu besoin d'une deuxième délibération, ce qui est rare, démontre que le recours systématique à la procédure accélérée prive l'ensemble des parlementaires de débats importants. La séance publique doit être le lieu par excellence des débats de fond, nos concitoyennes et concitoyens ayant droit à la publicité de nos débats.

A l'issu de nos travaux en CMP, nos réserves subsistent. En effet, nous demeurons opposés à votre conception de la formation professionnelle. Vous considérez, monsieur le ministre, qu'elle n'a de sens que si elle est destinée à l'emploi immédiat et rapide des salariés. Vous nous avez dit que « la formation professionnelle était une arme fondamentale pour lutter contre la crise » et que « l'emploi était son seul et unique objectif ». Aujourd'hui, vous prétendez qu'il s'agit de la meilleure arme anticrise. Cette conception très utilitariste de la formation n'est pas la nôtre. Si la formation professionnelle est une clé dans le retour à l'emploi, elle ne peut être son seul levier.

Nous estimons que la formation professionnelle doit permettre aux salariés qui le souhaitent d'envisager des reconversions qui correspondent à leurs besoins, même si elles ne répondent pas aux besoins immédiats du marché de l'emploi sur un territoire précis. L'épanouissement des salariés, leur bien-être sont essentiels. De plus, la formation professionnelle doit prioritairement servir aux salariés car une formation voulue et épanouissante est seule gage de réussite. C'est un peu comme pour l'orientation : soit elle est subie, soit elle est choisie.

La formation doit aussi viser la promotion sociale et l'élévation du niveau de qualification de chaque salarié durant sa carrière professionnelle. Cette dimension est absente de ce projet de loi qui est également déconnecté de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, la GPEC. Pourtant, c'est grâce à cette gestion prévisionnelle qu'il est possible d'envisager les évolutions industrielles, et donc les métiers du futur. Cette prévision permet aux hommes et aux femmes qui travaillent dans ces industries en mutation d'aborder un peu plus sereinement les changements auxquels ils doivent faire face. Il ne s'agit pas de déplorer leur manque d'adaptation. Pour moi, d'ailleurs, on n'adapte pas un être humain.

Ce texte donne l'impression d'une conception à court terme de la formation, servant plus l'employabilité, la flexsécurité que la véritable sécurisation des parcours professionnel, laquelle passe par la création et le renforcement d'un certain nombre de droits que vous n'avez pas voulu prendre en compte.

Je ne vais pas me lancer dans un inventaire à la Prévert, je reviendrai simplement sur quelques points, notamment sur l'article 4, qui a pour intention louable de permettre aux salariés de bénéficier d'une portabilité de leur droit individuel à formation. Il n'est toutefois pas assez ambitieux ; le Gouvernement et sa majorité sont restés au milieu du gué, tout comme vous avez été frileux en matière de renforcement des droits des salariés. Ceux-ci devront recevoir l'accord de l'employeur ; ce droit est limité dans le temps ; les salariés en contrat d'apprentissage, de professionnalisation ou à temps partiel n'y ont pas droit. J'espère, monsieur le ministre, que vous tiendrez l'engagement formulé en septembre dernier à leur égard.

Ces salariés à temps partiel, qui sont surtout des femmes, ne peuvent être une nouvelle fois victimes des temps partiels qu'on leur impose, avec des temps de travail émiettés, des salaires insuffisants ; on ne va pas, en plus, les éloigner de la formation. En commission mixte paritaire, M. Carle a repoussé un amendement à ce sujet sous prétexte de rupture d'égalité mais ce sont ces salariés qui sont victimes d'une rupture d'égalité !

En matière de portabilité, la cohérence exigeait qu'on garantisse une portabilité universelle du DIF, sans référence à la nature contractuelle ni à la durée de la portabilité et sans accord de l'employeur. Faute de quoi, le DIF reste le droit à demander à bénéficier de la portabilité plus qu'un droit à la portabilité en tant que telle.

Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire du retour en force de l'État dans la formation professionnelle. Je ne vise pas tant l'article 20, qui a fait l'objet d'une réécriture plus équilibrée en faveur des régions, même si, comme l'a dit le président Méhaignerie en CMP, « il est nécessaire d'organiser un vrai débat sur la clarification des responsabilités en matière de transfert de compétences et de financements entre l'État et les collectivités locales ». Mais la CMP a maintenu une disposition -non prévue dans l'accord national interprofessionnel !- qui permet à l'État de déterminer des parcours professionnels.

Si nous nous réjouissons de la création du fonds à l'article 9, nous craignons que cette convention ne permette au Gouvernement, sous prétexte de satisfaire le besoin légitime de formation des salariés privés d'emploi, de se désengager de la responsabilité politique et financière qui est la sienne en matière d'emploi en faisant des choix dont nous redoutons qu'ils ne correspondent davantage aux économies que le Gouvernement entend faire sur son propre budget, qu'à de réelles priorités.

Nous regrettons que vous ayez refusé la participation des régions à la gestion du fonds, alors même qu'elles supportent déjà une grande partie de l'effort national de la formation. Nous regrettons également les modifications apportées par la CMP au financement du fonds. Nous étions opposés à la négociation branche par branche, craignant que certaines branches ne décident de faire reposer sur la seule cotisation « professionnalisation » la participation due au Fonds. Comme le rapporteur, nous avons reçu le courrier des signataires de l'accord nous demandant de revenir sur la règle des trois tiers.

C'est, me direz-vous, afin de respecter l'accord que vous avez souhaité revenir sur ce point. Il est vrai que ce projet de loi a fait l'objet d'une importante négociation entre les partenaires sociaux. Même si l'on peut regretter qu'ils aient été contraints de négocier dans la précipitation et sur la base d'une feuille de route déterminée par le Gouvernement, cette négociation a aboutit à un accord, signé à l'unanimité, dont je conviens que nous devons tenir compte. Mais il nous appartient aussi de l'enrichir. Vous ne vous êtes d'ailleurs pas privés de le faire, comme avec cette convention ou avec les articles 19 ou 19 bis A.

L'article 19, auquel nous sommes totalement opposés, est apparu sans que les partenaires sociaux aient été consultés, et le 19 bis A est apparu en séance publique au Sénat à la suite d'un amendement du Gouvernement ! Le transfert d'une partie des personnels de l'Afpa vers Pôle emploi est une étape supplémentaire dans le démantèlement du service public de l'emploi. Un démantèlement visant à satisfaire les exigences européennes de concurrence, que vous vous êtes vous-mêmes imposées, notamment en forçant le peuple français à accepter le traité de Lisbonne. L'avis du conseil de la concurrence est clair : ce qui est reproché n'est pas tant l'attribution de subventions à l'Afpa que l'absence de cadre législatif. Tout cela n'est qu'un prétexte pour ouvrir à la concurrence le champ de la formation professionnelle afin que des opérateurs privés accèdent aux 27 milliards de la formation. Car pour vous, et pour l'Europe libérale que vous appelez de vos voeux, tout est concurrence.

Pour les mêmes raisons dogmatiques, vous autorisez les opérateurs privés de placement à concurrencer Pôle emploi, alors que le rapport Seibel du 6 octobre faisait ressortir une « différence d'efficacité entre les opérateurs privés et le service public » au bénéfice de ce dernier : le placement des chômeurs par le privé est plus cher et moins efficace que lorsqu'il est confié au service public. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a de quoi s'inquiéter pour la formation professionnelle.

Quant au transfert du patrimoine immobilier, opéré à l'article 19 bis A, il a aussi de quoi inquiéter. Vous nous avez dit que l'octroi de subventions à l'Afpa était illicite au plan européen. On comprend alors mal comment une subvention en nature, estimée à 300 millions, pourrait être licite ! Elle ne l'est évidemment pas mais on la tolère parce qu'elle constitue un cadeau empoisonné à l'Afpa.

SI des articles figurent dans le texte sans être dans l'ANI, vous avez aussi refusé d'inscrire dans le projet de loi certaines de ses dispositions, dont le droit à la formation initiale différée. Vous trahissez ainsi l'esprit de cet accord national. Car si certaines mesures avaient pour effet de favoriser des formations directement utiles pour le retour à l'emploi, c'est qu'il y en avait aussi d'autres, comme celles offrant aux salariés sortis du système scolaire sans diplôme la possibilité d'obtenir une véritable seconde chance. Cette absence est d'autant plus regrettable que ce projet de loi n'apporte en matière scolaire aucune réponse réelle pour les jeunes « décrocheurs ». Apprentissage dès 15 ans, généralisation des « écoles de la seconde chance », transfert immédiat des coordonnées des élèves décrocheurs à une liste d'organismes, suppression de la mission générale d'insertion constituent autant de renoncements à l'obligation pour l'éducation nationale de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec un diplôme de cycle supérieur.

Vous laissez entendre que les conseillers d'orientation et psychologues seraient insuffisamment formés aux métiers actuels. Ces femmes et ces hommes sont confrontés non pas à une ignorance des métiers mais à l'incertitude dans laquelle se trouvent les élèves lorsqu'il s'agit de faire un choix, dont ils savent qu'il aboutira sur des années de galère, de chômage, de précarité, de sous-reconnaissance de leur diplôme !

Vous pourrez mettre en place tous les portails électroniques que vous voudrez, tant que la situation de l'emploi ne se sera pas stabilisée, les jeunes seront désorientés. Pour vous, l'école doit permettre d'acquérir des compétences utiles dans le monde du travail, alors qu'il s'agit pour nous de favoriser le développement de citoyens épanouis et responsables. École et formation n'ont pour vous d'autre utilité que de permettre l'employabilité des salariés. Vous mettez l'homme au service de l'économie ; pour nous, c'est bien l'économie qui doit être au service de l'humanité. André Malraux disait que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas ; nous disons, nous, qu'il sera le siècle des connaissances partagées ou ne sera pas.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Jeannerot.  - Je tiens tout d'abord à rendre hommage au travail réalisé par la commission ad hoc et son rapporteur Jean-Claude Carle. Il faut le reconnaître, le texte dans sa version finale, même s'il n'est pas à la hauteur de ses ambitions, comporte un certain nombre d'avancées.

La première est de renforcer le droit individuel à la formation. L'article 4 en permet la portabilité : grâce à une intervention des fonds mutualisés, un reliquat de droit non utilisé pourra être mobilisé non seulement pour la période de chômage mais également dans les deux premières années.

La seconde avancée qui mérite particulièrement d'être saluée concerne la création du fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui figure dans l'accord du 7 janvier 2009. Ce fonds doit permettre aux demandeurs d'emploi d'acquérir une formation ou de se requalifier en dynamisant la période de chômage. Je me félicite également du vote à l'unanimité d'un amendement tendant à garantir aux demandeurs d'emplois un accès organisé aux formations achetées par les régions. Dans cette perspective, une convention sera signée entre les régions, Pôle emploi et l'Afpa. Cette disposition aura pour conséquence tout à la fois de sécuriser l'organisme de formation dans son processus de recrutement des stagiaires et d'optimiser l'utilisation de l'argent engagé par les régions.

Cependant, ce texte n'est malheureusement pas la grande réforme qu'il aurait pu être. La formation aurait mérité d'être retenue parmi les grands chantiers du Gouvernement, dans la lutte contre la crise.

L'ambition escomptée n'est pas au rendez-vous. La faute en revient d'abord à la méthode choisie par le Gouvernement : il aurait fallu ouvrir un véritable Grenelle de la formation professionnelle afin de mobiliser tous les acteurs dans les régions et de définir des solutions innovantes.

Ce texte souffre d'un quadruple déficit. Déficit de simplification : il aurait fallu rendre les formations plus lisibles et plus accessibles afin d'assurer leur succès.

Déficit d'approfondissement, malgré les efforts de M. le rapporteur : on reste au milieu du gué sur la question de l'apprentissage au lieu de mettre à plat le dispositif pour le mettre en cohérence avec les autres mesures existantes. Il aurait également fallu expertiser les services d'orientation et les articuler avec l'offre de formation. Mais en confiant toutes les responsabilités à l'État dans ce domaine, ce texte de loi accentuera le divorce entre l'orientation et la formation, qui relève des régions.

J'en arrive tout naturellement au déficit d'ancrage territorial : j'attendais de cette réforme qu'elle concilie les logiques de branches et les besoins des territoires. Les présidents de région auraient pu être les acteurs privilégiés de cette synergie. Au lieu de cela, vous organisez une recentralisation qui ne dit pas son nom. C'était pourtant le moment d'inventer une relation moderne entre l'État, garant de l'équité territoriale, et les régions, soucieuses de faire converger les exigences du développement économique et de la cohésion sociale.

Enfin, ce texte manque d'audace et d'ambition. On a renoncé par exemple à instituer un droit à la formation initiale différée. C'est dommage : vous auriez pu attacher votre nom, monsieur le ministre, à une grande réforme. S'agissant de l'Afpa, le rendez-vous est également manqué. En transférant les psychologues de l'Afpa à Pôle emploi, vous jetez l'institution dans le bain de la concurrence. Mais je vous donne acte de votre constance : vous n'avez jamais cessé de dire qu'au nom des règles de la concurrence, l'Afpa devait être banalisée... Les régions n'ont pas pu se faire entendre sur ce point. Je ne reviendrai pas sur les conséquences de ce choix ; mais je formule le voeu que le personnel de l'Afpa, dont vous avez-vous-même reconnu le savoir-faire à l'occasion du 60e anniversaire de l'institution, trouve, dans l'intérêt du pays, les ressources suffisantes pour résister à l'épreuve que vous lui imposez. Au coeur de la crise, nous avions l'occasion de moderniser l'Afpa et d'en faire l'acteur d'un service public de la formation professionnelle pour adultes réinventé, fonctionnant en réseau, au service de chaque région tout en étant fort de sa dimension nationale. Cela aurait pu être compatible avec les règles européennes. Mais vous avez fait le choix du libéralisme le plus traditionnel.

On pouvait lire ce matin dans Les Echos ces propos de Pierre Ferracci, PDG du groupe Alpha : « La réforme de la formation professionnelle ne vas pas assez loin. » Nous avons exactement le même sentiment : c'est pourquoi nous voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

M. le président.  - Conformément à l'article 42-12 de notre Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer sur les conclusions de la CMP après l'Assemblée nationale, il procédera à un vote unique sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.

Le vote sur les articles 1 à 13 A est réservé.

Article 13

I. - L'article L. 6222-18 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article L. 1242-10 est applicable lorsque, après la rupture d'un contrat d'apprentissage, un nouveau contrat est conclu entre l'apprenti et un nouvel employeur pour achever la formation. »

I bis. - Le premier alinéa de l'article L. 6222-35 du même code est ainsi rédigé :

« Pour la préparation directe des épreuves, l'apprenti a droit à un congé supplémentaire de cinq jours ouvrables. Il doit suivre les enseignements spécialement dispensés dans le centre de formation d'apprentis dès lors que la convention mentionnée à l'article L. 6232-1 en prévoit l'organisation. »

II. - Le dernier alinéa de l'article L. 6241-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« À défaut de publication de ce coût, le montant de ce concours est égal à un montant forfaitaire fixé par arrêté du ministre chargé de la formation professionnelle. »

III. - L'article L. 6341-3 du même code est complété par un 3°ainsi rédigé :

(Alinéa supprimé)

« 3° Les formations suivies en centre de formation d'apprentis par les apprentis dont le contrat a été rompu sans qu'ils soient à l'initiative de cette rupture, pour une durée n'excédant pas trois mois. »

IV. - (Supprimé)

V. - (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Rétablir le IV dans la rédaction suivante :

IV. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 6341-3 du code du travail, peuvent être agréées, dans les conditions fixées à l'article L. 6341-4 du même code, les formations, dont la durée ne peut excéder deux mois, entamées jusqu'au 31 octobre 2010 dans les centres de formation d'apprentis volontaires par des jeunes à la recherche d'un employeur susceptible de les recruter en qualité d'apprentis.

Un comité, constitué de deux députés et deux sénateurs, est chargé de présenter un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de l'alinéa précédent dans un délai d'un an à compter de la date de publication de la présente loi.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Il s'agit de faciliter l'inscription des apprentis dans les centres de formation : nous avons longuement abordé ce sujet en première lecture. Des craintes se sont exprimées en CMP : certains considéraient que le délai de quatre mois était trop long et qu'il était nécessaire de mettre en place une année d'expérimentation. Nous avons essayé de trouver un terrain d'entente : le délai avant lequel l'apprenti devra avoir trouvé une entreprise d'accueil a été ramené à deux mois. Cet amendement a fait l'objet d'un très large accord à l'Assemblée nationale : le groupe communiste a voté pour ainsi que la majorité du groupe socialiste. Il s'agit d'une mesure pragmatique visant à apporter plus de souplesse au dispositif.

M. René Garrec.  - Très bien !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur.  - Avis favorable à cet amendement qui reprend une disposition votée par le Sénat et rend le système plus souple.

Le vote sur l'article 13 modifié par l'amendement n°1 est réservé, ainsi que le vote sur les articles 13 bis AA à 25.

Vote sur l'ensemble

Mme Annie David.  - J'aurais voulu intervenir sur l'amendement n°1 à l'article 13.

M. le président.  - C'était impossible, le vote étant réservé.

Mme Annie David.  - Je suis surprise de voir réapparaître, par le biais d'un amendement du Gouvernement, une disposition supprimée après un long débat en commission avec l'accord d'une large majorité, UMP comprise.

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale.  - Cet amendement a été adopté par l'Assemblée nationale.

Mme Annie David.  - La CMP n'avait pas seulement émis des réserves sur la longueur du délai et la nécessité d'une expérimentation mais elle avait considéré que c'était méconnaître la nature de l'apprentissage que d'accepter qu'un jeune entre en apprentissage sans avoir trouvé d'entreprise ni de maître de stage.

Certes, l'Assemblée nationale a voté cet amendement...

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - Avec l'assentiment du groupe communiste !

Mme Annie David.  - Notre collègue Jean-Claude Lecoq a déclaré qu'il s'agissait d'une réponse pragmatique à un problème concret. Certes, le problème de l'entrée en apprentissage est aigu ; mais votre réponse est inadaptée. Nous avions demandé au Gouvernement des garanties sur l'accompagnement des jeunes afin qu'ils puissent effectivement trouver un employeur, mais nous n'avons pas eu de réponse.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État.  - M. Lecoq est plus pragmatique que vous...

Mme Brigitte Bout.  - Notre système de formation, qui coûte chaque année 27 milliards d'euros, est aujourd'hui à bout de souffle, selon les termes du Président de la République. Ce projet de loi répond à deux objectifs : rendre ce système plus efficace et plus lisible et faire en sorte que tous les salariés y aient accès. Il traduit l'accord des partenaires sociaux du 7 janvier 2009 ; notre Haute assemblée s'est donc attachée à améliorer le texte sans remettre en cause cet accord. La plupart des dispositions adoptées par le Sénat ont été approuvées en CMP. Je rappellerai plusieurs avancées majeures. Nous avons tout d'abord souhaité mieux articuler formation initiale et formation continue. Il était urgent de revoir notre système d'orientation professionnelle : un délégué interministériel à l'orientation sera chargé de définir les priorités des politiques d'orientation et d'évaluer les dispositifs existants. La formation des conseillers psychologues sera améliorée, et le livret de compétences permettra aux jeunes de valoriser l'ensemble de leurs expériences. Il était temps d'avancer sur le sujet de l'orientation, dont la mauvaise organisation pénalise nos jeunes.

S'agissant des jeunes, nous avons su tirer les leçons des travaux de la mission commune d'information du Sénat, animée par Christian Demuynck, ainsi que du Livre vert de Martin Hirsch.

Notre groupe se réjouit de ce travail effectué en commun.

Le Sénat a souhaité soutenir des dispositifs qui ont montré leur efficacité, tels que le droit individuel à la formation. Nous avons réformé le fonctionnement des OPCA en prévoyant notamment la signature de conventions d'objectifs et de moyens avec l'État. Enfin, notre rapporteur, très attaché à la formation dans les plus petites entreprises, a fait adopter des mesures concrètes facilitant le remplacement de leurs salariés. Je remercie particulièrement Jean-Claude Carle (applaudissements à droite) pour son travail et son écoute.

Ce texte, fruit d'une oeuvre collective, était nécessaire, et le groupe UMP lui apporte tout son soutien. (Applaudissements à droite)

Mme Anne-Marie Payet.  - Jusqu'au bout, nous aurons travaillé sur ce projet de loi dans une atmosphère constructive et la CMP, elle aussi, l'aura amélioré : par exemple, pour l'orientation, le rétablissement du portail informatique qu'avait prévu l'Assemblée nationale ne nous semble pas anecdotique.

Mais la plus grosse question qu'a eue à trancher la CMP concernait le financement du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Certains membres de notre groupe préconisaient la solution d'abord retenue par notre commission spéciale et garantissant dans la loi que la professionnalisation ne soit pas mécaniquement asséchée pour financer ce fonds. Le texte finalement adopté nous semble un compromis acceptable ; il respecte la démocratie sociale mais comporte assez de garde-fous réglementaires pour garantir que la ligne rouge ne soit pas franchie au détriment de la professionnalisation. Au moins, le débat aura eu lieu au Sénat et il aura eu le mérite d'attirer notre attention sur ce point clef sur lequel nous demeurerons vigilants.

Un bémol tout de même concernant la CMP : nous regrettons qu'elle soit revenue sur l'amendement que nous avions fait adopter sur la préparation opérationnelle à l'emploi. Il nous semblait préférable, pour que cette POE devienne vraiment l'outil d'anticipation des besoins du marché du travail qu'elle a vocation à être, qu'elle puisse être activée avant même le dépôt d'offres d'emploi.

Le texte aura été amélioré jusqu'au bout de la procédure législative puisque nous venons d'adopter l'amendement du Gouvernement, destiné à faciliter la situation des jeunes souhaitant entrer en apprentissage sans encore avoir trouvé d'employeur. Nous y sommes évidemment très favorables.

Je redis une dernière fois, au nom de mon groupe, tout le bien que nous pensons de ce texte et de l'Accord national interprofessionnel qui le sous-tend, principalement en ce qu'ils créent le Fonds paritaire de sauvegarde et améliorent la portabilité du DIF. II était temps qu'une part des fonds de la formation professionnelle profite aux publics qui en ont le plus besoin surtout compte-tenu de la conjoncture économique.

De même, nous sommes très favorables à la portabilité du DIF, autre adaptation du droit de la formation professionnelle aux réalités du marché du travail. Pour combattre les inégalités d'accès à la formation, ce texte simplifie et décloisonne le système.

Je me réjouis également que l'amendement rétablissant la possibilité de dissoudre les personnes morales condamnées pour escroquerie, que j'ai cosigné avec le président Nicolas About, ait été adopté. Ce projet de loi était le véhicule idéal pour agir au plus vite, compte-tenu du développement, sous couvert de formation professionnelle, des activités pénalement répréhensibles de certaines sectes -qui prolifèrent à la Réunion.

A titre personnel, je regrette que certains des amendements que j'avais cosignés n'aient pas été adoptés. L'outre-mer ne doit pas être le parent pauvre de la formation professionnelle et il aurait été bon que la loi impose explicitement au Fonds de sécurisation de financer des actions spécifiques dans les départements d'outre-mer. De même, nous aurions souhaité que le plan régional de développement de formation professionnelle de ces départements comporte un volet développant la formation à distance par le biais des nouvelles technologies.

En bout de parcours législatif, ce texte suscite encore des interrogations auxquelles, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous apporter une réponse ce soir ou ultérieurement. L'article 14 traite des incompatibilités entre les fonctions d'administrateur ou de salarié dans un établissement de formation et d'administrateur ou de salarié dans un OPCA. Or, le futur article L 6332-2-1 du code du travail établit une dérogation à ce principe pour les établissements de crédit. Pour ces établissements, l'incompatibilité ne concerne que la situation de salarié et non d'administrateur. Pourquoi ?

De plus, le texte dispose que les CCI territoriales peuvent administrer tout établissement de formation professionnelle. Il semble paradoxal qu'un administrateur d'OPCA ne puisse administrer un organisme de formation alors que, s'il exerce un mandat dans une collectivité territoriale, cela ne fait aucune difficulté.

Nous attendons des réponses à ces questions mais l'immense majorité des membres du groupe de l'Union centriste votera ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Christiane Demontès.  - Je vais faire entendre une autre musique... Ce texte, nous le répétons, n'est pas une grande loi. C'est un texte non abouti et l'amendement du Gouvernement montre bien que nous ne l'avons pas assez travaillé et n'en avons pas mesuré l'impact. On remet en cause le principe même de l'apprentissage, un contrat passé entre un employeur et un jeune, que suit l'obtention d'une place en CFA : ici on intervertit l'ordre des choses. Cela prouve qu'on n'a pas assez consulté. Nous confirmons notre vote négatif. (Applaudissements à gauche)

A la demande du groupe UMP, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 318
Majorité absolue des suffrages exprimés 160
Pour l'adoption 187
Contre 131

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite et au centre)

Prochaine séance, demain, jeudi 15 octobre 2009, à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 55.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 15 octobre 2009

Séance publique

A NEUF HEURES TRENTE, A QUINZE HEURES ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR

1. Projet de loi autorisant l'approbation de la convention relative à la coopération en matière de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée entre le gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste. (n°314, 2008-2009)

Rapport de M. André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (n°9, 2009-2010)

Texte de la commission. (n°10, 2009-2010)

2. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord-cadre entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Botswana sur l'éducation et la langue française. (n°376, 2008-2009)

Rapport de M. Robert del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (n°13, 2009-2010).

Texte de la commission. (n°14, 2009-2010)

3. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord sur l'enseignement bilingue entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Roumanie. (n°355, 2008-2009)

Rapport de M. Robert del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (n°11, 2009-2010)

Texte de la commission. (n°12, 2009-2010)

4. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de l'Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire. (n°335, 2008-2009)

Rapport de M. Xavier Pintat, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (n°620, 2008-2009)

Texte de la commission. (n°621, 2008-2009)

5. Projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution. (n°460 rectifié, 2008-2009)

Rapport de M. Jean-René Lecerf fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. (n°635, 2009-2010)

Texte de la commission. (n°636, 2009-2010)