Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. La Conférence des Présidents a décidé que l'examen de ces deux textes ferait l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.  - (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP) Les deux textes soumis à votre examen mettent en oeuvre une innovation importante de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui doit permettre au Parlement de contrôler les nominations envisagées par le Président de la République aux fonctions les plus éminentes, pour la garantie des libertés ou la vie économique et sociale de notre pays.

Le pouvoir de nomination du Président de la République fera l'objet d'un avis public préalable des commissions compétentes du Parlement. Selon la volonté du constituant, le Parlement aura la possibilité de s'opposer à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans ces commissions atteindra au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés. En encadrant la compétence du Président de la République, cette nouvelle prérogative des parlementaires participe au rééquilibrage des institutions de la Ve République voulu par le Président Sarkozy.

Cette nouvelle procédure est aussi une traduction concrète de la « République des compétences » voulue par le Président de la République, faisant le choix des talents, au-delà des affinités et des sympathies.

La procédure de l'article 13 garantira la transparence du choix des personnalités proposées à la nomination. Comme l'a souligné le président Hyest, le choix de l'exécutif s'appuiera désormais sur une délibération nourrie par l'expérience des parlementaires et leur diversité politique.

L'audition publique des candidats est à elle seule un gage déterminant de la dignité et de la qualité professionnelle des personnes nommées : les parlementaires auront pu, avant de se prononcer, évaluer leur compétence et la pertinence de leurs projets. Ce contrôle parlementaire garantira en outre l'indépendance des personnes nommées vis-à-vis de l'exécutif. C'est pourquoi le Premier ministre a souhaité, avant même l'adoption de la loi organique, que les candidats à la présidence d'Aéroports de Paris, d'EDF et de la Française des jeux soient entendus par les commissions parlementaires compétentes, y compris pour une reconduction aux mêmes fonctions.

L'entrée en vigueur du nouvel article 13 de la Constitution est conditionnée par l'adoption d'une loi organique qui doit préciser la liste des emplois et fonctions soumis à la nouvelle procédure, tandis qu'il revient à une loi ordinaire de préciser quelle est la commission permanente compétente pour donner un avis sur chaque nomination.

Le projet de loi organique a retenu au sein d'une liste extrêmement hétérogène une liste importante de 41 emplois ou fonctions ; il en a ainsi rajouté une vingtaine à ceux que le comité Balladur avait imaginé de soumettre à une audition préalable du Parlement. Ce texte ne concerne que les nominations proposées par le Président de la République et pas celles du Premier ministre. Conformément à l'article 13 de la Constitution, elle retient des emplois importants pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation. Le contrôle des nominations vise donc les fonctions dirigeantes d'organismes à compétence nationale ou dont l'action a des répercussions à l'échelle nationale.

Pour ne pas accroître démesurément le nombre de nominations soumises à cette procédure, n'ont été retenus que les emplois ou fonctions de direction effective, ceux de président ou de directeur général.

Le Gouvernement a souhaité donner tout son sens au contrôle parlementaire en ne retenant pas des emplois ou fonctions faisant l'objet de dispositions spécifiques, notamment lorsque le choix s'effectue sur une liste établie par le vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation ou le Premier président de la Cour des comptes.

Cette démarche, récemment approuvée par l'Assemblée nationale, est partagée par votre commission des lois, ce dont le Gouvernement ne peut que se féliciter. Ces critères ont conduit à inclure dans la liste la plupart des autorités indépendantes et de grandes entreprises publiques et des institutions financières comme la Banque de France et la Caisse des dépôts, ainsi que de grands établissements publics dans le domaine de la recherche, de la santé et de l'environnement. L'étendue du contrôle parlementaire est indiscutable.

L'Assemblée nationale a choisi de rajouter la présidence de la commission nationale de déontologie de la sécurité, de l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, de l'autorité des normes et la direction générale de la SNCF. Votre commission des lois, à l'initiative de son rapporteur, l'a également complétée par le président du conseil d'administration de Voies navigables de France, de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et de la Commission de sécurité des consommateurs. Le Gouvernement, qui salue le travail très approfondi de votre commission des lois et de son rapporteur, n'y voit pas d'objection.

L'Assemblée nationale a souhaité faire figurer dans la liste les emplois ou fonctions soumis à la même procédure en application de la Constitution elle-même ou de lois organiques antérieures : trois membres du Conseil constitutionnel, les personnalités qualifiées siégeant au Conseil supérieur de la magistrature et le défenseur des droits quand il sera effectivement créé, ainsi que les présidents de France Télévisions, de Radio France, de la société en charge de l'audiovisuel extérieur et le président de la commission de contrôle du redécoupage des circonscriptions électorales. Ainsi enrichie, la liste permet de mieux mesurer l'importance de la nouvelle prérogative donnée aux parlementaires.

La répartition entre les commissions paraît également arrêtée. Si le Gouvernement a formulé une proposition dans le projet de loi ordinaire, il appartient aux Assemblées d'adapter la ventilation. L'Assemblée nationale l'a modifiée sur deux points et, à l'initiative de M. Portelli, votre commission a déterminé dans la loi la commission compétente pour le défenseur des droits et pour les personnalités qualifiées siégeant au Conseil supérieur de la magistrature. Si de telles dispositions relèvent davantage de la loi organique, elles permettent d'accroître la lisibilité du dispositif.

L'Assemblée nationale a souhaité préciser la procédure applicable devant les commissions permanentes. Elle a modifié dans l'ordonnance du 7 novembre 1958, pour interdire explicitement la délégation de vote lors du scrutin sur l'avis de la commission compétente. Le projet de loi ordinaire a également été complété pour préciser que le scrutin doit être dépouillé au même moment dans les deux Assemblées. Votre commission des lois a souhaité revenir sur l'interdiction de délégation de vote. Le Gouvernement ne peut que prendre acte de cette divergence.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Et de la Constitution...

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Il souhaite ardemment un accord entre les deux Assemblées pour conjuguer l'autonomie de fonctionnement de chacune...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Dans le respect de la Constitution...

M. Henri de Raincourt, ministre.  - ...et la spécificité du dispositif.

C'est dans un esprit constructif et responsable que nous abordons le débat sur ces deux textes qui renforceront le Parlement et la démocratie. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois.  - (Applaudissements au centre) Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire dont nous sommes saisis portent application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Cette modification apporte beaucoup de pouvoir au Parlement et va transformer considérablement notre vie démocratique. Le Parlement donnera son avis sur les nominations à des postes de responsabilité proposées par le Président de la République.

Je salue le travail très important accompli par l'Assemblée nationale sur la liste des 49 postes ou fonctions pour lesquels un avis sera nécessaire. Nous avons jugé utile d'en rajouter trois : le président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, celui de la Commission de la sécurité des consommateurs, et celui du conseil d'administration de Voies navigables de France. Ces trois auditions interviendront devant la commission de l'économie, celle qui sera le plus chargée en matière d'avis.

Nous avons été amenés à modifier un élément de la liste : puisque c'est le président et non le directeur général du CNRS qui est l'autorité de décision, c'est lui qui doit être auditionné.

Je salue les deux amendements de M. Portelli, qui ont comblé une lacune pour le défenseur des droits (article 71-1) et les personnalités qualifiées siégeant au Conseil supérieur de la magistrature (article 65). Cet oubli est corrigé au sein de la loi ordinaire. On aurait pu le faire, comme l'a dit le ministre, au niveau de la loi organique, mais la solution retenue pose moins de problèmes de constitutionnalité.

Il demeure un petit problème pour les membres du Conseil constitutionnel. Les commissions des deux chambres rendront un avis sur les candidats présentés par le Président de la République, celle de l'Assemblée nationale sur les candidats présentés par le président de cette chambre, de même que celle du Sénat sur les candidats présentés par le président de la Haute assemblée. En revanche, le président du Conseil constitutionnel est choisi par le Président de la République et ce choix peut se porter, comme cela a été le cas pour M. Guéna, sur un membre nommé par le président d'une des deux chambres, et qui aura été auditionné par une seule commission. Je laisse au constituant le soin de se pencher sur cette question.

Deux amendements ont été adoptés à l'Assemblée nationale. Celui qui a été voté à l'article 3 du projet de loi organique interdit les délégations de vote lorsque les commissions se prononcent sur les candidats. Le droit de délégation est garanti par l'ordonnance du 7 novembre 1958 qui énonce explicitement les dérogations mais n'en prévoit pas dans cette hypothèse.

La pratique des députés diffère de celle des sénateurs en ce qu'une instruction du Bureau, contraire à l'ordonnance du 7 novembre 1958 et contraire au Règlement de l'Assemblée nationale elle-même, a décidé qu'il n'y aurait pas de délégation. En fait, l'article 3 apparait comme une dérogation à une règle générale observée depuis l'ordonnance de 1958 et qui a maintenant, à mon sens, valeur constitutionnelle. La Constitution n'interdit la délégation que dans un seul cas : lorsque le Président de la République est traduit en Haute cour. Dans tout autre cas, cette interdiction doit pouvoir être justifiée autrement que par un alinéa de la loi organique.

L'amendement de l'Assemblée nationale est donc inacceptable et ne peut s'expliquer que par la crainte qu'une commission du Sénat, plus nombreuse que celle des députés, n'ait un vote différent, surtout en cas de changement de majorité... L'Assemblée semble jouer à se faire peur.

En outre, comme l'a fait remarquer M. Hyest, la commission du Sénat n'auditionne pas le candidat le même jour que celle de l'Assemblée et l'audition peut ne pas avoir lieu le même jour que le vote -pour une affaire importante, un tribunal peut mettre l'affaire en délibéré. Le risque est donc que ceux qui ont auditionné soient absents lors du vote et que ceux qui votent n'aient pas auditionné. Rien que pour cela, la délégation est justifiée et elle pose d'autant moins de problèmes que, en général, les personnalités auditionnées sont très connues.

Nous sommes en revanche favorables à l'amendement voté par les députés à la loi ordinaire, imposant que le vote et le dépouillement aient lieu simultanément dans les deux chambres, afin qu'un vote n'influe pas sur l'autre. Nous y sommes favorables et d'abord pour une raison de diplomatie parlementaire. Si nous refusons son article 3 de la loi organique, ce n'est pas pour faire de la peine à l'Assemblée, et l'acceptation de son amendement à la loi ordinaire nous fournit une base de négociation. Comme il s'agit de lois qui ne concernent pas le seul Sénat, ces deux textes iront en navette, il y aura CMP et les députés auront le dernier mot : dès lors, autant garder une possibilité de négociation. C'est pourquoi, je serai au désespoir de m'opposer à l'amendement de M. Frimat...

Ces nouveaux droits accordés au Parlement permettront de choisir en toute transparence les personnalités appelées à diriger des institutions publiques ou de la vie économique. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - L'article 13, alinéa 5 de la Constitution, était une des novations de la révision, présentée comme renforçant les droits du Parlement. Patrice Gélard estime dans son rapport que c'est là « un nouvel instrument de contrôle destiné à contribuer au rééquilibrage souhaité des institutions de la Ve République ».

Le Président de la République tient de l'article 13 de la Constitution un pouvoir de nomination très étendu qui procède évidemment des institutions originelles de la Ve République mais qui a été considérablement renforcé par l'évolution présidentialiste et aujourd'hui hyper-présidentialiste du régime. Un Président doté de pouvoirs plus importants, et à la fois chef du Gouvernement, chef de la majorité et chef du parti quasi unique de la majorité, échappant à toute responsabilité vis-à-vis du Parlement, c'est un cas unique en démocratie. Son pouvoir de nomination lui permet de contrôler en outre justice et médias. Les présidents qui se sont succédé sous la Ve République ont largement usé -voire abusé- de ce pouvoir et ce sont d'ailleurs les dérives clientélistes et la vassalisation des postes qui ont conduit à modifier la Constitution pour associer le Parlement à la procédure.

Mais, hélas, sans effet réel ! Certes, le Parlement est associé dans l'exercice par le Président de la République de son pouvoir de nomination, mais par une simple consultation pour avis des commissions permanentes compétentes qui ne disposent donc d'aucun pouvoir réel, et le Président peut parfaitement passer outre l'avis, même public, de ces commissions.

Certes, les commissions ont un droit de veto puisque « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ». Mais il est inapplicable ! Il est improbable, voire impossible, d'avoir un jour un rejet d'une nomination présidentielle avec cette procédure, dans la mesure où les trois cinquièmes se calculent sur les votes des deux commissions, de l'Assemblée nationale et du Sénat.

La procédure, je vous l'accorde, sert au Président de la République à informer les parlementaires de la décision qu'il a prise pour la nomination de telle ou telle personne et lui donne l'aval de sa majorité. Rien de comparable avec la procédure américaine, modèle pourtant pris comme exemple lors de la réforme...

Lors de la révision constitutionnelle, nous avions proposé des amendements destinés à renforcer le pouvoir du Parlement sur les nominations qui sont du ressort du Président de la République par un droit sur un nombre plus important de ces nominations et nous souhaitions montrer que les pouvoirs exorbitants dont dispose de fait le Président de la République, aujourd'hui chef du Gouvernement, ne pouvaient échapper à tout contrôle ! Nous avions proposé que le rôle du Parlement soit effectif, c'est-à-dire qu'il procède d'une commission unique composée de membres des deux assemblées désignés à la proportionnelle des groupes et que cette commission statue par un vote positif aux trois cinquièmes pour avaliser la nomination. Vous l'avez refusé avec des arguments spécieux : le risque de rendre difficile et de politiser les nominations. C'est faire peu de cas du Parlement ! Car cela sous-entend que les parlementaires n'ont pas le sens de l'intérêt général -moins que le Président de la République et que le Gouvernement-, qu'ils ignorent qu'il faut nommer les responsables de telle ou telle institution dans des délais raisonnables et que leurs choix seraient plus politiques que ceux du Président de la République !

La question, c'est la légitimité des personnes nommées, leur crédibilité, leur indépendance. Je me garderai de nommer qui que ce soit mais les polémiques suscitées par la nomination de tel ou tel à la tête d'une commission chargée du redécoupage électoral -commission elle-même non respectueuse du pluralisme- ou encore à l'occasion de nominations à France Télécom, manifestent, hélas, que l'hyper-présidentialisme doit sérieusement être contrôlé. Vous refusez même qu'une des commissions des deux assemblées puisse s'opposer à une nomination par trois cinquièmes des votants, ce qui donnerait plus de légitimité aux personnes retenues. La liste déjà impressionnante des personnes nommées, telle qu'annexée au projet de loi organique, confirme les pouvoirs très étendus du Président de la République, et donc la nécessité du contrôle parlementaire.

Nous ne pouvons donc que confirmer les propositions que nous faisions lors de la révision de la Constitution, c'est-à-dire une commission commune aux deux assemblées désignées à la proportionnelle des groupes et un avis positif sur les nominations aux trois cinquièmes. Nous voterons contre ces deux textes.

M. Pierre Fauchon.  - Avec la question des nominations aux principaux emplois de responsabilité politique, économique et sociale dans la République, nous retrouvons, après en avoir posé les principes le 23 juillet 2008, l'une des innovations majeures de cette réforme de nos institutions, et l'une des plus originales.

Majeure parce que l'action propre des hommes est souvent plus déterminante que ne le sont les définitions juridiques. La réalité des pouvoirs c'est ce qu'en font ceux qui les détiennent, vérité sous-estimée dans notre culture politique traditionnellement plus attirée par les spéculations sur Ies apparences que par la prise en compte des réalités.

Originale parce que, autant la restitution au Parlement des pouvoirs qui correspondent à ses responsabilités comme la restitution aux citoyens d'une capacité politique non strictement limitée aux votations constituent un rééquilibrage normal des pouvoirs, autant le partage du pouvoir de nomination des principaux agents de l'exécutif relevant normalement de ceux à qui ce pouvoir est confié -surtout s'il l'est directement par l'ensemble des citoyens- il peut apparaître singulier, voire contradictoire, d'y associer le pouvoir législatif. II s'agit là de tout autre chose que l'exercice du contrôle, ce dernier n'ayant que tardivement bénéficié d'une mise en oeuvre réelle grâce à notre Assemblée.

C'est l'occasion de citer de passage de L'Esprit des lois dans lequel Montesquieu écrit : « Le corps représentant ne doit pas être choisi non plus pour prendre quelque résolution active, chose qu'il ne ferait pas bien ; mais pour faire des lois, ou pour voir si l'on a bien exécuté celles qu'il a faites, chose qu'il peut très bien faire, et qu'il n'y a même que lui qui puisse bien faire. »

Qui participe au pouvoir de nomination partage le pouvoir exécutif dans l'une de ses attributions les plus essentielles. Mise à part la nomination des ambassadeurs aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Italie, il ne semble pas qu'un tel partage soit la règle.

Cette procédure va souvent constituer une dévolution du pouvoir nouvelle dans la mesure où elle ne relève ni d'un choix personnel, donc largement discrétionnaire, ni de l'élection, mais associe les deux dans une synthèse dont l'avenir seul dira si elle est pleinement satisfaisante.

La première conséquence, et peut-être la plus considérable, de cette réforme réside dans le passage d'un acte instantané dont les préalables restent confidentiels à un processus durable et public. Durable, car il faut le temps d'organiser les réunions des commissions parlementaires soit plusieurs semaines généralement. Public, car la presse et l'opinion seront prises à témoin, et pratiquement associées à la procédure. On imagine sans peine les investigations, les informations voire les révélations dont toute personne proposée fera l'objet, très au-delà de ce que le strict domaine de la fonction envisagée autoriserait. Heureusement, notre presse fait généralement preuve d'une discrétion louable sur la vie privée des personnes publiques. Souhaitons que cette déontologie soit respectée. II n'en demeure pas moins que ces investigations iront souvent plus loin que celles des commissions compétentes et qu'elles provoqueront du même coup une sorte de préemption par la presse et l'opinion des pouvoirs des commissions, dont le rôle s'en trouvera inévitablement amoindri.

L'expérience déjà faite dans quelques cas particuliers permet de penser que l'examen de passage devant la commission se déroulera d'une manière satisfaisante pour toutes les personnes concernées, je veux dire avec ce qu'il faut de sérénité, de sérieux et d'objectivité.

La question du vote a déjà suscité des critiques qui vont ressurgir, encore que la question soit tranchée par le texte constitutionnel. Nous sommes très largement et très résolument désireux d'éviter un vote majoritaire simple qui accentuerait la politisation de la décision, ce qui serait une grave erreur dans une attribution des responsabilités d'un service public qui doit autant que faire se peut échapper à la politisation. Il y a va de l'autorité morale dont bénéficiera le titulaire de cette fonction. Aussi bien, il est évident qu'une candidature qui susciterait une opposition majoritaire dans l'une ou l'autre des commissions se trouverait compromise.

S'agissant de la délégation de vote, nous approuvons aussi la position du rapporteur, marquée au coin de la sagesse.

Le choix des hommes est une des actions politiques les plus difficiles parce que des plus lourdes de conséquences. Il ne faudrait pas que le système mis en place aboutisse à favoriser les personnalités les moins caractérisées et qui pour cette raison ne suscitent aucun rejet. Ce qui serait d'autant plus fâcheux qu'il est quasiment impossible de revenir sur ce genre de réforme. Cette observation me conduit à penser que la liste des nominations concernées est longue et qu'elle dépasse le nombre des responsabilités publiques à l'égard desquelles la démocratie justifie la recherche d'un consensus entre le pouvoir exécutif et le législatif dont il faut reconnaître qu'il n'est pas réellement constitué pour se livrer à un tel exercice.

En dépit de ces réserves et non sans éprouver quelque inquiétude sur les dérives éventuelles, le groupe de l'Union centriste -grâce à qui a été adoptée cette réforme constitutionnelle !- approuve les dispositions proposées. Cette réforme marque une avancée considérable dans le sens d'une meilleure répartition des pouvoirs comme d'une meilleure reconnaissance des droits des citoyens, c'est-à-dire un grand progrès de notre démocratie, à condition toutefois que la mise en oeuvre soit à la hauteur de notre attente, ce qui suppose sans doute une meilleure compréhension mutuelle des forces politiques. Mais c'est une autre histoire. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Bernard Frimat.  - Bien que l'essentiel du débat soit dépassé suite à l'adoption de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, il n'est pas inutile de revenir sur son enjeu en termes d'amélioration des pouvoirs de contrôle de l'exécutif et singulièrement par le Parlement.

La volonté d'encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République part d'une bonne intention. Nous en avons défendu le principe, voulant éviter que de telles nominations n'apparaissent comme le fait du prince. Nous avions proposé une procédure à la fois transparente et efficace, celle d'une commission ad hoc, constituée de députés et de sénateurs statuant par un vote positif à une majorité qualifiée. Le constituant, sur proposition du Sénat, a décidé que l'avis serait rendu dans le cadre d'une délibération distincte des commissions des deux assemblées, le sens de l'avis étant apprécié en additionnant les votes dans les deux commissions. Sur proposition de son rapporteur, l'Assemblée nationale a introduit un mécanisme de veto selon lequel, dans l'hypothèse où les votes des deux commissions seraient négatifs à une majorité des trois cinquièmes, le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination et devrait soumettre une nouvelle proposition aux commissions.

C'est ainsi qu'au fil des lectures la majorité a volontairement compliqué un mécanisme qui devait être simple pour être transparent et en capacité de susciter l'adhésion.

Ce veto n'a aucune chance de trouver à s'appliquer puisqu'il reviendrait pour la majorité à désavouer le choix du Président de la République, ce qui est improbable en temps habituel et inconcevable dans la configuration politique actuelle. Le dispositif mis en place aboutit donc à ce que la décision reste aux mains de la majorité ; le chef de l'État pourra ainsi se mettre à l'abri des critiques en se prévalant de l'avis du Parlement.

Il fallait, au contraire, rechercher un consensus et adopter un dispositif qui associe l'opposition aux choix des nominations, sans lui accorder un pouvoir de blocage dès lors que l'avis n'était pas conforme mais simple. Le contrôle du Parlement en serait ressorti d'autant plus affermi que l'approbation aurait dépassé le champ de la majorité.

La pratique illustre mon propos. Nous avons pu, en effet, nous satisfaire des conditions dans lesquelles a été nommé le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la nomination a été approuvée à l'unanimité sur le fondement de sa personnalité et de ses compétences. Il n'en a pas été de même pour le président de la commission dite indépendante, chargée de se prononcer sur les projets de délimitation des circonscriptions législatives ou de répartition des sièges de députés ou de sénateurs.

Voilà donc une première occasion gâchée. L'objectif allait dans le bon sens, mais le dispositif mis en place est un leurre. Nous en prenons acte : il ne s'agit pas de revenir sur la loi constitutionnelle de 2008 adoptée dans les conditions que nous savons. Il convient à présent de s'intéresser aux projets de loi sur lesquels porte le débat de ce jour. Textes d'application de la Constitution, ils ont hérité par transmission récessive du même défaut d'opacité.

Le système actuel de nomination aux emplois par le Président de la République repose sur un empilement de normes, tantôt de nature organique, tantôt de nature réglementaire, ou ne reposant sur aucun texte. Les articles 13 et 21 de la Constitution reconnaissent au Président de la République et au Premier ministre une compétence pour nommer « aux emplois civils et militaires de l'État ». L'ordonnance organique du 28 novembre 1958, intervenant sur la base de l'article 13 de la Constitution, énumère un certain nombre d'emplois pour lesquels la nomination intervient par décret du Président de la République en conseil des ministres.

Certaines nominations ne nécessitent qu'un décret simple du Président de la République, contresigné par le ou les ministres compétents. Le chef de l'État peut également déléguer son pouvoir pour les emplois autres que ceux énumérés par la Constitution ou par l'ordonnance. Enfin, de nombreuses dispositions particulières attribuent cette compétence aux ministres, voire aux autorités subordonnées.

Des raisons pratiques peuvent justifier de ne pas figer dans la Constitution une énumération nécessitant une mise à jour régulière. Sur ce point, il est regrettable que l'étude d'impact, censée « éclairer les choix législatifs, améliorer la qualité de la loi et remédier au désordre normatif » n'ait pas établi l'état du droit en dressant la liste complète des nominations relevant du Président de la République. Une liste établie par le secrétariat général du Gouvernement nous a été communiquée mais y figurent à tort le Haut conseil des biotechnologies et la Commission des sondages, les bases juridiques du pouvoir de nomination ne sont pas distinguées et les nominations relevant de la seule pratique ne sont pas mentionnées.

En dépit des recommandations du comité Balladur, le Gouvernement n'a pas saisi cette occasion pour clarifier les compétences respectives du Président de la République et du Premier ministre, et n'a pas délimité avec précision les nominations susceptibles d'être encadrées. Il a considéré que la Constitution n'enjoint pas de soumettre à la nouvelle procédure tous les emplois d'une certaine importance pour la garantie des droits et libertés.

Le champ d'application de la réforme se caractérise par un certain flottement. L'Assemblée nationale y a ajouté la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) -j'espère que l'hommage de notre rapporteur à la qualité des travaux de cette instance ne vaudra pas à titre posthume-, l'Office national des forêts (ONF), l'Autorité des normes comptables et l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (Acnusa). Notre commission des lois a choisi d'insérer l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), la Commission de sécurité des consommateurs et les Voies navigables de France, organisme pourtant considéré par le rapporteur de l'Assemblée nationale comme non essentiel à la vie économique de la Nation.

Cette liste évoluera certainement à la demande des présidents des commissions permanentes qui feront leur marché ; à cet égard, notre collègue Jacques Legendre a fait panier vide, puisque sa tentative d'ajouter la nomination du directeur de la villa Médicis a échoué. (Sourires)

Pourquoi ne pas avoir inclus dans la liste annexée des organismes pourtant utiles à la garantie des droits et libertés ou à la vie économique et sociale de la Nation, telles la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ? Il en est de même de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), de la Commission nationale de l'aménagement commercial (Cnac) ou de la Commission des participations et transferts.

Certes, nous devons légiférer à droit constant et il ne nous semble pas en effet que le chef de l'État détienne si peu de pouvoirs qu'il faille les étendre davantage... En contradiction manifeste avec cette règle, le projet de loi organique prévoit que le président du Haut conseil des biotechnologies relèvera désormais de la compétence du Président de la République. Le groupe socialiste n'a pas cédé à la tentation de déposer des amendements soumettant à la procédure d'avis la nomination du président de la Commission des sondages. Cela n'aurait pas été déplacé au moment où ces derniers sont utilisés par les plus hautes autorités de la République pour la communication politique et la propagande...

M. Robert Badinter.  - Très bien.

M. Bernard Frimat.  - En veillant à ce que les sondages n'influencent ni ne perturbent la libre détermination du corps électoral, cette commission joue un rôle important pour garantir les droits et la liberté d'expression. (M. Robert Badinter approuve)

L'Assemblée nationale a soulevé des questions de procédure injustifiées dans la mesure où l'habilitation du constituant limitait le champ d'intervention du législateur à la définition des emplois ou fonctions concernés et des commissions compétentes. En insérant dans le projet de loi organique un article 3, adopté à l'unanimité, interdisant les délégations dans le cadre de la procédure d'avis et en insérant un article 3 dans le projet de loi ordinaire visant à ce que le dépouillement du scrutin n'ait pas lieu avant que l'autre commission permanente compétente ne se soit prononcée, elle n'a pas respecté l'habilitation constitutionnelle. L'argument selon lequel ces nominations relèvent d'un choix personnel, et non politique, pour justifier le refus de délégation n'est pas recevable : il ne s'agit pas seulement de se prononcer sur la compétence du candidat pressenti mais également sur la pertinence de son projet, qui répond nécessairement à des considérations politiques.

La question de la simultanéité des votes est secondaire. Comment imaginer qu'un décalage fausserait le résultat de la consultation des commissions compétentes ? Jusqu'ici, personne n'a jugé que l'absence de simultanéité portait atteinte à l'expression des commissaires intéressés ou détériorait la sincérité du vote. Le rapporteur de notre commission des lois a justement rappelé le principe d'autonomie des assemblées, considérant que ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu'une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées. En revanche, il n'a pas étendu son analyse à l'article 3 du projet de loi ordinaire relatif à la concomitance du dépouillement des scrutins. Le groupe socialiste a souhaité parfaire cette oeuvre inachevée en proposant de supprimer l'article 3 du projet de loi ordinaire. Il n'est pas utile d'avoir raison trop tôt... mais ces questions de procédure ne se seraient pas posées si le constituant de 2008 avait choisi d'instaurer une commission paritaire ad hoc.

Le cinquième alinéa de l'article 13 propose une avancée minime en associant le Parlement aux nominations du Président de la République. Mieux vaut une audition suivie d'un vote que pas d'avis du tout, mais ce mécanisme est vidé de son efficience car la majorité des trois cinquièmes nécessaire pour exercer un droit de veto est inatteignable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument.

M. Bernard Frimat.  - En outre, sans clarification des modes de désignation du chef de l'État, une certaine opacité demeure. Le groupe socialiste, tout en reconnaissant la qualité du rapport de Patrice Gélard, s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur les bancs du RDSE)

M. Pierre Fauchon.  - C'est une bonne nouvelle ! Nous garderons tout le bénéfice de la réforme.

M. Jacques Mézard.  - L'ajout en 2008 du cinquième alinéa de l'article 13 constitue sur le principe un réel progrès pour notre République, mais les modalités d'application retenues tempèrent une procédure qui aurait mérité un meilleur sort. En choisissant une majorité des trois cinquièmes pour qu'un veto soit opposé, la procédure a été partiellement vidée de son efficacité. Dans un pays où le fait majoritaire étouffe l'aspiration de beaucoup à s'écarter du bipartisme, il est difficilement concevable qu'une partie de la majorité s'oppose à une nomination décidée par l'Élysée. Monsieur le ministre, les talents sont pourtant parfois compatibles avec l'efficacité.

Certes, il aurait été difficile d'attribuer à l'opposition un pouvoir de blocage inversement proportionnel à son poids politique, avec un risque d'abus et d'obstruction. Mais le Sénat américain, qui doit approuver les nominations du Président à la majorité des deux tiers, parvient toujours à trouver un modus vivendi.

Nous estimons que la commission des lois a raison d'écarter l'obligation d'une procédure identique dans les deux assemblées, tout en maintenant la simultanéité du dépouillement. De façon générale, il faut faire confiance aux parlementaires de tout bord pour défendre l'intérêt général.

A notre sens, il aurait été plus démocratique de pousser à son terme la logique de l'article 13 en permettant aux commissions d'approuver la nomination proposée, ce qui aurait conféré à l'intéressé une double légitimité ex ante. Il est en effet indispensable d'affermir le caractère irréprochable de la République, à un moment où les institutions sont mises en cause. Nous ne pouvons rester inactifs face aux exemples qui ont récemment alimenté la défiance de nos compatriotes, comme la nomination à la présidence d'EDF et le conflit d'intérêts avec Veolia.

Occasion manquée, la révision constitutionnelle le fut tout autant quant à la répartition du droit de nomination entre les chefs de l'État et de gouvernement. Ne réussissant pas à se prononcer sur l'essence de la Ve République, le constituant a maintenu cette architecture complexe. J'estime significatif que le juge administratif ait hésité aussi longtemps pour qualifier juridiquement le décret signé par le Président de la République en conseil des ministres et revêtu du contreseing ministériel. Or, cette qualification détermine le régime contentieux, donc le contrôle juridictionnel sur les nominations présidentielles.

La difficulté à dresser la liste exhaustive des emplois pourvus par décret me semble également significative car la loi organique n'évite pas l'éparpillement des postes entre divers textes, parfois réglementaires. Nous regrettons que l'hypothèque de la complexité et de l'opacité n'ait pas été levée, tout en convenant que les majorités qui se sont succédé ont su en user et en abuser. (Mme Nicole Borvo Cohen Seat approuve)

Au demeurant, la liste incluse dans la loi organique suscite quelques interrogations. En effet, le cinquième alinéa de l'article 13 dispose que les commissions doivent être consultées à propos des nominations importantes pour les « droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », mais on peut se demander quels critères précis ont présidé à l'établissement de la liste. Vous avez ainsi fait figurer le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé mais ni l'Agence française de sécurité des aliments, ni l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ni l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, dont les directeurs généraux sont pourtant nommés par le Président de la République.

La défense des libertés se trouvant au coeur de la réforme, pourquoi avoir omis la Commission consultative du secret de la défense nationale, ainsi que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ? Certes, ces deux autorités disposent d'un mode de nomination spécifique, mais tel est aussi le cas de France Télévisions, société pourtant incluse dans le projet de loi organique. Nous regrettons d'autant plus ces oublis que notre commission a enrichi le texte en ajoutant Voies navigables de France, l'Autorité de régulation des transports ferroviaires et la Commission de sécurité des consommateurs. La marge de progrès qui subsiste est considérable !

Nous saluons toutefois l'avancée apportée par ces deux textes, un premier pas vers une démocratie sans népotisme, ni clientélisme.

Même en écartant le spoil system américain, il est normal qu'un Président de la République dispose de personnes de confiance en poste, mais il est tout aussi normal que la représentation nationale, opposition comprise, soit associée à ces décisions importantes. On peut vraisemblablement espérer qu'un avis défavorable -même à la majorité simple d'une seule des commissions- suffise à rendre la nomination difficile. Mais alors, pourquoi ne pas être allé jusqu'au bout du raisonnement, que la commission a fait sien ?

La majorité de notre groupe votera ce texte, les autres s'abstenant.

M. Hugues Portelli.  - Ces deux textes tendent à mettre en oeuvre une des dispositions les plus importantes de la révision constitutionnelle votée en 2008 : la nouvelle procédure de nomination aux emplois et fonctions publics dont l'article 13 de la Constitution confie la responsabilité au Président de la République. Cet article renvoie à une loi organique, qui renvoie à un texte d'application, si bien que le champ des emplois couverts par l'article 13 a beaucoup varié pendant la Ve République en fonction des circonstances politiques.

C'est ainsi qu'en 1985, à la veille de la première cohabitation, le Président de la République a gonflé de façon démesurée le champ des emplois pourvus par ses soins en conseil des ministres. Le but était d'obtenir un droit de veto mais rien ne dit que de toute éternité, le Président de la République contrôlera le Gouvernement et les deux assemblées parlementaires : à trois reprises sous la l'empire de la Constitution de 1958, le chef de l'État n'a pas pu s'appuyer sur une majorité de l'Assemblée nationale ; il n'a pas pu compter sur le Sénat pendant les premières années de la Ve République et lors des deux premières cohabitations. Nous devons donc examiner ce texte avec pour seule préoccupation que cela fonctionne quel que soit le rapport de force.

La nouvelle rédaction de l'article 13 distingue les emplois régaliens et ceux ayant une grande importance pour les « droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». Dans le premier cas, la procédure en vigueur depuis 1958 reste inchangée. Dans le second, les commissions parlementaires se prononceront après avoir auditionné la personne pressentie.

Cette nouvelle procédure introduit une incontestable transparence dans les nominations de personnalités dont les commissions parlementaires auront vérifié la compétence, l'éthique et l'indépendance. La publicité des auditions aura une incidence plus grande même que la menace d'un veto.

Songez à la procédure de nomination aux emplois fédéraux des États-Unis. La Constitution n'énumère pas les qualités requises pour être nommé à la Cour suprême, mais la pratique y a pourvu en exigeant la qualification juridique, l'éthique personnelle et professionnelle, l'indépendance du jugement. Les auditions par le Sénat s'apparentent à un grand oral permettant d'exclure tout candidat n'ayant pas les qualifications requises ou présentant un risque de conflit d'intérêts. On ose croire que nos commissions parlementaires sauront influencer jusqu'au choix initial des candidats !

Par analogie avec le système américain, la nomination des membres du Conseil constitutionnel sera soumise à l'avis des commissions parlementaires.

Avant même l'élaboration du présent texte, notre assemblée s'est prononcée sur certaines candidatures à la nomination présidentielle, qu'il s'agisse du président de la commission chargée de se prononcer sur le projet de circonscriptions législatives ou du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Notre commission des lois s'est assurée que le candidat présidentiel à ce dernier poste avait une connaissance suffisante du monde pénitentiaire grâce à son expérience à la tête de la commission de suivi de la détention provisoire. Après avoir entendu le programme présenté par le candidat, les membres de la commission lui ont posé des questions de fond.

Garant des libertés fondamentales, le législateur conforte la légitimité des personnes nommées. Jusqu'à présent, l'avis d'une commission parlementaire n'était sollicité que de manière ponctuelle, alors qu'il formera désormais une mission d'ensemble.

Le projet de loi organique détermine les fonctions et emplois relevant de la nouvelle procédure ; le projet de loi simple désigne concrètement la commission compétente de chaque assemblée. Nous estimons que les 49 emplois aux fonctions sont conformes au voeu du constituant. Notre commission a mentionné trois organismes supplémentaires : l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, la Commission de la sécurité des consommateurs et Voies navigables de France. Par coordination, elle a complété le projet de loi ordinaire pour déterminer les commissions permanentes compétentes. Le groupe UMP se félicite de ces ajouts.

Nous saluons la précision introduite par l'Assemblée nationale pour imposer un dépouillement simultané des scrutins dans les deux commissions, ce qui préserve leur totale indépendance.

Enfin, la commission a supprimé l'article 3 du projet de loi organique, introduit par l'Assemblée nationale pour interdire les délégations de vote, ce qui excède sans aucune raison le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

L'article 13 n'interdit pas la délégation de vote ; ce que fait en revanche l'article 68 pour la seule procédure de destitution du chef de l'État. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs validé tant la loi organique que les règlements des assemblées qui énumèrent les cas dans lesquels la délégation est permise. Les règlements des assemblées peuvent toujours étendre ou restreindre les possibilités de délégation, mais aucune disposition constitutionnelle ou législative n'impose que la procédure soit identique dans les deux chambres. Le groupe UMP apporte ainsi son soutien au rapporteur, considérant que cette question doit rester exclusivement du domaine des règlements des assemblées. Celles-ci ont d'ailleurs retenu des dispositifs différents. Il faut enfin rappeler à nos collègues députés que le Sénat s'est toujours montré respectueux de l'autonomie des deux chambres du Parlement.

Sous réserve de ces observations, le groupe UMP considère que l'adoption de ces textes donnera enfin sa pleine efficacité au dispositif tendant à renforcer les prérogatives du Parlement et à rééquilibrer le pouvoir de nomination du Président de la République. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - M. Collin, retardé par les intempéries, m'a demandé de donner lecture de son intervention.

Lors de la discussion de la révision constitutionnelle de juillet 2008, révision que je n'ai pas approuvée, les promoteurs du texte nous ont vanté à l'envi un rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement. Il était alors convenu que la toute-puissance de l'exécutif, péché originel de la Ve République, allait enfin trouver ses limites ; nous allions entrer dans l'ère de l'hyper-Parlement... Mais nous attendons toujours de sortir de l'hyper-présidence.

L'article 13 de la Constitution n'est pas sans rappeler un certain césarisme constitutionnel qui a laissé de biens mauvais souvenirs aux républicains en 1851. Prenant le contrepied d'une pratique opaque et clientéliste du pouvoir, les dirigeants de la IIIe République, et singulièrement Jules Grévy, ont voulu insuffler à la jeune République un nouvel élan en donnant au chef du Gouvernement ce pouvoir de nomination. Devant rendre des comptes devant la majorité, il ne lui était plus possible de céder à cette forme de népotisme. La rupture de 1958 fut donc majeure, qui a concentré à nouveau le pouvoir entre les mains d'un seul, dont on sait que l'irresponsabilité politique est l'un des piliers de son statut. Chacun connaît les abus auxquels cette situation a donné lieu. Aucune majorité parlementaire n'a été irréprochable, d'autant que l'article 13 de la Constitution dit peu des postes concernés. Seuls les régimes de cohabitation ont permis de tempérer des pratiques peu conformes à nos principes républicains.

Si je salue l'avancée que constitue, au plan des principes, le droit de regard donné au Parlement sur les nominations aux fonctions les plus éminentes, mon enthousiasme est tempéré tant sur la forme que sur le fond. Je m'interroge en premier lieu, comme d'autres, sur le calendrier. Pourquoi attendre le dernier lundi précédant l'interruption de nos travaux pour nous saisir, alors que les députés se sont prononcés il y a trois mois ?

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Bonne question !

M. Aymeri de Montesquiou.  - Pourquoi avoir attendu près de dix-huit mois après l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l'article 13 ? Si l'on avait vraiment voulu donner de nouveaux pouvoirs au Parlement, il est clair que les textes nous auraient été soumis plus tôt, d'autant qu'ils ne présentent aucune difficulté technique. Ces retards sont d'ailleurs chroniques, qu'il s'agisse de la loi organique relative au Défenseur des droits ou, surtout, de celle relative au référendum d'initiative populaire de l'article 11 -il est vrai qu'il gêne considérablement le Gouvernement. Je relève en outre que le chef de l'État a précipité la nomination du nouveau PDG d'EDF peu de temps avant que les députés examinent ces textes. Singulière façon de montrer son respect de la démocratie représentative... Si M. Proglio a été auditionné par les commissions des deux assemblées, c'est sous la légitime pression de nos concitoyens, choqués par le fait du prince, et d'une grande partie des élus. Cet épisode illustre la pertinence de la proposition de loi sur le cumul des fonctions et des rémunérations des dirigeants d'entreprises publiques et privées, que j'ai déposée avec plusieurs de mes collègues du RDSE et que le Sénat a examinée le 18 novembre avant d'en approuver une version modifiée. De telles situations ne grandissent ni notre République ni notre État de droit ; elles ne doivent plus se reproduire.

J'en viens au fond. Dans la mesure où ces deux textes découlent de la nouvelle rédaction du cinquième alinéa de l'article 13, le législateur organique n'a guère de marge de manoeuvre. Le pouvoir d'approbation dont disposent désormais les commissions permanentes est une avancée, qu'il faut cependant relativiser au regard des modalités pratiques. Il faut, comme souvent, aller au-delà des apparences... Avec le mécanisme retenu par le constituant, il sera en effet impossible à l'opposition actuelle de bloquer la moindre nomination, sauf désaccord entre le Président et une partie au moins de sa majorité. II eût été plus démocratique -nous l'avions dit lors de la révision- d'inverser la logique et de soumettre la nomination à un vote d'adhésion par une majorité qualifiée. Une telle formule aurait d'ailleurs renforcé l'autorité du titulaire de la fonction. Comparaison n'est pas raison, mais cette procédure est en vigueur aux États-Unis ou en Allemagne, dans ce dernier cas pour la nomination des membres du tribunal constitutionnel de Karlsruhe. Chercher le consensus plutôt qu'un semblant d'approbation, tel devrait être le credo d'une démocratie parlementaire apaisée.

Ces textes pâtissent des lacunes originelles de la révision constitutionnelle. Ils sont cependant une avancée démocratique que nous devrons faire progresser. Fort de son républicanisme revendiqué, aucun membre de mon groupe ne s'opposera à l'adoption de ces deux textes ; certains les approuveront quand d'autres s'abstiendront. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur plusieurs bancs du RDSE)

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Je remercie tous les intervenants, ceux qui soutiennent le texte comme ceux qui s'y opposent, en relevant cependant que ces derniers ont repris un débat que le constituant a clos lors de la révision de juillet 2008. Sur la procédure, on peut considérer, à l'instar de M. Fauchon, que le verre est à moitié vide ou à moitié plein... On voit mal un Président de la République, quel qu'il soit, faire peu de cas de la réaction négative des deux assemblées, fut-elle exprimée à la majorité simple. Les travaux des commissions étant publics, c'est l'auteur de la proposition de nomination qui serait mis en difficulté.

Le système retenu a d'autres vertus. La majorité seule ne pourra rien, l'opposition seule non plus. Comme l'a dit M. Collin par la bouche de M. de Montesquiou, il faut toujours rechercher le consensus -ce qui est l'habitude dans cette assemblée. Quant au calendrier, on ne peut vouloir une chose et son contraire. Depuis la révision constitutionnelle, l'ordre du jour du Parlement est partagé. Voyez l'organisation de la session qui a commencé en octobre : pouvait-on aller plus vite au regard des semaines d'initiative parlementaire, des semaines de contrôle et de celles réservées pour l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ?

Je ne le crois pas, et le Gouvernement souhaite l'adoption rapide de ce texte, car des nominations importantes doivent intervenir dès janvier, en particulier le directeur général du CNRS, le président du Cnes, le président du Comité national consultatif des droits de l'homme, ainsi que celle de membres du Conseil constitutionnel.

Quant à la liste même des nominations, si l'on peut commenter la répartition qu'elle établit entre le Président de la République et le Premier ministre, force est de reconnaître que le constituant l'a fait correspondre avec l'organisation des pouvoirs publics dans notre pays. La comparaison avec les États-Unis n'est pas pertinente, car ce pays connaît un régime présidentiel, quand notre régime comprend un président fort et un Parlement revalorisé -plutôt qu'un « hyper-Parlement », notion que le Président de la République n'a pas utilisée, à ma connaissance.

En définitive, je ne doute donc pas que nous parvenions à un accord ! (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles du projet de loi organique

Article premier

Le pouvoir de nomination du Président de la République aux emplois et fonctions dont la liste est annexée à la présente loi organique s'exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

Annexe, ligne 20, deuxième colonne

Remplacer les mots :

Directeur général

par le mot :

Président

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Le président du CNRS exerce l'autorité effective, nous l'inscrivons dans la liste, au lieu du directeur général du CNRS.

L'amendement n°1, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

Article additionnel

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'article L.O. 567-9 du code électoral est ainsi rédigé :

« La personnalité mentionnée au 1° de l'article L. 567-1 est désignée conformément aux dispositions de la loi organique n° ..... du ..... relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. »

II. - Dans l'article unique de la loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France, les mots : « soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution » sont remplacés par les mots « prononcée conformément aux dispositions de la loi organique n° .... du ..... relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13. »

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Coordination pour la personnalité qualifiée membre de la commission prévue par l'article 25, d'une part, et pour les présidents des sociétés France Télévisions, Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France, d'autre part.

L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté, et devient article additionnel.

L'article 3 demeure supprimé.

Le scrutin public est de droit

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 217
Majorité absolue des suffrages exprimés 109
Pour l'adoption 195
Contre 22

Le Sénat a adopté.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Bravo !

M. le président.  - Nous allons examiner les articles du projet de loi ordinaire.

Discussion des articles du projet de loi

Article premier

Les commissions permanentes de chaque assemblée parlementaire compétentes pour émettre un avis sur les nominations aux emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution sont celles figurant dans la liste annexée à la présente loi.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

Annexe, ligne 20, première colonne

Remplacer les mots :

Directeur général

par le mot :

Président

L'amendement de coordination n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

Les articles 2, 2 bis et 2 ter sont successivement adoptés.

Article 3 

L'article 5 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu'il est procédé à un vote en commission selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le scrutin doit être dépouillé au même moment dans les deux assemblées. »

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer cet article.

M. Bernard Frimat.  - Monsieur le rapporteur, vous écrivez que « ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu'une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées pour prononcer l'avis prévu par l'article 13 de la Constitution » : c'est parce que nous sommes en plein accord, que nous supprimons l'obligation d'un dépouillement simultané du scrutin. L'article 13 de la Constitution est très clair, en disposant que « la loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernées », l'habilitation est exclusive de toute autre règle de procédure. Le constituant a voulu que l'avis des deux chambres soit unique, mais il n'a pas précisé les modalités d'expression de cet avis. Or, cet article 3 de la loi ordinaire laisse penser qu'une assemblée pourrait être influencée par le vote de l'autre, ce n'est pas sérieux, la pratique dément cette crainte.

Monsieur le rapporteur, vous auriez très bien pu proposer de supprimer cet article 3, par coordination avec la suppression de l'article 3 de la loi organique puisque nos motivations sont les mêmes !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Je suis d'accord sur le fond, mais nous devons être stratèges : pour que l'Assemblée nationale accepte de retirer l'article 3 de la loi organique, nous devons marquer envers la première assemblée, qui est élue au suffrage universel direct, un minimum de déférence.

C'est pourquoi, pour des raisons de stratégie diplomatique parlementaire, je vous demanderai de retirer votre amendement, ce qui nous facilitera la discussion dans la suite de la navette et nous évitera qu'elle ne se termine par un vote de l'Assemblée nationale à la majorité absolue de ses membres.

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Le Gouvernement ne peut être favorable à votre proposition. Il est préférable que le résultat obtenu dans l'une et l'autre commission soit connu simultanément. D'autant plus que cette question est indépendante de ce que vous recherchez en matière de délégation de vote. Défavorable.

M. Richard Yung.  - J'écoute toujours avec attention ce que dit le président Hyest. Précisément, lors de nos récents débats sur le découpage des circonscriptions législatives, il a développé, à l'appui de la demande de vote conforme, l'argument selon lequel la tradition républicaine veut que chaque assemblée ne se mêle pas des décisions qui ne concernent que l'autre. Or voilà que l'Assemblée nationale se mêle ici de dire au Sénat comment il doit organiser son règlement intérieur. C'est paradoxal. C'est pourquoi je comprends parfaitement, sur le principe, l'amendement de M. Frimat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais ceci concerne les deux assemblées, pas une seule. J'entends bien qu'il faudra prévoir dans le dispositif les moyens de communiquer les résultats à l'autre assemblée, y compris en cas de panne d'électricité ou de téléphone (on évoque un sémaphore sur les bancs socialistes), mais je comprends la nécessité de la simultanéité, sans laquelle on pourrait jouer sur le résultat partiel... Quant à la suppression de l'article 3 de la loi organique, elle est justifiée par le fait que cet article n'était pas conforme aux dispositions constitutionnelles.

M. Bernard Frimat.  - Notre collègue Gélard nous a permis de vérifier ce vieux principe qui veut que les arguments peuvent faire changer d'avis, mais pas de vote... Je m'appuyais sur ses propos pour arriver à des conclusions dont je sais qu'il les partage. Il y oppose les exigences de la diplomatie parlementaire. Je ne me risquerai pas sur ce domaine si aventureux des négociations secrètes et des accords sur lesquels elles peuvent déboucher, suscitant immanquablement l'allégresse, lorsqu'on les en informe, chez les populations concernées... Je m'en voudrais trop d'être le responsable d'un Waterloo diplomatique pour notre collègue Gélard. Et puisque le Gouvernement a eu la grande sagesse de ne pas demander la procédure accélérée, je fais confiance à notre rapporteur pour sceller un accord en mettant à profit la navette. Suppression de l'article 3 de la loi organique contre maintien de l'article de la loi ordinaire, peut-être ? Le mécanisme est d'une telle subtilité que je comprends qu'il ne faille pas prendre le risque de gripper la machine... Il ne me restera qu'à redéposer mon amendement si d'aventure cette équipée diplomatique de haut vol -qui n'atteint cependant pas les hauteurs du sommet de Copenhague- venait à se conclure par un échec...

L'amendement n°1 est retiré.

L'article 3 est adopté.

M. Robert Badinter.  - Nous nous sommes abstenus sur le projet de loi organique, et nous continuerons de le faire sur ce projet de loi ordinaire. Nous reconnaissons volontiers que solliciter le débat et l'avis des commissions compétentes constitue un progrès, mais nous estimons que c'est insuffisant et que cela appelle une réflexion plus générale.

Insuffisant, parce qu'établir un véritable contrôle parlementaire sur une nomination serait soumettre la proposition du Président de la République aux commissions compétentes, avec pouvoir de la rejeter à la majorité des suffrages. Or que fait-on ici ? On laisse à la seule majorité politique la possibilité de récuser cette proposition. Peut-on imaginer que cette majorité, que l'on n'appelle pas pour rien « majorité présidentielle », désavoue le choix du Président de la République ? Voilà un paradoxe que l'on ne retrouve dans aucune démocratie pratiquant ce contrôle. Aux États-Unis, le choix doit être agréé par une majorité des deux tiers. Même chose en Allemagne. C'est ainsi que l'on passe d'une république présidentielle à une république consensuelle. Si l'on nous demandait de recueillir ici un vote positif des trois cinquièmes, cela témoignerait de l'existence d'un consensus, et conforterait l'indépendance et l'autorité de la personnalité ainsi nommée. Mais tel n'est pas le cas. J'ai eu la curiosité d'examiner la composition de nos deux commissions des lois : 73 membres à l'Assemblée nationale et 48 au Sénat font 121 votants. Un vote négatif des trois cinquièmes requiert 73 voix. Or, l'opposition ne peut espérer en réunir que 55. Ce qui signifie qu'il faudrait un vote négatif de 18 membres de la majorité : c'est inconcevable dans le système politique qui est le nôtre.

On tombe là dans un des grands travers de nos institutions : on se donne l'air de voter des avancées démocratiques tout en contrôlant de près le pouvoir que l'on concède. La saisine du Conseil constitutionnel a ainsi été réservée jusqu'en 1974 aux plus hautes autorités de l'État. On l'a alors ouverte aux parlementaires, pourvu qu'ils fussent dans l'une ou l'autre chambre, au nombre de 60. Et il aura fallu attendre encore vingt ans pour qu'elle soit ouverte aux citoyens. Même processus pour le Médiateur de la république, que l'on a créé sur le modèle de l'Ombudsman des grandes démocraties du Nord, mais en en limitant aussitôt la saisine au Parlement, pour écarter le citoyen. Même chose pour d'autres institutions encore. Comme si l'on avait toujours peur d'aller vers une vraie démocratie.

Ici, on nous dit qu'enfin le Parlement pourra s'opposer à une nomination : ce n'est pas vrai. Le seul avantage de cette procédure, c'est qu'elle donnera quelque publicité à ces questions -et encore ne le croirais-je, puisque je n'ai rien vu venir dans notre Règlement, que si le président Hyest m'assure que la publicité est la règle. Car il ne faudrait pas en rester à des auditions menées dans la confidentialité de l'entre soi, l'avis seul étant rendu public... La publicité doit être la même qu'au CSA, les positions et leurs critiques étant ainsi portées devant l'opinion publique. C'est une nécessité au regard d'un texte qui revêt infiniment moins de portée que celle qu'une rhétorique flamboyante s'est accordée à lui reconnaître... (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous ne nions pas que le contrôle du Parlement soit une avancée, mais nous disons qu'en donnant l'illusion d'un contrôle effectif, on crée le trouble. M. Badinter l'a montré, dès lors que le fait majoritaire s'impose dans notre régime, un vote négatif des trois cinquièmes est impossible.

Dès lors qu'il y a tromperie, à la limite, ce n'est plus une avancée. Nous confirmons donc sur ce projet le vote que nous avions émis contre le cinquième alinéa l'article 13 de la Constitution.

Le projet de loi est adopté.