Réforme des retraites (Procédure accélérée - Suite)

Discussion des articles (Suite)

Article premier A (Suite)

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'amendement n°757.

Mme Odette Terrade.  - L'amendement n°757 confirme le principe de répartition qui fonde notre système de retraite. Les pensions du régime général doivent être suffisamment élevées par rapport aux salaires de référence.

La réduction des inégalités devrait être l'objectif de votre réforme. Hélas, tel n'est pas le cas avec votre politique de l'emploi désastreuse.

L'accroissement de la précarité, l'augmentation du chômage frappent les plus modestes. Mais votre objectif n'est-il pas de baisser le montant des pensions pour que les futurs retraités se tournent vers la capitalisation ? De quelles garanties disposeront-ils ? Les exemples étrangers font réfléchir nombre de nos concitoyens. Il faut faire prévaloir en tous domaines le principe de solidarité.

L'amendement n°757 n'est pas adopté.

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'amendement n°745.

M. Guy Fischer.  - L'amendement n°745 propose qu'une pension ne puisse être inférieure à 75 % du Smic.

Des centaines de milliers de salariés ne peuvent se contenter de retraites de misère. Ce serait inacceptable. L'équité n'est pas l'égalité : il faut donner plus à ceux qui ont moins.

Ne vous interdisez pas de prendre des mesures en faveur de l'équité ! Ne vous liez pas les mains. Nous aurons de plus en plus de retraités pauvres. En Grande-Bretagne ou aux USA, des gens de plus de 70 ans sont obligés de travailler : le régime par répartition montre ainsi toute sa vertu.

L'amendement n°745 n'est pas adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - J'ai déjà expliqué mon vote.

M. Éric Woerth, ministre.  - J'avais donné au départ un avis négatif sur l'amendement n°552 rectifié ter. Je le remplace par un avis positif : cet amendement cadre bien avec l'amendement n°598.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Moi aussi !

Mme Annie David.  - Je regrette que vous n'ayez pas utilisé le mot « genre plutôt que « sexe ».

L'amendement n°552 rectifié ter est adopté.

L'amendement n°760 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°320 rectifié.

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'amendement n°61.

Mme Raymonde Le Texier.  - Un petit moment de joie dans cette vie de brutes : M. le ministre va vous encourager à voter cet amendement n°61 puisqu'il a été favorable à l'amendement n°552 rectifié ter.

Votre amendement de ce matin est tragique, monsieur le ministre, puisqu'il ne concerne que les femmes nées entre 1951 et 1955. Plusieurs sénatrices sont dans ce cas.

A l'époque, les femmes se mariaient à 18 ans. Résultat : elles ne peuvent bénéficier de cette mesure. C'est un piège... que je ne qualifie pas.

L'amendement n°61 n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Caffet.  - Quelle honte !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est illogique.

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'amendement n°598.

M. Nicolas About.  - Cet amendement doit être adopté.

M. Guy Fischer.  - Ou bien M. About ignore la réalité, ou bien il ment. Je ne puis le croire. (Sourires)

M. Nicolas About.  - « Mentor », peut-être... (Sourires)

M. Guy Fischer.  - Les efforts qu'il fait pour nous faire avaler la potion amère de la réforme me font penser à un mensonge par omission. Les retraités ne vont pas disposer d'une pension confortable. L'indexation sur les prix, le recul de l'âge des retraites et cette réforme vont interdire aux Français de toucher des pensions supérieures à 50 % de leur salaire. Cet amendement ne transpose-t-il pas le système des retraites fédérales aux États-Unis ?

M. Nicolas About.  - C'est pourquoi il faut augmenter les cotisations.

M. Guy Fischer.  - Deux tiers des 55-60 ans ne sont déjà plus en activité. Malgré le plan senior, la tendance ne s'inverse pas, ou peu, je le reconnais, mais trop faiblement encore. Cet amendement ne nous convient pas car il y aura un effet d'éviction.

L'amendement n°598 est adopté, les groupes socialiste et CRC s'abstenant.

M. le président.  - Amendement n°754, présenté par M. Vera et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« La pérennisation des régimes de retraite par répartition nécessite la mise en oeuvre d'une politique permettant d'instaurer un niveau élevé d'activité et une qualité de l'emploi satisfaisante pour tous les salariés, notamment en pénalisant les entreprises qui ont un recours systématique aux contrats précaires. »

M. Bernard Vera.  - Il faut pénaliser les entreprises qui ont recours à des emplois précaires. Plus les emplois sont mal rémunérés, plus la pension sera faible.

Le niveau d'activité est essentiel. La proportion des licenciements double après 57 ans, M. Wauquiez en convient mais il accuse la proximité du départ à la retraite à 60 ans. Les entreprises avancent d'autres raisons pour expliquer ces licenciements, notamment la crise. Le coût de recrutement des seniors, qui partiraient ensuite rapidement à la retraite, serait également prohibitif.

Le chômage des plus de 50 ans a augmenté de plus de 17 % en un an. Le projet de loi va encore aggraver la situation de ces personnes. Le Gouvernement montre ainsi son incapacité à présenter une politique de l'emploi digne de ce nom.

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - Avis défavorable : la réforme des retraites n'a pas pour objet de répondre à la crise sociale.

M. Éric Woerth, ministre.  - Même avis.

M. Guy Fischer.  - Cet amendement a une importance cruciale pour un régime par répartition équitable. Vous maintenez le mot mais le videz de son sens par votre politique de l'emploi.

Il faut pénaliser les entreprises qui recourent systématiquement aux emplois précaires. Et, là-dessus, les salariés du privé n'ont rien à envier aux fonctionnaires : 16 % des employés de la fonction publique sont en CDD. A l'hôpital, il est question de supprimer 20 000 emplois dans les années qui viennent...

Il est temps que le Gouvernement revoie sa copie (marques d'impatience à droite) et sa politique de l'emploi. Vous pourrez mesurer le 12 octobre l'anxiété des Français.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

L'amendement n°754 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°820, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

Pour ce faire, la part patronale des cotisations sociales est augmentée sur une durée de trois ans dans les proportions de l'augmentation de la part salariale depuis 1980.

Un décret précise les modalités d'application du précédent alinéa.

Mme Annie David.  - Le taux de la cotisation patronale stagne depuis 1980 quand celle des salariés a augmenté de 40 %, sachant que ceux-ci ont dû payer aussi CSG et CRDS -qui sont intégrées dans le bouclier fiscal, ce qui signifie que les plus riches ne participent pas au financement de la protection sociale.

Le taux de la CSG a très fortement augmenté depuis 1990. On a ainsi assisté au fil des années à un transfert du financement des retraites vers les salariés et les familles.

M. Dominique Leclerc, rapporteur  - Une telle disposition relève du PLFSS : défavorable.

M. Éric Woerth, ministre.  - Même avis.

M. Guy Fischer.  - Le taux de cotisation patronale à l'assurance vieillesse n'a pas bougé depuis 1980, quand celui des salariés augmentait de 40 %.

M. Gérard Longuet.  - Il me semble que vous avez gouverné entre-temps...

M. Guy Fischer.  - S'y ajoutent la CSG et la CRDS, qui rapportent beaucoup. Avec un taux identique pour tout le monde, la CSG est injuste par construction, d'autant plus que les entreprises ne sont pas touchées, alors qu'elles participent à la production de richesses. La productivité a augmenté de 50 % en 25 ans ; il fut une époque où les salariés bénéficiaient d'une part croissante des richesses qu'ils créaient. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Notre génération a vu l'ascenseur social fonctionner ; c'est fini. La richesse est accaparée par les actionnaires et les banquiers ; le partage de la valeur ajoutée devient de plus en plus inégalitaire.

Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont augmenté de 85 % au premier semestre, sans que les salariés en profitent. La richesse produite a été confisquée.

M. Éric Woerth, ministre.  - Les entreprises subissent une cotisation de 1,60 % déplafonnée, ne l'oubliez pas. La répartition entre le capital et le travail est stable depuis trente ans.

L'amendement n°820 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°821, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Afin de satisfaire la réalisation de ce principe, il est mis fin aux mesures générales d'exonérations de cotisations sociales.

Mme Marie-Agnès Labarre.  - La Cour des comptes évalue à 172 milliards les niches fiscales et sociales qui profitent aux entreprises -et pas à l'emploi. Les taux effectifs de cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du Smic sont passés de 34,62 % à 4,38 % entre 1980 et 2006 alors que, dans le même temps, les taux de cotisations salariales sous le plafond sont passés de 12,8 % à 21,5 %. Je cite la commission des comptes de la sécurité sociale. De réforme en réforme, les dépenses sociales sont de plus en plus supportées par les salariés, au profit de la capitalisation boursière et des marchés financiers.

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - Défavorable à ces dispositions financières.

M. Éric Woerth, ministre.  - Même avis.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - La multiplication des exonérations revient à un transfert financier vers les entreprises au détriment des ménages.

M. Gérard Longuet.  - Il faut bien financer les 35 heures !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Si elles favorisaient la compétitivité et l'emploi, cela se saurait ! La Cour des comptes a dénoncé ce « dispositif incontrôlé », « au coût très élevé » et à « l'efficacité incertaine ».

Si l'intéressement était soumis à cotisation au même titre que les salaires, 7 milliards viendraient abonder la protection sociale. Les exonérations ne cessent de s'élever tandis que la dette de l'État envers le régime général s'accroît -elle s'élevait à 5,8 milliards en 2008.

M. Jean Desessard.  - Le rapporteur justifie son refus par le fait qu'il s'agit de finances. Dans vos journaux, il est écrit que nous ne faisons pas de propositions et quand nous en faisons, vous refusez de les entendre !

Les socialistes ont un projet. Pas mal. Les communistes aussi. Pas mal non plus. On va pouvoir s'entendre. (Rires) Les Verts aussi ont un projet ! Pour l'horizon 2020, nous retenons le scénario C du COR, le plus pessimiste. Et nous récupérons 8 milliards en réduisant les exonérations de cotisations sociales et en augmentant les prélèvements sur l'intéressement et les retraites chapeau. Demain, je vous donne tous les détails pour le reste du financement ! (Sourires ; applaudissements à gauche)

M. Robert del Picchia.  - Kerviel vous a aidés ?

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Il est étrange que les problèmes financiers n'aient pas lieu d'être dans ce débat ! Prenez la loi Tepa : elle a créé de ruineuses exonérations des heures supplémentaires, dont le quota est loin d'être pleinement utilisé partout.

Mme Samia Ghali.  - Il faut trouver des assiettes justes, efficaces et dynamiques. C'est ce que nous proposons. Selon vous, ce serait principalement aux salariés de contribuer. Nous mettons à contribution les plus favorisés, en relevant la fiscalité des stock-options, bonus et autres parachutes dorés, et en touchant aux superprofits des banques.

L'amendement n°821 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°822, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

À cette fin, l'État garantit le droit pour tous à un emploi de qualité.

Mme Évelyne Didier.  - Cet article premier A ne figurait pas dans le projet de loi du Gouvernement, alors qu'il était inscrit en préambule de la loi de 2003. Il a fallu que le groupe GDR de l'Assemblée nationale insiste pour que soient réinscrits ces principes posés par le CNR au sortir du terrible traumatisme qu'avait été la guerre. Un jeune ministre disait naguère que les valeurs du CNR étaient désuètes...

L'article premier A est un trompe-l'oeil, qui masque la véritable philosophie du texte. Cet amendement est issu de notre proposition de loi, un projet alternatif que vous avez refusé d'examiner, dans lequel nous entendons orienter l'argent des cotisations sociales vers l'emploi et les salaires plutôt que vers le capital. N'oublions pas qu'un million d'emplois, ce sont 15 milliards pour les cotisations sociales, dont 6 pour les retraites. (Applaudissements à gauche)

M. Dominique Leclerc, rapporteur  - Défavorable.

M. Éric Woerth, ministre.  - Défavorable.

M. François Autain.  - Ce Gouvernement en fin de vie n'avait pas inscrit cet article premier A dans son projet, alors que son Premier ministre l'avait fait dans son texte de 2003. Cette déclaration solennelle, issue du programme du CNR, déplait à certains, comme M. Denis Kessler, responsable du cinquième groupe mondial d'assurances et grand pourfendeur du programme du CNR. Notant la profonde unité, en dépit des apparences, des projets successifs du Gouvernement, il précise dans Challenges : « il s'agit de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du CNR ». Comment ensuite vous croirions-nous ?

Les 680 000 emplois détruits depuis dix-huit mois pèsent lourd dans la situation de notre régime de retraites. L'industrie a encore perdu 40 000 emplois depuis le 1er janvier. (M. Jean Desessard le confirme) Le Président de la République vante la valeur travail mais ne songe qu'à la contredire.

L'amendement n°822 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°823, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

À ce titre, il est progressivement mis fin, dans un délai de deux ans, aux mécanismes individuels ou collectifs, de retraite faisant appel à la capitalisation.

Mme Annie David.  - Votre avant-projet faisait opportunément mention de votre volonté de valoriser l'épargne-retraite, à laquelle était consacré un titre entier. Il fallait cet article, a dit le rapporteur, pour lever certaines inquiétudes. Peine perdue ! A marche forcée, vous voulez favoriser l'épargne retraite dans les entreprises, quitte à nier la liberté du choix des salariés. Les sommes consacrées à la capitalisation -système opaque, coûteux et aléatoire, comme l'a montré l'affaire Enron- sont perdues pour la répartition. Qu'en sera-t-il demain des grands principes de l'article premier A ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur  - Je veux vous sauver malgré vous... Allez expliquer aux fonctionnaires que vous supprimez leur régime additionnel ! Défavorable.

M. Éric Woerth, ministre.  - Le régime des retraites en France est à 97 % public. La capitalisation est marginale. On ne va pas empêcher les gens de cotiser secondairement à un régime complémentaire par capitalisation !

L'amendement n°823 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°846, présenté par M. Fischer et les membres du groupe CRC-SPG.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Afin d'assurer la réalisation de cet objectif, les sommes affectées au fonds de réserve des retraites sont mises en réserve et ne pourront être mobilisées qu'à compter du 1er janvier 2020.

Mme Isabelle Pasquet.  - Nous sommes attachés au régime par répartition qui repose sur des valeurs de solidarité intergénérationnelle. Nous voulons apporter des garanties : il serait inopportun de piocher dès à présent dans le fonds de réserve des retraites.

M. Dominique Leclerc, rapporteur.  - Défavorable.

M. Éric Woerth, ministre.  - Défavorable.

L'amendement n°846 n'est pas adopté.

M. le président.  - Je mets aux voix l'ensemble de l'article premier A modifié.

M. Jean-Pierre Caffet.  - Nous aurions aimé pouvoir voter un article réaffirmant l'attachement de la Nation au principe de répartition. Si nous ne le faisons pas, ce n'est pas dû au mépris ni à l'agressivité du ministre. Vous nous objectez sans cesse qu'avec la réforme de 1981, ceux qui avaient commencé à travailler à 14 ans ont dû cotiser 46 ans.

M. Gérard Longuet.  - Ça fait mal, n'est-ce pas ?

M. Jean-Pierre Caffet.  - Avant 1981, c'était 51 ans ! Et demain ce sera 53 !

Dans un article déclaratif comme celui-ci, qu'est-ce que cela vous aurait coûté d'accepter d'inscrire l'objectif d'égalité entre hommes et femmes ? Mais vous nous avez présenté ce matin un amendement qui ne concernera que 130 000 femmes ! C'est le même état d'esprit qu'avec la pénibilité : vous ne voulez considérer que 30 000 personnes -en invalidité !

Votre conception est claire : c'est aux salariés de payer ! Cet article premier A est contredit par tout le reste du texte, qui construit le système le plus rétrograde, le plus régressif et le plus défavorable d'Europe. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

M. Jacky Le Menn.  - Un article comme celui-ci n'a de sens que comparé à l'ensemble du texte. Il ne suffit pas de belles proclamations initiales si ensuite, on va contre.

Nous demandons une garantie de santé, cela suppose que les employeurs fassent le nécessaire. Une retraite où l'on se retrouve, une retraite point trop tardive et qui soit prise par des personnes en bonne santé, ce n'est pas négligeable !

Il y a une incohérence entre les objectifs que vous annoncez et ce que vous faites ensuite.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous regrettons de ne pas voter cet article premier A, que nos amis du GDR de l'Assemblée nationale ont fait inscrire dans le texte. Il faudrait d'ailleurs le reporter à la fin, comme vous avez fait pour nos articles additionnels sur le financement, pour voir si le contenu de la réforme va dans le sens de cette proclamation de principe.

Vous avez refusé tous nos amendements qui donnaient un peu de chair à cette déclaration liminaire.

Pourquoi avoir refusé d'inscrire le droit à la retraite dans cet article ? Parce vous liez la retraite à la durée de cotisation. Vous inspirez-vous de Bismark qui, alors qu'on lui précisait que l'espérance de vie était de 65 ans, avait fixé l'âge de départ à la retraite à cet âge-là ?

Vous ne cessez de répéter que nous ne sommes plus en 1945. C'est vrai : la part des revenus du capital a pris une proportion gigantesque. Il faut modifier les choses, mais vous vous y refusez.

Que n'ai-je entendu sur l'égalité homme-femme ! Les sénatrices de droite réclament à cor et à cri cette égalité, mais vous refusez d'agir. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cet article qui aurait pu nous unir s'il n'était insincère. (Applaudissements à gauche)

Mme Bariza Khiari.  - Nous ne sommes pas dupes des manoeuvres du Gouvernement, face à la montée des mécontentements. Avec ce préambule déclaratif, vous tentez de masquer votre double échec : des inégalités de plus en plus flagrantes et des pensions en diminution. Vous organisez les dysfonctionnements futurs pour mettre en place la retraite par capitalisation.

Cet article préambule est hypocrite. Il faut un effort financier équitablement réparti.

Comment parler de réforme juste quand ce sont les plus fragiles qui vont financer le système ? Nous ne sommes pas dupes de cet article. Une autre réforme est possible. Revenez sur le péché originel qu'est le bouclier fiscal. Après une vie de labeur, les Français ont droit au bouclier social. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. David Assouline.  - Cet article grave dans le marbre de grands principes mis à bas par les autres articles de ce projet de loi ! Il faut 45 milliards pour sauver la retraite par répartition : nous en sommes loin ! En fait, pour équilibrer les comptes, il ne faudrait pas augmenter l'âge légal du départ à la retraite de deux ans, mais de huit ; c'est impossible.

Puisque vous êtes insensibles à la justice, (« oh ! » à droite) puisque l'efficacité économique est votre crédo, écoutez-nous ! Il faudra remettre sur le métier cette réforme. (Exclamations à droite)

Nous ne pourrons pérenniser ce système par répartition que si nous prenons en compte le facteur capital, qu'il faut taxer.

Nous proposons d'en ponctionner une partie pour financer la retraite par répartition. D'ailleurs, pour financer les amendements de ce matin, vous êtes allés de ce coté... Encore un effort, messieurs de la droite !

M. Jean Desessard.  - Je ne vais pas être long. (« Très bien ! » à droite)

Je dois voter au nom des sénateurs Verts : faut-il voter cet article ou non ? Certes, il affirme l'attachement du Sénat au système par répartition. Bravo ! Mais je ne le voterai quand même pas. Pourquoi ? Parce que nous faisons aujourd'hui de la politique spectacle. (Applaudissements à droite) Certains ministres sont excellents dans l'exercice : M. Woerth, par exemple, est un grand communicant. Il aurait pu nous présenter ces deux amendements en commission. Non, il a préféré attendre la séance publique !

En fait, M. Bizet a vendu la mèche : il nous a dit que la droite avait décidé d'aligner la France sur le reste du monde pour la rendre compétitive. Comme il y a des acquis sociaux en France, le patronat s'efforce de les casser. (Applaudissements à gauche) Le gaullisme social qui s'allie aux communistes pour créer la retraite par répartition, ce n'est plus d'actualité !

Comme vous êtes des communicants et que vous voulez donner satisfaction aux centristes un jour sur deux, vous présentez deux amendements, mais qui ne concernent qu'une minorité ; vous aviez fait de même pour le RSA des jeunes.

Je m'abstiendrai donc. (« Ah ! » à droite ; applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet.  - Ce débat a été long et utile. Je suggère au groupe UMP de voter unanimement cet article important qui affiche des convictions que je m'étonne que la gauche n'ait pas le courage d'afficher publiquement. (Exclamations à gauche)

Cet article réaffirme le pacte intergénérationnel, ce qui n'allait pas de soi. La nouvelle génération pouvait se retourner contre nous en refusant les dettes que nous lui avions léguées. En rappelant ce pacte, on recrée cette obligation mutuelle.

Les écologistes veulent respecter la terre, considérant que nous l'empruntons à nos enfants. Il en va de même avec les retraites : il ne faut donc pas transmettre des dettes aux futures générations.

Il s'agit ici de rappeler la dignité des travailleurs qui doivent bénéficier de retraites justes. Dès 1937, le régime par répartition a commencé à être mis en place. Le CNR l'a généralisé sous l'impulsion d'Alfred Sauvy : le système par répartition est un système de solidarité où ceux qui travaillent payent pour ceux qui ne travaillent plus.

Mes collègues centristes ont évoqué l'avenir du régime. C'est le but de cet article : nous devons tenir compte des efforts accomplis dans la vie professionnelle et personnelle de chacun.

Il faut consolider le pacte intergénérationnel en refusant d'envoyer à nos enfants et petits-enfants la facture de nos propres faiblesses ! (Applaudissements à droite)

M. Yves Daudigny.  - Le fait que nous ne puissions voter cet article n'est pas le signe d'un manque de courage, mais de notre lucidité : votre réforme est un immense gâchis !

Un vaste débat aurait dû être mené dans le pays. Vous avez préféré construire une vaste dramaturgie politique dont les ficelles sont tirées par l'Élysée. Votre scénario conduit le Parlement à approuver des amendements rédigés ailleurs et réduit les syndicats à un rôle de faire-valoir.

Peut-être votre texte sera-t-il adopté, mais votre victoire sera une victoire à la Pyrrhus. (Applaudissements à gauche)

L'article premier A, modifié, est adopté.

M. le président.  - La séance reprendra à 21 h 55 pour examiner l'article 5, appelé en priorité.

La séance est suspendue à 19 h 55.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance reprend à 21 h 55.

Article 5 (Appelé en priorité)

M. Guy Fischer.  - A la suite du coup de force de la commission des affaires sociales et de sa présidente, nous abordons cette nuit les deux principaux articles du projet de loi. Manoeuvre grossière, qui témoigne de l'inquiétude du Gouvernement ! Après avoir concédé quelques mesures ce matin pour tenter de désamorcer la grogne, vous tentez de faire voter le relèvement de l'âge légal avant mardi. Cette mesure idéologique est révélatrice de votre conception de la société.

Nous avons des propositions différentes des vôtres. C'est une malhonnêteté de votre part que de prétendre que l'opposition ne formule pas de propositions ! Après le couperet du président Accoyer, vous tentez ici d'empêcher une discussion suivie sur le financement d'une réforme dont nous ne nions pas la nécessité.

Ne vous en déplaise, l'allongement de la durée de vie n'est pas une catastrophe économique, mais elle exige une nouvelle politique de l'emploi ! Même des membres de la majorité s'interrogent sur vos propositions de financement. Votre réforme est injuste et inéquitable, puisqu'elle pèse à 85 % sur les salariés et à seulement 15 % sur les revenus du capital.

Le relèvement de l'âge légal est une posture idéologique et votre réforme est injuste et inefficace. En maintenant les seniors au travail, vous empêchez l'entrée des jeunes dans la vie active !

Nous ne vous laisserons pas fuir le débat ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Isabelle Pasquet.  - Bafouant les déclarations passées de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement se réjouit du passage à 62 ans. Un seul ministre se fait discret, M. Besson, qui en 2003, spécialiste au parti socialiste des questions sociales, critiquait une réforme des retraites injuste et non financée, et opposait au recul de l'âge de la retraite l'impossibilité faite aux seniors de rester dans l'emploi. Le taux d'activité des plus de 50 ans est le plus bas d'Europe. La Poste pousse les salariés âgés vers la sortie ; il en est de même à France Telecom. On marche sur la tête ! Ce sont 600 000 seniors qui vivent sous le seuil de pauvreté ; votre projet de loi n'est qu'une machine à fabriquer de nouveaux pauvres, tout en maintenant le bouclier fiscal pour les plus riches ! Nous sommes décidément contre le recul de l'âge légal. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jacky Le Menn.  - On vit plus longtemps ; il est donc normal de travailler plus, dites-vous, en invoquant le bon sens. Pourtant, c'est se tromper d'objectifs. Ce ne sont pas les gains d'espérance de vie qu'il faut partager, mais les gains de productivité ! Mais pas question pour le Gouvernement de déplaire au Medef et au CAC 40 ! On préfère reculer l'âge de départ des soutiers du monde du travail. On sauvegarde le capital, qui nourrit la spéculation irresponsable !

Si l'espérance de vie a beaucoup progressé en cinquante ans, c'est grâce à la chute du taux de mortalité infantile.

L'important, c'est l'espérance de vie -en bonne santé- à 60 ans ! Dans la définition restrictive de l'Insee, une personne en rémission d'un cancer est en bonne santé... Cette espérance de vie en bonne santé est très inégalitaire, selon les métiers et les catégories socioprofessionnelles.

Ce n'est pas l'amendement gouvernemental déposé à la hâte ce matin qui va désamorcer le mécontentement populaire. Nombre de travailleurs ne profiteront pas de leur retraite à 62 ans car ils seront morts !

Cet article déplorable met fin à une grande conquête sociale. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Toutes les avancées en matière de conditions de travail sont dues à la gauche ; tous les reculs, à la droite.

M. Alain Gournac.  - Et de Gaulle, il n'a rien fait ?

M. Claude Domeizel.  - Ils vous faut remonter bien loin ! Ces vérités vous gênent !

M. Alain Gournac.  - Ce n'est pas la vérité !

M. Claude Domeizel.  - Les congés payés, la retraite à 60 ans, les 35 heures... (Exclamations à droite)

M. Alain Gournac.  - Laissez-moi rire !

M. Claude Domeizel.  - Vous aimez rappeler que la retraite à 60 ans a été mise en oeuvre par ordonnance. C'était une promesse électorale ! En 1981, le Président de la République a tenu ses promesses ; il en va tout autrement aujourd'hui ! Nos concitoyens sont attachés à cet acquis.

A entendre le ministre, le gouvernement Jospin n'aurait rien fait ! Vous êtes bien contents de vous servir du FRR, du COR ! En 1997, la sécurité sociale accusait un déficit de 54 milliards. Au départ de Lionel Jospin, l'équilibre était de retour grâce à notre politique pour l'emploi. Vous avez trouvé une situation excédentaire pour le régime général ; vous nous le rendrez en déficit. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. David Assouline.  - Pourquoi commencer avec les articles 5 et 6 ? C'est que la question de l'âge légal est la seule qui vous intéresse : la manoeuvre vise à tout boucler avant mardi. Quelle mauvaise manière faite au Parlement ! Votre plan communication du week-end est prêt : une fois cet article voté, vous pourrez expliquer qu'il ne sert plus à rien de manifester mardi.

Le progrès social est une constante du XXe siècle. La réduction du temps de travail est le résultat d'une suite de conquêtes : divisé par deux en un siècle ! Chaque étape de ce parcours s'est heurtée à l'opposition du patronat, qui refuse, encore aujourd'hui, le progrès social. La politique du Front populaire a été accusée d'avoir ruiné l'économie et préparé la défaite de 1940 ! Toujours les mêmes arguments ! En réalité, la division par deux du temps de travail s'est accompagnée de l'augmentation de la richesse par habitant, multipliée par huit en un siècle !

Le passage à 60 ans en 1981 instaurait un véritable droit au repos pour les travailleurs. Les choses n'ont pas changé.

Six salariés sur dix liquident leur retraite alors qu'ils ne sont plus en activité. A 60 ans, un ouvrier et un cadre ont une espérance de vie de sept ans différente.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. David Assouline.  - Ce relèvement de l'âge légal est une injustice flagrante qui ne règle rien.

M. le président.  - Je n'en voudrai à aucun d'entre vous si vous respectez vos temps de parole (sourires) : ainsi tous les inscrits pourront-ils s'exprimer ce soir !

Mme Patricia Schillinger.  - Cet article 5 est au coeur de l'injustice. Il aurait été plus innovant d'instaurer un système individualisé, laissant à chacun de nos concitoyens le choix de partir à 60 ans s'il le souhaite. C'est une mesure d'équité pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, souvent les plus modestes, pour ceux qui sont usés par le travail. Le Président Sarkozy nous a trompés, après avoir donné, le 23 janvier 2007, sa parole que la retraite à 60 ans serait maintenue !

Pour s'adapter à notre société, il faut de l'audace, imaginer de nouveaux moyens de financement. Réduire la solidarité collective est votre seule réponse...

Les exemples étrangers ne sont pas à notre désavantage. L'effort doit être partagé, les solutions existent : il faut taxer le capital comme le travail ! En limitant les salaires au profit des actionnaires, on limite les cotisations et on creuse les déficits ! Nous vous proposons donc une mesure d'équité : 25 milliards à l'horizon 2025. Votre réforme est la plus dure de toutes celles menées en Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Raymonde Le Texier.  - Mme Jarraud-Vergnolle ne pouvait être là ce soir, du fait du bouleversement de l'ordre du jour.

Dans un pays reconnu pour la productivité de ses salariés, comment comprendre, demande-t-elle, que le Gouvernement cherche à pénaliser les femmes, les carrières longues, les seniors ? L'augmentation du taux d'emploi des jeunes et des seniors conditionne toute réforme des retraites, d'autant plus que votre financement est assis presque exclusivement sur les salaires.

Vos accord collectifs non contraignants sur l'emploi des seniors ont prouvé leur inefficacité.

L'acquis social du droit à la retraite à 60 ans a été bénéfique. L'âge détermine le comportement du consommateur : le troisième âge dispose d'un pouvoir d'achat élevé, qui a de nombreux besoins à satisfaire, par exemple en matière de tourisme ! Or, 89 % de ses dépenses s'effectuent sur le territoire national. Votre réforme va affaiblir le secteur du tourisme qui emploie, ne l'oubliez pas, 822 000 personnes ! Votre réforme va lourdement pénaliser ce secteur. C'est un aspect particulier du problème, qui n'est peut-être pas le plus important, si l'on pense aux futurs retraités qui auront à peine de quoi vivre. Mais de grâce, n'agissez pas dans l'urgence. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ronan Kerdraon.  - M. le ministre a annoncé que le texte serait « amélioré » par le Sénat : quel honneur ! Mais nous ne sommes pas dupes : les soi-disant avancées, qui viennent en réalité de l'Élysée, ne changeront rien au fond du texte !

Le passage à 62 ans ne règle pas la question financière : elle ne fait que transférer les charges à l'Unedic et aux collectivités locales, qui devront payer le RSA aux seniors pendant deux ans de plus -un coût estimé à 265 millions par Pôle emploi.

La retraite doit être choisie et adaptée à la personne.

Votre réforme pénalise les carrières longues, qui cotisent à vide. Et que dire des 414 000 apprentis qui ne cotisent qu'un trimestre par année de travail ?

Le taux d'emploi des 55-65 ans est l'un des plus bas d'Europe ! Il y a trois ans d'écart entre la fin de l'activité et l'âge de la retraite, trois ans de galères, que vous voudriez encore allonger !

Il faut de toute urgence favoriser l'accès des jeunes à l'emploi.

Nous vous demandons de maintenir la retraite à 60 ans, d'écouter les manifestants, de cesser ce mépris envers les plus fragilisés de nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)

Mme Bernadette Bourzai.  - Le recul de l'âge légal va pénaliser tous ceux qui ont commencé à travailler tôt et exercé des métiers pénibles, et ceux qui ont eu des carrières en dents de scie.

Les femmes seront les premières victimes. Leurs salaires sont de 27 % inférieurs à ceux des hommes, entre emplois peu qualifiés et temps partiels subis.

La discrimination n'est pas qu'indirecte, notamment dans les plus petites entreprises, qui échapperont aux pénalités en cas de non-respect des règles en matière d'égalité salariale.

L'arbitrage dans le couple se fait encore au détriment de la femme ; après s'être arrêtée plusieurs années, il lui est difficile de retrouver un emploi. Ces deux années supplémentaires allongent la période de précarité et permettent mécaniquement de réduire les pensions !

C'est un aveu d'impuissance. L'égalité salariale fait l'objet d'un combat depuis des décennies. Pensez-vous qu'il suffit de la décréter ? Les Français ne sont pas dupes.

La Halde a dénoncé en septembre ces discriminations inacceptables !

M. Bernard Cazeau.  - Notre système de retraite est confronté au vieillissement de la population et à la situation dramatique de l'emploi. Mais votre projet de loi ne répond qu'aux exigences des agences de notation.

Il ne résout rien et accroît les injustices. Les travailleurs aux carrières incomplètes seront les premières victimes, à commencer par les femmes, dont nombre tomberont dans la précarité. L'espérance de vie d'un ouvrier n'est pas celle d'un cadre : sept ans de moins ! Cette réforme va accroitre les disparités en fin de vie. Ceux qui ont commencé jeunes supporteront l'essentiel du coût de la réforme : ils paieront plus pour recevoir moins !

Une telle réforme exigeait un large débat préalable. Les Suédois ont débattu trois ans avant de réussir leur réforme des retraites, par consensus. Mais 2012 approche et vous voulez tenir les promesses faites aux plus privilégiés : cessez de critiquer la gauche qui a créé le FRR, que vous êtes bien contents d'utiliser ! Assez de suffisance, assez de fanfaronnades, comme le Premier ministre encore cet après-midi au Sénat : il n'a pas à être fier d'une telle réforme !

Mme Odette Terrade.  - « Retraites : les femmes payent le prix fort », pourrait-on intituler cet article ! Les écarts de pensions entre hommes et femmes sont énormes. Comment vivre dignement avec 790 euros par mois, sans pension de réversion ? Porter l'âge à 62 ans va obliger les femmes aux carrières incomplètes à des choix cornéliens : travailler jusqu'à 67 ans ou rester plus longtemps aux minima sociaux ! C'est un scandale. Les inégalités se creusent aussi vite que les profits du CAC 40 s'envolent !

La note sera salée pour les femmes. Même amendée, votre réforme est bien loin de compenser dans le système de retraite les nombreuses inégalités dont les femmes sont victimes pendant leur vie active (éducation des enfants, travail domestique) avec la difficulté centrale de concilier vie professionnelle et vie familiale. Il faut aller vers l'égalité des genres. Le système de retraite ne peut corriger toutes les inégalités mais il ne peut les ignorer.

M. Yves Daudigny.  - Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent qui change de sens. Après avoir promis de ne pas toucher à l'âge légal, le couperet est tombé. A l'évidence, votre gouvernement est dans la stratégie, et seulement dans la stratégie.

M. Gérard Longuet.  - C'est mieux que la tactique à courte vue !

M. Yves Daudigny.  - Quand l'opposition veut débattre projet contre projet, on demande la réserve de ses amendements relatifs au financement ; et comme elle continue à résister, on demande la priorité sur les articles 5 et 6. Pas de dialogue : seul compte pour vous le rapport de force !

Mais point n'est besoin de reculer l'âge de la retraite. Alors que votre politique des cadeaux fiscaux a ruiné la France, le seul remède que vous avez trouvé c'est de faire payer plus ceux qui vont devoir travailler plus.

Cette réforme est la plus brutale et la moins crédible d'Europe. Elle n'est pas totalement financée : rien n'est assuré après 2018 et vous aurez vidé le FRR. Elle reporte la dette, contrairement à ce que vous affirmez.

Le maintien à 60 ans n'est pas la caricature que vous décrivez : il s'agit d'un projet crédible. Ce n'est pas d'une augmentation de l'âge légal dont notre pays a besoin mais d'emplois ! La réforme des retraites vaut mieux qu'un rafistolage cynique et injuste. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Teston.  - Cet article est inacceptable. Ce recul, fut-il progressif, nous inquiète en raison de la situation du marché du travail, notamment des plus de 50 ans. Les chiffres sont connus, notamment celui du taux de chômage des plus de 50 ans, qui a augmenté de 17 % entre juillet 2009 et juillet 2010. La Halde et l'Organisation internationale du travail publient chaque année un baromètre sur les discriminations dans les entreprises : la discrimination en raison de l'âge arrive au troisième rang !

Est-il pertinent de reculer l'âge légal ? De nombreux salariés de plus de 50 ans voudraient travailler plus longtemps. Mais faute d'emplois, c'est l'Unedic qui devra payer. On assistera à un transfert de charges : la réforme des retraites va coûter entre 440 et 530 millions à l'assurance chômage. M. Fillon a d'ailleurs prévenu les partenaires sociaux le 16 septembre...

A l'inverse, le projet du parti socialiste prévoit une politique volontaire de l'emploi des seniors. Nous demandons la suppression de l'article 5. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Vera.  - Comment financerez-vous votre réforme ? Votre projet n'en dit mot. Vous préférez rallonger la vie professionnelle des salariés : le passage à quarante annuités, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et l'indexation sur les prix ont déjà eu pour conséquence de faire baisser les retraites de 10 % en moyenne, et même de 25 % pour ceux qui n'ont pas de carrière complète. Aux mêmes causes les mêmes effets : les articles 4, 5 et 6 vont entraîner un écrasement des retraites.

Pourtant notre pays n'a jamais été aussi riche. Les profits des entreprises du CAC 40 ont récemment explosé. Deux actifs produisent autant que trois actifs de 1983. Et les choses vont encore s'améliorer. Et on veut nous faire croire que la seule solution est de repousser l'âge légal ! C'est une posture idéologique. Pour éviter à Nicolas Sarkozy de revenir sur la promesse qu'il a faite au Medef de ne pas augmenter les impôts, vous faites payer les salariés. Souvenez-vous de ses documents de campagne, de ses déclarations sur la retraite à 60 ans : je ne le ferai pas, je n'en ai jamais parlé au pays, je n'en ai pas le mandat !

Au final, vous allez priver les salariés de deux années de vie à faire autre chose que travailler. Mais il manquera toujours au moins 2,5 milliards pour équilibrer votre réforme. De nouveaux mauvais coups vont encore pleuvoir dans les années à venir -il ne faudra pas attendre 2018. Nous ne voterons pas cet article 5. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Nous voici au coeur du projet gouvernemental qui détruit le droit à la retraite pour tous à 60 ans. Comme si cette régression sociale ne suffisait pas, l'article 4 allonge la durée des cotisations et le coup de grâce est donné avec le report de l'âge du taux plein. Bref, soucieux avant tout des agences de notation et des marchés financiers, le Gouvernement sacrifie les salariés.

Cette réforme est d'autant moins admissible qu'elle ne prend pas en compte la pénibilité. Un exemple : le métier d'enseignant. Comment imaginer se trouver devant une classe jusqu'à 67 ans ? Arrivés à un certain âge, beaucoup d'enseignants souhaitent quitter un métier pénible et fatigant. Ce métier autrefois valorisé est dénigré, la fin de carrière est mal vécue. Enseigner, c'est être présent, écouter les élèves et les familles, gérer les tensions, alors qu'il y a toujours moins de postes. Le stress est épuisant. Les professeurs des écoles entrent dans la vie active assez tardivement, 27 ans en moyenne ; un tiers partent déjà avec décote. Il leur va falloir travailler plus longtemps. Cette profession est en train de se dégrader. Or les enseignants forment les jeunes citoyens. Ils jouent un rôle déterminant pour notre pays. Pour toutes ces raisons, je suis opposée à cet article. (Applaudissement sur les bancs CRC)

Mme Annie David.  - Les ouvriers meurent à 62 ans, je n'ai aucun problème pour leur offrir la possibilité de partir en retraite à 60... On ne sait si ces propos de M. Bouygues père, dans les années 1970, étaient une boutade ou un constat...

Depuis plusieurs mois, on nous dit que l'allongement de la durée de vie implique un recul de l'âge de la retraite. Il faut se rappeler qu'en 1981, lorsque la gauche a décidé la retraite à 60 ans, elle a aussi créé la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures... Les mêmes discours ineptes lui ont été servis en ces occasions qu'en 1936 ou pour les 35 heures, ou encore pour les contrats de solidarité.

Sans dispositif permettant aux salariés de plus de 50 ans de se maintenir dans l'emploi, on ne fera que les précariser un peu plus. On vit moins longtemps quand on a été mineur ou peintre en bâtiment qu'instituteur ou technicien à EDF. Il ne faut pas aggraver ces injustices. Cet article 5 n'est pas tolérable. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Vous avez tout fait pour écourter le débat à l'Assemblée nationale et vous faites de même ici. Est-ce dû à votre inquiétude devant la montée du mécontentement dans le pays ? Nous sommes entrés en résistance et disons notre ferme opposition à cet article, qui marque un recul social sans précédent.

Vous voulez nous priver de tout débat sur le financement des retraites, mais notre détermination à vous porter la contradiction est intacte. Avec la réforme constitutionnelle, le Parlement devait pouvoir maîtriser son ordre du jour ; il n'en est rien. Vous avez cru envoyer un signal aux manifestants avec vos amendements de ce matin ; la mobilisation n'en sera que plus forte si vous nous forcez à voter ces articles. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Marie-Agnès Labarre.  - Une réforme juste et efficace est possible. Vous nous dites qu'il faut suivre l'exemple des autres pays européens, mais si l'Espagne a dû réformer ses retraites, c'est qu'elle était l'otage de puissances financières.

M. Philippe Dallier.  - Elle a pourtant un gouvernement socialiste...

Mme Marie-Agnès Labarre.  - Avec cette réforme, vous appauvrissez les pauvres et vous enrichissez les riches ! La France n'aurait plus les moyens de payer les pensions ? C'est faux, elle n'a jamais été aussi riche et productive ! La réalité, c'est que vous avez accordé des cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises. Voyez le rapport de la Cour des comptes : 172 milliards de manque à gagner pour l'État.

Il faudrait travailler plus, se soigner moins pour être plus productif ? Et pourquoi pas se hisser au niveau de l'Asie du sud-est ? Nous ne sommes pas dupes : vous voulez déconstruire notre société. Qui partira à la retraite avec le nombre de trimestres que vous exigez ? Certains font des métiers qui ruinent leur santé ; vous voulez qu'ils travaillent deux ans de plus. Est-ce vraiment le destin des travailleurs dans un pays riche comme le nôtre ? La question première est bien celle de l'emploi. Puisque vous ne savez comment vous y prendre, laissez-nous faire ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Bernard Angels.  - Ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont les parcours les plus chaotiques devront travailler jusqu'à 67 ans. Vous refusez de voir la réalité économique du pays. Les seniors peinent à garder leur travail. Seuls 40 % sont encore au travail à 58 ans. Que vont faire les autres entre 58 et 62 ans ? Deux ans de plus au RMI, au RSA ou au chômage !

Ce ne sont pas vos mesurettes qui vont changer la situation. Vous reprenez à votre compte le discours du Medef qui veut le recul de l'âge légal tout en continuant de mettre les seniors à la porte. L'assurance chômage va connaître de lourds déficits !

Pas de meilleur moyen pour pérenniser notre système de retraite que de mener une véritable politique de l'emploi. Vous en êtes loin ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Bariza Khiari.  - Cela fait huit ans, huit ans de trop, que vous êtes au pouvoir. Le bilan est édifiant : tous les compteurs sont au rouge. Une réforme des retraites est certes nécessaire mais les Français veulent une réforme juste. Les 60 ans sont un bouclier social que vous voulez dynamiter !

Vous soumettrez les salariés à la double peine. Vous confondez pénibilité et invalidité : c'est consternant. Et vous mettez à contribution les collectivités car 60 % des plus de 55 ans sont au chômage : ils devront passer deux ans de plus par la case RMI ou RSA.

C'est l'État providence, l'héritage du CNR que vous voulez démanteler. La seule solution est une politique active de l'emploi. Je vous entends encore dire que vous iriez chercher la croissance avec les dents, qu'il fallait travailler plus pour gagner plus. Sans croissance riche en emplois, votre réforme échouera comme celle de M. Fillon de 2003.

Nous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Samia Ghali.  - Nous voulons défendre les hommes et les femmes qui demandent notre protection : les 60 ans sont le bouclier social des plus modestes. Deux ans de plus serait insupportables pour eux.

Votre dispositif « carrières longues » n'est pas pertinent. Allez-vous demander à celui qui a commencé à travailler à 18 ans de cotiser 44 ans ? Votre projet, c'est la redistribution à l'envers. Ce système est profondément injuste et anti solidaire. Nous le refusons.

Cet article n'est pas fait pour ceux qui ont beaucoup donné à la France. Il faut le retirer. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je veux parler ce soir avec une certaine émotion. Je me souviens du jour où l'Assemblée nationale a voté la retraite à 60 ans. J'étais alors député. Un collègue du département du Nord est monté à la tribune et a parlé de son père ouvrier qui s'était battu toute sa vie pour la retraite à 60 ans et était mort avant de l'avoir connue. Quand Nicolas Sarkozy a dit que la retraite à 60 ans avait été une erreur, j'ai pensé à toux ceux pour qui la retraite à 60 ans était le résultat de décennies de luttes.

M. Christian Cambon.  - Que dit Strauss-Kahn ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai parlé avec des chefs d'entreprise de PME du bâtiment. Ces patrons connaissent bien leurs compagnons. Qui ici dira à un maçon qui a commencé à travailler à 16 ans qu'il ne peut plus partir à 60 ans ? Nous pensons qu'il faut maintenir le droit à la retraite à 60 ans en considération de toutes celles et ceux qui ont travaillé tôt et qui ont assuré la croissance de ce pays.

Quand vous parlez de pénibilité, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur le ministre. C'est humilier ces travailleurs de leur demander d'aller voir le médecin pour prouver qu'ils sont bien cassés, bien blessés, à bout de forces ! (Applaudissements à gauche) C'est le métier qui est pénible !

Le vote pour la retraite à 60 ans a été un vote historique. Il ne faut pas revenir sur cela. S'il faut une réforme, elle doit être juste. J'espère que nous serons entendus ici et avec les millions de Français qui le demandent avec leur coeur et le désespoir de leur colère. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Woerth, ministre.  - Il y a un problème d'information. Ce que vous dites n'est pas la réalité. (Applaudissements à droite) Le maçon dont vous parlez a eu une carrière longue : il prendra sa retraite à 59 ou 60 ans, pas à 62 ! On peut polémiquer mais faisons-le sur des exemples réels. Le dispositif carrières longues existe, même si ce n'est pas grâce à vous ; nous le préservons et l'étendons même à ceux qui ont commencé à 17 ans. Vous pouvez rassurer votre maçon, monsieur Sueur. (Exclamations à gauche)

Posez la question de l'espérance de vie : elle est différente en fonction du sexe, en fonction des catégories sociales, en fonction du lieu d'habitation. L'espérance de vie à 60 ans a considérablement progressé : depuis 1982, elle a augmenté de cinq ans. Les 60 ans de 1981, c'était en réalité un âge plus avancé que les 62 ans que nous proposons ! (Exclamations à gauche ; applaudissements à droite)

M. Marc Daunis.  - Passons à 57 ans alors !

M. Éric Woerth, ministre.  - Enfin, vous avez une curieuse opinion des médecins. Il serait humiliant de passer devant un médecin ? Pour bénéficier de mesures en faveur de la pénibilité, il faut simplement pouvoir la prouver. Nous avons retenu un taux d'incapacité à 10 %, car sont ainsi intégrés les troubles musculo-squelettiques.

Pour avoir, un débat constructif, il faut dire des choses exactes. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Un maçon partira à 62 ans !

M. Jean-François Voguet.  - Ce discours réactionnaire fait honte au monde du travail. Il est une catégorie de salariés qui va subir de plein fouet les effets de la potion libérale que vous allez leur administrer : les femmes. En 1968, le taux d'activité féminin était inférieur à 50 % ; aujourd'hui, il est de 80 %. Cette féminisation est malheureusement allée de pair avec la précarisation de l'emploi, le temps partiel imposé, les inégalités salariales.

Les comptables cyniques qui ont conçu ce texte se rendent compte que plus le temps passe, plus les femmes ont des carrières à taux plein ; comme elles vivent plus longtemps que les hommes, il était urgent d'agir ! Vous avez sorti la calculette et vous avez proposé deux ans de plus. Jolie manière de remercier les femmes françaises d'avoir pris leur part dans la croissance. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Pignard.  - Depuis des heures, je vous écoute. Je veux faire entendre la petite musique centriste. Nous voteront cet article pour deux raisons. La démographie tout d'abord. Le CNR, c'était 1945. Le monde a changé depuis. Certes, le taux de fécondité est élevé dans notre pays même s'il n'est pas suffisant pour assurer le renouvellement des générations.

En 1945, on entrait dans un métier jeune et on prenait sa retraite à 65 ans. Comparons ce qui est comparable : voulez-vous que tous les jeunes entrent aujourd'hui à 14 ans dans la vie professionnelle ? (Exclamations à gauche)

Et puis, le monopole du coeur n'est pas à gauche, pas plus que celui de la jeunesse. Je pense aux jeunes, à mes enfants, aux générations auxquelles j'ai enseigné -j'aurais volontiers exercé trois ans de plus. Ne les pénalisons pas par les dettes que nous leur lèguerions. (Nouvelles exclamations à gauche ; applaudissements prolongés au centre et à droite)

Prochaine séance demain, vendredi 8 octobre 2010, à 9 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du vendredi 8 octobre 2010

Séance publique

A 9 HEURES 30, A 14 HEURES 30, LE SOIR ET LA NUIT

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 713, 2009-2010).

Rapport de M. Dominique Leclerc, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 733, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 734, 2009-2010).

Avis de M. Jean-Jacques Jégou, fait au nom de la commission des finances (n° 727, 2009-2010).

Rapport d'information de Mme Jacqueline Panis, fait au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 721, 2009-2010).