Programmation des finances publiques (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la CMP sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

Discussion générale

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - Remplaçant notre rapporteur général, je voudrais vous faire partager ma satisfaction : la CMP a repris intégralement le texte du Sénat, à l'exception d'un article intégré au PLF. En outre, ce texte nous oriente vers une situation budgétaire souhaitable. Le programme de stabilité transmis à la Commission fixe nos objectifs, dont la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale déclineront les modalités. Cela suppose une modification constitutionnelle pour qu'il soit possible de voter des lois-cadres de finances. Il faudrait aussi que le Conseil constitutionnel censure les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale déficitaires. À terme, on pourrait aller vers une loi de finances unique, un seul article d'équilibre.

Si nous voulons que la norme soit contraignante, elle doit être vérifiable, et donc exprimée en valeur annuelle, en milliards d'euros constants, non en pourcentage.

Préalablement à sa transmission à Bruxelles, le programme de stabilité doit être soumis au Parlement qui s'exprimera par son vote. Encore faut-il respecter la sincérité !

Mme Nicole Bricq.  - Il y a de quoi faire !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - C'est la révolution introduite par la Lolf. Il faudrait retenir des hypothèses prudentes. L'effort budgétaire serait plus important mais la crédibilité y gagnerait, avec ce que cela signifie pour les marchés.

Le Gouvernement commence à se rallier à ce type de raisonnement ; c'est de bon augure. Quand ce projet de loi aura été adapté, il faudra le faire vivre. Nous avons déjà été saisis, dans la loi de finances, de demandes de dispenser certains opérateurs de l'État de l'interdiction d'emprunter sur plus d'un an.

Adoptons cette vertueuse loi de programmation !

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.  - Je vous remercie, monsieur le président, pour la qualité des travaux de la commission des finances, pour la qualité de votre regard sur les finances publiques, pour la qualité de votre intervention en CMP. Depuis tant et tant d'années que vous exercez cette tâche, vous devez ressentir un sentiment de satisfaction !

Oui, la Lolf donne des indications très claires sur l'évolution de nos dépenses publiques. Le monopole des dispositions fiscales au profit des lois de finances est le meilleur moyen d'enrayer l'accumulation des dépenses fiscales.

Il nous a paru important d'encadrer l'action publique par des règles budgétaires nouvelles, pour l'État -avec la norme zéro valeur-, pour ses dotations aux collectivités territoriales -dont nous protégeons la politique d'investissement : c'est sur le fonctionnement qu'elles doivent faire des économies-, enfin, pour les dépenses sociales.

Pour la première fois, l'Ondam a été respecté en 2010 ; nous nous donnons les moyens de faire aussi bien à l'avenir.

J'ai rassemblé les opérateurs à Bercy pour leur exposer la situation.

Le rendez-vous à mi-avril sur les engagements de la France auprès de l'Union européenne sera sanctionné par un vote, comme vous le souhaitez.

Les amendements que je présenterai tout à l'heure ne sont que de coordination, avec le projet de loi de finances pour 2011 ainsi qu'avec le PLFSS.

Mme Nicole Bricq.  - La réduction par rapport aux prévisions du déficit, constatée en 2010, apparaît ponctuelle et fondée sur une belle hypothèse de croissance, mais les conjoncturistes sont moins optimistes que vous.

Le rapporteur général avait présenté un scénario alternatif pour le cas où la croissance ne serait pas au rendez-vous, mais le Gouvernement avait assuré que la réduction prévue du déficit serait « intangible ». La question reste pendante des moyens que le Gouvernement utilisera : relèvement des impôts et/ou réduction des dépenses ? Nous subirons sans doute la double peine, vraisemblablement indispensable pour soutenir une reprise fragile. Vos prévisions de réduction du déficit ne reposent pas sur du solide. Je crains donc que notre pays ne soit rattrapé par sa dette galopante, détenue à 70 % par des non-résidents qui n'auront aucun état d'âme à vendre. Que fera-t-on en 2012, année de tous les dangers et année électorale ?

Cette loi de programmation, qui n'est pas crédible, gèle les dotations aux collectivités locales. Le Gouvernement avait parlé en l'occurrence d'un « effort financier de l'État en faveur des collectivités territoriales », ce qui était un peu fort de café. La CMP parle de « transfert financier », ce qui nous remet dans la neutralité.

Non crédible, amputant les collectivités territoriales de moyens financiers, cette loi de programmation ne peut être votée. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - Nous approchons du terme du marathon budgétaire. C'est l'occasion d'émettre des hypothèses, des doutes, des questions.

Tout le monde est d'accord sur l'ardente nécessité de mener une politique vertueuse en matière de finances... mais pas sur le sens de la vertu ! La question du déficit empoisonne la vie politique depuis les années 1980.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Et même avant !

M. François Fortassin.  - Malheureusement, le texte de la CMP porte un coup très rude aux collectivités territoriales. Un gel des dotations revient à une baisse nette des ressources. Le panier du maire augmente généralement du double de l'inflation. Les collectivités vont souffrir et on va les culpabiliser.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Mais non ! Elles feront des efforts.

M. François Fortassin.  - Elles en ont déjà fait ! Elles représentent 70 % de l'investissement du pays pour 10% d'endettement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Quel investissement ?

M. François Fortassin.  - Le dogmatisme libéral rompt le pacte républicain dont les communes sont le fondement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Non. C'est en marchant qu'on avance.

M. François Fortassin.  - La caractéristique de votre réforme des collectivités, c'est le manque de cohérence et de visibilité. Où est la légitimité quand on ne vote plus la fiscalité ? On va paralyser les investissements en supprimant toute fiscalité dynamique pour la région.

Pour le département, on peut éprouver des doutes. Ont-ils un ciel clair devant eux ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Non !

M. François Fortassin.  - Et les régions ? Je vous vois dubitatif, monsieur le président de la commission des finances, cela me suffit.

La clause de revoyure risque de n'être qu'un mot. Les collectivités devront relever les impôts, tandis que l'investissement public va diminuer, au détriment des entreprises, alors que le pays va entrer dans une ère de morosité.

Les exécutifs locaux seront contraints d'imposer une forte hausse de la fiscalité locale et d'en assumer l'impopularité.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Comment réduire le déficit ?

M. Jean-Marc Todeschini.  - Commencez par ne pas le creuser !

M. François Fortassin.  - Pour réduire le déficit, il faut diminuer les dépenses, mais aussi augmenter les recettes en prenant l'argent où il est.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - Nous avons voté ensemble contre le bouclier, la semaine dernière.

M. François Fortassin.  - L'investissement stimule l'économie. En investissant, les collectivités ne se sont pas appauvries, au contraire ! Il n'est pas sain de faire entrer le pays dans une ère de morosité et de frilosité.

En ne remplaçant pas un fonctionnaire retraité sur deux, on met en berne la consommation, donc la croissance du pays.

Avec ce projet vous nous engagez sur un chemin semé d'épines. Nous ne tenons pas à nous égratigner ! La majorité du RDSE votera contre ce texte.

M. Bernard Vera.  - Le déficit n'est pas condamnable en soi, à condition de savoir d'où il vient. Notre législation fiscale est truffée de mesures d'allégement, si bien que le taux effectif de l'impôt sur les sociétés est inférieur de deux tiers à celui affiché. La plupart des sociétés du CAC 40 ne paient que 8 % d'impôt sur les bénéfices... On arrive à 172 milliards de niches fiscales et sociales, soit le montant du déficit de l'État et de la sécurité sociale. On donne l'équivalent du budget de l'État pour que Total investisse en Birmanie et Renault en Turquie et en Roumanie.

On mesure ainsi l'urgence d'une réforme fiscale et sociale qui se fixerait comme objectif l'équité entre les contribuables et la transparence.

Le CIR a-t-il stimulé l'innovation dans les entreprises ? A-t-il facilité l'embauche de jeunes diplômés ? Le régime d'intégration des groupes favorise-t-il les investissements dans le pays ? Les exonérations de cotisations sociales, ce racket sur le monde du travail, ont-elles un effet positif sur l'emploi, sur l'égalité des sexes ? À quoi sert un allégement de 26 milliards pour préserver 800 000 emplois ? On peut s'interroger sur l'optimisation fiscale permise par le régime des donations.

Nous savons ce que coûte le bouclier fiscal, dont les bénéficiaires n'ont rien de contribuables exemplaires. Il doit être supprimé sans condition, sans contrepartie de la suppression de l'ISF. Il en va de même pour le dispositif ISF-PME, une niche de plus.

Ces dépenses fiscales sont le cancer de nos finances publiques. Il faut une allocation des ressources en direction de l'emploi et de la croissance au lieu de la rémunération la plus haute possible du capital.

Il faut de nouveaux prélèvements sociaux pour financer la dépendance, de manière solidaire et équitable. Est-il raisonnable que notre système fiscal et social favorise l'optimisation ?

La loi de programmation vassalise nos finances à l'Union européenne et à la stabilité de l'euro. Cette loi est liée à la croyance qu'une croissance plus forte tiendrait seulement à la bonne volonté des entreprises. Nous empilons exonérations fiscales et sociales, sans le moindre résultat probant.

Cette loi de programmation qui court sur plusieurs législatures est menacée par une possible alternance. Elle menace notre peuple d'une cure d'austérité prolongée. Elle mérite d'avoir le même avenir que la précédente : d'être abrogée. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

M. le président.  - Le Sénat se prononçant après l'Assemblée nationale, il se prononce par un seul vote sur le texte de la CMP, enrichi par le Gouvernement.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Article 6

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Article 6, alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau : 

En milliards d'euros

 

PROGRAMMATION PLURIANNUELLE(périmètre constant 2010)

LOI DE FINANCES POUR 2011(périmètre courant)

 

Autorisations d'engagement(AE)

Crédits de paiement (CP)

Dont contribution au compte d'affectation spéciale Pensions (CP CAS)

AE

CP

DontCP CAS

 

2011

2012

2013

2011

2012

2013

2011

2012

2013

Action extérieure de l'État

2,95

2,89

2,88

2,95

2,91

2,89

0,13

0,13

0,14

2,96

2,97

0,13

Administration générale et territoriale de l'État

2,64

3,02

2,48

2,52

2,76

2,49

0,50

0,51

0,54

2,57

2,45

0,50

Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales

3,41

3,41

3,32

3,49

3,44

3,36

0,24

0,25

0,27

3,58

3,67

0,23

Aide publique au développement

4,58

2,76

2,68

3,34

3,34

3,34

0,03

0,03

0,03

4,58

3,33

0,02

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

3,33

3,21

3,11

3,33

3,21

3,11

0,04

0,04

0,04

3,31

3,32

0,03

Conseil et contrôle de l'État

0,62

0,59

0,64

0,59

0,60

0,61

0,12

0,12

0,13

0,62

0,59

0,12

Culture

2,74

2,59

2,64

2,70

2,70

2,71

0,18

0,19

0,19

2,72

2,68

0,18

Défense

41,97

38,04

38,74

37,41

38,04

38,74

7,27

7,53

7,73

41,97

37,41

7,26

Direction de l'action du Gouvernement

0,95

0,54

0,55

0,58

0,59

0,60

0,03

0,03

0,04

1,53

1,11

0,05

Écologie, développement et aménagement durables

10,27

9,77

9,78

9,76

9,73

9,71

0,94

0,96

1,00

10,02

9,51

0,93

Économie

1,93

1,90

1,88

1,93

1,91

1,89

0,23

0,24

0,25

2,06

2,06

0,23

Engagements financiers de l'État (y compris charge de la dette)

46,93

52,03

56,73

46,93

52,03

56,73

0,00

0,00

0,00

46,93

46,93

0,00

Enseignement scolaire

61,91

62,05

62,67

61,80

62,10

62,71

16,25

16,70

17,54

61,91

61,79

16,25

Gestion des finances publiques et des ressources humaines

11,68

11,55

11,56

11,70

11,59

11,57

2,45

2,51

2,62

11,72

11,75

2,45

Immigration, asile et intégration

0,56

0,55

0,54

0,56

0,56

0,55

0,01

0,01

0,01

0,56

0,56

0,01

Justice

8,91

9,68

10,03

7,09

7,30

7,33

1,29

1,35

1,43

8,96

7,14

1,30

Médias, livre et industries culturelles

1,43

1,24

1,23

1,44

1,26

1,18

0,00

0,00

0,00

1,45

1,45

0,00

Outre-mer

2,14

2,16

2,19

1,97

2,03

2,10

0,03

0,05

0,05

2,16

1,98

0,03

Politique des territoires

0,34

0,33

0,30

0,32

0,34

0,31

0,00

0,00

0,00

0,35

0,32

0,00

Provisions

0,03

0,07

0,07

0,03

0,07

0,07

0,00

0,00

0,00

0,03

0,03

0,00

Recherche et enseignement supérieur

25,03

25,30

25,49

24,85

25,08

25,28

1,16

1,19

1,25

25,36

25,18

0,58

Régimes sociaux et de retraite

6,03

6,24

6,53

6,03

6,24

6,53

0,00

0,00

0,00

6,03

6,03

0,00

Relations avec les collectivités territoriales

2,69

2,56

2,59

2,64

2,51

2,52

0,00

0,00

0,00

2,69

2,64

0,00

Santé

1,22

1,22

1,22

1,22

1,22

1,22

0,00

0,00

0,00

1,22

1,22

0,00

Sécurité

16,83

16,92

17,30

16,83

17,01

17,27

5,29

5,53

5,82

16,80

16,81

5,28

Sécurité civile

0,46

0,42

0,44

0,44

0,45

0,46

0,04

0,04

0,05

0,46

0,43

0,04

Solidarité, insertion et égalité des chances

12,52

12,95

13,36

12,52

12,95

13,37

0,27

0,28

0,29

12,37

12,37

0,20

Sport, jeunesse et vie associative

0,41

0,41

0,45

0,42

0,42

0,46

0,00

0,00

0,00

0,42

0,43

0,00

Travail et emploi

12,46

10,07

9,32

11,65

10,11

9,27

0,17

0,17

0,18

12,35

11,57

0,16

Ville et logement

7,67

7,63

7,61

7,63

7,56

7,50

0,00

0,00

0,00

7,67

7,63

0,00

Pour mémoire : Pouvoirs publics

1,02

1,02

1,02

1,02

1,02

1,02

0,00

0,00

0,00

1,02

1,02

0,00

M. François Baroin, ministre.  - Je m'en suis expliqué : coordination avec la loi de finances.

Article 8

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

2010

2011

2012

2013

2014

434,1

449,0

462,3

476,9

491,4

M. François Baroin, ministre.  - Coordination avec la loi de financement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - C'est une coordination, que la commission n'aurait pu que constater.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Claude Frécon.  - On veut engager les finances de l'État pour les trois prochaines années ; or, à aucun moment la majorité sénatoriale n'a été en majorité dans cet hémicycle ce soir, loin de là. C'est un très mauvais exemple, qui ne peut qu' alimenter l'antiparlementarisme.

Bien entendu, nous votons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Fournier.  - L'enjeu de ce texte est la souveraineté nationale : faute de son adoption, notre note se détériorerait et les taux d'intérêt qui nous sont consentis seraient relevés. La crise irlandaise, après la grecque, détourne à notre avantage les investisseurs, qui pourraient bien se retourner de nouveau contre nous. Déjà le taux de nos crédits immobiliers remonte et l'Allemagne a vu le taux de ses emprunts à dix ans remonter à 3 %, pour la première fois depuis sept mois.

Il faut poursuivre sur toute la période de programmation la réduction des niches fiscales et sociales.

Le retour à une croissance plus forte permettra de réduire le déficit, compensant l'effet de taux plus élevés. Le groupe UMP...

M. Jean-Marc Todeschini.  - Il n'est pas là !

M. Bernard Fournier.  - ...se félicite des objectifs chiffrés, qui évitent une hausse générale des prélèvements obligatoires.

Le groupe UMP votera le texte de la CMP. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Sans enthousiasme !

À la demande du Gouvernement, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 187
Contre 151

Le Sénat a définitivement adopté.