Mandat des conseillers à l'AFE

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger.

Discussion générale

M. Robert del Picchia, auteur de la proposition de loi.  - Cette proposition de loi est simple, puisque de bon sens, et efficace puisque réaliste. Il y a trop de scrutins prévus, en trop peu de temps. En 2012, après la présidentielle et les législatives, la moitié des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) sera renouvelée.

Il est impossible de mobiliser cinq fois de suite les électeurs, a fortiori quand ils résident à l'étranger. On ne peut donc pas renouveler l'AFE en 2012, surtout que les règles électorales sont particulières. Nous proposons donc de retarder d'un an ce scrutin.

En 1994, les élections à l'AFE avaient été couplées avec les européennes, et la participation à celles-ci en aurait pâti. En outre, un couplage impose de mobiliser deux fois plus de responsables de bureaux de vote et de scrutateurs.

La prolongation d'un tel mandat est-elle conforme à la Constitution ? Oui, si elle est exceptionnelle, transitoire et justifiée par des considérations d'intérêt général, ce qui n'aurait pas été le cas si l'on avait attendu 2014 et l'élection des conseillers territoriaux.

Les Français de l'étranger vivent parfois dans des pays où les valeurs démocratiques ne sont pas défendues avec la même vigueur qu'en France. Ils ne voudraient donc pas que leur mandat puisse perdre de sa valeur : leur soutien à cette proposition de loi confirme la qualité de ce texte.

Je remercie le groupe UMP et le Sénat d'avoir bien voulu inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour, pourtant très chargé. C'est la preuve de l'intérêt constant de notre assemblée pour les Français établis hors de France.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - Nous avons examiné parallèlement la proposition de loi Cointat, dont les suggestions étaient différentes. L'AFE a une importance toute particulière pour le Sénat puisque nous lui devons douze de nos collègues.

Dès la IVe République, la France a créé un Conseil supérieur des Français de l'étranger ; cette institution a été progressivement confortée au cours de la Ve République. L'actuelle AFE compte 179 membres dont 155 élus selon un mode de scrutin comparable à celui du Sénat. Elle représente les 2,3 millions de nos compatriotes qui vivent à l'étranger.

En 2012, il faudrait organiser cinq tours de scrutin en moins de trois semaines. M. Cointat avait suggéré que l'élection des conseillers à l'AFE ait lieu en même temps que celle des députés, dans l'espoir d'augmenter la participation électorale. La commission n'a pas retenu cette solution qui poserait de lourds problèmes au ministère des affaires étrangères -puisque 1 200 bureaux de vote devraient être ouverts- d'autant que les modes de scrutin sont différents.

La proposition de loi del Picchia nous est apparue la meilleure. Cette solution a été mise en oeuvre à plusieurs reprises, tant pour les sénateurs que pour les conseillers municipaux. Elle garantira les conditions optimales pour les premières élections de députés par les Français de l'étranger.

La commission des lois a donc adopté cette proposition de loi à l'unanimité. (Applaudissements)

M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération.  - La pédagogie est l'art de la répétition... Mes propos répéteront donc ce qui vient d'être dit ; ce qui est plutôt bon signe. (Sourires)

Le calendrier électoral très dense de 2012 suscite de légitimes interrogations, qui justifient cette excellente proposition de loi, simple et intelligible.

Un cumul comme celui qui est prévu imposerait à nos consulats une charge telle que le résultat des scrutins pourrait être sujet à caution -d'autant que les régimes électoraux seront différents, ainsi que les règles de financement applicables.

Un report favoriserait donc un déroulement régulier des autres scrutins et faciliterait le succès du premier rendez-vous des Français de l'étranger avec les législatives.

Le Gouvernement a recueilli l'avis de l'AFE sur une telle mesure. Celle-ci s'est prononcée à une large majorité pour ce report de bon sens, auquel la commission est donc favorable. (Applaudissements)

M. Richard Yung.  - Les limites que rencontre notre réseau consulaire sont la conséquence des restrictions budgétaires qui lui sont imposées, aggravées par la RGPP. Est-ce vraiment au Parlement d'assumer la responsabilité de ce report ? Cela relève plutôt du Gouvernement.

M. Christophe-André Frassa.  - C'est vrai !

M. Richard Yung.  - Admettons qu'ainsi ce sera plus présentable, que l'on sera plus loin de Canossa. Mais je ne veux pas pratiquer la politique du pire.

Reporter à 2014, en concomitance avec l'élection des conseillers territoriaux, aurait recueilli notre soutien. L'idée serait que l'AFE devienne comparable à nos assemblées locales, avec uniquement des élus, des responsabilités et un budget propres... On n'en est pas là, malheureusement. L'idée d'un report de deux ans ne peut donc être défendue, surtout face au Conseil constitutionnel -qui pourrait nous objecter qu'un report de quelques mois aurait suffi à résoudre le problème.

Ce que nous voulons, c'est le succès de ces premières élections législatives pour les Français à l'étranger, c'est-à-dire avec une participation qui soit au moins de 50 %, ce qui n'est pas acquis. En prenant onze postes à l'Assemblée nationale, nous ne nous sommes pas fait que des amis.

L'AFE est favorable au report d'un an ; nous aussi. (Applaudissements)

M. Jean Louis Masson.  - Moi aussi, je voterai cette proposition de loi, qui est la sagesse même. Je saisis cependant cette occasion pour évoquer la question de la représentation des Français de l'étranger. L'AFE ne devrait pas compter de personnalités nommées, d'autant qu'elle participe à l'élection des sénateurs : il n'est pas sain que des sénateurs soient indirectement élus par des personnalités choisies par le gouvernement. J'aurais préféré que les députés des Français de l'étranger soient élus à la proportionnelle... Ainsi auraient-ils pu être représentés en tant que tels.

M. Jean-Michel Baylet.  - Les Français de l'étranger, grâce à la révision constitutionnelle de 2008, vont pouvoir être représentés par des députés. Réjouissons-nous en. Près de 2,5 millions de nos compatriotes vivent hors de nos frontières ; il est urgent de renforcer leur représentation. Je salue le travail de nos collègues sénateurs représentant les Français de l'étranger, qui nous éclairent sur les enjeux de la politique internationale et nous informent sur les problèmes que rencontrent nos compatriotes à l'étranger : ainsi hier avons-nous pu évoquer le cas des enfants franco-japonais, à l'initiative de Richard Yung.

Les radicaux de gauche ne sont pas satisfaits des conditions prévues pour l'élection des onze députés ; nous aurions souhaité un découpage plus respectueux de la démographie, et une obligation de résidence, suscitant des candidatures plus légitimes.

L'année 2012 promettait un télescopage d'élections alors que l'abstention est particulièrement importante pour les élections à l'AFE : pas plus de 20 % de votants !

Sur le principe, la proposition de loi del Picchia n'appelle aucune observation. Sous la Ve République, une telle prorogation a été décidée neuf fois. La solution préconisée apparaît la plus pertinente, mais l'abstentionnisme persistant appellera d'autres réponses.

Les radicaux de gauche et le RDSE votent cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Christiane Kammermann.  - L'année 2012 sera une année très chargée pour les électeurs. L'organisation de cinq tours de scrutin en mai et juin risque d'avoir un effet négatif sur la participation de l'électorat, qui ne dépasse guère les 20 % aux élections à l'AFE. Elle poserait en outre de gros problèmes à notre réseau consulaire, d'autant que les modalités de ces scrutins sont très différentes, ainsi que les normes de dépenses.

Il faut donc légiférer. En septembre 2010, l'AFE a adopté à l'unanimité le principe du report d'un an des élections à l'AFE. Le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel sont très réservés quant à la concomitance d'élections réglées par des normes différentes.

L'UMP soutient donc la proposition de loi del Picchia, avec l'espoir qu'elle favorisera une meilleure participation des électeurs.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Claudine Lepage.  - Cette proposition de loi est consensuelle car conforme à l'intérêt de tous. Organiser cinq tours de scrutin en quelques semaines dissuaderait les électeurs de se déplacer massivement et poserait de lourds problèmes d'organisation à nos services consulaires.

Pour la première élection de députés par les Français de l'étranger, nous n'avons pas le droit à l'erreur.

Une coïncidence avec l'élection des conseillers territoriaux, en 2014, serait un bon signe car elle ferait apparaître une collectivité d'outre-frontières. Mais un report de deux ans n'agréerait sans doute pas au Conseil constitutionnel.

La proposition de loi del Picchia nous convient donc. (Applaudissements)

M. Christian Cointat.  - Il fallait éviter que les murmures suscités par cette première élection de députés par les Français de l'étranger ne se transforment en une rumeur désagréable. Je voulais accroître l'audience de l'AFE. Dites à la ministre d'État que nous disposons là d'un outil extraordinaire. Le réseau diplomatique l'informe sur ce que pensent les gouvernements, mais pas sur ce que pense le peuple. On l'a vu en Tunisie ! Les élus de l'AFE, qui vivent dans les pays, au milieu de la population, peuvent lui dire ce que pensent les peuples ! Qu'elle utilise davantage cette assemblée comparable à aucune autre !

Organiser deux élections différentes le même jour est difficile ? Cela s'est déjà fait, à diverses reprises... Peu importe. Mon objectif n'était pas tant de coupler des élections que de faire mieux connaître l'AFE. L'avis du Conseil d'État me fait mal au coeur : les Français de l'étranger seraient incapables de faire ce que font les électeurs métropolitains ?

On ne peut pas éternellement prolonger les mandats. Vu les durées différentes, il y aura toujours des concomitances d'élections. Il faudrait avoir le courage de remettre à plat ces questions afin de trouver une solution pérenne. La démocratie, ce n'est pas de changer sans cesse les règles du jeu.

J'en appelle, enfin, au Gouvernement, pour qu'il prenne toutes ses responsabilités : un projet de loi aurait été préférable à une proposition de loi. Ce n'est pas au Parlement, sous la Ve République, de suppléer le Gouvernement quand il ne remplit pas toutes ses missions.

M. Henri de Raincourt, ministre.  - Pourquoi une proposition de loi ? C'est très simple : parce que la réforme constitutionnelle de 2008 a modifié l'équilibre entre les prérogatives parlementaires et gouvernementales. Le Gouvernement a considéré qu'il aurait été discourtois de ne pas tenir compte d'une initiative parlementaire pour imposer sa vision des choses ; il n'y a pas d'autre raison.

Ensuite, nous sommes au Sénat ; j'ai quelques raisons de connaître le corps électoral sénatorial : je sais pertinemment qu'il est constitué d'hommes et de femmes qui reflètent les mouvements de l'opinion. Naturellement, je ferai part au ministre d'État de votre souhait d'instaurer une consultation de l'AFE ; Le Gouvernement connaît la qualité des 155 membres de l'AFE : il n'y a que des avantages à consulter nos compatriotes installés aux quatre coins du globe. Je vous remercie enfin, monsieur Cointat, de vous être rallié à cette proposition de loi. (Applaudissements)

L'article premier est adopté.

L'article 2 est adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Les intentions de ce texte sont claires, cela a été bien dit : le report d'un an évitera bien des difficultés techniques pour les services consulaires... qui auraient moins de problèmes s'ils ne subissaient pas les contraintes de la RGPP ! Le report à 2015 de la deuxième moitié de l'AFE ne sera pas sans conséquence sur le renouvellement sénatorial de 2014, d'autant que, comme par hasard, il portera sur une majorité de sénateurs... membres de la majorité.

Compte tenu de ces remarques, nous nous abstiendrons.

M. Christophe-André Frassa.  - M. Masson s'est étonné que des personnalités qualifiées figurent dans le collège électoral de l'AFE. Je fais partie de ceux qui veulent les supprimer, de même que je souhaite que le président de l'AFE soit élu, mais ces personnalités qualifiées ne participent pas au scrutin sénatorial.

Je voterai ce texte. Cependant, je parie que le report n'augmentera pas la participation, mais j'aimerais le perdre. La véritable raison du report, c'est le recul des effectifs dans les consulats : c'est un signe auquel nous devons être attentifs. Quelle que soit la qualité des agents, avec des moyens réduits, on ne peut pas faire de miracles... (Applaudissements)

M. Louis Duvernois.  - Nous voulons tous que les Français de l'étranger soient traités comme ceux de métropole et d'outre-mer. L'abstention endémique à l'AFE justifie un report : un cinquième vote susciterait nécessairement lassitude et confusion. Ce report, enfin, sera sans conséquence sur les sénatoriales de 2014. Je souscris donc totalement à cette proposition de loi. (Applaudissements à droite)

M. Christian Cointat.  - Merci, monsieur le ministre, pour votre réponse élégante. Il faut relativiser le taux d'abstention à l'AFE car beaucoup d'inscrits sont déjà rentrés en France ; il faut en tenir compte. Je voterai ce texte.

L'ensemble de la proposition de loi est adopté.