Loi de finances pour 2012 (Suite)

Action extérieure de l'État

Mme la présidente.  - Nous allons examiner les crédits dédiés à la mission « Action extérieure de l'État »

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Sans sous-estimer le talent de synthèse de mes collègues, je souhaite que chacun fasse un effort de concision...

M. Alain Gournac.  - ... qui n'a pas été notre fort sur la mission « Santé ».

M. Richard Yung, rapporteur spécial de la commission des finances.  - La commission des finances préconise le rejet des crédits de cette mission, alors qu'elle penchait initialement pour l'abstention ; la cause en est l'application du rabot sur un budget déjà serré.

Elle a pris cette position parce que les effectifs du ministère des affaires étrangères baissent depuis 2006 ; enfin parce que l'exécution du budget est conditionné par des hypothèses qu'on peut juger optimistes, qu'il s'agisse des opérations de maintien de la paix ou du taux de change...

Mais je ne formulerai pas que des critiques au regard de vos efforts, monsieur le ministre d'État, pour préserver notre outil diplomatique et consulaire. Vous avez entre autres eu le mérite de ne pas engager de nouvelles réformes.

Les crédits atteignent presque 3 milliards d'euros, avec 12 644 ETPT, mais l'effectif réel atteint 15 024 ETPT ; 1 400 auront été supprimés depuis 2006. Les deux rapporteurs spéciaux estiment qu'à l'issue de la réforme du réseau diplomatique et consulaire, aller plus loin impliquerait de s'interroger sur l'universalité de la présence française dans le monde.

Le programme n°185 regroupe un quart des crédits de paiement de la mission. L'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (Aefe) aurait dû percevoir une subvention de 422 millions d'euros, mais l'Assemblée nationale a prélevé 3 millions, malgré les 8 millions que représente la charge supplémentaire des pensions civiles. L'augmentation des frais d'écolage ne suffiront pas. Une réforme de l'indemnité spécifique de vie locale s'impose.

Autre élément, les besoins d'investissements mobiliers : l'Aefe ne peut plus emprunter, elle doit recourir à un prêt de 12 millions d'euros auprès du Trésor. Que se passera-t-il en 2013 ? Sa situation est très tendue ; pourra-t-elle faire face à la très forte demande d'enseignement français à l'étranger ? La seule solution de rechange, c'est de faire payer les familles...

La géométrie variable de notre dispositif culturel me laisse perplexe, car le résultat est confus. Nous avons besoin d'y voir plus clair.

L'agence « Campus France » : les craintes exprimées l'an dernier par MM. Collin et Gouteyron restent d'actualité. Les résistances du Cnous mettent en péril l'existence même du nouvel opérateur. Comment comptez-vous faire prévaloir l'autorité de l'État ?

La tenue des premières élections de députés représentant les Français de l'étranger expliquent pour l'essentiel la hausse des crédits du programme n°151. Comme en 2011, je regrette le désengagement de l'État dans la prise en charge de la troisième catégorie aidée de cotisation maladie-maternité à la CFE ; il est contraire à l'esprit de la loi de 2002. Comment la CFE fera-t-elle face ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances.  - La majorité de la commission des finances demande le rejet des crédits ; à titre personnel, je les voterai.

Je partage cependant globalement les observations de M. Yung : nous nous félicitons de votre action, monsieur le ministre d'État, en faveur de votre ministère.

Le programme n°332, après la présidence française du G20 et du G8, ne compte plus d'autorisations d'engagement et seulement 20 millions de crédits de paiement, pour payer des dépenses non encore liquidées.

Le programme n°105 finance une grande partie de l'administration centrale et le réseau de nos ambassades, avec 1,788 millions d'euros en crédits de paiement, soit plus de 60 % des crédits de paiement de la mission. A périmètre constant, les autorisations d'engagement baissent de 0,8 % et les crédits de paiement de 1,3 %. Globalement, le budget reste serré, avec des dépenses de fonctionnement bien tenues, mais certaines ne sont guère maîtrisables, comme les crédits du centre de crise, et d'autres ont atteint un étiage, comme celles de protocole. Les crédits de communication, d'informatique, et les frais de représentation, en France comme à l'étranger, ont déjà fortement diminué.

Seulement 398,2 millions d'euros sont demandés en 2012 pour les opérations de maintien de la paix, soit une baisse de plus de 66 % -ce qui dégage des marges de manoeuvre sur d'autres lignes à condition, bien sûr, que le budget soit sincère. Un élément tangible intervient cette année, avec la fin du mandat des Nations unies en Centre-Afrique et au Tchad. S'y ajoute l'effet du taux de change retenu euro-dollar -1,40 alors qu'il était hier de 1,34.

J'en viens à la politique immobilière. Une expérimentation est engagée pour rationaliser notre implantation à Madrid, Séoul et Abou Dhabi. Presque aucune dépense d'entretien immobilier ne figure dans ce budget car le financement dépend désormais de cessions -c'est dire qu'il est aléatoire. Il faut éviter que le nouveau compte d'affectation spéciale ne conduise à des cessions inopportunes -comme celle, envisagée avant d'être abandonnée, du logement de notre ministre-conseiller à Brasilia. Je m'interroge également sur la résidence consulaire de San Francisco. Vendons-nous toujours à bon escient ? Je doute que nous puissions utiliser chaque année une pépite comme la résidence consulaire à Hong Kong pour 52,6 millions.

Je voterai les crédits. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis de la commission de la culture.  - Une fois n'est pas coutume, le programme n°185 augmente : le budget de notre diplomatie culturelle et d'influence résiste à l'austérité ; l'autorité morale du ministre d'État n'y est sans doute pas étrangère... Les crédits d'intervention et de fonctionnement progressent de 5,4 % ; en revanche, je m'inquiète de la réduction de 4,2 % des moyens affectés à la mobilité universitaire et scientifique.

Avec un budget de 55 millions, l'Institut français est aujourd'hui en ordre de marche. Bravo pour l'accent mis sur la formation dans son contrat d'objectifs et de moyens.

L'Aefe est dotée de 422 millions. Les crédits d'aide à la scolarisation des élèves français à l'étranger du programme, à 125,5 millions, financent les bourses scolaires et les frais de scolarité des élèves fréquentant nos lycées à l'étranger. Les coûts sont maîtrisés grâce aux dispositions adoptées par le Parlement à l'initiative du Sénat. Je me réjouis des dérogations obtenues par le ministère des affaires étrangères pour que l'Aefe bénéficie d'avances de l'agence France Trésor.

J'en viens au nouvel Epic « Campus France », chargé de promouvoir à l'étranger notre enseignement supérieur. Il devrait gérer à terme les bourses attribuées aux étudiants étrangers. Le décret d'application a pris un énorme retard, du fait de la difficulté pour les deux ministères de tutelle de s'accorder sur le modèle économique de l'opérateur. Le réseau Cnous-Crous est réticent au transfert de postes. Matignon devra trancher. Où en sont les négociations avec le Premier ministre ? Notre pays ne peut plus attendre, après avoir été rétrogradé au quatrième rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers.

Mme Nathalie Goulet.  - Et cela ne va pas s'arranger !

M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis.  - La commission de la culture est défavorable aux crédits, que je voterai à titre personnel. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean Besson, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - La commission a recommandé, pour quatre raisons, de repousser les crédits de la mission.

Tout d'abord, les moyens du programme n°185 ont atteint le seuil de survie. Je souligne le décalage entre la faiblesse des moyens, surtout après le rabotage de 8,4 millions, et l'immensité des tâches.

Deuxièmement, la nouvelle maquette ne simplifie pas l'analyse des crédits. Ainsi, les bourses aux étudiants étrangers figurent sur cinq lignes différentes.

Troisièmement et plus fondamentalement, la commission considère, comme en 2011, que les crédits de l'audiovisuel extérieur devraient être rattachés au ministère des affaires étrangères -ce que le ministre de la culture a encore refusé la semaine dernière sous le prétexte désinvolte que les diplomates n'étaient pas à même de réaliser des émissions de télévision... Il serait logique de laisser le Parlement statuer sur tous les outils du rayonnement culturel de la France.

Enfin, la commission des affaires étrangères estime inacceptable que la circulaire du 31 janvier 2011 relative à la maîtrise de l'immigration, dite circulaire « Guéant », vienne contrecarrer la volonté d'accueillir davantage d'étudiants étrangers. Nous demandons le retrait de ce texte, qui tend à décourager les personnels de Campus France. La mise en place de cet opérateur prend du retard, en raison d'un phénomène que les élus locaux connaissent bien, le transfert de compétences sans le transfert des moyens nécessaires... Les deux ministères sauront-ils surmonter leurs divergences ?

Je me suis gardé de noircir le tableau car la réforme de notre diplomatie culturelle est un succès. Souhaitons qu'elle agisse de concert avec les autres composantes de notre diplomatie. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. René Beaumont, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - La culture est sûrement le meilleur ambassadeur de la France mais avant la réforme de 2010, l'organisation du réseau culturel n'était pas conforme à la maxime « Ce qui n'est pas clair n'est pas français ». Grâce à M. Darcos, la situation évolue. L'élan a été donné à l'Institut français, mais il a suscité l'inquiétude des alliances françaises. Nous sommes très attachés ici au réseau des alliances ; elles ont besoin d'apaisement.

Le caractère positif de l'action engagée aurait justifié un soutien de la commission.

Certes, les crédits de la diplomatie culturelle régressent légèrement après le coup du rabot. Pourtant, celle-ci devrait, d'après les propos du ministre d'État, bénéficier de la prochaine embellie budgétaire -dont la date n'est pas fixée... (Sourires) A mon sens, l'enseignement du français à l'étranger est notre meilleur ambassadeur sur tous les continents. L'exemple de l'Aefe illustre l'efficacité du recours au statut d'établissement public : grâce à l'accueil de nouveaux élèves, l'agence a accru ses ressources propres. Le coup de rabot porte sur le fonds de roulement ce qui ne devrait pas porter atteinte à ses capacités de financement. Pouvez-vous le confirmer, monsieur le ministre ?

La principale menace pour notre réseau d'enseignement tient à son succès, car il faut construire pour satisfaire les demandes qui affluent malgré un parc immobilier vétuste. Ne faudrait-il pas autoriser l'Agence à emprunter ? La transformation en Epic le permettrait, mais pourquoi changer une affaire qui fonctionne ? La commission des affaires étrangères m'a donc suivi : mieux vaut que l'État soit le banquier de l'Aefe. La stabilisation de la dotation conduira, ne nous voilons pas la face, à reporter la charge sur les familles. Celle-ci doit rester néanmoins raisonnable.

J'invite le Sénat à voter ces crédits. (Applaudissements à droite)

Mme Hélène Conway Mouret, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - Il est des programmes qui relèvent du symbole ; c'est le cas du n°151, consacré aux Français de l'étranger. A travers ses trois actions, il vise une universalité que l'on aimerait croire possible. Avec un budget de 368,5 millions, l'objectif semble assuré. Pourtant, l'augmentation constatée résulte des crédits exceptionnels liés à la première élection de députés des Français de l'étranger. En outre, ce budget ignore des évolutions structurelles : la population des Français de l'étranger progresse régulièrement de 4 %, sans compter que les demandes d'aide par des Français de passage sont toujours plus nombreuses.

La sagesse serait de repenser les conditions d'accès au réseau d'enseignement en fonction des moyens de chacun. On sait déjà qu'il manquera 23,5 millions en 2013 pour financer l'aide à la scolarité !

M. Robert del Picchia.  - C'est faux !

Mme Hélène Conway Mouret, rapporteur pour avis.  - Un mot sur la délivrance des visas, importante pour notre image internationale, mais déterminée pour l'intérieur. La rentabilité ne peut être le seul objectif.

Pour tous ces motifs, la commission des affaires étrangères a émis un avis défavorable aux crédits du programme n°151.

M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - Vu la contrainte budgétaire, ce budget est hautement satisfaisant. Les Français de l'étranger comprennent les décisions prises.

Notre réseau comporte 263 consulats et 494 consuls honoraires. La réforme se traduit par des suppressions de consulats et dix créations. Les Français de l'étranger se montrent compréhensifs mais n'approuvent pas forcément les disparitions de consulats.

Un brin de concertation arrangerait peut-être les choses.

Les élections législatives donnent lieu à des campagnes d'information sur RFI et France 5. Le test grandeur nature sur le vote électronique est reporté à janvier, ce qui ne laissera guère de temps en cas de défaillances.

S'agissant de la PEP, l'évolution la plus notable est le doublement des bourses, dont les crédits sont passés de 46 milliards à 93,6 milliards.

J'invite le Sénat à voter les crédits de la mission.

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - Le programme n°105 a vu ses crédits minorés de 5,5 millions en crédits de paiement à l'Assemblée nationale. La politique de coopération, de sécurité et de défense, qui sert à prévenir les conflits et à stabiliser les zones, mobilise seulement 85 millions.

Le nombre de personnes affectées dans notre réseau diminue nettement depuis 2007, si bien que nous sommes à l'os. Une situation qui résulte de la RGPP ? La France possède le deuxième réseau consulaire au monde, après les États-Unis. En avons-nous encore les moyens ?

Enfin, la politique immobilière. Quelles raisons motivent les cessions, qui atteignent 70 millions cette année ? Aucun contrôle n'est possible sur celles effectuées sans avoir été mentionnées dans le budget l'an dernier ; elles représentent pourtant 2 272 500 euros cette année. Les estimations sont systématiquement fausses, ce qui jette le doute sur la fiabilité de la prévision des marges attribuées au quai d'Orsay, sans parler du taux de change avec le dollar.

Enfin, une note personnelle. J'ai été surprise par l'opacité des documents transmis au Parlement...

M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.  - C'est la première fois que j'entends ça !

Mme Leila Aïchi, rapporteur pour avis.  - ... incompatible avec l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.  - Avec toute la modestie qui sied à un nouveau rapporteur, je souligne que ce budget se situe dans la ligne des réformes engagées avant même la RGPP. L'effort n'est pas terminé, notamment sur notre réseau consulaire. Cependant, la réorganisation a porté ses fruits. Si le quai d'Orsay devait être à nouveau sollicité, nous ferions face à des choix cruels... Les crédits de cette mission représentent 9 % du budget de l'État. On ne peut donc pas s'attendre à une forte diminution, d'autant moins que la diplomatie est indispensable à l'État.

L'État possède à l'étranger un parc immobilier d'1,9 million de mètres carrés. Plutôt que de créer une agence spécialisée de l'État, le ministère des affaires étrangères fait appel à la Sovafim, une société anonyme à capitaux 100 % publics qui a déjà mené des opérations avec d'autres ministères. Le principe d'une expérimentation a été retenu pour des implantations de l'État à Séoul, Madrid et Abou Dhabi.

Nous pourrons juger de son efficacité l'an prochain. Les estimations doivent être les plus fines possibles, malgré la difficulté de l'exercice.

Les contributions internationales et les opérations de maintien de la paix représentent un tiers du programme. Les crédits progressent de 25 millions car la rénovation du siège de la Cour pénale internationale à La Haye coûtera plus cher que prévu. Preuve que votre ministère n'est pas le seul à commettre de mauvaises estimations. La fin de la Minurcat et le taux de change de l'euro, plus favorable que prévu, permettent des économies. La part des opérations de maintien de la paix dans le budget n'a cessé d'augmenter pour atteindre 31 % en 2011. Une inconnue demeure : l'instabilité dans la Corne de l'Afrique pourrait justifier un renforcement de la Minus, avec, à la clé, des hausses non prévues.

J'encourage mes collègues à voter ces crédits. (Applaudissements à droite)

M. Michel Billout.  - Ce dernier budget de la législature suit la pente prise depuis vingt ans : les moyens du Quai d'Orsay diminuent. C'est pourtant à lui qu'il revient de défendre nos valeurs, notre culture et notre langue. Le travail de notre réseau est remarquable ; je veux rendre hommage à son personnel.

Avec moins de 3 milliards de crédits de paiement, ce budget, à structure constante, affiche une diminution de 1,2 % en crédits de paiement. La RGPP est particulièrement sévère pour ce ministère : trois emplois disparaissent pour quatre départs à la retraite. Les perspectives ne sont guère réjouissantes pour les hommes et les femmes qui se consacrent à notre diplomatie.

Je déplore la réduction des crédits consacrés aux opérations de maintien de la paix, systématiquement sous-estimés. Ne risque-t-on pas de les voir ressurgir sous le drapeau de l'Otan ?

En d'autres temps, vous avez tiré la sonnette d'alarme. Aujourd'hui, vous feignez de croire qu'il vous sera possible de faire mieux avec moins. Pourtant, dans le contexte international actuel, la singularité de notre pays, son influence politique et éthique pourraient être un contrepoids indispensable à la domination silencieuse des nouveaux maîtres du monde que sont devenus les marchés financiers.

Je tiens à dire que, contrairement à un procès qui nous est fait par certains dirigeants de la droite, la gauche n'a jamais songé à renoncer au droit de veto. (Applaudissements à droite) Nous refusons fermement de céder à l'Union européenne le siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU. Ce serait un mauvais coup après les positions atlantistes du président de la République.

Je reconnais vos efforts, monsieur le ministre d'État. (« Très bien ! » à droite) Je salue la reconnaissance de la Palestine à l'Unesco.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Michel Billout.  - Il faut maintenant lui donner un statut à l'ONU. Nous suivons encore trop les Américains, de l'Afghanistan à l'Iran. C'est regrettable car M. Obama est guidé dans ses choix par la prochaine campagne électorale.

Enfin, quel bénéfice avons-nous tiré de la présidence du G 20 ? La place de la France a beaucoup régressé ces dernières années.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre les crédits. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Monsieur le ministre d'État, vous avez cosigné, avec M. Védrine, une tribune parue en juillet 2010 dans Le Monde pour dénoncer la réduction des moyens du Quai. Sans dénoncer systématiquement les baisses, il faut agir si nous voulons que notre diplomatie reste française.

La crise de la monnaie unique est la crise politique d'une Europe bâtie en ignorant les nations. Que pouvez-vous nous dire des négociations de M. Sarkozy avec Mme Merkel ? Vous évoquez une Europe fédérale, comme si ce projet pouvait ne pas déboucher sur un système coercitif. Il est temps de refonder ce projet européen sur des bases réalistes, conformes à l'aspiration des peuples.

Sur l'intervention en Libye, nous avons certes renouvelé le droit d'ingérence en invoquant le devoir de protéger des civils mais les rapports de certaines associations des droits de l'homme sur les exactions du nouveau régime à Syrte sont accablants. Il faudrait déjà amener les régimes qui se réclament des droits de l'Homme à les appliquer -et à cesser les massacres de Coptes et les incendies d'église en Égypte.

Le G 20 ? La légitimité internationale ne tient pas des happy few, des beati possidentes. Elle repose sur l'ONU, dont les règles sont parfois si difficiles à accepter. Tenons-nous le pour dit ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Le traité de Lisbonne devait renforcer l'influence de l'Union européenne sur la scène diplomatique. Le bilan n'est pas satisfaisant, voire décevant. Dans l'affaire libyenne, l'Union européenne n'a pu parler d'une seule voix. La démonstration vaut aussi pour l'admission de la Palestine à l'Unesco. Face aux géants que sont la Chine et le Brésil, nous devons renforcer la diplomatie européenne et sa coopération avec la Russie, sans renoncement à nos valeurs ni dogmatisme excessif. Ne prenons pas le risque que ce pays, avec lequel nous avons tant d'intérêts communs, se détourne vers la Chine.

Des bouleversements ont eu lieu sur la rive sud de la Méditerranée. Félicitons-nous en, sans nous interdire de réfléchir à l'influence accrue de mouvements comme les Frères musulmans en Tunisie, en Égypte, au Maroc et ailleurs.

Ce budget, je le dis solennellement, ne peut pas échapper à l'effort de maîtrise de la dépense publique. Des économies sont encore possibles avec la co-localisation de nos consulats et centres culturels, et la réorganisation du réseau. Vive le Juppé de 1995, qui défendait la rigueur après la gabegie des années 1993-1995 ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Didier Boulaud.  - Les années 1993-1995, c'étaient les années Balladur ! (Marques d'irritation, à droite) Je peux aussi vous rappeler qui était le ministre du budget de M. Balladur : un certain Nicolas Sarkozy !

M. Robert del Picchia.  - Je m'exprime maintenant comme élu des Français de l'étranger, dont la vie est influencée par notre diplomatie.

Chers collègues de la majorité, je ne comprends pas votre position. Ne pas voter un budget insuffisant ne l'améliorera pas. Rien n'est parfait mais la France a repris sa place sur la scène internationale, on l'écoute. Regardez l'affaire libyenne, la Syrie.

Avec nos collègues Hue, Pastor et Roger, nous sommes allés à New-York, au siège de l'ONU. Nous y avons interrogé de nombreux ambassadeurs. Tous ont exprimé leur admiration pour l'action de la France au Conseil de sécurité, où elle tient la plume, parfois avec les Britanniques, pour rédiger les résolutions. C'est aussi la qualité de nos diplomates qu'ils nous envient.

Au risque d'être désuet, je dis que nous sommes fiers de notre diplomatie et d'être français. Partout où la tension monte, que ce soit à propos de la Libye, de la Syrie, de la Palestine, vous portez haut la voix de la France, monsieur le ministre. Comment peut-on le reconnaître et voter contre ce budget ?

M. Didier Boulaud.  - Nous sommes là pour examiner un budget, pas pour juger un homme.

M. Robert del Picchia.  - Y a-t-il une logique politique dans votre position ? Les Français risquent de ne pas comprendre un refus contraire au bon sens. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Didier Boulaud.  - Que c'est émouvant !

Mme Josette Durrieu.  - Je voudrais évoquer l'onde de choc du printemps arabe. La mutation du monde arabe islamique suscite une certaine déception, peu d'inquiétude, jamais la peur. La mutation est initiée par les jeunes, qui invoquent nos valeurs. Épuisée et corrompue, la classe politique est repoussée. Au Maroc et ailleurs, les monarchies résistent mieux. Avec les élections de 2002 et 2007, le roi du Maroc a su anticiper, il a réagi dès février. Les élections qui viennent d'avoir lieu ont montré la poussée du parti islamiste PJB. Mais les islamistes n'ont pas obtenu la majorité. Observons maintenant l'exercice du pouvoir.

En 1990, le FIS avait remporté 82 % des sièges, mais l'armée était intervenue. En 2006, le Hamas a gagné les élections, dont nous étions observateurs. Jusqu'au dernier moment, nous n'avons pas cru à la victoire du Hamas. Et la communauté internationale a refusé de valider ces élections ! La démocratie en a pris un coup.

Mme Nathalie Goulet.  - Juste !

Mme Josette Durrieu.  - Qui aurait cru à une monarchie parlementaire au Maroc ? Ce sera très bientôt le cas, avec une forme surprenante de cohabitation. Que deviendront la démocratie, le pluralisme et les relations à la laïcité ? Nous verrons. On peut, en tout cas, espérer le développement d'une démocratie endogène.

J'en viens à la Syrie, dont le régime brutal et sanguinaire est lâché par la Turquie et la Ligue arabe. La Turquie interviendra-t-elle ? Certainement pas toute seule.

Ce qui se passe n'est pas sans risque. Monsieur le ministre d'État, vous avez évoqué un corridor humanitaire. En cas d'attaque, faudra-t-il riposter ? L'affaire libyenne, qui s'est bien terminée, a prouvé votre détermination, pour un coût estimé à 350 millions d'euros. Notons le repli du leadership américain en Europe et la perte de vitesse de l'Union européenne : la France et le Royaume-Uni sont intervenus seuls en Libye. Notons le déplacement du centre de gravité mondial vers l'Asie, surtout la Chine.

Ce beau printemps aura le mérite de s'inscrire dans la durée. (Applaudissements à gauche)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jean-Michel Baylet.  - La France est fière de son rôle dans le printemps arabe. Pourquoi donc la mission « Action extérieure de l'État » est-elle restée soumise à la RGPP ?

Malgré l'accroissement de nos engagements multilatéraux, les crédits de paiement et les autorisations d'engagement diminuent, avec la perte de 10 % des effectifs du Quai depuis 2006. Et 450 postes doivent encore disparaître d'ici 2013. Bien sûr, il faut faire des économies, mais l'ampleur des bouleversements en cours est incompatible avec la restructuration de notre action diplomatique.

Imposé sans concertation, le redéploiement des effectifs diplomatiques manque de vision stratégique prospective. Je parlerai plus particulièrement des opérations de maintien de la paix, dont les crédits diminuent de 14 %.

Je me félicite de la libération du peuple libyen, grâce à l'opération Harmatan, que nous avons soutenue dans le cadre des Nations unies. A ce propos, nous sommes attachés au droit de véto.

Seule l'Europe fédérale, que les radicaux appellent de leurs voeux, permettra de construire une politique diplomatique à l'échelle du continent et de surmonter la crise financière.

En majorité, les membres du RDSE ne voteront pas les crédits. (Applaudissements à gauche)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Monsieur le ministre d'État, merci pour le budget qui ne diminue pas et organise les premières élections législatives à l'étranger.

Ce projet prend acte des efforts considérables conduits par le ministère. Malgré la rationalisation du réseau consulaire, je salue l'amélioration des délais de réponse.

Il me semblerait utile d'encourager les consulats à proposer des questionnaires de satisfaction, comme cela s'est fait à Londres.

Je me félicite du nouveau portail électronique ouvert la semaine dernière,monconsulat.fr, mais on ne peut tout miser sur l'électronique : le contact humain ne doit pas disparaître.

Les consuls honoraires jouent un grand rôle mais ces bénévoles ont besoin de moyens. La synergie de leur action avec les consuls doit être renforcée.

Les suppressions d'effectifs ont affecté surtout des agents de droit local. L'application de la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux aux fonctionnaires a parfois manqué de rigueur : le ministère aurait tout intérêt à s'ouvrir à de nouveaux talents, pour d'évidentes raisons budgétaires mais aussi pour offrir aux jeunes une expérience stimulante et formatrice. D'ailleurs le Cese a souligné, il y a quelques semaines, la nécessité d'accompagner la mobilité internationale des jeunes, dont les non-diplômés restent les grands absents.

Bravo pour les 87 millions consacrés aux bourses, contre 84 l'an dernier. Hélas, les trois quarts des enfants français scolarisés à l'étranger n'ont pas accès aux établissements de l'Aefe. Quelque 15 000 enfants sont scolarisés à l'étranger par télé-enseignement.

J'ai insisté pour que la tutelle de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF) vous revienne. Les actions de collaboration internationale devraient être encouragées, d'autant qu'elles mobilisent les financements privés ou étrangers.

Le label France-éducation est une grande avancée mais il reste à publier le décret. Je souhaite qu'il justifie une dotation spécifique à l'Aefe.

La dotation de l'action sociale est maintenue à 19 millions d'euros alors que sa réévaluation est souhaitable. J'insiste sur les crédits de l'hospitalisation d'urgence.

J'appelle mes collègues à voter ce budget, important et sincère.

Mme Nathalie Goulet.  - Le débat budgétaire ne laisse guère le temps à un débat de politique générale. Je vous proposerai trois pistes qui ne coûteront pas un centime. (Marques d'intérêt à gauche)

Nul n'a une idée claire des stagiaires étrangers invités sur argent public alors que le taux de suivi atteint 70 % en Allemagne. Résultat : un ambassadeur ou un attaché de défense partent en poste sans savoir qui a été formé dans leur secteur. C'est surtout une question de méthode De même nous disposons d'une expertise stratégique avec des centres comme le Ceri, l'Ifri, l'Iris qui tous additionnés pèsent moins que la Rand. Sans parler du cauchemar de l'accueil en France des jeunes diplômés. A plusieurs reprises avec M. Gouteyron, j'ai déjà dénoncé la politique aberrante des visas. La récente circulaire Guéant revient, pour la France, à se tirer une balle dans le pied, Libération a raison de l'écrire.

Au total, 4 754 collectivités territoriales ont consacré 70 millions d'euros à la coopération décentralisée, hélas sans la moindre coordination entre elles ni avec le ministère. J'ai évoqué hier la diplomatie parlementaire dont font grand usage les Anglo-saxons : la méfiance n'est pas justifiée.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - Qui se méfie ?

Mme Nathalie Goulet.  - Je voterai votre budget qui est un bon budget car dans cette période difficile, l'équipe de France doit suivre son ministre des affaires étrangères.

M. Jacques Berthou.  - L'action extérieure de l'État conditionne notre place sur la scène internationale.

Malgré sa modestie en valeur, votre budget est donc capital. Six mois avant d'être nommé au Quai, en 2010, vous avez cosigné avec M. Védrine une tribune publiée dans Le Monde, intitulée Cessez d'affaiblir le quai d'Orsay !

En 2011 l'intervention en Libye a été décidée au sommet de l'État après l'intervention d'un personnage préoccupé de son image et de sa présence dans la presse à sensation. C'était une première qui a compromis la réputation de notre diplomatie.

M. Alain Juppé, ministre d'État.  - C'est la première fois que j'entends ça.

M. Jacques Berthou.  - Tout autre est le résultat du vote de la France permettant l'entrée de la Palestine à l'Unesco et je salue vos efforts au Proche-Orient pour une paix juste entre Israël et la Palestine.

Espérons que ce réveil de notre diplomatie, dû à votre compétence, ne soit pas éphémère !

Au-delà de ces interventions, l'image de la France est associée à notre culture, à nos traditions démocratiques et à l'originalité de notre politique extérieure. Or, les crédits de la mission régressent de 2 %, après la suppression de 700 emplois. Cette politique compromet l'efficience de notre présence diplomatique.

Qu'il est loin le temps où la France investissait à l'étranger pour construire des universités. Avec Mme Demessine et M. de Rohan, nous avons rencontré la présidente de la commission afghane des affaires étrangères du Sénat afghan. Citant nos auteurs, elle se félicitait de notre influence, due sans doute au lycée français construit à Kaboul à la demande du général de Gaulle. Faute de moyens nous ne pouvons plus maintenir notre présence dans des zones historiques ni l'emploi de notre langue.

Pour limiter cette dégradation, il est des manifestations comme la journée internationale de la francophonie, le 20 mars. A l'heure où d'autres pays utilisent la force de leur économie pour s'implanter dans des pays où le français est encore parlé, il faut réagir. Notre langue, celle de la liberté, doit favoriser nos relations commerciales et culturelles.

Votre budget ne le permettant pas, nous ne pouvons le voter.