Lutte contre le terrorisme (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la réponse du Gouvernement à des questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Vous avez lu sans nul doute avec intérêt, monsieur le ministre, le rapport de la délégation parlementaire au renseignement que j'ai l'honneur de présider. Nous y faisons des préconisations concernant au premier chef la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Nos auditions sur l'affaire Merah ont fait apparaître d'importants dysfonctionnements entre les échelons locaux et régionaux et les instances nationales de la DCRI. Comment entendez-vous y remédier ?

Les moyens de la DCRI sont loin de ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Comptez-vous les accroître ?

Au-delà, quid de l'autonomie de la DCRI qui, pour être efficace, doit se doter de personnels très spécialisés, en matière linguistique comme de maîtrise d'un certain nombre de technologies et de techniques. Or les procédures actuelles ne lui permettent pas de procéder à de tels recrutements. Que comptez-vous faire ?

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Il est essentiel que nous nous retrouvions pour tirer les enseignements des faits qui se sont déroulés il y a un an. Les mesures que nous avons prises visent à rendre la DCRI plus efficace, notamment par une meilleure articulation entre l'échelon central et les échelons locaux. C'est le but de son nouvel organigramme, qui intègre une structure chargée de la coordination, des bureaux de liaison et un service d'inspection interne. Il faut aussi à cette direction, dont je salue l'engagement, des moyens supplémentaires, humains et techniques.

Enfin, la question de l'autonomie de gestion ne me semble pas l'enjeu principal. Il faut avant tout renforcer les moyens en personnel. L'autonomie ferait peser sur la DCRI une contrainte budgétaire plus forte. Si le débat est ouvert, ce qui compte pour moi, c'est avant tout l'efficacité de la DCRI.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Lors de notre récente visite à la DCRI, nous avons constaté l'implication des personnels, que je salue. L'accroissement des moyens que vous annoncez est bienvenu. L'autonomie ? Il ne s'agit pas de créer un État dans l'État mais d'assouplir les procédures ; pour être efficace, il faut pouvoir recruter des personnels avec les compétences requises dans des délais raisonnables.

M. Vincent Capo-Canellas .  - Les services de renseignement jouent un rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme. Se pose donc la question des moyens ; et le cadre juridique doit être clair. Les professionnels du renseignement devraient avoir accès aux données financières et bancaires. Des progrès ont été faits. Se pose également la question de la situation juridique des terroristes assignés à résidence ; la fuite de Saïd Arif doit nous amener à la réexaminer. La coordination entre services doit encore être renforcée.

Les moyens, enfin, sont très inférieurs à ceux que consacrent nos voisins européens à la lutte contre le terrorisme - ce qui ne date pas d'aujourd'hui. Certains programmes ont pris du retard ou ont été reportés. Face à une menace en perpétuelle mutation, nous devons diversifier les recrutements et faire appel à des profils spécifiques - linguistes, psychologues, analystes d'images...

Comment entendez-vous améliorer, monsieur le ministre, les outils de détection, de surveillance et d'enquête des services de renseignement ?

M. Manuel Valls, ministre.  - L'évolution de la menace terroriste en France, les événements de Boston, aussi, montrent que le frein principal réside dans les cloisonnements, géographiques et entre services. Il faut gagner en souplesse, notamment dans le recrutement. Pour le cas Saïd Arif, que j'ai qualifié d'individu particulièrement dangereux, je crois, tout en nous assurant du respect des règles nationales et européennes, qu'il faut revoir le dispositif de l'assignation à résidence. J'ai saisi nos services pour qu'ils me fassent des propositions, notamment sur l'expulsion.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Des moyens supplémentaires sont nécessaires, même en ces temps de disette. Merci de votre réponse sur l'assignation à résidence. Quant aux procédures, il faut les simplifier ; la tentation de vouloir tout contrôler tend souvent à les alourdir.

Mme Éliane Assassi .  - Le terrorisme anéantit les droits de l'homme et les libertés fondamentales, toute la société doit faire bloc pour le combattre sans indulgence aucune. La lutte contre le terrorisme n'en doit pas moins respecter les libertés fondamentales dont l'État est le garant - liberté d'aller et venir, respect de la vie privée - sauf à remettre en cause les fondements mêmes de notre démocratie.

Dans la loi du 23 janvier 2006, la droite avait fait adopter à titre expérimental une procédure de contrôle d'identité à bord des trains transnationaux. La gauche avait alors dénoncé cette mesure comme étant destinée à favoriser les contrôles migratoires. Or en octobre 2012, le Gouvernement a prorogé cette disposition, sans même disposer du rapport d'évaluation prévu par la loi. Quid de l'efficacité de cette disposition ?

M. Manuel Valls, ministre.  - Sur ces questions, nous devons converger et rechercher l'unité. Certaines lignes ferroviaires sont utilisées par des réseaux de criminalité organisée, des filières d'immigration irrégulière ou de terrorisme. Les contrôles y sont justifiés. Ils ont permis l'arrestation en 2011, à Modane, du numéro 3 de l'ETA. La loi de 2012 a précisé le dispositif pour se conformer aux exigences de la CEDH. Ces contrôles ont un caractère temporaire, le Gouvernement est tenu de solliciter une autorisation pour les prolonger. C'est ce qu'il a fait en 2012, et ce qu'il continuera à faire : le Parlement sera donc pleinement éclairé.

Mme Éliane Assassi.  - Malheureusement, les contrôles d'identité n'ont jamais joué un rôle déterminant dans la lutte contre le terrorisme. En revanche, ils créent un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration. Ou bien le dispositif expérimental est efficace, et il faut le rendre définitif ; ou bien il est inutile et il doit être abrogé. Puisque nous serons amenés à en débattre à nouveau, nous reviendrons à la charge.

Mme Esther Benbassa .  - En octobre, nous débattions du projet de loi relatif à la sécurité et la lutte contre le terrorisme qui pose de nombreuses questions au regard des libertés individuelles. La lutte contre le terrorisme ne sera efficace qu'accompagnée d'une politique volontariste de prévention, dès l'école. Comme pour les rabbins au XIXe siècle, les imams devraient suivre un enseignement ad hoc dans des établissements spécialisés, de même que les aumôniers des prisons pour prévenir la propagation de l'islam radical dans le milieu carcéral. Quelles mesures envisagez-vous, monsieur le ministre, pour prévenir la radicalisation qui touche au premier chef les jeunes musulmans défavorisés des ghettos ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La question du terrorisme dépasse le seul problème de l'islam radical - je pense aux groupes ultras de droite et de gauche ou à l'ETA. Cela étant, la question de la prévention est un vrai sujet, qui est traité au niveau européen - je salue à ce propos les travaux de Gilles de Kerchove, le coordinateur européen contre le terrorisme. L'école est un lieu où nous pouvons agir. Il faut aussi contrôler de façon resserrée les lieux de culte radicaux et les prisons. Parlant des rabbins, vous saluez l'action de l'empereur Napoléon Ier... Nous pourrions en effet nous en inspirer.

La société civile, les associations - j'ai rencontré ce matin le président de l'AfVT, M. Guillaume Denoix de Saint Marc - doivent aussi contribuer à lutter contre les ferments du terrorisme.

Mme Esther Benbassa.  - Reste à mettre toutes ces bonnes paroles en application...

M. Jean-Pierre Plancade .  - Le RDSE a voulu mettre cette question essentielle de la lutte contre le terrorisme à l'ordre du jour. Les affaires de Montauban et de Toulouse sont encore dans nos mémoires. La DCRI a été sévèrement critiquée à cette occasion, alors que le renseignement est un outil de lutte majeur. Les moyens dévolus au renseignement seront-ils accrus ? Comment lutter efficacement contre les « loups solitaires » ? Le terrorisme « fait maison » suppose la mobilisation de moyens techniques et humains, la surveillance des jeunes gens autoradicalisés, qui se forment sur internet. L'architecture du renseignement a été repensée en 2008, mais les services n'ont pas été épargnés par la RGPP. Quelles sont, monsieur le ministre, vos intentions pour améliorer l'efficacité du renseignement ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La loi antiterroriste, appuyée sur les travaux engagés par le précédent gouvernement et enrichie par le Parlement, nous permet désormais de poursuivre les individus engagés dans les filières djihadistes en France et à l'étranger. C'est ainsi que Gilles Le Guen a été rapatrié. Un travail attentif est mené sur les filières sahéliennes et syriennes. Il faut être sur tous les fronts : milieu carcéral, cyberespace, renseignement. La DCRI doit mieux se coordonner avec ses antennes locales, la DGSE et ses homologues internationaux. Elle a aussi besoin de moyens. L'affaire Merah nous oblige tous à la vigilance.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous ne doutons pas de votre détermination.

M. Roger Karoutchi .  - La lutte contre le terrorisme doit dépasser les clivages. J'en veux pour preuve le texte adopté en 2012. Mais des critiques se sont élevées, depuis l'affaire Merah et d'autres, sur les dysfonctionnements de la DCRI. Je veux dire ici que la République doit rendre hommage à tous les agents qui risquent leur vie pour elle, sans toujours qu'elle leur soit reconnaissante.

Un rapport récent appelle à la création d'une inspection des services et d'une autorité indépendante pour mieux contrôler la proportionnalité des moyens employés.

Mais la transparence, si elle a du bon, peut aussi mettre les agents en danger.

Quelles mesures envisagez-vous, monsieur le ministre, pour garantir la transparence sans faire prendre de risques à nos agents, qui défendent l'État et la République. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs à gauche)

M. Manuel Valls, ministre.  - Oui, il y a un besoin de transparence, en particulier dans une grande démocratie comme la nôtre ; le Parlement doit pouvoir traiter sereinement de ces questions. Mais il faut aussi protéger nos agents. Le rapport Urvoas vient d'être remis, il appelle un examen approfondi. Pour renforcer les bases juridiques de l'action des services, la plupart des démocraties ont mis en place des outils protecteurs. Il faut nous y mettre. Le rapport Urvoas pose les jalons d'une réflexion qui sera engagée dans les prochains mois. D'autres questions se posent, comme celle de l'évolution de la loi de 1881, qui est devenue inadaptée à l'heure d'internet. Transparence, donc, mais en assurant la protection des agents, dont l'action exige le secret : telle est la ligne de crête sur laquelle nous devons nous tenir.

M. Roger Karoutchi.  - Il est évident que c'est une ligne de crête : autant le Parlement et l'opinion veulent savoir, autant la confidentialité est nécessaire à nos agents pour oeuvrer. Trouvons le bon équilibre.

M. Alain Richard .  - La rédaction du Livre blanc a été l'occasion de dresser un bilan de l'évolution de la menace terroriste. Qu'en est-il ? Comment mieux protéger nos concitoyens et nos intérêts nationaux ? Quid de la coopération avec nos partenaires européens et atlantiques ?

M. Manuel Valls, ministre.  - La menace terroriste est là, qu'elle vienne de l'ETA ou d'autres groupes étrangers ou encore de groupes extrémistes intérieurs, de groupes djihadistes. La coopération internationale existe, même si elle mérite d'être renforcée.

L'intervention française au Mali a renforcé la menace, et je salue la coopération avec les pays du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. L'ennemi est également intérieur : il existe des loups solitaires, autoradicalisés sur internet, dont la menace est difficile à appréhender. Oui, nous devons agir et nous adapter à cette évolution en travaillant mieux avec la société civile, la police et la gendarmerie, comme nous le disions avec Mme Benbassa.

M. Alain Richard.  - Merci de cette réponse, qui cerne l'essentiel. Nous avons effectivement besoin d'une approche plus fine, à laquelle peuvent aider les collectivités locales, pour détecter précocement une menace terroriste qui s'individualise.

M. Christian Cambon .  - Depuis l'affaire Merah, qui n'a cessé de susciter des controverses sur notre système de renseignement intérieur, le contexte a changé avec notre intervention au Mali : les menaces proférées par les chefs djihadistes contre les intérêts français commencent à se concrétiser. L'attentat contre notre ambassade à Tripoli et la tentative au Caire sont autant d'alarmes, de même que les récents attentats à In Amenas, à Boston ou en Turquie, dans des pays pourtant particulièrement armés dans la lutte contre le terrorisme. Un djihadiste français a été interpellé au Sahel, on sait que de jeunes Français s'entraînent en Afghanistan et au Pakistan. On peut, dans notre pays, s'approvisionner en armes et en explosifs. La France est spécialement exposée, nous avons besoin de l'Europe. Comment renforcer la coopération ? (Applaudissements à droite)

M. Manuel Valls, ministre.  - Depuis 2001, plus de 200 volontaires ont quitté la France pour rejoindre des groupes djihadistes ; 17 sont morts, 68 séjournent sur notre territoire. Depuis 2012, le départ de volontaires pour la Syrie s'est fortement accéléré ; même des mineurs sans expérience religieuse s'engagent. C'est vrai en France, mais aussi en Europe et au Maghreb, ce qui nous porte à renforcer la coopération avec les pays concernés.

La DCRI a appréhendé 78 personnes en 2012, contre 47 en 2011, et déjà 38 depuis le début de l'année 2013. La menace est réelle, nous devons conforter les coopérations.

M. Christian Cambon.  - Le terrorisme, en effet, ne connaît pas de frontières. Une conférence des ministres européens serait sans doute bienvenue, d'autant que les frontières de l'Europe sont ici et là plutôt lâches...

M. André Reichardt .  - On a beaucoup souligné le rôle d'internet et des réseaux sociaux dans l'affaire Merah. L'article premier de la loi du 21 décembre 2012 prolonge la possibilité d'intercepter des communications électroniques, un dispositif créé par l'ancienne majorité. C'est une bonne chose. Cela étant, des obstacles techniques demeurent. Comment les surmonter ? C'est d'autant plus important qu'internet est devenu le moyen de recruter, de former des terroristes et de glorifier leurs crimes.

M. Manuel Valls, ministre.  - Internet est en effet devenu un outil de propagande, de radicalisation et de recrutement. La lutte contre le terrorisme doit toujours s'adapter, celui-ci a souvent un train d'avance sur la loi ; nous devrons sans doute compléter la loi de 2012 pour adapter notre droit et nos méthodes à la cybercriminalité, dans le respect des libertés individuelles. Un travail interministériel est engagé avec le ministère de l'économie numérique et celui des finances. Nous devons aussi dialoguer davantage avec les Américains, dont les conceptions sur ces questions diffèrent des nôtres en raison de leur premier amendement.

M. André Reichardt.  - La lutte contre le terrorisme, dont nous devons faire une priorité nationale, doit être dotée de moyens suffisants. Tout ce qui peut être fait pour mieux contrôler les flux sur internet doit l'être.

La séance est suspendue à 15 h 45.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.