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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Hommage à Pierre Mauroy

M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Questions prioritaires de constitutionnalité

Mise au point au sujet d'un vote

Débat sur les déserts médicaux

M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire

M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

M. Stéphane Mazars

M. Pierre Camani

M. Jean-François Husson

M. Daniel Laurent

Mme Évelyne Didier

M. Henri Tandonnet

M. Ronan Dantec

Mme Muguette Dini

M. Robert Tropeano

M. Jean-Noël Cardoux

M. Georges Labazée

M. René-Paul Savary

Mme Odette Herviaux

Mme Josette Durrieu

Mme Delphine Bataille

Mme Marisol Touraine, ministre

Décès d'un ancien sénateur

Demande d'avis sur une nomination

Débat sur le bilan de la loi LRU

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

M. Ambroise Dupont, rapporteur pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois

M. Jacques Mézard

Mme Corinne Bouchoux

M. Jean-Léonce Dupont

M. Michel Le Scouarnec

M. Pierre Bordier

M. Maurice Vincent

M. Jacques-Bernard Magner

M. Jean Germain

M. Daniel Percheron

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Débat sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête

Mme Hélène Lipietz

Mme Catherine Génisson

Mme Laurence Cohen

Mme Muguette Dini

Mme Catherine Deroche

M. Stéphane Mazars

M. Yannick Vaugrenard

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille




SÉANCE

du mardi 11 juin 2013

113e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Mme Catherine Procaccia.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Hommage à Pierre Mauroy

M. Jean-Pierre Bel, président du Sénat   - (M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, M. Vidalies, ministre des relations avec le Parlement, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se lèvent)

La disparition de Pierre Mauroy a soulevé une profonde émotion.

En ce moment, devant la Haute assemblée, je veux m'incliner devant la mémoire de l'homme d'État, saluer le militant, rendre hommage à l'homme, à sa générosité, à son humanisme.

Pierre Mauroy était d'abord un homme de coeur, d'engagement et de fidélité. Une fidélité à l'idéal et une volonté inébranlable de changer la vie.

Pierre Mauroy, chacun ici comprendra que j'y fasse référence, c'est d'abord l'engagement dans la famille socialiste.

Fils d'instituteur, issu d'une lignée de bûcherons journaliers et de mineurs, élevé dans les valeurs d'humilité et de partage, l'engagement à gauche est pour lui une évidence.

Il grandit dans le Cambrésis, en découvrant « la vie et ses injustices, au milieu du monde ouvrier. »

Porté par les figures qu'il admire le plus - Léo Lagrange, Léon Blum, Jean Zay -, il adhère aux Jeunesses socialistes.

Élu député du Nord et maire de Lille en 1973, il puise dans l'exemple de Roger Salengro, figure du Front populaire, le courage et l'énergie nécessaires pour accomplir sa tâche.

Pierre Mauroy c'est aussi la fidélité à Lille et au Nord.

Lui qui venait de la campagne, il voulait transformer sa ville. Il en a fait une grande métropole.

Idéaliste et pragmatique, devenant Premier ministre de François Mitterrand, il met en oeuvre la même volonté de transformation de la société, à partir d'un « programme dont le contenu explore le possible ».

« L'économie doit se faire à la mesure de l'homme et pour l'homme ».

« On peut être homme d'État et demeurer homme du peuple » disait à son propos ce matin aux Invalides le président de la République.

Il est vrai qu'il aimait bien utiliser ces mots auxquels il tenait : « le peuple, les travailleurs, la classe ouvrière... »

En trois ans, il conduit des réformes fondatrices pour les droits et libertés des citoyens : l'abolition de la peine de mort, la libération des ondes, des avancées sociales avec la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, la retraite à 60 ans et les nouveaux droits des salariés.

Attentif à la situation des femmes, il crée un ministère des droits de la femme et met en oeuvre le remboursement de l'IVG.

Parmi les nombreuses réformes qu'il a menées en tant que Premier ministre, il était particulièrement fier des lois de décentralisation. Ces lois ont posé les fondements d'une nouvelle citoyenneté. Elles ont donné lieu à une véritable révolution silencieuse.

« Une France responsable, expliquait Pierre Mauroy dans sa déclaration de politique générale du 8 juillet 1981, c'est aussi un pays qui doit, désormais, enraciner l'unité de la République dans la diversité et la responsabilité de ses collectivités locales ».

Ce mouvement a rapproché le pouvoir des citoyens. Il a en quelque sorte permis à ceux-ci, aux territoires de prendre leur destin en main. Trente ans après les lois de décentralisation, notre cohésion nationale repose également sur ces communautés concrètes que sont les collectivités territoriales et sur les services publics de proximité dont elles assurent la pérennité.

La décentralisation est progressivement devenue un héritage républicain, inscrit depuis 2003 dans notre Constitution.

Pierre Mauroy fut sénateur pendant près de vingt ans, de 1992 à 2011. Il avait en permanence le souci de la vérité, de la réalité, de la subtilité et de la nuance. Il a achevé son mandat de sénateur au moment où le Sénat a connu l'alternance.

Auparavant, pendant sept ans, j'ai présidé le groupe auquel il appartenait. Je garde de cette période le souvenir de longs moments passés à parler ensemble, des moments précieux au cours desquels j'ai pu mesurer les qualités d'un homme qui incarnait à lui seul une partie de l'Histoire de notre pays.

À l'estime, à l'admiration parmi ceux qui, ici, le côtoyaient, s'est ajoutée une grande proximité et oserais-je dire, l'affection.

Courtois, épris de modernité, visionnaire, Pierre Mauroy était un homme pour lequel nulle aventure ne vaut si elle n'est pas collective. Il était aussi un orateur remarquable : chacun se souvient ici de sa dernière intervention en séance publique, pour défendre notre système de retraite, « cette ligne de vie, cette ligne de combat » pour les salariés usés par des travaux pénibles.

La densité de ses réformes et son parcours politique exceptionnel ont fait de lui l'incarnation des valeurs de progrès et de justice sociale. Il voulait beaucoup pour les autres, et pour nous, il nous demandait d'être « les héritiers de l'avenir ». La politique était aussi pour Pierre Mauroy une recherche du bonheur partagé.

« L'essentiel est de semer les bonnes graines, que l'on soit encore au pouvoir au moment de la récolte n'a aucune importance. Les hommes passent avec le reste. Les justes causes, elles, ne meurent jamais », écrivait-il.

Non, l'oeuvre de Pierre Mauroy ne s'en ira pas.

J'adresse à son épouse Gilberte et à sa famille, en mon nom personnel, en votre nom à tous, notre amitié et notre plus profonde sympathie.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre .  - Pierre Mauroy avait choisi le Sénat pour y exercer son ultime mandat. Il s'y est inscrit dans la longue histoire des institutions occidentales, qui a pris naissance avec le Sénat de la République romaine. Il fut une vigie, une mémoire vivante, une force et un protecteur. Protecteur des principes et des valeurs de la République, des gens les plus modestes, des travailleurs. Protecteur de la France, dans sa volonté de susciter et d'accompagner les changements. Ce fut un sage, animé d'une volonté de penser et d'imaginer que seule la vieillesse donne parfois aux hommes d'exception.

Parmi les nombreux hommages qui lui sont rendus depuis vendredi, il en manque peut-être un : Pierre Mauroy était un homme libre, qualité première d'un homme d'État en démocratie pour décider et agir.

Il lui en fallut, de la liberté, pour imaginer dans un vieux pays centralisateur comme la France, reconfigurer de fond en comble la place des collectivités locales dans l'Etat. Trente ans après, on mesure combien, en voyant dans cette alliance entre l'État et les collectivités locales le chemin de l'avenir, il avait raison.

Pierre Mauroy comparait la mort à la mer qui, disait-il, « s'impose à vous majestueusement, avec solennité, beaucoup de force et une très grande beauté ». C'est ainsi que sa propre figure humaine se présente à nous, à vous qui l'avez connu, avec la beauté singulière de son verbe, dans l'instance de la République qui la respecte le plus, le Sénat.

M. le président.  - En sa mémoire, je vous demande de respecter une minute de silence. (M. le Premier ministre et les membres du Gouvernement, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence).

La séance est suspendue à 14 h 40.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 14 h 45.

Questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président.  - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier daté du 7 juin 2013, les décisions du Conseil sur deux questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur  les articles L. 3123-1, L. 3123-2 et L. 3124-9 du code des transports (transports publics particuliers) et sur l'alinéa 6 de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation et liberté de la presse).

M. le président du Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le lundi 10 juin 2013, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil d'État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 et sur le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail (participation des salariés aux résultats de l'entreprise).

Mise au point au sujet d'un vote

M. Jean-François Husson.  - Alors que je me suis abstenu sur le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale, j'ai été porté votant contre.

M. le président.  - Dont acte. Cette mise au point sera publiée au Journal officiel.

Débat sur les déserts médicaux

M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail de la commission du développement durable sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire .  - La santé de leurs administrés est au coeur des préoccupations des élus locaux. Quand ils ont constaté que leur territoire ne comptait plus de médecin, que leur pharmacie fermait et qu'il ne leur resterait au mieux qu'un cabinet d'infirmiers à proximité, ils se sont émus. Dès 2009, j'avais alerté Mme Bachelot lors de l'examen de la loi « HPST » (hôpital, patients, santé et territoires. En vain.

En juin 2012, j'ai eu l'honneur d'être nommé président du premier groupe de travail sur les déserts médicaux de la commission du développement durable. Après huit mois d'auditions menées de concert avec M. Maurey, nous avons rendu un rapport qui a eu un large écho dans les médias.

J'ai débattu, depuis, dans ma région et au-delà : avec l'association Bretagne durable et rurbaine pour un développement durable (Bruded), l'agence régionale de santé de Bretagne ; j'ai participé au colloque Paris-Santé « nouveaux besoins », à la conférence des villes de Bretagne ; j'ai discuté avec les représentants des médecins libéraux des Pays de la Loire, ainsi qu'avec des élus et des citoyens.

Pas plus tard que vendredi dernier, j'étais invité par les maires du Finistère et l'Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne à participer à une réunion sur la permanence des soins. Preuve que le sujet est d'actualité.

La France n'a jamais compté autant de médecins ; et pourtant, les déserts médicaux s'étendent, dans les périphéries des villes comme à la campagne. Mme la ministre de la santé, ayant pris la mesure du problème, a proposé un pacte « territoire-santé » en douze points concrets. Il reprend et complète certaines de nos préconisations essentielles : former et accompagner les jeunes médecins, transformer les conditions de travail des professionnels de santé, investir les territoires délaissés pour qu'au moins un pôle de santé existe dans chaque territoire, voici le coeur de ce pacte qui constitue également l'un des engagements de campagne du président de la République. Le contrat de praticien territorial est également une avancée.

Nous avons travaillé avec vous là-dessus, madame la ministre. Nous avons aussi entendu Mme Duflot.

M. Jean-Vincent Placé.  -  Très Bien !

M. Jean-Luc Fichet,,président du groupe de travail.  - Nous avons publié un rapport d'information sans tabou, qui propose des solutions. En laissant à M. Maurey le soin de détailler nos préconisations, disons d'emblée que nous avons découvert un imbroglio d'une inefficacité totale, doublé parfois d'un effet d'aubaine dans le maquis des dispositifs d'incitation à l'installation des jeunes médecins dans les déserts médicaux. Qui fait quoi ? Le transfert de compétences entre professionnels de santé est une question clé pour répondre aux besoins des Français. Les maisons de santé, dont les collectivités territoriales sont à l'initiative et qui jouent un rôle essentiel...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Luc Fichet,,président du groupe de travail.  - ... doivent partir d'un projet médical, et non d'un projet immobilier. Enfin, madame la ministre, votre politique de soutien à l'hôpital de proximité est très appréciée. Que de temps avons-nous perdu !

La question des déserts médicaux est très large. Il faut agir sur toute la chaîne des professionnels de santé, laquelle ne peut vivre sans médecin prescripteur. Si le bilan du pacte territorial de santé dans un an était insuffisant, il faudra aller plus loin et - pourquoi pas prendre des mesures coercitives. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre et à droite)

M. Hervé Maurey, rapporteur du groupe de travail .  - Merci à M. Vall d'avoir bien voulu organiser ce débat et à M. Fichet pour la liberté d'esprit avec laquelle il a présidé nos travaux. Ce n'est pas facile quand on est dans la majorité !

Nous avons constaté que les déserts médicaux existent, quoique prétendent certains, et ne sont pas, contrairement à une idée reçue, circonscrits à certaines zones, qui seraient des déserts tout court. Les difficultés d'accès aux soins concernent l'ensemble des territoires, ruraux et urbains. Situation paradoxale car la France, avec 330 médecins pour 100 000 habitants, se situe dans la moyenne haute de l'OCDE. En revanche, les écarts entre départements sont de un à deux pour les généralistes, de un à huit pour les spécialistes libéraux. Les écarts infra-départementaux sont encore plus grands.

L'accès aux soins est de plus en plus difficile pour nos concitoyens. Certes, 95 % des Français sont situés à moins d'un quart d'heure d'un médecin, mais il en manque 5 %, soit trois millions de nos concitoyens, et surtout, il faut attendre parfois jusqu'à dix-huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste. Comment, dès lors, parler d'égalité et de justice ? Déjà, 58 % des Français renoncent à des soins.

Les perspectives ne sont guère rassurantes. D'une part, la démographie médicale va accuser une baisse de 10 % entre 2010 et 2020, tandis que les jeunes médecins, qui souhaitent travailler moins que leurs aînés, consacrent déjà 7 % de leur temps au travail administratif. Qui plus est, 63 % des jeunes médecins n'envisagent pas d'exercer en zone rurale et 62 % en banlieue.

Devant cette situation, les gouvernements, de droite comme de gauche, ont pris des mesures incitatives, totalement insuffisantes, depuis deux décennies. Ces mesures, qui fonctionnent pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes, ont fait, pour les médecins, la preuve de leur inefficacité.

Madame la ministre, il est temps de considérer la question sans tabou et de faire preuve de courage. Quelles sont nos préconisations ?

Premier axe, nous proposons une réforme des études de médecine, qui forment davantage de praticiens hospitaliers que de médecins de ville ou de campagne, afin de diversifier les recrutements, en sélectionnant les candidats, non plus à l'issue de la première année, mais sur dossier ou concours après le baccalauréat. Notre groupe de travail n'a pas été plus loin, mais cela mérite une réflexion approfondie. Une ouverture des enseignements est également nécessaire, qui pourraient inclure des cours de gestion, de communication, de psychologie, d'éthique, afin d'éviter que les jeunes ne se trouvent mis d'emblée sur les rails de l'hôpital. Les stages de médecine générale doivent devenir réellement obligatoires pour accéder au deuxième cycle. Pour le troisième cycle, nous suggérons de régionaliser les épreuves classantes.

Deuxième axe, mettre en place une convention de l'ARS sur la démographie médicale, territoire par territoire. Favorisons l'exercice regroupé pluridisciplinaire, ce qui suppose l'existence de forfaits ; facilitons l'exercice des médecins en retraite et l'installation de médecins salariés dans les centres communaux. Autre piste : déployer la télémédecine à grande échelle plutôt que d'en rester à l'expérimentation. Pour l'aide à l'installation des jeunes médecins, les ARS doivent être le point d'entrée unique.

Troisième axe, promouvoir les mesures incitatives existantes : l'information doit être mieux diffusée au sein des universités.

Quatrième axe, une politique plus volontariste de régulation, envisagée dès 2008, par le rapport du sénateur Jean-Marc Juilhard et celui du député Marc Bernier, est désormais nécessaire. Les gouvernements successifs n'ont jamais osé franchir ce pas, par peur des syndicats.

Madame la ministre, n'oubliez pas que vous avez cosigné en février 2011 la proposition de loi de M. Ayrault sur le « bouclier rural » ! Votre proposition était d'ailleurs plus audacieuse que la nôtre... Bref, les esprits ont évolué, jusqu'à la Fédération hospitalière de France, qui maintient cette proposition.

M. Fichet et moi-même avons étudié le système mis en place en Allemagne en 1992 : le conventionnement est possible dans les seules zones sous-dotées, ce qui met en cause le sacro-saint principe de la liberté d'installation, pourtant inscrit dans la Constitution allemande, au nom de l'intérêt général, comme l'a jugé la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Autrement dit, il s'agirait d'étendre aux médecins ce qui s'applique aux infirmiers libéraux depuis trois ans et a fait ses preuves : le nombre d'infirmiers a crû de 33 % dans les zones sous-dotées.

La gravité de la situation exige désormais de prendre en compte le seul intérêt général contre tous les corporatismes.

Nous partageons le diagnostic, mettons-nous d'accord sur le remède.

À défaut d'une réponse reposant à la fois sur l'incitation et la régulation car l'une ne peut pas aller sans l'autre, des drames surviendront et le Gouvernement en portera la responsabilité. Madame la ministre, je vous en conjure : un peu de courage, souvenez-vous de ce que vous proposiez il y a seulement deux ans ! (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes CRC, EELV et RDSE et quelques bancs socialistes)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - L'accès aux soins, question prioritaire pour les Français, ne se limite pas à la question de la présence des médecins. Merci à M. Fichet d'avoir souligné les points de convergence entre les travaux du Sénat et ceux du ministère. À M. Maurey, je veux dire que je n'ai pas de leçon de courage à recevoir de la part de quelqu'un qui a soutenu le précédent gouvernement sans faille.

M. Jean-Paul Emorine et M. Gérard Dériot.  - Vous n'en avez pas à donner non plus !

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Pas sur ce sujet ! Relisez les débats sur la loi HPST !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Vous n'avez pas le monopole de l'intérêt général ! (Protestations à droite) J'aurais aimé que vous rappeliez les mesures que j'ai prises sur les dépassements d'honoraires.

M. Jacky Le Menn.  - Très Bien !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Que ne l'avez-vous fait ! (Nouvelles protestations à droite)

Les inégalités dans l'accès aux soins sont très sensibles entre régions : la Champagne-Ardenne, la région Centre, sont touchées, l'Île-de-France ne l'est pas.

Cela est vrai, mais elles sont plus flagrantes encore au niveau infrarégional : l'écart va de un à quatre. Bien souvent, il faut attendre trois, voire six mois pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste.

Dans le même temps, nous devons tenir compte des attentes des médecins. De là notre proposition d'un pôle de santé par territoire. Disons très clairement aux Français que le temps où il existait un médecin par commune est révolu. Charge à nous de définir la bonne échelle.

Le pacte territoire santé comprend douze mesures, qui ne représentent pas un bloc ; à utiliser et adapter selon les besoins. Son suivi est assuré par un comité qui réunit mensuellement au ministère les ARS.

Nous avons fait, c'est vrai, le choix non pas de la coercition, mais de l'incitation. Celle-ci n'est pas seulement financière ; un seul des douze engagements du pacte est financier, il est dépourvu de sens, pris isolément. De fait, l'incitation tient surtout à la mise en exergue d'un mode d'exercice de la médecine attractif.

Le pacte repose sur trois axes. Mieux former, d'abord. L'objectif est d'atteindre 100 % d'étudiants en stage de médecine générale, ce qui a été le cas dans sept régions cette année universitaire. Pour ce faire, les ARS recrutent des maîtres de stage et j'ai créé une indemnité forfaitaire de 130 euros par mois pour les frais de déplacement des étudiants et des internes qui effectuent un stage à plus de 15 kilomètres de leur centre universitaire. Ainsi, 3 000 étudiants supplémentaires effectueront ce stage, indispensable à nos yeux, l'an prochain.

Deuxième engagement : donner un nouvel élan aux bourses de service public, avec 1 500 bourses d'ici 2017. Mais seul 200 contrats sont signés chaque année : il faut simplifier. Un décret y pourvoira. Il sera transmis au Conseil d'État fin juin. Et les ARS renforcent leur communication. Avec déjà des résultats, comme en Poitou-Charentes.

Troisième engagement : mettre en place 200 praticiens territoriaux de médecine générale, pour sécuriser l'installation des jeunes. Nous avons associé à ce dispositif l'ensemble des parties prenantes et défini des règles qui seront publiées prochainement. Les premiers recrutements interviendront dès la rentrée dans les territoires les plus déficitaires. Un référent unique est installé dans chaque région depuis le 1er février. En Île-de-France, des permanences locales ont déjà été mises en place dans chaque département pour accueillir tout étudiant non professionnel, porteur d'un projet d'installation.

Répondre aux besoins du travail en équipe, tel est le deuxième axe du pacte. Il y a un an, on comptait 200 maisons de santé - et je ne sais comment distinguer celles qui relèvent d'un projet de santé de celles qui correspondraient à un projet immobilier. Depuis, 50 maisons, correspondant à de vrais projets de santé ont été créées et le mouvement se poursuivra. La généralisation de modes de rémunération adaptés est engagée depuis la loi de financement pour 2013. Le sixième engagement vise à rapprocher les maisons de santé des universités : c'est déjà le cas dans neuf régions.

Septième engagement : le développement de la télémédecine, qui permet de libérer du temps médical pour un service de proximité accru. En Aquitaine, elle permet d'améliorer la prise en charge dans les maisons de retraite et les Epad. Elle améliore le dépistage du mélanome en Rhône-Alpes et la communication d'imagerie médicale au CHU de référence dans la région Centre. L'ophtalmologie peut particulièrement en bénéficier.

Le transfert des compétences est une autre piste, mais à emprunter avec précaution, sous l'égide de la Haute autorité de santé (HAS). Des protocoles d'accord expérimentaux ont été signés, en particulier à la Martinique, pour le dépistage de la rétinopathie diabétique, qui pourront être étendus à tout le territoire.

Troisième pilier : agir dans les zones sous-dotées en médecins. Le premier engagement est l'accès aux soins urgents en trente minutes Les situations sont très hétérogènes. Dans certaines régions, une bonne part de la population se trouve à plus d'une demi-heure de soins d'urgence. La solution peut passer par la création de Smur comme à Saint-Yrieix ou leur renforcement comme à Agde, le transport héliporté comme en Bourgogne, la création de réseaux de correspondants des Samu en Auvergne, Rhône-Alpes ou Languedoc-Roussillon.

Les structures hospitalières doivent participer à la lutte contre la désertification, ce qui suppose de lever de nombreux freins : nous y travaillons. Les CHU doivent aussi assurer leur responsabilité à l'égard de leur territoire. Nous évaluerons les structures de proximité, sans a priori, en prenant en compte les projets de santé. Les regroupements décidés pour raison financière ne donnent souvent pas de bons résultats. C'est ainsi que j'ai choisi de maintenir la maternité de Die, qui remplit indéniablement un besoin.

M. Jean-Luc Fichet, président du groupe de travail.  - Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Certains CHU, comme celui de Rennes, ont commencé à nouer des liens avec ces structures de proximité. Dans plusieurs régions, des dizaines de postes d'assistants spécialistes à temps partagés ont été créés.

Il s'agit, enfin, de conforter les centres de santé, dont le modèle de financement doit être revu.

La coercition ? Je n'y crois pas. Les jeunes professionnels y voient une brimade et les autres une rupture de contrat. La proposition de loi Vigier ne préconisait au reste sa mise en place qu'après 2020. Or c'est ici et maintenant qu'il faut agir. J'ajoute que face à une forte opposition de la profession, on peut craindre un risque de contournement des règles posées.

Reste que les médecins doivent entendre les besoins de nos concitoyens. C'est en faisant le pari de la coopération que nous avancerons. La volonté a manqué dans le passé. Sachez que je n'en manque pas ; et je manque encore moins de courage ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Stéphane Mazars .  - Le diagnostic est connu : certains de nos territoires sont malades de l'absence de médecins. C'est le cas de mon département, l'Aveyron. Les perspectives sont sombres, car nombreux sont les médecins proches de la retraite, alors que la relève n'est pas assurée.

Les solutions ? Certaines, qui sont incluses dans votre pacte territoire santé, font l'unanimité, depuis le stage obligatoire jusqu'à la télémédecine. D'autres, non, telle que la coercition.

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Non, la régulation !

M. Stéphane Mazars.  - Le rapporteur Maurey est, de ce point de vue, courageux. La coercition est tentante, tant les dispositifs incitatifs se sont sédimentés ces dernières années sans effet, sinon sur l'équilibre de nos comptes sociaux... Cependant, gardons-nous de décourager les vocations. Sans aller jusqu'à la coercition, ne pourrait-on au moins interdire les dépassements d'honoraires en cas d'installation en zone sur-dotée ?

Nous soutenons l'action du ministère, qui mise sur la conviction et la coopération. Cela suppose d'agir, aussi, sur l'attractivité des territoires. Ni l'inertie ni l'inaction ne nous seront pardonnées.

Si le bilan se révélait négatif, alors oui, il faudra aller vers la coercition. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur quelques bancs socialistes)

M. Pierre Camani .  - La désertification médicale prend des proportions inquiétantes dans certains territoires. Nous ne manquons pas de médecins mais ils sont mal répartis. La diagonale de la ruralité est aussi celle de la désertification. Les zones rurales, de montagne mais aussi certains quartiers sensibles sont les plus touchés. La médecine de premier recours connaît une crise de vocation.

Il y a désormais urgence. En Lot-et-Garonne, 110 médecins sur 277 ont plus de 60 ans. Un quart prendra sa retraite dans les trois ans.

Ainsi votre pacte va-t-il dans le bon sens, même si je partage l'analyse de notre rapporteur, qui souhaiterait aller un peu plus loin.

La présence médicale participe, aussi, de l'attractivité des territoires. C'est parce que les départements se sont beaucoup impliqués, voire les maisons de santé. Mais les incitations restent partielles, parfois concurrentes : il appartient aux pouvoirs publics de les coordonner.

Le rapporteur Maurey préconise la création d'une commission départementale de la démographie médicale. C'est ce qu'a fait le Lot-et-Garonne en 2009. Cette commission, qui fédère les acteurs, a pour mission de valider les projets de création des maisons de santé, pour qu'ils soient coordonnés. Ce cadre permet ainsi d'organiser des réseaux et de rationaliser les financements, en même temps qu'il répond au voeu des jeunes médecins de travailler en équipe, pour concilier soin et prévention et apporter des réponses adaptées aux besoins des populations.

Le programme national d'aide aux maisons de santé est hélas épuisé, ce qui met en péril bien des projets en cours : il conviendrait, madame la ministre, de le prolonger. (Applaudissements sur les bancs des commissions et quelques bancs socialistes)

M. Jean-François Husson .  - Merci à notre commission d'avoir pris l'initiative de ce débat. Sur cette question préoccupante, les solutions ne font pas consensus. Les médecins sont réticents à toute forme de coercition, tandis que les mesures incitatives ont eu des résultats décevants. La géographie des déserts médicaux rejoint la carte des territoires en déprise. Des quartiers sensibles sont également touchés. La concentration de l'exercice dans des centres de santé a pu créer des déséquilibres dans certains territoires, menacés. Pour autant, les regroupements en pôle sont au bénéfice des médecins comme des patients pourvu que la qualité de l'accueil n'en pâtisse pas. Mise en réseau et télémédecine sont des pistes à ne pas négliger.

Pour un médecin, les études sont longues et coûteuses : la contrepartie en est la liberté d'installation, qu'il est difficile de mettre en cause. Mais il faut, sur notre territoire, une politique de santé qui ne laisse aucun territoire de côté. Cependant, la pratique des primes d'incitation à l'installation, coûteuse et inéquitable, ne devrait pas prospérer.

Je serai attentif, madame la ministre, à la mise en oeuvre du pacte que vous avez initié.

M. Daniel Laurent .  - Notre débat porte sur un sujet préoccupant, qui a donné lieu, au Sénat, à une abondante littérature, avec le dernier rapport en date, celui de M. Maurey. La situation s'aggrave. L'accès à des soins de qualité et de proximité est pourtant une exigence garantie par le Préambule de 1946.

Parmi les praticiens, n'oublions pas les pharmaciens qui devraient être mieux associés à la pratique des médecins. Pour remédier au manque de médecins dans certaines zones, bien des mesures réglementaires ont été prises, bien des textes votés. Mais malgré toutes les mesures d'incitation qui ont ainsi été mises en place, les résultats sont décevants. En Charente-Maritime, où la zone côtière voit sa population multipliée par dix en période estivale, nous avons mis en place une politique incitative avec une bourse évolutive de troisième cycle, avec engagement du jeune bénéficiaire de s'installer dans une zone déficitaire pour quatre ans : sept contrats sont en cours. Preuve que l'incitation financière fonctionne chez nous. Nous offrons également aux patients un service de transport à la demande, qui évite les visites à domicile chronophages et coûteuses.

S'orienter vers des maisons de santé, comme le suggère la proposition n°8 du rapporteur, semble une piste intéressante. Mais à condition de la réserver aux zones sous-médicalisées, sans concurrencer les praticiens déjà installés.

Certains plaident pour le conventionnement d'un nombre limité de praticiens par département. Mais la coercition suscite l'opposition des professionnels et des étudiants.

Un mot sur les certificats de décès. Les médecins de garde n'étant pas rémunérés pour remplir cette tâche, refusent souvent de se déplacer, si bien que les maires sont en première ligne. L'ARS, dans ma région, a décidé d'indemniser les médecins. Un bilan de l'expérimentation sera bientôt élaboré.

J'en viens à la question des PMI et de la médecine du travail, qui ont le plus grand mal à recruter. Au point qu'il devient de plus en plus difficile aux entreprises et collectivités territoriales de respecter leurs obligations légales.

Ne nous y trompons pas : la santé publique est un enjeu majeur, qui exige la collaboration de tous les acteurs. (Applaudissements à droite)

Mme Évelyne Didier .  - Il n'est pas anodin que la question ait fait l'objet d'un rapport de la commission du développement durable : c'est la preuve de notre volonté commune de développer nos territoires dans le respect des aspirations de celles et ceux qui ont choisi d'y vivre. Point de leçon à donner, car l'héritage remonte à dix ans. Le groupe CRC approuve les conclusions du rapport, dont il partage le constat, l'esprit et l'essentiel des propositions. Il appelle à une politique plus audacieuse. Car le taux de renouvellement des professionnels posera, à l'avenir, un problème, mais dès aujourd'hui, la mauvaise répartition des praticiens crée des déserts.

Les mesures que vous préconisez, madame la ministre, vont dans le bon sens. Je pense notamment à la possibilité du salariat, vilipendé naguère par certains sur les bancs de droite : nous sommes aujourd'hui de plus en plus nombreux à en reconnaître l'utilité. Comme celle des maisons de santé, sous réserve d'un réel encadrement. La Fédération nationale des centres de santé plaide pour une renégociation de la convention, reconduite à l'identique. Ceux-ci ne peuvent pas exercer certains actes : entendez-vous, madame la ministre, y remédier.

M. Jacky Le Menn.  - Très bien !

Mme Évelyne Didier.  - Comment, enfin, ne pas réfléchir à la question de la rémunération de l'acte. Les médecins dits « libéraux » n'ont de libéral que le nom, puisque leur rémunération est garantie par les pouvoirs publics.

Le CRC soutient l'idée d'une régionalisation des places au classement, comme la proposition d'informer dès à présent les étudiants d'un possible passage, à l'avenir, à une politique que je ne qualifierai pas de coercitive mais de solidaire. Il faut partir des besoins des patients. C'est pourquoi nous soutenons l'idée du stage obligatoire en zone sous-dotée, mais au-delà, celle de l'engagement, à l'image de ce qui se faisait dans les écoles normales pour les instituteurs : dix ans, je l'ai fait, je n'en suis pas morte. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur quelques bancs socialistes)

M. Henri Tandonnet .  - Les bassins ruraux sont particulièrement menacés par la désertification médicale. Les écarts peuvent aller de un à huit, tandis que 65 % des étudiants n'envisagent pas de s'installer à la campagne. Il y a donc urgence. Une réforme volontariste de la formation doit être l'axe majeur, quand les étudiants sont aujourd'hui concentrés dans les CHU. La formation doit se faire en situation réelle, dans les hôpitaux régionaux ou chez les médecins généralistes.

Une communication d'ampleur s'impose aussi. La loi Fourcade a favorisé l'exercice pluriprofessionnel : il faut pousser dans ce sens. Constituer des réseaux est essentiel pour sortir les médecins de l'isolement et répondre aux besoins des patients et de la prévention.

La loi permet aux collectivités territoriales d'aider les maisons médicales, mais le système, face à la pénurie de généralistes, a ses limites. Dans mon département, nous inaugurerons bientôt une maison de santé à Duras : il nous manquera cependant un médecin. Et les investissements immobiliers sont lourds : les professionnels de santé devraient y participer. Pas de mutualisation possible, enfin, sans une bonne couverture numérique. Je partage pleinement les conclusions de M. Maurey, mais j'insiste sur la réforme de la formation. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

M. Ronan Dantec .  - Je salue la qualité du travail de notre mission d'information. L'accès aux soins médicaux est un droit fondamental, et un enjeu majeur de l'aménagement du territoire. Le paradoxe français, c'est qu'en dépit du nombre de médecins, la désertification médicale existe partout. Les propositions du rapport, qui ne vient pas contredire le pacte territoire santé, lèvent le tabou de la coercition. Car le problème tient aujourd'hui à l'inégale répartition des praticiens, qui ne sera pas réduite par les mesures d'incitation existantes.

Nous nous retrouvons donc dans les propositions du rapporteur. Il y aurait beaucoup à dire, concentrons-nous sur quelques points.

Pour assurer une couverture médicale du territoire, nous appuyons l'exigence de définir un service public de médecine générale et soutenons l'idée d'un conventionnement sélectif.

La question des déserts médicaux recouvre celles de l'aménagement du territoire et de l'accessibilité financière. Des quartiers populaires souffrent aussi du manque de médecins - l'ARS classe d'ailleurs trois zones de Paris dans la catégorie des territoires sous-dotés.

Des solidarités nouvelles sont nécessaires via une organisation territoriale en réseau, ce qui implique le maintien de services publics de qualité dans les villes moyennes et petites, au premier rang desquels les hôpitaux locaux. Nous soutenons aussi l'idée de définir avec la profession les nouvelles missions de la médecine générale et plaidons comme le rapporteur pour une évolution de la formation des médecins, qui ne peut se résumer à des cours techniques, aussi pointus soient-ils. Quant aux maisons de santé, elles doivent davantage s'engager dans la prévention, parent pauvre de notre système de santé.

On ne peut dissocier accessibilité géographique et financière. J'alerte sur le fait que les déserts médicaux peuvent s'exporter. Des chasseurs de tête recrutent des médecins roumains. Résultat, il en manque 40 000 dans ce pays ; la France n'est pas seule responsable, l'Allemagne l'est aussi.

C'est donc dans une approche globale que nous devons traiter la question des déserts médicaux, tous ensemble et sans demi-mesure.

Mme Muguette Dini .  - Je veux saluer le travail du groupe de la commission du développement durable. Le groupe UDI défendait seize mesures dès la loi HPST- ni le gouvernement d'alors ni la majorité actuelle ne les soutenaient alors ; trois ans plus tard, nous y revenons.

J'insisterai sur la promotion et la valorisation de la médecine générale au cours de la formation, le développement des maisons de santé pluridisciplinaires et le transfert de certaines compétences médicales vers d'autres professionnels de santé - Mme Génisson et d'autres y travaillent au sein de la commission des affaires sociales. Le président de l'Observatoire de la démographie médicale préconise un recentrage du médecin sur son coeur de métier - la libération de temps médical. Cela m'amène à la question du numerus clausus. Il est fini le temps où les médecins étaient corvéables à merci, beaucoup de jeunes médecins n'entendent pas sacrifier leur vie de famille à l'exercice de leur profession ; et 58 % des médecins en France sont des femmes, qui veulent souvent travailler à temps partiel, surtout en début de carrière. Le temps moyen de travail est de 52 heures par semaine, dont 61 % seulement consacré à l'activité de soin. Ce qui doit prévaloir, ce n'est pas un nombre idéal de médecins par habitant mais la durée moyenne de temps médical.

En outre, plus de 21 000 médecins à diplôme étranger, dont certains ne maîtrisent pas le français, sont inscrits à l'ordre début 2013 tandis que de jeunes Français vont étudier en Roumanie, où ils suivent dans leur langue des cours dispensés par des professeurs... français. Il est plus que temps de revoir le numerus clausus en tenant compte de la réalité. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Robert Tropeano .  - Depuis cinq ans, deux millions de Français supplémentaires souffrent de la désertification médicale ; les inégalités territoriales progressent. Je salue l'initiative du Gouvernement, en décembre 2012, de remettre à plat cette question.

En Languedoc-Roussillon, l'ARS a défini après diagnostic un plan régional sur cinq ans. Dans l'Hérault, la démographie médicale est importante mais très inégalement répartie. Dans l'arrière-pays, les difficultés d'accès aux médecins généralistes sont prégnantes, et je ne parle pas des spécialistes ; 60 % des médecins ont plus de 60 ans... Les maisons de santé constituent une solution à condition d'être encadrées. Je pense aussi à un nouveau statut de praticien territorial de médecine généraliste, qui remet cependant en cause la liberté d'installation...

Un mot sur les urgences à l'hôpital d'Agde : elles sont indispensables, sachant que la population augmente l'été dans d'importantes proportions. Espérons que le pacte territoire santé apportera les corrections nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Noël Cardoux .  - Le constat est partagé. Sénateur du Loiret, je suis bien placé pour connaître la question des déserts médicaux. Devant cette situation, les collectivités territoriales ont pris des mesures disparates et désordonnées - dont les ARS ne parviennent pas à dresser un bilan. Je note, entre parenthèses, que personne n'a évoqué l'échec de la politique de recrutement des médecins étrangers, qu'on voit repartir chez eux six mois ou un an après leur installation...

Les gouvernements successifs ont toujours hésité à prendre des mesures coercitives mais il ne faut pas oublier, Mme Didier a raison, que l'employeur des médecins est la sécurité sociale, c'est-à-dire la collectivité nationale. Un conventionnement à plusieurs vitesses, la suppression des dépassements d'honoraires dans les zones sur-dotées peuvent être des solutions.

Deuxième piste, la réforme des études de médecine. Pourquoi ne pas réfléchir à un numerus clausus dès l'entrée en faculté en fonction des besoins de la région où se trouve ladite faculté ? Des médecins libéraux que j'ai interrogés plaident pour des stages dans des hôpitaux de proximité. Cela aurait l'avantage de rapprocher les étudiants du terrain. Ces mesures, parce qu'elles mettront du temps à produire leurs effets, devront être complétées.

En milieu rural, la solution des maisons de santé est nécessaire mais non suffisante. D'abord, parce que ces établissements ne peuvent être installés que dans des chefs-lieux de canton ; ensuite, parce qu'obtenir des financements est un véritable parcours du combattant. Si je refuse l'idée de médecins salariés dans les villes moyennes ou en zone rurale, j'approuve la création de maisons médicales de garde ; le transfert d'actes médicaux simples vers les infirmiers et les pharmaciens ; la télémédecine, c'est une évidence, à condition d'équiper l'ensemble du territoire en très haut débit ; l'aide aux communes pour la mise à disposition de petits locaux, comme nous l'avons fait dans le Loiret, pour assurer les opérations de télémédecine ou le secrétariat et assurer les transports des personnes seules ou âgées.

Laissons libre cours aux initiatives en milieu rural plutôt que de donner le commandement aux ARS ; charge à nous, collectivités locales, de coordonner ces initiatives. Laissons de côté les polémiques pour travailler dans le même sens. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Georges Labazée .  - La question relevant de l'aménagement du territoire, la présence de Mme Duflot dans cet hémicycle aurait été un signal fort. Pourquoi se forment des déserts médicaux dans un pays qui compte tant de médecins ? Pourquoi les mesures incitatives ont-elles échoué ? Prudence, dit le rapporteur ; avançons avec audace, réplique la ministre...

L'idée de développer les maisons pluridisciplinaires de santé, proposition n°8 du rapport, est bonne, même si elle ne résoudra pas toutes les difficultés. Certes, la qualité des locaux importe mais ce sont surtout les conditions d'exercice qui font l'attractivité. De là, dans mon département des Pyrénées atlantiques, l'accent mis sur l'innovation et la dynamique locale, l'idée d'une plate-forme d'innovation en santé qui mériterait de prospérer ; innovation dans la rémunération aussi, avec des rémunérations forfaitaires négociées dans un cadre conventionnel, comme l'autorise la dernière loi de financement de la sécurité sociale ; innovation enfin avec l'expérimentation de parcours de santé pour les personnes âgées à risque de perte d'autonomie.

Bref, je défends une organisation territorialisée, la mise en réseau des professionnels de santé. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour donner aux mesures incitatives la force qui les rendra efficaces.

M. René-Paul Savary .  - Je parlerai de mon expérience de président de département et de médecin. Le terme de désert médical est trop vague, les idées reçues sont légion. Je citerai quelques exemples : un hôpital local dont tous les postes de praticiens sont pourvus alors que le canton manque de généralistes ; une maison de santé qui a dû faire appel à des médecins étrangers salariés ; une autre à l'inverse que les médecins libéraux ont rejointe avec enthousiasme, alors qu'elle ne procédait pas d'un projet de santé ; une autre enfin, où les professionnels volontaires se battent pour le label et les subventions d'État...

On dit que les cursus dans certains pays sont de moindre qualité que les nôtres... Tandis que les diplômes européens sont reconnus chez nous, les médecins les mieux formés partent au Canada ou en Allemagne... C'est le grand mercato des médecins... Et les recalés de première année choisissent d'autres filières ou s'inscrivent en médecine dans des pays étrangers proches, moyennant finances - 5 00 euros par an.

J'en viens au numerus clausus : on a longtemps pensé que davantage de médecins coûterait trop cher à la nation, quand il aurait fallu doubler leur nombre pour tenir compte des évolutions de la profession et des besoins de la population.

Quelques remarques sur l'exercice dans les cabinets : la technicité des logiciels absorbe beaucoup de temps, la gestion du personnel et la lourdeur des charges découragent. Réduisons les contraintes de gestion si nous voulons que les jeunes s'installent en zone rurale.

Quelques propositions à titre personnel : promotion du statut de collaborateur et de celui de remplaçant ; respect de la liberté d'installation tout en passant des appels d'offre pour des conventions de secteur 1 ; ouverture du numerus clausus ; harmonisation de l'entrée dans les études de médecine au niveau européen ; mise en oeuvre de la structure spécifique à l'exercice en groupe prévu dans la loi HPST ; maintien du paiement à l'acte mais renforcement des rémunérations complémentaires ; rattachement possible des maisons de santé aux hôpitaux locaux. Et surtout, faisons confiance aux territoires. Voici ce que je propose en me fondant sur trois maîtres-mots : compromis, liberté, souplesse. Parions sur la complémentarité de la médecine salariée et de la médecine libérale. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Odette Herviaux .  - Comme le président Fichet, j'interviens en tant qu'élue d'un territoire marqué par des inégalités entre la côte et l'intérieur, sans parler des îles chères à mon coeur que sont Belle-Île-en-Mer et Marie-Galante.

Malgré la mobilisation des élus, la recherche de nouveaux praticiens ressemble à un véritable parcours du combattant. L'augmentation récente du numerus clausus ne suffira pas à répondre aux besoins, notamment au vieillissement de la population.

L'ARS de Bretagne s'est engagée sur les douze mesures du pacte territoire santé, qui font en partie écho aux propositions du rapport. J'insisterai sur le stage d'initiation à la médecine générale, l'objectif de 100 % est atteint au CHU de Brest alors que la moyenne nationale n'est que de 37 %. La mobilisation des généralistes doit se poursuivre, il faut accentuer les aides financières aux étudiants pour les inciter à quitter les grandes villes.

J'insisterai également sur l'exercice en équipe. Les collectivités territoriales se sont engagées massivement. À Josselin, une maison de santé pluridisciplinaire a vu le jour. Après deux ans de travaux entre l'ARS et tous les acteurs concernés, dont le conseil régional et la SNSM, un contrat local de santé a été signé en 2013 à Belle-Île-en-Mer où la population est nombreuse l'été ; l'implication de l'hôpital a été décisive pour permettre la venue de praticiens hospitaliers. La situation reste en revanche préoccupante à Marie-Galante, mon collègue Cornano y insiste.

La lutte contre les déserts médicaux doit être territorialisée. Nous avons besoin de la mobilisation de tous. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Josette Durrieu .  - Je parlerai plutôt de fracture médicale. Mon département des Hautes-Pyrénées compte 230 000 habitants ; la population y est vieillissante. Mais elle quadruple l'été et les touristes sont exigeants : ils veulent un hôpital moderne, des médecins faciles d'accès...

Je vous parlerai du bassin de vie de Lannemezan : 200 000 habitants avec cinq stations de ski et deux stations thermales... Nous avons essayé de faire face, créé un groupement de coopération sanitaire ; des chirurgiens et des spécialistes en traumatologie viennent de Toulouse et pratiquent sans dépassement d'honoraires. Quand on veut, on peut ! Mais la maternité a fermé en 2008 pour des motifs purement comptables - quinze accouchements en urgence...

Merci, madame la ministre, pour votre pacte territoire santé. Je suis surprise par la position de M. Maurey, spécialiste du numérique, la télémédecine est plus qu'une réponse partielle. La région Midi-Pyrénées vient de lancer un projet pilote ambitieux d'e-medecine dans le piémont pyrénéen qui, j'espère, attirera l'attention de la ministre. Autre projet pilote, la télémédecine et la téléradiologie en milieu pénitentiaire.

Des outils nouveaux existent, mais ils resteront inertes si manquent la volonté et les crédits. Faisons le pari de la confiance comme nous l'a demandé Mme la ministre. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes

Mme Delphine Bataille .  - Facteurs économiques, sociaux et culturels expliquent aussi la formation des déserts médicaux. Les écarts de couverture de la population sont de un à deux pour les généralistes, de un à huit pour les spécialistes. La région du Cambrésis et de l'Avesnois, où a grandi Pierre Mauroy, manque grandement de médecins quand Lille est bien dotée. C'est le résultat de la politique menée ces dernières années, que les collectivités territoriales ont tenté d'enrayer. Il faut une approche globale pour éviter les ruptures de prise en charge des patients.

Je salue la volonté de la ministre de s'attaquer aux déserts médicaux par les douze mesures du pacte territoire santé, et le travail du président Fichet et du rapporteur Maurey. Si le pragmatisme doit prévaloir, l'idée d'une carte médicale organisant la présence des médecins dans les zones sous-dotées contrevient à la liberté d'installation à laquelle les médecins sont attachés. Les maires du sud du département du Nord ont lancé un appel au secours : plus de 2 000 habitants n'ont plus de médecins, les deux derniers sont partis malgré les mesures financières d'incitation.

Des discriminations importantes existent selon le lieu de résidence. On ne peut se contenter des solutions proposées, à Lille, à plus de 80 kilomètres de mon domicile, par Medi'Ligne, service de diagnostic en ligne, prodiguant des conseils ou orientant vers le 15, un médecin de garde, une maison de santé quand elle existe ou... les services des urgences des hôpitaux. Le résultat, c'est que des patients qui ne devraient pas y avoir recours, viennent encombrer ces services.

Il est devenu plus facile de trouver un vétérinaire d'astreinte qu'un médecin de permanence. C'est dire combien le problème appelle d'urgence une solution. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)

Mme Marisol Touraine, ministre .  - Ma réponse, qui doit être rapide, sera globale, mais mon cabinet se tient à votre disposition pour répondre aux questions locales que vous avez posées. L'idée d'un service public doit trouver son prolongement dans l'ancrage territorial. D'où la loi à venir, faite pour concevoir la mise en place de politiques de santé à l'échelle de l'ensemble des territoires : c'est l'idée de stratégie nationale de santé que je veux promouvoir. Le temps où il existait un médecin par village est révolu. Il faut s'orienter vers le développement de pôles de santé de proximité, de premier recours, adossés à l'hôpital, qui doit irriguer son bassin de vie, sans délais. Beaucoup de mesures préconisées dans votre rapport recoupent le pacte territoire santé : formation de médecins généralistes, travail en équipe - enjeu majeur - présence des hôpitaux de proximité qui engage l'articulation avec le CHU, place de la télémédecine, collaboration entre les professionnels.

Certains points méritent d'être approfondis. La puissance publique doit être régulatrice quant à l'installation des maisons de santé : je vous ai entendus. Grâce au schéma régional d'investissement, l'ARS hiérarchisera les choix, afin d'assurer un réel maillage, sans trous, ni concurrences. Les schémas régionaux d'organisation de l'offre de soins méritent d'être mieux connus

Le succès du pacte viendra de la mobilisation de tous les acteurs. Chaque directeur d'ARS devra poursuivre le travail engagé lors de la mise en oeuvre du pacte, via des rencontres, y compris avec les élus, associant, sans exclusive, secteurs public et privé, professionnels libéraux et hospitaliers, pour faire partager les options retenues.

Jusqu'alors, la priorité n'était pas la lutte contre les déserts médicaux. La réorganisation du numerus clausus n'apportera pas, à mon sens, de changements majeurs. Sa régionalisation, à laquelle on peut réfléchir, est déjà un peu réalité, pour les spécialités. Je ne suis pas sûre que cela bouleverse la donne.

Le salariat est une option. C'est la Fédération des centres de santé qui a souhaité une reconduction tacite de la convention en attendant que la réflexion soit menée à terme. Le salariat, j'en suis convaincue, peut apporter des réponses, et pas seulement dans les centres de santé, mais y compris à l'hôpital.

Je vous remercie de votre souci de faire que l'égalité d'accès aux soins demeure une réalité vivante de notre démocratie. (Applaudissements à gauche)

Le débat est clos.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Bialski, qui fut sénateur du Nord de 1979 à 1997.

Demande d'avis sur une nomination

M. le président.  - Conformément aux dispositions de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et en application de l'article premier de la loi du 4 janvier 1980, M. le Premier ministre a, par lettre en date du 11 juin 2013, demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de Mme Élisabeth Ayrault à la présidence du directoire de la Compagnie nationale du Rhône. Cette demande d'avis a été transmise à la commission des affaires économiques.

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président

Débat sur le bilan de la loi LRU

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan d'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Notre commission pour le contrôle de l'application des lois est très mobilisée par le bilan annuel de l'application des lois, qui sera présenté le 25 juin. Je veux dire combien nos travaux ont été soutenus et divers depuis notre création : dix rapports, qui ne se contentent pas de comptabiliser les décrets d'application et leur délai de parution. Notre conception est plus ambitieuse. Évaluation des politiques publiques et contrôle de l'application des lois, dans un paysage législatif encombré, vont de pair avec le travail législatif lui-même : avant l'adoption de nouvelles réformes, il importe de défricher l'existant ; le retour d'expérience est essentiel à l'élaboration de la loi. Telle est notre méthode, qui me paraît utile. Nous nous sommes concentrés sur les domaines remis en chantier.

C'est le cas du travail mené sur la LRU. Grâce à nos rapporteurs Dominique Gillot et M. Ambroise Dupont, la commission a présenté son rapport avant l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur en commission demain et en séance publique le 19 juin. Nos débats en seront d'autant plus sereins.

Le président de la République et le Gouvernement veulent donner à l'enseignement supérieur et à la recherche une place de choix, tant ils sont essentiels au redressement du pays. Ma commission est fière d'apporter sa contribution.

Etant engagé de longue date dans ce débat, ma première préoccupation a été d'identifier les forces et les faiblesses du système. Malgré les lois de 2006 et 2007, certaines difficultés demeurent. Si la loi LRU a ouvert les universités à l'autonomie, on pouvait craindre un accroissement des distorsions entre grandes et petites universités, ainsi - et selon nos rapporteurs, de sensibilités différentes - qu'une tendance à « l'emballement » de l'offre de formation née de la mise en concurrence. Du coup, le pont entre université et entreprises ne fonctionne pas à plein. La LRU a placé le conseil d'administration au coeur du système. Nous avions insisté sur l'impératif de collégialité - à raison. Il a fallu une longue période de rodage. Beaucoup dénoncent des réunions fleuves, trop techniques, voire catégorielles, qui provoquent une certaine lassitude, d'où un manque d'assiduité - que l'on observe aussi parfois ailleurs...

Un des dispositifs les plus novateurs, le pilotage et la gestion prospective, n'a pas donné les résultats escomptés : moins de dix universités ont adopté une comptabilité analytique. Les universités manquent d'accompagnement du ministère, en particulier pour la gestion de leur masse salariale - 90 % des moyens. Outre le souhait d'autonomie, partagé à l'époque, l'objectif de la loi était de lutter contre l'échec en premier cycle. Les résultats ne sont pas là. Ni sur l'orientation. Il faut un nouveau saut pour que l'enseignement et la recherche se retrouvent au coeur du redressement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Dominique Gillot, rapporteure pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Identifier les avancées et les difficultés rencontrées par la communauté universitaire avec la LRU, tel était l'objectif. La loi voulait libérer la capacité d'autonomie des universités et les responsabiliser financièrement. S'adapter aux exigences du territoire et de la compétition internationale l'exigeait. La méthode, qualifiée de saucissonnage et enfumage par les acteurs de la recherche, n'a guère été appréciée. A manqué un appui pour la gestion pluriannuelle des ressources. Dès lors, comment anticiper les marges de manoeuvre ? Le ministère étant resté trop passif, beaucoup d'établissements ont développé leurs propres instruments. Mais il leur manque les compétences de haut niveau adaptées à une telle gestion. Un effort de diagnostic et d'accompagnement a depuis été conduit, qui fonctionne bien.

Le dialogue de gestion demande à être formalisé. Certaines universités sont restées dans une logique de moyens, ou en proie à des résistances facultaires persistantes. En revanche, nombre d'entre elles sont désormais dotées d'un contrôleur de gestion. La prospective, en matière de gestion des emplois et compétences, est essentielle. Le nombre de contractuels a ainsi explosé, atteignant 30 %. Le recours aux post-doc précarise des personnes très qualifiées, sans perspective de carrière. En revanche, le localisme semble avoir diminué : le droit de veto du président n'a concerné que 0,25 % des postes publiés entre 2007 et 2011.

Le modèle Sympa (Système de répartition des moyens à la performance et à l'activité) a été très critiqué, ainsi que la multiplication des appels à projets très lourds. La recherche de partenariats est restée timide. La formation continue ne s'est guère développée, les enseignants-chercheurs ne s'y étant pas encore faits. Quant à la gestion patrimoniale, elle reste embryonnaire.

Les universités ont insisté sur l'évaluation : la notation est ressentie comme pénalisante. Sans désirer revenir à l'évaluation interne, elles insistent sur l'exigence d'une évaluation conçue pour accompagner plus que pour sanctionner. Pour les enseignants, les dossiers sont jugés trop formels. Les universités insistent aussi sur la nécessité de mieux valoriser les enseignants du second degré, qui seront de plus en plus sollicités pour des expérimentations transversales. Les nouvelles pratiques que la LRU a entraînées - collégialité, maîtrise des fonctions support, partenariats - restent imparfaites. Il faut concentrer les efforts en faveur de la jeunesse de notre pays.

Les universitaires demandent à être reconnus : ils ont conscience de leur place dans le redressement de la Nation. Bien des établissements ont fait preuve de créativité et de diplomatie à leur égard. Il leur faut des moyens qui répondent aux exigences de l'avenir, eu égard au coût des charges transférées et au rééquilibrage entre les différents établissements. (Applaudissements à gauche)

M. Ambroise Dupont, rapporteur pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - La LRU devait remettre l'université au coeur du système, car elle est située au carrefour entre l'excellence de l'enseignement, qui est l'apanage des grandes écoles, et celle de la recherche, qui est le propre des grands organismes scientifiques. En instaurant un nouveau paradigme, celui de leur autonomie, elle devait responsabiliser les universités dans le choix de leurs priorités, dans le droit fil de la loi Goulard de 2006 qui, avec les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (Pres), avait innové en coordonnant l'offre de formation entre tous les établissements d'enseignement supérieur et de recherche.

Depuis 2006, 24 Pres ont été créés, presque toutes les universités sont passées à la responsabilité élargie de la LRU, et les moyens ont augmenté de 9,5 % durant le dernier quinquennat. Il convient de rappeler les chiffres : souhaitons que l'on continue à faire aussi bien. Sur les 22 milliards d'euros du Grand emprunt consacrés à l'enseignement supérieur et à la recherche, 18 milliards d'euros ont été consentis sur appels d'offres lancés par des opérateurs nationaux et arbitrés par des jurys internationaux, dont personne ne songe à contester l'impartialité. À quoi s'ajoute le crédit d'impôt recherche (CIR), qu'aucun rapport ne propose de supprimer, parce qu'il reste, en dépit de quelques abus que nous déplorons tous, et de l'aveu même de l'inspection des finances, l'une des niches fiscales les plus efficaces.

Louis Gallois, que vous avez placé à la tête du commissariat général à l'investissement, reconnaît le rôle des investissements d'avenir et du CIR en faveur de l'accroissement de notre compétitivité. L'ancienne majorité a agi avec le soutien de bien des vôtres. Je suis fier de la loi Goulard, comme de la loi LRU. Les universités ont dû assumer des choix stratégiques liés aux besoins de leurs territoires et aux exigences de la concurrence internationale.

Nos déplacements nous ont montré que certaines universités avaient pris la juste mesure de ces enjeux. La petite université d'Avignon - pépite de 7 000 étudiants - a ainsi su développer des niches de spécialisation qui en font une orchidée dans les domaines du patrimoine, de la culture et de l'agroalimentaire.

Pour les universités intermédiaires, la gageure est plus grande. Ainsi, l'université de Caen a développé les passerelles pour prévenir l'échec en premier cycle et développé l'offre de formation pour produire des ingénieurs, si nécessaires en Basse-Normandie.

Pour la formation professionnelle, les résultats demeurent limités. Les enseignants-chercheurs n'y sont pas assez sensibles. Il faut aussi sensibiliser les futurs enseignants au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation - et je regrette qu'un amendement en ce sens ait été repoussé lors du débat sur la loi de refondation de l'école.

On a trop vite imputé à la LRU une prétendue concentration des pouvoirs entre les mains du seul président d'université. Il s'agissait de mettre fin à l'éclatement des responsabilités. Le président n'est pas seul, puisque le conseil d'administration, le conseil scientifique et celui de la vie universitaire sont à ses côtés. Or, j'observe, madame la ministre, que votre projet de loi à venir organise une dyarchie préoccupante, avec un conseil d'administration et un conseil académique présidés par des personnalités distinctes.

J'en viens au problème de gestion. Le contrat pluriannuel d'établissement mis en place par la loi LRU responsabilise l'université à l'égard de ses moyens.

L'évaluation, créée par la loi Goulard, a été placée au coeur de l'autonomie. Les équipes dirigeantes ont insisté sur la nécessité d'une évaluation levier d'animation plutôt que sanction. Elles ne réclament pas la disparition de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui a fait la preuve de son utilité et est prête à évoluer pour conforter la confiance qu'elle a acquise : rien ne justifie sa suppression. Un changement d'appellation ne duperait personne.

La maîtrise de l'autonomie ne se décrète pas, elle s'apprend. La loi LRU fait son oeuvre, même si je reconnais qu'elle peut être, sur certains points améliorée. Madame la ministre, vous partagez certainement mon analyse, puisque vous ne demandez pas son abrogation. Faites-nous confiance pour vous soutenir dans la défense de ses acquis !

M. Bruno Sido.  - Bravo.

M. Jacques Mézard .  - L'heure du bilan est faite pour répondre aux questions. La LRU a-t-elle fait progresser la qualité de l'enseignement, la lutte contre l'échec, la démocratisation de l'université ? Les chances sont-elles les mêmes sur tous les territoires ? Donne-t-on aux universités les moyens pour répondre aux nouveaux enjeux - la réussite de France université numérique dans un cadre européen, la déclinaison des bourses, la mise en oeuvre d'une nouvelle conception de l'enseignement ?

Progrès, innovation et croissance dépendent du niveau de qualification de nos concitoyens. Or, une large majorité d'une classe d'âge reste sans diplôme universitaire, tandis que 25 % des jeunes de moins de 24 ans figurent parmi les premières victimes du chômage et de la crise.

Mme Pécresse, au Sénat, annonçait, lors de la discussion de la LRU, « qu'assurer la liberté et la responsabilité au coeur d'une gouvernance rénovée » était la condition du redressement de nos universités et que « l'État partenaire » était indispensable. Or, l'accompagnement n'a pas eu lieu. Les universités, qui manquaient d'une culture de gestion et des compétences requises, n'ont pas suivi : une dizaine seulement dispose d'une comptabilité analytique. Les charges transférées, de surcroît, ont été mal évaluées - je pense aux charges salariales : résultat, un recours accru aux contractuels, précaires.

La péréquation entre petites et grandes universités a échoué, ce qui a aggravé, parfois, les inégalités territoriales, qui sont le vrai problème de notre système actuel.

Alors que la loi visait à plus d'efficacité de la dépense, la mutualisation n'a pas fonctionné. C'est bien plutôt une logique concurrentielle qui a prévalu.

Un quart des universités a ainsi commencé l'année en difficultés budgétaires.

Certes, il y a eu des aspects positifs, pour les universités qui ont su mettre en place une offre adaptée et diversifiée, et développer des partenariats. L'autonomie n'est pas contestée, un retour en arrière serait préjudiciable, mais la loi à venir doit corriger des dysfonctionnements : rééquilibrage des pouvoirs, trop concentrés, rééquilibrage financier, aussi, pour sortir certaines universités de l'ornière, accompagnement de l'État, indispensable pour éviter les écueils.

L'université française, à mes yeux, doit garantir à chaque étudiant une formation de qualité plutôt que de se préoccuper de sa place au classement de Shanghaï. La LRU a peu amélioré l'autonomie : nous sommes vingt-neuvièmes en termes d'autonomie financière au classement de l'OCDE, dix-septièmes pour l'autonomie organisationnelle, et à la dernière place pour l'autonomie académique. Malgré tout, la France reste le cinquième pays d'accueil des étudiants étrangers. Tout n'est donc pas négatif. Pour peu que l'autonomie ne se résume pas au désengagement de l'État. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale.  - Excellent !

Mme Corinne Bouchoux .  - La loi LRU devait provoquer un big bang, c'est plutôt un flop ...Pour nous, l'université doit former des étudiants, les accompagner dans l'obtention d'un emploi et en faire des citoyens éclairés. L'autonomie devait, comme par magie, entraîner un surcroît de connaissances et d'excellence. Les déconvenues ont été légion, le rapport les pointe : l'hyper-présidentialisation du système universitaire ; l'impasse sur l'existence de grandes écoles qui accueillent les étudiants aisés et reçoivent deux fois plus de moyens ; le logiciel Sympa, qui porte si mal son nom, qui a désavantagé les universités les plus petites ; le manque de moyens accompagnant le transfert des postes qui a entraîné une mauvaise gestion des carrières. Les moyens n'ont pas suivi : recours accru aux contractuels, chauffage deux jours de la semaine sur cinq, des locaux vétustes à rénover sans les crédits correspondants. L'autonomie sans les moyens constituait un jeu de dupes : on a accentué les écarts entre universités riches et sous-dotées, on a cru que mettre les acteurs sous stress pousserait à la concurrence.

M. Bruno Sido.  - Facteur d'amélioration... Parfaitement !

Mme Corinne Bouchoux.  - Ayons à l'esprit tout cela quand nous aborderons le prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.

M. Jean-Léonce Dupont .  - Rapporteur de la LRU, j'aborde ce débat avec d'autant plus d'intérêt que, heureuse concordance de temps, nous aborderons bientôt un texte sur ce sujet.

À propos de temps, nous avons envie de dire, pour nos universités, « Ô temps ! suspends ton vol ». Elles n'ont eu que trois ans et demi, pour certaines, afin d'accéder à l'autonomie. Or l'autonomie est une dure réalité qui s'apprend... « Contrôle de gestion », ce terme et d'autres ont fait leur irruption dans le monde universitaire quand on ne les entendait que dans les amphithéâtres où l'on parlait de la vie des entreprises. Or, gérer la masse salariale, c'est prendre des décisions sans plus s'en remettre à l'administration centrale, c'est moins confortable que d'attendre en critiquant puis de défiler en protestant ...

M. Bruno Sido.  - Eh oui !

M. Jean-Léonce Dupont.  - L'autonomie est intervenue au pire moment, de même que la décentralisation. L'État manque de moyens, les universités ont dû apprendre à compter chaque euro pour payer les salaires à la fin du mois avec pour seul viatique des rapports d'audit d'une centaine de pages.

Et pourtant, je le dirai avec un brin de provocation, l'autonomie est une chance. L'ancrage territorial se conquiert dans la durée. Tout le monde est d'accord, l'offre de formation est pléthorique. Les nouvelles contraintes économiques obligeront à remiser les projets cosmétiques pour de véritables articulations avec les universités voisines car la rationalisation est devenue une question de survie.

Le remplacement des Pres dans le prochain projet de loi ne me semble pas bienvenu : il faudra du temps pour remplacer ces structures. Choisir, et non subir, c'est aussi l'avantage de l'autonomie à condition de renforcer les conseils d'administration. L'autonomie n'est pas l'indépendance, l'État doit jouer tout son rôle. Là encore, le parallèle avec la décentralisation s'impose. Ne retirons pas aux universités la possibilité de chercher d'autres investisseurs que l'État, même si les temps sont difficiles. De même, ne leur retirons pas la gestion patrimoniale - dont trois universités seulement avaient fait le choix - qui fonctionne mieux au plus près des territoires.

L'autonomie ne visait pas seulement à améliorer la gestion des universités ; elle avait pour ambition la lutte contre l'échec universitaire. La Cour des comptes a dressé un bilan corrosif des résultats obtenus. Levons, enfin, le tabou de la sélection - de plus en plus de chercheurs le demandent. À quoi bon relever les frais d'inscription si les universités n'offrent aux étudiants que la perspective de l'échec ?

Aller vite et donner du temps n'est pas contradictoire...

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.  - C'est centriste !

M. Jean-Léonce Dupont.  - Donner le temps d'apprivoiser l'autonomie mais aller vite pour la réussite de nos étudiants et pour éviter le décrochage de nos universités à l'international. L'autonomie n'est pas remise en cause. Le prochain projet de loi aura fort à faire pour la conforter. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Michel Le Scouarnec .  - La LRU, qui avait soulevé de fortes divergences entre la droite et la gauche lors de son adoption, doit être évaluée avec le pacte pour la recherche de 2006, avec lequel elle forme un tout. Une même vision utilitariste les inspire : priorité donnée à la recherche appliquée sur la recherche fondamentale, soumission de la recherche publique aux intérêts du privé.

La structuration du paysage universitaire autour de dix Pres a conduit à une université à deux vitesses, ce qui contrevient au principe d'égalité des territoires. Point de révolution culturelle, dans tout cela...

L'autonomie budgétaire, couplée à une insuffisante compensation, a accru la précarité : dix-neuf université en déficit fin 2012 et d'autres suivront en 2013. La LRU a également miné la démocratie universitaire et la collégialité des décisions. L'évaluation, confiée à des personnalités extérieures, menée de manière répétitive, noie les chercheurs sous les tâches administratives.

Alors, comment ne pas conclure à la nécessité d'abroger la LRU ? Le rapporteur se contente de déplorer le manque de temps et de moyens. Voilà un bilan aux antipodes de celui que nous dressons : nous prônons la rupture au nom d'une université qui devra, plus que jamais, jouer son rôle d'ascenseur social. Tel est l'esprit dans lequel nous aborderons le texte sur l'enseignement supérieur et la recherche la semaine prochaine. (Applaudissements sur les bancs CRC)

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

M. Pierre Bordier .  - La LRU est l'une des plus grandes lois du quinquennat précédent. Outre une gouvernance renforcée autour du président, les universités, qui disposent de leur budget, sont considérées comme des acteurs à part entière par les entreprises et peuvent offrir à leurs étudiants des formations de qualité, adaptées aux besoins. Cinq ans après, l'autonomie, que personne auparavant n'avait eu le courage d'accorder aux universités en bravant les conservatismes, est un succès : 80 universités sur 83 ont pris des compétences élargies.

S'il est manifeste que certaines ont peiné à passer à l'autonomie, l'accompagnement renforcé de l'État, qui est une bonne chose, ne doit pas signifier un retour à la tutelle. Rationaliser les offres de formation, pourquoi pas, mais je suis sceptique quand le rapporteur annonce la suppression de 5 800 mastères sur 7 500. L'ouverture sur le monde extérieur, à ce stade, n'est qu'un slogan. Supprimer purement et simplement l'Aeres coûterait la bagatelle de 3 millions, quand elle est reconnue aux niveaux européen et international. L'Arabie saoudite a préféré recourir à notre agence plutôt qu'à l'université de Stanford - mais nous en reparlerons la semaine prochaine.

L'autonomie, si elle n'a pas atteint son rythme de croisière, est la seule voie pour participer à la compétition de l'intelligence au XXIe siècle. Plutôt que de défaire, donnez des moyens aux universités : la majorité précédente avait accru leur budget de 25 %, voire de 50 %. En regard de quoi, une loi d'orientation reste bien frileuse...

Madame la ministre, j'espère que vous ferez preuve d'autant d'esprit d'ouverture que nos rapporteurs la semaine prochaine ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Maurice Vincent .  - Dans le prolongement de la loi Savary de 1968, la LRU avait suscité bien des attentes et des inquiétudes. Six ans après, le bilan est mitigé. Le rapport, à raison, souligne l'accroissement du coût de la masse salariale amenée à s'accroître avec le GVT et la politique de titularisation.

Ainsi, les universités, qui étaient censées prendre leur envol, ont connu de graves difficultés financières en 2012 - lourd héritage qu'il faut gérer.

Jamais les financements à l'université n'ont été aussi éclatés entre les Pres, le plan Campus, les investissements d'avenir, les partenariats public-privé et j'en passe, et peu pérennes, ce qui a fragilisé l'autonomie. Le pilotage doit être rénové.

Incontestablement, la LRU a complexifié l'offre de formations universitaires - qui est devenue illisible concernant les mastères. La carte des formations prévue dans le projet de loi n'a jamais vu le jour.

L'échec de la LRU tient surtout à ses piètres résultats en matière de lutte contre l'échec scolaire en licence.

En revanche, l'évaluation, même si elle est perfectible, a constitué un progrès.

Si les craintes quant à un risque de privatisation et sur les Pres se révèlent infondées, nous avions raison de dénoncer le manque de reconnaissance du travail pédagogique, l'insuffisance de l'orientation post-bac et des crédits en diminution.

Rendre l'offre universitaire plus attractive, améliorer la gouvernance - mais était-elle si mauvaise que cela auparavant ? - et remonter dans le classement international, tels étaient les objectifs de la LRU. Nous devrons poursuivre l'effort pour les atteindre ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques-Bernard Magner .  - Malgré la LRU, qui a provoqué un choc culturel au sein des universités, la France se trouve dans le dernier quart du classement de l'OCDE pour l'autonomie.

Pourquoi ? Les moyens n'ont pas suivi. Moins d'une dizaine d'universités ont mis en place une comptabilité analytique, ce qui a fait obstacle à une évaluation des charges. Résultats, 30 % des enseignants sont des contractuels. La diversification des sources de financement ? Les résultats sont décevants ; une cinquantaine de fondations seulement a vu le jour. Et la formation continue n'a apporté que de maigres ressources. Bref, nous sommes loin du compte, six ans après.

Le bilan, que certains qualifient de mitigé, est désastreux pour d'autres ; je suis de ceux-là. Le renforcement du conseil d'administration n'a pas amélioré la gouvernance. Où sont les campus de visibilité internationale qui devaient émerger avec le plan Campus ? Et la lutte contre l'échec ? Des étudiants en licence n'achèvent même pas leur première année.

Aussi était-il urgent de revenir sur cette loi pour assurer la réussite de tous les élèves. Gageons que le prochain projet de loi corrigera les erreurs de la LRU ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Germain .  - Je félicite les auteurs de ce rapport plein de nuances, qui reflète la difficulté du sujet traité. J'ai été président durant cinq ans, vice-président durant dix ans, d'une université provinciale de taille moyenne pluridisciplinaire. Comme tous mes collègues, j'attendais l'autonomie. Ne revenons pas sur cette avancée : l'autonomie se bâtit dans le temps.

La LRU a apporté des avancées. D'abord, un pouvoir exécutif universitaire - qu'on peut qualifier d'hyper-présidentialisation. Pour autant, la France connaît un régime présidentiel, ce qui n'enlève rien aux pouvoirs du Parlement ! La démonstration vaut pour l'université.

Bien sûr, certaines discussions qui se prolongent pendant trois heures, sur la promotion de professeurs d'histoire ancienne par exemple, peuvent ennuyer les personnalités extérieures.

Mais comparons : jadis, on pouvait être élu président pour cinq ans seulement et le mandat n'était pas renouvelable, ce qui rendait difficile la construction d'un projet universitaire.

On a développé de nouvelles compétences : pilotage budgétaire, gestion prospective. Et c'est bien normal... Dès lors qu'on estime que le président doit être un universitaire, il faut accepter de développer des compétences de gestion. L'ouverture sur le monde économique et les acteurs du territoire est une bonne chose. Il faut aussi des relations entre recherche privée et publique.

En revanche, la diversification des ressources n'a pas pris : les fondations, le mécénat restent epsilon dans le budget des universités. Et la compensation insuffisante des transferts de charges a réduit les marges de manoeuvres des établissements. Mon collègue de Saint-Etienne, qui a aussi été président d'université, l'a dit : parallèlement à l'autonomie, le ministère développait ses propres projets, un pilotage national sans régulation ni ligne directrice.

La différence reste marquée entre universités et filières sélectives. Chacun doit pouvoir accéder à la filière de son choix, certes, mais ne nous voilons pas la face : la sélection existe, à Dauphine, à Paris ! Par la mention au bac, par l'argent aussi puisque du logement dépend l'inscription. Et comment un étudiant de province de milieu modeste peut-il venir étudier à Paris, sachant ce qu'est le coût de la vie dans la capitale ? (Marques d'approbation sur les bancs socialistes) C'est une inégalité terrible. Ce qui a fait le plus défaut dans la LRU, au vrai, c'est un volet sur l'amélioration des conditions de vie étudiante, le logement et la santé au premier chef.

Autonomie ne signifie pas indépendance ; les collectivités territoriales sont autonomes mais elles ne sont pas indépendantes... L'État a tout son rôle à jouer, pourvu qu'il dise ce qu'il fait. (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Percheron .  - Il faut savoir conclure un débat : j'ai donc quatre minutes pour parler de big bang ! De la stratégie de Lisbonne, aussi, un peu abandonnée, après que l'Europe a cru qu'elle pouvait devenir le continent le plus intelligent du monde. Quelques années après l'euro, la stratégie de M. Barroso a trouvé ses limites.

Quelles conséquences pour la loi LRU ? Face à la massification de l'enseignement, nous avons accordé l'autonomie à nos collèges et lycées dans le cadre de la décentralisation. Une voie dans laquelle nous ne nous sommes pas engagés pour l'université. Nous mesurons aujourd'hui que ce fut un marché de dupes. Les transferts de charge vont pousser les universités à se tourner vers les collectivités territoriales, hors d'une compétence revendiquée par les universitaires eux-mêmes... Peut-être trouvera-t-on là une part de la solution. Notre rôle d'assemblier de la formation aurait permis de poser le problème majeur de l'orientation. Le destin de nos enfants se joue dès le collège. Quand le lycée était l'exception, il y avait 143 000 bacheliers en France. C'est le même chiffre aujourd'hui pour les seuls bacheliers S ! Dans ma région, 50 % des lycéens sont dans la filière professionnelle - et 90 % de ces lycéens échouent en premier cycle. Le système français n'est pas parvenu à endiguer les inégalités. La LRU n'a pas règlé le problème crucial de l'orientation.

Les grandes douleurs sont muettes. Nous avons salué un juste ce matin... Sur le socle de la LRU, nous avons connu la Bérézina : le fleuve n'était pas gelé, mais ceux qui l'ont traversé ont péri. Nous avons été sacrifiés par le biais d'une méthode confidentielle, diabolique, jamais expliquée. Pourtant, l'Aeres nous avait bien classés... Chez nous, un élève reçoit quinze fois moins qu'en Île-de-France, treize fois moins qu'en Rhône-Alpes.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Daniel Percheron.  - Vous avez dix ans devant vous, madame la ministre. Je voulais faire appel, ici, de cette situation intolérable. (Applaudissements à gauche)

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Merci pour ce débat et ce rapport de grande qualité. Je salue le travail des rapporteurs. Sans déflorer le projet de loi à venir, disons que nous entendons lier indissolublement enseignement supérieur et recherche, corriger le Pacte pour la recherche et la loi LRU.

Les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi de 2007 sont à l'origine du projet de loi à venir. Réussite étudiante et relance d'une stratégie de la recherche dans toutes ses dimensions, tels sont nos mots d'ordre. Votre rapport sera une pièce essentielle dans le grand débat à venir.

Si l'on agglomère tous les financements pour la recherche, privés et publics, ce sont 47 milliards qui lui sont consacrés chaque année, dont 33 % pour la recherche fondamentale, monsieur Le Scouarnec. Nous pouvons être fiers de notre sixième rang mondial pour la science, nous avons des prix Nobel et des médailles Fields, notre recherche fondamentale est reconnue dans le monde entier ; charge à nous de la conforter par des moyens pérennes. En revanche, notre recherche technologique peine à émerger, alors qu'elle dépasse les 20 % en Allemagne ou dans les pays émergents. Or c'est elle qui alimente l'innovation, donc la création d'emplois. Nos emplois industriels, insuffisamment irrigués par elle, ont souffert. Si l'on veut donner un avenir à nos jeunes dans l'ensemble de nos filières, il faudra y remédier.

Votre bilan de la LRU est contrasté. Il faut distinguer les intentions de la mise en application. Des aspects positifs, comme l'ouverture sur le monde économique, mais qui restent à consolider - mais les promesses de ressources n'ont pas été tenues. Sur l'évaluation, les opinions divergent ; au regard de la situation antérieure et s'agissant des intentions, le progrès est évident, mais la mise en application a beaucoup laissé à désirer.

La gouvernance... L'importance des fonctions support et de pilotage n'échappe plus à personne, mais l'apprentissage a été laborieux et les difficultés restent grandes : dix-neuf universités étaient en déficit de trésorerie fin 2012, certaines ont un fonds de roulement proche de zéro, onze cumulent deux années de déficit - ce qui aurait, avant la LRU, justifié une tutelle de l'État.

Ces difficultés ont affecté la confiance des personnels et des usagers, j'ai pu le constater lors des assises qui ont réuni plus de 20 000 acteurs. La manière dont les transferts ont eu lieu n'était pas de nature à inspirer la confiance... La LRU, qui entendait mettre les universités au coeur de l'enseignement supérieur et de la recherche, les a surtout mises en difficulté. Et la réussite en premier cycle, la qualité de la vie étudiante n'ont pas progressé. C'est pourquoi j'en ai fait une priorité. Les jeunes diplômés s'insèrent plus facilement mais ils sont rares - 33 % de réussite en licence, contre 60 % en Allemagne. Pour les bacheliers technologiques et professionnels, les chiffres sont encore plus bas, respectivement 9,5 % et 6 %. C'est à quoi je veux m'atteler, pour éviter le massacre social des bacs pro, surtout issus des milieux les plus modestes - orientation dans les filières STS ou les IUT, avec des passerelles au-delà de bac+2.

L'orientation dès le lycée n'est nullement abandonnée, nous y travaillons avec Vincent Peillon. De même qu'à la diversification des méthodes pédagogiques avec l'inclusion du numérique, l'intégration à la formation des stages en entreprise et le doublement de l'alternance.

Nous voulons aussi favoriser, via le système des conventions, les rapprochements des filières, spécialiser progressivement l'enseignement au cours du premier cycle pour éviter les redoublements.

La vie étudiante fait l'objet depuis un an d'un plan d'action ; il vise le logement et la santé - l'accès aux soins s'est beaucoup dégradé ces dernières années - ainsi que l'accueil des étudiants étrangers.

J'en viens à l'autonomie, que je distingue de l'indépendance. C'est une valeur forte du monde universitaire. Toute l'histoire des universités est celle de la conquête de l'autonomie, depuis le Moyen Âge jusqu'à Edgar Faure en 1968 et Alain Savary en 1986. L'autonomie version LRU, ce fut surtout la déconcentration de la gestion budgétaire de la masse salariale, qui s'est faite sans anticipation ni accompagnement technique ou financier, sachant que le monde universitaire n'avait aucune culture de gestion. Les moyens ont manqué pour absorber le choc des transferts et les charges nouvelles ; et avec la frénésie d'appels d'offres nationaux nos chercheurs ont déserté l'Europe ; nous devons pourtant être présents dans les réseaux européens, pour les crédits mais aussi pour notre rayonnement.

Les universités ont aussi manqué de temps pour faire leur apprentissage. Imaginer une entreprise dont le budget est brutalement multiplié par dix, sans anticipation ni accompagnement ! Cela ne peut mener qu'à des désillusions. L'État ne se désengage pas, mais il est redevable des fonds publics. Il est vrai, cependant, que l'accompagnement a manqué, comme l'anticipation, dans un ministère où l'impasse budgétaire, à mon arrivée, atteignait 400 millions...

Confusions, difficultés, sidération : la France, vous l'avez rappelé, est fort mal classée en matière d'autonomie, en particulier d'autonomie académique. Les services du ministère sont là pour accompagner les universités, les aider à élaborer des plans de redressement ou à long terme. L'État stratège définit le cadrage national des diplômes, à partir de quoi les universités décident de leur offre de formation ; c'est le mécanisme d'accréditation. L'évaluation sera portée par une nouvelle instance, un Haut conseil, et construite selon une méthode radicalement différente, inspirée des préconisations des acteurs et de nombreux prix Nobel - auto-évaluation mais respect de critères et de pratiques de niveau international. Sans jeter le discrédit sur les évaluateurs, dont il faut respecter le travail, il faut réorienter les choses.

Le rapport note à juste titre que la politique des formations n'est ni maîtrisée ni régulée. Le paysage des formations supérieures est devenu illisible. Comment évaluer une offre si pléthorique, 3 600 diplômes de licence, 7 700 de mastères ? Comment l'employeur peut-il s'y retrouver avec 1 420 licences générales pour 322 intitulés différents ? Quant au bachelier, il doit s'orienter dans le maquis des 11 000 formations qui s'offrent à lui. Sans décryptage, il ne s'en sort pas : ce sont les jeunes issus des milieux les plus modestes qui en pâtissent. Les autres peuvent se payer un coach... Si je suis attachée à l'idée que mon ministère crée des emplois, je ne voudrais pas que ce soit ceux-là.

Le maquis des formations est une des sources des difficultés financières des universités - j'ai vu un mastère avec treize professeurs pour sept étudiants... Il faut un choc salutaire. La politique d'accréditation repose sur quelques principes simples : moins d'intitulés, une offre plus proche des attentes des étudiants et des besoins de la société, une carte de formation qui ne soit plus d'affichage, une offre lisible pour les familles, les étudiants, les employeurs. Je proposerai prochainement au Cneser la nouvelle nomenclature.

La gouvernance doit être au service du service public de l'enseignement supérieur et de la recherche et pas l'inverse. Ces missions sont la formation et l'insertion des jeunes. Vous déplorez l'excès de concentration des pouvoirs aux mains du conseil d'administration et de son président, notez la marginalisation des autres instances élues, l'ouverture insuffisante des universités vers le monde économique, l'invasion des réunions des conseils d'administration par des dossiers techniques qui empêche de se concentrer sur les missions stratégiques. Je l'ai vécu et j'ai vu les élus et les personnalités extérieures déserter peu à peu les conseils.

D'où ma proposition d'un seul conseil académique, avec deux commissions dotées de compétences précises, tandis que les délibérations du conseil d'administration seront réservées aux décisions stratégiques, budgétaires et financières. Les personnalités extérieures pourront participer à l'élection du président, c'est une exigence démocratique. Pour un pilotage cohérent, le président du conseil d'administration pourra choisir le mode de gouvernance de son conseil académique.

Des craintes se sont exprimées quant au risque de régionalisation de l'enseignement supérieur. Si les universités participent à la dynamique territoriale, si elles doivent tenir compte des besoins de leur territoire d'implantation, l'État doit aussi veiller à la cohérence et à l'égalité d'accès aux formations. Or les contrats d'établissement ont été affaiblis par le passage en RCE et l'émiettement des contractants ; la politique contractuelle n'a eu qu'un effet marginal sur les actions stratégiques. Les Pres, en outre, n'ont pas contractualisé avec l'État. La loi entend remédier à ces difficultés et donner un nouvel élan la politique contractuelle. Le système Sympa a été source d'inégalités entre les territoires et les disciplines. Il faudra le faire évoluer en liaison avec les contrats de site.

La politique de regroupement initiée par la LRU a creusé les inégalités. Si les Pres ont bien joué leur rôle dans un premier temps et favorisé la coopération des acteurs, plus d'une douzaine n'ont reçu qu'une faible part des crédits du plan Campus et des investissements d'avenir. La procédure très opaque des partenariats publics-privés avait bloqué la mise en route du plan Campus : nous avons fluidifié les procédures. Je proposerai une deuxième phase de regroupements avec plusieurs modalités possibles.

Sur l'attractivité internationale, je partage votre analyse. Elle a souffert de la circulaire Guéant, ainsi que, pour les filières scientifiques, de la barrière de la langue. Une politique d'accueil cohérente, conçue à l'interministériel, sera désormais engagée, avec des visas pluriannuels et un statut spécifique pour les doctorants et les docteurs. De nouvelles dérogations à la loi Toubon sont prévues ; bien encadrées, elles renforceront le socle de la francophonie et permettront aux étudiants des pays émergents de s'engager dans nos filières scientifiques.

Le monde bouge, les attentes sont fortes, mais il faut s'adapter sans brutalité - c'est pourquoi nous n'avons pas voulu faire table rase. Cela passe aussi par les moyens : 5 000 postes sur la durée du quinquennat, priorisés sur la réussite en licence. Le président de la République a rappelé que l'avenir du pays reposait sur l'investissement dans l'enseignement supérieur et la recherche. Le retour de l'État stratège ne signifie pas recentralisation, mais garantie que notre système fonctionnera au bénéfice de tous.

Nous avons besoin de temps et de votre soutien. Merci encore aux rapporteurs pour la pertinence de leurs analyses, qui convergent avec les nôtres. (Applaudissements à gauche et sur les bancs de la commission)

Le débat est clos.

La séance est suspendue à 20 h 20.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 22 h 30.

Débat sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête .  - À ma grande satisfaction, nous pouvons revenir ce soir sur les résultats de l'enquête que notre commission a menée durant six mois. Merci à notre président Alain Milon. Au-delà de sa courtoisie et de son esprit d'ouverture, que nous saluons tous, rien de mieux qu'un médecin pour rappeler quelques vérités scientifiques. J'ai été également impressionné par l'implication de chacun des membres de notre commission. Cette enquête fut un moment fort, je pense en particulier aux auditions, impressionnantes, des victimes, mais aussi à celles de personnages pour le moins inquiétants. Si nous ne fûmes pas pionniers au Parlement, car l'Assemblée nationale a consacré trois rapports aux sectes, nous avons ouvert une voie au Sénat en adoptant notre rapport à l'unanimité des présents le 2 avril. Tout attachés à la liberté de conscience que nous sommes, nous nous souvenons que des sectes ont, sous couvert de lutte contre la vaccination et la psychiatrie, éliminé le savoir au profit du croire. Il est trop facile de convaincre un malade que l'on pourra le guérir par la « fasciathérapie », le « biomagnétisme » ou encore la « purification ». Nous avons constaté avec regret que ce champ était mal encadré.

Nous regrettons aussi qu'un rapport du Centre d'analyse stratégique, placé sous l'autorité du Premier ministre, se fasse le prosélyte de certaines de ces pratiques, ce qui devrait être, à l'avenir, évité, de même que certains ordres professionnels et qu'une presse psychologisante... Contre la médecine, qui est seule innovante et véritablement scientifique, le développement d'Internet fait la part belle aux médecines dites douces. Voilà les raisons qui m'ont conduit à proposer cette commission d'enquête.

Les pratiques thérapeutiques les plus farfelues prospèrent aujourd'hui, notre visite au « salon du bien-être » nous a laissé, à cet égard, un souvenir impérissable. Mais c'est surtout la porosité entre dérive thérapeutique et dérive sectaire que nous avons voulu signaler dans notre rapport : l'emprise mentale peut être si forte que les gens croient pouvoir soigner leur cancer avec du jus de citron ou des lavements de café bio ou leur sclérose en plaques à l'aide d'une machine qui s'inspirerait de la physique quantique ! L'emprise se manifeste aussi par la rupture avec le milieu familial. La liberté thérapeutique ne saurait, bien sûr, être invoquée, quand ces pratiques vont à rebours de l'intérêt des personnes. Les auditions des victimes, contenues dans ce volumineux rapport, vous renseigneront, madame la ministre, mieux que je ne puis le faire.

Notre enquête, fondée sur le contradictoire, met en lumière que le contrôle de ces dérives est perfectible - c'est un euphémisme. Une stricte application des lois de la République existantes suffit à le renforcer, aussi ne proposons-nous que de simples ajustements. La loi du 12 juin 2001 sur la répression et la prévention des mouvements sectaires, qui a introduit la notion d'abus de faiblesse dans le code pénal, doit être mieux appliquée ; nous préconisons seulement de modifier à la marge le délai de prescription.

Rappeler aux fonctionnaires leur devoir de signalement, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, améliorer la formation des magistrats, qui devrait être, en la matière, systématique, renforcer la Miviludes avec l'immunité de son président, afin de le mettre à l'abri des multiples recours qui entravent son action, contrôler via la DGCCRF les appareils à finalité médicale aussi rigoureusement que le sont, par exemple, les jouets, sont quelques-unes de mes propositions.

Nous avons également mis l'accent sur Internet et les pouvoirs de la cyberpatrouille de la gendarmerie, qui devraient être renforcés sur le modèle de la lutte contre la pédopornographie, sur le nettoyage à faire dans les centres de formation à ces pratiques qui se parent frauduleusement du titre d'université, enfin, l'interdiction aux praticiens radiés, médecins, pharmaciens ou dentistes, de se parer du terme de docteur.

Nous avons également émis des propositions sur la formation professionnelle, qui abrite souvent des pratiques douteuses, les diplômes d'université, dont certains sont farfelus, et la protection des enfants.

En quelques mots, voilà les préconisations concrètes de notre commission. Il appartient à présent au Gouvernement de la République de s'en saisir. Espérons qu'il ne faudra pas attendre une nouvelle commission d'enquête pour les voir appliquer ! (Applaudissements)

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête .  - M. Mézard a fait allusion à mes qualités de médecin, à mon tour de saluer ses qualités d'éminent juriste qui nous ont été très utiles. Nous utilisons dans le rapport le seul terme de pratiques non conventionnelles, plutôt que celui de médecine douce ou naturelle, car c'est le seul qui vaille en droit français depuis 1803. Obtenir un diplôme en « médecine chinoise » en quatre ans ou un certificat de « chirurgie immatérielle » en trois jours ne suffit évidemment pas à se parer du titre de médecin ou de chirurgien.

L'engouement pour ces pratiques, qui s'est déjà produit pendant les années 1950, est en fait relativement stable depuis les années 1980 : un Français sur deux y recourt. Rien de dangereux quand cela ne se couple pas avec un refus de la médecine. Dans ce cas, nous sommes en présence de dérives sectaires : parfois soutenues par des médecins, des kinésithérapeutes ou des sages-femmes. M. Mézard a fait allusion à ceux qui prétendent guérir le cancer avec du jus de citron ou des lavements de café bio. Ce discours, violemment anti-médical, qui trouve écho sur Internet, nie les progrès de la médecine.

L'innocuité des pratiques non conventionnelles est un leurre : sait-on que la prise de plantes ou l'utilisation du magnétisme peut se révéler nocive, même couplée à des pratiques conventionnelles ? Non. En revanche, les scandales médicaux sont abondamment relayés par la presse. Autre inégalité, les médecins sont soumis à des évaluations scientifiques rigoureuses et doivent se former durant de longues années, quand les thérapeutes ne se légitiment que par la seule satisfaction du client. Le combat n'est pas à armes égales : qui s'est déjà trouvé mal après un massage ? Ou s'est senti bien après une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie ?

Ces pratiques non conventionnelles qui, d'après les travaux d'autorités scientifiques aussi reconnues que le groupe Cochrane, portant sur 598 études, font l'effet au mieux d'un placebo, ont fait leur entrée à l'hôpital : pas moins de vingt pratiques à l'AP-HP et Paris n'est hélas pas une exception. Encadrons-les davantage.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Très bien !

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête.  - Pour mieux contrôler les pratiques non conventionnelles, soumettons leur présence à l'hôpital à l'avis de la commission médicale d'établissement à une majorité renforcée. Une accréditation par la Haute autorité de santé (HAS) améliorera également les choses. Pour les professionnels de santé, rendons obligatoire la déclaration de l'exercice de ces pratiques non conventionnelles à l'Agence régionale de santé (ARS) qui en assurerait le suivi. Autre voie, à suivre dans le prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, revoir les diplômes universitaires délivrés pour ces pratiques. Surtout, il faut contrecarrer la déshumanisation du parcours de soins dont se plaignent les patients et qui les poussent vers ces techniques centrées sur le bien-être et l'écoute des individus, en mettant en place des groupes de repérage des patients fragiles, qui pourraient se laisser abuser.

Enfin, interdisons aux médecins radiés de l'ordre de continuer d'exciper du titre de docteur en médecine. Espérons que la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche nous en fournisse l'occasion.

On nous envie notre médecine d'excellence, notre recherche de pointe et notre protection sociale, mais l'humain est au coeur du soin, ne l'oublions pas. Il est du devoir des pouvoirs publics de protéger nos concitoyens. (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Après six mois d'enquête, 72 auditions, un voyage et une visite un peu épuisante au salon du bien-être, je reste sur ma faim : je ne sais toujours pas, à mon grand regret, ce qui distingue une « dérive » thérapeutique, ni comment se définit la santé, hors la définition de l'OMS. Alors que 60 % des malades du cancer déclarent recourir à d'autres techniques, sont-ils donc tous enrôlés dans une secte ?

Ma petite belle-soeur est morte d'un cancer soigné de manière classique quand des miraculés expliquent devoir leur guérison aux plantes. Après tout, les notaires, les avocats, et entraîneurs sportifs, eux aussi, dévient... Alors, la vraie question n'est-elle pas où commence l'emprise de celui qui sait - tel le médecin allopathe qui impose examens et médicaments - sur celui qui ne sait pas, lorsque chacun est confronté à sa propre finitude ?

André Malraux disait « Tout dialogue avec la mort commence à l'irrationnel »... C'est ainsi que certains préfèrent les bains de siège, à leurs frais, plutôt que de dépenser l'argent de la sécurité sociale.

Plutôt qu'une chasse aux sorcières, les Verts préfèrent une politique de prévention et de détection conjuguée avec l'application des dispositions actuelles sur le délit d'escroquerie, en l'absence d'une définition légale de la secte.

Cela dit, le rapporteur a ouvert une voie en proposant d'entendre les condamnés a priori. Reste à évaluer sereinement les pratiques non homologuées en France. (Mmes Annie David et Laurence Cohen applaudissent)

Mme Catherine Génisson .  - À mon tour de saluer la qualité des travaux de notre commission d'enquête. De l'humour s'est parfois glissé dans nos débats, un paravent nécessaire pour mettre à distance des pratiques ou propos portant atteinte à la dignité de l'être humain. J'ai été bouleversée par les témoignages poignants des victimes et de leurs proches, en colère face à la violence du discours antimédical porté par certains.

Notre médecine est d'excellence, mais les médecins pressés par les charges administratives de tous ordres (M. Roland Courteau approuve) n'ont plus guère le temps à consacrer aux malades qu'on envisage désormais comme des consommateurs de soins. C'est ainsi que l'on oublie que la médecine est une science d'abord humaine, et qu'importe par-dessus tout cette relation essentielle qui s'établit dans le colloque singulier entre patient et soignant. Mesurons de manière plus fine l'activité qu'avec la tarification à l'activité, cela allègerait le stress que subissent les professionnels de santé dans les hôpitaux. Au-delà, il faudra revoir la formation : les relations humaines, cela s'apprend. J'irai plus loin : ne fondons pas uniquement la sélection des médecins sur des critères techniques. (Mme Hélène Lipietz approuve)

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Catherine Génisson.  - Rien d'étonnant à l'attrait qu'exerce la « médecine douce » face à cette déshumanisation des soins. La porosité entre médecine traditionnelle et non conventionnelle, sujet grave, doit nous interpeller : nous proposons des mesures à mettre en place rapidement et qui ne nécessitent aucun véhicule législatif.

D'abord, interdire l'utilisation du titre de médecin, pharmacien, ou dentiste en France comme à l'étranger pour ceux qui ont été radiés des Ordres. Ce titre leur gagne souvent la confiance des patients.

Autre proposition, la HAS, institution remarquable, doit accréditer les pratiques non conventionnelles à l'hôpital. Bien souvent, celles-ci ont fait leur entrée sans que personne n'y jette un oeil et y restent sans évaluation. Le directeur de l'ARS ignorait la situation à l'AP-HP, c'est renversant ! Il faut revoir cela. Idem pour les psychothérapeutes, une profession à mieux encadrer ; nous avons dû attendre neuf ans pour que les décrets d'application de l'amendement que j'ai cosigné avec Bernard Accoyer sortent...

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Catherine Génisson.  - Je sais la détermination du Gouvernement à agir et je serai à ses côtés.

Mme Laurence Cohen .  - L'initiative du groupe RDSE nous apparaît utile. Notre société est soumise à des sollicitations censées répondre à des maux non résolus par la médecine traditionnelle. Les récents scandales sanitaires, les conflits d'intérêt en santé, la recherche de l'équilibre psychique dans un contexte de crise économique fabriquent un terreau qui favorise la soumission de l'individu à un gourou, conduisant à un affaiblissement psychique qui rend inapte à contester. On profite ainsi des gens pour substituer à la rationalité des croyances sans limites, qui peuvent exposer à des risques majeurs - je pense en particulier à ceux qui prétendent guérir le cancer ou le sida avec des plantes.

Le libre choix des personnes ou la liberté de conscience ? Mais elle est aujourd'hui totale. Le rapport de la commission d'enquête est, de ce point de vue, très modéré, et ne condamne aucune des pratiques dites douces, de même que l'hôpital les accueille. Plusieurs propositions du rapport visent simplement à encadrer les pratiques, non à les interdire. Des mesures d'accompagnement et de contrôle s'inscrivent dans une logique d'accompagnement des patients que nous approuvons. Il n'en va pas de même de certaines obligations, comme la vaccination, qui protège non seulement l'individu, mais la société tout entière. Las, la politique de lutte contre la grippe H1N1 avec la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique dans le comité contre la grippe et l'inaction sur les adjuvants et les sels d'aluminium nourrissent la suspicion. D'où la nécessité de mieux prendre en compte la parole des patients et de mener une politique de santé démocratique où les associations de patients ne dépendent plus financièrement des groupes pharmaceutiques. L'information des patients, comme l'a dit M. Mézard, est bien la priorité.

Il est temps de passer à une médecine pour tous, tenant compte des singularités des patients. Et de changer le mode de financement de l'hôpital, inadapté à une approche globale du patient. Oui, il faut mieux encadrer la formation professionnelle et mieux protéger les mineurs.

Pour paraphraser Schopenhauer, les sectes sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l'obscurité. Puissent ces recommandations être suivies d'effet. (Applaudissements)

Mme Muguette Dini .  - Merci à M. Mézard de son initiative et à M. Milon de sa présidence éclairée. Dans le Rhône, où j'avais été alertée sur un établissement, j'ai mesuré la difficulté à détecter une dérive sectaire. Les dérives thérapeutiques sont plus faciles à déceler. Si certaines thérapies non conventionnelles ont un effet reconnu sur le bien-être des malades, d'autres sont aux mieux inefficaces, au pire dangereuses - et très lucratives, au détriment de clients abusés.

Je veux, madame la ministre, attirer votre attention sur l'emprise mentale, qui peut saisir tous les accidentés de la vie. Les magistrats ont du mal à le reconnaître, dès lors qu'une personne majeure est réputée responsable de ses actes.

Mais depuis la commission d'enquête de 1995, peu de progrès ont été faits. Il faut aller plus loin. Les députés avaient proposé de retenir un faisceau de dix indices. Lors de nos auditions, une liste de neuf critères, dont cinq suffisants, nous a été proposée, qu'il serait utile de reprendre. Prouver la violence psychologique au sein d'un couple est difficile : cette violence est pourtant assimilable à l'emprise mentale, qui peut conduire au désespoir et au suicide.

Notre commission d'enquête propose de faire partir le délai de prescription de la prise de conscience par la victime. C'est ce que je proposais pour la violence au sein du couple.

Notre travail aura été utile pour protéger nos concitoyens contre des gourous inefficaces, parfois dangereux et toujours intéressés. (Applaudissements)

Mme Catherine Deroche .  - Merci au président Milon et à M. Mézard, notre rapporteur, qui ont su, au cours de nos six mois d'enquête, fédérer nos sensibilités.

Le titre final du rapport complète utilement l'intitulé initial de notre commission. Il s'agit d'apporter protection à nos concitoyens, afin que leur santé mentale ne soit pas ébranlée, et leur vie perturbée, tandis que les familles se trouvent dans l'impuissance. Nos auditions de victimes furent particulièrement émouvantes. Celles de pseudo-praticiens furent édifiantes. Certains promettent des miracles, qui ne sont jamais bon marché. D'autres n'hésitent pas à se faire radier de l'Ordre pour se livrer à des pratiques non conventionnelles sans crainte de sanctions.

Auditions des victimes, émouvantes, qui nous alertent sur les dangers des dérives thérapeutiques et leur lien avec les dérives sectaires.

Auditions de « thérapeutes » dont le verbiage accompagne un charlatanisme avéré.

Auditions des professionnels de santé : les pratiques complémentaires peuvent répondre à un besoin. La médecine, devenue de plus en plus pointue, renforce chez les malades un désir de réhumanisation des soins. Mais la pratique complémentaire ne doit pas devenir pratique alternative. Couper un malade du cancer de professionnels compétents n'est pas admissible. J'ai trouvé certains médecins administratifs, des médecins parfois trop naïfs, ou manquant de prudence, pour ne pas dire davantage. Attention doit être portée au contenu des programmes de formation.

Auditions des défenseurs de ces pratiques non conventionnelles parfaitement rôdés aux procédures judiciaires et prompts à éviter les questions embarrassantes.

La Miviludes, depuis sa création en 2002, a fait un important travail. Il convient de s'assurer qu'elle poursuive son action d'information quand 25 % des Français, selon un sondage de 2010, affirment avoir été contactés directement par des sectes et 20 % connaître un proche qui en est victime.

Auditions des administrations concernées, enfin. La gendarmerie nous a prouvé sa motivation, et sa capacité à assurer une veille serrée. Un effort de formation doit être entrepris auprès des fonctionnaires.

Sur la qualification de l'emprise mentale, il faudra aller plus loin. La notion, qui fait débat, n'est pas simple à traduire en termes législatifs, mais la question doit être posée.

Une sensibilisation des élus locaux doit être engagée, un regard porté sur les établissements d'enseignement et leurs programmes.

Nos collègues députés se sont penchés à plusieurs reprises sur le dossier des sectes, ce qui a donné lieu à un arsenal législatif, qui mérite cependant d'être complété. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour nous entendre. (Applaudissements)

M. Stéphane Mazars .  - La question des sectes a déjà fait l'objet d'une attention soutenue des parlementaires. Il ne s'agissait pas d'être redondant, mais d'explorer en détail l'utilisation abusive du thème de la santé.

Le développement des pratiques parallèles pose une vraie question de santé publique. Je félicite donc le président Milon et notre rapporteur, Jacques Mézard, pour leur engagement sur ce sujet difficile. Les prétendus thérapeutes ont besoin d'opacité. La Fontaine le rappelait : « Le monde n'a jamais manqué de charlatans. Cette science, de tous temps, fut en professeurs très fertile ».

Les pratiques que l'on nous a décrites pourraient porter à sourire, si l'on n'avait compris qu'elles peuvent parfois conduire à la mort. Des instruments existent, mais la réponse est insuffisante et des améliorations s'imposent. Nous sommes face à des organisations tenant un discours structuré sur la liberté de conscience - qui tranche avec le caractère farfelu de leurs préconisations. Elles surfent sur les peurs collectives, les situations de détresse individuelle, dont la maladie. C'est ainsi que des patients en viennent à sortir du système médical traditionnel. Et Internet est une aubaine pour ces mouvements. Le nombre de sites référencés et une indexation appellent une action rigoureuse. Il faudrait étendre à la cyberpatrouille de la gendarmerie nationale la possibilité d'investiguer sous pseudonyme.

Il est inadmissible que de l'argent public puisse être dilapidé au profit de pratiques non conventionnelles. Nous serons vigilants quant à la formation professionnelle. Les thérapeutes recherchent une apparence de respectabilité : il importe de les décrédibiliser par une action judiciaire rigoureuse. Mais les magistrats, en raison du principe de la liberté de conscience, sont prudents et les condamnations sont rares. Le manque de moyens humains pose également problème. Les magistrats référents sont souvent démobilisés et les conseils départementaux de prévention de la délinquance ont des compétences trop larges pour être efficaces.

Quand la santé mentale et physique de milliers de nos concitoyens est en danger, il est urgent d'agir. C'est un combat républicain, car ces mouvements menacent aussi la laïcité. Lorsque l'hôpital public ou l'université se laissent gagner par ces mouvements, le principe de neutralité doit leur être opposé. (Applaudissements)

M. Yannick Vaugrenard .  - Notre commission d'enquête aura tenu 72 auditions qui ont vu se côtoyer des témoignages tantôt pathétiques, calculateurs ou fuyants, toujours riches d'enseignement. Que Jacques Mézard et Alain Milon, par sa présidence sereine, soient ici remerciés.

L'étonnement, l'exaspération rentrée et l'humour aussi, furent au rendez-vous, car il faut rire de tout avant d'avoir à en pleurer. Sur cette question de la liberté intime, il importait que nous nous retrouvions. C'est chose faite, puisque les propositions ont été adoptées à l'unanimité. Le sujet, sensible, préoccupe nos concitoyens : 25 % ont été approchés par une secte et 60 % estiment que les sectes sont un danger d'après un sondage de 2010.

La fragilité devant la maladie favorise l'emprise mentale. Notre démocratie ne joue néanmoins pas son rôle protecteur. Ce constat est alarmant. L'engouement des malades pour les pratiques non conventionnelles touche aussi des praticiens. L'alerte doit être lancée : 3 000 médecins entretiennent des liens avec les mouvements sectaires, tandis que 4 000 psychothérapeutes autoproclamés exercent sans avoir reçu aucune formation.

La question, madame la ministre, est bien interministérielle. Elle concerne la puissance publique, qui mérite une attention soutenue des services déconcentrés. Dans le cadre de la formation professionnelle on dispense des « formations » bien exotiques ; les circulaires sont mal appliquées par les préfets ; sur l'Internet circule une information médicale dont le contrôle exige un renforcement des moyens de la gendarmerie ; il faut sensibiliser les magistrats. On voit que bien des ministères sont concernés. Il faut mieux prévenir et mieux protéger : campagne d'information d'ampleur, interdiction aux médecins radiés de faire état de leur titre, encadrement des psychothérapeutes, suites à donner par les procureurs aux plaintes, renforcement de la sécurité de l'information des internautes, investigation sous pseudonymes pour la cyberpatrouille de la gendarmerie, sensibilisation dans les écoles, renforcement des moyens de la Miviludes sont autant de pistes. Il importe aussi de renforcer la coopération internationale. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné récemment la France, contre des sectes avérées, dont le Mandarom et son gourou cosmoplanétaire, à 4 millions d'amende au nom de la liberté de conscience. Parfois, être procédurier confine à la lâcheté. Puissent nos préconisations être suivies d'effets.

Le souci d'efficacité doit nous guider. Pour que chacun reste maître de ses décisions, il faut développer l'esprit critique. C'est en grande partie le rôle de l'éducation nationale. Chacun peut à tout moment être fragilisé par un accident de la vie. Notre démocratie ne peut accepter d'être coupable de non-assistance à citoyen en danger. « L'homme est fait non pour traîner des chaînes mais pour ouvrir ses ailes » disait un de nos éminents prédécesseurs Victor Hugo. Aidons nos concitoyens à se délivrer des chaînes de l'emprise sectaire et à ouvrir les ailes de leur liberté de conscience. (Applaudissements)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Marisol Touraine. En son nom, je veux saluer la qualité de ce rapport, fruit d'un travail approfondi, qui a respecté le principe du contradictoire. Les procès-verbaux ont pour la plupart été rendus publics, démarche inédite qui mérite d'être saluée.

Les dérives sectaires s'accroissent. C'est le constat de la Miviludes. La santé est un secteur à risque : un quart des signalements la concerne. Plus de 3 000 praticiens seraient en lien avec les dérives sectaires, qui se développent en s'appuyant sur des chimères, éliminent le savoir au profit du croire, comme l'a dit le président Mézard. Les pratiques non conventionnelles peuvent être à l'origine de dérives sectaires. Il ne s'agit pas de condamner ces pratiques, mais d'identifier celles qui peuvent être dangereuses. Abuser des personnes malades relève de la manipulation, sous couvert d'un discours pseudo-scientifique. L'Internet a favorisé le développement de ces pratiques, comme la formation professionnelle, qui abrite 1 800 programmes « à risques », selon la Miviludes. L'action de la justice est insuffisante : une centaine de procédures nouvelles en 2011 seulement. Les témoignages à charge sont rares, les enquêtes complexes et il n'existe aucune définition juridique de la secte.

Le ministère de la santé est en première ligne de la mobilisation. Mais cette mobilisation doit être collective. Nous avons besoin des ministères de l'éducation, de la justice et de l'intérieur.

Vous préconisez l'amélioration des formations en santé. Il faut évaluer l'efficacité des pratiques non conventionnelles. Un groupe de travail des ministères de la santé et de la justice, avec la Miviludes, auprès de la direction générale de la santé, est en charge de cette évaluation et a mission d'informer le public et de lutter contre les pratiques dangereuses. Un dossier figure sur le site du ministère, qui s'enrichira de fiches d'informations. Parallèlement, d'autres outils juridiques, qui pourraient s'inscrire dans la prochaine loi de santé publique, sont à l'étude.

Il faut, ensuite, renforcer l'information. La HAS proposera en 2014 un nouveau dispositif qualité sur les sites dédiés à la santé, pour orienter l'internaute, et un site public d'information en santé sera créé.

Troisième axe : encadrer les formations professionnelles, dans leur contenu et la qualité des organismes.

La prochaine réforme de la formation professionnelle donnera lieu à la fin de l'année à un projet de loi, qui pourra intégrer ces outils. La justice joue un rôle clé dans la lutte. Mais il faut renforcer son action. Les procureurs devraient donner systématiquement suite aux plaintes et signalements : cela pourrait faire l'objet d'une circulaire. Les magistrats référents devraient être mieux formés pour sensibiliser les tribunaux. Un magistrat référent a été nommé à la direction des affaires criminelles et des grâces pour assurer le lien avec les administrations et la Miviludes.

L'action du ministère de l'intérieur est également déterminante, entre autres par l'intermédiaire des conseils départementaux de prévention de la délinquance, dont les prochaines orientations pourraient inclure les dérives sectaires.

Mais l'approche ne peut être seulement répressive.

Les dérives sectaires appellent une mobilisation collective. Soyez assurés que les services de l'État sont pleinement engagés pour répondre à l'exigence de protection et de sanction quand cela est nécessaire.

Le débat est clos.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 12 juin 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 12 juin 2013

Séance publique

DE 14 HEURES 30 À 18 HEURES 30

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, de simplification du fonctionnement des collectivités territoriales (n° 387, 2012-2013).

Rapport de Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la commission des lois (n° 635, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 636, 2012-2013).

Deuxième lecture du projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l'article 11 de la Constitution (n° 551, 2012-2013) et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l'article 11 de la Constitution (n° 552, 2012-2013).

Rapport de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois (n° 632, 2012-2013).

Textes de la commission (nos 633 et 634, 2012-2013).

À 18 HEURES 30 ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR

Débat sur la pollution en Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030.