Projet de loi de finances pour 2015

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Veuillez excuser l'absence momentanée de Michel Sapin, due à la réunion ce matin du conseil des ministres. J'ai cru comprendre qu'il était interpellé. Madame Assassi, le Parlement est libre et maître de ses décisions. Quand le Sénat rejette des textes importants, le Gouvernement le respecte.

Mme Éliane Assassi.  - Il ne l'a pas fait l'année dernière !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Il peut, pour autant, demander une deuxième délibération. Qu'on respecte également les décisions du Gouvernement.

Le Gouvernement tient le cap fixé en avril dernier. Pourtant, la situation ne nous y aide pas. Dans la zone euro la croissance est encore très faible ; l'inflation a atteint un plancher historique, elle ne retrouvera sa cible de 2 % qu'à l'horizon 2017.La Banque centrale européenne a pris des décisions utiles mais M. Draghi reconnaît que la politique monétaire ne peut pas tout.

La question qui se pose à nous est celle du rythme approprié de la consolidation budgétaire. Nous avons ajusté la réduction du déficit au taux de croissance.

Nous avons retenu 4,4 % de déficit en 2014, 4,3 % en 2015 pour passer sous le seuil de 3 % en 2017.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Vous reportez toujours l'objectif !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Comme vous le savez, nous avons pris en compte les observations de la Commission européenne en réalisant 3,6 milliards d'économies supplémentaires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Sortis du chapeau.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Non, des informations nouvelles nous sont parvenues depuis le dépôt du projet de loi de finances, notamment sur l'évolution de la charge de la dette. La sincérité budgétaire imposait de les prendre en compte.

Nous en tiendrons compte par un amendement à l'article d'équilibre et par des mesures qui seront inscrites dans le projet de loi de finances rectificative, déposé le 12 novembre. Ces mesures, qui amélioreront le solde en 2015, ne doivent pas faire oublier l'importance des 21 milliards d'économies déjà prévues. Nous avons examiné celles relatives à la protection sociale dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dans ce projet de loi de finances, les ministères font des économies de 2 milliards en valeur. Au total, avec les opérateurs de l'État, ce seront 8 milliards d'économies par rapport à la baisse tendancielle des dépenses.

Les économies portent d'abord sur les charges de personnel. Elles reposent sur le maintien du gel du point d'indice, et la stabilité des effectifs, avec même une très légère diminution de 1 278 équivalent temps plein, et la réduction des enveloppes catégorielles. À cela s'ajoute la baisse des dépenses de fonctionnement de certaines dépenses d'investissement : mutualisation des fonctions support, maîtrise des dépenses immobilières de l'État et développement de l'administration numérique. Nous souhaitons préserver l'investissement dans les secteurs prioritaires. Par exemple, l'Afitf bénéficiera d'une fraction de TICPE ; le programme des investissements d'avenir se poursuit ; la nouvelle génération des contrats de plan État-région mobilisera 1,8 milliard d'euros.

Au titre des interventions, le Gouvernement souhaite mieux articuler les aides à l'agriculture et la PAC, rationaliser les dépenses en faveur de l'outre-mer, réformer les aides aux entreprises et stabiliser en valeur les concours à l'audiovisuel public. Les agences et opérateurs de l'État devront réaliser des économies de 1,9 milliard d'euros, grâce en particulier à une diminution de 1,1 milliard de leurs taxes affectées parce que certaines agences ont accumulé des excédents. Certains opérateurs - Cci, Agences de l'eau, CNDS ,etc - seront mis à contribution. Au total, 2 milliards d'euros d'économies en valeur par rapport au budget de 2014 - 1,2 milliard si l'on en tient pas compte de la contribution au budget de l'Union européenne, au lieu de 6 milliards de progression spontanée.

Quant aux dotations aux collectivités territoriales, elles seront réduites de 3,5 milliards d'euros après le passage à l'Assemblée nationale, contre 3,7 milliards prévus. Sur trois ans, 11 milliards d'économies seront réalisés. Les collectivités territoriales auraient souhaité un autre rythme.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Vous les mettez en difficulté ! Il ne fallait pas leur transférer de nouvelles charges !

M. Michel Vergoz.  - C'est vous qui les avez mises en difficulté ! (Protestations à droite)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Si la baisse était proportionnelle au poids des collectivités territoriales dans la dépense publique, il faudrait y ajouter un milliard d'euros. (Protestations à droite)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Il faut donc vous dire merci !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Je rappelle que les dotations représentent 28 % des budgets des collectivités territoriales - les régions dépendent davantage de l'État. L'effort représente 1,8 % de leurs dépenses de fonctionnement et 1,6 % de leurs recettes totales.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Et l'investissement !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Le traitement réservé aux collectivités n'est pas plus sévère que celui que s'applique l'Etat. Nous vous invitons à participer à la réforme de la DGF, jugée injuste et illisible. Personne n'a eu le courage de la faire auparavant.

Grâce à ces économies, nous finançons nos priorités : 700 millions de plus pour la transition énergétique, l'allègement d'impôt de 3,2 milliards d'euros pour les ménages modestes et moyens. En outre, le barème de l'impôt sur le revenu sera revalorisé comme l'an passé. Ainsi, un couple avec deux enfants gagnant 3 160 euros par mois verra son impôt passer de 744 euros en 2014 à zéro en 2015.

M. Éric Doligé.  - Après quelle augmentation subie avant ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Le déficit de 75,7 milliards d'euros en 2015, en diminution de 12,5 milliards d'euros, a été dégradé de 800 millions d'euros après le passage du texte à l'Assemblée nationale.

Ces dépenses supplémentaires seront compensées par de nouvelles recettes qu'il nous faudra inscrire ultérieurement pour des raisons de procédure. Par avance, je me réjouis des débats qui nous occuperont dans les jours, les nuits et les semaines à venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - J'ignore s'il est plus facile pour le Gouvernement de discuter avec un Sénat de droite, si la commission des finances est victime du syndrome de Stockholm ; je sais, en revanche, que le Sénat se réjouit de pouvoir discuter de la deuxième partie du budget pour la première fois depuis trois ans. Cela permettra d'exprimer quelques différences.

M. Vincent Capo-Canellas et Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Le Gouvernement peut se targuer d'une belle mise en scène devant la Commission de Bruxelles. Toutefois, la question des moyens se posera de nouveau dans quelques jours quand la Commission européenne délivrera son avis sur le budget de la France, et qui sera sûrement sévère.

Le Gouvernement a renoncé à tous ses engagements pris devant l'Europe : l'objectif de retour du déficit sous le seuil de 3 % est sans cesse repoussé, de même que l'effort structurel. De ce point de vue, ce budget marque une inflexion nette. En dépit d'une prévision de croissance de 1 % - optimiste selon le Haut conseil des finances publiques - le déficit de l'État reste identique à celui de 2013. C'est dire le peu d'efforts accomplis par rapport à un pays comme l'Espagne qui partait, en 2011, d'un déficit de 9 %...

Renoncement aux engagements européens, renoncement à la fiscalité écologique aussi. La montagne a accouché d'une souris. Le Gouvernement se montre incapable de revoir la fiscalité des ménages, considérablement alourdie en début de législature. Que d'errements ! Un exemple : la fiscalité immobilière avec la révision de la loi Alur et du dispositif Duflot à peine votés... Avec des conséquences sur la construction, le logement, l'emploi et la croissance... La commission des finances devra se pencher sur cette politique dépourvue de cap. Au lieu d'une grande réforme fiscale, passant par une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, ou un prélèvement à la source, nous assistons à du bricolage qui ajoute à la complexité actuelle du système. Autre exemple, l'écotaxe, devenue péage de transit, puis reportée sine die sur l'initiative personnelle de Mme Royal. (M. Alain Richard applaudit)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Cela va nous coûter cher !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Cette méthode entame la sincérité budgétaire. Résultat, la seule évolution tient à la baisse de la taxe sur le gazole - que les poids lourds en transit ne paieront pas puisqu'ils feront le plein à l'étranger. La recette est affectée pour un an seulement à l'Afitf. L'indemnisation d'Ecomouv n'est toujours pas budgétée.

M. Éric Doligé.  - Eh oui !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Un signal négatif de plus : cette instabilité fiscale décourage les investisseurs étrangers. (On le conteste sur les bancs socialistes) Si, si, des études le démontrent.

Où en sommes-nous ? Le premier temps a été celui du matraquage fiscal désordonné : le produit de l'impôt sur le revenu a augmenté de 35 % depuis 2011...

M. Henri de Raincourt.  - Oh la la !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - 2011, monsieur le rapporteur général !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - ... sans aucune réforme structurelle. Les Français savent très bien que l'engagement de stabilité fiscale pris par le président de la République ne sera pas tenu. Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale a résumé les choses ainsi : pas d'impôt supplémentaire en 2015, mais tout reste possible d'ici le 31 décembre 2014...

Dans ce budget, on note la hausse de la contribution audiovisuelle et de la taxe sur le gazole. Dans le projet de loi de finances rectificative, nous avons un florilège de dispositions : possibilité d'une taxe sur les résidences secondaires, entre autres. Sans compter que la baisse des dotations aux collectivités territoriales se traduira automatiquement par une hausse de la fiscalité locale. Les collectivités territoriales devront porter l'impopularité de cette politique.

Cette situation entame le moral des ménages et des entreprises, comme en témoigne la hausse du taux d'épargne, de 15,1 % en 2013 à 15,9 % en 2014. Les Français n'ont plus confiance, ils ont une conscience aiguë de la dette. L'État devra emprunter cette année 190 milliards d'euros sur les marchés.

Concernant les économies, la dépense de l'État est, en apparence, bien maîtrisée. Mais à quel prix ? Celui de petits arrangements : prélèvement sur les fonds de roulement des agences de l'État, missions insuffisamment dotées. Le Gouvernement parle d'optimisation, de rationalisation. La réalité est qu'il reporte l'indexation de prestations, ponctionne les opérateurs de l'État. Fusil à un coup ! Le Gouvernement se contente d'habiller une pénurie de moyens. Je ne doute pas, monsieur le ministre, de l'effort de simplification de l'administration ; cependant, il ne permet pas de documenter, à lui seul, les économies prévues. À preuve, une réserve de précaution de 8 % est inscrite dans ce budget.

Enfin, je souligne l'absence de réformes structurelles. (M. Michel Bouvard applaudit) La réserve des dépenses paraît utile mais aboutira-t-elle à des réductions ? Pour nous, 2 milliards manquent aux 21 milliards d'économies envisagées pour 2015.

La France, avec le troisième déficit d'Europe, sera en 2016 la lanterne rouge du continent, avec un déficit de 4,7 %. Les prévisions de la Commission européenne le montrent. Quand d'autres pays ont engagé des plans forts de maîtrise budgétaire, notre Gouvernement se limite à des économies d'une année sur l'autre et des manipulations budgétaires contestables. On le verra lors de la présentation de la mission « défense » qu'il importe d'autant plus de préserver que les menaces pour la stabilité internationale se multiplient, et que nous sommes engagés sur trois fronts. Nous constaterons le détournement de certains pans du programme d'investissements d'avenir, des manipulations budgétaires.

Le Gouvernement s'engage à un plan de 50 milliards d'économies, ni plus, ni moins ; il s'engage aussi à ne pas augmenter les impôts et à revenir à 3 % de déficit en 2017. Pour tenir ce pari, il faudrait un rebond de la croissance - on n'y croit guère, à entendre le Haut conseil des finances publiques ; ou alors, consentir à des économies structurelles. Quoi qu'il en soit, l'Europe ne croit pas au projet de la France ; pas plus que nos concitoyens. Le nouveau commissaire européen, Pierre Moscovici, notant qu'il n'y a pas de réponse simple et unique à la crise, demande de jouer sur trois leviers : la politique budgétaire, des économies structurelles et l'investissement public et privé. Il n'y a rien dans ce budget qui aille en ce sens. La crédibilité budgétaire n'y est pas ; aucune réforme structurelle n'est engagée. L'investissement privé baissera encore en 2015 et il faudra s'interroger sur les effets du CICE. La baisse des dotations aux collectivités territoriales pèsera sur l'investissement public.

Il faut revoir le périmètre d'intervention de l'État, assouplir le marché du travail, réformer notre système scolaire et la formation professionnelle, revoir la politique du logement. Bref, faire des réformes structurelles.

M. Claude Raynal.  - Que vous n'avez jamais faites !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Ce débat sera, pour la majorité sénatoriale, l'occasion de les exposer et de proposer des économies nouvelles. Nous défendrons des mesures en faveur des familles et des PME. S'agissant des collectivités locales, nous ne sommes pas opposés à une diminution de leur concours mais à condition de tenir compte des charges qui leur sont imposées.

Nous nous engageons dans cette discussion avec le souci de tenir un vrai débat après trois années de frustration. J'espère que le Sénat pourra ainsi affirmer sa spécificité et participer au redressement de nos finances publiques. La commission des finances vous invite à adopter le budget pour 2015 (sourires), tel qu'elle l'a modifié. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances .  - Voici venu le premier des vingt jours que la Constitution attribue au Sénat pour l'examen du budget. J'espère que, cette année, nous irons au bout.

M. Philippe Dallier.  - Tout va bien se passer !

Mme Michèle André, présidente de la commission.  - Si nous appartenons à une zone monétaire, la monnaie commune ne s'accompagne pas d'une politique budgétaire commune. Cependant notre trajectoire budgétaire est soumise pour avis à la Commission européenne.

Le Gouvernement a annoncé 3,6 milliards d'économies nouvelles : je me réjouis que M. le ministre se soit engagé à les faire inscrire dans le texte lors de son examen au Sénat.

Depuis l'an dernier, un article liminaire fait le lien avec nos engagements européens. Cette année, le Gouvernement a choisi d'adapter le rythme de réduction des déficits à la conjoncture, car toute politique doit avoir pour but d'améliorer la condition de vie des Français par la création de richesses et la diminution du chômage.

Plusieurs mesures - CICE, baisse des charges dans le pacte de responsabilité et de solidarité, suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés - soutiennent la création d'emplois marchands. Le Gouvernement agit aussi pour ceux qui sont éloignés de l'emploi avec les contrats aidés, le développement du service civique, la réforme de la prime pour l'emploi, les mesures en faveur de l'apprentissage.

Depuis 2012, le président de la République défend une politique de relance en Europe. Chacun y va de ses idées pour donner corps au plan d'investissement de 300 milliards d'euros de M. Juncker. Attention à ne pas s'arrêter aux annonces. Je m'inquiète d'échos faisant état de 30 milliards d'euros de crédits européens sachant qu'on escompterait un effet de levier de 1 à 10...

Le Commissariat général à l'investissement évalue désormais l'efficacité socio-économique des grands projets d'investissements. La puissance publique doit soutenir les investisseurs privés, parfois frileux : c'est le sens de l'action de la Banque publique d'investissement (BPI).

Ce projet de loi tient le cap de la réduction des dépenses : celles des ministères passent de 204,3 milliards d'euros à 203,5 milliards. De même, les créations de postes dans les domaines prioritaires sont compensées par des diminutions ailleurs. Les dépenses de l'État stricto sensu baissent. L'État prend donc toute sa part de l'effort collectif, et le choix de répartir cet effort en fonction du poids de chaque catégorie d'autorités publiques dans la dépense totale est équitable.

La baisse de 3,2 milliards de l'impôt sur le revenu concernera 6,1 millions de foyers fiscaux ; un million d'entre eux ne seront plus imposables. J'entends dire qu'il ne serait pas possible de réformer en période de consolidation budgétaire ; ce projet de loi de finances prouve le contraire. Outre le CICE et le pacte de responsabilité et de solidarité, des mesures sont prises pour mieux attirer les investisseurs internationaux, y compris, bientôt, une charte de non-rétroactivité fiscale.

Évoquons aussi le vaste chantier de la simplification et de la dématérialisation des actes administratifs : mesures parfois techniques, qui dissimulent une profonde transformation de notre paysage administratif.

Le logement est une priorité absolue. Le Gouvernement en tire les conséquences avec un plan de réforme de la construction.

M. Philippe Dallier.  - Nous en reparlerons

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances.  - De nombreux articles de ce texte y sont construits avec des crédits supplémentaires pour la rénovation et l'accession sociale à la propriété. Quant aux transports, le maintien du budget de l'Afitf permettra de financer la troisième génération de contrat de plan État-région. La réforme ferroviaire aidera au retour à l'équilibre financier ce qui diminue le risque d'un appel à la garantie de l'État.

Toujours pour préparer l'avenir, ce projet de loi de finances dégage des moyens en faveur de la jeunesse, de l'enseignement, de la recherche. L'école est le premier budget, qui augmente de 2 %. Les postes annoncés seront créés, dont la moitié dans le premier degré. Mille postes sont créés dans l'Université. L'accompagnement des élèves handicapés se professionnalise et voit ses effectifs renforcés. La réforme des bourses dans l'enseignement supérieur permettra à 77 500 étudiants de recevoir une aide de 1 000 euros en plus de l'exonération des frais de scolarité.

Le Gouvernement fait des choix, avance concrètement pour mettre en oeuvre ses priorités. Malgré le bon climat qui règne à la commission des finances, je m'opposerai aux amendements de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et quelques bancs au centre)

M. le président.  - La présidence veillera tout particulièrement, au cours de ce débat, au respect des temps de parole.

M. Vincent Delahaye .  - J'ai comme une impression de déjà-vu. Arrêt sur image : notre déficit en 2015 s'élèvera au même montant qu'en 2014, presque au même qu'en 2013.

Notre croissance stagne. La prudence voudrait que l'on retranche 0,5 point à la croissance prévisible. Les recettes, une nouvelle fois, sont surévaluées. Comment la TVA progresserait-elle de 5 milliards d'euros ? Vos efforts pour enrayer le déficit déçoivent. Où sont les réformes structurelles ? Sauf à dire que le choc de simplification a déjà produit 2,1 milliards d'euros, chiffre invérifiable.

Vous cherchez à épater la galerie, parlant d'1,8 milliard d'économies sur les ministères quand une bonne part ne sont des économies que par rapport à la hausse tendancielle. Vous annoncez 1,4 milliard d'économies sur des dépenses de personnel qui augmentent, en réalité, de 100 millions d'euros. Comment les Français peuvent-ils comprendre ce tour de passe-passe ?

Affichage encore, quand vous vous gargarisez de la baisse du déficit structurel, oubliant le déficit effectif... La théorie de la correction par les effets du cycle économique est inadaptée. Vous continuez de vendre du virtuel !

Affichage, quand vous accusez de mauvaise gestion les collectivités territoriales pour les ponctionner de 3,7 milliards. De vrais euros, ceux-là. L'État reporte sur les collectivités territoriales le sale boulot des hausses d'impôts.

Les Français ne sont plus dupes. En 2012, le Premier ministre Ayrault jurait que seuls les riches paieraient. Puis on parle de « remise à plat fiscale ». Puis ce fut la prétendue « pause » et le « grand soir fiscal ». On ne vit rien venir. Cette année encore, la redevance audiovisuelle, la taxe sur le gazole, les cotisations retraite augmenteront. Soit vos chiffres sur les recettes de l'impôt sur le revenu sont faux - 600 millions de plus pour 2015 - soit le président de la République ment. C'est un peu des deux. Il faut entendre « plus » au sens de « davantage » dans la phrase « plus d'impôts pour tout le monde en 2015 » !

M. Éric Doligé.  - Bravo !

M. Vincent Delahaye.  - Vous trompez les Français lorsque vous faites semblant de trouver 3,6 milliards sous le tapis. Vous trompez les entreprises lorsque vous leur annoncez 20 milliards de crédits d'impôt après avoir augmenté leurs prélèvements de 30 à 40 milliards d'euros. Vous trompez les Français lorsque vous faites passer trois quarts de l'effort de réduction des effectifs dans la fonction publique sur l'armée, sous prétexte qu'elle est la grande muette.

Mme Nathalie Goulet.  - Pas pour longtemps !

M. Vincent Delahaye.  - La prochaine génération héritera d'une France abaissée, surendettée, où l'investissement aura été sacrifié. Nous courons vers une dette de 100 % du PIB, qui nous mettra en danger à la première remontée des taux. S'il vous plaît, engagez de vraies réformes structurelles ! Arrêtez les usines à gaz comme le CICE. Augmentez la TVA pour peser sur les importations ! Faites enfin preuve de sincérité budgétaire !

M. le président.  - Concluez !

M. Vincent Delahaye.  - Raymond Aron, dont j'ai toujours admiré la sincérité, disait : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux ! ». Reprenons en mains notre destin ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. André Gattolin .  - Ce projet de loi ne comporte pas de mesure phare. La suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu n'est qu'une nouvelle mouture d'une disposition censurée. Il faut reconnaître au Gouvernement le mérite d'une ligne politique claire et cohérente : augmenter les marges des entreprises et tenter de réduire le déficit pour réduire les dépenses publiques. Celle-ci a des conséquences inquiétantes pour les prestations sociales et l'indemnisation des chômeurs, et aussi pour l'économie elle-même puisque la croissance est principalement tirée par l'investissement public. Malgré le CICE, l'investissement privé est en recul et vous imposez une cure d'austérité aux collectivités territoriales, le premier investisseur de France. Les effets récessifs de cette politique nous éloignent de nos objectifs d'équilibre budgétaire. Pour donner des gages à Bruxelles, le Gouvernement promet de libéraliser le marché du travail, fragilisant encore plus les salariés, alors que l'endémisme du chômage les met déjà dans un rapport de force extrêmement défavorable avec les employeurs.

Tous ces sacrifices servent à financer le pacte dit de responsabilité et de solidarité. En effet, si l'on additionne les 41 milliards attribués aux entreprises et les 5 milliards consentis aux ménages en compensation, on n'est plus très loin des fameux 50 milliards d'économies que le Gouvernement impose à nos finances publiques.

Le CICE, la baisse des charges devaient créer des millions d'emplois. Aujourd'hui, on nous explique que la relation de cause à effet n'est pas si simple. Et pour cause, une entreprise n'embauche que si elle a un carnet de commandes rempli. Belle découverte que M. Gattaz reconnaît enfin. Des secteurs non délocalisables comme la grande distribution bénéficient d'un effet d'aubaine. J'attends encore une ventilation de ces mesures par secteur.

L'Allemagne elle-même voit sa situation se dégrader. La stratégie suivie fait l'impasse sur la compétitivité hors coût.

Prenons enfin conscience de notre solidarité, avec les peuples européens et avec l'ensemble des peuples : Lampedusa, Calais, l'épidémie d'Ébola nous rappellent que nous ne saurions avoir une prospérité isolée de la misère du monde. Nous ne sortirons pas de la crise avec une compétition sociale avec l'Allemagne ou une compétition fiscale avec le Luxembourg. Les propos du Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel, expliquant, en plein scandale LuxLeaks, qu'il s'opposera à toute harmonisation fiscale au sein de l'Europe et demandant aux services fiscaux des pays voisins d'arrêter la « chasse aux sorcières » à propos des travailleurs frontaliers, sont scandaleux.

L'économie politique doit être respectueuse de l'environnement. Certes, le processus est amorcé, avec la contribution climat-énergie et le projet de loi de transition énergétique. Mais notre retard reste considérable... Le budget de l'écologie recule une nouvelle fois. La taxe poids lourds est enterrée, le dédit coûtera des milliards.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Non financés !

M. André Gattolin.  - Les activités écologistes sont partout plus intensives en emploi et dégageraient des économies considérables. L'importation de sources d'énergie fossiles représente 70 milliards d'euros par an, pour un coût sanitaire évalué à 20-30 milliards.

M. le président.  - Concluez !

M. André Gattolin.  - À court terme, on pourrait réaliser des milliards d'économies en supprimant la composante aérienne de la dimension nucléaire et la déductibilité bancaire au fonds de régulation européen. Le groupe écologiste ne pourra pas voter ce budget.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Même amendé ?

M. Thierry Foucaud .  - Le projet de loi est au milieu du gué. Réformes de la fiscalité et des politiques publiques sont remises à plus tard. Bruxelles demande encore à la France de faire plus d'économies. À force de vouloir complaire à Mme Merkel et à ses électeurs démocrates-chrétiens, les pays européens se sont enfoncés dans des politiques d'austérité contre-productives.

Près de 34 milliards d'euros d'exonérations sociales ; 10 milliards de CICE ; près de 18 milliards de baisses d'impôt sur les sociétés ; près d'un milliard de niches sur l'impôt sur la fortune... D'autres pertes de recettes considérables résultent de « modalités de calcul de l'impôt », comme on dit en langue technocratique. Abattement sur les dividendes : 1,8 milliard de perdu pour l'État et les collectivités territoriales. La taxation à taux zéro des plus-values de cession de participation : 4,3 milliards d'euros en moins. Le régime des sociétés mères et filiales : 24 milliards évaporés. Le régime d'intégration des groupes : 16,4 milliards. Le remboursement de la TVA : 48,5 milliards. Les exemples pourraient être multipliés... Qu'on se le dise : la France est un paradis fiscal pour les entreprises !

En même temps, les retraités modestes paieront plus de CSG... Décidément, le Gouvernement Valls « aime les entreprises » ! Cette passion existe bien.

M. Jean Germain.  - La passion est l'ennemi de l'amour !

M. Thierry Foucaud.  - L'objectif principal est de réduire le déficit et la dette. Depuis 2002, notre dette a doublé. Dans la comédie de Christian-Jaque, François 1er, on voyait comment le personnage joué par Fernandel inventait la dette perpétuelle !

Parler de la dette comme on le fait aujourd'hui, c'est de l'enfumage idéologique. On oublie de rappeler que face à ce passif, il y a un actif. À la grande époque gaullo-pompidoulienne, de plein-emploi et d'ordre moral, la France émettait des bons du Trésor pour s'équiper.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Thierry Foucaud.  - Les équipements sont bien là. Tant que la croissance stagnera, nous n'aurons aucune chance de rembourser cette dette. L'endettement, ce sont les multiples cadeaux fiscaux consentis aux entreprises. Avec une population prolétarisée, il n'y a pas de « concurrence libre et non faussée » qui vaille.

Monsieur le ministre, de l'audace, enfin ! Tournez le dos aux augures de l'austérité et de la rigueur ! Il y va de la France et de l'Europe que d'abandonner enfin ces visions budgétaires et économiques étriquées. Sinon, outre le fait que l'idée même de l'Europe deviendra insupportable à beaucoup de gens, c'est la France elle-même qui se mettra en danger. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yvon Collin .  - Je me réjouis que nous puissions examiner cette année le budget jusqu'à son terme.

La croissance est très faible. Vous retenez le chiffre, optimiste, de 1 %, monsieur le ministre. La déflation qui guette mène tout droit à la récession. Je veux cependant rester optimiste : la BCE a pris des mesures positives, et je veux croire aux effets de la politique menée depuis deux ans par le Gouvernement. Les résultats se font attendre, mais le CICE, malgré quelques imperfections, a été bien accueilli par les entreprises.

Chacun reconnaît que la dette freine le retour à une croissance durable. En 2015, 21 milliards d'euros d'économies seront réalisés, le solde étant ainsi ramené à 4,3 %. Nous avons fait le deuil des 3 %... Vous avez cependant donné les gages nécessaires à la Commission européenne, monsieur le ministre.

Le déficit a été réduit de moitié depuis 2010. La commission des finances veut aller encore plus loin, au risque d'handicaper la reprise. Rendons hommage au doigté de M. le ministre.

Les mesures prévues en faveur du logement sont bienvenues : la construction est essentielle à la croissance. Nous proposerons des amendements pour aller encore plus loin. Attention cependant aux efforts demandés aux collectivités territoriales, qui jouent un rôle majeur dans la construction. Avec d'autres, nous demanderons à desserrer l'étau des 3,7 milliards qui leur sont demandés. Les chambres de commerce et d'industrie et les chambres d'agriculture sont durement ponctionnées, ce qui met en péril le maintien des emplois et le soutien aux entreprises.

Le RDSE, comme toujours, prendra ses responsabilités au cours de ce débat.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances.  - La commission des finances se réunira à 14 h 45 pour étudier la motion tendant à opposer la question préalable.

La séance est suspendue à midi cinquante-cinq.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.