Débat sur l'influence de la France

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'influence de la France à l'étranger, à la demande du groupe UMP.

Mme Jacky Deromedi, au nom du groupe UMP .  - Avant toute chose, je vous prie d'excuser M. Frassa, qui ne peut être parmi nous.

Ce débat est l'occasion, pour les sénateurs représentant les Français de l'étranger, de s'exprimer : nos compatriotes expatriés ne sont-ils pas les premiers acteurs de l'influence française ? Cette année, nous fêtons le cinquantième anniversaire de l'indépendance de Singapour. La France s'y est associée lors d'une manifestation qui a réuni un millier de personnes et je vous remercie, monsieur Fabius, d'avoir enregistré un message vidéo très apprécié. Je veux saluer la mémoire de Lee Kuan Yew, Premier ministre de la République de Singapour de 1959 à 1990, ensuite ministre mentor jusqu'à sa récente disparition. Il a supervisé l'indépendance de cette Cité-État dont il a fait l'une des économies les plus florissantes au monde. Races et religions y vivent en parfaite harmonie. Singapour est un exemple de nationalisme, où le respect du drapeau, des aînés et des valeurs pourrait nous servir de modèle.

M. Gérard Longuet.  - C'est bien vrai.

Mme Jacky Deromedi, au nom du groupe UMP.  - On peut arriver dans un pays pour y vendre des produits, puis en repartir. Avoir de l'influence, c'est arriver avec une valise pleine d'idées et laisser la valise sur place. N'en déplaise aux prophètes de malheur qui se livre au french bashing, la France reste influente et capable de peser dans le monde, de participer au combat contre l'extrémisme et la barbarie qui viennent encore de frapper en Tunisie -nous pensons avec émotion aux victimes des attentats.

Notre armée a montré sa valeur. Il est dommage que le pacte de stabilité européen ne tienne pas compte de nos dépenses militaires. Où en sont les discussions avec nos partenaires, monsieur le ministre ? La France ne peut être la seule en Europe à soutenir cet effort.

La francophonie et l'AEFE sont des outils de notre rayonnement. Notre réseau s'est modernisé avec un taux d'autofinancement qui est passé de 62 % en 2011 à 66,6 % en 2013, et des cofinancements qui ont augmenté de 187 millions en 2012 à 205 millions en 2013. Je regrette toutefois que nous ayons abandonné l'expérience visant à faire de l'Institut français un véritable British Council ou Goethe Institut. Cela coûtait trop cher, preuve qu'en matière de culture aussi, l'argent est le nerf de la guerre.

Ubifrance et l'Afti ont été regroupées pour former Business France. On craint pour ses moyens, comme pour les nominations des conseillers du commerce extérieur. Trop de candidatures masculines de l'étranger sont refoulées car on exige un quota de 20 % de femmes, chiffre qui peut paraître raisonnable mais est difficile à atteindre à l'étranger où peu de femmes occupent des postes de direction de grands groupes. Ce quota, outre ce qu'il a de dévalorisant pour les femmes, peut empêcher la nomination d'hommes bénévoles qui occupent des postes de direction dans des grands groupes et veulent agir pour améliorer le commerce extérieur de la France. L'autre effet induit par ce refus de nouvelles candidatures masculines est la diminution constante du nombre de conseillers du commerce extérieur dans le monde, puisque les sortants ne sont pas remplacés à nombre au moins égal.

Notre réseau consulaire se transforme avec des postes de présence diplomatique, un allégement des missions de consulat général, des brigades volantes en cas de pic. Je peux vous assurer que, contrairement à ce que disent les publicitaires quand ils vantent des produits alimentaires « allégés », les Français n'apprécient guère ce terme d'allégement. Ils préféreront des postes de proximité et un véritable consulat en ligne. Vous avez bien fait d'organiser une concertation.

Monsieur le ministre, vous avez développé la gastro-diplomatie à raison : « Donnez-moi de bons cuisiniers », disait Talleyrand, « je me charge du reste ». Notre réseau a fêté avec éclat partout la journée du goût. La France peut s'enorgueillir d'être le pays des plaisirs de la table et de l'élégance. De ces valeurs-là, d'optimisme, de travail, d'engagement et d'excellence, les deux millions de Français de l'étranger sont les ambassadeurs dans le monde. C'est là aussi que réside la vraie influence française, celle que personne ne nous conteste. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Dans notre monde désormais multipolaire, l'emploi de la force n'est plus un gage de réussite. Concernant la Syrie, on pourrait croire que nous tenons toujours mandat de la SDN. Trop longtemps, nous avons voulu croire à une transition spontanée. Lakhdar Brahimi, l'auteur du fameux rapport onusien sur les missions de maintien de la paix, me disait : « Vous la France, vous avez mis beaucoup d'années à atteindre la démocratie. Laissez au monde arabe le temps de la découvrir ».

On sait maintenant qu'Oussama ben Laden avait une vision construite et réfléchie du djihadisme comme idéologie. Celle-ci fleurit sur un terreau économique et social. Nous n'avons pas voulu le voir. Le massacre des Coptes prouve que la Libye bascule dans cette idéologie. C'est grave : elle était l'un de nos principaux fournisseurs de pétrole en 2011 et elle boquait l'émigration vers l'Europe. Ce pays représente désormais une bombe à retardement migratoire, d'autant que l'Union européenne consacre bien peu à la jugulation des flux migratoires. Il est temps de changer de politique. Prenons la Syrie : Bachar el Assad est un assassin, sauf que les chrétiens peuvent vivre dans le pays. Quand 90 % des chrétiens d'Irak ont disparu, ce n'est pas simple, je le sais, mais je ne suis pas certain que la réponse que vous donnez actuellement, monsieur le ministre, soit la bonne.

Dans cette zone, les forces de recomposition sont à l'oeuvre : l'Iran, c'est le Hezbollah, la Syrie et l'axe avec la Russie ; il y a en face le Qatar et les Émirats arabes unis. Comment trancher ? La diplomatie est chose bien délicate....

Je mets sans hésiter au crédit de la diplomatie française les accords de Minsk améliorés. Avec l'Allemagne, nous avons réussi à entraîner l'Union européenne. Les Américains en semblent heureux. (M. le ministre en doute) Cependant, rien n'est terminé : que fera la Russie, ce grand pays à côté de nous ? Depuis janvier 2014, aucun contact n'a été établi entre la Russie et l'Europe. François Hollande a bien fait de rencontrer M. Poutine, ce que n'ont jugé bon de faire ni M. Juncker ni M. Tusk

Nous n'ignorons pas que les sanctions ont des conséquences négatives sur l'économie européenne : 0,2 % du PIB, soit ce qui est attendu du plan Juncker. (Applaudissements au centre)

Mme la présidente.  - Je rappelle que la Conférence des présidents a raccourci les temps de parole. Évitons les dérapages.

M. Louis Duvernois .  - Ce débat est l'occasion d'honorer nos trois millions d'expatriés, souvent méconnus, un atout pour notre influence avec la francophonie. L'expatriation des Français est ancienne. Jadis, sociétés de géographie et missions religieuses étaient les fers de lance de notre pays à l'étranger. L'enjeu est aujourd'hui d'adapter notre travail d'influence à la mondialisation et à la concurrence.

Bruno Retailleau a raison de dire qu'« on ne peut pas se polariser uniquement sur l'économie », il faut peser sur la circulation des idées. Je veux rappeler les avancées de la loi du 27 juillet 2010, dont j'étais le rapporteur pour avis de la commission de la culture. Cette loi, issue de mon rapport de 2004, a créé l'Institut français, un nom dont j'étais l'ardent défenseur, ainsi que Campus France et France expertise internationale.

Cela étant, notre communauté d'expatriés, avec 1,7 million d'inscrits sur les listes consulaires, est un autre vecteur d'influence. Elle a crû de 35 % en dix ans. N'en déplaise à l'ancien ministre Montebourg, cette hausse dément l'image d'une France passéiste, adepte de la « démondialisation ». Il importe de renforcer les liens avec cette « communauté d'outre-mer » comme le disait M. Cointat. Certes, il faut des données chiffrées pour cerner cette France dynamique à des kilomètres de nous. L'Insee et les consulats devraient y travailler. Cessons d'agiter l'image de l'exilé fiscal, il ne représente que 1 % de l'ensemble. De plus en plus, de jeunes diplômés tentent leur aventure à l'étranger, où pourtant il n'existe pas de CDI et où les droits sociaux sont moindres. Cependant, relativisons : les Espagnols partent en plus grand nombre. Ce mouvement, loin d'être négatif, est inéluctable à l'heure d'internet. C'est ce que montre Luc Chatel dans son rapport pour l'Assemblée nationale intitulé L'exil des forces vives de la France.

Ces personnes, qui pratiquent le plurilinguisme, sont un atout pour la France. En ces temps de terrorisme, ils incarnent les valeurs de la République parfois à leurs risques et périls.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont .  - Il est une maladie bien française : la France serait menacée de déclin. Malgré les Cassandre, elle reste la cinquième puissance économique mondiale, la sixième puissance militaire, des millions de personnes parlent notre langue. Les gloires du passé sont un mirage séduisant mais dangereux. L'histoire de la France n'est pas seulement à célébrer, elle est à construire au quotidien.

Oui, la France a un rôle à jouer au XXIe siècle. C'est le sens de la diplomatie menée par François Hollande. Il y a fort à faire. Faut-il rappeler l'amateurisme de la précédente présidence, l'échec de l'Union pour la Méditerranée, la désastreuse gestion des crises européennes et du printemps arabe, la maladresse insigne de proposer l'expertise de notre police contre le peuple tunisien ?

En décembre 2011, un collectif de diplomates déplorait que la Chine nous dompte et que les États-Unis nous ignorent.

M. Roger Karoutchi.  - C'est caricatural !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - Comment comprendre que la France envoie des soldats en Libye après avoir installé la tente de Kadhafi en plein Paris ?

M. Roger Karoutchi.  - Il faut oser !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.  - Que l'on traite Bachar el Assad en assassin après l'avoir invité dans la tribune officielle du 14 Juillet ?

Les choses ont changé. Nos troupes sont intervenues au Mali et en Centrafrique à la demande des autorités de ces pays. La France a également évité l'escalade en Ukraine. Seul le soutien à la démocratie et aux droits de l'homme sont gages de stabilité. S'il ne faut ignorer aucun interlocuteur, ne négligeons pas le dialogue avec les sociétés.

Le groupe socialiste apporte son total soutien à la diplomatie du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE ; exclamations ironiques à droite)

Mme Leila Aïchi .  - Mes premières pensées vont aux victimes de l'accident aérien d'hier.

Pour les écologistes, il faut éviter d'envisager la diplomatie sous le seul spectre sécuritaire. Elle doit être multipartite et multisectorielle. On le sait : désormais, tout est lié, tout est connecté. Dans un monde interdépendant, où le dérèglement climatique progresse, nous ne pouvons plus nous en tenir à la défense de la souveraineté et des intérêts de la Nation.

La France devra réussir la COP 21 mais aussi inscrire sa diplomatie environnementale au quotidien. M. Hulot a jeté un éclairage inédit sur la guerre en Syrie, qui trouve son origine dans la désertification qui a poussé 1,5 million de personnes à se déplacer du nord au sud-est du pays. Stress hydrique, nourricier, environnemental, voilà les causes des futurs conflits.

Monsieur le ministre, nous saluons votre implication dans la préparation de la COP 21. Mais quid du Fonds vert ? Et du redéploiement de notre réseau vers l'Asie, les pays émergents, sans oublier l'Afrique, pour relancer notre diplomatie économique ? Je vous alertais lors de l'examen du budget. Les visites ministérielles sont à multiplier, elles promeuvent le savoir-faire des PME françaises.

Enfin, ne faisons pas l'impasse sur la francophonie. Les projections font état de 750 millions de locuteurs demain. C'est un formidable vivier.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international.  - Très bien !

M. Michel Billout .  - L'influence de la France à l'étranger... Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle. Le groupe UMP nous invite à ce débat quand beaucoup parlent de déclin. De quoi parlons-nous ? De notre poids sur les décisions internationales ? De notre réseau ? En ce temps restreint, je me limiterai à quelques observations.

Vous avez assigné, monsieur le ministre, à notre diplomatie l'ambition du redressement et du rayonnement de la France. On peut y voir une critique de la politique étrangère menée sous la précédente majorité... Hélas, les moyens manquent : 450 postes supprimés entre 2015 et 2017, dont 220 dès cette année. Certes, notre réseau est encore le troisième au monde mais à ce rythme, il ne le restera pas longtemps. Nos contributions aux organisations internationales et aux opérations extérieures sont elles aussi en baisse, de même que le budget de l'aide publique au développement, pour la cinquième année consécutive : nous ne sommes que le cinquième bailleur mondial. Les efforts modestes que nous consacrons au développement ne sont pas seulement une affaire de moyens. Ils révèlent une marque de solidarité.

Je relève toutefois avec satisfaction que notre diplomatie économique prospère et que le tourisme a été rattaché au ministère des affaires étrangères.

Le groupe CRC reconnaît tout votre talent. Cependant, dans ce domaine comme dans d'autres, il regrette que les moyens ne soient pas à la hauteur des ambitions. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Robert Hue .  - Le 11 janvier dernier, la France, dans une situation dramatique, a été le centre du monde. Des dirigeants de tous les pays ont participé à la marche républicaine pour les victimes de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes. Je sais, monsieur le ministre, la part que vous y avez pris. Si tant de chefs d'État ont tenu à venir défiler avec les Parisiens, c'est que la France reste le pays de la liberté, c'est qu'elle a tissé des liens privilégiés sur tous les continents, c'est que l'on reconnaît l'exigence démocratique qu'elle s'impose à elle-même.

Quand de nombreux déclinologues voient partout la rétrogradation de la France, n'oublions pas qu'elle reste la sixième puissance mondiale. À elle de se donner les moyens de ses ambitions pour peser aux côtés de pays en croissance -leur demande est légitime.

COP 21, opérations au Mali, en Centrafrique, accords de Minsk I et II, la France joue son rôle. Le groupe RDSE approuve ces engagements, nécessaires pour des raisons humanitaires. Mais l'éradication de la pauvreté est le seul garant de la paix. Pourquoi avons-nous relâché nos efforts sur l'objectif de 0,8 % du PIB consacré à l'aide publique ?

Au-delà de son montant, je me réjouis que priorité soit donnée à l'Afrique, conformément à la décision prise le 31 juillet 2013. On connaît mon afro-optimisme, mon tropisme africain. La France a les moyens d'encourager un pôle Europe-Afrique.

L'essor démographique et la pression migratoire qui en découle font que notre avenir est lié à celui de l'autre continent qui borde la Méditerranée. Commençons par renforcer le poids de la France et de la francophonie en Afrique. Je sais, monsieur le Ministre, que vous partagez cette orientation : faire de l'Afrique une chance pour l'Europe.

J'ajouterai enfin que l'impulsion que vous donnez à notre diplomatie économique est un élément majeur de l'influence de la France. (Applaudissement sur plusieurs bancs).

M. Laurent Fabius, ministre.  - Merci.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Sans autodénigrement ni optimisme béat, comment apprécier l'influence de la France à l'étranger ? Les indicateurs sont multiples, autant que les acteurs. Nous ne saurions aujourd'hui nous fonder seulement sur notre remarquable réseau diplomatique et consulaire. Il faut nous appuyer sur la société civile, sur les millions de Français et de francophiles à l'étranger.

De plus en plus de jeunes, d'entrepreneurs, de binationaux et de seniors gonflent le volume de notre diaspora, souvent dans un relatif isolement. De nombreux réseaux restent à créer.

Les Français de l'étranger se sentent citoyens du monde, tant mieux. Mais ils conservent un lien fort avec leurs racines ; plusieurs mesures pourraient être prises, journée de défense à l'étranger, réserve citoyenne, participation à l'enseignement du français.

La francophonie est un levier fondamental, y compris pour notre diplomatie économique, car le français est la troisième langue des affaires. Aidions les pays pauvres à mieux l'enseigner.

La clé de voûte de notre influence, c'est la défense de nos valeurs. Je suis frappée par le décalage entre la morosité des Français et l'image positive que la France conserve à l'étranger. En Afrique, au Moyen-Orient, notre diplomatie est attendue.

Nous ne pouvons laisser Daech déstabiliser la région, exterminer les minorités, attiser le terrorisme mondial. Lors d'une réunion ce matin consacrée aux chrétiens d'Orient, vous avez fait preuve, monsieur le ministre, d'écoute et de détermination, je vous en remercie. En juillet, avec des dizaines de parlementaires, j'ai écrit au président de la République pour lui demander de saisir la Cour pénale internationale : sur ce dossier aussi il faut accélérer.

La France doit faire valoir une approche singulière, sa diplomatie doit concilier défense des valeurs universelles et dialogue avec des États tels que la Russie, l'Iran, mais aussi la Syrie. Alors que la France préside pour quelques jours encore le Conseil de sécurité, elle ne doit pas décevoir ceux qui attendent d'elle qu'elle soit la voix de ces millions de gens qui vivent dans la peur de la barbarie. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre.  - Merci.

Mme Bariza Khiari .  - Après le projet de loi sur le code du tourisme, je fus rapporteure du projet de loi qui a créé Atout France. Son directeur, Christian Mattéi, a mené à bien la fusion, par laquelle la France s'est alignée sur les standards internationaux.

La compétence tourisme a été rattachée pour la première fois au ministère des affaires étrangères : tutelle prestigieuse qui envoie un signal fort et positif. Ne pensons pas que la beauté et l'attractivité de notre pays nous dispensent de tout effort ! Première destination mondiale, la France n'est que troisième en termes de recettes. L'ouverture dominicale des commerces dans les zones touristiques internationales va dans le bon sens.

Pour atteindre l'objectif de 100 millions de touristes par an, il faut attirer des visiteurs venus de nouveaux pays, mais aussi allonger les séjours. La France est la patrie universelle des Lumières, elle reste une référence dans le monde ; plus prosaïquement, il faut améliorer l'accueil des touristes pour que revenus chez eux, ils deviennent prescripteurs. L'achèvement du projet Charles de Gaulle Express est indispensable pour développer les courts séjours et le tourisme d'affaires.

Votre politique de visas en 48 heures en direction des tourismes chinois, monsieur le ministre, est un grand succès ; sera-t-elle étendue ?

L'opération « Goût de France », qui célèbre le repas gastronomique français, inscrit par l'Unesco au patrimoine immatériel, a illustré notre créativité gastronomique et suscité l'engouement. Cela vaut mieux que n'importe quelle campagne de publicité ! L'opération sera-t-elle reconduite ?

Envisagez-vous d'encourager le développement des croisières ? Jacques Maillot, professionnel reconnu du tourisme, a été chargé d'y réfléchir.

J'aurais voulu poursuivre mais je crains que l'indulgence de Mme la présidente, n'ait ses limites... (Sourires ; applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bernard Fournier .  - Une fois n'est pas coutume, je félicite le président de la République et le Quai d'Orsay pour leur activisme en matière de politique étrangère, dans la droite ligne de leurs prédécesseurs. Vous savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, combien la parole de la France est attendue et écoutée sur la scène internationale. Depuis 2012, nos forces armées ont été engagées sur quatre théâtres d'opérations. Notre diplomatie a pris de fortes initiatives pour mettre fin à la crise en Ukraine. Face au désengagement des États-Unis, de l'inertie de l'Europe, cela mérite d'être salué. Cela ne veut pas dire que je suis d'accord avec toutes les décisions prises, loin s'en faut...

Sans déclinisme, il nous faut apprécier l'évolution de notre influence de façon réaliste. La stagnation de notre économie depuis les années 1970, notre décrochage par rapport à l'Allemagne nuit à notre influence en Europe et dans le monde. Nous comptons deux fois moins d'entreprises exportatrices que l'Italie, trois fois moins que l'Allemagne. Nos grandes entreprises se font racheter et sont de moins en moins françaises : Alstom, Club Med, Pechiney... Dans le même temps, les pays émergents progressent fortement. La France est devenue une puissance moyenne parmi d'autres.

En Afrique, l'influence chinoise s'accroît, la nôtre décline : il suffit de voir les chiffres des investissements. La paralysie de l'ONU, le retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan contribuent aussi à ce déclin. Il faut à tout prix préserver le budget de la défense si nous voulons continuer à peser, dans une Europe qui fait preuve de naïveté.

Malgré notre activisme et notre bonne volonté, notre influence recule. (Applaudissements)

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Les influences indiscernables sont les plus puissantes. Prenons l'exemple de l'Uruguay, où je me suis rendue récemment. L'influence de la France passe d'abord par la mémoire de la loi de 1905 sur la laïcité et par nos idées -sans doute la devise du brésil dérive-t-elle de la philosophie d'Auguste Comte.

Les élèves et étudiants étrangers de nos établissements à l'étranger sont aussi de puissants relais. J'ai souvenir d'avoir rencontré le président guatémaltèque, ancien élève du lycée français Jules-verne de Fraijanes. Si la France a fait prévaloir son point de vue sur l'exception culturelle en 1993 à Marrakech, c'est aussi grâce à eux et à cette langue partagée.

Autre marque de l'influence française dans ce pays : le béret basque. Les nombreux Basques et Béarnais d'Uruguay sont nos meilleurs ambassadeurs.

Troisième élément : l'imprimante 3 D, conçue et commercialisée dans ce pays par un jeune entrepreneur français, que j'ai rencontré sur place.

Les jeunes actifs sont de plus en plus mobiles ; on a tort de parler de fuite, d'exil car cette mobilité est un levier pour le redressement économique de la France.

C'est le dynamisme de nos créateurs et penseurs qui est honoré par prix Nobel et médaille Fields.

J'aurais pu rappeler plus simplement que la France est la deuxième économie européenne, la cinquième mondiale, que sa voix est à entendre. L'influence de la France n'est pas le fait de l'État mais de ceux qui transforment leur rêve en action. Compter sur notre soutien pour mobiliser tout notre potentiel dans le monde, monsieur le ministre ! (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Merci de ce débat et de la tonalité de vos propos qui, pour employer le parler spécifique du Quai d'Orsay, n'ont pas été cruels. (Sourires)

Madame Deromedi, je m'associe à votre hommage à Lee Quan Yew, homme extraordinaire visionnaire, qui a grandement contribué au succès de Singapour.

Vous avez tous parlé de la fierté des Français de l'étranger, de leur sentiment d'appartenance -quand bien même ils critiquent parfois le Gouvernement français... (Sourires). Il est parfaitement normal, à l'heure de la mondialisation, que des Français s'expatrient, de même que des étrangers viennent vivre en France ! Ce sont nos premiers leviers d'influence.

La France a une place particulière aussi en matière de défense. Comme l'a dit en substance M. Juncker, la sécurité de l'Europe est assurée par les armées françaises. Tout le monde salue les efforts militaires de la France, mais sans en tirer les conséquences financières... Le Gouvernement est obligé à une certaine retenue mais il est bon que les parlementaires s'expriment et convainquent leurs homologues étrangers, notamment au Parlement européen.

Merci, monsieur Pozzo di Borgo, d'avoir rendu hommage à nos diplomates pour le travail accompli en Ukraine. Quant à la Syrie, nous combattons Daech aux côtés de nos alliés. Soit dit en passant, au Nigéria, c'est la France qu'on a appelée au secours, et non la Grande-Bretagne... Daech, donc, ne laisse aux populations d'autre solution que de se rallier, de partir ou d'être tué.

Encore faut-il lutter efficacement contre ce groupe. En Irak, les choses sont assez simples. En Syrie, nous allier à Bachar el Assad serait d'abord contraire à la morale : Bachar, qui a employé l'arme chimique contre sa propre population, qui a libéré des terroristes, a été qualifié par le secrétaire général des Nations Unies lui-même de criminel contre l'humanité. Ensuite, soyons pragmatiques. Qui peut croire que la population syrienne est prête à se rallier à son assassin ? En le soutenant, nous rendrions service aux terroristes.

Nous travaillons donc pour trouver une solution non avec Bachar mais avec des éléments du régime, pour éviter le même délitement qu'en Irak. Cette distinction n'est pas simple, certes, mais nous partons de l'accord de Genève I. Bachar et Daech sont les deux faces d'une même médaille !

Vos propos, monsieur Duvernois, nous renvoient au concept de diplomatie globale. C'est ce que nous essayons de mettre en pratique. Sans remonter jusqu'à Talleyrand, notre diplomatie est longtemps restée essentiellement stratégique. Aujourd'hui, les choses sont différentes. N'est pas Metternich qui veut... La France reste une puissance globale, un membre permanent du Conseil de sécurité, grâce au général de Gaulle, mais elle a aussi une langue, des valeurs, une histoire, une économie, des sciences. Nous pouvons jouer sur toute la palette. Cette année, nous avons reçu le prix Nobel de littérature, le prix Nobel d'économie et la médaille Fields. Pas mal, pour une nation déclinante ! La gastronomie est aussi un élément important, de même que le sport, d'où le rôle des grandes manifestations comme les Jeux olympiques ou l'Exposition universelle en matière de rayonnement. Et notre réseau, fait rare, est étendu sur l'ensemble de la planète.

Je fais souvent l'analyse suivante : après la guerre, le monde est devenu bipolaire. Après la chute du mur de Berlin, il est devenu unipolaire. Aujourd'hui, le monde est devenu apolaire : aucune puissance ne peut agir seule. Il y a quelques années, la crise syrienne n'aurait pas duré si longtemps. Dans un monde apolaire, la France a une influence plus grande qu'elle-même.

Dans chaque domaine, il nous faut un seul opérateur, comme Business France pour ce qui est du commerce extérieur, France expertise internationale pour ce qui est de l'expertise.

Mme Perol-Dumont a été assez incisive. Ce que dit et fait le président de la République en Afrique n'est pas la copie conforme de ce que disait et faisait son prédécesseur, même s'il y a des prolongements bien sûr.

Les objectifs que nous poursuivons toujours doivent être rappelés, pour éviter le pointillisme. D'abord, la paix et la sécurité. C'est ce qui nous a déterminés en Ukraine, même si Minsk II est encore fragile. Ensuite, la planète, son organisation et sa préservation. La COP 21 sera la grande affaire diplomatique du quinquennat. Personne, sur un tel sujet, ne peut garantir un succès mais c'est notre objectif. La question est de savoir si l'homme pourra encore vivre correctement dans le monde. Troisième objectif : l'Europe, sa relance et sa réorientation. Enfin, dernier objectif : le redressement et le rayonnement de la France.

Mme Aïchi a évoqué la COP 21 ; c'est la première tâche de la diplomatie française. La présidence n'a pas à imposer sa volonté, mais de susciter des synthèses à un niveau d'ambition suffisant. Beaucoup de pays comptent sur la France.

M. Billout juge les moyens financiers insuffisants. Ils sont, bien sûr, mesurés, vu les contraintes qui sont les nôtres. Cela exige plus d'efficacité et une meilleure organisation. Nous avons quand même les moyens de travailler. Notre aide au développement n'est pas aussi élevée que nous pourrions le souhaiter, certes, mais la France reste l'un des principaux bailleurs.

Merci à M. Hue d'avoir souligné nos efforts, en Afrique, en Irak comme en Ukraine. Vous avez aussi remarqué que les manifestations du 11 janvier ont illustré la place singulière de notre pays -cinquante chefs d'État sont venus à Paris...

Le décalage pointé par Mme Garriaud-Maylam entre la morosité intérieure et l'image de la France à l'étranger est tout à fait réel. En ce qui concerne les chrétiens d'Orient, sachez que j'ai obtenu un débat à leur sujet à l'ONU : je plaiderai contre l'impunité. Ces exactions pourraient être qualifiées de génocide culturel, la question de la saisine de la CPI se pose en effet.

En 2014, madame Khiari, nous avons délivré 2,8 millions de visas, soit 300 000 de plus qu'en 2013. La Chine est devenue le premier pays d'origine avec une hausse de 57 %. Nous développons la même politique de visas en 48 heures envers l'Inde, l'Afrique du sud et des pays du Golfe, avec des centres délocalisés. Au cours des deux premiers mois de 2015, les demandes de visas touristiques sont en forte augmentation -plus 65,5 % pour la Chine, plus 38,41 % pour l'Inde. Les délais de prise de rendez-vous sont inférieurs à cinq jours dans la plupart des postes.

Développer le tourisme, mine d'or pour la France, commence par là. Cela se poursuit avec l'aéroport, l'accueil, les hôtels, la diversité des sites... Il faut inciter les touristes à visiter toutes nos régions : les collectivités territoriales font de gros efforts pour les attirer. Le rattachement de la politique touristique au Quai d'Orsay, que j'ai souhaité, me paraît très utile.

Monsieur Fournier, je vais vous décevoir... car je suis très largement en accord avec vous. Impossible, vous l'avez dit, de maintenir sur la durée sa puissance diplomatique sans puissance économique. Mais 190 pays dans le monde ont une économie moins forte que la nôtre... Nous faisons tout pour redresser notre balance commerciale. Il est normal que l'Inde, le Brésil nous rattrapent mais nous ne pouvons accepter de décrocher.

Madame Conway-Mouret, la notion transversale qui caractérise le mieux la France est celle de l'excellence, de la créativité. Il faut, sans arrogance car l'arrogance est détestable, nous fonder sur elle pour accroître la quantité et la qualité de l'influence française.

Merci du soutien permanent que le Quai d'Orsay trouve auprès de votre Haute assemblée. Cela compte beaucoup pour nous. (Applaudissements)