Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire.

M. Dominique de Legge, au nom du groupe UMP - L'UMP a souhaité ce débat pour deux raisons : d'une part, la loi de programmation militaire dispose, en son article 6, qu'elle doit être actualisée avant la fin 2015 ; d'autre part, les annonces faites par le président de la République en janvier, à la suite des événements terroristes, qui doivent trouver une traduction budgétaire dès cette année, sont susceptibles de modifier le contenu de la loi de programmation militaire.

Mon groupe a toujours soutenu la politique de défense, quel que soit le Gouvernement. Mais une chose est de s'accorder sur les objectifs, autre chose est de s'en donner les moyens.

Ma première question, à cet égard, porte sur l'engagement de nos forces. Si le retrait d'Afghanistan et l'engagement au Mali étaient pris en compte, notre intervention en Centrafrique et en Irak n'était pas prévue lors du vote de la loi. L'opération Barkhane est déployée dans trois pays : Mali, Tchad et Niger. La mobilisation de nos effectifs sur le territoire national n'était pas activée. Envisagez-vous de revoir la trajectoire budgétaire en conséquence ? Les 31,4 milliards d'euros pour la période 2014-2016 sont-ils toujours d'actualité ? Passer à 32,5 milliards, de 2017 à 2019, suffira-t-il ?

Le président de la République a annoncé la mise en place du plan Sentinelle en janvier et annoncé l'infléchissement de la déflation des effectifs. Nous venons de prendre connaissance du décret d'avance. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La déflation devait être de 24 000 postes entre 2014 et 2019 ; elle serait limitée à 16 500 postes. La LPM précisait qu'elle devait servir à financer les équipements. Or plus d'hommes, c'est plus d'équipements. Qu'en est-il réellement ? Quel impact budgétaire ? S'agit-il d'une donnée nouvelle, au-delà de la LPM, ou d'une modification ponctuelle du texte ?

Les Opex coûteront 450 millions d'euros en 2015, soit autant que les années précédentes. Peut-on continuer à sous-estimer ces dépenses, estimées, si elles avoisinent celles des années précédentes, à quelque 1,2 milliards d'euros ? Je sais bien qu'elles sont censées être financées par la réserve interministérielle. Je conteste d'ailleurs cette notion qui fait contribuer tous les ministères en fonction de leur poids dans le total. Peut-on ignorer que le ministère de la défense lui-même contribue d'autant plus, paradoxalement, que ses ressources baissent ? Peut-on continuer à inscrire des dépenses pour un tiers de leur valeur réelle ? De 2013 à 2015, c'est ainsi un milliard d'euros qui a manqué à la LPM...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, rapporteur - Non !

M. Dominique de Legge, au nom du groupe UMP  - En tout cas, je ne crois pas que l'on puisse parler de sanctuarisation !

La présence de nombreux chefs d'État et de Gouvernement à Paris le 11 janvier nous a fait chaud au coeur. Mais nous aimerions une solidarité plus tangible. Le terrorisme est l'affaire de l'Europe entière, pas seulement de la France. Le Premier ministre a eu raison de rappeler à la Commission européenne que c'est la France qui, pour l'essentiel, assure la sécurité de l'Europe. Il n'est évidemment pas question de se soustraire à la règle comptable des 3 %, mais d'espérer un peu plus de solidarité.

J'en viens aux conséquences de la vente à l'Égypte d'une frégate construite pour nos armées : affecte-t-elle les autres livraisons, en volume et en délai ?

M. André Trillard.  - Très bonne question.

M. Dominique de Legge, au nom du groupe UMP.  - Le produit sera-t-il reversé au budget militaire ? Que deviendra l'équipage ? Quelles sont, de même, les conséquences de la vente des Rafale ?

Les recettes exceptionnelles, qui ne sont certes pas nouvelles, sont un autre motif d'inquiétude. J'accuse Bercy de financer nos armées par de la monnaie virtuelle, alors que les menaces qui pèsent sur nous sont, elles, bien réelles : Bercy sait depuis des mois que les ventes de fréquences ne se réaliseront pas, il ne peut ignorer le rapport récent de l'inspection générale des finances, du contrôle général des armées et de la délégation générale de l'armement qui l'a confirmé.

En réponse à un courrier commun des présidents Larcher et Raffarin, lors du vote du budget, le président de la République a feint de croire que des recettes exceptionnelles seraient au rendez-vous. Le 17 mars, le Premier ministre a fait la même réponse à une lettre du président Raffarin, quand vous-même, monsieur le ministre, concédiez devant la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la croissance et l'activité que la création des sociétés de projet était destinée à compenser le retard de la vente des fréquences.

MM. Charles Revet et Christian Cambon.  - Incroyable !

M. Dominique de Legge, au nom de groupe UMP.  - Je condamne ce détour par un projet de loi qui n'a rien à voir avec les affaires régaliennes de défense. Notre amendement de suppression de l'article 50 ne préjugera pas de notre position sur les sociétés de projets, mais nous réclamons un débat et un arbitrage clairs.

Jamais nous n'avons vécu dans un monde aussi complexe, menacé de manière aussi diffuse. Nous avons besoin de clarté. Or les sociétés de projets restent floues. Monsieur le ministre, contrairement à ce qu'écrit M. le Premier ministre, dans sa lettre au président Raffarin l'invitant à se rapprocher des ministères concernés, au motif qu'il lui serait difficile « d'apporter les éléments techniques de réponse » (exclamations à droite), ces sujets ne sont pas techniques mais politiques : un Premier ministre est là pour arbitrer !

J'espère que vous pourrez apporter des réponses à nos questions. Le président de la République, chef des armées, doit enfin arbitrer. Il le doit à la représentation nationale qui vote la loi et représente l'unité nationale. (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)

M. Joël Guerriau .  - La LPM nous permet de faire face aux nouvelles menaces dans un contexte contraint. Elle est toutefois devenue incompatible avec les réalités : généreusement, l'article 6 prévoit son actualisation.

Premier défi : notre crédibilité budgétaire. Les 31,4 milliards d'euros de dépenses annuelles étaient censés être financés par la cession de fréquences hertziennes. Or celles-ci sont compromises. De plus, les Opex se sont multipliées. Résultat : le compte n'y étant pas, le Sénat a dû rejeter, en décembre, les crédits de la mission Défense.

Des sociétés de projets étaient censées être mises en place en quelques semaines. N'est-ce pas trop tard ? Avec quelles incidences juridiques ? Quelles conditions de mise à disposition du matériel ? Faute d'informations, la commission a dû supprimer l'article 50 A.

Bref, comment allons-nous financer nos opérations extérieures en définitive ?

Nous sommes engagés en Irak, en République centrafricaine et au Mali, pour la sécurité de tous, mais seuls. L'opération Sentinelle, depuis janvier, mobilise plus de 10 000 personnes.

Bref, nous avons besoin d'hommes, de matériel, de financement. Nous devons soit trouver de nouvelles ressources, soit nous désengager.

L'action au coup par coup n'est plus possible. Prenons le temps de décider, faute de quoi, nous fragilisons le monde combattant. Celui-ci a déjà été fragilisé par les problèmes du logiciel Louvois et par la déflation des effectifs. Les prévisions de la LPM se réaliseront-elles avec des Opex en hausse ?

Il nous faudra trancher entre une dépense recentrée sur notre sol et une dépense plus ambitieuse, mais alors soutenue par l'Europe. Son soutien financier fait aujourd'hui cruellement défaut.

Pour que nos interventions portent, il faut être capables de les mener jusqu'au bout. Rappelons-nous que le président Chirac s'est opposé à ce qu'on accompagne les Américains en Irak.

M. Jeanny Lorgeoux.  - Alors il ne fallait pas aller au Mali ? En République Centrafricaine ?

M. le Président.  - Veuillez conclure.

M. Joël Guerriau.  - L'argent est le nerf de la guerre. La détermination seule ne suffit pas. Le groupe UDI soutiendra toute action en faveur de l'armée française. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jacques Gautier .  - La France est présente sur de nombreux théâtres extérieurs et, depuis début janvier, ses militaires sont aussi déployés sur le territoire national. 10 000 hommes sont ainsi postés aux points sensibles de notre pays. La menace terroriste est en effet présente, au sud de l'Europe et au coeur même de notre société.

Mais, en additionnant Opex, forces de dissuasion et de présence, en opération Sentinelle, la LPM ne tiendra pas dans la durée. La réduction de la déflation a un prix ! Et le budget de la France a été calibré au plus juste !

Bercy ne devra pas recourir à un nouveau stratagème comptable.

MM. Christian Cambon et Alain Gournac.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - Il n'y aura pas de reprise économique, d'avancées sociales, de développement durable, sans un engagement militaire. La France doit contribuer à la lutte contre la pieuvre terroriste.

Monsieur le ministre, vous avancez cinq pistes de révision de la loi de programmation militaire : revoir la trajectoire de réduction des effectifs et intégrer le nouveau modèle de l'armée de terre, défini par le général Bosser, dit « au contact » - cela nécessitera des crédits.

Vous voulez afficher de nouvelles priorités : forces spéciales, moyens informatiques. Soit. Mais, comme nous l'avons souligné dans notre rapport avec le président Larcher et Daniel Reiner, il faudra non seulement accroître les effectifs du COS (commandement des opérations spéciales) de 3 000 à 4 000 hommes, mais aussi consacrer un budget dédié aux équipements, individuels et collectifs, dont doivent être dotés les forces spéciales.

Il faudra également alléger les procédures d'homologation de ces équipements. Pourquoi ne pas simplifier le code des marchés financiers et abonder tout de suite d'une dizaine de millions d'euros les moyens ridicules dont dispose le COS pour ses préparations et équipements d'urgence.

Des crédits manquent à la Recherche et Développement, les industriels les attendent. Prêtons une plus grande attention, en particulier, au drone Reaper et à celui qui sera lancé, au niveau européen, avec l'Allemagne et l'Italie.

Je salue votre engagement pour l'exportation de nos matériels militaires, monsieur le ministre, mais nous pouvons faire davantage pour nos industriels.

Les ressources exceptionnelles ne seront pas au rendez-vous. Bercy va encore nous faire le coup de la baisse du prix du carburant, de la réduction de l'inflation, etc. Ce n'est plus acceptable ! Assez de subterfuges : le remplacement de nos équipements ne peut plus attendre. Il nous faudra au moins 3 milliards d'euros supplémentaires.

Je n'ai pas le temps d'aborder la coopération des États membres de l'Union européenne. Enfoncez le clou à Riga, monsieur le ministre ! Le coût des Opex et les interventions pour la défense devraient être exclus du calcul des dépenses maastrichtiennes.

Le président de la République, chef de nos armées, devra faire preuve d'un engagement total. (Applaudissements sur tous les bancs sauf sur les bancs CRC)

M. Daniel Reiner .  - Du 11 septembre 2001 à Sanaa, en passant par le Mali, le terrorisme frappe et fait fi des frontières. Nous l'avons vu, cruellement, en janvier. Des mesures ont immédiatement été prises.

Certes, les Livres blancs de 2010 et 2013 avaient anticipé la menace. Mais nous devons anticiper l'anticipation ! C'est à cette fin que le groupe UMP a demandé ce débat.

Le Livre blanc de 2013 préconisait un renforcement des forces terrestres à hauteur de 10 000 hommes. C'est le chiffre retenu par l'opération Sentinelle, qui s'ajoute aux Opex...

Nous devons continuer à lutter contre le terrorisme à l'extérieur car c'est là que naissent les menaces sur notre territoire. Le président de la République a pris la mesure de la tension sur les effectifs en annulant la déflation à hauteur de 7 500 postes.

Le Livre blanc de 2008 prévoyait une baisse de 54 000 postes, celui de 2013, de 24 000. Ce sera finalement beaucoup moins, compte tenu du contexte. Cet effort est nécessaire pour la sécurité des Français. Il faudra alors faire sauter le verrou budgétaire et éviter les errements passés.

Premier motif de satisfaction : la fourniture d'équipements majeurs à l'Égypte. La vente de 24 Rafales à ce pays permettra de maintenir l'activité des chaînes de montage au niveau de l'engagement ancien de l'État vis-à-vis de l'entreprise.

Le débat actuel porte sur les sociétés de projets. Je rappelle que le budget de la défense a été sanctuarisé depuis 2012 à hauteur de 31,4 milliards d'euros, ce qui n'était pas facile. La trajectoire de la loi de programmation militaire a, pour l'heure, été tenue et je conteste le fait qu'il ait manqué un milliard d'euros, mais elle repose, en 2015, sur 2 milliards d'euros de recettes exceptionnelles. Les sociétés de projets se heurtent encore à des obstacles juridiques, qui seront levés par le projet de loi pour l'activité. La décision d'y recourir a été prise au plus haut niveau et ces sociétés de projets peuvent même se révéler utiles à long terme, répondant à la demande des industriels et de pays importateurs. Cette recette substitutive est conforme à l'article 3 de la loi de programmation militaire.

Cela dit, je vais vous livrer le fond de ma pensée. (On s'en félicite à droite)

Alors que chacun s'accorde à reconnaître la gravité des menaces et l'impérieuse nécessité d'assurer la protection des Français, le caractère aléatoire des recettes exceptionnelles contraste avec ce constat. Nous le savons : la cession de fréquences hertziennes a peu de chances de se réaliser. Cette année, et nous serons confrontés au même aléa l'an prochain, voire en 2016, le simple bon sens exige que la défense soit financée exclusivement par des crédits budgétaires. Nous avons besoin de crédits sûrs ! (M. Jacques Gautier applaudit)

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Reiner.  - Cessons de nous perdre dans de longs débats : cela nuit à la sécurité budgétaire de notre politique de défense. (Applaudissements des bancs socialistes aux bancs UMP)

Mme Leila Aïchi .  - Je veux d'abord saluer l'engagement hors normes de nos soldats ces derniers mois, qui ont largement contribué, sur notre territoire comme à l'étranger, à renforcer la cohésion nationale.

Il y a urgence à réfléchir sur les priorités diplomatiques. Pouvons-nous agir en Afrique et au Moyen-Orient simultanément ? Les moyens alloués à la formation et à l'équipement pâtissent de la multiplication des Opex.

L'humain doit primer, alors que les tensions sont accrues du fait de la déflation des effectifs. Nous défendons une vision écologiste de la défense, alors que les conflits liés au climat se multiplient. Dans ce contexte, la logique globale de déflation des effectifs doit être revue.

La révision de la loi de programmation militaire doit s'inscrire dans un cadre européen. Les écologistes s'interrogent sur l'opportunité d'une privatisation du matériel opérationnel.

Nous ne pouvons plus non plus nous contenter d'une approche franco-française. La sécurité du cyberespace français passe par la coopération européenne ; l'utilisation efficace de drones dépend de l'adoption d'une doctrine d'emploi commune.

Un mot enfin sur le lien armée-nation. Le programme « Unis pour faire face », lancé par le chef d'État-Major de l'armée de l'air, permet à des aviateurs en formation de parrainer des jeunes en difficulté scolaire et de leur transmettre le goût pour l'aéronautique. Il s'agit d'une réelle chance pour ces jeunes qui, au travers de quelques heures par semaine en parallèle de leurs cours, ont la possibilité de découvrir et d'apprendre en dehors de leur cadre habituel, mais aussi d'améliorer leurs résultats scolaires. Multiplions ces initiatives, qui renforcent au quotidien le lien entre l'armée et les citoyens. (Applaudissements à gauche ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit aussi)

Mme Michelle Demessine .  - Deux mois après les attentats à Paris, tout le monde a pris conscience que le terrorisme était une menace majeure et durable.

Vous avez décidé d'avancer la présentation de la révision de la LPM au Parlement, monsieur le ministre, et nous vous en remercions.

La réduction de 26 000 postes d'ici 2019 et les 3 milliards d'euros manquants au budget de la défense sont les deux points cruciaux du débat.

La réduction inconsidérée des effectifs était une erreur, dictée par une vision purement comptable des choses.

Avec les interventions en Irak et dans la bande sahélo-saharienne, c'est la première fois que notre pays a autant d'hommes engagés à l'intérieur et à l'extérieur. Avec l'opération Sentinelle, 10 500 hommes sont déployés depuis plus de deux mois : les trois armées sont engagées au maximum de leurs capacités. Cela ne pourra durer car nos armées sont amenées à réduire leurs capacités futures à combattre.

Le Premier ministre a donc décidé d'infléchir de 30 % la déflation des effectifs. Comment ferez-vous concrètement ? Comment comptez-vous lever les incertitudes relatives aux ressources exceptionnelles ?

Il y a certes urgence, mais insérer un article sur les sociétés de projets dans une loi fourre-tout n'était pas la meilleure méthode. Sans parler de cavalerie budgétaire, cela traduit l'absence de vision à long terme. Ces sociétés ne sont pas sans risque pour l'État du point de vue financier. L'expérience britannique du leasing n'a pas été concluante. J'espère que vous tiendrez compte de nos inquiétudes, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs CRC ; M. Gilbert Roger applaudit aussi)

M. Philippe Esnol .  - Le 3 décembre dernier, je présentais les crédits de la mission Défense et tentais d'évaluer leur adéquation aux objectifs fixés. J'ai conclu positivement, hors quelques réserves. Depuis, les attentats de Paris, Copenhague et Tunis ont eu lieu. La menace a changé ; les craintes exprimées lors de la rédaction du Livre blanc se sont concrétisées.

La révision de la LPM est devenue nécessaire. Elle exigeait des armées des efforts considérables, en hommes et en équipement. Or, outre les opérations extérieures, 10 000 militaires ont dû être déployés en trois jours sur notre territoire à la suite des attentats de janvier, dans le cadre de l'opération Sentinelle, ce qui restreint les marges de manoeuvre en cas de nouvelle menace sécuritaire. Cette opération pèse lourdement sur nos soldats. La préparation opérationnelle a été réduite, les permissions supprimées.

En portant le nombre de réservistes de 28 000 à 40 000, vous avez pris, monsieur le ministre, une bonne décision. Nous devons réfléchir à un nouveau modèle d'armée de terre.

Nous approuvons la définition de nouvelles priorités ; les multiples cyberattaques dont nous avons récemment fait l'objet incitent à renforcer notre cyberdéfense. 3 milliards de ressources sont devenues incertaines. Les sociétés de projets sont une solution rien moins qu'incertaine. Un pas vers leur création a été franchi avec l'adoption d'un amendement dans la loi Macron mais la commission spéciale du Sénat l'a supprimé... Quel est le plan B ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.  - Il n'y en aura pas !

M. Philippe Esnol.  - On attend 750 millions d'euros de dépenses supplémentaires par rapport aux prévisions ; l'opération Sentinelle coûterait 250 millions.

Tous les ministères, via la réserve, seront mis à contribution. Est-ce soutenable à long terme ? L'équipement de nos forces ne doit pas être une variable d'ajustement. Nous ne doutons en rien de votre détermination, mais la France est seule.

Seule l'Europe désarme, sous l'effet de la crise, tandis que le reste du monde réarme. Je n'appelle pas de mes voeux une force commune européenne mais une mutualisation des financements s'impose. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements à gauche)

M. David Rachline .  - Cessons de nous voiler la face, la loi de programmation militaire obéit à la seule logique budgétaire et ne répond pas à la menace. Entre deux missions de plusieurs mois, des services n'ont qu'une semaine de permission. La disponibilité de certains équipements n'est que de 10 %... Que dire de la fermeture du Val-de-Grâce, vitrine de notre service de santé des armés ?

M. Jeanny Lorgeoux.  - De Grâce !

M. David Rachline.  - La menace est fluctuante et évolutive. Sur les 160 pages du Livre blanc, l'Irak n'est cité qu'une fois, le mot islamisme n'apparaît pas. On sait pourtant quel risque représentent Daech et Boko Haram. Le maréchal Foch érigeait en principe le maintien de la liberté d'action qui passe par des capacités supérieures.

Vous augmentez les effectifs de l'armée de terre de 11 000 hommes ? Ce n'est qu'une diminution de la diminution... La défense a subi, en 2012, 60 % de l'effort de réduction des effectifs de l'État. En outre, le budget 2015 n'est pas sincère. Les sociétés de projets restent un artifice. Nous nous soumettons, hélas, aux injonctions budgétaires européennes.

Nous connaissons votre passion pour la défense nationale, monsieur le ministre, mais elle n'est partagée ni par certains de vos collègues ni par les technocrates de Bruxelles, qui font la pluie et le beau temps sur notre défense. Opérons donc un prélèvement sur la contribution française au budget européen, ils comprendront ! L'Allemagne, elle, participe peu aux Opex mais dépense pour ses armées, et elle est en train de nous dépasser. Un effort de 2 % du PIB par an, c'est le minimum pour la sécurité des Français et pour nos soldats qui l'assurent, parfois au prix de leur sang.

M. Jean-Pierre Raffarin .  - Les Français aiment leur armée et ce n'est pas un hasard : c'est lié à la qualité des chefs et de tout le personnel. Nos Opex récentes ont suscité une fierté légitime. Toujours apparaissent de nouvelles menaces. On peut être satisfait de ce qui se passe aujourd'hui à Lausanne mais quelles seront demain les conséquences pour la région ?

Il faut discuter des questions budgétaires, d'où ce débat. Nous ne voulons pas être mis devant le fait accompli en juillet. Il faut poser les problèmes pour trouver les solutions : 2,2 milliards de recettes exceptionelles à trouver et des besoins nouveaux liés à la multiplication des opérations.

Les chefs se sont engagés devant leurs troupes. Nous sommes tous collectivement engagés. Le chef de l'État le dit : les 31,4 milliards seront sanctuarisés, et sa parole n'est pas légère. Mais un ministère situé au bord de la Seine fait sa propre loi de programmation militaire, à 2 milliards de moins.

Mme Nicole Bricq.  - Facile !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Nous n'acceptons pas ces hésitations. Personnellement, je ne suis pas choqué par les sociétés de projets. En tant que Premier ministre, j'ai eu recours aux partenariats public-privé ; il faut balancer le coût et l'intérêt. En revanche, il est désagréable d'entendre des responsables critiquer une solution qui sera finalement retenue.

Monsieur le ministre, vous n'avez jamais été ambigu. Au fond, c'est l'existence même de la programmation que l'on reproche aux armées. Bercy veut disposer du couperet budgétaire année après année. On a du mal, dans notre démocratie, contrairement à certains régimes autoritaires, à s'engager sur le moyen et long terme... (Applaudissements à droite)

L'engagement du président de la République à préserver la dissuasion nucléaire va dans le bon sens : cela dépasse les clivages politiques. Quant à la loi sur le renseignement, placer le bon curseur entre sécurité et libertés est évidemment très difficile, mais je pense que le texte gouvernemental a trouvé un équilibre. Quand la France compte des centaines de djihadistes et qu'elle a aussi deux millions de jeunes désoeuvrés qui peuvent être tentés par la radicalisation, le renseignement est plus que jamais indispensable.

Sur l'article 50 de la loi Macron, nous ne voulons pas que le Parlement bloque une solution pour nos armées. Nous sommes prêts à vous soutenir, monsieur le ministre, mais nous nous défions de certains de vos collègues de la rive droite, au bord de la Seine.

La sécurité est au fondement de l'unité nationale. La politique de défense est devenue centrale, elle touche à tous les enjeux nationaux, y compris à l'innovation, au développement industriel.

Quand les Français rêvent d'un retour du service national, ils pensent sans doute moins revenir à sa forme passée, devenue inadaptée, qu'exprimer une demande d'autorité : c'est bien l'image que donne notre Défense.

Ceux qui sont en charge de la défense doivent pouvoir dire aux Français : n'ayez pas peur ! (Vifs applaudissements au centre et à droite)

M. Christian Cambon.  - Excellent !

M. Gilbert Roger .  - Pourquoi ce débat, voulu par l'UMP, alors que la LPM doit être actualisée fin juin ? Personne n'est dupe de cette manoeuvre politicienne. (Exclamations sur les bancs UMP) Je rappelle qu'en décembre 2013, les sénateurs UMP avaient voté contre la loi de programmation, à l'exception de huit d'entre eux, membres de notre commission, dont je salue le courage.

En sanctuarisant le budget militaire, le président de la République a choisi de maintenir notre rang international. Peu de pays sont dotés d'une armée capable à la fois d'assurer la sécurité du territoire national, la dissuasion nucléaire et des interventions extérieures. Les évolutions récentes, l'émergence de la menace terroriste la plus grave depuis des décennies exigent de revoir notre stratégie.

Le gouvernement Fillon avait amorcé le reformatage de notre défense, avec 48 500 suppressions d'emplois. La LPM de 2012 en prévoyait 23 000. Mais lors du dernier Conseil de défense, le président de la République a décidé de réduire de 7 500 cette déflation d'effectifs, dont 1 500 en 2015, sachant que 250 postes seront créés dans le renseignement.

Le Parlement en débattra en juin. Les difficultés financières ne doivent pas être dissimulées. Nous pouvons nous féliciter de la livraison de 24 Rafale et d'une frégate à l'Égypte, pour 5,2 milliards d'euros. Nicolas Sarkozy, malgré ses annonces, n'avait jamais réussi à vendre un seul Rafale.

Reste la question des ressources exceptionnelles. La LPM de 2009 prévoyait, elle aussi, des ressources exceptionnelles issues de la cession de biens immobiliers et de bandes de fréquences, or il manque finalement 2,9 milliards d'euros... Je ne reviendrai pas sur la débâcle administrative et financière qu'a représentée le système de paie Louvois, que M. Le Drian a heureusement décidé de supprimer.

Je veux rappeler le rôle de notre commissions dans l'élaboration de la LPM, et notamment les contributions de Jean-Louis Carrère, Jacques Gautier et Daniel Reiner, qui ont fait ajouter à la LPM des clauses de sauvegarde financière, une clause de revoyure et une clause de retour à meilleure fortune.

Soyons pragmatiques. Tout doit être fait pour réussir la constitution des sociétés de projets.

Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour vous aider à maintenir le rang de la France sur la scène internationale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - Je me réjouis d'obtenir l'éclairage du Sénat sur un sujet qui occupe beaucoup mon ministère ces jours-ci. Le projet d'actualisation de la loi de programmation militaire sera examiné par le Conseil de défense à la fin du mois, pour une présentation au Parlement en juin. Tous les arbitrages ne sont pas encore rendus. Nous avons décidé d'en accélérer la révision, en raison des risques nouveaux.

Avec la crise russo-ukrainienne, les frontières des pays européens ont été modifiées pour la première fois depuis 1945. La stabilité internationale est en jeu. Nous remplirons notre devoir de solidarité et participerons bientôt à des exercices de réassurance en Pologne.

Quant à la menace djihadiste, elle a pris, depuis 2013, une dimension globale. La menace a franchi un seuil avec la progression militaire et politique de Daech. La jonction entre Daech et les extrémistes sahélo-sahariens, que j'annonçais naguère, est désormais accomplie. Boko Haram s'est rallié à Daech ; demain, des djihadistes français iront s'entraîner en Libye. Les attentats de janvier ont montré que la menace extérieure pouvait frapper chez nous. Jamais menaces extérieures et intérieures n'ont été aussi imbriquées.

Je rends hommage à nos forces armées, qui montrent toute leur valeur en cette période de forte mobilisation. Les événements de janvier sont déjà un peu loin dans les esprits mais je peux vous dire que la menace est permanente.

Il ne s'agit pas de récrire mais d'actualiser la loi de programmation militaire. Une première inflexion concerne les effectifs car le niveau d'engagement actuel dépasse le contrat opérationnel. Fallait-il renoncer à nos interventions au Mali, en Centrafrique, au Levant ? Je pense que non. Mais il est nécessaire de rehausser l'effectif de la force opérationnelle terrestre, aujourd'hui de 66 000 hommes. Le président de la République a décidé d'une réduction de la déflation de 7 500, dont 1 500 postes en 2015 ; cette politique sera poursuivie en fonction du nouveau contrat opérationnel. Ce sera une petite révolution culturelle car nous intégrerons la possibilité d'un déploiement massif et durable sur le territoire national.

Il faut une armée unique, chargée de missions à l'extérieur comme à l'intérieur : les soldats ne jouent pas à l'intérieur un rôle supplétif, c'est bien d'une mission militaire qu'il s'agit. Le chiffre finalement retenu sera supérieur à 7 500 hommes. La place des réserves sera renforcée ; je souhaite que 1 000 réservistes potentiels puissent être mobilisés sur le territoire ; c'est le meilleur moyen de renforcer le lien entre l'armée et la Nation.

Des priorités fixées en 2013 seront confirmées. Ainsi sur les forces spéciales, la cyberdéfense, le renseignement. Outre le projet de loi relatif au renseignement, il faut nous doter des équipements nécessaires. J'ai conclu, tout récemment, avec mon homologue allemand de construire ensemble la nouvelle constellation de satellites d'observations et le drone de nouvelle génération. Dans un domaine régalien, c'est une nouveauté majeure.

L'armée européenne est une belle idée, mais il y a encore du chemin. En revanche, nous souhaitons que les groupements tactiques soient opérationnels dès le prochain conseil, que le projet Athéna soit accéléré et que l'Union européenne contribue financièrement à des projets d'équipement militaire.

Depuis 2012, nos exportations d'équipements militaires ont doublé, signe de l'aggravation des menaces comme de la qualité des produits français. La cible de 225 avions de chasse et de 15 frégates de premier rang, fixée par la LPM, n'est pas modifiée. L'équipage prévu pour la Normandie, monsieur de Legge, sera réaffecté à la Provence.

Nous manquons d'hélicoptères de manoeuvre et légers. Je vous ferai des propositions sur ce sujet important. Nous acquérons aussi, en 2015, un troisième drone longue endurance

Enfin, les financements. Sur les sociétés de projet, je me suis expliqué très longuement devant la commission spéciale. Le président de la République, à plusieurs reprises, a annoncé la sanctuarisation du budget de la défense à 31,4 milliards. Je m'inscris en faux contre les propos faisant état d'un manque de 1 milliard d'euros. Le contrat a été respecté à la lettre en 2013 et en 2014. En 2015, le budget prévoit 2,2 milliards sur ressources exceptionnelles. Ils ne sont pas encore au rendez-vous mais les ressources exceptionnelles ne sont pas une nouveauté. La LPM prévoit la manière dont ces ressources peuvent être mobilisées : programme d'investissements d'avenir, cessions de biens immobiliers, de fréquences ou d'actifs.

Ce n'est pas de la cavalerie financière : l'État cède chaque jour des actifs. Mais la Lolf impose que ce soit pour des dépenses en capital, donc pas pour acquérir une frégate. C'est pourquoi le ministère de la défense ne peut mobiliser ce levier qu'en recourant à des sociétés de projets. L'article 50 de la loi Macron lève les quelques obstacles juridiques qui demeurent. Je reviendrai vous dire à quoi cet argent aura été employé.

Nos efforts supplémentaires en matière de renseignement, de cyberdéfense n'entrent peut-être pas dans l'enveloppe des 31,4 milliards. Nous y reviendrons.

Je vous remercie de vos propos et de vos éclairages. La sécurité est essentielle à la cohésion de la Nation, ce débat y a contribué. (Applaudissements)

La séance est suspendue à 16 h 25.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 16 h 30.