Débat sur l'avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence, à la demande du groupe CRC.

Mme Michelle Demessine, au nom du groupe CRC .  - Je ne peux pas entamer ce débat sans évoquer le dramatique accident de l'avion militaire A400M à Séville. Dans l'attente des résultats de l'enquête, j'espère que cet accident ne fragilisera pas Airbus ni ne remettra en cause la construction de cet appareil performant. Je soutiens la décision du ministre de poursuivre les vols prioritaires en opération et de reprendre les vols d'essai.

L'avenir de la filière est en train de se jouer. Elle connaît une restructuration discrète, loin des médias. Le casse du siècle de la part d'Airbus, comme titrait un journal, avec le rapprochement des activités des lanceurs d'Airbus Group et de Safran, orchestré par l'État, qui aura un impact aux niveaux national et européen.

La France est le seul pays ayant la maîtrise d'ensemble des technologies spatiales. La filière emploie 12 000 personnes, un tiers des effectifs européens. Cela a été possible grâce à la maîtrise publique de l'accès à l'espace. Cette stratégie a aussi permis de placer l'Europe au premier rang mondial. Aucune industrie spatiale dans le monde n'est indépendante des financements publics et aucun ne le sera avant longtemps.

Cette réussite repose sur une architecture subtile : l'Agence spatiale européenne, l'ESA, est en charge du programme Ariane ; le CNES agit comme maitre d'ouvrage en matière de recherche-développement et assiste l'ESA pour les lanceurs en service et en développement. Ces deux agences s'appuient sur des industriels, dont Airbus Group et Safran. Arianespace, société française, est l'opérateur de systèmes de lancement et est chargée de la commercialisation de la famille de lanceurs Ariane et Vega ainsi que du lancement de Soyouz.

Or cet équilibre est remis en cause. Arguant de la concurrence de SpaceX, le gouvernement souhaite une co-entreprise entre Safran et Airbus Group, ce qui risque de remettre en cause le rôle du Cnes et d'Arianespace, pourtant garants de la politique industrielle et des grands programmes de recherches. L'arrivée de SpaceX est une opportunité pour le lobbying des industriels qui ont convaincu l'État de la nécessité d'un changement de gouvernance, faisant glisser la maîtrise d'oeuvre et le pilotage, la programmation et la commercialisation vers le privé - tout en revendiquant le maintien des aides publiques. Les industriels vont bénéficier d'un budget prévisionnel sur dix ans de 8 milliards pour les programmes Ariane 6, VEGA-C et le soutien à l'exploitation d'Ariane 5 ECA - sans assurer de vrai suivi technique ni supporter les risques. Rien de bien nouveau...

Les salariés sont inquiets face à ce projet qui laisse tous les pouvoirs aux industriels et fait peser des menaces sur la capacité de la puissance publique à contrôler les programmes spatiaux et sur la souveraineté nationale, voire européenne. Tous les choix technologiques sont encore en débat, certains déterminants pour la pérennité d'établissements en France, en Allemagne ou en Italie.

Alors que le secteur « Défense et espace » d'Airbus a déjà annoncé une restructuration drastique et la suppression de 10 % des effectifs, le projet Airbus-Safran avance dans le plus grand secret, sans perspectives claires. Ce n'est pas acceptable. Au-delà, c'est toute l'organisation de l'industrie spatiale européenne qui en jeu.

La maitrise acquise par des décennies d'investissement public ne peut être laissée au privé. Trop de questions restent sans réponse. Qui contrôlera les fonds publics ? Qui assumera les risques industriels ? Comment le Cnes pourra-t-il conserver son rôle s'il n'est plus maitre d'oeuvre des programmes spatiaux ? Les actions d'Arianespace détenues par le Cnes seront-elles vendues ? Quid de l'indépendance de l'opérateur des lancements par rapport à ses clients satellites ? Pourquoi la facture a-t-elle augmenté de 800 millions d'euros depuis la réunion ministérielle de décembre 2014 ?

Ce qui se joue, c'est l'avenir des lanceurs civils militaires. Il s'agit aussi de la force de dissuasion française... cette restructuration ne peut avoir lieu sans débat public au niveau national et européen. J'invite le Gouvernement à sortir de l'opacité. L'enjeu de souveraineté est majeur. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Marie Bockel .  - A l'heure où la morosité économique est de mise, félicitons-nous du succès de la filière aérospatiale, filière d'excellence qui employait en 2013 177 000 personnes et réalisait 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires ; elle consacre 15 % de son chiffre d'affaires à la recherche et développement, contribue positivement à notre balance commerciale, comme en témoigne les exportations de notre excellent Rafale. La France a la chance de disposer d'entreprises présentes dans tous les segments de la filière. J'ai assumé avec l'agglomération mulhousienne la présidence de la Communauté des Villes Ariane en 2013, j'ai pu mesurer à quel point cette industrie de pointe irriguait l'activité de nos territoires.

Soyons fiers de la réussite de cette filière. Mais nous devons aussi être lucides face au développement de la concurrence internationale.

Historiquement, le succès de la filière est fondé sur le soutien de la puissance publique, notamment via le mécanisme des avances remboursables. Or certains s'interrogent sur un possible désengagement de l'État qui aurait des conséquences dramatiques.

D'où nos inquiétudes à l'heure des restrictions budgétaires et nos réserves sur les cessions d'actifs. Est-il raisonnable de brader ainsi les joyaux de la couronne ?

Les entreprises peinent aussi à recruter du personnel qualifié. La formation doit être améliorée. Quid du projet de centre de formation ?

La filière doit être soutenue. N'oublions pas que les pays émergents et les États-Unis subventionnent massivement leur filière aéronautique, comme l'atteste l'exemple du Boeing 777X. Les investissements d'avenir sont un instrument pour soutenir la compétitivité de notre industrie.

Alors que les commandes publiques diminuent, le succès passera aussi par l'export. Jusqu'où faut-il aller toutefois dans le transfert de valeur ajoutée ? Sujet délicat.

L'innovation n'est pas moins importante. Les enjeux environnementaux ouvrent des perspectives de mutations technologiques, au-delà même du projet d'avion électrique.

La France ne peut agir seule. L'industrie doit être européenne, comme dans le cas du développement d'Ariane 6 pour concurrencer SpaceX. Nous devons renouer avec une politique industrielle audacieuse.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien des sénateurs centristes dans cette voie. (Applaudissements au centre)

M. Jacques Gautier .  - Je me félicite de ce débat, une heureuse initiative du groupe CRC. L'avenir de cette filière est crucial et ne peut être délaissé même si les budgets baissent. Nous avons grandi au rythme de la conquête spatiale, véritable épopée. L'Agence spatiale européenne fête ses 50 ans. Les États membres de l'Union européenne financent la moitié des dépenses. Notre industrie gagne des parts de marché, forte d'une recherche exceptionnelle et d'un savoir-faire reconnu.

La concurrence s'accroît. Les États-Unis reviennent en force sur le plan commercial, avec des offres aux prix concurrentiels, à l'image de SpaceX.

Nous devons défendre notre modèle dual. La défense est un aiguillon pour la recherche civile. Pas de fusée sans missile balistique ! Le chiffre d'affaires de la filière est de 57,7 milliards, dont un tiers dans le secteur militaire. Il représente 33,1 milliards d'euros d'exportations, et un carnet de commandes rempli pour six ans. Voilà un Made in France qui fonctionne ! Nous devons poursuivre avec l'avion du futur, par exemple. Le succès du Rafale montre que nous pouvons rester leaders.

Airbus et Safran ont annoncé la création d'Airbus Launchers pour concurrencer SpaceX. Mais il faut veiller à préserver les prérogatives du Cnes, pivot de la dimension nationale de l'espace. Il faut également réfléchir à la place d'Arianespace, et tenir compte du rôle indispensable de l'innovation. La défense joue un rôle crucial, nous devons défendre son budget. Il nous appartient d'investir dans l'intelligence pour préparer le futur.

M. Roland Courteau .  - En 2013, j'ai remis un rapport au nom de l'OPECST sur l'industrie aéronautique, intitulé Préserver notre avenir.

M. Bruno Sido.  - Très bon rapport !

M. Roland Courteau.  - Cette filière est confrontée à de nouveaux défis. Il faut nous attendre à de fortes ruptures technologiques, comme en matière de moteurs par exemple. Nous devons préparer dès maintenant les changements de demain.

Nous devons préserver les crédits de l'Onera. Face à une concurrence croissante, les soutiens institutionnels sont essentiels pour préparer l'avenir. Pourtant ils sont en baisse depuis 2010 tandis que la Chine et les États-Unis les augmentent. L'Allemagne poursuit ses investissements et réclame la modification de la gouvernance d'Airbus.

N'est-il pas temps de réclamer de nouveaux arbitrages au sein de la production de la chaîne de valeur d'Airbus ? Les crédits du Foncep et le Conseil d'orientation pour la recherche aéronautique (Corac) doivent être préservés. Les programmes de ces divers organismes ciblent les objectifs de la recherche aéronautique sur des thématiques qui assurent la continuité dans les ruptures technologiques de l'aviation de 2040.

Je manque de temps pour évoquer la nécessité d'anticiper le développement du marché des drones et des biokérosènes.

La formation a une importance capitale dans un secteur soumis à la poussée continue des innovations. J'insiste sur les besoins spécifiques du secteur et la nécessité d'anticiper le choix de la numérisation dans la navigation aérienne.

Je ne m'attarderai pas sur l'évolution des normes de navigation. La France et l'Europe ont l'impérieux devoir de préserver notre avance dans un secteur d'avenir. Quelles perspectives de collaboration entre Hydro-Québec, qui va s'installer à Lacq, et Airbus pour le nouvel avion électrique qui doit s'implanter près de l'aéroport de Pau ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Joël Labbé .  - Merci au groupe CRC d'avoir provoqué ce débat. La France et l'Europe ont un tissu industriel aéronautique et spatial très développé sur l'ensemble de la filière. Dans le domaine spatial, Arianespace a remporté 60 % des contrats en 2013 ; la concurrence américaine et chinoise nous a conduits en décembre à lancer Ariane 6. C'est en relevant le défi technique que nous resterons leaders. Il est peu probable qu'il soit rentable à brève échéance de remettre en service des lanceurs ayant déjà volé.

Il faut aussi limiter le volume des débris spatiaux, sous peine de ne plus disposer d'un accès sûr à l'espace.

Parmi les innovations en gestation, le retour des dirigeables, jadis abandonnés au profit de l'avion. L'usage de l'hélium, ininflammable, doit faire oublier les incendies qui restent dans les mémoires. Ainsi peuvent être transportés par les airs de très lourdes charges, avec moins de défaillances du moteur que dans un avion et les nouveaux dirigeables peuvent se poser partout. Prudence cependant, car les réserves d'hélium s'épuisent. Certains industriels développent les modèles hybrides. C'est ainsi que le Stratobus du groupe Thales, est un ballon dirigeable à propulsion électrique capable de rester en vol stationnaire dans la stratosphère, à plus de 20 kilomètres d'altitude. Le ballon, dont la mise sur le marché est prévue en 2022, pourrait servir aussi bien à l'observation militaire de la mer au large de la Somalie qu'à diffuser la 4G. Un transport aérien durable suppose de réduire les émissions de gaz à effet de serre et le bruit perçu.

Mme Demessine s'est émue de la libéralisation du secteur. La sécurité et la souveraineté nationale et européenne sont en effet en jeu. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Bosino .  - Toutes les interventions précédentes ont démontré le caractère crucial de la filière aéronautique et spatiale. Les plans de développement industriel annoncés par M. Montebourg ont été revus à la baisse. On annonce la vente d'un milliard d'euros d'actifs dans les industries aéronautiques et spatiales. C'est dégager des recettes de court terme pour satisfaire Bruxelles et les marchés.

La dictature du bas coût touche aussi la filière spatiale, avec les lanceurs de satellite. En juin 2014, les industriels ont proposé au président de la République une refonte de la filière. En décembre, notre pays a confié à Airbus et Safran la maîtrise du secteur alors même que le projet d'association sera financé sur fonds publics à hauteur de 800 millions d'euros sur dix ans. Un tel sujet mérite un débat public.

Les syndicats eux-mêmes sont tenus dans l'ignorance des décisions. Les modalités de restructuration soulèvent de graves inquiétudes. Les syndicalistes, instruits par la fusion de Safran, SPS et SME, savent que ce type de projet nuit à l'emploi. Pourquoi remplacer le pilotage public de l'Agence spatiale européenne et du Cnes par celui d'un groupe privé, animé par une logique commerciale et financière ?

Faites le choix de la démocratie, notre pays ne peut qu'y gagner. (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Françoise Laborde .  - Avant toute chose, je veux rendre hommage aux 150 victimes du crash aérien du 24 mars, le jour initialement prévu pour ce débat.

L'aéronautique et l'espace occupent de nombreuses entreprises grandes et petites, et emploient plus de 3 000 personnes en Ariège. Quelques remarques sur l'aéronautique civile. La concurrence des compagnies à bas coût et des compagnies des pays du Golfe qui reçoivent des subventions déguisées de leurs gouvernements.

Le 5 février, monsieur le ministre, vous avez affirmé au Sénat, lors du débat sur la transparence dans le transport aérien, que les autorités françaises n'accorderaient plus de droits de trafic à ces compagnies. Le 13 mars, lors d'un conseil des ministres des transports de l'Union européenne, les représentants de l'Allemagne et de la France ont demandé la mise en place d'une « stratégie commune », proposant de soumettre toute ouverture de droit de trafic au contrôle de ces entreprises. Nous nous interrogeons cependant : la politique plus conciliante des États-Unis favorise le trafic, et ces compagnies achètent de nombreux appareils. Attention à ne pas faire perdre des parts de marché à nos constructeurs.

Le secteur spatial connaît également une reconfiguration avec l'arrivée de lanceurs à faible coût : les États-Unis avec SpaceX, la Chine avec le lanceur Longue Marche, mais aussi l'Inde et la Russie. D'où le nouveau projet Ariane 6 lancé par l'Agence spatiale européenne fin 2014. Comment le gouvernement compte-t-il encourager la coopération entre Thales, Safran et Airbus ?

Le nouvel avion électrique, développé en Charente, traversera la Manche en juin. Mais le gouvernement et le Commissariat général à l'investissement s'apprêtent, dit-on, à faire le tri entre les programmes de recherche. Pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre ? La course à l'innovation ne connaît pas de pause, la France doit donc investir massivement, sous l'impulsion d'un État stratège. (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

Mme Catherine Procaccia .  - Que d'évolutions depuis que M. Sido et moi-même avons remis en 2012 notre rapport sur l'espace ! À l'époque, on hésitait entre la modernisation d'Ariane 5 et le lancement d'Ariane 6. Le coût était estimé à 120 millions par an. Nous doutions que l'Europe, en crise, puisse courir deux lièvres à la fois, ce qui fut confirmé depuis. Ariane 6 doit se rapprocher des low cost pour faire face à la concurrence. Je regrette que, longtemps, on ait regardé de haut ces lanceurs dits bas de gamme. L'avenir des lanceurs du Cnes et de l'ESA doit être rapidement clarifié.

Le carnet de commandes de notre bonne vieille Ariane 5 sera-t-il rempli jusqu'en 2020 malgré le dumping américain ?

Quant aux satellites, on nous disait il y a trente mois que ceux à propulsion électrique n'avaient qu'un avenir lointain. En fait, ils représenteront un quart des satellites en 2020 : la réalité des coûts s'est imposée ! J'espère que nos industriels s'y préparent, et j'aimerais avoir des précisions sur l'aide publique annoncée par M. Macron.

Notre avenir suppose aussi que l'Europe développe ses propres services spatiaux. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Franck Montaugé .  - Je parlerai de la contribution des territoires ruraux. Dans le Gers, quinze PME du secteur aéronautique, fournisseurs d'Airbus, emploient 1 600 salariés. Preuve que la dynamique d'Airbus à Touloise sert toute la région ! Le coût de l'immobilier d'entreprise est bien inférieur en milieu rural, la qualité de vie meilleure, le turnover moindre.

Comment aider ces entreprises à se développer dans les territoires ruraux et tirer parti de la croissance du secteur ? Il faut les aider à se rapprocher pour atteindre la taille critique d'ETI. Ainsi, elles fiabiliseront leur production et accèderont plus facilement aux financements. Au passage, ne sommes-nous pas en train de prendre du retard dans le domaine du 3D printing qui va constituer une révolution technologique ?

C'est dans les moments favorables du cycle économique que l'avenir se prépare. L'État stratège doit aussi faciliter l'accès au crédit bancaire des PME et des ETI sous-traitantes localisées en milieu rural. Le financement de leur bas de bilan est problématique dans la perspective des programmes 320 et 350 qui seront à honorer dans les années à venir.

Pensons aussi aux jeunes. La formation doit être adaptée aux nouvelles techniques, l'apprentissage développé.

Les territoires ruraux ne sont pas des lieux de low cost, mais de best cost, un dirigeant d'Airbus le dit. Il ne s'agit pas pour nous de jouer l'industrie contre l'agriculture, mais l'une avec l'autre. Donnons-nous les outils pour penser l'aménagement des territoires ruraux. Il n'y a pas de fatalité à ce qu'ils vivent sous perfusion des métropoles ! (Applaudissements à gauche)

M. Serge Dassault .  - Le débat est d'actualité. Le président de la République l'a dit : dans le secteur aéronautique et spatial, la France a une tradition d'excellence. Il compte 348 entreprises, dont environ 300 équipementiers et sous-traitants, en majorité des PME, reconnus pour leur savoir-faire. Citions quelques champions : Thales, Eurocopter et, bien sûr, Dassault Aviation.

Le carnet de commandes d'Airbus atteint des records. La filière représente 50 milliards de chiffre d'affaires en 2014, ce qui en fait le premier contributeur à notre balance commerciale. Elle compte sur les investissements d'avenir pour préparer l'avion et le satellite de demain.

Le succès de la filière repose sur des hommes et des femmes qualifiés, maintenons aussi les formations d'excellence dans nos écoles d'ingénieurs - Polytechnique, Supelec, Arts et Métiers, et par le développement de l'apprentissage.

La filière doit rester mobilisée sur le domaine de l'espace. Face à la concurrence, une joint venture sera créée pour développer Ariane 6.

Ces efforts doivent bien évidement être poursuivis, sinon notre industrie aéronautique et spatiale s'exposera au risque de son déclassement, mais il faut surtout renforcer simultanément la compétitivité de nos entreprises. Afin de soutenir la compétitivité de notre industrie, il faut continuer à investir - la recherche représente 14 % du chiffre d'affaires des entreprises privées du secteur - et mettre en place une fiscalité plus incitative sur le modèle du crédit d'impôt recherche. Baisser les impôts permet de préparer l'avenir, pas seulement d'enrichir les actionnaires, mes chers amis !

L'usine du futur se prépare dès aujourd'hui, en réduisant les temps et les coûts de développement et de fabrication, en anticipant à l'avance toutes les contraintes industrielles. Le numérique est l'instrument même de cette mutation, dès la conception, avec des maquettes numériques déjà utilisées chez Boeing et Airbus, jusqu'à la relation client pour accompagner les objets connectés et les nouvelles procédures d'enregistrement, en passant par la maintenance.

Nos succès à l'exportation dépendent de l'appui du gouvernement. Dans ce domaine, les industriels français peuvent compter sur le soutien permanent du président de la République, des ministres Le Drian et Fabius, qui accomplissent un remarquable travail.

M. Roland Courteau.  - C'est bien de le souligner !

M. Serge Dassault.  - En la matière, une préférence communautaire est indispensable.

Mes chers collègues, je vous invite au salon du Bourget qui aura lieu du 15 au 21 juin. Peut-être nous y retrouverons-nous pour déjeuner ? (Sourires ; applaudissements à droite)

présidence de Mme Françoise Cartron, vice-présidente

M. Claude Raynal .  - En Midi-Pyrénées, plus de 100 000 emplois dépendent de la filière aéronautique. Cette formidable réussite est le fruit d'un dialogue permanent depuis près de quarante ans au sein du Gifas entre l'ensemble des entreprises de la filière et l'État stratège. Avec le Plan d'investissement d'avenir 1, celui-ci a su apporter les bons outils, au bon moment.

Une possible réduction du soutien politique à la filière inquiète l'industrie aéronautique comme les élus de Midi-Pyrénées. À l'heure où l'État fédéral américain accorde plus de 8 milliards de dollars d'avantages fiscaux au projet 777x, il reste plus que jamais vital pour nos industries qu'un pilotage politique solide de l'ensemble de la filière soit poursuivi.

Deux sujets pour illustrer mon propos.

Tout d'abord, l'engagement du PIA 2. La filière, encore une fois collectivement, a défini, face à la montée des compétiteurs, deux priorités absolues : un démonstrateur appelé Sefa, pour Systèmes embarqués et fonctions avancées, qui vise à développer des systèmes innovants pour les cockpits des futurs aéronefs, et une plateforme technologique appelée Usine aéronautique du futur. Engageons ces crédits prévus sans tarder et encourageons Airbus à lancer de nouveaux projets, tout en préservant la capacité actuelle des bureaux d'étude.

Deuxième sujet, plus délicat, le gouvernement se mobilise pour défendre Air France et l'accompagne dans la reconquête de sa compétitivité face aux compagnies du Golfe. L'exonération de taxe d'aviation civile pour les passagers en transit constitue un premier pas. La commissaire européenne se lance dans une réflexion sur les moyens d'assurer une concurrence loyale au niveau international. Air France n'a capté qu'une faible partie de la hausse de 14 % du trafic aérien en 2014. Pour la protéger, il est tentant de restreindre l'accès aux compagnies aériennes extra-européennes. Prenons garde, cela pourrait se retourner contre nos constructeurs.

Face à la concurrence, il faut soutenir Airbus Industrie pour éviter les délocalisations. Seul un État stratège peut assurer l'équilibre général. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Merci au groupe CRC de son initiative. Je ne dériverai pas vers la question de la concurrence en général, mais m'en tiendrai aux questions industrielles, qui concernent notre filière aéronautique et spatiale, atout majeur pour notre pays.

Avec 38 milliards d'euros de chiffre d'affaires, en forte croissance, l'industrie aéronautique fait preuve d'un dynamisme remarquable. Représentant 180 000 emplois directs hautement qualifiés, et autant d'emplois indirects, elle a embauché plus de 100 000 personnes entre 2006 et 2013, dont 20 % de jeunes - souvent en contrats d'apprentissage et de professionnalisation, qui concernent 5 000 jeunes.

Un grand groupe a déploré l'existence de 2 000 offres d'emplois de techniciens non pourvues ; c'est pourquoi nous aborderons la question de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences  (GPEC) lors de la réunion du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) qui aura lieu le 22 mai avec Emmanuel Macron.

Les créations d'emploi devraient continuer, car la hausse du trafic devrait se poursuivre. L'achat de 30 000 appareils bénéficiera très majoritairement au duopole Airbus-Boeing. Servir le marché mondial est une chance pour la France.

La France peut être fière d'être le seul pays, avec les États-Unis, à disposer sur son territoire d'une filière aéronautique complète, associant grands groupes (Airbus, Thalès et Safran) et PME. Cette industrie reste essentiellement technologique, obstacle aux délocalisations.

Certains transferts technologiques s'inscrivent cependant dans une stratégie gagnant-gagnant, comme l'illustre la coopération entre Airbus et la Chine, avec l'installation d'une chaine d'assemblage d'A320 à Tianjin en 2008. Désormais, 70 % des avions vendus en Chine sont des Airbus ! Airbus a livré 133 avions à la Chine en Chine, sur un total mondial de 626.

La réussite de la filière aéronautique et spatiale s'explique par un soutien de l'État qui ne s'est jamais démenti depuis les années soixante. Au contraire des États-Unis, le marché institutionnel et national ne suffit pas. La moitié des contrats sont passés avec des sociétés privées. Des programmes d'avenir ont été lancés : les avions A350 et A320neo, les hélicoptères X4 et X6, le moteur LEAP-X, la gamme Falcon - qui jouent le rôle de locomotives.

Dans le domaine de l'espace, les exportations sont indispensables. Or de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques sont apparus sur le marché mondial. Des acteurs tels que SpaceX et Google, issus du numérique et qui disposent de réserves financières, tant en capital qu'en trésorerie, sans commune mesure avec les entreprises traditionnelles du secteur, bénéficient aussi du soutien de la Nasa. Il nous faut réagir...

M. Roland Courteau.  - Oui.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Nous devons rester à la pointe de l'innovation. Nos satellites à projection électrique, développés grâce au PIA, ont déjà du succès. Nous avons remporté des marchés très compétitifs, par exemple aux Émirats arabes unis.

La fusée Ariane doit elle aussi être rendue plus compétitive. Ariane 5 est un lanceur d'une fiabilité inégalée, mais d'une grande complexité technologique. D'où l'enjeu de simplification et de flexibilisation. La nouvelle configuration permettra de réduire les coûts sans menacer l'acquis industriel en France, en Allemagne, ou en Italie.

La joint venture Airbus Safran Launchers (ASL) facilitera les synergies. Pour Ariane 6, la clarification du rôle respectif des agences et des entreprises donnera plus de réactivité et de transparence dans les financements de chacun. Cette évolution des relations entre acteurs de la filière est une décision de l'ensemble des États membres de l'agence spatiale européenne, qui ont adopté une résolution en ce sens en décembre 2014.

Les États, qui investissent 4 milliards d'euros dans les nouveaux lanceurs, ne se désengagent pas ! Les agences ne renoncent pas non plus à la maîtrise d'ouvrage et au contrôle. En outre, le paiement se fera à la livraison, et non plus au développement. Le rôle d'Arianespace pour la commercialisation d'Ariane n'est pas non plus remis en cause.

SpaceX bénéficie certes d'aides massives du gouvernement américain. Mais la société a aussi su innover pour réduire les coûts. Les lanceurs réutilisables n'ont pas fait leurs preuves. La question reste ouverte, cependant, pour le premier étage ; des études sont en cours.

C'est également le cas sur les nouveaux usages des dirigeables. Qui font l'objet d'un projet dans le cadre de la nouvelle France industrielle. Ce plan est conduit par le pôle de compétitivité Pégase en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le premier vise à transporter des charges supérieures à 60 tonnes, le second pour des missions stratosphériques en complément des satellites.

Si l'hélium, utilisé pour pressuriser les étages des lanceurs, est un gaz rare, il ne se pose pas de problème d'approvisionnement. Il est un gaz connexe de l'extraction du gaz naturel. Au Qatar, une usine en produit 40 tonnes par jour, un lanceur en consomme 145 kg.

La recherche représente 10 % du PIB du secteur. Le point de rentabilité financière de certains programmes peut intervenir seulement vingt à vingt-cinq ans après. Cette spécificité impose un soutien spécifique de l'État. Washington vient d'accorder la plus large exemption fiscale de l'histoire des États-Unis à Boeing. Les pratiques sont les mêmes en Chine, en Inde et en Russie, mais aussi, à un moindre degré, au Canada et au Brésil, pays émergents dans le domaine des avions de plus de cent places.

Le modèle français repose sur des aides sectorielles, décidées au sein du Corac (Conseil pour la recherche aéronautique civile), que je préside. Le Cospace (Comité de concertation État-industrie pour le spatial), associant institutionnels et entreprises, a été créé en 2013 par Mme Fioraso, sur la recommandation de Mme Procaccia et de M. Sido. L'État a investi 2,9 milliards d'euros dans le secteur depuis 2010 pour lancer l'A350 et l'hélicoptère X6, appareils qui feront notre industrie de demain. Au passage, l'installation d'Hydro-Québec à Pau est vécue par les industriels comme un partenariat.

L'ESA et la DGA financent également le secteur aérospatial à hauteur de 2 milliards d'euros. L'effort n'a pas faibli, malgré notre situation budgétaire, il s'exprime également à travers le CIR ou les pôles de compétitivité.

Merci à M. Dassault de ses félicitations que je transmettrai à MM. Fabius et Le Drian, ainsi que de son invitation au salon du Bourget. Pour conclure, la France et l'Europe entendent bien conserver leur place de tout premier plan dans les secteurs aéronautique et spatial. (Applaudissements)

Le débat est clos.