Risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat n°10 de M. Joël Labbé à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde.

M. Joël Labbé, auteur de la question .  - Au nom du groupe écologiste, j'ai estimé que la crise ostréicole et les mutations technologiques intervenues depuis vingt ans méritaient un débat qui, par bien des aspects, est sensible.

La France est de loin le premier producteur européen et le quatrième producteur ostréicole mondial. Après un premier débat nocturne, qui avait duré plus d'une heure, sur un amendement que j'avais déposé, pour étiqueter les huîtres en fonction de leur origine, qu'elles soient naturelles, nées en mer ou triploïdes, j'avais annoncé que nous remettrions le couvert. Nous y voici.

L'huître, être vivant mystérieux et fermé, est un mets d'exception, apprécié par les hommes depuis des millénaires. (Marques d'approbation) Dans les mers chaudes, elle produit même ces perles de nacre que les Grecs nommaient les larmes d'Aphrodite. (On apprécie)

Au fil des siècles, la culture de l'huître n'a cessé de s'améliorer, grâce au savoir-faire de générations d'ostréiculteurs...

M. Roland Courteau.  - C'est vrai.

M. Joël Labbé.  - ... qui ont inventé l'élevage sur table, en poches, ou à plat sur l'estran, ou en eau profonde. Coquillage filtreur, microphage et omnivore, elle pompe l'eau de mer afin d'en capter les particules nécessaires à son alimentation et l'oxygène pour sa respiration. Se nourrissant d'algues et d'organismes microscopiques, mais aussi de divers débris, elle est une véritable sentinelle de la biodiversité.

La période de reproduction s'étend de juin à septembre, durant laquelle elle est laiteuse. Aussi les consommateurs avertis privilégient-ils les mois en « r ». Il lui faut trois ans de soins réguliers par les paysans de la mer que sont les ostréiculteurs pour être consommable.

Elle a souffert de nombreuses épizooties : comme celle de 1920-1921 qui a décimé la population d'huîtres plates, ou celle de 1972 qui a décimé les huîtres creuses dites portugaises, remplacées depuis par les huîtres dites japonaises, répondant au nom scientifique de Crassostrea gigas.

Comme la plupart des êtres vivants, dont l'espèce humaine, l'huître est naturellement diploïde, possédant dix paires de chromosomes. Depuis le début des années 2000, l'Ifremer a lancé la recherche sur l'huître triploïde qui possède dix lots de trois chromosomes. Cette innovation a nécessité le rachat d'un brevet américain, dit « Rutgers », en 2004, puis le dépôt d'un nouveau brevet en nom propre en 2008.

Au-delà de la différence chromosomique qui les caractérise, les huîtres triploïdes sont exclusivement élevées dans des écloseries. L'Ifremer a même mis au point l'huître tétraploïde avec dix lots de quatre chromosomes, pour produire des huîtres triploïdes, grâce à des croisements avec des huîtres diploïdes pour obtenir des huîtres triploïdes stériles et non laiteuses.

Il y avait de quoi séduire la filière : « l'huître des quatre saisons » se produit en deux ans au lieu de trois, puisqu'elle ne perd pas d'énergie à se reproduire, et peut être consommée toute l'année, y compris pendant la saison touristique. Elle envahit donc les étals, les professionnels y voyant un moyen d'augmenter leurs débouchés, de lisser les coûts, par l'étalement des ventes sur l'année. Croissance et compétitivité étaient au rendez-vous, avec ce pur produit de la recherche biotechnologique et de l'innovation.

L'heure est au désenchantement. Depuis 2008, la surmortalité du naissain et des huîtres creuses juvéniles affecte l'ensemble des bassins français, imputable au développement du variant de l'herpès virus de l'huître, appelé OsHV-1. Cette hécatombe a coïncidé avec l'introduction de l'huître triploïde.

Les huîtres adultes sont également victimes d'un vibrio aestuarianus - bactérie au nom savant de scénario catastrophique, la mortalité culminant précisément pendant la période estivale, où devait se vendre « l'huître des quatre saisons ». Résultat, dans mon département, le Morbihan, 40 entreprises ont mis la clé sous la porte depuis 2008 et, paradoxe, la surproduction menace, car les ostréiculteurs cherchent à compenser la mortalité par une culture accrue. Il en résulte une chute des cours dramatique, avec un engorgement des stocks d'huîtres de gros calibre, difficilement commercialisables.

Les producteurs deviennent de plus en plus dépendants des écloseries, illustration de la dérive que nous dénonçons, de privatisation du vivant. La profession paie un lourd tribut à cette révolution technologique.

Si l'huître triploïde n'est pas un OGM (organisme génétiquement modifié), elle est un organisme vivant modifié (OVM). Dès 2012, Jean-Patrick Le Duc, délégué aux relations internationales du Muséum d'histoire naturelle, déclarait dans un entretien au Point : "Aujourd'hui, les OVM ne sont pas assez évalués ni encadrés alors que l'on n'a aucun recul. Les cas des huîtres triploïdes ou du saumon transgénique sont emblématiques : on les a introduits massivement au risque de déséquilibrer complètement les écosystèmes, sans appliquer le principe de précaution....l'huître triploïde constitue un danger pour la biodiversité et l'hécatombe ostréicole qui sévit depuis 2008 pose la question de la fragilité de ces organismes modifiés." Tout est dit, ou presque....

Face à l'inquiétude de la profession, l'État a désigné en 2009 un groupe d'experts pour examiner l'impact écologique de l'huître triploïde. Dans son rapport, M. Chevassus-au-Louis relativisait le risque, mais appelait à la « biovigilance ».

Qu'en est-il aujourd'hui ? Les conditions de sécurité sont-elles optimum ? Un contrôle efficace et rigoureux est-il réalisé à chaque rouage de la filière ? Un reportage récemment diffusé sur France 5 révèle que les antibiotiques sont encore utilisés par les écloseries, sans que les ostréiculteurs eux-mêmes en soient informés.

Le silence des pouvoirs publics et l'omnipotence de l'Ifremer font obstacle à la transparence. Une transparence à laquelle les consommateurs ont droit. Pourtant, aucune traçabilité n'est prévue à l'heure actuelle. Un projet de décret sur l'étiquetage était promis en 2012, il n'a jamais vu le jour.

J'attends impatiemment les explications de M. le ministre ! (Applaudissements sur les bancs écologistes et socialistes)

M. Daniel Laurent .  - Le bassin de Charente-Maritime et celui de Marennes-Oléron, connaissent une forte mortalité depuis 2008. Mme Des Esgaulx, sénatrice de Gironde, qui veille particulièrement à la situation du bassin d'Arcachon, s'associe à mes propos.

Notre conseil général s'est beaucoup investi pour soutenir la filière en exonérant les professionnels de la redevance d'occupation temporaire du domaine public portuaire.

La plupart des ostréiculteurs achètent et vendent des huîtres triploïdes, dont il est important de rappeler qu'elles ne sont pas des organismes génétiquement modifiés, puisque leur patrimoine génétique n'est pas affecté.

Le Comité national de la conchyliculture a décidé début 2015 de relancer la réflexion collective sur l'étiquetage des huîtres en fonction de leur nature. Les sept comités régionaux de la conchyliculture ont été sollicités. Pour l'heure, aucune position n'est arrêtée par l'interprofession.

Si aucun consensus ne se dégage sur l'orientation de la filière, il en existe un sur l'étiquetage des huîtres captées en mer. Qu'en pensez-vous monsieur le ministre ? (Applaudissements à droite)

Mme Odette Herviaux .  - La France est au premier rang des pays producteurs d'huîtres en Europe, le quatrième au niveau mondial. Cependant, la baisse de 17 % du nombre de producteurs atteste de la fragilité de la filière.

Pour ma part, j'ai toujours défendu une production écoresponsable. Évitons les postures manichéennes, comme a su le faire M. Labbé dans son discours introductif, en rappelant quelques vérités scientifiques.

La triploïdie empêche la reproduction en milieu naturel. La biovigilance, recommandée par Bernard Chevassus-au-Louis dans son rapport, suffit donc. De plus, les quelques centaines de reproducteurs mis à disposition des écloseries par l'Ifremer sont bien peu par rapport au stock de reproducteurs diploïdes présent dans les bassins de production.

Les études du réseau biovigilance réalisées en 2012 pour mesurer le niveau de ploïdie des naissains d'huître creuse captés dans les pertuis charentais, le bassin d'Arcachon et la baie de Bourgneuf, ne montrent pas de contamination des huîtres polyploïdes. Cela devrait rassurer les plus sceptiques.

Si le bon sens commande de consommer les seuls produits de saison, pourquoi empêcher les Français qui ne veulent pas d'huîtres laiteuses d'aller vers l'huître triploïde ? Faudrait-il, aux dépens des producteurs, s'en remettre aux importations ? Les importations d'huîtres ont déjà cru de 168 % entre 2008 et 2010...

Il est bon de rappeler que l'Ifremer n'avait pas en charge la politique des écloseries, ni celle du contrôle sanitaire et encore moins le pouvoir de contrôler les politiques de vente de naissains, même si le rapport d'expertise judiciaire d'avril 2014 de Jean-Dominique Puyt signale des « défauts de surveillance, de prophylaxie sanitaire et d'informations apportées à la profession ostréicole ». L'évaluation de l'Ifremer par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur en août 2009 a également mis en lumière un défaut de travaux dans le domaine de l'épidémiologie, notamment en ce qui concerne les infections virales herpétiques.

Il faut tirer la sonnette d'alarme, comme je le fais depuis des années dans les débats budgétaires, sur le manque de moyens alloués pour la surveillance et la recherche, y compris en matière de connaissance des milieux marins et de prévention des risques. L'ostréiculture reste très vulnérable face à l'introduction de nouveaux pathogènes.

Encourageons également la filière et la production de qualité : je crois aux messages positifs, plutôt qu'à la stigmatisation qui déstabiliserait le secteur. Structurons une offre hautement qualitative au sein du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.

Croyons en l'avenir de l'ostréiculture ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Le groupe écologiste se concentrera sur les choix de l'Ifremer face à la crise ostréicole. Les pressions de rentabilité qui pèsent sur toute la recherche publique ne doivent pas la pousser à agir en oubliant le principe de responsabilité.

L'Ifremer, créé en 1984 sous la forme d'un Epic, sous la tutelle des trois ministères, de la recherche, de la pêche et de l'environnement, dépend du programme 187, mais aussi d'autres ressources, publiques et privées, notamment commerciales.

Au début des années 2000, l'Ifremer fait le choix, face à la surmortalité des huîtres, de développer l'huître triploïde en achetant, en 2004, un brevet américain, conjointement avec l'écloserie privée Grainocéan International, avec laquelle il établit un partenariat commercial pour la diffusion d'huîtres triploïdes. Ces huîtres, avec ce brevet de 1991 qui tombe bientôt dans le domaine public, sont développées à partir de « chocs thermiques et chimiques » qui sont à l'ostréiculture ce que les électrochocs sont à la psychiatrie...

L'Ifremer a pris le risque de porter atteinte à la biodiversité, selon les propres termes du brevet, français et européen cette fois, déposé en 2008 pour l'huître tétraploïde. On n'arrête pas le progrès !

Selon le rapport d'expertise judiciaire rendu en 2014, aux termes de quatre années d'une procédure engagée devant le tribunal administratif de Rennes, les fautes suivantes ont été signalées qui peuvent indiquer la responsabilité de l'Ifremer : l'absence d'approche médicale et de diagnostic de l'infection herpétique avant 2008 ; le défaut de surveillance ; de conseils de prophylaxie sanitaire ; d'informations apportées à la profession ostréicole sur les risques ; l'absence de proposition de mesures préventives et de contrôle sanitaire de l'herpès virus du naissain de triploïdes dans les écloseries.

Difficile équation entre principe de précaution et innovation !

Chers collègues, nous qui aimons tous les produits de la mer, ne pouvons-nous nous passer de consommer de l'huître triploïde, comme d'oeufs cubiques, parce qu'ils seraient plus simples à ranger dans le frigo ? (Applaudissements sur les bancs écologistes et sourires)

M. Joël Labbé.  - Très bien !

M. Michel Le Scouarnec .  - Ce débat est très important pour le littoral, merci à M. Labbé, qui est du Morbihan comme moi, d'en avoir pris l'initiative et de nous avoir donné, au passage, une belle leçon de sciences naturelles. (Sourires)

Avec près de 8 200 hectares de concessions, la Bretagne représente 41 % des surfaces conchylicoles et 37 % des surfaces exploitées. La Bretagne-sud totalise 61 % des surfaces avec 388 entreprises, principalement dans le Morbihan. C'est dire l'importance de ce secteur d'activité pour notre département : 4 000 personnes y sont employées dans ce secteur dont 2 000 emplois à temps plein. La crise nous touche durement.

La stérilité de l'huître triploïde ne conduira-t-elle pas à terme les producteurs à être dépendants des écloseries ? Les infections bactériennes touchent aussi bien les huîtres triploïdes que les diploïdes. L'Inra a alerté. Si les huîtres tétraploïdes s'échappent des écloseries, le risque de contamination est très réel.

Quand les risques sont de plus en plus palpables, quels moyens de contrôle ? Les fonds alloués à l'Inao diminuent...

L'information aux consommateurs manque mais l'huître triploïde n'est pas considérée comme un nouveau produit. Les études de l'Ifremer ne sont pas publiques. Pour que les ostréiculteurs sortent la tête de l'eau, l'étiquetage est indispensable. Celui-ci en Europe n'est pas obligatoire car la Commission européenne considère que des huîtres peuvent exister à l'état naturel, en quantité très faible. Quelle est la position du Gouvernement sur ce point ? Écoutons nos anciens : consommons ces mollusques les mois en « r ». Longtemps, j'ai pensé que toutes les huîtres étaient aussi bonnes avec une tartine de pain noir beurrée et un verre de blanc frais. J'ignorais le problème... Il faut rester vigilant pour ne pas les noyer. La filière attend. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Gilbert Barbier .  - Pour l'heure, nous n'avons aucune certitude sur les risques sanitaires ou environnementaux inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde. À l'OPECST de se saisir de la question.

Puisque le débat a été inscrit à l'ordre du jour, le groupe RDSE y participera. L'ostréiculture a bénéficié des progrès biotechnologiques avec l'huître tétraploïde : une huître produite en deux ans, consommable toute l'année. D'où son succès : elle représente 30 à 40 % des huîtres consommées en France. Cependant, depuis deux ans, des anti-huître triploïde se mobilisent avec derrière eux des associations qui refusent les biotechnologies. L'huître triploïde n'est pas un OGM mais un OVM ; je constate que l'auteur de la question le reconnaît. L'Afssa a estimé en 2001 que la triploïdie ne paraissait pas constituer en elle-même un facteur de risque sanitaire au regard de l'existence de ce phénomène à l'état naturel. Aucun incident lié à la consommation de l'huître triploïde n'a été rapporté.

Néanmoins, la vigilance s'impose, en particulier sur la dissémination. Les écloseries sont-elles bien sécurisées ?

Pour les ostréiculteurs traditionnalistes, la domestication de l'espèce est en cause dans la mortalité ; mais rien n'est prouvé à ce jour. On a connu des épizooties dans les années 1920 puis dans les années 1970...

Enfin, l'étiquetage. Je partage le souci de transparence en général. Le règlement européen ne l'impose pas mais l'autorise sur le fondement du volontariat.

Le groupe RDSE soutient l'innovation tout en rappelant la nécessité du contrôle et de la surveillance par les pouvoirs publics, ainsi que d'une information protectrice des consommateurs comme des producteurs.

Mme Annick Billon .  - Ce questionnement sur l'huître triploïde a déjà surgi lors de l'examen d'un amendement de notre collègue Labbé. Petit rappel des problèmes de la filière ostréicole. L'ostréiculture, répartie en sept basins, produit 80 000 tonnes d'huîtres, réalise 345 millions d'euros de chiffre d'affaires ; la conchyliculture emploie 18 000 personnes et 3 000 chefs d'exploitation et conjoints.

La Vendée, dont je suis élue, représente 10 % de la production et accueille les écloseries les plus importantes, dont le leader national. Les causes de la mortalité des huîtres depuis 2008 apparaissent multifactorielles. Les professionnels sont légitimement inquiets, cette mortalité touchant tous les stades de la production.

Près de 80 % des producteurs font appel à des écloseries. Cependant, certains procèdent à un captage dans le milieu naturel puis à l'élevage dans le même milieu ; chez d'autres, quelle que soit l'origine du captage, le naissain est envoyé en pré-grossissement dans un autre bassin, en France ou à l'étranger, puis revient et change encore de bassin jusqu'au moment de la vente, l'appellation étant celle du dernier bassin.

S'agissant des diploïdes, l'Ifremer travaille au renforcement de leur résistance. Les craintes de la filière dite traditionnelle sur l'usage d'antibactériens peuvent être levées sur le fondement de la réglementation actuelle, du contrôle et de la certification.

Les huîtres triploïdes, elles, soulèvent des craintes légitimes, mais qui ne sont jusqu'à présent confirmées par aucune étude. Ce ne sont pas des OGM, mais des OVM. En s'appuyant sur la loi Consommation de 2014 et à la demande des ostréiculteurs, il a été demandé d'imposer un étiquetage différenciant les huîtres issues de captage et d'élevage naturel, de celles issues d'écloseries et surtout les triploïdes. Mais celles-ci n'étant pas classées OGM, la demande n'est pas recevable. Le CNC n'est pas favorable à un étiquetage obligatoire. Il n'est pas interdit aux producteurs d'indiquer l'origine ou le lieu de production. Porter mention d'une huître diploïde ou triploïde n'inciterait pas les consommateurs à consommer ! De plus, des huîtres triploïdes existent, dans des quantités même infimes, dans des bassins d'huîtres diploïdes car la nature en produit quelquefois. Les contrôles seraient donc difficiles.

Le brevet américain dont l'Ifremer avait un monopole d'exploitation en Europe est tombé dans le domaine public le 15 janvier. Un autre brevet a été déposé en 2007. Or l'Ifremer souhaiterait cesser son activité de production de géniteurs pour se consacrer à la recherche ; il est disposé à vendre le brevet - ce qui pose problème. Qui assurera cette prestation ? Quelles seraient les conséquences d'une cession du brevet à un acteur privé ? Certains suggèrent de s'inspirer de la réglementation sur les ICPE. Toujours est-il qu'il importe de fixer un cadre réglementaire précis. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

Mme Agnès Canayer .  - En Normandie on pratique la pêche depuis toujours. L'ostréiculture s'y est développée, atteignant sur 1 100 hectares une production de 7 200 tonnes pour la campagne 2010-2011 sur les 84 000 tonnes produites en France, employant 2 000 personnes dans 250 entreprises. Les producteurs se sont engagés dans une démarche de qualité, sanctionnée par la dénomination « Huîtres de Normandie » et par le label « Gourmandie », sur la base d'un cahier des charges rigoureux. Un organisme de défense et de gestion préfigure l'IGP en cours d'instruction.

Les ostréiculteurs sont aujourd'hui fragilisés par la surmortalité des huîtres. Malgré le soutien de l'État, les producteurs d'Isigny sont en grande difficulté. La priorité est à la sauvegarde de la production et des exploitations.

L'Ifremer a développé l'huître triploïde pour renforcer la résistance des huîtres. Il entend aujourd'hui transférer le brevet à la profession ou le rendre au domaine public, considérant que la profession doit être organisatrice - celle-ci a la même position.

La profession est consciente du besoin d'information des consommateurs et s'interroge sur l'impact qu'aurait un étiquetage. En avril, les ostréiculteurs normands se sont prononcés contre l'étiquetage obligatoire, même si certains vantaient les atouts d'une demande proactive. La profession connaît les enjeux. Faisons-lui confiance. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Yannick Vaugrenard .  - La production d'huîtres atteignait en moyenne 130 000 à 140 000 tonnes sur la période 1996-2007, puis elle a chuté en 2008 à 80 000 tonnes à cause de virus et de bactéries. En 2012, la production est remontée au-dessus de 100 000 tonnes.

Mais l'embellie est trompeuse, les ostréiculteurs sont dans une situation difficile avec des stocks à zéro et des problèmes de trésorerie et d'investissement. L'État ne les a pas oubliés - exonération de la redevance domaniale et fonds d'allègement des charges.

L'huître triploïde mise au point par l'Ifremer représente 30 % des ventes ; stérile, elle n'est pas laiteuse et croît en deux ans au lieu de trois.

Selon l'Ifremer, sa résistance serait supérieure à celle de l'huître diploïde. Mais elle a ses détracteurs, même si l'Afssa a estimé qu'il n'y avait pas de risque sanitaire.

Selon le Comité national de la conchyliculture, l'absence d'étiquetage est normale car il ne s'agit pas d'OGM. L'association des ostréiculteurs traditionnels défend quant à elle l'huître née en mer. Sans doute faut-il préférer l'incitation à l'obligation. La même association accuse l'Ifremer d'avoir découvert le virus en 1991 et de n'avoir rien fait pour l'arrêter ; le tribunal administratif de Rennes a été saisi. Pourriez-vous nous détailler les missions de l'Ifremer, monsieur le ministre, afin de dissiper cette polémique ?

Les recherches montrent que le surcroît de mortalités dépend de multiples facteurs, et non du seul virus mis en cause : usage de produits chimiques, élévation de la température des eaux, concentration des jeunes huîtres dans les parcs... Monsieur le ministre, je compte sur vous pour nous apporter tous les éclaircissements propres à rassurer les consommateurs.

M. François Commeinhes .  - L'huître triploïde est stérile ; elle présente l'avantage de ne jamais être laiteuse, tandis qu'elle croît plus vite.

La réglementation dépend du Comité national de la conchyliculture. Les obligations d'étiquetage sont définies par le règlement européen de 1997. Bruxelles, estimant que les huîtres triploïdes existent à l'état naturel, considère que l'étiquetage est possible uniquement sur la base du volontariat. Si les risques de contamination semblent limités, les techniques utilisées dans les écloseries pourraient faire l'objet d'un agrément. La biovigilance y gagnerait.

Un schéma de gestion collective de la production d'huîtres polyploïdes pourrait être mis en place, avec un programme de suivi des méthodes d'obtention ; à court terme, un programme d'organisation des stocks en élevage d'huîtres tétraploïdes en lien avec le CNC ; un programme de transfert à l'organisation interprofessionnelle des missions actuellement remplies par l'Ifremer pour l'hébergement, la production et la fourniture d'huîtres tétraploïdes.

Enfin, s'agissant de l'étiquetage, la demande d'une plus grande transparence sur les méthodes de production est une fausse bonne idée. Les professionnels français estiment qu'il faut conserver les deux systèmes, le captage naturel lorsqu'il est disponible et l'approvisionnement par écloserie, et que la mention de la triploïdie ferait fuir le consommateur. De nombreux fruits et légumes sont triploïdes sans étiquetage spécifique - la clémentine par exemple. Si un étiquetage devait être décidé, je plaiderais pour les mentions : « huîtres issues de captage naturel » pour des huîtres qui seront forcément diploïdes ; et « huîtres issues d'écloserie » pour des huîtres qui pourront être diploïdes ou triploïdes. Il faudra raison garder ! (Applaudissements à droite)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Je remercie M. Labbé qui a pris l'initiative de ce débat important pour la filière conchylicole française, au premier rang européen avec une production de 80 000 tonnes, 2 500 entreprises, un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros. Si les huîtres diploïdes ont deux paires de chromosomes, les huîtres triploïdes sont issues du croisement entre ces dernières et les huîtres tétraploïdes produites selon des procédés brevetés. Il ne s'agit pas d'OGM car leur patrimoine génétique n'est pas affecté. Il existe d'ailleurs d'autres organismes triploïdes parmi les céréales, les cultures maraîchères et fruitières, et la polyploïdie est même naturelle chez les fruits rouges sauvages.

Les huîtres que nous consommons sont issues de deux sources : le captage naturel et les écloseries. La production d'huîtres triploïdes représente 30 % du total.

Le gouvernement est attaché à travailler de concert avec la profession. Les productions d'huîtres diploïdes et triploïdes ont été jusqu'à présent complémentaires. Un même producteur élève les deux. L'Ifremer a répondu aux demandes des ostréiculteurs désireux de disposer d'une huître toute l'année, avec un rythme de naissance plus rapide. Le maintien des différents modes de production peut contribuer à renforcer la capacité de résilience du secteur en cas de crise. Cela a été le cas à partir de 2008. La production d'huîtres triploïdes a fait l'objet d'une évaluation indépendante et est soumise à un suivi régulier.

L'avis du Comité d'éthique et de précaution pour la recherche commun à l'Inra et à l'Ifremer, en 2004, a été suivi au travers de mesures de précaution qui figurent dans les conventions entre l'Ifremer et les écloseries. Des expertises scientifiques ont été menées en 1998 et 2008 sur la production d'huîtres tétraploïdes. Elles ont conclu que le risque environnemental était faible. Un réseau de biovigilance a cependant été mis en place. Les études ont toujours montré l'absence de colonisation de l'huître triploïde par reproduction dans le milieu naturel. Pour que toute la transparence soit faite, il serait intéressant que le Parlement se saisisse du sujet, via l'OPECST dont le statut garantit l'indépendance de l'expertise.

M. Gilbert Barbier.  - Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Le programme de recherche ambitieux Score témoigne de l'engagement du gouvernement pour lutter contre la surmortalité et améliorer la résistance des huîtres. Le ministère finance une convention aquacole avec l'Ifremer dont une partie est consacrée aux mortalités.

L'Ifremer envisage de céder son brevet à la profession. Le contrat d'objectifs État-Ifremer 2014-2017 prévoit le transfert de l'activité de production des tétraploïdes. Il sera préparé et accompagné. Il n'est pas question de laisser cette technologie aux mains d'opérateurs privés sans encadrement réglementaire. Mon ministère y travaille avec pour échéance début 2016. La mise au point de ce cadre répond aussi aux recommandations du comité d'éthique de l'Ifremer. Nous nous inspirerons du régime des installations classées pour l'environnement.

En même temps, le consommateur exige plus de transparence. Le débat se focalise sur l'ostréiculture, alors que d'autres espèces animales ou végétales sont aussi polyploïdes. Encourager les producteurs à indiquer l'origine du naissain est une bonne idée. Il faudra aussi développer la traçabilité des élevages.

L'État a consacré 150 millions d'euros depuis 2008 à soutenir la filière. Les régions sont associées pour une gestion au plus proche du territoire. Il faut aujourd'hui mobiliser les professionnels sur un projet de filière dans une logique de partenariat avec l'État et les collectivités territoriales. J'ai réuni les comités régionaux et le comité national. Je leur ferai part des conclusions de notre débat. (Applaudissements à gauche)

M. Joël Labbé .  - Ce débat n'est pas abouti, mais semble lancé. L'omerta a cessé. Loin de nous l'idée de stigmatiser la profession, nous devons travailler avec elle. Celle-ci réunit des acteurs divers : l'Ifremer, les ostréiculteurs traditionnels, les écloseries, le comité national. Beaucoup d'ostréiculteurs utilisent à la fois des naissains naturels et des naissains d'écloserie.

Le consommateur exige plus de transparence. Il est important qu'il sache que l'huître est un produit saisonnier ; s'il n'en consomme pas en été, il consommera autre chose... L'impératif de la croissance à tout prix ne justifie pas tout, les dégâts collatéraux sont déjà là.

Les huîtres triploïdes sont plus fragiles. Pourraient-elles favoriser le développement de la bactérie ? La question est très complexe, disent les scientifiques. Je n'aurai donc pas de réponse toute faite. La vérité est qu'on n'a pas procédé à une évaluation suffisante de l'impact sur le milieu à moyen et long terme. On ne prend plus le temps de mener de telles études, il faut avancer, paraît-il...

Élu, je suis impatient car interpellé. Je nous donne rendez-vous le 10 juin pour un colloque, au Sénat, qui réunira les ostréiculteurs traditionnels qui demandent l'étiquetage, le Conseil national de la conchyliculture, l'Ifremer, les écloseurs, les scientifiques, les consommateurs. Ensemble, nous réfléchirons à une clarification. Tout le monde y gagnera, à commencer par la profession. Je me réjouis aussi à l'idée que l'OPECST se saisisse de cette question. (Applaudissements à gauche et sur les bancs écologistes)