Questions cribles sur la dotation globale de fonctionnement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement. La séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.

M. André Gattolin .  - Puisque j'ai l'honneur d'ouvrir cette séance, je vais vous poser une question générale : la réforme des régions aura un impact direct sur les inégalités territoriales puisque certaines inégalités interrégionales seront désormais intrarégionales. Quelles conséquences en tirer ? Ne faudrait-il pas transférer une partie de la dotation de péréquation régionale aux échelons inférieurs ? L'exemple de l'Ile-de-France est éclairant : la région la plus riche de France, une des plus riches d'Europe, est celle où s'accroissent le plus vite les inégalités et la ségrégation spatiale.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale .  - La fusion de certaines régions au 1er janvier prochain aura évidemment des conséquences sur leurs ressources fiscales et leurs dotations. Le projet de loi NOTRe précise les conditions d'harmonisation des tarifs et des taux. Des dispositions spécifiques seront prises dans le projet de loi de finances à venir.

Avec 200 millions d'euros consacrés à la péréquation, la règle restera inchangée. Le Gouvernement tiendra compte des spécificités de chaque région tout en évitant de déstabiliser les nouvelles régions. De toute façon, la réforme se fera à enveloppe fermée. Les simulations sont en cours, en concertation avec l'ARF, dans la perspective de la loi de finances pour 2016.

M. André Gattolin  - La fusion des régions aura également un impact sur la répartition du Feder. Il serait bon d'avoir des projections pour savoir s'il n'y a pas trop de régions perdantes.

Mme Marie-France Beaufils .  - Créée en 1979, la dotation globale de fonctionnement représente, avec 40 milliards d'euros en 2014 et 36,6 en 2015, le principal concours aux collectivités territoriales. Elle a été conçue dès l'origine pour remplacer les recettes fiscales. Madame Pires Beaune, qui poursuit la réflexion entamée il y a plusieurs mois avec Jean Germain, voudrait en conserver les principales caractéristiques tout en corrigeant les inégalités constatées dans sa répartition. Comment effectuer cette réforme alors que les collectivités territoriales subissent une réduction de leurs dotations pour satisfaire le dogme européen ?

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - C'est justement en raison de cette situation critique qu'il faut mener cette réforme. La moitié des montants de la dotation globale de fonctionnement demeurent figés pour des raisons historiques. La péréquation a été étendue pour le bloc communal, les collectivités territoriales ayant un potentiel fiscal supérieur à 75 % de la moyenne contribuent davantage depuis la loi de finances pour 2015. Nous poursuivrons dans cette voie.

Mme Marie-France Beaufils.  - L'AMF évalue la perte pour les collectivités territoriales à 3,4 milliards d'euros. De petits aménagements ne suffiront pas, d'autant que le poids du chômage et les difficultés sociales pèsent bien plus que les petites évolutions dans le calcul du potentiel fiscal.

Mme Michèle André .  - Mme Pires Beaune est venue le 27 mai devant notre commission des finances. Une réforme de la dotation globale de fonctionnement est en effet nécessaire : comment expliquer par exemple que 34 803 communes, soit 95 % d'entre elles, soient éligibles à la dotation de solidarité rurale, qui est une dotation de péréquation ? Notre collègue députée propose plusieurs pistes : créer une dotation unique de fonctionnement garantie à toutes les communes, mieux cibler la péréquation « verticale » pour l'articuler avec l'« horizontale », instituer une dotation générale de fonctionnement intercommunale, ainsi qu'une dotation générale de fonctionnement locale garantissant l'autonomie des communes, revoir les critères d'éligibilité et de répartition.

Aucune d'entre elles ne doit être écartée. Chacune doit être explorée et faire l'objet de simulations. Pouvez-vous me confirmer que telle est bien votre intention ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Sur ce sujet délicat, cherchons ce qui doit nous rassembler : combattre l'illisibilité, l'injustice ; chercher l'égalité avec une dotation sociale pour que chaque collectivité territoriale puisse remplir ses missions ; renforcer la péréquation.

Le Gouvernement fera évidemment procéder à des simulations sur toutes les pistes. Il sera à l'écoute du Parlement et des élus.

Mme Michèle André.  - Dont acte. Merci beaucoup.

M. Vincent Delahaye .  - Les critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement sont inadaptés et injustes. D'autant plus quand les dotations se réduisent. Le bloc communal, le plus sollicité par les citoyens, est le plus touché. Est-ce par volonté de supprimer les communes ?

Seconde question, certaines intercommunalités, souvent les plus anciennes, sont favorisées avec des écarts de un à onze. Quand la carte intercommunale s'achève, pourquoi cette prime à l'intégration maximale ? Là encore, le Gouvernement veut-il subrepticement favoriser la disparition des communes ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Poser des questions, c'est aussi chercher des réponses. Le Gouvernement n'est pas seul dans cette affaire. Le comité des finances locales a décidé de faire porter l'effort de réduction des dotations sur les intercommunalités plus que sur les communes : la part des premières dans la répartition des dotations n'est que de 23 %, mais elles supportent 30 % de l'effort, alors même que nous cherchons à les renforcer.

Quant à la mutualisation, à l'intégration intercommunale, nous y sommes évidemment favorables. Le Gouvernement n'a aucune intention cachée, il veut une réforme juste.

M. Vincent Delahaye.  - Ce n'est pas le comité des finances locales qui a décidé de transférer les frais de gestion aux départements et aux régions.

Mme Catherine Procaccia.  - Exact !

M. Vincent Delahaye.  - La mutualisation, oui, mais l'intégration ? Elle a pour fonction de réaliser des économies d'échelle. Pourquoi l'encourager par la fiscalité quand l'argent est rare ?

M. Philippe Dallier .  - Chacun s'accorde à le dire : il faut une réforme de la dotation globale de fonctionnement et de la péréquation. La dotation globale de fonctionnement est illisible, inefficace. La péréquation également : ma commune, en Seine-Saint-Denis, est éligible à la DSU mais contribue au FPIC !

La question est : comment faire avec une baisse de 12,5 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales ? Cette politique coûterait 0,6 % de croissance, les collectivités territoriales représentant 70 % de l'investissement public. D'ici deux ans, les deux tiers des communes seront dans le rouge. Oui à la réforme mais de manière progressive ! (Applaudissements à droite)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Je me réjouis : le groupe Les Républicains veut la réforme. Cela nous rassemble. La baisse que vous dites est échelonnée sur cinq ans ; elle représente 6 % des recettes des collectivités territoriales : 6 % sur cinq ans, ce n'est pas aisé mais cela peut se gérer.

Est-il opportun de mener la réforme dans cette situation ? Je le crois. Certains sont dans une position plutôt confortable, d'autres non. Faut-il demander le même effort à tous sans rien corriger ? J'attends vos propositions.

M. Philippe Dallier.  - Vous dites que 6 % sur quatre ou cinq exercices, ce ne serait pas grand-chose ? Il est extrêmement difficile de réduire nos dépenses, constituées à 60 % de frais de personnel ! Nous ne maîtrisons ni la hausse du point d'indice ni l'évolution du glissement vieillesse-technicité, pas plus que les charges nouvelles décidées par l'État. L'électricité, le gaz, les communications renchérissent aussi !

Tenez compte de cet effet de ciseau entre baisse des dotations et poursuite de la hausse des dépenses, sinon les entreprises trinqueront : on avance 30 000 chômeurs de plus dans le bâtiment cette année. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jacques Mézard .  - Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales tant que vous ne l'étoufferez pas par le non-cumul (Mme Catherine Procaccia s'esclaffe), doit veiller à l'équité entre elles, puisque l'égalité parfaite est impossible. Une réforme des dotations n'est envisageable qu'en début de mandat présidentiel. Le Gouvernement a fait le choix d'une baisse brutale de 12 milliards d'euros, qui contraint les collectivités territoriales à tailler dans leurs investissements. Certaines sont plus fragiles que d'autres. À quand la baisse péréquatrice ?

Confirmez-vous les conclusions du rapport du commissariat général à l'égalité des territoires, selon lesquelles la DGF serait désormais calculée à l'échelle des EPCI et versée aux EPCI ? Est-ce votre projet ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Oui, la DGF actuelle est injuste. Le Gouvernement tiendra le plus grand compte des conclusions de la mission parlementaire. Le comité des finances locales sera saisi et la Haute Assemblée sera la première concernée.

Le rapport du Commissariat général à l'égalité des territoires n'engage que lui.

Des mesures viennent d'être annoncées pour les communes : remboursement de la TVA, pérennisation des prêts à taux zéro de la Caisse des dépôts et consignations sur deux ans, fonds spécial d'un milliard d'euros, qui s'ajoutent à l'aide de 100 millions aux maires bâtisseurs et à la hausse de 200 millions d'euros de la DETER.

M. Jacques Mézard.  - Selon quels critères ces fonds seront-ils répartis ? Le rapport que j'ai rédigé avec Philippe Dallier et Charles Guené montre que la majorité des communes sont en difficulté, un milliard ne suffira pas. Enfin, les projets de loi qui nous sont soumis sont généralement directement tirés des rapports du Commissariat général à l'égalité des territoires.

M. Alain Richard .  - Chacun s'accorde sur la nécessité d'une réforme de la DGF. Sur la dotation universelle, la ruralité, un accord peut être trouvé, mais sur d'autres critères, nous en sommes loin. Les principes mêmes d'une nouvelle dotation intercommunale ne sont pas non plus définis. La réforme est d'autant plus difficile en période de disette budgétaire.

Je suis au regret de vous annoncer que nous sommes déjà le 11 juin... (Sourires) Ne serait-il pas raisonnable de nous donner un an de plus pour réfléchir ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Le meilleur moyen de ne pas aboutir, c'est de décider à l'avance qu'on n'aura pas le temps... Il y a quelques mois, beaucoup ne voulaient pas entendre parler d'une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Ceux qui sont assis sur leurs privilèges font jouer tous les conservatismes. On trouvera toujours de bonnes raisons : la fin de la législature, la réforme en cours des valeurs locatives, la complexité de la chose.... Les chosent bougent à entendre les orateurs du groupe Les Républicains.

Nous avons les moyens de procéder à toutes les simulations nécessaires. Parmi elles, le calcul -je parle bien du calcul, et non du versement - à l'échelle de l'intercommunalité. Il y a des communes riches dans des intercommunalités pauvres, d'où des prélèvements qui ne se justifient pas. Avec de la volonté, nous pouvons aboutir dès la prochaine loi de finances.

M. Alain Richard.  - Le FPIC a été mis en place au niveau intercommunal. Or, depuis trois ans, les difficultés de répartition interne n'ont pas été surmontées. En nous donnant l'année 2016 pour réfléchir, nous créerions les conditions d'une réforme partagée. D'autant que nous aurons plus de visibilité avec la fin du prélèvement pour contribution à l'équilibre des finances publiques. Il n'est d'ailleurs pas forcé que l'évolution des dotations soit toujours à la baisse...

M. Michel Bouvard .  - Nul ne conteste, ni la nécessité d'une réforme, ni celle de la péréquation.

Les communes touristiques ne refusent pas la solidarité, mais veulent préserver la compétitivité du tourisme français. Alors que leurs dotations diminuent, les prélèvements du FPIC progressent inexorablement, jusqu'à deux ou trois millions pour certains.

La Cour des comptes souligne que la péréquation s'est construite par sédimentation sans grande cohérence. Entendez-vous créer une dotation globale de fonctionnement qui, comme avant 1995, comporte des mécanismes péréquateurs incitant à l'investissement des communes touristiques ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Les besoins des communes touristiques sont déjà pris en considération : décompte des résidences secondaires pour le calcul des dotations, taxe de séjour.... Faut-il une dotation spécifique ? Les communes de montagne non classées comme touristiques demanderaient aussi des mesures particulières, celles de Guyane une dotation liée à la surface, etc. On irait à l'encontre de l'objectif de simplification. Le Parlement y réfléchira.

M. Michel Bouvard.  - Le décompte des résidences secondaires est loin de compenser les frais occasionnés par l'accueil de touristes. Une commune touristique, c'est à la fois une commune et une entreprise. Ne baissons pas la garde face à nos concurrents étrangers.

M. Vincent Eblé .  - La situation des départements doit aussi être prise en compte, les écarts de dotation globale de fonctionnement, moindres que pour les communes, n'en existent pas moins. Ainsi, la Seine-et-Marne reçoit 113 euros par habitant, contre 152 euros dans les Hauts-de-Seine dont le potentiel financier est pourtant infiniment supérieur.

M. Roger Karoutchi.  - Les Hauts-de-Seine sont bien gérés, c'est simple ! (Sourires)

M. Vincent Eblé.  - Les bases de calcul datent de 1999, d'il y a 16 ans, soit de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ; la dynamique économique et démographique n'est pas prise en compte, c'est très préjudiciable. Nous demandons une réforme de la dotation générale de fonctionnement départementale au même rythme que pour les autres échelons !

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Il faut commencer par le bloc communal, qui représente 22 milliards sur les 36 de la dotation globale de fonctionnement : c'est là où les inégalités sont les plus fortes. Le Gouvernement est néanmoins conscient des difficultés que vous pointez. Les accords de Matignon en 2013 ont assuré une meilleure couverture des trois allocations de solidarité.

La péréquation verticale et horizontale au profit des départements les plus pauvres progresse.

M. Vincent Eblé.  - La réforme sera un jeu à somme nulle. La moitié des collectivités y perdront forcément, elles y sont donc hostiles. Elle n'en est pas moins urgente. L'État donne plus aux riches qu'aux pauvres !