Précarité sociale et discrimination

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.

Discussion générale

M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi .  - « Ce qu'il y a de scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue.» Ces mots de Simone de Beauvoir prennent une résonance particulière au moment où nous entamons l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination pour précarité sociale, que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin. Oui, la pauvreté est un scandale !

La France a beau être un pays riche, 8,5 millions personnes y vivent au-dessous du seuil de pauvreté fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois. Plus scandaleux encore, un enfant sur cinq est pauvre. Dans les zones urbaines sensibles, c'est même le cas d'un enfant sur deux. Notre système ne protège plus contre l'exclusion. Et la situation empire : 12 % d'allocataires supplémentaires en trois ans au RSA.

Les personnes en situation de pauvreté et de précarité sont d'abord et avant tout des victimes. Des victimes, qui subissent une double peine puisqu'à la pauvreté s'ajoute la discrimination dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et relations avec les services publics.

Est-ce pour cela que les pauvres manifestent peu ? Est-ce parce qu'ils votent peu voire pas ? Parce que vous ne les verrez jamais manifester ? Ou tout simplement parce que vous ne les voyez pas ? En tout cas, ils demeurent, la plupart du temps, inaudibles. II n'est pas si loin le temps où un ministre de la République dénonçait les supposées « dérives de l'assistanat », « cancer » selon lui de la société française. Cette stigmatisation, c'est la culpabilisation, alors que les hasards de la vie peuvent mener à la pauvreté, quand ce n'est pas simplement l'hérédité. En tout cas, être pauvre n'est pas un choix.

La stigmatisation peut s'analyser aussi bien comme une cause que comme une conséquence de la pauvreté. Beaucoup préfèrent ne pas demander les prestations auxquelles ils ont droit et qui pourraient leur apporter un réel soutien de peur, justement, d'être stigmatisés. Le voilà, le « cancer » : quand le pauvre se sent coupable de la situation dramatique dans laquelle il se trouve.

En décembre 2012, l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale faisait état d'un taux de 35 % de non recours au RSA socle et de 68 % du RSA activité. Que sont, à côté de ces 5 milliards non réclamés, les 60 millions de la fraude que certains dénoncent ? Renforcer l'effectivité des droits des personnes en situation de pauvreté est l'un des points sur lesquels j'ai le plus insisté dans le rapport que j'ai publié en février 2014 au nom de la délégation à la prospective sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Il ne s'agit pas de bons sentiments mais de mettre le doigt sur une telle réalité.

Une mère de sept enfants dans un logement insalubre dépose un dossier pour obtenir un logement décent. Deux semaines après, le bailleur se rétracte au motif que cette famille présente un risque élevé d'insolvabilité. Or l'Allocation personnalisée au logement (APL) couvre intégralement le loyer et la famille dispose d'une garantie du Fond de solidarité pour le logement (FSL).

Les personnes titulaires de la Couverture maladie universelle (CMU) sont souvent refusées par les médecins. Un enfant est suivi par un orthodontiste. La famille bénéficie d'une mutuelle : tout se passe bien. Ses droits évoluent ; elle relève désormais de la couverture maladie universelle complémentaire. Avant la consultation, la mère de l'enfant prévient le secrétariat de ce changement de situation. L'orthodontiste vient alors les trouver dans la salle d'attente et, devant les autres patients, leur explique qu'il ne peut poursuivre le traitement, qu'il arrête les soins.

Comment ne pas être scandalisé par l'exclusion du musée d'Orsay d'une famille pauvre au prétexte que son odeur gênait les visiteurs ? Ou par l'exclusion d'un enfant de la cantine scolaire parce que sa mère, licenciée, pouvait désormais le nourrir à domicile ?

Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté, le 12 mars dernier, la proposition de loi de M. Schwartzenberg, visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire. Je souhaite que le Sénat inscrive prochainement ce texte à l'ordre du jour et confirme le vote des collègues députés.

Nombreux sont ceux qui se flattent du succès d'Esther Duflo, cette jeune économiste française travaillant aux États-Unis, spécialiste des questions liées à la pauvreté, qui a été choisie pour conseiller le président Obama. Ceux qui se flattent de son succès oublient de rappeler ce qu'elle a maintes et maintes fois répété : c'est bien souvent par idéologie, ignorance et inertie que les politiques échouent.

Il est plus que temps, avec cette proposition de loi, de reconnaître sans idéologie, les discriminations à raison de la pauvreté. La République sans le respect n'est plus la République. Le défenseur des droits, M. Baudis, avait attiré l'attention sur la discrimination à raison du lieu de résidence et de la pauvreté, le premier a été reconnu dans la loi d'avril 2014. Quatre pays ont interdit la discrimination en raison de la pauvreté à commencer par la Belgique qui fait décidément figure d'exemple.

Complétons notre code pénal, notre code du travail et la loi du 27 mai 2008 en y ajoutant ce critère. Je salue la mémoire de Geneviève de Gaulle-Anthonioz en reprenant les mots du président de la République à l'occasion de son entrée au Panthéon, le 27 mai : Parce qu'elle voulait, cette grande dame, porter son combat sur le terrain du droit. Parce qu'elle entendait sortir son peuple de l'ombre par la lumière de l'expression de la volonté générale. Parce qu'elle estimait que la pauvreté n'est pas une fatalité individuelle mais une défaillance collective. Parce qu'elle voulait inscrire le respect de la dignité de tous dans le marbre de la République. Elle savait bien qu'il ne suffit pas d'une loi pour éradiquer la pauvreté et assurer l'accès de tous aux droits fondamentaux.

Le président de la République ajoutait qu'hélas le nombre de familles pauvres n'a pas diminué en France en près de vingt ans et qu'il nous revient de faire de mots pieux -le droit au logement, au travail, à la culture- d'ardentes obligations. Le travail remarquable des associations, comme ATD Quart Monde, ne doit pas nous exonérer de nos responsabilités. Disons-le clairement : la discrimination liée à la pauvreté constitue une violation des droits humains. Sa tragique banalisation dans notre société représente le témoignage d'un jeune que j'ai entendu par l'entremise d'ATD Quart Monde m'a frappé : après avoir été balloté de foyer en foyer, on a considéré qu'il pouvait se débrouiller seul à 18 ans. Alors qu'aucun droit ne lui était ouvert, toutes les portes se sont refermées devant lui. Pourtant, il insistait, non sur la nécessité de recevoir des aides, mais d'être écouté et respecté.

René Char disait : « Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Osons nommer la pauvreté.

Avec humilité, en ce jour chargé d'histoire, je lance un appel pour lutter contre les discriminations qu'elle entraine. En votant cette proposition de loi, nous ferons un premier pas. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Kaltenbach , rapporteur de la commission des lois.  - Cette proposition de loi reconnaît un vingt et unième critère de discrimination à raison de la précarité sociale. Elle complète ainsi le code pénal et le code du travail. Elle s'inspire du rapport de M. Vaugrenard au nom de la délégation à la prospective. Selon l'Insee, 8,5 millions de Français vivraient sous le seuil de pauvreté, dont 3,5 millions d'enfants. Double peine, ces personnes sont souvent stigmatisées, certains dénonçant « l'assistanat » comme la source de tous nos maux. Ce texte est bienvenu. La notion de « précarité sociale » reste encore incertaine. En tant que rapporteur, j'ai essayé de la préciser.

Cette proposition de loi apporte une reconnaissance symbolique. Elle vise à inciter les personnes pauvres à faire valoir leurs droits, sans crainte d'être stigmatisées, alors qu'un tiers des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas.

La loi pénale, par son caractère dissuasif, aidera à faire évoluer les mentalités pour réduire les discriminations. Il est opportun de réaffirmer les principes républicains : liberté, égalité, fraternité.

L'enjeu était de trouver une définition juridique opérante, conformément au principe de légalité des délits et de peines. La notion de précarité sociale est une notion subjective, donc fragile, que le Conseil constitutionnel aurait certainement rejetée. C'est pourquoi nous avons préféré retenir pour critère la vulnérabilité résultant de la situation économique.

Les concepts utilisés par le droit international comme la fortune ou l'origine sociale semblaient datés. De même, prendre en compte des seuils de revenus n'était pas non plus satisfaisant : ils fonctionneraient comme des couperets. Notre rédaction s'inspire de la loi de 2012 contre le harcèlement sexuel. Je vous proposerai, en effet, de remplacer la notion de précarité sociale par celle de « vulnérabilité résultant de la situation économique ». Nous n'avons pas introduit ce nouveau critère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la presse car le délit d'injure suffit. Nous avons aussi voulu faciliter les discriminations positives.

Nous soutenons l'action engagée par le Gouvernement contre la pauvreté avec le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale.

Il faut réaffirmer l'exigence de solidarité essentielle au vivre ensemble. (Applaudissements à gauche)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion .  - L'entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d'ADT Quart Monde, a été l'occasion pour le président de la République de réaffirmer son attachement aux valeurs de notre République et la nécessité de les défendre.

Nos vies ne sont pas rectilignes. Ceux qui connaissent des accidents de parcours, des hauts, des bas, ne doivent pas être laissés sur le bas-côté. La pauvreté n'est pas seulement l'affaire des associations humanitaires et des travailleurs sociaux, elle concerne toute la société.

Un plan de lutte contre la pauvreté a été adopté en janvier 2013 pour faciliter l'accès aux soins, au logement, à l'emploi. Le 3 mars, il a été complété par 50 nouvelles mesures. Il est conçu à la fois comme un bouclier social et un tremplin pour aider les personnes victimes d'un accident de la vie à rebondir.

Quelque 8 millions de Français sont victimes de pauvreté. Faut-il les tenir responsables de leur situation ? Trop souvent, ils n'osent pas faire valoir leurs droits, minés par la honte. C'est pour cela qu'avec Mme Touraine et moi-même, le Gouvernement tout entier s'emploie à mieux informer, à simplifier les procédures et le vocabulaire employé dans les courriers administratifs.

Ces personnes souhaitent souvent se faire oublier, elles ne votent même plus. Elles sont pourtant nos concitoyens. À nous de garantir leurs droits, de leur faire sentir que la loi est de leur côté.

Le Gouvernement a déjà oeuvré : il a introduit dans le code pénal et dans la loi de lutte contre les discriminations un vingtième critère concernant le lieu de résidence. Dans la loi sur le harcèlement sexuel, j'ai, en tant que parlementaire, fait introduire un facteur aggravant, celui de la précarité sociale.

Cette proposition de loi reconnaît un nouveau critère de discrimination. Elle vise à redonner confiance aux plus pauvres. Les discriminations sont contraires à nos valeurs, elles seront dorénavant contraires au droit. La commission des lois a su trouver une rédaction juridique adéquate qui soit aussi une formulation non stigmatisante, pour éviter que le texte ne se retourne contre les personnes visées. La bonne conscience ne suffit pas. Il était nécessaire de définir une norme juridique. Chacun est responsable de l'exclusion sociale. L'individualisme ne doit pas l'emporter.

La solidarité n'est pas un supplément d'âme, c'est ce lien invisible qui nous protège collectivement ; le lien le plus précieux qui nous rend plus forts, confiants dans l'avenir ; ce lien qui fait notre capacité collective à rester unis. Le Gouvernement soutiendra ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Mandelli .  - Selon la Fondation Abbé Pierre, la pauvreté progresse : 5 millions de mal-logés, 8 millions de personnes pauvres, dont 3,5 millions d'enfants. Dans son rapport, Osons la fraternité, M. Vaugrenard constate que notre système ne protège plus contre l'exclusion.

Cette proposition de loi crée un vingt et unième critère de discrimination inscrit dans le code pénal et le code du travail. Les discriminations à raison de la précarité sociale sont une réalité : 37 % des chômeurs seraient victimes de discrimination à l'embauche. Les associations comme ATD Quart Monde, militent pour faire reconnaître ces discriminations. Pour autant faut-il légiférer ?

Les discriminations relèvent de nombreux facteurs. De plus, comme le note Jacques Toubon, l'actuel Défenseur des droits, la précarité est souvent passagère. Aucune étude d'impact n'a en outre été réalisée.

Interdire les discriminations à raison de la pauvreté n'éradiquera pas la pauvreté. Nous le savons bien, sans quoi nous l'aurions décréter plus tôt.

Sans méconnaître la valeur symbolique de cette proposition de loi, le groupe Les Républicains considère qu'elle ne suffit pas. C'est pourquoi il s'abstiendra. Une réflexion globale sur l'origine, les manifestations, le traitement des discriminations est indispensable. (Applaudissement sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - Être pauvre n'est pas seulement manquer de revenus, c'est un problème multidimensionnel qui englobe l'absence des capacités de base pour vivre dans la dignité. Enfants, familles monoparentales, migrants, réfugiés, malades du VIH sont les catégories les plus exposées à l'extrême pauvreté et aux discriminations qui en découlent et aggravent encore l'exclusion. Se voir refuser un rendez-vous médical parce qu'on est bénéficiaire de la CMU, un logement ou un entretien d'embauche, tout cela est le quotidien des personnes pauvres.

La proposition de loi propose d'ajouter un vingt et unième critère à la liste de l'article 225-1 du code pénal. C'est une proposition que Jean-René Lecerf et moi avions faite dans notre rapport au nom de la commission des lois. Je salue le travail de M. Vaugrenard de même que celui de notre rapporteur de la commission des lois

Reste à trouver un mot pour désigner cette discrimination -les Anglo-Saxons parlent de povertyism. Ce manque dit assez le déni dont elle est l'objet.

Après les symboles, il faut passer aux actes, combattre la pauvreté, l'extrême pauvreté qui touche un nombre croissant de nos concitoyens. Il y a urgence à agir ! (Applaudissements à gauche)

Mme Cécile Cukierman .  - Dès 2012, la commission d'experts de l'OIT demandait à la France d'introduire l'origine sociale dans la liste des critères de discrimination à l'embauche. En 2013, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommandait l'introduction d'un vingt et unième critère, à raison de la pauvreté.

Ce texte s'inscrit dans le prolongement de la Conférence nationale contre la pauvreté de décembre 2012, comme des actions des associations comme ATD Quart monde. Les discriminations sont légion, je n'ajouterai pas d'autres exemples à ceux déjà cités. Disons simplement qu'elles ajoutent à l'exclusion sociale des pauvres.

Comment rendre effectif ce texte ? Les personnes en situation de précarité sont souvent celles qui réclament le moins leurs droits. Comme la CNCDH, nous déplorons la baisse du budget de l'aide juridictionnelle. Il eut été facile pour nous de faire la liste de toutes les lois votées récemment qui accroissent la précarité... Mais l'heure est trop grave. Nous voterons la proposition de loi, sachant qu'elle ne suffira pas ; il faut s'attaquer aux racines du mal.

Deux interrogations, cependant. D'abord, la précarité sociale, contrairement aux autres critères, hormis la grossesse, n'est pas un état permanent ; en faire un critère, n'est-ce pas accepter qu'elle le soit ? Le sens de notre combat politique est de lutter contre la pauvreté, non de faire avec. Ensuite, faire acte de discrimination positive est évidemment plus facile que d'éradiquer les discriminations...

Le groupe CRC votera ce texte, aussi imparfait soit-il. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin .  - Lutter contre la pauvreté est un devoir moral et légal. Autrefois président du conseil général, je m'y suis colleté. Le groupe RDSE a la passion de la fraternité et de la solidarité, il votera ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Olivier Cadic .  - Mettre fin au cercle vicieux de la pauvreté est un objectif légitime. À titre personnel, je soutiens ce texte qui protègera mieux les plus vulnérables.

La commission des lois a bien travaillé. Je partage les propos du président Bas sur le côté caricatural de notre législation. Après la loi de 2014, nous ajoutons un vingt et unième critère... Jusqu'où irons-nous ? Ne faut-il pas trouver une formulation plus générique, plus synthétique ? Du reste, 21 critères suffisent-ils ? J'ai rencontré un chef d'entreprise qui refuse d'embaucher des gens empruntant une certaine ligne de RER à cause des retards réguliers. Faut-il ajouter le critère des transports ?

Envoyer un message de sympathie, c'est bien ; mais l'essentiel n'est-il pas de créer un climat propice à la croissance et à l'emploi ? Qui pourrait s'opposer à la démarche des auteurs de la proposition de loi ? Mais, il y a deux semaines, l'accessibilité a été renvoyée aux calendes grecques...

Le texte protège-t-il mieux ou ajoute-t-il à la complexité ? Le rapport Osons la fraternité pointe du doigt un des principaux problèmes posés par la précarité sociale, l'auto-discrimination qui empêche les personnes de réclamer leurs droits. Les verra-t-on aller au tribunal pour dénoncer une discrimination ? Travaillons plutôt à cette question de l'auto-stigmatisation.

Mais ne nous trompons pas de cible. Il faut s'inquiéter de cette loi et non s'en réjouir : la précarité sociale devient endémique en France -8,5 millions de pauvres, 14,3 % de la population. C'est cette précarité qu'il faut combattre, les discriminations n'en sont que la conséquence désastreuse.

Le groupe UDI-UC s'abstiendra dans sa majorité. Avec trois autres collègues, je la voterai. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Après d'autres, je veux saluer le rapport si vrai, si parlant de M. Vaugrenard. Le cri de douceur, de tendresse et d'autorité de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, désormais au Panthéon, doit être entendu. C'est ce que nous faisons avec cette proposition de loi.

Il y aurait trop de critères ? Non, ils sont tous nécessaires. Il est inacceptable qu'un être humain soit discriminé, que ce soit à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'état de grossesse, de l'apparence physique, du patronyme, du lieu de résidence, des moeurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, de son appartenance réelle ou supposée à une ethnie, un pays ou une religion... Il est bien de parler des droits de l'homme et de la femme en général, le mieux est qu'ils soient précisément appliqués.

Après avoir remercié le rapporteur Kaltenbach de son excellent travail juridique, M. Vaugrenard de son infaillible détermination et les associations, je me contenterai d'indiquer que le groupe socialiste votera évidemment ce texte. (Applaudissements à gauche)

Mme Nicole Duranton .  - La pauvreté touche 8,7 millions de personnes dans notre pays. En faisant de la précarité sociale un vingt et unième critère de discrimination, les auteurs veulent accomplir un acte symbolique. Très clairement, nous discutons de symboles au lieu de faire des propositions concrètes. C'est un texte « lanceur d'alerte ». Mais les symboles pour se donner bonne conscience ne suffisent pas. Car la pauvreté progresse ; si le phénomène n'est pas nouveau, il se durcit, s'intensifie, se transforme, s'étend à de nouvelles populations.

M. Vaugrenard a fait le constat que la pauvreté devient héréditaire, qu'elle se transmet désormais comme une malédiction. Les chiffres en attestent. Et le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur à celui des personnes pauvres vivant dans des familles nombreuses. Les femmes sont les premières touchées en raison des emplois peu qualifiés qu'elles occupent et des temps partiels qu'elles subissent. À mon sens, mieux vaut réfléchir plus largement sur ce phénomène pour engager des mesures concrètes. Je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Michelle Meunier .  - À mon tour de remercier mon collègue Vaugrenard de son initiative. Une fois encore, nous parlons dans cet hémicycle de la situation de nos concitoyens qui souffrent et ont trop souvent perdu espoir.

Interdire toute discrimination à raison de la situation de précarité sociale est un geste fort. Nous devons sanctionner les comportements indignes, il est bon que la loi fixe les limites et renforce ainsi notre pacte républicain.

La situation est insupportable. Trois millions d'enfants sont frappés par la pauvreté. Après la Seconde Guerre mondiale, notre pays s'est organisé pour assurer une protection sociale étendue, puis a mis en place des dispositifs de redistribution et de lutte contre l'exclusion. Et voici que Toulouse refuse désormais la gratuité de la cantine scolaire à 7 000 familles...

Poursuivons, après la loi pour l'égalité des femmes et des hommes et la loi de refondation de l'école, nos efforts. Nous devons être solidaire sans stigmatiser ni discriminer, nous doter d'indicateurs de suivi et d'objectifs de progrès. Nous ne pouvons accepter que des enfants de France soient discriminés dès leur plus jeune âge. Il n'y a pas de fatalité, nous devons les aider. C'est le sens de ce texte. (Applaudissements à gauche)

Mme Bariza Khiari .  - Trop longtemps, notre pays a refusé de considérer que les discriminations représentaient des morts sociales. Les pratiques discriminatoires entament l'adhésion aux valeurs républicaines. Il faut faire en sorte qu'à la précarité économique ne s'ajoutent pas vexations et humiliations, que cette double peine ne soit pas considérée avec indifférence, voire condescendance. La pauvreté est une situation subie.

Merci à M. Vaugrenard de porter cette belle cause. Ayons néanmoins conscience que les juges sont peu saisis de plaintes pour discrimination. Outillons-les mieux.

Le Défenseur des droits, dans son avis du 9 juin 2015, argue que la précarité sociale n'est pas un état permanent. Soit, mais la grossesse ou le lieu de résidence ne le sont pas plus...

Raffermissons le troisième pilier de notre devise républicaine, la fraternité, ce lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine. Le groupe socialiste et républicain votera ce texte. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

ARTICLE UNIQUE

L'amendement n°1 rectifié n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°2, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission.

Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :

...  -  Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :

1° À l'article L. 032-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, » , sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

2° Après l'article L. 033-4, il est inséré un article L. 033-5 ainsi rédigé :

« Art. L. 033-5.  -  Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

...  -  Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. 

...  -  Le IV est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans les matières relevant de la compétence de l'État.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur.  - Cet amendement, identique à celui que M. Mohamed Soilihi a déposé, prévoit l'application du texte outre-mer.

L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme la présidente.  - L'adoption de l'article unique entraînera celle de la proposition de loi.

Interventions sur l'ensemble

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Mon propos ne sera pas de discuter des meilleurs moyens de lutter contre la pauvreté, qui croît avec le chômage de masse. Il est d'expliquer l'intérêt de ce texte. Trop souvent, le regard de l'autre sur la personne pauvre coïncide avec celui qu'elle porte sur elle-même. Cette dévalorisation est le premier obstacle sur le chemin du recouvrement de l'estime de soi. Il faut le franchir pour trouver les ressources nécessaires pour s'en sortir. Tout ce qui apportera plus de considération à nos concitoyens en situation de précarité, indépendamment de la lutte matérielle contre la pauvreté, qui relève d'un impératif politique, va dans le bon sens.

La commission des lois, comme c'est son devoir, a relevé que d'un point de vue juridique l'accumulation des motifs de discrimination n'avait guère de sens ; elle doute que ces dispositifs soient efficaces... une approche autre que ponctuelle serait bienvenue.

À titre personnel, et malgré tous ses défauts, je voterai ce texte qui est aussi une main tendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Luche .  - Président de conseil départemental, comment puis-je faire savoir aux bénéficiaires potentiels du RSA qu'ils y ont droit -sachant que je n'ai pas l'argent pour le payer ? Il faut que le Gouvernement nous donne les moyens de contribuer à la lutte contre l'exclusion.

L'article unique, modifié, est adopté.

(Applaudissements)

La séance est suspendue à 13 h 15.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.