Malades en fin de vie (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Explications de vote

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les bancs UDI-UC) Nous avons démocratiquement et longuement débattu de ce texte important qui comporte deux innovations par rapport à la loi Léonetti de 2005 : la première, la sédation profonde et continue pour les personnes atteintes de maladies incurables, réfractaires à tout traitement, lorsque le pronostic vital est engagé. Deuxième innovation : le caractère contraignant des directives anticipées.

Le texte de la commission des affaires sociales était équilibré, entre sécurisation des médecins -sans banalisation des actes- et droit à une fin de vie apaisée.

Le Sénat, de manière pertinente, a souligné l'indignité et la grande misère des soins palliatifs dans notre pays où 20 % seulement des personnes qui en auraient besoin y ont accès. Il a enrichi le texte en encourageant le développement des soins palliatifs sur tout le territoire, dans les hôpitaux, les établissements médico-sociaux mais aussi à domicile. Quelque 70 % des Français meurent à l'hôpital quand ils sont 60 % à vouloir terminer leur vie chez eux.

Le Sénat a également plaidé pour une meilleure formation des médecins aux soins palliatifs. Ce texte, dans la version de la commission, mettait en oeuvre le devoir de fraternité envers les plus vulnérables, c'est-à-dire envers ceux qui vont mourir. Il réaffirmait la double vocation de la médecine : curative et palliative.

Cependant, au fil de la discussion en séance, ce texte est devenu une coquille vide. La sédation profonde et continue n'est pas le cheval de Troie d'une euthanasie déguisée, qui ne saurait être accordée à l'occasion d'un amendement déposé au dernier moment...

Ce texte n'était pas destiné à ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir. Il s'agit des derniers instants des personnes en souffrance extrême, qu'aucun traitement ne peut plus apaiser. Le politique a un devoir de vérité. Peut-on méconnaître la souffrance des malades face à laquelle la médecine est impuissante et les familles démunies ?

Les rapporteurs avaient accompli un remarquable travail, pesant chaque mot, précisant chaque notion. Ce texte était néanmoins trop pour certains, pas assez pour d'autres. Au final, il n'est plus rien. Nous avons manqué à notre devoir de fraternité et d'humanité. (Applaudissements des bancs du groupe communiste républicain et citoyen aux bancs UDI-UC)

Je voterai contre la proposition de loi, car ce n'est pas ainsi que les hommes doivent mourir. (Applaudissements des bancs du groupe communiste républicain et citoyen aux bancs UDI-UC ; MM. Daniel Dubois, Gérard Roche et Mme Élisabeth Doineau se lèvent et applaudissent)

Mme Catherine Deroche .  - Depuis trois ans, plusieurs rapports ont été remis sur le sujet, comme celui du professeur Sicard ou du Comité national consultatif d'éthique (CNCE).

Ce texte prolonge les lois de 1999, 2002 et 2005, qui ont développé les soins palliatifs, introduit la possibilité de refus des traitements par les malades et le droit à demander la suspension de traitements relevant d'une obstination déraisonnable.

La commission des affaires sociales du Sénat, dont je salue le travail, avait souhaité préciser le texte établi par l'Assemblée nationale et limiter le caractère automatique des décisions. S'agissant de la sédation profonde et continue, elle a supprimé la mention « prolongation inutile de la vie », ambiguë, ainsi que celle d'hydratation et d'alimentation artificielles, pour s'en tenir à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La sédation profonde et continue a été encadrée, réservée aux cas de souffrance réfractaire, afin de prévenir tout risque de dérive vers le suicide assisté.

L'équilibre trouvé en commission a été modifié en séance.

M. Didier Guillaume.  - C'est peu de le dire !

Mme Catherine Deroche.  - Certes, le développement des soins palliatifs a été renforcé, l'objectif d'accroissement du nombre de lits et d'unités mobiles affirmé. L'accent a été mis sur la formation des professionnels de santé et des personnels des Ehpad.

La commission des lois a proposé que le recours à la procédure collégiale soit limitée aux cas où le patient ne peut exprimer sa volonté, l'hydratation artificielle reconnue comme un soin, non un traitement, qui peut être maintenu jusqu'à la fin.

La sédation, de profonde et continue, est devenue profonde. L'opposabilité des directives anticipées a été supprimée. Les directives resteront inscrites dans un registre national. Le statut de la personne de confiance a été précisé.

Résultat : le texte est loin de celui de la commission, preuve que rouvrir la loi consensuelle de 2005, simplement pour satisfaire un engagement du président de la République, a renvoyé chacun à ses convictions profondes sur la fin de vie. Comment pouvait-il en être autrement ? Les partisans du suicide assisté sont rares ; plus nombreux sont ceux qui voulaient un texte modernisant véritablement la loi de 2005. Mais il n'y a pas les progressistes d'un côté et les conservateurs de l'autre. (Protestations à gauche) Il y a des positions différentes, qui toutes sont respectables. Ne l'oublions pas en deuxième lecture. J'espère que l'Assemblée nationale ne se bornera pas à revenir à son texte.

M. Simon Sutour.  - Droite et gauche sont d'accord à l'Assemblée nationale : il n'y aura pas de contribution du Sénat !

Mme Catherine Deroche.  - Notre groupe Les Républicains laissera une liberté de choix totale à ses membres sur le vote final, comme il l'a fait tout au long de la discussion des articles. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Je souhaite la plus cordiale bienvenue à Mme Marie Mercier, qui remplace M. Jean-Patrick Courtois. C'est l'occasion pour moi d'avoir une pensée envers nos collègues contraints de démissionner de leur mandat en raison de la décision prise par le Conseil constitutionnel le 11 juin dernier.

M. Georges Labazée .  - Sur un tel sujet, la consigne de vote des groupes est souvent inexistante... Comment en serait-il autrement sur des dispositions qui engagent nos convictions les plus intimes ?

Le texte tel qu'arrivé de l'Assemblée nationale divisait les sénateurs. Tout le monde s'accordait néanmoins pour ne pas revenir en arrière. La proposition de loi a malheureusement été sabotée. Une partie de la droite sénatoriale a montré le visage de la réaction. (Protestations à droite ; on renchérit à gauche)

En séance, l'article 3 a été vidé de son sens par l'amendement de M. de Legge et ses collègues, qui ont supprimé le caractère continu de la sédation : le fantasme de la dérive euthanasique l'a emporté. Ministre et rapporteurs avaient pourtant redoublé de pédagogie... Le rapporteur Amiel a même rappelé l'avis de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs : la sédation profonde et continue est un acte thérapeutique appartenant à la catégorie des soins palliatifs et réservé aux patients dont la mort est imminente.

Créer l'obligation juridique de répondre à la souffrance des personnes sur le point de mourir, voilà ce qui nous anime, voilà ce que vous avez repoussé !

L'article 8 a également été modifié pour ôter aux directives anticipées tout caractère contraignant. Les députés, auditionnant les médecins, ne manqueront pas de leur demander comment ils pourront appliquer concrètement la sédation profonde discontinue sans porter atteinte à la déontologie médicale. Nous lirons leurs réponses avec intérêt.

On a entendu clamer que ce texte protégeait les médecins et non les patients. Nos collègues de droite ont donné crédit par leurs votes à cette critique auparavant injustifiée.

L'esprit du texte est définitivement dévoyé. Je regrette que n'ait pas été adopté l'amendement de Dominique Gillot, sur l'information relative aux directives anticipées dispensée aux jeunes lors de la Journée de défense et de citoyenneté.

Il n'y a en définitive nulle garantie que les directives rédigées par nos concitoyens ne seront respectées. « Texte bizarre », a finalement constaté M. Pillet à l'issue de nos débats. J'en suis d'autant plus triste que nos rapporteurs et la commission des affaires sociales n'ont pas ménagé leurs efforts. Je salue aussi le courage du président Milon.

Vous n'avez tenu aucun compte des accords transpartisans passés à l'Assemblée nationale.

M. Bruno Sido.  - On n'est pas à l'Assemblée nationale ici !

M. Georges Labazée.  - Nous n'avons pas été d'accord sur tout. Je salue néanmoins les groupes CRC, EELV, RDSE, UDI, et même les membres progressistes du groupe Les Républicains.

M. Marc Daunis.  - Ce sont les moins républicains !

M. Georges Labazée.  - Finalement, une frange de la droite sénatoriale a préféré imiter le Tea Party et suivre les tenants de la Manif pour tous ! (Vifs applaudissements à gauche)

M. Hubert Falco.  - Excessif !

Mme Corinne Bouchoux .  - Je veux d'abord remercier les rapporteurs, le président et tous nos collègues de la commission des affaires sociales, même si nous ne partageons pas toutes leurs vues.

Le premier scandale de notre pays, c'est celui des inégalités face à la mort. Nous saluons donc les dispositions relatives à la multiplication des services de soins palliatifs.

Toutes et tous souhaitions aller plus loin que la loi Leonetti. Nous étions trop peu nombreux, seulement 75, à vouloir faire prévaloir la volonté d'une personne qui, souffrant d'un mal incurable, ne souhaite plus souffrir. Mais pas un instant, nous n'avions anticipé ce qui se passerait mercredi dans la nuit, ce détricotage d'abord masqué puis affirmé. Vous avez inventé la sédation profonde intermittente. Mesurez-vous la monstruosité de ce que le Sénat a voté ? (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen, socialiste et républicain, écologiste, ainsi que sur quelques bancs des groupes RDSE et UDI-UC)

Deuxième tour de passe-passe, vous avez rendu optionnel le respect des directives anticipées. Résultat : un texte vidé de ses deux éléments essentiels, inepte, et en recul par rapport à 2005. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Par la volonté de quelques-uns, la loi a été malmenée et l'image du Sénat gravement écornée. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen, sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; protestations à droite)

M. Éric Doligé.  - Vous l'avez écornée pendant trois ans !

Mme Corinne Bouchoux.  - Qui n'avance pas recule. Lorsque des acquis ne sont pas confirmés, cela s'appelle de la réaction pure et simple. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)

Il n'y a que la vérité qui blesse ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, socialiste et républicain et du groupe communiste républicain et citoyen ; huées sur les bancs du groupe Les Républicains)

L'image donnée par le Sénat mercredi n'est pas respectueuse des équilibres politiques. Le texte de la commission était juste, censé, respectueux de chacun. (Applaudissements des bancs du groupe communiste républicain et citoyen jusqu'aux bancs du groupe UDI-UC)

Je ne répondrai pas aux aboiements à droite. Pensez aux familles qui nous regardent et attendent tellement de nous (Applaudissements à gauche)

Mme Annie David .  - La fin de vie est un sujet sensible. Il renvoie chacun de nous à des moments douloureux. D'où les attentes de nos concitoyens. Ceux-ci veulent que le débat sorte enfin du monde médical, ils entendent décider du moment où leurs souffrances ou celles de leurs proches seront abrégées. Nous voulions en finir avec une approche technicisée de la mort ; proposer des solutions pour une mort digne, chez soi, après de ses proches.

Malheureusement, le Sénat n'a pas été à la hauteur de sa réputation de sagesse, ni le débat à la hauteur des enjeux.

M. Éric Doligé.  - Ce n'est pas ce qu'a dit l'oratrice précédente.

Mme Annie David.  - La proposition de loi avait une portée limitée, elle améliorait à la marge la loi Leonetti, loin des attentes de nos concitoyens sur la création d'un nouveau droit à mourir dignement. Manifestement, notre assemblée n'y est pas prête, il faudra y revenir.

Deux avancées étaient pourtant notables : la sédation profonde et continue et l'opposabilité des directives anticipées, assurant la primauté de la volonté du patient sur celle de médecins. Or la droite, en supprimant « continu jusqu'au décès », revient à la situation antérieure. Rendre possible le maintien de l'hydratation est de plus, dans ce contexte, hypocrite... Les patients mourront, mais plus lentement, par la faim.

Les inquiétudes relatives à l'opposabilité des directives anticipées avaient été calmées ; cela n'a visiblement pas suffi. Le patient devra de plus demandé à être informé de la possibilité qu'il a de rédiger des directives, c'est un non-sens. L'information par le médecin sur les directives anticipées se fera « à la demande du patient » : un non-sens !

Les dispositions relatives aux soins palliatifs et à la formation des médecins vont dans le bon sens, mais laissent entier le vrai problème, celui des moyens, des services.

Bref, les carences du texte final sont immenses. Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre. (Applaudissements des bancs du groupe communiste républicain et citoyen jusqu'aux bancs du groupe écologiste)

M. Jacques Mézard .  - À la mémoire de notre collègue Henri Caillavet, et à l'exception de notre excellent collègue Gilbert Barbier, le groupe RDSE votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Toutes les opinions sont profondément respectables (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Certains crient : laissez-les vivre ! D'autres, laissez-nous mourir ! Le professeur Schwartzenberg disait : « La souffrance est hideuse et puisque les moyens existent de l'apaiser, il faut les utiliser ».

C'est de l'essence même de la vie qu'il est question. Quitter la vie est inéluctable, la quitter sereinement est un autre enjeu... La majorité de notre groupe regrettait que le texte n'aille pas plus loin. Madame la ministre, vous avez dit que le président de la République était allé aussi loin que la société française pouvait l'accepter dans le consensus. Nous doutons que son engagement ait été respecté. Dans cette matière, l'idéologie n'a pas sa place. Une majorité des Français se déclarent favorables à l'euthanasie. Certes, la plupart des personnes interrogées sont en bonne santé et l'opinion peut varier à l'approche de la mort... (On approuve à droite)

Mais à quel titre refuser la mort à celui qui souffre et ne souhaite plus vivre ? Il ne s'agit pas de banaliser l'assistance médicale à mourir, mais de garantir un ultime espace de liberté. Faut-il, lorsque la souffrance est trop grande, se suicider clandestinement ?

La présente proposition de loi est pour certains imparfaite, pour d'autres incomplète. Elle met pourtant le patient au coeur du débat et renforce les soins palliatifs, reprenant des préconisations de la Cour des comptes.

La loi Léonetti reste trop mal connue tant des professionnels de santé que des patients. Les médecins sont insuffisamment formés aux enjeux de la fin de vie.

La sédation profonde et continue avait été saluée comme une avancée par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. L'opposabilité des directives anticipées était une autre innovation souhaitable et souhaitée. Mais les débats en séance ont abouti à priver les malades de tout droit nouveau. Nous le regrettons, pour tous ceux qui souhaitent une fin de vie apaisée et digne pour eux-mêmes et pour leurs proches.

Aussi, je le dis, la très grande majorité du groupe RDSE, si ce n'est Gilbert Barbier, dont on connaît l'honnêteté et les convictions, votera contre avec contrition. Nous savons tous qu'il faudra continuer à avancer car c'est un devoir d'humanisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste républicain et citoyen, socialiste et républicain, écologiste ; ainsi que sur quelques bancs UDI-UC)

M. Gérard Larcher, président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi « créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ». Il aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions prévues au chapitre 15 bis de l'Instruction générale du Bureau.

La séance est suspendue à 15 h 15.

La séance reprend à 15 h 50.

Scrutin public solennel sur la proposition de loi

M. le président.  - Je remercie nos collègues Mme Valérie Létard, MM. François Fortassin et Jackie Pierre, secrétaires du Sénat, qui ont assuré le dépouillement du scrutin. (Applaudissements)

Voici le résultat du scrutin n° 215 sur l'ensemble de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 283
Pour l'adoption   87
Contre 196

Le Sénat n'a pas adopté.

(Vifs applaudissements à gauche et au centre ; les membres des groupes communiste, républicain et citoyen et socialiste et républicain se lèvent)

Intervention du Gouvernement

Mme Marisol Touraine, ministre .  - À l'issue de ce vote, je veux vous dire à la fois mes infinis regrets et mon soulagement. Mes infinis regrets que vous n'ayez pas su trouver au Sénat, comme l'avait fait l'Assemblée nationale, un large consensus sur ce sujet. Mes infinis regrets, aussi, que le Sénat, qui s'est illustré dans la défense des libertés, n'ait pas apporté d'avancées mais, au contraire, fait marche arrière. Le milieu des soins palliatifs a exprimé son incompréhension face aux choix du Sénat, car, pour les palliativistes, une sédation profonde interrompue, provoque une souffrance inutile.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je veux dire aussi mon soulagement que le texte issu de vos travaux ait été rejeté. La navette va reprendre, même si elle ne permet pas au Sénat d'imprimer sa marque au texte. La conviction du Gouvernement est que nous devons donner des réponses aux demandes d'une écrasante majorité des Français. Ils demandent que leur parole soit écoutée, que leur liberté soit pleinement respectée.

D'aucuns auraient voulu aller jusqu'à l'euthanasie ou au suicide assisté, mais, même si j'entends les regrets de certains, notre société n'est pas prête à aller plus loin que la proposition de loi.

Je veux enfin remercier le rapporteur et la commission des affaires sociales, qui ont travaillé dans des conditions difficiles. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen, écologiste ainsi que sur ceux du RDSE)