Devoir de vigilance des sociétés mères (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

Je vous rappelle que nous avions commencé l'examen de ce texte le 21 octobre dernier.

Discussion générale (Suite)

M. Joël Labbé   - J'ai osé - cela m'a beaucoup coûté - vous adresser à tous une lettre ouverte pour vous livrer le fond de ma pensée et vous faire savoir que je demanderai un scrutin public sur ce texte et sur les amendements de suppression.

Avril 2013, l'immeuble du Rana Plaza s'effondre : 1 138 morts, plus de 1 500 blessés. Carrefour, Auchan, Camaïeu : les marques qui étalent chez nous leurs belles vitrines portent une énorme responsabilité, par la pression qu'elles exercent pour profiter de coûts toujours plus bas, imposer des délais toujours plus courts, réaliser des marges toujours plus importantes. Comment cautionner cet esclavage moderne que dissimulent des relations obscures de sous-traitance et de filialisation ?

Cette proposition de loi, très modérée, qui impose l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan de vigilance par certaines grandes entreprises, ne fait que rendre effectifs les engagements de la France ; seules les atteintes graves aux droits humains seraient visés.

Les arguments contre ce texte étaient attendus : la compétitivité des entreprises, le renvoi à l'Europe... N'est-ce pas le moment pour que la France, patrie des droits de l'homme et des Lumières, aujourd'hui debout, la France rebelle retrouve sa fierté et sa dignité ? L'Europe la suivra puis le monde.

Le Sénat, que chacun cet après-midi a bien défendu, ne jouit pas d'une très bonne image auprès des Français. Montrons que nous sommes là pour défendre le bien public et l'intérêt des générations futures ! Soyons moteur pour la défense des droits humains ! Aujourd'hui, nous sommes en deuil. Toutes les vies humaines ont la même valeur, où qu'elles soient sur la planète.

Pourquoi un tel blocage ? D'où vient-il ? Je le dis haut et fort, l'association française des entreprises privées pèse sur notre assemblée et son groupe majoritaire. Elle réunit les patrons du CAC 40 et des grandes sociétés françaises.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Elle ne s'en cache pas !

M. Joël Labbé.  - J'ai demandé des scrutins publics. Chacun s'exprimera en son âme et conscience. Ce serait une grave erreur politique que de voter pour ceux qui ne se seraient pas prononcés.

M. Yvon Collin .  - Face aux nouvelles formes d'esclavage, aux risques de dommages corporels et environnementaux qu'engendrent certaines activités économiques, nous ne pouvons rester indifférents. Dès 1976, l'OCDE définissait des normes applicables aux entreprises pour le respect des droits de l'homme ; d'autres textes internationaux s'y sont ajoutés, dont la déclaration tripartite de l'OIT en 1977. La Cour européenne nous engage à transposer. Le juge français se reconnaît compétent en la matière. La catastrophe du Rana Plaza ainsi que des pratiques moins visibles nous imposent de réagir.

Cette proposition de loi oblige les entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans le monde, à établir un plan de vigilance pour identifier et prévenir des dommages corporels, environnementaux, sanitaires, des atteintes aux droits de l'homme résultant des activités des sociétés qu'elles contrôlent, de leurs sous-traitants et des entreprises avec lesquelles elles sont en relation commerciale régulière.

Des actions en responsabilités pourront être engagées contre elles. C'est dans le domaine de la contractualisation que les entreprises doivent être vigilantes. In fine, le consommateur doit assumer ses responsabilités.

Les membres du RDSE se partageront entre vote pour et abstention ; personnellement, j'apporte à ce texte un soutien total. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)

M. Philippe Dallier .  - Saint-François de Sales disait : « L'enfer est pavé de bonnes intentions »... Cette proposition de loi n'en manque pas mais ses conséquences seraient lourdes pour nos entreprises et elles seules. Comment ignorer que leur compétitivité reste déjà faible ? Même le président de la République a fini par le reconnaître. Même le Premier ministre a déclaré qu'il aimait l'entreprise. L'an dernier, le taux de marge des entreprises françaises restait l'un des plus bas du monde... Elles subissent un excès de réglementation dû souvent à une surtransposition du droit européen. Elles ont perdu des parts de marché, moins 3,1 % pour les biens au premier trimestre 2015, moins 3,5 % pour les biens et services en 2014. Est-il raisonnable d'en rajouter ?

Mme Évelyne Didier.  - Est-il raisonnable de réduire des gens en esclavage ?

M. Philippe Dallier.  - L'exécution de plans de vigilance exigera de leur part des contrôles, y compris à l'étranger - comment feront-elles ? Toute personne intéressée à agir pourra saisir le juge et la moindre négligence coûtera cher.

Mme Évelyne Didier.  - S'il y a des morts ?

M. Philippe Dallier.  - Ce texte fera le bonheur de nos concurrents. Il touchera les 217 entreprises françaises qui font la moitié du chiffre d'affaires à l'export. Vous les incitez à se délocaliser, et vous n'incitez guère les étrangers à investir en France. Vous fragilisez les PME et ETI qui travaillent avec elles, toute la chaîne des sous-traitants sera affectée.

M. Joël Labbé.  - Chantage !

M. Philippe Dallier.  - Enfin, vous créez un nouvel effet de seuil : les entreprises de moins de 5 000 salariés n'embaucheront plus.

Mme Évelyne Didier.  - Elles n'embauchaient déjà pas.

M. Philippe Dallier.  - Demandez-vous pourquoi ! Avec le matraquage fiscal que contribuables et entreprises subissent, ceux et celles qui peuvent s'en aller s'en vont... L'emploi en France en pâtira. Vous pouvez toujours vous en moquer...

Mme Évelyne Didier.  - Nous ne nous moquons pas des morts.

M. Philippe Dallier.  - Le texte soulève aussi des problèmes juridiques. Il méconnait les principes d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Il est entaché d'incompétence négative, par le renvoi en décret. L'infraction prévue est mal caractérisée, de même que le droit applicable. Le principe d'égalité est mis à mal puisque seules les entreprises françaises sont visées. Le seuil de 5 000 habitants n'a rien à voir avec l'objectif poursuivi. Enfin, les sociétés mères seront punies pour les actes de leurs sous-traitants...

Assez d'aller-retour entre discours pro business et concessions à la gauche de la gauche pour faire voter le budget !

Avec cette proposition de loi, le Gouvernement n'aura réussi qu'à dégrader encore la confiance. Le groupe Les Républicains votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Durain .  - Malgré l'état d'urgence, la démocratie parlementaire reprend ses droits, avec des interventions tout en nuances...

M. Philippe Dallier.  - Parlez pour vous !

M. Jérôme Durain.  - Le rapporteur a eu le bon goût de retirer sa motion... Mais la majorité sénatoriale esquive le débat et refuse d'améliorer le texte, alors qu'elle prétend en partager les objectifs. Nous élaborons le droit national, je ne comprends pas qu'on se réfugie derrière Bruxelles.

Avec votre raisonnement, la France n'aurait pas été pionnière en matière de responsabilité sociale de l'entreprise en 2001 puis en 2010. Celui qui montre l'exemple dispose souvent d'un avantage compétitif.

L'esclavage n'a pas été aboli en un jour, il a fallu que les abolitionnistes se battent chacun dans leur pays. Avec votre raisonnement, jamais il n'aurait non plus été aboli. En fait, ce n'est jamais le bon endroit ni le bon moment !

La compétitivité... Le consommateur et le citoyen sont une seule et même personne. Elle ne pense pas seulement au prix mais se soucie aussi des droits de l'homme, de l'environnement... Les consommateurs savent que les multinationales ne sont pas toujours vertueuses, qu'il faut parfois les encourager et en venir à la loi. Je suis conscient des progrès accomplis par les grands groupes. En Suède, H&M et IndustriAll Global IF Metall ont signé un accord-cadre sur le respect des droits de l'homme dans la chaîne d'approvisionnement. Voilà la voie à suivre.

93 % des grands donneurs d'ordres font des achats responsables une priorité. Le Forum pour l'investissement responsable s'est dit favorable à notre proposition de loi. (Mme Evelyne Didier s'en félicite) Les acteurs économiques acceptent un prix unitaire plus élevé, s'il garantit la fiabilité et la pérennité des livraisons.

Des experts comme M. Lyon-Caen, des syndicats, des ONG nous soutiennent. Nous ne sommes pas condamnés à être les « spectateurs du désespoir », comme dit IAM, soyons les acteurs de l'espoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Michel Vaspart .  - Les meilleurs volontés peuvent tourner au cauchemar, surtout lorsqu'elles sont guidées par l'émotion... La rédaction du texte est vague, le plan de vigilance prévu par ce texte est trop large ; il sera presque impossible aux entreprises de prouver qu'elles respectent la loi. La contrainte sera, à n'en pas douter, très lourde pour les PME, auxquelles les grandes entreprises demanderont des garanties...

Qu'est-ce qu'une « mesure de vigilance raisonnable propre à identifier et à prévenir la réalisation de risques d'atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société ? La jurisprudence comblera les trous mais l'épée de Damoclès sera toujours là.

Surtout, nos entreprises subiraient seules ces contraintes. Que le Gouvernement s'attache plutôt à la transposition de la directive d'octobre 2014 sur la publication d'informations non financières. La France est leader mondial pour ce qui est de la responsabilité sociale des entreprises.

La responsabilité est au coeur du projet politique des Républicains. Mais il n'y a pas de responsabilité sans liberté.

Mme Nicole Bricq.  - Le contraire est vrai aussi !

M. Michel Vaspart.  - Quand une société est bridée, sous tutelle, elle est prompte à se défausser de ses responsabilités...

Le texte stigmatise des entreprises considérées comme sources de dommages plutôt que créatrices de richesse ; il ne les encourage pas mais les sanctionne, ne les valorise pas mais les châtie. Il les soupçonne. « Vous êtes des chefs d'entreprises, donc vous prenez des risques pour que notre pays soit plus fort », disait le président de la République aux entrepreneurs, il y a quatre mois. C'est un tout autre message que vous leur adressez... Ils nous répètent pourtant : « Laissez-nous travailler ! ». Je ne voterai pas le texte. (Applaudissement sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Évelyne Didier.  - Laissez les salariés mourir !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Évelyne Didier.  - Les amendements de suppression nous empêcheront de défendre les nôtres. Nous souhaitions pourtant donner toute son effectivité à la proposition de loi. L'amendement d'appel n°5 soulignait que la proposition de loi risquait de ne pas englober la sous-traitance en cascade. La notion de « relations commerciales établies », sujette à interprétation, exclut les co-contractants occasionnels.

Il est également impensable que les syndicats et le personnel, parties prenantes de la démarche de RSE, ne soient pas informés du plan de vigilance : d'où l'amendement n°6.

Enfin, le plafonnement de l'amende civile à 10 millions d'euros est malvenu ; le CEDH pourrait considérer que cette amende a une nature pénale et que le principe de légalité n'est pas respecté. Il vaut mieux laisser les juges en fixer le montant en proportion du chiffre d'affaires de l'entreprise. C'est l'objet de l'amendement n°7.

Mme Nicole Bricq .  - Chers collègues de droite, votre opposition à ce texte est fondée sur quelques arguments : vous ne voulez pas de règles contraignantes ni de dérogations au droit commun de la responsabilité - il en existe pourtant déjà - ni enfin, au nom de la compétitivité, d'initiative isolée. Fort habilement, vous vous référez à la directive d'octobre 2014 ; nous aimerions savoir comment vous imaginez la transposer... De même, se réfugier derrière les principes directeurs de l'OCDE est une facilité. La question est de savoir comment les rendre effectifs en droit interne.

Le Premier ministre l'a dit, la RSE est de nature à renforcer la compétitivité des entreprises et l'attractivité du pays. C'est aussi un levier pour préparer la COP21 et la conférence internationale du travail en juin 2016 à Genève.

Au lieu de formuler des propositions, vous voulez supprimer tous les articles. C'est, encore une fois, une facilité. Dommage ! (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

Supprimer cet article.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois.  - En dépit de son objectif vertueux, ce texte comporte de nombreuses imprécisions et ambiguïtés : incertitude sur son éventuelle portée extraterritoriale, imprécision des normes de référence du plan de vigilance et contenu insuffisant du décret prévu pour préciser les dispositions relatives au plan, incertitudes sur la procédure permettant d'enjoindre à une société d'établir le plan et surtout sur celle permettant au juge de prononcer une amende civile en cas de manquement, incertitudes sur la portée réelle du régime de responsabilité prévu en cas de manquement, instauration d'une forme d'action de groupe permettant aux associations d'agir en responsabilité sans être victime, obligation d'ingérence des sociétés mères dans la gestion de leurs filiales et sous-traitants...

Le texte contrevient ainsi à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, au principe de responsabilité et au principe selon lequel nul ne plaide par procureur.

Outre que les législations étrangères comparables sont plus limitées, ce texte dépourvu d'évaluation préalable risque de porter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l'attractivité de la France. Les entreprises étrangères intervenant sur le marché français ne seraient pas soumises aux mêmes obligations. Ces obligations auraient un impact sur les PME françaises sous-traitantes, du fait de l'extension du plan de vigilance, et imposeraient des coûts de mise en oeuvre et de contrôle de celui-ci non évalués sur l'ensemble des chaînes d'approvisionnement des grandes entreprises en France et à l'étranger.

Enfin l'Union européenne semble le niveau pertinent du problème, sur la base de la directive du 22 octobre 2014.

Cette proposition de loi n'est pas l'instrument adapté pour atteindre l'objectif recherché.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.  - Avis défavorable, je m'en suis expliqué.

M. Didier Marie.  - Vous défendez, avec cohérence, un marché sans entraves, où le profit prime les droits humains. Vous croyez à l'autorégulation, mais les faits vous donnent tort. Il est vrai que pour Milton Friedmann, la responsabilité sociale des entreprises était de faire du profit...

Je crois au contraire qu'il est souhaitable de prévenir le dumping social, environnemental et les atteintes aux droits de l'homme. Le texte est solide juridiquement : il repose sur la déclaration du Conseil des droits de l'homme de l'ONU de juin 2011, les principes directeurs de l'OCDE, des normes de l'OIT, sans parler de l'article L. 442-6 du code de commerce et de sa jurisprudence sur la notion de relations commerciales établies.

Le texte n'impose qu'une obligation de moyens. Nous nous opposerons donc à cet amendement.

M. Jérôme Durain.  - Nous ne sommes ni naïfs, ni idéalistes. Ce sont des idées vieillottes, ringardes, racornies que défend la majorité sénatoriale. « La maison brûle et nous regardons ailleurs », disait Jacques Chirac. Des enfants meurent et vous regardez ailleurs...

M. Joël Labbé.  - Même si la majorité est en ce moment minoritaire dans l'hémicycle, je maintiens ma demande de scrutin public en espérant que chacun s'exprimera en son âme et conscience - et tant pis si ce vocabulaire est inhabituel ! Si l'article devait être supprimé je serais très triste, comme les trois quarts des Français favorables à la responsabilité sociale des entreprises. (L'orateur s'interrompt quelques instants)

Il s'agit de droits humains ! On entend beaucoup dire que les politiques ne servent plus à rien, qu'ils sont impuissants devant l'économie. Il faut envoyer un signal, montrer que la politique sert à quelque chose !

M. Pascal Allizard.  - Je suis choqué de la tonalité de ce débat. Je suis maire d'une petite commune de Normandie où une multinationale a supprimé 330 emplois il y a quelques années. Le ministère, alors dirigé par Éric Besson, n'a rien fait... En 2012, M. Montebourg est venu faire campagne chez nous et promis que si la majorité gagnait les élections le site ne fermerait pas. Il a fermé... J'en ai assez des leçons de morale...

M. Joël Labbé.  - Ce n'est pas le propos !

M. Pascal Allizard.  - N'alimentons pas la défiance des citoyens. Cette proposition de loi soulève une vraie question, ne lui apportons pas une mauvaise réponse. La bonne doit être européenne.

Mme Nicole Bricq.  - Le texte n'est sans doute pas parfait ; pourquoi ne pas chercher à l'améliorer ?

Il existe depuis 2012 une plateforme RSE auprès du premier ministre qui rassemble des industriels, des syndicats, des ONG, des administrations... Sur la sous-traitance, elle a proposé que l'entreprise donneuse d'ordre se dote d'outils d'audit et de contrôle pour vérifier que sa politique est respectée tout au long de la chaîne de valeur. Vous auriez pu reprendre cette proposition et l'intégrer au plan de vigilance. Au lieu de cela, vous avez choisi la politique du vide, refusant ainsi de jouer votre rôle de parlementaires.

Enfin, je vous rappelle que toutes les entreprises françaises et étrangères cotées quelque part sont notées par des agences de notation, qui prennent en compte la responsabilité sociale de l'entreprise.

Mme Évelyne Didier.  - Les fonds d'investissement le réclament.

Mme Nicole Bricq.  - L'argument sur la compétitivité ne tient pas.

M. Philippe Dallier.  - Il est paradoxal, madame Bricq, de vous entendre reconnaître que le texte n'est pas parfait et nous reprocher de ne pas l'améliorer.

Mme Nicole Bricq.  - Aucun n'est parfait !

M. Philippe Dallier.  - Il y a un problème, c'est vrai. Mais comment soumettre nos entreprises à des contraintes qui ne pèseront pas sur leurs concurrentes ? Quelle que soit votre émotion,...

M. Joël Labbé.  - C'est de la politique, pas de l'émotion !

M. Philippe Dallier.  - ...cette loi est malvenue.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - M. Frassa, rapporteur, ne s'exprime pas au nom de « la droite », mais au nom de la commission des lois, après avoir réalisé de nombreuses auditions, avec le souci de faire son devoir : trouver un cadre juridique clair. La commission des lois ne s'oppose pas aux intentions de ce texte. Pas de manichéisme : nul ici n'est dénué d'humanité ni de conscience politique. Simplement, ce texte n'est pas pertinent d'un point de vue juridique. Le champ du plan de vigilance est si vague qu'il ouvre la voie à de multiples contentieux. Oui, les entreprises doivent assumer leur responsabilité sociale, mais cette proposition de loi n'est pas opérante.

Nous devons concevoir les lois non comme un décor de théâtre devant lequel prononcer de beaux discours, mais comme des textes définissant des obligations et des sanctions précises.

Mme Évelyne Didier.  - La notation extra-financière des entreprises est devenue monnaie courante. Les investisseurs y ont de plus en plus recours. Ce n'est pas un hasard si ce sont les agences de notation qui ont décelé, les premiers, les failles dans la gouvernance de Tepco, avant la catastrophe de Fukushima.

La responsabilité sociale des entreprises, incontestablement, c'est l'avenir. Dommage que vous ne l'ayez pas compris.

À la demande des groupes écologiste et Les Républicains, l'amendement n°14 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°61 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 189
Contre 145

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article premier est supprimé.

Les amendements nos1, 4, 5, 6 et 7 n'ont plus d'objet.

ARTICLE 2

Mme Évelyne Didier .  - Nous regrettons ici encore de ne pouvoir améliorer le texte.

Nous proposions par nos amendements nos8 et 9 de supprimer la référence aux articles 1382 et 1383 du code civil pour permettre de rechercher la responsabilité des sociétés mères avec le fondement du droit commun de la responsabilité. Appliquons la théorie du risque-profit qui complète la théorie du risque : celui qui profite d'une activité doit en assumer le risque. Ce n'est pas archaïque !

Enfin notre amendement n°10 conférait au texte la valeur d'une loi de police afin de donner une indication complémentaire au juge et de lui permettre par conséquent l'application du droit français en cas de conflit de lois.

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

Supprimer cet article.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Coordination.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

M. Didier Marie.  - Beaucoup de grandes entreprises, comme Veolia ou Bolloré, soutiennent la démarche engagée par ce texte. Simplement, parce qu'elles ont compris que la compétitivité passe par le respect des droits de l'homme, à quoi l'opinion est sensible, comme à la responsabilité sociale de l'entreprise. L'opinion et donc leurs clients. C'est aussi une manière pour elles de rétablir un équilibre concurrentiel entre celles, qui sont vertueuses, et celles qui pratiquent un dumping social, environnemental et en termes de droits humains.

Effectivement, le devoir de vigilance n'aura de portée que s'il est reconnu au niveau européen. Mais vous semblez oublier ce qu'ont fait les gouvernements que vous souteniez, avec les lois LME et Grenelle 2. Avec cette proposition de loi, la France montre l'exemple !

M. Jérôme Durain.  - M. le président de la commission dit que ce texte est imprécis ; précisez-le ! Mal rédigé, améliorez-le ! Nous sommes plusieurs ici à appartenir à la délégation aux entreprises que préside Mme Lamure. Nous savons donc ce qu'il en est des entreprises, pas plus mal que la droite, dont le bilan de la politique industrielle est faible. Le made in France, c'est nous ; le redressement productif, c'est encore nous !

M. Philippe Bas.  - Voulez-vous vraiment que nous parlions de bilan ?

M. Jérôme Durain.  - Nous ne sommes pas là pour recevoir des leçons de droit ou d'économie.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Ni nous de morale !

M. Joël Labbé.  - Je reste convaincu que les choses vont avancer. Ici, le débat est perdu d'avance mais le texte sera repris par l'Assemblée nationale. J'espère que la presse s'en fera l'écho pour que les citoyens s'en emparent.

Je ne voulais pas dire qu'il y aurait d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Simplement je constate que nous ne parlons plus le même langage. Nous y arriverons !

Mme Évelyne Didier.  - Toujours optimiste...

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°15 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°62 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 189
Contre 145

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 2 est supprimé.

Les amendements nos3, 8, 9, 10, 2 et 11 n'ont plus d'objet, non plus que l'amendement n°12.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°16, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.

Supprimer cet article.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Amendement de conséquence.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

M. Didier Marie.  - Je regrette que la majorité sénatoriale ait fui le débat. Mais ce texte suivra sa route, finira par être adopté et la France montrera l'exemple.

M. Joël Labbé.  - La droite sénatoriale cède à des lobbys qui ne respectent pas le monde économique dans sa globalité. L'avenir est à l'éthique, seul moyen de le rendre durable et vivable.

Mme Évelyne Didier.  - Depuis longtemps, nous nous battons contre la multiplication des sous-traitants et la dilution des responsabilités. M. Bocquet proposait de limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance, comme cela se fait déjà en Allemagne. Du moins les donneurs d'ordre publics pourraient-ils demander aux candidats aux appels d'offre de s'engager à limiter la délégation de leurs missions. Chaque degré de sous-traitance supplémentaire s'accompagne d'une dégradation des conditions de travail et de rémunération des salariés et d'une aggravation des dommages à l'environnement. Cette proposition de loi aurait réduit le caractère accidentogène de la sous-traitance en cascade. C'est une occasion manquée...

Je ne suis pas sûre que les meilleurs défenseurs de notre économie soient ici ceux qui se présentent comme tels. Les investisseurs s'intéressent de plus en plus à la responsabilité sociale de l'entreprise. Certains fonds suédois n'investissent plus dans le pétrole ou le carbone. La responsabilité sociale de l'entreprise est l'avenir. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne.  - Les auteurs de ce texte soulèvent un problème réel. Mais la France aime bien laver plus blanc que blanc et donner des leçons. Tous les entrepreneurs ne sont pas de vils exploiteurs... Posons cette question au niveau européen. En attendant, ne nous tirons pas une balle dans le pied.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un texte sur la valeur de l'homme, sur le coût humain de certaines marchandises que nous achetons et portons dans nos poches. Certaines entreprises contrôlent déjà leurs sous-traitants. Ce texte est porteur d'une dimension éthique centrale pour l'avenir de l'humanité. Si Victor Schoelcher n'avait pas voulu laver plus blanc que blanc ici même, l'esclavage n'aurait pas été aboli !

Quelle est la stratégie de la majorité sénatoriale ? Elle a supprimé tous les articles. C'est un peu terrifiant... Est-ce parce qu'elle n'a rien à dire sur le sujet ? Je le déplore.

M. Michel Le Scouarnec.  - Les grandes entreprises ont intérêt à se plier à leur responsabilité sociale. Nos amendements répondaient à vos critiques sur l'extraterritorialité, sur la définition de l'amende. Si nous ne légiférons pas, la jurisprudence comblera le vide. N'attendons pas que le juge ou l'Union européenne se prononcent. Restons à l'avant-garde.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°16 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°63 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 189
Contre 145

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l'article 3 est supprimé et la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, demain, jeudi 19 novembre 2015 à 11 heures.

La séance est levée à 23 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques