Convention fiscale France-Luxembourg (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation du quatrième avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - L'avenant du 5 septembre 2014 à la convention fiscale franco-luxembourgeoise met fin à une situation dans laquelle des investisseurs immobiliers intervenant en France depuis le Luxembourg pouvaient réaliser des plus-values sans être aucunement imposés. C'était inacceptable, et c'est ce type d'optimisation que les nouvelles normes internationales visent à empêcher.

Une lacune subsistait, en effet, depuis l'avenant de 2006 ; les sociétés « à prépondérance immobilière » pouvaient encore être doublement exonérées. Le Luxembourg a finalement accepté de la combler par l'avenant signé le 5 septembre 2014.

Un coup d'arrêt sera ainsi mis à des montages conduisant à une non-imposition. Reste que la convention fiscale avec le Luxembourg, qui date de 1958, doit être largement révisée. Un ensemble de mécanisme anti-abus devra être mis en place, conformément au standard BEPS de l'OCDE.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur de la commission des finances .  - Nous examinons le quatrième avenant à la Convention de 1958. En principe, les plus-values de source française font l'objet d'un prélèvement au tiers. Mais les plus-values réalisées en France par les sociétés immobilières luxembourgeoises sont totalement exonérées. La France a ainsi perdu 40 millions dans l'affaire dite de l'Imprimerie nationale... Les schémas d'optimisation fiscale tirant parti de cette lacune se sont multipliés.

Le principe d'imposition dans le pays de situation de l'immeuble est désormais étendu aux sociétés immobilières. Une entrée en vigueur n'est certes pas possible dès le 1er janvier 2016, mais l'administration fiscale pourra agir par voie contentieuse.

Ces dernières années, plusieurs clauses ont été introduites dans nos conventions fiscales prévoyant que les plus-values réalisées par les véhicules d'investissement immobilier peuvent être prélevés à la source. Il n'en va pas de même ici : le prélèvement à la source est limité à 5 % ou 15 % selon la part que la société luxembourgeoise détient dans la société française. Concrètement, un véhicule détenu à 25 % par une société luxembourgeoise sera taxé à 5 % en France, et exonéré au Luxembourg...

En attendant une révision d'ensemble de la convention fiscale, pourquoi n'avoir pas traité de l'ensemble du chapitre immobilier dans cet avenant ?

Sous cette réserve majeure, la commission des finances appelle à ratifier cet avenant, un pas en avant. (Applaudissements)

M. Richard Yung .  - Cet avenant, étonnamment court, n'en est pas moins important. Il mette un terme au développement de schémas d'optimisation par l'intermédiaire des sociétés immobilières au Luxembourg. Une véritable industrie avait fleuri. On peut d'ailleurs se demander si d'autres lacunes ne subsistent pas...

Cet accord a ainsi le mérite de tenir compte des nouvelles règles de l'OCDE. Il témoigne d'un changement de cap du Luxembourg, qui tourne progressivement le dos à l'optimisation fiscale. La France, depuis l'avenant de 2009, obtient du Luxembourg nombre d'informations fiscales, en attendant le Fatca. Le Luxembourg a encore levé son veto à la directive sur la fiscalité de l'épargne. Il a renoncé comme la Suisse au secret bancaire à partir du 1er janvier 2017, chose inimaginable il y a encore quelques années. La pression internationale et le Luxleaks n'y sont sans doute pas étrangers...

Nous attendons cependant encore l'avis du Luxembourg sur la liste européenne des pays non coopératifs et sur l'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés...

Malgré ces tempéraments, nous ne bouderons pas notre plaisir et voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Gattolin .  - On déplore souvent l'inflation législative, oubliant que près de la moitié des lois votées autorisent la ratification de conventions internationales examinées à la va-vite malgré leur incidence sur le droit interne. Heureusement que le Sénat travaille sérieusement : contrairement à l'Assemblée nationale, il a refusé la farce andorrane et adresse systématiquement les conventions fiscales à sa commission des finances...

Mme Nathalie Goulet.  - Nous pourrions partager !

M. André Gattolin.  - Le Luxembourg, au premier rang mondial du PIB par habitant est un pays puissant, du fait du travail de ses habitants sans doute, mais aussi de ses règles fiscales... Cet avenant est une petite avancée qui n'entrave cependant pas la créativité fiscale des Luxembourgeois ! N'oublions pas que « Luxembourg » signifie « petite forteresse », un fortin imprenable, et que la devise du pays est « Nous voulons rester ce que nous sommes ! »

M. Jean-Claude Requier .  - L'harmonisation fiscale est un volet important de la construction européenne. Cet avenant met fin à des interprétations contradictoires dont il résulte que des plus-values immobilières réalisées en France par des sociétés et personnes luxembourgeoises échappent à la retenue à la source de 30 %, prévue par le droit français. Le manque à gagner est important pour l'État : 40 millions d'euros, par exemple, sur les bâtiments de l'Imprimerie nationale.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Quand la vente a-t-elle eu lieu ?

Mme Michèle André, présidente de la commission.  - C'était il y a bien longtemps.

M. Jean-Claude Requier.  - Le Luxembourg - dont l'actuel président de la Commission européenne a été longtemps Premier ministre - éclaboussé par le scandale Lux leaks a accepté de modifier la convention, ce dont nous nous félicitons.

Le groupe RDSE votera ce projet de loi.

Mme Nathalie Goulet .  - Jean Arthuis rappelait que le Luxembourg se faisait fort de donner des leçons de gestion des finances publiques aux États membres de l'Union le matin, pour leur faire les poches l'après-midi au moyen de l'optimisation fiscale.

Cet avenant met fin à un mécanisme de double exonération. C'est plutôt cocasse quand la plupart des conventions que nous examinons concernent plutôt les doubles impositions. Cette double exonération, née d'interprétations contradictoires de la convention entre nos deux pays a stimulé les schémas d'optimisation. Depuis la signature d'accords en 2014, le Grand-Duché évolue. Nous regrettons que l'avenant ne prenne toutefois pas en compte la situation des sociétés immobilières cotées et des sociétés de placement à prédominance immobilière à capital variable.

Il faudra revenir sur toutes nos conventions, monsieur le ministre. Un débat global sur le sujet comme nous en avons eu il y a un an environ serait utile, pour faire le point. Si nous voulons lutter contre l'évasion fiscale, qui facilite le financement du terrorisme, nous devons remettre un certain nombre de conventions sur le métier... (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances .  - Nous auditionnons régulièrement des experts du sujet, comme Pascal Saint-Amans. En juillet dernier, la commission des finances a organisé une table ronde sur la diplomatie fiscale. Au Sénat en effet, c'est à elle plutôt qu'à la commission des affaires étrangères que sont renvoyées les conventions internationales lorsqu'elles ont une nature fiscale.

Ancienne rapporteure moi-même de certains projets de loi autorisant la ratification de conventions, je sais que le système est bien rôdé. Merci à tous les sénateurs qui ont enrichi la discussion cet après-midi. Et bonnes fêtes à tous.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État .  - On ne peut régler toutes les difficultés en même temps. Mieux valait adopter ce projet de loi rapidement pour boucher un trou dans la raquette, quitte à y revenir plus tard...

M. Alain Gournac.  - Bien sûr.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Lors de la visite du président de la République au Luxembourg en mars dernier, mon homologue luxembourgeois et moi avons posé des jalons pour des négociations fructueuses. Le chantier est phénoménal. L'histoire et les pratiques donnent lieu à des règles particulières. Ainsi du statut des travailleurs transfrontaliers de Lorraine qui travaillent au Luxembourg : ils sont taxés là où ils travaillent. Nous avons mis le système en extinction mais il perdure pour ceux qui en bénéficiaient. De même, des régimes différenciés existent selon les pays sur la CSG ou les allocations au titre de la dépendance. Cela dit, pour conclure l'année sur une note d'optimisme -  pondéré - nous avons plus progressé ces deux dernières années que durant la dernière décennie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Explication de vote

M. André Reichardt .  - Le quatrième avenant met opportunément un terme au mécanisme de double exonération des sociétés partiellement luxembourgeoises ou implantées dans le Grand-Duché. Je me félicite qu'un accord ait été trouvé avec un État souvent critiqué pour son manque de coopération.

Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi.

Mme Michèle André, présidente de la commission.  - Divine surprise !

Le projet de loi est adopté définitivement.

Prochaine séance, demain, jeudi 17 décembre à 10 h 30.

La séance est levée à 18 h 45.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques