Missions temporaires des parlementaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.

Discussion générale

M. Pierre-Yves Collombat .  - L'objet de cette proposition de loi du groupe RDSE est de supprimer les missions temporaires confiées à un parlementaire, en français standard, les parlementaires en mission. Pourquoi cette idée saugrenue ? La réponse demande d'effectuer quelques détours.

D'abord, qu'est-ce qu'un parlementaire en mission ? C'est un député ou un sénateur chargé discrétionnairement d'une mission par le Gouvernement. Celle-ci se limite généralement à la rédaction d'un rapport mais peut consister en de véritables fonctions administratives dont l'on ne retrouve parfois aucune trace. Si elle excède six mois, le parlementaire est remplacé par son suppléant ou son suivant de liste sans que soit organisée une élection partielle. Sa nomination prend la forme d'un décret, qui n'est pas toujours publié, et peut rester muet sur l'objet de la mission.

Si le parlementaire en mission appartient le plus souvent à la majorité présidentielle ou à ses franges, il peut aussi appartenir à l'opposition, pourvu les opinions de la majorité. Mais le fin du fin, c'est la nomination de binômes association majorité et opposition, divergeant seulement sur les détails.

Enfin, séparées par de brèves interruptions, ces missions peuvent se succéder dans le temps pour un même parlementaire.

On l'aura remarqué, cette pratique représente une violation assumée de la séparation des pouvoirs et des fonctions et une entourloupe au suffrage universel sur lesquelles le Parlement n'a pas son mot à dire. Autant de raisons qui ont conduit la commission des lois à soutenir cette proposition de loi du RDSE. Elle l'a fait d'autant plus volontiers que cette pratique, d'occasionnelle et parfois justifiée par les aptitudes de la personne nommée - ce fut le cas pour la première en 1849 en pleine affaire de Rome - est devenue habituelle : 76 parlementaires en mission durant la législature 1997-2002, 108 durant la législature 2002-2007,113 durant la législature 2007-2012 et déjà 100 depuis 2012. Nous avons comme l'impression d'une accélération de l'histoire... Cette inflation montre qu'elle est plus souvent une décoration qu'un moyen d'améliorer la pratique gouvernementale ou d'enrichir la vie parlementaire. J'y vois un moyen de contrôle soft du Parlement qui s'ajoute à l'encadrement constitutionnel connu sous le nom de « parlementarisme rationalisé », à l'autocensure que le Parlement s'impose à lui-même ou qu'il accepte de se voir imposer par sa propre administration - je parle en connaissance de cause - , un Parlement désormais converti à l'usage extensif des article 40 et 41, parfois de l'article 34 et de la règle de « l'entonnoir » inventée par cet infatigable gardien des prérogatives gouvernementales qu'est le Conseil constitutionnel.

Et je ne dis rien des conseils discrets et amicaux des membres de cabinets ministériels aux rapporteurs... C'est évidemment pour le bien du Parlement dont la cote de popularité se mesure désormais à la rapidité avec laquelle les textes gouvernementaux sont adoptés.

Autre déviation, le prolongement des missions au-delà de six mois pour organiser l'exfiltration de l'intéressé vers des fonctions plus prestigieuses ou plus lucratives sans prendre le risque d'une élection partielle. Pour nous en tenir à la chronique récente, la dernière affaire de la « présidence normale » fut la migration de François Brottes de la présidence de la commission des affaires économique de l'Assemblée nationale à la présidence du directoire de RTE par l'entremise d'une mission hautement formatrice sur « la sécurité de l'approvisionnement électrique ». Cela ne s'invente pas ! (Rires sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen)

Aux collègues tentés de conserver la pratique en corrigeant ses dérives les plus voyantes, je veux rappeler qu'elle est l'arbre qui cache la forêt : un Parlement aux pouvoirs réduits comme peau de chagrin. Cette proposition de loi cherche modestement à desserrer l'un des liens qui, subtilement, permettent à l'exécutif de neutraliser le peu qui lui reste. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste citoyen et républicain ; MM. Michel Mercier et Hugues Portelli applaudissent aussi)

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois .  - Les parlementaires en mission sont un sujet peu traité, y compris dans les facultés de droit. Pourtant, cette catégorie est fort intéressante. Le premier utilisateur de cette procédure n'est autre qu'Alexis de Tocqueville ; non le premier bénéficiaire mais le premier instigateur. Légère entorse à la stricte séparation des pouvoirs sous la IIe République - si stricte qu'elle s'est terminée en coup d'État, elle est apparue dans une loi votée fort opportunément en 1849 pour envoyer Francisque de Corcelle en tant que ministre plénipotentiaire à Rome.

Après une longue éclipse, elle a réapparu dans l'ordonnance de 1958 en ces premiers mois bénis de la Ve République où le Gouvernement Debré élaborait toutes les lois, y compris organiques, qu'il lui plaisait alors que le Sénat n'avait pas encore été réuni. Il faut attendre les années 1970 pour que la pratique se développe, avec une première grande vague de parlementaires en mission sous Pompidou. Depuis une vingtaine d'années, la pratique est devenue exponentielle : onze parlementaires nommés depuis le 1er janvier dernier !

M. Jacques Mézard.  - Et non des moindres !

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Le parlementaire en mission est un parlementaire de plein exercice - indemnités, immunité et droit de vote, en plus de remplir une mission publique non élective. Constitutionnellement parlant, cette mission ne doit pas excéder six mois. C'est une exception à la règle d'incompatibilité, pouvant mener à de très hautes fonctions. M. Christian Nucci, bien connu de la police et de la magistrature, a ainsi été nommé Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie avec rang préfectoral.

Quand la mission s'achève, le parlementaire en mission peut redevenir simple parlementaire ou voir sa mission prolongée. Dans ce dernier cas, son mandat tombe, sauf exception notable - Edgar Faure a conservé le sien, le Conseil constitutionnel s'étant déclaré incompétent parce que saisi par un électeur du Doubs, et non par l'Assemblée nationale.

Le Conseil d'État, tout en refusant de se prononcer sur le fond et de classer les nominations de parlementaires en mission dans les actes du Gouvernement, a souhaité définir ce que pouvait être une vraie mission : il y faut au moins un rapport. Dans la vraie vie, il arrive que les rapports se perdent comme les décrets (Rires).

Cette pratique fait litière des traditions de la Ve République : l'incompatibilité est l'outil de la séparation des pouvoirs même s'il a été assoupli dans la révision constitutionnelle de 2008 pour autoriser les ministres à retrouver leur siège de parlementaire en évitant des élections partielles fâcheuses. En commission des lois a été cité l'exemple britannique. La comparaison ne vaut pas : au Royaume-Uni, nul ne peut être ministre s'il n'est pas parlementaire en exercice... et chacun le reste.

Cette bizarrerie juridique est contraire tant au texte de la Constitution qu'à la pratique parlementaire. On me rétorquera que les parlementaires en mission enrichissent la vie parlementaire. Soit, mais pourquoi ne pas inverser les choses et faire en sorte que le Parlement, comme il peut saisir la Cour des comptes depuis 2008, saisisse le Gouvernement ? Voilà pourquoi la commission des lois a voté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs de la commission, des groupes RDSE et communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Votre rapporteur, avec son souci de l'histoire du droit et son goût pour les anecdotes, a souligné tout l'intérêt de la question des parlementaires en mission.

L'histoire de cette pratique en fait saisir l'esprit. Initiée sous la IIe République pourtant marquée par une stricte séparation des pouvoirs, elle se poursuit sous les IIIe et IVe Républiques : les parlementaires peuvent alors se voir confier des missions rémunérées ainsi que des responsabilités administratives très élevées en ambassade ou dans les préfectures tandis que les ministres conservent leur mandat de parlementaires.

La Ve République a interdit les cumuls entre les fonctions parlementaires, ministérielles et administratives. Toutefois, les relations constructives entre pouvoirs législatif et exécutif sont, non seulement permises, mais souhaitables.

Le parlementaire qui accepte une mission reste libre de l'organisation de ses travaux et ses conclusions, il ne peut recevoir aucune indemnité. Enfin et surtout, un véritable intérêt commun motive l'association des parlementaires aux travaux techniques réalisés à la demande du Gouvernement par l'administration centrale, les inspections générales, le Conseil d'État ainsi que par des institutions indépendantes comme la Cour des comptes. L'apport d'un regard souvent plus proche du terrain et l'association de parlementaires de l'opposition facilitent le consensus, l'adoption et la mise en oeuvre des réformes.

Nombreuses sont celles qui ont été inspirées par des parlementaires en mission : la création de la CMU en 1999 après le rapport de Jean-Claude Boulard de 1998, la loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques après le rapport de Richard Ferrand sur les professions réglementées ou encore le rapport de Martine Pinville sur le vieillissement. Les exemples ne manquent pas où les travaux parlementaires ont éclairé utilement le Gouvernement.

Ces missions préparent parfois un accord entre les deux assemblées : ainsi les travaux d'Alain Claeys et Jean Leonetti sur les droits des malades en fin de vie. Les travaux d'Alain Bertrand, sénateur du groupe RDSE, sur l'hyper-ruralité ont eu beaucoup d'écho...

M. Jacques Mézard.  - ...mais sont restés sans effet !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - La semaine dernière Élisabeth Lamure, Jérôme Bignon et René Vandierendonck se sont vu confier une mission sur le renforcement de l'attractivité et de la compétitivité des principales portes d'entrée maritime françaises. Cela ne peut que renforcer le bicamérisme, comme l'ont fait les travaux de Patricia Schillinger et André Reichardt sur le régime local d'assurance-maladie en Alsace-Moselle

L'expérience des parlementaires est indispensable au bon fonctionnement de nos institutions. Le Gouvernement ne peut être favorable à la suppression des parlementaires en mission d'autant que leur nombre est resté stable sur les dernières législatures : une centaine environ.

M. Jean-Claude Requier .  - Le 26 août 1789, les représentants du peuple français adoptaient la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, référence absolue de notre démocratie.

Son article 16 pose le principe de la séparation des pouvoirs qui nous vient de Montesquieu. Il ne doit souffrir aucune entorse, sous peine d'entraîner la confusion des pouvoirs et d'amoindrir la confiance des citoyens envers leurs représentants.

Notre proposition, simple et concrète, remet de l'ordre démocratique en mettant fin à une pratique d'un autre âge que le Conseil constitutionnel n'a jamais examinée. On ne badine pas avec les principes.

Ce texte prend place dans un corpus, celui des réformes que le groupe RDSE propose pour un bicamérisme modernisé : le septennat non renouvelable, la limitation du mandat parlementaire dans le temps, la limitation horizontale des cumuls, le non-cumul des indemnités...

M. Michel Mercier.  - Tout le contraire de ce qu'on fait depuis des années !

M. Jean-Claude Requier.  - Avec lui, la plus vieille famille politique française est à l'avant-garde de la République !

Les rapports commis par les parlementaires en mission sont-ils des rapports parlementaires ? Non, ce sont des rapports ministériels parce que rédigés grâce à des moyens ministériels.

Pour m'en tenir au seul argument du non respect du principe de la séparation des pouvoirs, je n'évoquerai pas l'intérêt très relatif de ces rapports de mission : ils ont une espérance de vie de quelques jours avant de prendre pour l'éternité la direction d'une étagère, voire d'un placard. Parfois le parlementaire s'est battu pour obtenir cette mission et produire ce rapport dans l'espoir de se distinguer. Le plus souvent, l'exécutif y a vu le moyen de faire exister un parlementaire ou de le remercier, tout en préparant le terrain avant de formaliser un projet de loi rédigé par le fonctionnaire du ministère qui aura prêté sa main au parlementaire en mission nommé rapporteur ! Avec cette circularité, on est très loin de l'indépendance du parlementaire. Rien ne justifie que l'on maintienne cette pratique abusive.

Je suis convaincu que la Haute Assemblée, dans sa grande sagesse et l'esprit d'indépendance qui est le sien, suivra la commission des lois en votant ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste républicain et citoyen ; M. Hugues Portelli, rapporteur, applaudit aussi)

M. Michel Mercier .  - Il est incongru qu'un parlementaire radical critique la participation des parlementaires au pouvoir exécutif, alors que ce sont des parlementaires radicaux qui ont construit la République en participant régulièrement au Gouvernement !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Le régime était alors parlementaire, il n'était pas consulaire !

M. Jacques Mézard.  - Et l'adjectif consulaire est un euphémisme...

M. Michel Mercier.  - Nous sommes en France, pas aux États-Unis. Heureusement que nous n'appliquons pas trop souvent l'article 16, une stricte séparation des pouvoirs engendre un conflit des pouvoirs. La IIe République s'est terminée par l'Empire. Moi qui suis un véritable républicain, je suis favorable à une collaboration des pouvoirs. (Exclamations sur les bancs du groupe RDSE)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Mais aujourd'hui, c'est la confusion des pouvoirs !

M. Michel Mercier.  - Et si vous commenciez par laisser les parlementaires qui ne sont pas en mission s'exprimer avant de vouloir supprimer les parlementaires en mission ?

L'institution du parlementaire en mission est bénéfique et utile. Au mois de janvier, 11 parlementaires ont été désignés - aucun n'a refusé, de quelque groupe que ce soit...

Mme Éliane Assassi.  - Zéro pour nous !

M. Michel Mercier.  - Pas plus pour le groupe centriste. Nous pouvons donc en parler plus librement. Une mission permet aux parlementaires de mieux connaître les rouages de l'administration, au Gouvernement d'entendre un homme de terrain. Le rapport de M. Bertrand sur l'hyper-ruralité a eu une forte résonnance...

M. Jacques Mézard.  - Je ne vous le fais pas dire ; mais il faudrait passer aux actes !

M. Michel Mercier.  - ...comme le rapport de Jean Arthuis sur la mise en place de l'euro. Le Parlement dispose, depuis 2008, d'un droit de regard sur les nominations par le président de la République.

En revanche, nous sommes contre le dévoiement du parlementaire en mission pour organiser une succession au Parlement. Il n'y a aucune raison de refuser au parlementaire en mission plus de six mois de retrouver son mandat quand un ministre peut le faire depuis 2008. Sous cette réserve, il faut garder cette bonne institution. (M. Yves Détraigne applaudit.)

Mme Éliane Assassi .  - Le parlementaire en mission est une infraction à la règle de séparation des pouvoirs. Certains prétendent que c'est un atout pour le Parlement. C'est en réalité une utilisation du parlementaire par l'exécutif. Geste considéré comme une gratification, il est contraire à notre vision d'un Parlement rénové dominant la vie politique et institutionnelle avec une participation active des citoyens. Dans ce cadre, l'idée même d'un parlementaire au service du Gouvernement n'a pas de sens ; elle serait un aveu d'impuissance des deux assemblées.

Aujourd'hui, cette pratique s'ajoute au rythme des débats, à l'inflation législative, à la maîtrise budgétaire par Bruxelles, à l'encadrement par le Conseil Constitutionnel et les questions prioritaires de constitutionnalité pour réduire à peu de choses les pouvoirs du Parlement.

Supprimons-la aussi parce qu'au parlementaire en mission plus de six mois succède son suivant de liste ou son suppléant sans que soit organisée une élection. C'est démocratiquement inacceptable, on l'a vu dans le cas de François Brottes. Comme l'est la conservation du droit de vote à des parlementaires en mission qui exercent parfois de hautes fonctions administratives ou le droit d'un ministre à retrouver son mandat parlementaire ... Il faudra y remédier un jour.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est ce que de Gaulle pensait aussi !

Mme Éliane Assassi.  - J'en suis fort aise ! Le groupe CRC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et RDSE)

M. Michel Delebarre .  - Le parlementaire en mission a été introduit par la IIe République, pourtant marquée par la séparation des pouvoirs. Le nombre de nominations a été constant sous la Ve République: 100 par législature. Moi-même, j'ai été saisi, avec Ronan Dantec, d'une mission sur le rôle des collectivités locales dans les négociations climatiques. J'espère que ces travaux auront servi à la COP21. Une importante réflexion vient d'être confiée à nos collègues sénateurs sur l'attractivité des principales portes d'entrée maritimes françaises.

Dans la conduite de ses réformes, le Gouvernement doit pouvoir s'appuyer sur un éclairage que les services ne lui donneraient pas toujours. C'est souvent l'occasion de déminer le terrain : le député Laurent Grandguillaume s'était ainsi vu confier la patate chaude de la réforme du régime de l'auto-entrepreneur.

Le cadre de ces missions peut être interrogé mais la suppression pure et simple n'est pas souhaitable. Elle serait disproportionné au regard des griefs.

L'affaiblissement du pouvoir parlementaire tient autant à la nomination de parlementaires pour siéger au sein de comités, autorités, observatoires et autres commissions. Ces instances, qui étaient au nombre de deux en 1980, ont proliféré ; leurs pouvoirs sont de plus en plus étendus si bien qu'elles sont devenues une sorte de parlement bis qui prive le Parlement de ses moyens de contrôle.

Le groupe socialiste ne peut pas souscrire à cette proposition de loi. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

Mme Aline Archimbaud .  - Nous entendons bien les critiques faites aux parlementaires en mission. Les écologistes sont très attachés à la séparation des pouvoirs. Les missions peuvent susciter le doute lorsqu'elles prennent la forme d'un haut-commissariat ; mais ce n'est pas le cas des travaux d'études, d'enquêtes, d'auditions, donnant lieu à des rapports.

Les missions confiées aux membres de notre groupe ont été menées en toute indépendance et utilement. Elles sont utiles quand elles débouchent sur des rapports permettant de défricher des sujets sensibles, parfois sur l'interpellation des parlementaires eux-mêmes. Ce fut le cas pour moi en 2013 sur l'accès aux soins des plus démunis, mes travaux ont donné lieu à de nombreux amendements repris dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale ou dans la loi de santé.

D'autres rapports permettent d'appréhender des phénomènes dans toutes leurs dimensions en croisant différentes disciplines, comme celui que j'ai rédigé sur le taux de suicide des jeunes Amérindiens, pour lequel j'ai intégré les approches de santé, culturelles, sociales, économiques, avec le concours de nombreux ministères, outre celui de l'outre-mer : nous avons travaillé en toute indépendance, sans pression, à la recherche de solutions.

La collaboration entre Assemblée et Sénat permet d'ouvrir les horizons. Les missions sont complémentaires des moyens dont les parlementaires disposent pour leurs fonctions de contrôle ou d'initiative.

Nous rejoignons cependant la position selon laquelle le contournement du suffrage universel si les parlementaires ne terminent pas leur mission en temps et en heure n'a pas lieu d'être. Mais nous voterons contre cette proposition de loi.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le parlementaire en mission est né en 1849 d'une amitié entre Alexis de Tocqueville, alors ministre des affaires étrangères...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Ancien président du conseil général de la Manche...(Marques d'appréciation à droite)

Mme Nicole Duranton.  - ...et Francisque de Corcelle, député, et non de l'intérêt intrinsèque de ladite mission. C'était déjà une dérive !

Aujourd'hui, le nombre de parlementaires en mission se multiplie dans la plus grande discrétion, leur nomination étant le fait du Gouvernement.

Cette fonction est noble, de l'examen d'un sujet donnant lieu à proposition de loi, au suivi d'une loi en vigueur, ou à la préparation d'une transposition de directive. Cependant, les termes de la mission sont souvent flous, parfois sans lettre de mission les explicitant, même lorsqu'un décret a été publié - au point de poser des problèmes de constitutionnalité.

En réalité il s'agit d'une passerelle entre l'exécutif et le législatif. Certes, il y a des avantages : moyens techniques d'un côté, les parlementaires pouvant bénéficier de l'appui d'un haut-fonctionnaire ; avantage politique de l'autre - mais parfois contre l'esprit de la démocratie, qu'il s'agisse d'ajuster des votes, lorsque la majorité est faible, grâce aux délégations des parlementaires en mission ou encore d'en exfiltrer certains, en leur substituant leur suppléant, sans avoir à passer par une élection partielle...

Certes, le Parlement doit mieux anticiper les réformes à venir, mais il peut parfaitement y parvenir lui-même...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien !

Mme Nicole Duranton.  - Pourquoi ne confierait-il pas de sa propre initiative des missions à ceux qui deviendront rapporteurs de projets de loi ? Il n'a pas besoin de l'autorisation du Gouvernement et il dispose des moyens humains et des pouvoirs d'enquête pour ce faire.

Défavorable au mécanisme actuel, que je crois contraire à l'esprit de la Constitution et de la séparation des pouvoirs, je voterai ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et sur de nombreux autres bancs)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

L'amendement n°1 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier.

I.  -  Alinéas 2, 4 et 5

Supprimer ces alinéas.

II.  -  Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  Aux seconds alinéas des I et III de l'article 8 de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, après la référence : « L.O. 141-1 », sont insérés les mots : « , la prolongation au-delà du délai de six mois d'une mission temporaire confiée par le Gouvernement ».

M. Michel Mercier.  - Défendu.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Défavorable à cet amendement qui revient sur le texte adopté par la commission.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Défavorable.

À la demande du groupe RDSE, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°139 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption   45
Contre 293

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier.

I.  -  Alinéas 2 et 4

Supprimer ces alinéas.

II.  -  Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  Aux seconds alinéas des I et III de l'article 8 de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, après la référence : « L.O. 141-1 », sont insérés les mots : « , la prolongation au-delà du délai de six mois d'une mission temporaire confiée par le Gouvernement ».

M. Michel Mercier.  - Défendu.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Défavorable.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Défavorable.

À la demande du groupe RDSE, l'amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°140 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption   35
Contre 302

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article premier est adopté.

L'article 2 demeure supprimé.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mmes Gourault et M. Mercier.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi organique encadrant le recours et le remplacement aux missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires

M. Michel Mercier.  - Défendu.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Défavorable.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Défavorable.

À la demande du groupe RDSE, l'amendement n°4 est mis aux voix par scrutin public. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°141 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption   35
Contre 303

Le Sénat n'a pas adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Pierre-Yves Collombat .  - Quel est l'enjeu, au fond ? Élections après élections, nous constatons que nos institutions sont près d'être bloquées, nos concitoyens n'y croient plus : ils pensent qu'il ne se passera rien - car tout le pouvoir est entre les mains de l'exécutif, plus précisément à l'Élysée. Pour autant, nous ne sommes pas tant dans un régime présidentiel, que proches d'un régime consulaire où le Parlement joue largement les figurants. Au-delà du parlementarisme rationalisé, le Parlement lui-même s'autocensure, et je ne parle pas des liens subtils que tissent les gouvernements successifs, dont font partie ces missions : notre texte ne lèvera pas tous les blocages, mais ce serait un premier pas pour la réforme nécessaire de nos institutions républicaines.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Je comprends l'intérêt de traquer le dévoiement des parlementaires en mission ; mais supprimer le dispositif, ce serait excessif. Pour avoir longtemps collaboré avec des ministres, je peux témoigner de son utilité pour les éclairer - je pense à la préparation de la loi sur les contrats d'avenir avec les buralistes en 2006, grâce à la mission des parlementaires Richard Mallié et Yves Bur, qui a aidé le Gouvernement à prendre ses décisions.

La coproduction législative existe, en tout cas elle a existé et j'en veux pour preuve la proposition de loi sur l'interdiction du port du voile intégral dans l'espace public, d'initiative parlementaire. Il est d'ailleurs curieux qu'un ancien président de la République s'en targue aujourd'hui, qui y était farouchement opposé à l'époque...

Le parlementaire en mission peut être utile au Gouvernement comme à un meilleur exercice de la fonction parlementaire. Je ne voterai donc pas ce texte.

La proposition de loi organique est soumise, de droit, au scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°142 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l'adoption 186
Contre 150

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, communiste républicain et citoyen et sur certains bancs à droite)

Prochaine séance demain, jeudi 4 février 2016, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 50.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus