Convention fiscale avec la Suisse (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances .  - Difficile d'intervenir après vous, monsieur le ministre, car nous sommes d'accord sur l'essentiel.

Contrairement à la convention avec Singapour, de portée générale, l'accord avec la Suisse répond à un problème ciblé : l'échange d'informations fiscales. Il n'est pas nécessaire de rappeler combien une bonne coopération fiscale avec la Suisse est importante : 85 % des 45 000 régularisations effectuées depuis 2013 auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) proviennent de la Confédération helvétique. En février 2015, l'affaire Swiss Leaks révélait un vaste système de fraude fiscale organisée par HSBC. En janvier 2016, les médias faisaient état de 38 000 comptes non déclarés, soit 12 milliards d'euros détenus par des citoyens français auprès d'UBS.

Si les échanges de renseignements fiscaux entre la France et la Suisse sont, depuis 2009, régis par un dispositif juridique conforme aux derniers standards de l'OCDE, la coopération demeurait difficile. En effet, la ratification de l'avenant du 27 août 2009 avait été conditionnée par la Suisse à la signature d'un échange de lettres, daté du 11 février 2010, à la formulation ambiguë, que la Suisse invoque pour écarter les demandes qui ne mentionnent pas le nom et l'adresse du contribuable visé ou l'établissement qui détient les informations - ce que par définition l'administration française ignore généralement. C'est à ces insuffisances que s'est heurtée la demande effectuée dans le cadre de l'affaire Cahuzac. Sur 426 demandes entre le 1er janvier 2011 et le 15 avril 2013, seules 29 réponses ont été reçues, et six jugées satisfaisantes.

La pression internationale croissante a rendu une renégociation inévitable. Elle a toutefois pris du retard en raison du rejet en 2014 par le parlement suisse de la convention bilatérale sur les successions, qui incluait le nouveau dispositif. Il a donc été décidé d'élaborer un texte spécifique, qui a abouti au présent accord du 25 juin 2014.

Cet accord contient trois avancées notables. Il assouplit les conditions d'identification de la personne visée par la demande et autorise les demandes groupées. Il met fin à l'obligation d'identifier au préalable l'établissement financier qui détient les informations recherchées, en levant l'interprétation restrictive de l'accord actuel. Enfin, une clause de portée générale stipule que les éléments de la convention et du protocole « doivent être interprétés de manière à ne pas faire obstacle à un échange effectif de renseignements ».

L'accord s'applique aux faits survenus à compter du 1er février 2013, une rétroactivité qui correspond opportunément au délai de prescription fiscale.

Bien sûr, l'échange à la demande suppose de savoir au préalable ce que l'on cherche et repose in fine sur la bonne volonté des autorités étrangères. Toutefois, on peut espérer que la Suisse mette en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici 2018, comme elle s'y est engagée, avec 94 autres pays, le 29 octobre 2014 à Berlin et comme elle le pratique déjà avec les États-Unis dans le cadre de la loi Fatca. La loi fédérale a été récemment modifiée afin de permettre la mise en oeuvre de ce dispositif, qui signe la fin du secret bancaire.

D'ailleurs, monsieur le ministre, les États-Unis jouent-ils le jeu de la coopération ?

La perspective de la levée du secret bancaire a déjà conduit près de 45 000 repentis à se manifester auprès du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR), qui a récupéré 1,9 milliard d'euros en 2014 et 2,5 milliards en 2015. La place de Genève incite désormais ses clients à régulariser leur situation.

Merci, monsieur le ministre, de nous faire parvenir le jaune budgétaire, qui n'était plus disponible depuis deux ans. (M. Michel Bouvard s'en réjouit).

En 2013, la France a formulé 246 demandes et reçu 51 réponses ; en 2014, 319 demandes et 696 réponses - signe d'un grand rattrapage ; ces progrès se sont poursuivis en 2015. La Suisse, elle n'a formulé qu'une demande en 2013 et 2014, puis 22 en 2015.

Cet accord n'épuise pas tous les sujets que nous avons à régler avec les Suisses - travailleurs frontaliers, accès aux marchés financiers européens, etc. C'est néanmoins un progrès majeur, difficilement concevable il y a seulement deux ou trois ans. C'est pourquoi toutes les initiatives politiques qui vont en ce sens doivent être soutenues avec constance et détermination. Je vous propose d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements).

Mme Nathalie Goulet .  - Si nous ne prononçons pas encore l'éloge funèbre du secret bancaire, l'heure de l'extrême onction approche... Quand on veut, on peut disais-je. Ma remarque ne se voulait pas désobligeante, et Transparency a souligné les progrès réalisés : 7 milliards d'euros rapatriés depuis 2010.

Cette convention assouplit les conditions d'identification, mettant un terme au recours à des prête-noms et sociétés écran. Mais il faut aussi protéger les lanceurs d'alertes.

En outre, la question des ports francs n'est pas réglée. L'évasion fiscale nourrit le terrorisme : la Suisse est le troisième pays de blanchiment de capitaux finançant le terrorisme.

L'opinion publique supporte de moins en moins la fraude et l'évasion fiscales. Membre de la commission des affaires étrangères, et non de la commission des finances, je ne peux que souligner que des progrès restent à faire, en dépit d'avancées. Vous pourrez compter sur le soutien de notre groupe. (Applaudissements)

M. Éric Bocquet .  - Clin d'oeil à l'actualité, nous traitons aujourd'hui de deux conventions avec Singapour et la Suisse, pays pivots d'un système d'évasion fiscale particulièrement sophistiqué.

Mais les conventions bilatérales ne sont plus le cadre approprié pour lutter contre l'évasion fiscale : il faudrait des décennies pour mettre à jour les 3600 conventions bilatérales aujourd'hui en vigueur dans le monde. Quand les enjeux se chiffrent en centaines de milliards d'euros, un cadre multilatéral imposant l'échange automatique d'informations est indispensable.

Le Parlement doit être associé et informé régulièrement : ces sujets ne sauraient être l'apanage de Bercy. Notre commission d'enquête avait proposé de créer un Haut-commissaire à la défense des intérêts publics, qui permettrait d'associer les parlementaires.

Les lignes ont bougé avec la Suisse, sous l'effet de la pression des États-Unis et des dossiers dévoilés par des lanceurs d'alerte. Nous voterons ce texte en pleine lucidité : c'est un premier petit pas, sachant que la route sera encore longue vers la grande lumière universelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Nathalie Goulet applaudit également)

M. Richard Yung .  - En attendant la grande lumière universelle, que le Sénat laïc appelle de ses voeux (Sourires), cette convention porte les échanges d'informations aux standards de l'OCDE, après le rejet de la convention sur les successions par le parlement suisse.

La Suisse, qui passe beaucoup de temps à négocier des accords bilatéraux, rejoindra sans doute bientôt l'accord global en vigueur à l'intérieur de l'Union européenne. L'avenant d'août 2009 et l'interprétation qu'en fait la Suisse sont contraires à la norme internationale.

Le Monde dénonce aujourd'hui les pratiques d'une grande banque suisse qui aurait mis en place une fraude fiscale de grande ampleur et détenu jusqu'en 2014 entre 13 et 23 milliards d'actifs français occultes. D'où l'importance de cette convention.

Les Américains, eux, ont dit aux Suisses : « Signez l'accord Fatca, en bas à droite, ou nous retirons à vos banques le droit d'exercer sur notre territoire ». Simple et efficace. Nous sommes plus diplomates...

Cette convention bilatérale fluidifiera les échanges d'informations. Les demandes pourront porter sur des groupes de contribuables, le fisc n'aura plus à donner le nom et l'adresse des contribuables lorsqu'il interrogera la Suisse, ni à indiquer l'établissement financier concerné. L'administration fiscale est lasse de ces obstacles juridiques, qui lui avaient été opposés dans l'affaire impliquant votre prédécesseur.

L'échange d'informations concernera tous les impôts et contributions, y compris la fiscalité douanière, fédérale, cantonale ou locale.

Depuis sa création en 2013, le STDR a bien fonctionné : 92 % des dossiers viennent de Suisse. Rien que pour UBS, 4 200 clients ont choisi de régulariser leur situation.

M. François Marc.  - Il était temps !

M. Richard Yung.  - Cet accord interdit à la Suisse d'interpréter restrictivement les accords qu'elle a signés. Le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - La Suisse est l'un des principaux protagonistes de l'évasion fiscale internationale. Longtemps il a été de bon ton de déplorer avec fatalisme, voire complaisance, l'attraction des paysages helvétiques sur les grandes fortunes comme sur les petits magots français. Sous la pression de l'opinion publique et des lanceurs d'alerte, les choses ont pris une tournure plus précise : les grandes banques suisses, comme HSBC ou UBS, ont mis sur pied un système sophistiqué de fraude massive, soustrayant des dizaines de milliards d'euros aux services fiscaux étrangers. En pleine crise mondiale, la Suisse a assumé sans vergogne son soutien actif à ses banques. Elle aura tout tenté pour préserver son secret bancaire : interprétation restrictive de l'avenant de 2009, refus du véhicule législatif de 2014, etc...

Mais les choses changent : Fatca, menace de l'OCDE d'inscrire la Suisse sur la liste des paradis fiscaux, refus des pays de fermer les yeux sur la transhumance des valises de billets, etc... En la matière, seuls le volontarisme et le rapport de force sont efficaces. Il est d'autant plus désolant que le dernier projet de loi de finances rectificative ait considéré que les schémas d'optimisation fiscale des entreprises étaient couverts par le secret des affaires... (M. Éric Bocquet et Mme Nathalie Goulet renchérissent)

Cette convention entérine un progrès majeur dans l'échange d'informations. Le groupe écologiste le votera.

M. Guillaume Arnell .  - L'accord signé à Berne le 25 juin 2014 modifie la convention de 1966 qui avait laissé des marges de manoeuvre importantes aux deux parties.

La Suisse a bâti en grande partie sa prospérité sur ses règles fiscales particulières pour les investisseurs et épargnants étrangers. Mais la crise financière de 2008 et la révélation de scandales impliquant des banques suisses a jeté l'opprobre sur les pratiques d'évasion fiscale permises par le secret bancaire.

Ce sont les États-Unis en 2010, avec le Fatca, qui ont ébranlé le système. L'échange d'informations automatique est en passe de devenir la norme ; la Suisse l'appliquera à compter de 2018.

L'accord que nous examinons met les échanges entre la France et la Suisse en conformité avec les standards les plus récents de l'OCDE. Il assouplit les conditions d'identification des contribuables et prévient toute interprétation restrictive. Déjà, ces efforts portent leurs fruits : le STDR enregistre des milliers de demandes de régulation. La vertu fiscale est une obligation citoyenne, et contribue à améliorer nos comptes publics. Le groupe RDSE, à l'unanimité, votera ce texte. (Applaudissements)

M. Alain Houpert .  - Cet accord bilatéral a été signé quatre mois avant la conclusion de l'accord multilatéral de Berlin du 29 octobre 2014 qui engage 94 États. Il vise à pallier les défauts de l'avenant de 2009 à la convention de 1966, la Suisse ayant utilisé tous les artifices pour restreindre la portée du dispositif. L'évasion fiscale coûte entre 30 milliards et 50 milliards d'euros par an à la France. Elle n'est plus supportable.

Cet accord assouplit les conditions d'identification, autorise les demandes groupées ; il est rétroactif pour éviter les mouvements frauduleux d'ici sa ratification. C'est donc un progrès. Seul l'échange automatique d'informations changera réellement la donne, cependant. La loi Fatca de 2010 a progressivement changé la donne, en obligeant tous les établissements financiers de par le monde à transmettre à l'administration américaine les informations en leur possession sur les avoirs détenus par les ressortissants américains ; elle a poussé le G20 à élaborer une norme commune de déclaration sous l'égide de l'OCDE, et 94 États se sont engagés à signer l'accord multilatéral d'octobre 2014. Un premier groupe de pays, dont la France, mettra en place l'échange automatique d'informations dès 2017. En 2018, des pays comme la Suisse, l'Autriche et Andorre suivront.

Les banques devront procéder aux diligences raisonnables pour identifier les comptes de non-résidents et collecter les renseignements. En attendant, cet accord constitue une avancée. Qu'en sera-t-il toutefois des demandes concernant des binationaux franco-suisses ?

En attendant, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi qui permettra de lutter contre l'évasion et la fraude fiscale.

Intervention sur l'ensemble

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Il y aurait beaucoup à dire...

Vous avez raison monsieur Bocquet : la lutte contre la fraude doit être partagée avec le Parlement et non pas être l'apanage de Bercy.

Merci pour votre unanimité. En bons Français, nous avons trop tendance à pointer les manques sans saluer les avancées. Sans verser dans l'autosatisfaction, il convient toutefois d'adresser à nos concitoyens le message que les choses changent et qu'ils peuvent avoir confiance dans leurs institutions. Transparency reconnaît les progrès accomplis, et d'autres sont sur le point de se concrétiser.

Le STDR est une réussite : 2,65 milliards récoltés en 2015, dont 1,7 milliard d'euros de droits non acquittés et 900 millions d'euros de pénalités, soit une pénalité de 50 % en moyenne. Il n'y a pas d'impunité !

M. Richard Yung.  - 50 %, ce n'est pas cher... C'est un fusil à un coup.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Les avoirs à l'étranger sont autorisés, à condition qu'ils soient déclarés. Ce patrimoine - évalué à 26,7 milliards d'euros pour les deux tiers environ des dossiers - pourra désormais être assujetti, par exemple à l'ISF. Il ne s'agit donc pas de recettes ponctuelles.

La mise en oeuvre de la réciprocité dans le cadre de Fatca s'est heurtée à des difficultés d'ordre technique, mais la signature d'un accord est imminente. Le jaune budgétaire sur les redressements fiscaux sera disponible très prochainement.

L'affaire Swiss Leaks a aidé certes mais n'a pas été l'élément déclencheur ; des lanceurs d'alerte ont été à l'origine des affaires UBS et HSBC. L'affaire HSBC a éclaté en 2009. L'ACPR a été aussitôt saisie. Elle a immédiatement transmis le dossier à la justice et a prononcé des sanctions administratives à l'encontre des banques, qui ont payé ces pénalités. Les procédures judiciaires suivent leur cours, même si on peut regretter leur lenteur... Parallèlement, les informations exploitables ont été exploitées par le fisc et certaines personnes ont été poursuivies et condamnées.

Dans le dossier HSBC, l'administration fiscale a exploité toutes les données fournies par M. Falciani, et l'État s'est porté partie civile. La banque a été mise en examen. Des personnes ont été poursuivies et condamnées, parfois au pénal.

UBS a porté plainte contre Le Monde pour violation du secret de l'instruction. La justice, là aussi, tranchera. La loi Sapin II qui sera présentée en Conseil des ministres le 24 mars, protègera les lanceurs d'alerte.

Monsieur Houpert, la Suisse est tenue de répondre à toutes les demandes concernant les binationaux.

J'ai été brocardé comme protecteur de l'optimisation fiscale au motif que je refusais la publicité du reporting fiscal des entreprises pays par pays. Ce qui reste à faire doit-il masquer ce qui a été fait ? Le Parlement a voté une révolution : l'obligation pour les entreprises de fournir à l'administration fiscale toutes leurs informations financières, bénéfices, subventions, impôts... pays par pays. Si la presse, les associations, l'opinion publique jouent un rôle d'aiguillon, l'essentiel n'est-il pas que le fisc dispose de ces informations ?

Le Conseil constitutionnel a depuis jugé que le reporting pays par pays n'était conforme à la Constitution que dans la mesure où ces informations n'étaient pas publiques, et qu'il ne saurait faire obstacle à la liberté d'entreprendre, principe constitutionnel. Malgré cela, nous militons pour que les pays européens adoptent le principe de la publicité : M. Sapin, M. Moscovici l'ont dit publiquement. La loi Sapin II sera le véhicule ad hoc. L'obstacle constitutionnel pourra être contourné, car la transposition des directives est aussi une obligation constitutionnelle.

Pardon, madame la présidente, d'avoir été un peu long, mais j'ai souhaité que le Parlement soit parfaitement informé. (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Je vous en prie, ces éclaircissements étaient utiles, sur un sujet qui tient à coeur à nos concitoyens.

La discussion générale est close.

L'article unique est adopté.

En conséquence, le projet de loi est adopté définitivement.

Mme la présidente.  - C'est l'unanimité.

La séance est suspendue à midi et demi.

présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.