Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle dix questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

J'appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.

Grève des infirmiers (I)

M. Jean Desessard .  - Au préalable, je me réjouis que le ministère de l'intérieur ait accepté d'organiser un débat parlementaire sur le méga-fichier sur les titres électroniques sécurisés (TES), comme nous le demandions.

Madame la ministre de la santé, vous vous félicitiez en septembre dernier d'un retour à l'équilibre du budget de la sécurité sociale. Pourtant, des infirmiers battent le pavé aujourd'hui pour dénoncer la déshumanisation de leur métier aux dépens des patients. La coordination infirmière demande la fin de la T2A (tarification à l'activité), une revalorisation salariale et une hausse des moyens accordés aux hôpitaux. Quelles suites donnerez-vous à ces demandes légitimes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Vous le savez, j'ai engagé une politique de revalorisation salariale, remis en cause le T2A dans les hôpitaux de proximité ; avec les professionnels, nous élaborons également un plan sur les conditions de travail des infirmiers et la reconnaissance de leurs compétences, pour y inscrire la vaccination et certaines pratiques avancées, par exemple. La formation dépend des régions et de l'État ; j'espère que nous unirons nos forces pour répondre à la demande des infirmiers ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Desessard.  - Les infirmiers ne peuvent pas attendre quatre à cinq ans. Il faut agir maintenant. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)

Turquie

M. Pierre Laurent .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Dans la nuit du 3 au 4 novembre, en Turquie, treize parlementaires du Parti démocratique des peuples (HDP) ont été arrêtés et neuf d'entre eux ont été emprisonnés, dont le président du groupe Idris Baluken et les deux co-présidents Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag. En parallèle était menée la perquisition, diffusée en direct, du siège du HDP.

Cette opération prétendue « anti-terroriste » par le pouvoir d'Erdogan est une nouvelle attaque contre la démocratie. Après la levée de l'immunité parlementaire des députés HDP, après la purge ayant conduit à la fermeture de 160 médias, la suspension de 110 000 fonctionnaires et la détention de 80 000 turcs, c'est une nouvelle étape dans le climat de terreur instauré par Erdogan et le glissement de la Turquie vers un État autoritaire. Que compte faire le Gouvernement face à cette attaque contre la démocratie ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - La situation en Turquie est, effectivement, des plus préoccupantes. La France a condamné clairement la tentative de coup d'État de juillet dernier et s'il est naturel que le pouvoir turc en recherche les auteurs, les arrestations de députés et de journalistes des dernières semaines n'y sont aucunement liées. Nous dirons à la Turquie, membre du Conseil de l'Europe et partenaire indispensable à la lutte contre le terrorisme aussi bien qu'aux équilibres régionaux, que c'est en respectant l'État de droit qu'elle jouera un rôle sur la scène internationale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Laurent.  - À la main tendue des Kurdes pour la paix, Erdogan a répondu par la guerre civile et la Turquie, membre de l'OTAN, a envahi, en violation du droit international, le Rojava en Syrie et bombardé les forces démocratiques syriennes. La France et l'Union européenne font preuve d'un silence complice ; pour preuve, alors qu'un communiqué du quai d'Orsay, le 4 novembre, s'inquiète timidement des arrestations arbitraires des parlementaires du HDP, un autre communiqué du même jour exprime notre « solidarité avec la Turquie dans la lutte contre le terrorisme » : c'est au nom de cette lutte que le pouvoir turc emprisonne arbitrairement, nous vous demandons que la France sorte de ses ambiguïtés et condamne fermement ces agissements ! Pour notre part nous restons mobilisés dans la campagne lancée par l'association France-Kurdistan : « Stop Erdogan » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Fichier TES (I)

M. Didier Guillaume .  - Merci monsieur Cazeneuve d'avoir accepté d'organiser un débat sur le fichier Titres électroniques sécurisés ; il faut mettre de la rationalité dans ce débat et ne pas se laisser déborder par la suspicion à l'égard de l'État - alors que l'État souhaite mieux protéger nos identités.. (Marques ironiques à droite)

Pouvez-vous nous assurer que ce fichier offre toutes les garanties de sécurité et de protection pour empêcher tout piratage ? Qu'aucune réversibilité du système ne sera possible techniquement et que les données biométriques serviront bien à la seule authentification ? Que toute utilisation frauduleuse sera repérée et potentiellement sanctionnée ?

Monsieur le ministre, à l'heure où vous avez réussi une grande opération humanitaire à Calais et au métro Stalingrad, et alors que nous allons commémorer les attentats du 13 novembre, le groupe socialiste et républicain veut vous assurer de tout son soutien : nous sommes fiers de partager votre sens de l'État et des responsabilités, nous aimerions qu'il soit mieux partagé dans cet hémicycle ! (Mêmes mouvements à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Le Conseil constitutionnel avait invalidé le titre d'identité sécurisé équipé d'une puce, créé en 2012. Il existe déjà un fichier de 59 millions de titres, le fichier national de gestion, mais il est obsolète - il date de 1987. Nous le fusionnerons avec le fichier relatif aux passeports biométriques qui date de 2008.

Cette fusion posera-t-elle un problème pour la protection des données personnelles ? Non, car elles ne permettront nullement l'identification de la personne, mais seulement à vérifier, lors du renouvellement du titre, que le demandeur est bien le détenteur de la pièce à renouveler : cette vérification rendra la lutte contre la fraude plus difficile. Ensuite, le nouveau fichier sera plus sûr, car toutes les opérations seront traçables, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui : toutes les consultations seront identifiées.

Il n'y aura pas de réversibilité ; pour rendre le système réversible, il faudrait en passer par la loi, voire une réforme de la Constitution. La fusion vise donc à plus d'efficacité, avec une meilleure protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et quelques bancs du groupe RDSE)

Fichier TES (II)

M. Loïc Hervé .  - Ma question concerne également le fichier TES mais s'adresse à Axelle Lemaire. (Sourires entendus au centre et à droite) Un débat parlementaire est nécessaire mais ne suffit pas : le législateur doit autoriser un tel fichier ! Le méga-fichier « soixante millions de Français » est une question de libertés publiques, ce qui le range dans le domaine de la loi, selon l'article 34 de la Constitution. Le Parlement doit se prononcer.

Le Conseil national du numérique a emboîté le pas de la Cnil, dont je suis membre, en publiant un brulôt contre le décret, et le Gouvernement lui-même est divisé puisque Mme Lemaire s'est dite abasourdie en découvrant le projet dans la presse. Présenterez-vous un projet de loi ? (Applaudissements sur les bancs du centre, de droite et sur les bancs écologistes).

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - (Exclamations et huées à droite, où l'on réclame que Mme Lemaire réponde) Le fichier TES relève bien du pouvoir réglementaire, c'est ce qu'ont conclu aussi bien le Conseil d'État que la Cnil. Un débat parlementaire sera organisé - et le Gouvernement tiendra compte des éléments de nature à préciser les choses et à rassurer les inquiétudes.

Le décret est clair : toute identification à partir du fichier est interdite en droit et impossible techniquement, la Cnil et le Conseil d'État ont précisé que c'était grâce à ces verrous que la fusion relevait du pouvoir réglementaire, plutôt que législatif.

Le fichier n'est pas accessible sur internet, mais seulement sur un réseau crypté, interne au ministère de l'intérieur. Ne transformez pas l'État de droit en État de suspicion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)

Résolution sur Jérusalem

M. Philippe Dallier .  - Monsieur le Premier ministre, je vous avais alerté sur la proposition de résolution sur Jérusalem, pour le moins ambiguë, présentée à l'Unesco. Contrairement à l'engagement du président de la République, la France s'est abstenue, alors que les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni, par exemple, votaient contre. Pourquoi ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Jamais la France n'acceptera que l'histoire juive de Jérusalem soit niée et notre priorité est constante : le statu quo à Jérusalem, dans le respect des lieux de culte des trois religions monothéiste. D'où notre travail pour faire retirer les formulations les plus problématiques du texte et notre abstention finale, à l'instar de l'Espagne et de la Suède.

Mais je veux le dire tout aussi clairement : nous condamnons toutes les colonisations et nous prônons une solution négociée et deux États pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. C'est le sens de l'initiative française pour le Proche-Orient et une constante de notre diplomatie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Philippe Dallier.  - Le ministre des affaires européennes me répond, Jérusalem aurait-elle changé de continent ? J'aurais aimé que la France rappelle l'Unesco à l'ordre ; son affaire est l'éducation, et non la réécriture de l'histoire ! (Applaudissements à droite)

Zones agricoles défavorisées

M. Yvon Collin .  - Ma question s'adresse à M. Le Foll.

La Commission européenne a lancé une réforme des zones défavorisées simples, dont la mise en oeuvre est prévue pour 2018.

Les huit critères géophysiques retenus dessinent une carte qui a inquiété de nombreux agriculteurs : 10 400 communes étaient jadis concernées ; plusieurs centaines en sont sorties !

Les préfets de région travaillent à l'élaboration d'une carte affinée mais les incohérences sont déjà grandes : certaines communes présentant des handicaps ne sont pas couvertes quand d'autres aux caractéristiques quelconques le sont. Que comptez-vous faire ?

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Cette réforme, décidée en 2010 par la Conseil et le Parlement européens, doit être mise en oeuvre. Les critères en vigueur remontent en effet aux années 1970...

Comme à chaque modification, des communes sortent de la nouvelle carte, d'autres y entrent - mais nous n'entendons que les premières... Nous avons obtenu 10 % de surface supplémentaire à la condition de préciser sur quels critères : c'est l'objectif de la négociation en cours. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Soutien aux victimes

M. Alain Richard .  - À la fin de cette semaine, nous aurons tous une pensée pour les victimes du 13 novembre 2015 et toutes celles de ces fanatiques, ennemis de la liberté. Un mécanisme complet de soutien aux victimes a été recherché et a fait l'objet d'une réflexion interministérielle.

Où en êtes-vous, madame la secrétaire d'État, chargée de l'aide aux victimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'aide aux victimes .  - Merci de me donner l'occasion de m'en expliquer, en cette semaine lourde en émotion.

D'abord, par souci de solidarité, des exonérations d'impôt sur le revenu et de taxe d'habitation ont été décidées. Les frais de santé sont intégralement remboursés aux victimes et à leur famille qui ont aussi accès à un forfait de dix séances auprès de praticiens formés aux psychotraumatismes.

La contribution attentat a été augmentée d'1,30 euro pour que toutes les rentes continuent à être versées. Nous avons simplifié l'accès au droit et mis en place une plafeforme internet dédiée. Il ne fallait pas ajouter le tracas administratif à la souffrance. Tout cela procède d'une coconstruction avec les associations et dessine un véritable service public dont nous pouvons nous enorgueillir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Grève des infirmiers (II)

M. René-Paul Savary .  - Hier, les policiers étaient dans la rue ; aujourd'hui, ce sont les infirmiers. Votre réponse à la question de M. Desessard, madame la ministre, était insuffisante : c'est aussi d'un manque de considération que souffrent les infirmiers, du fait d'une étouffante bureaucratie.

Le pacte que vous avez lancé, madame la ministre, s'est transformé en contrat de défiance. Que ferez-vous pour y remédier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Le taux de gréviste s'élève à 12 % chez les infirmiers, assignés compris. Quelle que soit l'ampleur de la mobilisation, je reste attentive aux demandes des professionnels et j'ai d'ailleurs évoqué leur légitime demande de reconnaissance. À l'approche du triste anniversaire du 13 novembre 2015, je sais que nos soignants doivent pouvoir exercer dans des conditions exceptionnelles.

Mmes Laurence Cohen et Brigitte Gonthier-Maurin.  - Il faut des moyens supplémentaires !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Un travail est en cours sur leurs conditions de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. René-Paul Savary.  - En citant le taux de mobilisation, vous montrez votre considération pour les infirmiers... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Besoins en électricité

M. Ladislas Poniatowski .  - Ma question s'adresse à Mme Royal.

M. Jean Bizet.  - Elle ne vient jamais au Sénat !

M. Ladislas Poniatowski.  - Vous ordonnez la fermeture à Fessenheim de deux réacteurs pourtant autorisés à fonctionner pendant dix ans supplémentaires, et vous intimez au président d'EDF de faire le nécessaire pour sécuriser l'approvisionnement du pays en électricité.

Concrètement, que fera-t-on si l'hiver est rude ?

Mme Nicole Bricq.  - Nous enfilerons des pulls !

M. Ladislas Poniatowski.  - Acheter des mégawatts à nos voisins ne suffira pas ! Nos centrales doivent toutes produire.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie .  - N'alarmons pas les populations comme vous le faites. Huit réacteurs ont été arrêtés ; des contrôles sont en cours. Quatre autres réacteurs ont aussi été arrêtés pour des raisons tout autres. Notre priorité en la matière est la transparence, d'où le rôle confié à l'Autorité de sûreté nucléaire.

Deuxième priorité : la continuité de la fourniture d'électricité. Le mécanisme de capacité, tout juste autorisé par les autorités européennes, nous permettra d'échanger avec nos partenaires européens.

M. Ladislas Poniatowski.  - Je serai plus clair : vivement 2017 ! Vivement l'alternance : nous suspendrons les fermetures en cours, nous empêcherons toute nouvelle fermeture tant que Flamanville ne sera pas disponible et nous mettrons en place le mix énergétique dans son intégralité, y compris le nucléaire, pour que les Français paient leur électricité le moins cher possible ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et républicain, applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Tourisme

M. Luc Carvounas .  - Le tourisme, première industrie française, traverse une passe difficile. Outre janvier et octobre 2016, on a accusé une baisse de 8,1 % des arrivées touristiques ; de 39 % pour les clientèles japonaises, de 23 % pour les Chinois et de 10 % pour les Allemands ; l'Ile-de-France a perdu 2 millions de touristes cette année ; les professionnels chiffrent le manque à gagner à 2 milliards d'euros. Hôtellerie, restauration, musées et grands magasins, tous les secteurs sont touchés.

Le Gouvernement s'est heureusement saisi du sujet : accueil, investissement d'avenir, contrats de destination, ou encore procédures de visas simplifiées.

Un comité interministériel s'est tenu hier : pouvez-vous nous indiquer ses conclusions dans les grandes lignes ?

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger .  - Vous avez raison de rappeler l'importance du tourisme : 2 millions d'emplois qui irriguent notre territoire, 7 à 8 % de notre PIB. Nous sommes la première destination touristique au monde et le sommes restés malgré les tragédies de 2015 et 2016, avec 85 millions de visiteurs étrangers.

Le Premier ministre a présidé un comité interministériel hier. Les assises du tourisme vont s'ouvrir la semaine prochaine. Le président de la République a fait du tourisme une grande cause nationale sur laquelle, j'en suis sûr, nous pouvons nous retrouver.

La sécurité est une priorité. Les sites touristiques feront l'objet d'une protection accrue, le dépôt de plainte pourra se faire dans plusieurs langues, des correspondants sécurité seront déployés dans les préfectures pour les tour-opérateurs ainsi que des commissariats mobiles. L'information sera renforcée en amont, notamment auprès des touristes chinois. Nous porterons haut et fort l'excellence française, grâce à votre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. le président.  - Je vous rappelle que les prochaines questions d'actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 17 novembre et seront retransmises sur France 3 et Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

La séance, suspendue à 17 h 35, reprend à 17 h 45.