Délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse.

Discussion générale

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) L'avortement n'est plus un enjeu politique en France, disait Simone Veil vingt ans après la loi qui légalisa l'IVG. Pourtant consensus ne signifie pas unanimité. L'Assemblée nationale a adopté le 26 novembre 2014, quarante ans après le discours historique de Mme Veil, une résolution historique réaffirmant le droit fondamental à l'IVG, le droit des femmes à disposer de leur corps, condition de l'égalité réelle entre hommes et femmes et d'une société de progrès. Les députés réaffirmaient aussi le droit des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l'avortement sûr et légal.

Cette proposition de loi ne fait que traduire concrètement ces engagements. Il étend le délit d'entrave instauré en 1993 pour garantir la liberté des femmes. Il ne s'agit pas de mettre en cause les libertés d'opinion, d'expression ou d'information. Mais la liberté d'expression n'est pas un droit au mensonge. Nous visons les fausses informations figurant sur certains sites internet. Les adversaires du contrôle des naissances n'ont pas baissé la garde, même si leurs formes d'action ont changé.

Internet est la principale voie utilisée pour obtenir des renseignements sur l'IVG : la moitié des hommes et femmes de 15-30 ans y recourent. La propagande sur internet n'est donc pas tolérable : ces sites prennent les apparences de sites officiels pour distiller de fausses informations. Une élue Les Républicains, dans une opération de testing, a montré les ressorts de cette duplicité : fausses informations, culpabilisation, numéro vert détourné, etc... Ce texte s'attaque à cette supercherie. Les anti-choix n'osent plus s'attaquer de front à l'IVG. Ils préfèrent culpabiliser les femmes et les tromper pour mieux les dissuader, en ayant recours aux techniques de communication les plus sophistiquées.

En 1975, l'avortement a été dépénalisé. Il a ensuite été remboursé. En 1993 a été créé le délit d'entrave. Dans les années 2000, l'accès à l'IVG des mineures a été facilité. Nous sommes allés plus loin, en créant en 2014 un délit d'entrave à l'accès à l'information. Nous avons créé le site ivg.gouv.fr, régulièrement mis à jour, et un numéro vert, qui reçoit deux mille appels par mois. Aujourd'hui, nous adaptons le délit d'entrave à la réalité numérique car un droit formel, dont l'exercice n'est pas garanti, n'est pas un droit.

Nous n'avons qu'un objectif : garantir à chaque femme le droit d'être informée. Le progrès technologique ne doit pas faire reculer les droits des femmes. Si le Sénat reconnaît la toxicité de cette propagande 2.0, je ne doute pas que nous trouverons ensemble le meilleur moyen de la combattre. Les femmes comptent sur nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen, écologiste ; Mme Françoise Laborde et M. Michel Amiel applaudissent aussi)

Mme Stéphanie Riocreux, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - La commission des affaires sociales a adopté une nouvelle rédaction de la proposition de loi. Celle-ci ne compte qu'un article qui adapte à la réalité numérique le délit d'entrave à l'IVG créé par la loi de 1993. Chacun a le droit d'exprimer ses opinions, mais la liberté d'expression ne doit pas empêcher les femmes d'exercer leur droit fondamental. La désinformation concerne certes d'autres sujets de santé publique, comme les vaccinations, mais l'entrave à l'IVG est spécifiquement réprimée, il est légitime d'adapter notre droit à ses nouvelles formes.

Les députés ont adopté un texte modifié, pour assurer sa conformité aux principes de légalité des délais et des peines et de proportionnalité. Toutefois, le texte restait perfectible car il visait dans une même phrase l'intention et les moyens, ce qui était source de confusion.

Notre texte ne modifie pas la définition du délit d'entrave, mais il lève des ambiguïtés. Le numérique est explicitement visé. Le délit d'entrave ne concerne plus seulement les femmes venant physiquement se renseigner dans un centre. Le Gouvernement avait mis en oeuvre les propositions du Haut Conseil à l'égalité (HCE) pour les hommes et les femmes, et agit pour garantir le référencement des sites officiels.

La commission des affaires sociales, en votant ce texte, montre son souhait de garantir l'exercice de ce droit à l'IVG. (« Très bien ! » et applaudissements sur la plupart des bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur ceux du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois .  - La loi de 1975 a créé le droit à l'IVG, que nul parmi nous ne remet en cause. S'est vite posé la question de son effectivité. En 1993 a été créé le délit d'entrave, révisé en 2001 et 2014. Le délit d'entrave vise les actions commises à l'intérieur de l'établissement qui met en oeuvre l'IVG. La présente proposition de loi élargit son champ en créant un délit général d'entrave. La commission des affaires sociales a modifié le texte adopté par l'Assemblée nationale qui était inconstitutionnel et inconventionnel. La rapporteure l'avait elle-même caractérisé d'inintelligible. Il était contraire aux principes de clarté et d'intelligibilité de la loi pénale, de proportionnalité des délits et des peines. C'était aussi une entorse à la liberté d'opinion garantie par l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

C'est pourquoi la commission des lois n'a pu que formuler un avis négatif sur le texte de l'Assemblée nationale.

Ce matin, en commission des lois, nous avons tous marqué notre attachement à la loi de 1975. Nous reconnaissons qu'il y a un problème. Il nous faudrait davantage de temps pour trouver une solution : l'engagement de la procédure accélérée sur un tel texte est regrettable. Comme le délit d'entrave porte atteinte à la liberté d'opinion, la commission des lois a également émis un avis défavorable au texte de la commission. (Applaudissements sur la plupart des bancs au centre et à droite)

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .  - (Applaudissements au centre, ainsi que sur les bancs du groupe écologiste) Contester le droit des femmes à disposer de leur corps, c'est contester l'égalité entre les hommes et les femmes. L'IVG fait partie de ces droits sexuels et reproductifs fondamentaux. La délégation a invité le Gouvernement à la vigilance face à la remise en cause de ces droits au niveau international, au nom du relativisme culturel.

Quelque 40 % des femmes ont eu recours à l'IVG. Des sites internet trompeurs présentent un faux bandeau officiel, bardé des trois couleurs nationales, et un faux numéro vert pour dissuader les femmes. Le HCE s'est déjà ému de ces pratiques. Il importe de garantir à tous l'accès à une information non faussée.

La liberté d'expression n'est pas absolue. La Cour de cassation indique dans un arrêt de 1996 que la liberté d'opinion et celle de manifester des opinions peuvent être restreintes au nom de la protection de la santé ou pour ne pas porter atteinte au droit d'autrui.

Notre délégation aux droits des femmes n'a pu examiner le texte de la commission des affaires sociales. Nous avions proposé que chaque site doive indiquer ses intentions et que les sites officiels soient mieux référencés.

Certains souhaiteraient, au nom de certaines croyances, transiger avec les droits fondamentaux. L'égalité est-elle donc relative ? Montrons-nous les dignes héritiers de Simone Veil. (Applaudissements au centre et à gauche)

M. Alain Milon .  - Instaurer un délit d'entrave à l'IVG n'est pas neutre. Nul ne peut me taxer de conservateur.

Mme Isabelle Debré.  - C'est vrai !

M. Alain Milon.  - Mes convictions personnelles, ma profession de médecin me conduisent à défendre ce que les progrès de la science peuvent apporter à la liberté individuelle...

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Alain Milon.  - ...sans toutefois porter atteinte à d'autres droits et libertés. C'est le point d'équilibre qu'il nous faut trouver. Attention aux amalgames : s'opposer au délit d'entrave n'est pas s'opposer à l'IVG. N'instrumentalisons par ce débat à des fins politiciennes.

Pourquoi une telle urgence à légiférer ? Le nombre de sites a-t-il tant augmenté que les IVG aient baissé ? Ce texte ne résoudra rien. La question est celle de la numérisation de la société, de la diversité des sources d'information.

Votre texte n'apaise pas les tensions mais les cristallise ! (Applaudissements à droite et sur de nombreux bancs au centre) Comment prouver que c'est la consultation de sites internet qui a conduit une femme à renoncer à l'IVG ? L'abus de faiblesse est déjà passible de sanctions. Le député Eugène Claudius-Petit avait voté la loi sur l'IVG en 1975 tout en affirmant qu'il continuerait à lutter pour dissuader les femmes d'y recourir. Cette position serait-elle aujourd'hui passible de sanctions pénales ?

Vous portez atteinte à une liberté fondamentale ; les bons sentiments ne font pas une politique. Le groupe Les Républicains, dans sa majorité, ne votera pas ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Mme Laurence Cohen .  - Le droit à l'IVG a été reconnu grâce au courage de Simone Veil et à une forte mobilisation. Ses opposants n'ont pas baissé les bras, oeuvrant par des commandos, ce qui a justifié en 1993 la création du délit d'entrave, revu en 2001 et 2014.

En 2014, le délit d'entrave a été élargi pour sanctionner les actions visant à empêcher l'accès à l'information au sein des établissements pratiquant l'IVG. Il importe aujourd'hui d'étendre le délit d'entrave pour lutter contre les sites internet trompeurs, de désinformation, qui instrumentalisent le désarroi des femmes vulnérables. Ces sites avancent masqués. C'est là un véritable abus de confiance à l'égard des femmes.

Toute hésitation des femmes, vu les délais, peut avoir des conséquences lourdes. Le climat actuel m'inquiète. Le candidat de la droite à l'élection présidentielle encourage les femmes à procréer et à retourner au foyer plutôt qu'à l'émanciper. (Murmures réprobateurs à droite) Monseigneur Pontier, président de la Conférence des évêques de France, en a appelé à François Hollande pour qu'il s'oppose à cette proposition. Curieuse entorse à la séparation de l'église et de l'État !

Mme Veil avait dû mener un combat âpre pour faire adopter la loi de 1975. Ce texte ne remet pas en cause la liberté d'expression - nous ne la soutiendrions pas dans ce cas. Il vise à lutter contre la manipulation et la désinformation. Nous voterons le texte de la commission des affaires sociales.

Des femmes sont obligées d'aller à l'étranger pour avorter. C'est inacceptable. À cet égard, la loi sur la santé ne change rien. Dommage que notre amendement sur l'IVG chirurgicale ait été repensé.

Comme le droit à l'IVG est un droit fondamental, nous proposons aussi de l'inscrire dans la Constitution. En attendant, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, républicain et citoyen, socialiste et républicain, écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe RDSE)

M. Jacques Mézard .  - Le groupe RDSE votera le texte de la commission, même si nous regrettons le recours à la procédure accélérée. Était-il opportun, en outre, d'attendre la veille de l'élection présidentielle ?

L'enjeu est la liberté de chaque femme à disposer de son corps. L'IVG n'est pas un choix facile. Je suis révulsé par toute instrumentalisation politicienne de ce débat.

J'ai suivi de près la violence du débat à cette tribune en 1974. Le rapporteur était Jean Mézard. Le Sénat a fait la preuve de sa capacité à suivre l'évolution de la société.

Aujourd'hui, le débat est toujours vif. Certains, minoritaires, s'introduisent dans les cliniques pour empêcher l'IVG, ou font de la propagande trompeuse sur internet.

En droit civil, le mensonge s'apparente au dol, en droit pénal, il est puni comme escroquerie.

Ayant présidé, avec Alain Milon, notre commission d'enquête sur les dérives sectaires en matière de santé, je sais la nécessité de combattre tous les endoctrinements fondés sur le mensonge.

Le nombre d'établissements pratiquant l'IVG diminue, les diverses techniques ne sont pas proposées partout, l'orthogénie n'est pas attractive pour les jeunes médecins.

Le RDSE lutte pour que le droit à l'IVG soit garanti sur tout le territoire. C'est pourquoi il votera le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)

Mme Aline Archimbaud .  - Une IVG représente toujours un moment grave et douloureux pour une femme, parce qu'elle renvoie à des choix de vie fondamentaux et à l'image qu'on a de soi, parce qu'elle provoque interrogations et souffrance. Plus de 200 000 femmes y recourent en France chaque année, jamais de gaité de coeur et toujours en dernier recours.

Ce texte traite d'une difficulté surgie dans l'application de la loi Veil : la désinformation dont sont victimes des femmes, souvent très jeunes, isolées, cherchant à se documenter sur internet. L'accès à l'information n'est pas égal pour tous, cela est vrai aussi pour l'IVG.

Chacun est libre de sa position sur l'IVG, en fonction de ses convictions morales, philosophiques ou religieuses, et cette proposition de loi ne remet nullement en cause la libre expression des opinions. Elle réprime, en revanche, la diffusion délibérée de fausses informations. L'entrave à l'IVG est d'ailleurs déjà sanctionnée dans deux hypothèses.

Certains sites, non seulement apparaissent en premier sur les moteurs de recherche, mais utilisent les mêmes codes visuels et les mêmes éléments de langage que les sites officiels, donnant une fausse impression d'objectivité. Ils créent des standards téléphoniques où l'on abuse de la vulnérabilité des femmes, de nombreux tests l'ont prouvé. Or d'après une enquête de 2013, 80 % des jeunes pensent que les informations sanitaires qu'ils trouvent sur internet sont crédibles !

Il est du devoir du législateur de s'opposer à la diffusion de mensonges. Il doit faire en sorte que des informations neutres permettent de choisir en toute liberté.

Le groupe écologiste, dans sa grande majorité, votera cette proposition de loi si elle n'est pas modifiée. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Gatel .  - Voici quarante-deux ans, la ministre centriste Simone Veil défendait courageusement la loi sur l'IVG, avec, disait-elle, « un profond sentiment d'humilité ». Face à la violence des commandos anti-IVG, le législateur a soumis à une répression sévère l'entrave à l'IVG en créant un délit dont la commission rend passible de deux ans d'emprisonnement. Il n'est pas question d'y revenir.

Madame la ministre, j'ai tant à vous dire... Le Sénat a rejeté l'amendement tendant à créer un délit d'entrave numérique déposé inopinément lors de l'examen du projet de loi Égalité et citoyenneté. Contre les critiques péremptoires qui nous furent faites, je veux dire que les centristes ne sont soumis ni aux lobbies ni à la pensée unique !

Mme Éliane Assassi.  - C'est à voir...

Mme Françoise Gatel.  - Curieux que le Gouvernement défende aujourd'hui cette proposition de loi, alors qu'il refusait les propositions de MM. Pillet, Mohamed Soilihi et Richard sur la diffamation sur internet.

Curieuse improvisation aussi... Hier, une collègue socialiste nous disait qu'il s'agissait d'adresser « un signal ». À qui et pourquoi ? Le législateur est là pour faire la loi, non pour lancer des alertes ! Le recours à la procédure accélérée est très regrettable, sur un sujet aussi sensible.

Quelle est la volonté concrète du Gouvernement d'améliorer l'accès à l'information ? Le Haut Conseil à l'égalité préconise depuis 2013 la création de plateformes téléphoniques. Pourquoi avoir attendu 2015 ? L'IVG n'est pas un moyen de contraception. C'est un droit, certes, mais un droit qui n'est ni banal ni anodin ; il faut plus d'information et de prévention. Madame la ministre, vous vous indignez que les sites anti-IVG soient mieux référencés que les sites officiels. C'est que la communication officielle n'est pas efficace !

Ce texte satisfera les amateurs de symboles, il ne protégera pas mieux les femmes.

On ne peut pas assimiler une entrave violente, physique et psychologique visant à empêcher une femme de pénétrer dans un centre et l'expression d'une opinion, aussi fausse soit-elle, sur un site librement consultable et consulté. La liberté d'opinion, socle de notre démocratie, vaut aussi pour ceux dont nous ne partageons pas l'avis.

Votre texte est contraire au droit européen, au principe de libre expression et à celui de proportionnalité des peines. Je proposerai plutôt une condamnation civile très encadrée.

Enfin, un tel sujet mérite mieux que la procédure accélérée et des manoeuvres politiciennes. Croire que l'on règle un problème en le nommant est illusoire. Si dire est utile, faire et pouvoir faire l'est plus encore pour la crédibilité politique. Espérons que la police de la pensée ne s'abattra pas sur nous... Il n'y a ni bien-pensance ni mal-pensance ; il n'y a que conscience et c'est en conscience que les sénateurs centristes se prononceront. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Patricia Schillinger .  - Nous sommes ici pour protéger le droit à l'IVG contre les entraves dont elle fait l'objet. C'est un droit à part entière : ni une tolérance ni une exception. Depuis 1975, le législateur s'est employé à le rendre effectif. En 2014, fut supprimée la notion de « détresse » et étendu le délit d'entrave à l'information. La loi du 26 janvier 2016 a supprimé le délai de réflexion entre recueil d'information et recueil du consentement. S'y est ajouté le programme national d'action lancé en 2015 par Marisol Touraine, avec un numéro national d'appel, un site internet -  ivg.gouv.fr  - et une campagne nationale d'information. Je suis fière d'appartenir à une majorité qui n'a jamais faibli sur ce sujet tout en défendant l'accès à la contraception.

Il faut lutter avec la même constance contre les entraves à l'IVG. Que resterait-il de ce droit si l'on laissait libre cours aux intimidations, aux pressions, aux menaces contre les femmes qui veulent l'exercer ?

En 1993, la loi Neiertz crée le délit d'entrave étendu en 2001 aux pressions morales et psychologiques, puis en 2014 aux entraves à l'accès à l'information dans les établissements qui délivrent des informations sur l'IVG.

En revanche, les femmes qui recherchent des informations en ligne ne sont pas protégées. Or des sites internet diffusent des informations tronquées et mettent les femmes en contact avec des personnes qui exercent sur elles des pressions, parfois jusqu'au harcèlement. Les propos de ces personnes dépourvues de formation médicale et de formation à l'écoute ont un terrible pouvoir, et plus encore quand elles répondent à une victime de viol ou de violences familiales.

Le délit d'entrave ne doit plus être limité aux lieux physiques puisque l'information se diffuse désormais ailleurs. Voilà pourquoi il nous faut voter le texte de la commission des affaires sociales qui, plutôt que de créer un autre délit d'entrave, l'étend à internet, lequel ne constitue ni une zone de non-droit ni une circonstance aggravante. Une fois de plus, le groupe socialiste marque son attachement à l'émancipation des femmes. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Deroche .  - Cette proposition de loi est le produit d'un parcours législatif tumultueux. Déposée précipitamment après le rejet par le Sénat d'un cavalier législatif dans le projet de loi Égalité et citoyenneté, sa rédaction initiale n'était ni faite ni à faire, car résolument attentatoire à la liberté d'expression, contraire à la Constitution comme à la Convention européenne des droits de l'homme, aux principes de légalité des incriminations, de nécessité et de proportionnalité des peines. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale l'a modifiée, mais son texte, par le biais de la notion de fausseté des informations, demandait aux tribunaux de faire oeuvre scientifique...

La version light de notre commission des affaires sociales ne présente plus d'intérêt. On voit que les promoteurs de ce texte peinent à concilier leurs objectifs avec le respect des libertés.

Le Gouvernement veut ainsi dissimuler ses propres manquements... Il y a d'autres moyens de donner accès à une information de qualité sur internet, dont le meilleur référencement des sites officiels. Sur le terrain, l'État se désengage en demandant aux collectivités territoriales de financer les associations.

Le Sénat n'a pas vocation à communiquer, mais à agir avec sagacité et dans le sens de l'intérêt général...

M. Christian Manable.  - Et, donc, à voter le budget !

Mme Catherine Deroche.  - Le groupe Les Républicains rejettera ce texte à une très large majorité. (Applaudissements à droite)

M. Roland Courteau .  - Pour moi et pour le groupe socialiste, le droit des femmes à disposer librement de leur corps est un droit fondamental, fruit de longues luttes, et qui suppose l'accès à des informations fiables. Or, n'en déplaise à certains, les faits sont là : des sites internet diffusent aujourd'hui de fausses informations, exercent des pressions sur des femmes démunies et souvent mineures. Tromper une femme pour lui imposer une grossesse dont elle ne veut pas, c'est lui faire violence !

Atteinte à la liberté d'opinion et d'expression ? Non. On peut être contre l'IVG et le dire sans mentir ; désinformer et intimider, cela est autre chose et confine à de l'abus de faiblesse !

On réprime les propos racistes, antisémites, homophobes, l'incitation au suicide et l'on ne pourrait pas sanctionner le fait d'intimider les femmes souhaitant recourir à l'IVG ? (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, républicain et citoyen, socialiste et républicain et écologiste)

Les opposants à l'IVG n'ont pas renoncé, comme on le voit en Europe. En France, les commandos violents n'existent plus ; et pour cause : ce délit est lourdement sanctionné. Les méthodes ont changé, elles sont plus sournoises, plus vicieuses ; la même propagande obscurantiste les sous-tend.

Manipuler des femmes qui réclament de l'aide, des conseils, est tout simplement ignoble. Compléter la définition de l'entrave à l'IVG, ce n'est pas porter atteinte à la liberté d'expression ; c'est protéger les femmes contre l'activisme d'un camp. Celui du recul ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Laurence Rossignol, ministre .  - Précipitation ? Arrière-pensées politiques ? Ce débat a été esquissé dès 2014, quand le Gouvernement a proposé d'élargir le délit d'entrave à l'entrave à l'information sur l'IVG, dans l'espace physique des services et centres d'information. Le Gouvernement a alors choisi de mettre en place son propre site internet : ivg.gouv.fr.

« Vous n'avez qu'à être aussi bons que les autres », ai-je entendu. Tout de même, l'information, ce n'est pas la concurrence, ce n'est pas la jungle !

Le référencement dépend des moyens qui y sont consacrés - les groupes anti-IVG en ont beaucoup et leurs sources de financement ne sont pas toujours très transparentes - et de divers autres facteurs, comme les mots-clés et le nombre de consultations.

Nous luttons contre des bataillons de militants, et il est vrai que les sites officiels n'apparaissent pas toujours en premier - il suffit d'une action coordonnée pour qu'en une nuit, un site de désinformation soit mieux référencé que le site du Gouvernement.

J'avais proposé de discuter du sujet dès septembre dernier, lors de l'examen du projet de loi Égalité et citoyenneté...

Mme Sophie Primas.  - Au moyen d'un simple amendement...

Mme Françoise Gatel.  -  ...hors sujet !

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Nous avons perdu du temps...

M. Alain Gournac.  - C'était un cavalier arrivant au galop !

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Il suffit de lire les travaux du Haut Conseil à l'égalité, des délégations parlementaires aux droits des femmes, pour constater que ces sites posent un vrai problème. Ceux qui s'opposaient au délit d'entrave physique en 1993 employaient les mêmes arguments, mot pour mot, que ceux qui refusaient ce texte à l'Assemblée nationale la semaine dernière ! Espérons qu'il ne faudra pas vingt-trois ans pour le même consensus sur le délit d'entrave par la voie d'internet...

J'ai aussi entendu que le Gouvernement se désengageait. Pardon, mais je viens de signer la convention d'objectifs et de moyens pour 2016-2018 avec le Planning familial.

Mme Sophie Primas.  - Cela tombe à pic !

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Pardon, mais ce n'est pas moi qui fixe les dates de ces conventions.

Nous avons augmenté de 28 % la subvention du planning familial, pour compenser le désengagement de certaines collectivités territoriales : la région Rhône-Alpes, moins 30 %, et le département de la Somme, moins 50 % ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Souvent, les mêmes qui refusent le délit d'entrave et voudraient qu'il y ait moins d'IVG et plus de prévention considèrent que l'éducation à la sexualité n'a pas sa place à l'école et devrait être exclusivement l'affaire des familles... Soyons cohérents ! (Applaudissements à gauche)

Les chefs d'inculpation d'abus de faiblesse et d'escroquerie suffisent-ils ? Malheureusement, non : le premier désigne le fait d'exploiter la vulnérabilité de quelqu'un pour obtenir un engagement dont cette personne ne peut apprécier la portée ; le second vise à obtenir un bien ou de l'argent de manière frauduleuse : ce n'est pas le cas ici...

Derrière ces agissements, il y a l'idée que les femmes souhaitant recourir à l'IVG auraient pris leur décision à la légère et qu'on pourrait leur offrir une alternative. Une alternative à l'IVG, je n'en connais qu'une : la grossesse ! En matière d'IVG, il n'y a pas plus de décision prise à la légère que d'assignation au traumatisme. Chaque femme est différente, chaque IVG est différente. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)

Cette proposition de loi serait inconstitutionnelle ? Prudence, attendons la décision du Conseil constitutionnel... Celui-ci accepte les restrictions à la liberté d'expression lorsqu'il s'agit de réprimer la provocation au génocide, au suicide, l'atteinte à l'image d'une personne, la provocation au terrorisme, le discrédit jeté sur une décision de justice...

La rédaction de l'Assemblée nationale est précise et intelligible. Elle impose de multiples conditions, pour se conformer aux exigences du Conseil constitutionnel en matière pénale.

« Survivants », « AfterBaiz » et autres groupuscules pourront continuer à dire leur hostilité à l'IVG, mais pas à induire des femmes en erreur. Je ne comprends pas comment on peut les défendre tout en se disant attaché au droit des femmes à disposer de leur corps ! (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen, écologiste)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

Mme Fabienne Keller .  - Le procès de Bobigny et la loi Veil sont à l'origine de mon engagement politique : adolescente, j'ai découvert que la politique pouvait changer la vie des femmes en les rendant libres et responsables de leurs choix.

La loi de 1993 a créé le délit d'entrave pour rendre effectif le droit à l'IVG. Aujourd'hui, il s'agit de l'adapter à la réalité du numérique.

Chers collègues, de quoi parle-t-on ? Imaginez-vous une jeune femme entre 16 et 25 ans, qui découvre sa grossesse sans oser en parler à personne, ni à ses parents, ni à ses amis, ni même à son compagnon et le temps court. Alors, elle est conduite sur un site qui, sous couvert de livrer des informations neutres, la trompe. Nous ne pouvons pas l'accepter.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Fabienne Keller.  - C'est pourquoi je soutiens cette proposition de loi. (Vifs applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)

Mme Nicole Bricq .  - En commission, j'ai demandé à nos collègues de la majorité sénatoriale de penser, comme Mme Keller, à ces jeunes femmes qui sont l'objet de désinformation et de pressions sur internet. « Nous sommes là pour faire la loi, non pour communiquer », ai-je entendu. Faire la loi ? Parlons-en ! M. Milon, qui ne s'était pas exprimé en commission, nous accuse de manipulation et de désinformation. Même si je suis habituée à cette dialectique en politique, ces propos sont inacceptables.

Notre rapporteure a cherché un chemin juridique pour répondre à l'argument de l'inconstitutionnalité et ouvrir la discussion avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Nous, membres de la commission des affaires sociales, socialistes, et si j'ai bien compris, communistes, écologistes et radicaux, souhaitons que ce texte soit voté positivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Yves Daudigny .  - Ces sites bien référencés, à l'apparence officielle, ne sont évidemment pas neutres ; ils ne se bornent pas à exprimer une opinion. La création du délit d'entrave a conduit les militants à se déporter sur internet, mais leur discours reste toujours aussi hargneux, fallacieux, calomnieux. Leur but est de tromper, de dissuader au besoin en recourant au harcèlement par textos et e-mails.

Quarante-deux ans après la loi Veil, la société doit accorder aux femmes le droit de recourir à l'IVG en toute sérénité, après un choix libre.

Cette proposition de loi ne crée pas une nouvelle incrimination mais en étend une pour combler un vide juridique.

Elle n'entame en rien la liberté d'opinion et la liberté d'expression, qui sont des droits fondamentaux à préserver.

Chacun pourra continuer à s'opposer à l'IVG mais ce texte permettra de démasquer et de sanctionner ceux qui cherchent délibérément à tromper les femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Catherine Génisson .  - La décision de recourir à l'IVG est difficile et toujours mûrement réfléchie. Notre rôle est de faire respecter la loi de la République, en l'occurrence la loi Veil de 1975. En tant que praticien hospitalier, je n'ai jamais rencontré de femmes ayant pris à la légère la décision d'avorter. Notre rôle de soignant est alors de les accompagner dans les meilleures conditions.

Le délit d'entrave de 1993 n'est plus adapté : il fallait le faire évoluer. Cela n'a pas été possible lors de la loi Égalité et citoyenneté, on recourt donc à cette proposition de loi. La seule question qui vaille est en effet celle de l'effectivité du dispositif, mis en cause à l'heure d'internet. Puisse la CMP arriver à un consensus.

Mme Marie Mercier .  - Médecin en exercice, je suis profondément attachée à la loi Veil et j'accompagne des femmes ayant pris cette terrible décision de recourir à l'IVG. Mais le sujet mérite plus de temps de réflexion. En l'état, quelle image donnera-t-il de nous aux femmes et aux jeunes filles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Leleux .  - La loi de 1975 crée un droit que nul ne songe à remettre en cause. Mais c'est précisément un droit, pas un devoir : aucune jeune femme n'est tenue d'avorter. (On ironise à gauche : « jésuitisme » !) Les femmes qui ne souhaitent pas avorter ont aussi besoin d'écoute et de conseil.

Il faut sans doute lutter contre les sites outranciers.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Absolument !

M. Jean-Pierre Leleux.  - Mais qui décidera que tel site est outrancier ? L'administration ? Le juge ? La réflexion n'est manifestement pas mûre. La liberté d'expression est menacée. Je voterai contre ce texte.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Je n'ai pas entendu, madame la ministre, de propos exagérés dans notre hémicycle : nul n'a prétendu que l'IVG entraînait la stérilité, nous souhaitons tous lutter contre ces sites.

Nous contestons le texte pour des raisons techniques. Je me suis étonné que l'on soit capable d'interdire certains sites pédophiles et non ceux-là, mais sans doute pourrez-vous m'éclairer, madame Bricq, vous qui savez parler mais pas écouter. (Mme Nicole Bricq proteste)

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par Mmes Gatel, Doineau et Billon, MM. Canevet, Capo-Canellas, Médevielle, Luche et Longeot, Mme Goy-Chavent et MM. Bonnecarrère, J.L. Dupont, Guerriau et Delahaye.

I.  -  Rédiger ainsi cet article :

Après l'article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-..., ainsi rédigé :

« Art. L. 2223-2-... Engage sa responsabilité civile toute personne physique ou morale qui crée un dommage à autrui, en diffusant ou transmettant publiquement par voie électronique, des allégations de nature à induire manifestement autrui en erreur, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse.

« Le juge peut, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures propres à faire cesser le comportement illicite. Ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

« L'action en justice appartient à toute victime de ces allégations, ainsi qu'à toute association régulièrement déclarée depuis cinq ans à la date des faits, ayant, en vertu de ses statuts, vocation à défendre ou assister les femmes, qui en sont les destinataires. »

II.  -  En conséquence, rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi relative à la lutte contre les propos intentionnellement trompeurs tenus par voie électronique touchant à l'interruption volontaire de grossesse

Mme Françoise Gatel.  - La commission spéciale sur le projet de loi Égalité et citoyenneté n'a pas refusé d'examiner l'amendement dont vous parliez, elle a identifié un cavalier !

On ne saurait assimiler des violences portées sur une personne et des propos, fussent-ils de nature à induire en erreur. D'où cet amendement qui se place sur le terrain de la responsabilité civile et non du droit pénal.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Jouanno.

Rédiger ainsi cet article :

Après l'article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-... ainsi rédigé :

« Art. L. 2223-2-...  -  Est punie des peines prévues à l'article L. 2223-2 la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de présentations faussées ou d'indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse. »

Mme Chantal Jouanno.  - Cet amendement s'inspire des délits de presse et cible spécifiquement les présentations faussées et trompeuses.

Mme Stéphanie Riocreux, rapporteure.  - Le délit d'entrave par pression psychologique existe depuis 2001 et protège déjà les femmes qui viennent s'informer en centre spécialisé. Nous souhaitons élargir le dispositif plutôt que créer une base légale nouvelle. La peine prévue est, je le redis, maximale. Avis défavorable à l'amendement n°2 rectifié bis, par conséquent.

Pour la clarté du droit, mieux vaut réunir toutes les dispositions relatives au délit d'entrave à l'IVG dans le même article : avis défavorable à l'amendement n°3.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - L'amendement n°2 rectifié bis dépénalise ce que nous cherchons à pénaliser... C'est incohérent avec le droit en vigueur : la même manoeuvre de désinformation serait de nature à engager la seule responsabilité civile sur internet alors qu'elle relèverait du pénal si elle a lieu de vive voix dans la salle d'attente ? Avis défavorable.

La constitutionnalité de l'amendement n°3 est douteuse, puisque la composante morale de l'infraction, exigée par le « but dissuasif » de l'acte, a disparu : avis défavorable.

M. Jacques Legendre.  - Jeune député lors des débats de la loi Veil, j'ai voté pour que les femmes soient bien informées de leurs droits, des risques encourus, mais aussi des possibilités de garder l'enfant qu'elles portent. Nos débats ont quelque chose d'aventureux : il est vrai que certains sites visent à tromper, ce qui n'est pas correct, mais les femmes doivent disposer d'informations de toute nature. Je rejoins M. Leleux : nous allons peut-être trop vite dans la réflexion. En l'état actuel du texte, je ne pourrai le voter.

M. François Zocchetto.  - Notre groupe a déposé deux amendements, preuve de son souhait de faire avancer cette question. Notre groupe est à l'origine de la liberté - c'en est une - de recourir à l'IVG. Mais internet, phénomène mondial, se joue des réglementations locales, surtout pénales. Internet, c'est un vaste marché où dominent, comme diraient d'autres, les forces d'argent...

Nous proposons un compromis : une responsabilité civile et une voie de recours rapide, par le biais de la procédure de référé. C'est une solution pragmatique et applicable. Réfléchissons-y. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

M. Alain Vasselle.  - Nous nous prononçons sur le texte de la commission des affaires sociales. Est-il opérant ? Voilà la seule question qui vaille. Philippe Bas et Michel Mercier ont été clairs : la caractérisation de la faute n'aura rien d'évident, c'est donc un texte d'affichage.

En conséquence, il y a plutôt urgence à attendre, car l'objectif recherché ne sera pas atteint par cette rédaction - au surplus, inconstitutionnelle et inconventionnelle... Je ne le voterai donc pas.

Mme Patricia Schillinger.  - Au groupe socialiste, nous soutenons un texte utilement amendé par la rapporteure. Permettez-moi de douter de la sincérité de ceux qui veulent reporter notre réflexion à plus tard. Les associations gérant ces sites menteurs jubilent à vous entendre. Nous repousserons ces amendements.

Mme Françoise Gatel.  - Madame la rapporteure, pourquoi légiférer si la loi en vigueur suffit ? Vous dites que la peine d'emprisonnement applicable est un maximum, certes, mais le juge pourrait toujours la prononcer ! Cela signifie qu'en France on pourrait être emprisonné pour avoir exprimé son opinion !

M. Hugues Portelli.  - Ne pas adopter de texte laisserait en navette le texte de l'Assemblée nationale, qui est manifestement contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme, c'est une certitude. Celui de la commission des affaires sociales, lui, est nettement meilleur, quoiqu'imparfait. Montrons notre bonne volonté, et donnons-nous la chance d'y revenir. Je voterai donc le texte tel qu'amendé par la commission des affaires sociales.

Si les députés adoptent in fine leur rédaction, nous verrons ce qu'en dira le juge constitutionnel...

Mme Laurence Cohen.  - Nous avons tous eu le souci d'améliorer le texte venu de l'Assemblée nationale, pour aider les femmes.

Monsieur Vasselle, vos arguments sont bien présomptueux. Vous ne représentez pas le Conseil constitutionnel ! Nous cherchons à sanctionner la désinformation délibérée : la proposition de la rapporteure y répond tout à fait ; la proposition de Mme Gatel, elle, ne poursuit pas tout à fait la même fin, d'ailleurs, les sites de désinformation eux-mêmes la soutiennent !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Le climat était serein ce matin en commission des affaires sociales lorsque nous avons auditionné le futur président du Comité consultatif national d'éthique, nous en sommes à présent aux travaux pratiques...

Le texte proposé ne répond pas à tous les enjeux du problème. « Par tous moyens » : comment prouver le délit d'entrave dans une conversation téléphonique ? Jeune sénateur, j'ai néanmoins toujours apprécié la sagesse de notre Assemblée, non soumise, comme dans la salle des Quatre Colonnes de l'Assemblée nationale, à la pression de l'actualité... Gardons-nous donc d'adopter à la hâte un texte qui ne serait pas pleinement applicable. Je rejoins M. Mercier : prenons le temps de trouver des réponses effectives à ce vrai problème.

M. Philippe Bas.  - Les textes de l'Assemblée nationale et de la commission des affaires sociales visent des objets différents : le premier, les sites internet ; le second, les pressions et intimidations, où qu'elles soient commises. Le premier pose un problème juridique, constitutionnel, que nous avons le pouvoir de lever. Le second ouvre d'autres débats. Quoi qu'il en soit, légiférer ainsi, si vite, nous fait courir le risque de manquer notre cible. M. Mercier, M. Milon ont eu la sagesse de proposer de surseoir à notre décision : je les rejoins.

M. Michel Raison.  - Je voterai l'amendement de Mme Gatel. Personne, au groupe Les Républicains, n'a jamais remis en cause le droit à l'IVG, mais je veux faire observer que les risques de l'IVG ne sont pas assez soulignés : les psychiatres, par exemple, mettent en avant les dépressions post-IVG. (Exclamations à gauche) Cela étant, il faut lutter contre les sites mensongers, indiscutablement.

Mme Catherine Deroche.  - Je ne partage pas l'avis de M. Portelli : la majorité du groupe Les Républicains continue à s'opposer au texte de la commission des affaires sociales, comme à celui de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Kaltenbach.  - Nous convergeons tous sur l'attachement au droit à l'IVG, à la liberté d'opinion et la volonté de lutter contre les sites induisant en erreur les femmes en détresse.

Le texte de l'Assemblée nationale est inconstitutionnel, soit ; la proposition de la rapporteure serait un bon compromis, qui élargit le délit d'entrave aux cas de pressions par mail, téléphone ou internet. C'est, je crois, une bonne proposition qui, comme le dit Hugues Portelli, nous permettra de faire durer le débat.

Mme Évelyne Yonnet.  - Le texte de la rapporteure est sans doute le meilleur compromis possible. Notre rôle est de protéger les plus faibles : les femmes elles-mêmes et leur entourage, dont personne ne parle.

On retrouve de plus en plus souvent dans les poubelles des enfants victimes d'infanticide, sachez-le ! L'information, en cette matière comme en matière de djihadisme ou de suicide des enfants, doit être la meilleure possible !

M. Joël Guerriau.  - Ces amendements rendent le texte applicable car celui de la commission des affaires sociales ne l'est pas : on ne saurait mettre en prison la personne convaincue d'une pression psychologique. Je voterai pour ma part, celui de Mme Gatel.

Mme Laurence Rossignol, ministre.  - Monsieur Legendre, votre voeu est déjà exaucé : la ministre de la santé a créé le site ivg.gouv.fr pour informer les femmes.

Monsieur Portelli, aucun de tous les experts en droit constitutionnel avec lesquels je me suis entretenue n'a été aussi catégorique que vous sur la constitutionnalité du texte de l'Assemblée nationale ! À croire que vous êtes tous agrégés de droit public dans cette Assemblée ! Pour ma part, j'ai la modestie de penser que les conditions que la jurisprudence a fixées sont ici remplies, d'autant qu'un tel délit d'entrave existe déjà et il a fait la preuve de son caractère dissuasif.

Monsieur Bas, le texte de l'Assemblée nationale ne porte pas que sur les sites internet : sont aussi visés tous les moyens de communication, y compris les numéros verts dont ils font la promotion, et par lesquels se noue le dialogue avec les femmes. La commission des affaires sociales modifie une autre partie du code de la Santé publique.

Enfin, il ne s'agit aucunement de faire fermer ces sites : ils pourront toujours exprimer leur point de vue sur l'IVG - négatif, le plus souvent...

À la demande de la commission et du groupe UDI-UC, l'amendement n°2 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°72 :

Nombre de votants 326
Nombre de suffrages exprimés 307
Pour l'adoption 36
Contre 271

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Chantal Jouanno.  - Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait une volonté de compromis autour de ce texte. Je retire donc mon amendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen)

L'amendement n°3 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Laborde.

Alinéa 2

Après les mots :

par tout moyen

insérer les mots :

ou sur tout support de l'écrit, de l'oral, de l'image ou du numérique

Mme Françoise Laborde.  - Toute personne a le droit d'accéder à une information scientifique fiable. Le législateur doit réagir face à la propagation d'idéologies rétrogrades et dangereuses. L'élue Aurore Bergé a testé le site ivg.net : derrière une apparence respectable, l'information y est inaccessible ou erronée. Ayant moi-même téléphoné, j'ai entendu des erreurs, des horreurs... Mon amendement vise à sanctionner ces comportements en visant tous les supports.

Mme Stéphanie Riocreux, rapporteure.  - La commission des affaires sociales a retenu l'expression « par tous moyens », ce qui vous donne satisfaction. Retrait ?

Mme Françoise Laborde.  - Soit.

L'amendement n°1 est retiré.

Interventions sur l'ensemble

M. Alain Vasselle .  - (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Laisser croire que le texte de la commission des affaires sociales protègera les femmes contre la désinformation, c'est abuser les femmes. Ce texte ne sera pas opérationnel !

La prévention est insuffisante. Les centres de planning familiaux ont du mal à faire face à leurs missions, faute de moyens. (Vives protestations à gauche)

Mme Laurence Cohen.  - La faute à qui ?

M. Gérard Roche .  - Je respecte les opinions de chacun. Mais tout acte médical a des risques. L'oublier et ne mettre en avant exclusivement que les risques, c'est manipuler les personnes, les femmes en situation vulnérable en l'occurrence. C'est inacceptable. Le témoignage de Mme Keller m'a beaucoup ému. Nous ne pouvons accepter la désinformation. Chaque femme doit être libre de décider en conscience. Je voterai ce texte, comme l'ont fait les centristes à l'Assemblée nationale. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs au centre)

Mme Éliane Giraud .  - Monsieur Vasselle, c'est auprès de M. Wauquiez que vous devriez vous plaindre, lui qui supprime les subventions aux centres de planning familial dans la région Rhône-Alpes et qui réduit l'accès à l'information !

À la demande du groupe Les Républicains, l'article unique de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°73 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 299
Pour l'adoption 173
Contre 126

Le Sénat a adopté.

(Vifs applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 17 h 45.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 18 h 35.