PREMIÈRE PARTIE - L'AMÉLIORATION DE L'ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE

Ainsi que le relevait votre Délégation dans son premier rapport d'activité 1 ( * ) , il revient « au Sénat de jouer son rôle de législateur, lorsqu'il apparaît que le droit en vigueur est inadapté ou insuffisant.

« Or les collectivités territoriales ont mis à profit la grande liberté d'action que leur donnait en principe la décentralisation pour engager des coopérations toujours plus nombreuses avec les collectivités étrangères, sans être toujours sûres que les voies empruntées pour le montage de leurs projets leur garantissaient une totale sécurité juridique... »

Votre Délégation relevait, en outre, s'agissant plus particulièrement de la coopération transfrontalière que « les instruments juridiques disponibles (GIP, SEM locale, groupement d'intérêt économique, voire GIE européen) ne sont pas nécessairement bien adaptés aux opérations envisagées. »

Il convient de se féliciter, aujourd'hui, que ces observations aient été entendues puisque les évolutions récentes du cadre juridique de la coopération décentralisée ont permis précisément de sécuriser les actions des collectivités territoriales et de créer de nouveaux instruments plus adaptés au développement des liens transfrontaliers.

I. DES ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES INITIÉES PAR LE SÉNAT

Les dispositions de la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, inscrites aujourd'hui à l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), subordonnent la régularité des actions de coopération décentralisée des collectivités territoriales à la « conclusion de conventions entre les collectivités territoriales françaises et leurs groupements et les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements ».

La légitimité de ces actions suppose qu'elles interviennent dans un domaine relevant de la compétence de la collectivité territoriale et qu'elles répondent à un but d'intérêt local . Sur cette base, le Conseil d'Etat a su faire preuve de souplesse, admettant, par exemple, dans l'arrêt Commune de Villeneuve-d'Ascq (CE, section, 28 juillet 1995), la présence d'un intérêt communal dans une délibération octroyant des bourses à des étudiants originaires de villes jumelées, dès lors que ces bourses avaient été accordées « dans le but d'encourager le développement ultérieur de projets de coopération associant des instituts de recherche et des entreprises situées tant sur le territoire de Villeneuve-d'Ascq que sur celui des collectivités dont étaient issus les deux étudiants ».

La circulaire interministérielle du 20 avril 2001 relative à la coopération décentralisée s'est fondée sur cette jurisprudence pour éclairer les notions de compétences et d'intérêt local, en leur donnant une portée élargie. Cependant, quel que soit l'intérêt de cette circulaire, sa valeur juridique s'est révélée d'autant plus fragile sur ce point que cette manière de voir n'était pas partagée par tous.

En premier lieu, les chambres régionales des comptes ont, à plusieurs reprises, fait preuve d'une attitude stricte dans le cadre de leur contrôle de gestion, en s'interrogeant sur la nature et le fondement des dépenses engagées pour la mise en oeuvre des coopérations décentralisées ;

En second lieu, la jurisprudence administrative a ajouté des incertitudes nouvelles, au cours des dernières années. Ainsi, une décision du tribunal administratif de Poitiers (TA Poitiers, 18 novembre 2004, M. Jean-Roméo Charbonneau c/département des Deux-Sèvres) a conclu à l'annulation d'une délibération du conseil général des Deux-Sèvres qui, d'une part, avait approuvé le financement de la construction d'un collège d'enseignement général à Daboura au Burkina Faso et, d'autre part, avait octroyé une subvention au service d'incendie et de secours de la communauté urbaine de Majunga, à Madagascar. Le juge administratif a estimé qu'en ces deux hypothèses l'aide du département ne répondait pas « à des besoins de la population du département ».

Dans le même esprit, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, par une décision du 25 novembre 2004, une délibération du conseil municipal de Stains octroyant une subvention à une organisation non gouvernementale au bénéfice d'un camp de réfugiés palestiniens. Même si d'autres décisions (cf. CAA Douai, 13 mai 2004, Eric Delcroix) allaient en sens contraire, la tendance générale penchait pour une lecture restrictive de la loi.

Le rapport du Conseil d'Etat remis au Premier ministre, le 7 juillet 2005, sur la coopération décentralisée 2 ( * ) , tendait à relativiser les conséquences de ces jugements de première instance, estimant pouvoir introduire une nuance dans l'appréciation de l'intérêt local, selon que la coopération entrait dans le champ des compétences propres aux collectivités territoriales ou relevait simplement de sa clause générale de compétences, bien que cela ne ressorte pas clairement des termes de la jurisprudence récente.

Quoi qu'il en soit, il est apparu, dès 2004, que les actions de coopération des collectivités territoriales répondant uniquement à un but d'aide au développement ou d'aide humanitaire, n'étaient plus sécurisées et qu'il importait de clarifier le droit en la matière.

A. LA LOI « OUDIN » : AFFIRMER LA SOLIDARITÉ DANS LE DOMAINE DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT

Conscient du préjudice que cela était susceptible de causer aux collectivités territoriales, incertaines des marges exactes dont elles disposaient pour leurs actions extérieures, le Sénat est intervenu, comme l'avait souhaité votre Délégation, pour améliorer l'environnement juridique de ces actions.

- La première initiative due à M. Jacques Oudin, alors sénateur de la Vendée, a débouché sur la loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement .

Ces dispositions, qui ont été insérées à l'article L. 1115-1-1 du code général des collectivités territoriales, ouvrent la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements, plus spécialement les syndicats intercommunaux de gestion de l'eau, de mener légalement des actions de coopération dans le domaine de l'alimentation en eau et de l'assainissement, dans la limite de 1 % des ressources affectées au budget de ces services.

Lorsqu'il s'agit d'actions de coopération ou d'aides d'urgence au bénéfice des collectivités ou groupements étrangers, ces actions devront s'appuyer sur les conventions prévues à l'article L. 1115-1-1 précité. Mais les aides pourront également prendre la forme d'actions de solidarité internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement.

* 1 Cf. document de travail du Sénat, série Collectivités territoriales CT 04-2, 2003-2004, Rapport d'activité de la Délégation du Bureau à la coopération décentralisée, p. 20.

* 2 Les Etudes du Conseil d'Etat : « Le cadre juridique l'action extérieure des collectivités locales », étude adoptée par le Conseil d'Etat, le 7 juillet 2005, sur le rapport du groupe de travail, présidé par M. Philippe Marchand (La Documentation française, juin 2006).

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