Quelle réforme pour la gouvernance locale ? Compte rendu de la conférence-débat de l'Observatoire sénatorial de la Décentralisation avec les Membres de son Comité d'experts (7 novembre 2007)

II. TABLE RONDE N° 2 : LE STATUT DE L'ÉLU

M. Bernard SAUGEY

Je suis parti de la base. Il y a quinze jours, j'ai participé au Congrès des maires dans mon département, l'Isère. En Isère, nous dénombrons 533 maires et 8 300 élus. 1 500 élus étaient présents au Congrès. Les maires et élus sont particulièrement motivés en Isère.

La décentralisation a été mise sur la sellette. Sur le papier, les transferts de compétences aux collectivités devaient favoriser la coopération, renforcer l'autonomie locale. Mais les élus n'étaient pas préparés à exercer ces nouvelles compétences. Selon les élus, ces compétences étaient si complexes qu'elles nécessitaient, pour eux, un autre statut.

Elus et maires se plaignent avant tout de ne pas avoir assez de temps. Les réunions d'EPCI leur prennent pas mal de temps. Autre grief entendu, les maires estiment ne pas avoir de moyens suffisants. Second aspect, ces élus vivent tous une crise de légitimité. 58% d'entre eux ne sont pas satisfaits de leur statut et pensent à leur reconversion après leur mandat. Pour les deux tiers d'entre eux, le travail demandé est trop important.

Certains pensent que la professionnalisation de l'élu locale se fait de façon rampante. Beaucoup de maires donnent beaucoup et reçoivent peu, surtout dans les petites communes.

Parallèlement, leurs responsabilités leur paraissent de plus en plus importantes. Pour être élu local, il me semble qu'il faut, aujourd'hui, aimer prendre des risques

En France, dans mon département, les gens sont hostiles au mandat à temps plein.

Nous ne vivons pas de crise de vocation. Mais il y a certaines règles sur lesquelles il faut se pencher. Permettez-moi vous proposer quatre pistes de réflexion :

- Il y a un réel problème de formation.

- Je connais des maires qui renoncent à leurs indemnités pour ne pas pénaliser les finances de la commune.

- Je suis resté maire pendant vingt-quatre ans d'une commune de 2 600 habitants. Aujourd'hui, je perçois 180 euros de retraite. Avec ce type de pension, les maires se plaignent de ne pas être en mesure de vivre correctement.

- Par ailleurs, le problème de la reconversion doit être posé selon que les maires renoncent à leur mandat ou soient battus.

Ces quatre pistes - formation, indemnités, reconversion et retraites - sont des pistes à creuser.

M. Éric DOLIGÉ

Je rappelle que les élus locaux ne se réduisent pas aux maires. Les élus sont nombreux mais ont des préoccupations convergentes.

Seconde remarque : quand nous interrogeons ces élus locaux, ils n'ont pas la même vision parisienne de ce qu'est un élu local. A Paris, nous pensons parité, rajeunissement, non-cumul des mandats. En discutant avec des élus locaux et des citoyens, il apparaît que leurs demandes sont éloignées de celle des Parisiens.

Si nous demandons de plus en plus à l'élu local, il est de moins en moins prêt à aller vers cette fonction qu'il découvre. Nous avons du mal à trouver des candidats sur des responsabilités locales. Dans les petites communes, l'élu local classique de base qu'était l'agriculteur, impliqué dans son territoire, se fait de plus en plus rare. De nouveaux élus locaux les remplacent, qui ne correspondent plus au profil de la population locale. Il est donc important de mener une réflexion sur le statut de l'élu local.

L'indemnité est un sujet tabou. Beaucoup d'élus des communes rurales n'osent pas se verser les 20 euros ou 50 euros d'indemnités. Ils craignent d'être montrés du doigt par leur population. Nous devrions avoir le courage de prendre un certain nombre de dispositions. Ce n'est pas honteux que quelqu'un qui n'a pas de week-end, pas de vacances, qui met parfois en péril son avenir professionnel, ait une contrepartie. Je propose d'adopter la formule du volontariat plutôt que celle du bénévolat pour donner à ces élus locaux une certaine reconnaissance.

M. Jackie PIERRE

Je suis président d'une association des maires. Tous les problèmes évoqués sont liés. Les maires ont besoin de nourrir leur famille, donc de travailler. Ils manquent de temps pour entamer des formations. 515 maires adhèrent à mon association qui propose beaucoup de séances de formation. Mais d'une année sur l'autre ce sont toujours les mêmes. En réalité, les maires passent 80% de leur temps en réunion à l'extérieur de leurs mairies. Ils manquent donc cruellement de temps.

Nous ne verrons jamais de communes sans maires. Mais je m'interroge sur la qualité de ces maires. De plus en plus de gens qui vivent normalement de leur travail hésiteront à sacrifier tous leurs week-ends pour un mandat. Il y a un risque pour la Nation de voir diminuer la qualité et la compétence des élus.

La fonction de maire évolue. Il est important que les maires trouvent le temps de se former. Nous devons aussi aborder les problèmes liés aux reconversions. Personnellement, j'ai fait le sacrifice de démissionner de mon entreprise à l'age de 49 ans, après une réélection au Conseil général. J'aurais pu me retrouver, si je n'avais pas été réélu, sans travail, à l'âge de 55 ans. Il y a une vraie réflexion à mener sur le statut.

M. Bernard SAUGEY

Je donne la parole à M. Raymond Couderc, sénateur le plus jeune, non du fait de son âge mais du fait de sa date d'élection.

M. Raymond COUDERC

Je n'ai pas d'inquiétude sur les vocations au vu du nombre important de candidatures. Mais les charges de plus en plus diverses, la création de multiples structures de concertation (commissions d'accessibilité, de sécurité...) nécessitent de solliciter les adjoints et les autres élus. Ma crainte serait que l'ensemble des conseils municipaux ressemblent à des clubs de retraités. Peu d'actifs sont disponibles pour se présenter sur les listes municipales. Cela me semble dangereux de voir se constituer des conseils municipaux uniquement composés de retraités, coupés de la vie économique et sociale.

M. Michel HOUEL

Je suis président de l'Union des maires de Seine-et-Marne. Je m'interroge : pourquoi les maires ne sont-ils pas élus au suffrage universel direct ? D'autant que l'idée que le président de l'intercommunalité serait élu au suffrage universel direct est toujours dans l'air du temps !

M. Bernard SAUGEY

J'ouvre une parenthèse. Avec l'Observatoire de la décentralisation, nous sommes allés en Italie et en Allemagne. A Francfort ou à Milan, les maires sont élus au suffrage universel. Jean Puech a rédigé une tribune en faveur d'une réforme, publiée récemment dans le journal Le Monde .

M. Michel HOUEL

Au Congrès des maires, j'ai abordé cette question devant 1 000 maires. Cette idée n'a choqué personne. A chaque nouvelle mandature, j'édite un trombinoscope des maires. Pour la première fois, j'ai été obligé de le refaire en milieu de mandat. En Seine-et-Marne, département qui rassemble 50% de la superficie d'Île-de-France, nous comptons 400 communes de moins de 2 000 habitants. Traditionnellement, l'élu de base était l'agriculteur du village. Nombreux sont ceux aujourd'hui qui refusent de se présenter car la fonction de maire impose beaucoup trop de travail. De nouveaux habitants, âgés d'une quarantaine d'années, se sont fait élire pour bousculer un peu les choses. Mais comme ces habitants travaillent, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas remplir leur fonction convenablement. Alors, ils démissionnent. Sur le problème des indemnités, les maires font souvent le travail des fonctionnaires pour un prix réduit. Je suggère que l'Eat verse directement les indemnités aux maires. Ainsi le maire n'aurait pas à se justifier s'il touche son indemnité. Par ailleurs, la commission Attali prédit de réduire le nombre de communes à 8 000 et de faire des actuels maires des mairies d'arrondissement. Tant que je serai là je défendrai jusqu'au bout le statut du maire.

Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY

La question du statut de l'élu local est fondamentale. J'ai été élue dans une grande ville de la région parisienne. J'ai vécu cette crise de légitimité et de confiance, lorsque les populations se tournent vers les élus locaux en cas de problèmes ou de crises. Les élus locaux ne sont plus à l'image de notre population : les élus sont très majoritairement des hommes, des retraités ou des fonctionnaires. Il faut du courage pour mettre de côté sa vie professionnelle. Pour faire en sorte que élus locaux soient davantage à l'image des populations, il faut les aider. Je suis favorable à la prise de en charge par l'Etat des indemnités, qui doivent être revalorisées. Donner plus de moyens aux élus locaux, en matière de formation, d'indemnités, de professionnalisation, de retraites, mais aussi de garanties pour la reconversion irait dans le bon sens. Par ailleurs, le statut de l'élu renvoie aussi aux questions de cumul des mandats et de parité.

Le cumul des mandats exprime dans une certaine mesure le manque de reconnaissance des élus locaux. Ces derniers ressentent le besoin d'aller au niveau national. S'il y avait plus de reconnaissance des élus locaux, en matière d'indemnités et de retraite, il y aurait moins de cumuls. Nous n'aurions pas des conseils municipaux essentiellement composés de fonctionnaires et de retraités. Cette diminution des cumuls entre élus et locaux et nationaux permettrait aussi de laisser plus de place aux femmes. Pour autant, le lien de l'élu national avec le local ne doit pas être coupé. Mais pour un élu national, un mandat local de base devrait suffire. Or nous assistons à des situations de cumul abusives où des maires sont aussi conseillers généraux, conseillers régionaux, voire députés ou sénateurs. Résultat : des concitoyens se plaignent de l'absence leur maire. La question de la reconnaissance, via la professionnalisation, via l'indemnité, doit permettre de régler ce problème de cumul de mandats.

M. Éric DOLIGÉ

Si je peux me permettre une petite boutade. Je suis Président de conseiller général et sénateur; je suis homme d'un certain âge. Je m'amuse auprès de mes conseillers généraux à leur demander s'ils m'échangeraient contre un conseiller général, jeune et femme, et non-cumulard. Ils me répondent qu'ils préfèreraient me garder. Peut-être parce que je suis bon ou qu'ils ont peur de perdre leurs subventions.

Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY

Votre expérience pourrait aussi servir à d'autres postes.

M. Éric DOLIGÉ

Il ne faut pas généraliser au travers de prismes. Le problème de la parité est lié à un problème de temps de mise en oeuvre. La parité a été mise en place récemment dans les conseils municipaux ce qui permet de former le personnel.

Mme Alima BOUMEDIENE-THIERY

Quand des élus sont en place depuis trente ou quarante années, il faut s'interroger sur la question du cumul dans le temps. Je ne dis pas que l'expérience doit être mise au placard. Elle doit aussi servir à de jeunes élus mais à d'autres postes.

M. Bernard SAUGEY

J'ai été élu maire à l'âge de 28 ans. Cela ne m'a pas empêché de rester à la mairie pendant vingt-quatre années. Je précise aussi qu'il n'est pas possible d'être élu maire et président de conseil général.

M. Jean-Paul ALDUY

Je suis catalan. Le maire de Girone ne se pose pas la question de cumuler son poste avec celui de conseiller général. Au Parlement de Catalogne, 50% des élus sont des femmes. Ils n'envisagent pas de faire une loi sur la parité. Il s'agit d'un problème culturel : ce n'est pas un hasard si les femmes ont dû attendre 1945 pour avoir le droit de vote en France. La France est très en retard par rapport à d'autres pays.

La position de maire est considérée comme une position d'assistante sociale tous azimuts. Elle devrait être comprise comme celle d'un développeur et d'un politique. La question de l'élu ne sera pas réglée sans aborder l'intercommunalité et la question des services municipaux.

Dans mon département, il y a la plaine et la montagne. Dans la montagne, les maires de communes de 50 habitants ont le droit à une secrétaire une journée et demie par semaine. Ils n'osent pas toucher les indemnités de maire. Tant que nous ne mettrons pas de services dans les communes rurales, le maire devra tout faire. Les vocations vont vite se tarir. Je suis maire depuis 14 ans. Nous sommes confrontés à une complexification de la fonction. Ce n'est pas plus simple pour une commune de 50 habitants que pour une commune de 120 000 habitants.

Lorsque nous abordons la question du statut du maire, nous prenons le problème par le mauvais bout. Il nous faut d'abord déterminer l'organisation territoriale de la France puis mettre en place le statut et les mécanismes d'indemnités. A l'heure actuelle, nous ne réglerons pas le problème de la présence politique par des indemnités, mais par l'intercommunalité. Je ne vous parle pas des pays qui sont des zombies complets. L'intercommunalité en milieu rural est très importante. Nous pourrons trouver à ce niveau des indemnités et des services techniques. Dans les grandes villes, le maire délègue peu à ses adjoints. Une ville de 10 000 habitants dispose de huit adjoints. Une ville de plus de 100 000 habitants dispose de seize adjoints. Cela pose un problème d'organisation.

M. Bernard SAUGEY

Il faut trouver une ligne médiane. L'objectif ne doit pas être de tuer les maires grâce à l'intercommunalité. Il faut trouver un équilibre entre les deux.

M. Jean-Paul ALDUY

Je reviens sur un point. Le problème de la reconversion est essentiel. Nous ne pouvons pas avoir des conseils municipaux qui sont composés à 90% de fonctionnaires ou de retraités. Il faudrait inventer un système d'assurance qui permette de verser un salaire pendant six mois ou un an après le mandat. Nous pourrions nous inspirer de ce que viennent de faire les députés. Si nous ne le faisons pas, nous perdrons la présence des milieux économiques dans les conseils municipaux. En tant que maire, j'avais deux adjoints issus du monde économique. Pendant le mandat, leur entreprise s'est retrouvée en redressement.

M. Jean PUECH

Le problème du régime statutaire se pose. Ce régime statutaire englobe la rémunération, la couverture sociale, la préparation de la retraite, ainsi que l'aide à la formation et à la reconversion. Nous sommes allés en Espagne. Nous avons discuté avec les élus de Saragosse. Il ne leur viendrait pas à l'idée de se présenter comme députés. En Italie, le maire qui veut devenir parlementaire doit démissionner six mois avant les élections. Tous les autres pays de l'Union européenne ont réfléchi à ces questions après avoir franchi les différentes étapes de la décentralisation. Nous nous adaptons. Dans cette maison, rappelons-nous qu'une personnalité politique était à la fois maire d'une assez grande ville, président du département, président d'une région, sénateur, et il a fait partie des premiers députés européens. Vous parlez de vos expériences. En 1976, j'ai commencé comme président du conseil général. L'exécutif était assuré par le préfet. J'ai dû me battre pour obtenir d'avoir un collaborateur. Le préfet me répondait qu'il s'occupait de tout. Aujourd'hui, j'ai 1 800 employés dans le département de l'Aveyron.

Le chantier du statut de l'élu doit être ouvert immédiatement.

M. Roland du LUART

Vous avez évoqué les « archi-cumulards ». J'en ai été. Cela fait 30 ans que je suis élu au Sénat. Je m'aperçois que ce sont souvent ceux qui cumulent le plus qui sont le plus présents. Je pourrais citer les noms d'une centaine de sénateurs qui ne sont jamais là et qui n'ont pas d'exécutif local. Je suis président du conseil général et président de l'association des maires de mon département. Dans les communes de moins de 200 habitants, le budget d'indemnités du maire et de ses adjoints est de 2 000 euros par an. Il faut avoir le courage de faire la réforme communale. Le jour où l'on aura 4 500 communes en France, nous aurons réglé le problème. Cela passe, au-delà de l'attachement aux clochers, par le développement de véritables intercommunalités qui aient un réel poids économique. Je reproche à mon Préfet d'avoir accepté des intercommunalités qui n'ont ni queue ni tête. Une intercommunalité doit regrouper au minimum 15 ou 20 000 habitants. Si nous voulons qu'elle dispose d'un réel pouvoir économique, elle doit être financée par la taxe professionnelle. Enfin, nous n'avons pas été très courageux, ni à gauche ni à droite, d'avoir créé les pays sans oser en demander la suppression.

Résultat : la décentralisation Acte I devait se faire à coût nul. Nous avons créé 300 000 emplois dans la fonction publique d'Etat et un million dans la fonction publique territoriale. Nous marchons sur la tête. Il s'agit d'une raison de l'augmentation des prélèvements obligatoires et de la situation des finances publiques.

M. Bernard SAUGEY

Nous avons déjà passé les « pays » par les armes. Sur la taxe professionnelle, nous ne sommes pas sûrs de son avenir, nous a dit Gérard Larcher.

M. Éric DOLIGÉ

Il y a un sujet que nous n'avons pas abordé. Nous risquons, dans le renouvellement, une perte de qualité au niveau de la matière grise. Dans certains conseils généraux, les nouveaux élus vont avoir plus de 70 ans. Nous avons perdu toutes les professions libérales. La matière grise fout le camp de nos collectivités locales. Nous devons réfléchir à ce problème.

M. Bernard SAUGEY

Il ne faut pas y penser trop longtemps car la réflexion tue l'action.

Mme Catherine TROENDLE

Je ne suis pas tout à fait favorable au « tout intercommunal ». De par mon expérience personnelle, dans un territoire rural avec un bourg-centre, nous devons admettre que toutes les orientations sont tournées en faveur du bourg-centre.

Dans les petites communes, les conseillers municipaux règlent beaucoup de problèmes locaux. Des problèmes de voisinages aux problèmes sociaux, nous parvenons à régler beaucoup de différends. Ces problèmes ne seraient pas gérables si devaient seulement subsister des représentants au niveau intercommunal. Les spécificités locales gagnent à être préservées.

M. Jean Puech nous incite à travailler très vite sur le statut de l'élu local. Je suis élu local depuis 1989, et depuis cette date le débat revient sans arrêt. Nous parlons constamment de ces difficultés. En ce qui concerne les femmes, il faut qu'elles aient la volonté de s'engager et qu'elles s'accrochent. Dans les petites communes, nous nous rendons compte que ce sont des femmes qui deviennent maires. Peut-être parce qu'elles ne travaillent pas et qu'elles sont femmes au foyer, ce qui est regrettable.

M. Gérard CORNU

Prenons garde à cette pensée unique qui voudrait supprimer les communes. Je crois qu'elles sont un atout pour notre pays. Il est important de les garder. En réalité, l'intercommunalité remet surtout en question l'utilité des cantons. Quel est leur rôle aujourd'hui ? Nous constatons que des intercommunalités se superposent aux cantons. Il me semble que notre système de départements doit être conservé. Le système d'élections aux cantons ne me paraît plus adapté à notre temps, compte tenu de l'évolution de l'intercommunalité. Je lance cette idée, j'aimerais bien entendre les présidents de conseils généraux ici présents sur ce sujet.

M. Bernard SAUGEY

Cela arrive souvent chez vous qu'une intercommunalité soit calquée sur les délimitations du canton ? Chez moi, cela n'arrive jamais.

M. Gérard CORNU

Sur les cantons ruraux, cela se produit souvent. Sur les cantons urbains, plus rarement.

M. Jean PUECH

Les cantons et les intercommunalités ont des représentativités différentes. Il n'est pas inintéressant d'avoir des élus dans nos conseils régionaux qui soient issus des cantons ruraux. Sans cantons, nous n'aurions que des élus des grandes villes.

M. Benoît HURÉ

Je suis un élu d'un territoire rural. Un élu au conseil général incarne un territoire. Le député représente un bassin de population. Mais le conseiller général est aussi conseiller départemental. Il oeuvre pour le département. Comment éviter cette fracture au sein des territoires ? Nous devons faire appel à la volonté des hommes ou des femmes. Je suis Président général d'un canton rural en intercommunalité depuis 1995. Volontairement, le Président de la communauté de communes n'est pas conseiller général. Cela fonctionne très bien.

M. Luc-Alain VERVISCH

Il existe plusieurs statuts différents. Il faut différencier le cas du conseiller municipal sur les territoires ruraux de celui du maire rural dont vous avez dit qu'il était un fonctionnaire déguisé. Les chiffres sont édifiants. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, vous avez deux fonctionnaires pour un élu local, avec une relation de un à vingt dans les collectivités plus grandes. La question de l'organisation des services sur des territoires ruraux dans les communes se pose. Dans le cas des grandes collectivités, le rôle des conseillers municipaux ne peut pas du tout être le même que dans une petite commune.

Dans ce contexte, la question de la professionnalisation du maire comme fonctionnaire pose une difficulté. Vous évoquez la possibilité de verser des indemnités au maire par l'intermédiaire de l'Etat. Cette mesure était en vigueur avant 1871 et 1884. Sur ce plan, la démocratie locale n'était pas tout à fait idéale. Sur la formation, je voudrais orienter l'Observatoire de la décentralisation sur la possibilité de partenariat avec des établissements d'enseignement supérieur dans le e-learning. En territoire rural, le e-learning peut permettre de faciliter la formation élémentaire, en matière financière, en matière de compétences, en matière de tissu institutionnel.

M. Bernard SAUGEY

Vous pouvez traduire en français ?

M. Luc-Alain VERVISCH

Tout à fait, je préfère dire « enseignement à distance ».

M. Jean-Luc BOEUF

Je souhaiterais vous faire part de mon expérience sur la différence de mode de fonctionnement, vue du côté des services, entre les élus au suffrage direct et ceux élus au second degré. Avant d'être directeur général d'une région, j'étais directeur régional du département. Au delà de toute contingence politique, lorsque vous vous adressez à des conseillers généraux élus au suffrage universel direct, cela change tout. Ledit conseiller général est en prise directe avec la réalité. La demande de décision politique est très fluide. Elle passe par le président, son bureau, les élus et ses services avec un retour permanent.

Lorsque vous avez affaire au mode d'élection de scrutin de listes, la mise en oeuvre des décisions est beaucoup plus compliquée. J'étais également directeur général d'une ville moyenne de 50 000 habitants. En ville, vous avez toujours un filtre direct ; le conseiller municipal est en lien avec son quartier, sa profession. Cela facilite la mise en oeuvre. Mais dans une région, vous avez affaire à des gens élus sur un scrutin de liste qui ont bien souvent des mandats d'adjoints mais qui sont très rarement députés ou conseillers généraux. Il y a donc une difficulté à traduire concrètement la décision politique de l'élu auprès des habitants qui n'y comprennent rien.

J'en viens à une proposition provocatrice, qui fait le lien entre l'intercommunalité et le conseil général. Pourquoi ne pas imaginer un système d'élection au suffrage direct des conseillers généraux qui deviendraient des présidents des intercommunalités en milieu rural ? En milieu urbain, nous pourrions mettre en place un système de listes avec plusieurs conseillers généraux qui seraient les représentants des intercommunalités ?

M. Jean PUECH

Il aurait fallu plus de temps. Le sujet n'est pas épuisé.

J'aimerais vous rappeler que cette réunion-débat prolonge la rencontre que nous avons tenue en début d'année où nous avions lancé une consultation approfondie auprès de 500 exécutifs locaux, 400 maires de communes et une cinquantaine de Présidents de départements et des Présidents de régions. Cette étude avait été conduite par M. Dominique Reynié. M. Reynié avait conduit cette consultation avec TNS-SOFRES. Nous avions noté l'existence d'un malaise profond chez les élus locaux et chez les exécutifs. La décentralisation était appréciée à 80% ou 90% mais fortement critiquée dans la mise en oeuvre. La décentralisation a profondément changé la nature des collectivités locales. Aujourd'hui, plus de 80% des investissements publics sont réalisés par les collectivités locales. Près de 90% des politiques sociales sont financées au niveau des collectivités locales.

Il y a vingt-cinq années, l'Etat assumait l'essentiel de l'action collective et les collectivités locales assuraient un appoint. Le cadre institutionnel de la gouvernance locale a totalement changé. Les collectivités territoriales deviennent des acteurs majeurs de la mise en oeuvre des politiques publiques. Il convient de renforcer la démocratie à due concurrence au fur et à mesure de ces transferts de compétences en donnant aux exécutifs locaux un surcroît de légitimité. Après notre tournée en Allemagne, en Italie et en Espagne, nous avons constaté la force d'identification de l'élu local. Il serait impensable dans ces pays de se faire élire puis de se retirer au bout de six mois en nommant son adjoint sans que cela soit validé par les urnes. L'élection de l'exécutif local au suffrage universel direct pourrait constituer une alternative. Je vous indique par ailleurs que nous avons signé la Charte européenne de l'autonomie locale. Nous devons travailler à donner une légitimation forte aux élus et aux exécutifs locaux. Nous livrerons ces propositions dans le rapport.

Par ailleurs, nous avons besoin d'un statut global qui permette de faire que l'élu se rapproche de ses concitoyens et électeurs. Ce statut de l'élu touche aussi au cumul des fonctions parlementaires et exécutives. Il est souvent justifié par le poids supplémentaire accordé aux exécutifs locaux lorsqu'ils sont parlementaires. Il y aurait des exécutifs qui auraient la chance d'être parlementaires et qui pèseraient plus que les autres. Mais beaucoup d'exécutifs n'ont pas la chance d'être parlementaire. Nous sommes dans une République ; cela pose un problème d'égalité.

Il est aussi vrai qu'un élu national doit pouvoir exercer des mandats locaux pour ne pas être déconnecté de la base. Madame le Ministre est arrivée. Je terminerai ma présentation en l'accueillant.

Brève interruption.

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