Quelle réforme pour la gouvernance locale ? Compte rendu de la conférence-débat de l'Observatoire sénatorial de la Décentralisation avec les Membres de son Comité d'experts (7 novembre 2007)

III. AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, DE L'OUTRE-MER ET DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

M. Jean PUECH

Nous avons le plaisir d'accueillir Madame le Ministre de l'Intérieur, en charge des collectivités locales. Nous avons eu une matinée de travail assez intense et particulièrement fructueuse dans le cadre de l'Observatoire de la décentralisation qui regroupe des Sénateurs et des experts.

Je livrais tout à l'heure un certain nombre de réflexions sur nos voisins européens. Nos ambassadeurs nous ont renseignés sur la pratique de la démocratie locale des pays de l'Union. Nous nous sommes rendus en Allemagne, en Italie et en Espagne. Nous avons constaté que la pratique de la démocratie locale a permis de mieux « légitimer » les élus locaux. Ces pays ont su organiser la décentralisation en mettant en place une série de mesures d'accompagnement.

Nous sommes aujourd'hui dans cette phase en France. L'Acte I de la décentralisation a opéré un large transfert de compétences. L'Acte II a visé à compléter ces transferts et à doter les exécutifs locaux des moyens nécessaires. Mais ces politiques n'ont pas suffisamment pris en compte les problèmes de gouvernance locale. Comment donner la légitimité nécessaire à un élu qui a reçu autant de responsabilités ? Quelles relations doit-il y avoir entre l'Etat, ses services déconcentrés et les collectivités locales ? Dans mon département, proche de Clermont-Ferrand, 800 personnes travaillaient à la DDE : 400 ont rejoint le conseil général, et 200 sont parties vers les DDIRE. Le directeur départemental de l'équipement n'a donc plus que 200 personnes à sa disposition. Des tensions sont nées avec le directeur du département qui, lui, a 800 personnes sous ses ordres. C'est, au-delà des personnes, le système qui a engendré des comportements nouveaux. Il est important d'instaurer un climat de dialogue entre les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités locales.

Lorsque nous évoquons la légitimité de l'élu, nous abordons aussi son statut. En France, c'est l'absence de statut qui constitue le statut ! Il nous faut aborder tous les aspects du régime statutaire : aspects financier, retraite, couverture sociale, formation et reconversion. Nous nous interrogeons aussi sur le cumul des fonctions exécutives avec d'autres responsabilités, y compris parlementaires. Tous ces aspects sont au centre des travaux engagés par l'Observatoire. Nous serons donc aujourd'hui très attentifs aux informations et aux engagements dont vous allez nous faire part.

Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Monsieur le Président, je vous remercie pour votre invitation. Il est intéressant que nous puissions avoir une réflexion commune et un échange sur des sujets tels que celui que vous venez d'aborder. Le statut de l'élu est un sujet majeur.

Il me semble qu'il vaut mieux parler de « complémentarité des fonctions » que de « cumul des fonctions ». Il s'agit d'abord de rechercher davantage d'efficacité au service des citoyens. La façon dont on parle aujourd'hui du cumul peut au contraire donner le sentiment qu'il s'agit de lutter contre des abus potentiels de position dominante ou contre des avantages divers.

Il est très important pour des élus de conserver un contact avec le terrain. Les fonctions de maire et de député ont une vraie complémentarité qui ne peut que contribuer à améliorer la loi et, en même temps, à donner à la loi des capacités de meilleure adaptation à la vie locale. Le Sénat est le représentant des collectivités locales, il me paraît donc normal qu'il y ait une complémentarité entre un mandat de sénateur et un mandat de conseiller général ou de conseiller régional.

Il devrait également y avoir - j'y reviendrai - une vraie complémentarité entre le conseiller régional et le conseiller général. Le champ de leurs compétences respectives reste incertain. Dès lors, exercer un mandat dans les deux collectivités pourrait permette d'utiliser chacune d'entre elles de la façon la plus efficace.

S'agissant de la garantie qui devrait être donnée à certains élus, notamment ceux issus du secteur privé, à l'issue de leur mandat, on pourrait éventuellement réfléchir à une quatrième voie d'entrée à l'ENA. Cela permettrait aussi à l'administration de bénéficier des savoir-faire et des compétences acquis pendant toute une vie d'élu, en particulier quand il s'agit de parlementaires et de maires.

Il me semble que c'est la façon d'aborder le statut de l'élu qui doit évoluer. Il ne faut pas chercher systématiquement à changer le fond en s'exonérant d'une réflexion d'ensemble.

Au-delà du statut de l'élu, je souhaiterais évoquer avec vous la décentralisation, au regard des trois missions qui ont été confiées à l'Observatoire de la décentralisation par le Sénat lors de sa création en janvier 2005 : le suivi et le bilan de la décentralisation, en particulier de l'« Acte II », les améliorations à apporter et l'évaluation des politiques publiques. Ces trois missions me semblent plus que jamais d'actualité.

Ma conviction profonde est que la décentralisation est, dans sa mise en oeuvre, une réussite. C'est d'abord vrai pour nos concitoyens qui peuvent désormais bénéficier de la proximité d'une institution qui a les moyens de décider et de faire. Le département s'est ainsi affirmé comme la collectivité de la solidarité. Il s'est beaucoup engagé dans la politique d'insertion. Après deux années de progression (en 2004 et en 2005), il y a eu, en 2006, stabilisation du nombre de Rmistes. Cette année, ce nombre est en diminution. C'est grâce à l'engagement des départements dans le volet insertion. Il a permis à de nombreuses personnes de sortir du dispositif RMI.

De même, les améliorations du « quotidien » des personnes handicapées ont, elles aussi, au-delà des politiques nationales, été le fait des départements, en particulier avec la création des maisons départementales. Il s'agit là aussi d'une véritable réussite.

La région, pour sa part, s'est affirmée, depuis plusieurs années, comme un véritable moteur économique. Le dynamisme économique de la France tient aussi à ses régions. Des compétences comme la formation professionnelle, le rapprochement avec les entreprises innovantes, les pôles de compétitivité ou le soutien aux centres de recherche, sont des moteurs qui contribuent au dynamisme économique. La région peut assurer cet élément de cohérence et de stratégie.

Le transport ferroviaire régional constitue également un appui à ce dynamisme. Les moyens de transports permettent de conserver des bassins de vie qui diffèrent des bassins d'emplois. En outre, sur le plan touristique, les trains régionaux permettent de développer des zones qui seraient très difficilement accessibles.

Les transferts de personnels de l'État en direction des collectivités est également une réussite, même si des difficultés ponctuelles peuvent exister ici ou là. Ces transferts ont permis une gestion de proximité efficace. Le cas des personnels des DDE, que vous évoquiez à l'instant, montre qu'aujourd'hui, les transferts de personnels de l'État vers les collectivités territoriales ne posent pas problème et que les craintes ont été surmontées. Dans le cas de la DDE, mais aussi dans bien d'autres exemples, plus de la moitié des personnels de l'État ont ainsi opté pour le statut de la fonction publique territoriale.

S'agissant des transferts financiers, l'État a assuré une compensation intégrale et concomitante pour chaque transfert de compétences. Il s'agit d'une obligation constitutionnelle. La compensation représente des sommes importantes : s'agissant des transferts prévus par la loi de 2004 (que ce soit les transferts des routes ou des personnels TOS de l'enseignement), l'État a versé 2,3 milliards d'euros aux régions et 1,2 milliard d'euros aux départements. Ces sommes augmentent chaque année, au fur et à mesure que se réalisent les transferts. Certes, je connais les polémiques qui demeurent, en particulier s'agissant du RMI. Mais les textes, et notamment la Constitution, obligent l'État à transférer les sommes qu'il consacrait aux mesures transférées. C'est ce qui a été fait, avec un droit à compensation de 4,9 milliards d'euros.

Pour combler le décalage dû au dynamisme de la dépense de RMI, l'État a consenti un effort de 500 millions d'euros. Cet effort a été renouvelé puisque le fonds mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) a été de nouveau doté de 500 millions d'euros pour 2008. L'État a donc, là aussi, effectivement assumé ses responsabilités.

Au-delà des questions de compensations, le nouveau « contrat de stabilité » qui prévoit que les dotations progresseront comme l'inflation suscite certaines inquiétudes.

Pourquoi cette nouvelle norme d'évolution ? J'en ai discuté avec les responsables des associations d'élus : il faut rappeler que la situation de nos finances publiques n'est plus compatible avec les engagements que nous avons pris depuis des années à l'égard de l'Europe. Ceux-ci impliquent que l'État « bride » ses dépenses. C'est pourquoi ce dernier s'est, cette année, imposé que les dépenses publiques n'augmentent pas plus que l'inflation. Les dotations aux collectivités représentent un quart du budget de l'État. Il est donc logique que cette norme s'impose aussi aux dotations.

Pour avoir longtemps géré une ville et exercé les fonctions de vice-présidente d'un conseil général, je sais que, lorsque l'on mène des politiques, on a besoin de visibilité. Pour cette raison, j'ai demandé qu'en 2008, la règle de progression de la dotation globale de fonctionnement soit maintenue, soit une augmentation calculée sur l'inflation majorée de 50 % de la croissance du PIB. 817 millions d'euros supplémentaires seront ainsi versés aux collectivités territoriales en 2008 au titre de la DGF, afin de leur permettre de « lisser » cette contrainte sur les prochaines années. Il était en effet quasiment impossible, pour les collectivités, de faire l'ajustement en deux ou trois mois.

Au-delà de cette mesure transitoire, le vrai problème à résoudre est celui de la réforme de la fiscalité locale. C'est aujourd'hui une exigence. En effet, pour disposer réellement de leur autonomie et de la possibilité de mettre en oeuvre des politiques, les collectivités doivent disposer de recettes stables et disposer de marges de manoeuvre.

Il faudra, pour ce faire, une concertation approfondie et sincère de part et d'autre. Pour ma part, je veillerai à ce que l'État joue franc-jeu avec les collectivités.

M. le Président, vous vous interroger sur la nécessité d'un Acte III : faut-il poursuivre le mouvement de décentralisation impulsé il y a vingt-cinq ans et dont la dernière phase a eu lieu en 2004 ? Cette question est essentielle. Ma conviction est qu'aujourd'hui, les collectivités comme les citoyens souhaitent y voir plus clair et que, pour cela, ils ont besoin d'une pause dans les transferts.

L'enquête de l'Observatoire de la décentralisation du Sénat l'a montré : les élus locaux comme les citoyens ont aujourd'hui besoin de mieux comprendre qui fait quoi et qui est responsable de quoi. Ils ont également besoin de pouvoir réaliser, à la marge, les éventuels ajustements. Une pause n'est pas forcément synonyme d'immobilisme. Une pause au contraire peut permettre à chacun de mieux comprendre l'articulation de la décentralisation. Elle peut également permettre de réfléchir, en vue d'établir ensemble un diagnostic qui soit véritablement partagé et pour essayer de trouver des solutions nouvelles aux besoins existants.

Sur le diagnostic, de nombreux points font aujourd'hui consensus, et tout d'abord la nécessité d'une clarification de l'organisation territoriale de la France. Des empilements de structures et de compétences rendent cette organisation pour le moins opaque. Il existe des redondances dans l'exercice de certaines responsabilités. Il y a ainsi des conseils régionaux qui font du social et des conseils généraux qui aident à l'investissement économique. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'affirmais tout à l'heure qu'il existe une complémentarité entre les mandats de conseiller général et de conseiller régional. C'est souvent la seule manière d'avoir un minimum de cohérence dans leurs actions respectives.

Ce constat laisse à penser qu'il est probablement utile que nous revoyions ensemble, avec le souci de l'intérêt général, les compétences exercées par chacun. Et que nous recherchions dans quels cas il pourrait être opportun de faire travailler conjointement les collectivités, et dans quels autres cas chacun doit au contraire rester dans son secteur. Mais s'il y a à peu près consensus sur le diagnostic, les solutions sont aujourd'hui diverses. Ainsi, la commission présidée par M. Attali devrait proposer de « rationaliser » nos institutions, autour des régions et de l'intercommunalité. Il faudra, en tout cas, en débattre.

J'estime, pour ma part, que vouloir ignorer les communes ou les départements, c'est méconnaître la réalité sur le terrain. Il existe en effet un lien affectif fort des citoyens envers des deux collectivités : le plus souvent, le citoyen connaît sa ville et son maire, et il sait dans quel département il est.

D'autres travaux s'attachent à trouver un moyen de clarifier notre organisation administrative. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, M. Alain Lambert proposera des marges de manoeuvre permettant à l'État et aux collectivités d'engager un effort de rationalisation, notamment financière. Ses conclusions seront remises au Président de la République et au Premier ministre, puis présentées à la prochaine Conférence nationale des exécutifs.

En tout état de cause, il me semble qu'il ne faut pas chercher à « changer pour changer ». Le changement n'est pas la garantie de la modernité. Il faut savoir identifier ce qui relève de l'identité et de l'attachement profond, que l'on ne saurait donc nier ou faire disparaître d'un trait de plume. Nos concitoyens attendent de nous que nous entendions leurs attachements et leurs besoins, tout en ayant le souci de l'adaptation aux défis du futur. En cela, la modernité consiste probablement à donner à nos concitoyens, comme à chacun d'entre nous, une meilleure lisibilité du champ d'intervention de chaque collectivité.

Nous devons réfléchir à une répartition des compétences saine et claire. Il ne s'agit pas de réaliser de nouveaux transferts massifs de compétences, mais d'opérer un certain nombre d'ajustements permettant de mieux identifier les responsabilités à chaque niveau de décision. Peut-être aurons-nous besoin d'une loi, voire d'une loi organique. Pourquoi pas ? Mais nous devrons avoir préalablement défini ce que nous souhaitons.

J'estime que les lois ordinaires et organiques, sur ces sujets, devraient être souples et ménager des capacités de coordination. L'intercommunalité peut apporter des solutions adaptées aux territoires : elle offre un cadre permettant de lutter contre un certain nombre de blocages.

Vous l'aurez compris : je suis pour des approches très pragmatiques. Il faut aussi expérimenter des réformes, dans le cadre du volontariat. L'expérimentation permet de cerner les avantages, les inconvénients, les zones d'ombre, avant de généraliser une mesure à l'ensemble des territoires. Il faut également permettre aux collectivités d'adapter leurs actions. Des outils tels que le « chef de file » peuvent permettre de répondre à certains besoins. Soyez assurés que je soutiendrai les initiatives qui s'appuieront sur ces deux outils que sont l'expérimentation ou le chef de file.

Je sais, Monsieur le Président, que vous proposez des pistes innovantes telles que des fusions ou des rapprochements de régions. Il existe en effet, à l'échelle européenne, des inégalités dans les périmètres des régions : au regard des Länder allemands ou des autonomies espagnoles, nos régions paraissent de faible dimension. Je ne suis pas opposée au rapprochement d'un certain nombre de départements, en prenant en compte la sensibilité des populations. Le sentiment d'appartenance à un département ne se « décrète » pas.

Nous ne devons rien nous interdire a priori dans la réflexion. Nous devons cependant rester proches du terrain et respecter l'identité de chacun de nos territoires, tout en leur donnant les moyens de répondre aux défis à venir.

Ceci est particulièrement important s'agissant de la troisième mission de l'Observatoire : l'évaluation de l'action publique. Ma conviction est qu'il ne faut pas craindre de se remettre en cause. L'évaluation permet également de suivre l'évolution de notre société, l'évolution des défis, y compris à l'échelle mondiale. C'est, là aussi, l'intérêt de la mission d'évaluation qui a été donnée à l'Observatoire.

Notre façon de réglementer doit elle aussi être mieux évaluée. Cette question n'est pas nouvelle. Nous avons, dans un monde qui bouge, besoin de lisibilité. Comment avoir cette lisibilité quand les textes s'amoncellent et changent souvent ? Des progrès sont possibles. Tout d'abord, nous devons nous demander systématiquement si la loi est vraiment utile. Nous devons y travailler.

Eviter les juxtapositions et les surabondances de réglementations, c'est aussi laisser aux collectivités territoriales la liberté d'exercer pleinement leurs compétences. Le Gouvernement a pris l'engagement de ne plus intervenir dans la mise en oeuvre des politiques publiques relevant des décideurs locaux. La conférence nationale des exécutifs permettra, en amont, de suivre l'ensemble de ces points, en associant les collectivités territoriales.

De la même façon sera créée au sein du Comité des Finances Locales, sur ma proposition, une commission consultative sur l'évaluation des normes. En tant que maire, j'ai pu observer les effets néfastes du changement de normes. Ainsi, de nouvelles normes de sécurité peuvent engendrer des surcoûts considérables ou conduire à une impossibilité d'utiliser un bâtiment. On pourrait citer bien d'autres exemples.

Nous avons de vastes champs de travail en commun. Je suis à votre entière disposition et me réjouis de notre collaboration. Ma conviction est que, dans une période marquée par la mondialisation, par les changements, les collectivités représentent à la fois un point d'appui et un repère. Elles sont aussi une véritable force pour l'État.

Notre première préoccupation doit être de permettre aux hommes et aux femmes de ce pays, agents des collectivités ou citoyens, de toujours plus s'épanouir et de toujours se sentir mieux dans notre pays.

M. Jean PUECH

Merci beaucoup Madame le Ministre. A travers vous, c'est à la fois un ministre expérimenté et une élue locale qui s'est exprimée. Votre expérience est « pragmatique ». Sachez que vous avez en face de vous des gens qui pratiquent au quotidien ce pragmatisme. Il est essentiel que nous soyons en accord avec nos concitoyens et que nous cherchions ensemble à traduire leurs aspirations.

Nous allons maintenant ouvrir le débat. Je laisse la parole à Monsieur Éric Doligé.

M. Éric DOLIGÉ

Je vous remercie Madame le Ministre. Votre analyse est réconfortante au regard des discours qui sont aujourd'hui tenus sur la réforme. Cette dernière tend à être confiée à des personnalités parisiennes ne connaissant pas assez le territoire. Ce dernier ne se réduit pas à Paris et au Bassin parisien ! Il y a d'ailleurs ici un certain nombre d'élus qui sont extérieurs à cette localisation géographique.

Il faut à mon avis considérer plusieurs éléments importants, et d'abord la notion du temps. Comme vous l'évoquiez à la fin de votre propos, les délais se sont considérablement allongés ces dernières années. Le moindre investissement au niveau local requiert deux, trois, voire quatre fois plus de temps qu'il y a dix ou vingt ans. C'est un vrai problème dans une société mondialisée qui bouge rapidement. Nous devons, dans notre réflexion, mettre en perspective cette notion du temps.

J'évoquerais ensuite un point préoccupant : le problème des compétences et de leurs superpositions. Je pense en l'occurrence à la compétence économique, essentielle pour le développement de la richesse d'un territoire. La richesse d'un territoire tient en effet dans sa potentialité de développement économique. Dans la loi de décentralisation, j'avais veillé à ce que les régions n'aient pas l'exclusivité de cette compétence. Je ne souhaiterais pas qu'au travers d'un certain nombre de réflexions menées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, l'on en revienne à concentrer certaines compétences sur un seul niveau de collectivité. Si cette dernière ne s'y intéresse pas, on court à la catastrophe. Je connais ainsi des collectivités qui sont totalement déconnectées de la réalité économique. Il me semble très important de ne pas opérer des répartitions de compétences qui soient trop exclusives.

Le dernier point que je souhaite aborder concerne le statut de l'élu. Si l'on ne s'engage pas très vite dans une réflexion sur ce sujet, on va perdre beaucoup d'élus. En outre, les élus ne seront plus répartis sur le spectre de ce qui représente le citoyen. On perdra également une certaine qualité de « matière grise ». Les élus seront de plus en plus souvent des retraités, et donc, de plus en plus âgés. D'ores et déjà, le profil de l'élu a, en quelques mandats, beaucoup évolué. On court un risque si l'on ne met pas rapidement en place un statut de l'élu local.

Je m'arrêterai à ces réflexions.

Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Je suis très sensible au problème des délais. Les délais sur les appels d'offres sont considérables et les enquêtes préalables se multiplient : sur l'archéologie, sur les sols, etc. Sur ce sujet, nous pourrions mener une réflexion conjointement, notamment sur la façon de superposer certaines démarches.

L'enchevêtrement des compétences est une autre difficulté. Il en résulte des distorsions dans les chances d'accès aux soutiens et aux interventions, et ce au détriment de tous ceux qui ne savent pas à qui s'adresser ou doivent faire face à des politiques divergentes.

Dans la réflexion sur la superposition des compétences, nous devons nous abstenir d'une approche trop tranchée et rigide, en disant, par exemple, que les régions s'occuperaient exclusivement de l'économie, et les départements, du social. Il faudrait néanmoins essayer de parvenir à une certaine clarification. L'une des réponses, que j'évoquais tout à l'heure, pourrait être la complémentarité entre le mandat de conseiller général et celui de conseiller régional, même si tous les conseillers généraux ne peuvent pas être conseillers régionaux. Il y a cependant là un vrai thème de réflexion.

Sur le statut de l'élu, il faut mettre en commun l'ensemble des réflexions. La complémentarité des mandats n'en est qu'un élément. Comme je le disais tout à l'heure, il faudrait également permettre aux élus venant du secteur privé d'avoir des garanties quasi équivalentes à ceux venant du secteur public. Cela ferait en outre profiter le secteur public des avantages liés à une diversification du recrutement. S'il y a déjà eu des progrès, notamment en termes de formation, il y a encore des efforts à faire concernant la protection juridique des élus, alors même que le lien direct entre l'infraction et l'élu n'est pas établi.

M. Benoît HURÉ

Madame le Ministre, j'ai écouté votre discours avec beaucoup d'intérêt. Je n'avais pas d'inquiétude : vous êtes une femme de terrain, vous connaissez les réalités. J'ai également apprécié le fait que vous vouliez, avant d'aller plus loin, avoir ce temps du « voir/juger/agir ».

Vous avez déclaré que les conseils généraux avaient pris à bras le corps la mise en oeuvre des solidarités en direction des populations les plus fragiles. En tant que président d'un conseil général, je tiens effectivement à ce que mon département le fasse avec dignité. Mais, pour des raisons pédagogiques comme matérielles, j'y associe en permanence le soutien au développement économique. C'est ainsi que, dans les Ardennes, département meurtri par les reconversions industrielles, nous avons progressivement fait du soutien au développement économique le deuxième poste de dépenses du conseil général. Progressivement, nous avons consacré cinq fois plus de moyens financiers à l'accompagnement du développement économique que la région. Si bien qu'en deux ans, les investisseurs se sont tournés vers nous.

La région, c'est, certes, le lieu de coordination, mais aussi le lieu de compétition. Pour un président de région, l'important, c'est qu'un investisseur vienne dans sa région en général. Mais pour un président de conseil général au contraire, l'important c'est qu'il vienne dans son département. Car pour faire face au social, pour permettre à toujours plus de Rmistes de se réinsérer, il faut une économie dynamique et des entreprises nombreuses et créatrices d'emplois. En outre, les entreprises nous fournissent l'essentiel de la fiscalité qui finance nos politiques sociales. Il me semble important de considérer ces éléments.

Je reviens maintenant sur la question du chevauchement de compétences et de la compétition entre élus. Au regard de leurs voisines européennes, nos régions sont, effectivement, trop petites. J'expliquais tout à l'heure que, dans ma région, l'infrastructure régionale des transports a dû être définie en partenariat avec les trois régions voisines. La limite est tangible. Il me semble aussi que la région, lieu de coordination, de concertation, ne devrait plus être une collectivité politique au sens où on l'entend habituellement, mais un lieu où seraient représentées les composantes territoriales : communautés d'agglomérations, grandes communautés de communes, conseils généraux. Cela permettrait à la fois d'éviter les compétitions politiques et de définir en commun de l'infrastructure de transports, routière, ferroviaire, fluviale ou aéroportuaire, que l'on met en place dans la région. Il faut en résumé se prendre le temps de faire le bilan sur ces différents points.

Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Le rôle économique des départements lié à leur action sociale répond à une vraie logique. Le problème vient du fait que certaines infrastructures économiques s'inscrivent aujourd'hui non à l'échelle du département mais à celle de la région. Il s'agit donc de définir des compétences réciproques en matière d'interventions et de définition des grandes structures économiques.

Vous évoquez les régions trop petites. Une meilleure articulation entre régions et départements pourrait être trouvée. Il n'est pas toujours vrai que ce qui intéresse un président de région, c'est d'avoir une entreprise dans sa région et non pas dans tel ou tel département de cette région. D'autres types de considérations interviennent. L'État a aussi là un rôle à jouer, car il apparaît souvent comme le garant de la neutralité.

Mme Josette DURRIEU

Je suis première vice-présidente du conseil général des Hautes-Pyrénées ; M. François Fortassin, qui en est le président, était présent tout à l'heure. La configuration est la même dans les Hautes-Pyrénées que dans les Ardennes : une politique volontariste fait que, au-delà de nos compétences, le poste de développement économique vient, transversalement, presque en tête, derrière l'aide sociale. Il s'agit d'une nécessité absolue, dans la mesure où, en termes de développement économique, la région ne prend pas d'initiatives. Je confirme tout ce que vous venez de dire. Depuis vingt ans, notre département souffre. En ce qui concerne le GIAT, ce n'est pas rien de passer de 3200 salariés à zéro.

Dès lors, si le conseil général ne réagit pas, qui le fera ? L'aménagement du territoire et le développement économique dans nos départements est la somme de nos actions. La région suit, elle accompagne, mais l'aménagement du territoire se fait véritablement, dans certaines zones, au niveau des départements. Les Hautes-Pyrénées étaient un grand département industriel, deuxième pôle de Midi-Pyrénées. Il s'est tourné vers le tourisme après le départ d'entreprises comme Alcan. Mais lorsque le mot « tourisme » a disparu du contrat de plan Etat-Région 2007-2013 - jusqu'à ce que vous l'y ayez fait remettre -, nous nous sommes dit que l'Etat avait une vision faussée de la réalité du territoire. Certes, on ne compensera jamais GIAT ou Péchiney. Il n'empêche qu'en quinze ans, nous avons perdu 10 000 emplois et nous en avons recréé 15 000, notamment dans le tourisme. Mais cette création d'emplois ne s'est pas faite dans les mêmes conditions et nous n'avons reçu que la moitié des sommes attendues. La péréquation doit devenir une réalité si l'Etat veut accompagner les efforts que nous faisons dans le cadre de politiques volontaristes.

Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Ce qui est vrai pour les Hautes-Pyrénées et les Ardennes l'est aussi pour les Pyrénées-Atlantiques. Je pourrais tenir le même discours au Président de la région Aquitaine que celui que vous tenez à celui de la région Midi-Pyrénées. Il en va de même de l'Aveyron. Mais, comme je le disais tout à l'heure, vous ne pouvez nier qu'un certain nombre de grands investissements économiques ne peuvent être assumés qu'au niveau des régions. Il y a d'ailleurs chez elles un « grand appétit » pour l'augmentation de leurs compétences et de leurs capacités financières.

La réforme de la fiscalité locale dont nous parlions tout à l'heure - et la péréquation est l'une des données de cette réforme - va certainement donner lieu à des échanges assez vifs entre l'Assemblée des départements de France et l'Association des régions de France, voire, également, l'Association des maires de France.

Il est important que nous puissions travailler ensemble, et vite, sur ce dossier d'une difficulté extrême. Vous avez soulevé de vraies questions, tant sur les réalités économiques, parfois contradictoires, que sur les besoins sociaux.

M. Jean PUECH

Les choses ne sont pas simples. Certains transferts de compétences ne posent pas de problèmes : quand on transfère des collèges ou des lycées, c'est clair, c'est un transfert de compétences. Le développement économique, c'est différent : c'est un objectif. Faire un bon développement économique, je qualifierais cela de « mission partagée ». Il faut alors qu'il y ait un chef de file. Sur un dossier de développement économique, le chef de file peut être le département, la commune voire l'échelon intercommunal. Il ne faudrait pas qu'il n'y ait qu'une et une seule collectivité qui soit responsable.

Il est important de faire la distinction entre une compétence claire - j'en ai citées - et un objectif. Par exemple, une bonne politique dans le domaine de l'environnement relève à la fois de la commune (pour le « bruit ») mais aussi du département, voire d'un niveau interdépartemental, s'il s'agit de nettoyer les rivières et les ruisseaux.

Mme Michèle ALLIOT-MARIE

Le « bruit » peut même relever de la compétence de la région, par exemple s'agissant du bruit des avions émis à partir d'un aéroport régional.

M. Jean PUECH

Vous avez raison. C'est pourquoi j'estime, pour ma part, qu'il convient de définir un chef de file pour chaque objectif ou chaque mission.

Madame le Ministre, je voudrais vous remercier et vous assurer que nous souhaitons, autant que vous, travailler ensemble. C'est très important.

Comme vous représentez l'Etat, je voudrais également souligner combien il me paraît nécessaire que la réforme de l'administration locale soit accompagnée par une réforme importante au niveau de l'Etat et notamment au niveau déconcentré. A travers l'Observatoire, les échos que nous avons sont toujours les mêmes : il faut qu'il y ait un dialogue permanent, à tous les niveaux. Au niveau local, les préfets sont court-circuités par les directions de l'Etat. On dit que le préfet est le représentant de l'Etat, mais je peux vous assurer que le DDE, tout comme le DDAS, court-circuite le préfet ! Ils travaillent directement avec leur administration centrale. En pratique, il faudrait que les fonctions publiques puissent travailler davantage en « communion ». Pour le moment, il existe de véritables barrières, et c'est difficile.

Juste un petit exemple : à l'issue des transferts de personnels, 52 % des personnels de la fonction publique d'Etat sont de catégorie A et B, tandis qu'il n'y a désormais que 22 % de la fonction publique territoriale qui soit de catégorie A et B. Alors que s'est-il passé ? Est-il normal que, dans les partitions, les collectivités aient conservé le bas de la pyramide, alors que le haut de la pyramide est resté au niveau central ? Comment résoudre le problème ? Laissons la fonction publique d'État aller à la fonction publique territoriale, la fonction publique territoriale aller à la fonction publique d'État. Détruisons ces cloisons. C'est en faisant converger les moyens dont nous disposons les uns et les autres, les expériences, les compétences, voire les talents, que nous arriverons à constituer une bonne fonction publique générale qui travaillera dans l'intérêt public de la France, au niveau national comme local.

C'est un appel à une coopération sans faille que nous lançons. Merci beaucoup, Madame le Ministre.

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